L’ouvrage de Charles Guérin entend aborder le « fantôme du discours judiciaire antique » (p. 12) que constitue le témoignage. Le silence des sources sur ce sujet s’explique par plusieurs tendances : la fascination pour la seule plaidoirie, l’impossibilité de catégoriser l’interrogatoire dans le champ littéraire, le fait que le témoignage soit considéré comme un objet établi, et non le résultat d’un échange, et le peu d’intérêt pour un orateur de publier un tel dialogue. L’auteur parvient néanmoins à reconstruire cette étape du procès grâce aux questions au style indirect présentes dans les plaidoiries conservées, aux dispositions légales et aux traités de rhétorique. Ponctuellement, il recourt à bon escient au comparatisme avec le système judiciaire anglo-saxon.
Loin de se réduire à une formalité, le témoignage, qui était au cœur de l’établissement de la preuve, soulevait une double question centrale : pouvait-on et devait-on le croire ? L’étude se place donc dans une démarche d’histoire culturelle en s’efforçant de reconstituer les pratiques discursives propres à cette étape du procès qui en déterminait bien souvent l’issue. À partir de cette question fondamentale – comment croire autrui ? –, C. Guérin propose une analyse stimulante de la société romaine, des rapports de fides (confiance, crédit) et de l’auctoritas (autorité mêlée de prestige), autant de thèmes mis en relief par l’historiographie récente.
L’audition des témoins était une étape cruciale du procès : par sa longueur d’abord, équivalente à celle des discours d’après les calculs de l’auteur ; par le régime de la preuve ensuite, car l’accusation, devant prouver que le fait avait eu lieu, recourait abondamment aux témoignages, comme le montre l’acharnement des avocats à les réfuter…