L’histoire de la justice et du droit musulman (fiqh) aux débuts de l’Islam occupe depuis plusieurs décennies les spécialistes, lesquels se heurtent au manque de sources remontant à cette époque éloignée. De nombreuses thèses, y compris celle de Wael Hallaq, décrivent la formation de la justice musulmane en s’appuyant sur des sources classiques, rédigées lorsque le droit et les institutions juridiques existaient déjà et quand l’État était devenu islamique en terre d’Islam. Ces théories essentialistes décrivent l’histoire de la justice (en particulier l’institution du cadi) au premier siècle de l’Islam selon l’idéologie de ces auteurs classiques.
Mathieu Tillier rompt avec cette vision et se livre ici à un difficile exercice d’érudition. Sans perdre de vue la rareté et l’état fragmentaire des sources anciennes, il propose un triptyque inédit par l’examen de trois corpus : la papyrologie de Haute-Égypte, dont les particularités sont confrontées aux papyrus palestiniens afin de décrire le fonctionnement de la justice dans cette province fraîchement conquise (partie 1) ; les ah˘bār al-quḍāt et surtout les Muṣannafs de ʿAbd al-Razzāq al-Ṣanʿānī et d’Ibn Abī Šayba, une littérature qui regorge de traditions (ah˘bār), réelles ou fictives, attribuées à des figures modèles d’exemplarité de la justice du premier siècle de l’Hégire (partie 2) ; le droit impérial sassanide et romain d’Orient, mais aussi les théories juridiques des juifs et des chrétiens d’Orient, dont un riche matériau de textes syriaques (partie 3)…