Si l’Islam est reconnu par des générations d’historiens, à commencer par Fernand Braudel, comme l’une des grandes « civilisations méditerranéennes », il apparaît au second plan dès lors qu’il est question de l’essor maritime. La vulgate de l’historiographie de la Méditerranée médiévale, fondée sur une vision occidentalisée issue de la lecture et de l’interprétation des sources chrétiennes, réduit la présence arabo-musulmane aux pratiques de piraterie. À l’exception peut-être d’un épanouissement à travers les deux califats méditerranéens (omeyyade [929-1031], fatimide [909-1171]), capables de disputer la maîtrise de l’espace maritime aux empereurs de Byzance et aux Latins, les autorités musulmanes se seraient détournées de cette mer, d’autant plus face à l’essor des puissances maritimes latines à partir du xie siècle. L’engagement des musulmans en Méditerranée est ainsi assigné à un rôle secondaire. Sans nier la figure du pirate, Christophe Picard évoque plutôt celles du marin, du guerrier ou du marchand, au service de leur propre fortune et du calife, qui disputèrent la Méditerranée aux Grecs et aux Latins et en reçurent des honneurs.
L’auteur s’érige parallèlement contre la thèse d’Henri Pirenne, exposée dans Mahomet et Charlemagne et ayant toujours cours, qui accuse les conquérants arabes d’avoir brisé l’unité méditerranéenne du temps de la domination romaine et d’être responsables du ralentissement, voire de la rupture, des relations commerciales entre les deux rives de la Méditerranée jusqu’à la redynamisation de l’espace par les puissances latines…