1Après avoir tenté d’éclairer, de l’intérieur et collectivement, le projet intellectuel et éditorial de la revue, cette section entend opérer un décentrement. Elle propose plusieurs regards extérieurs sur les Annales et leur évolution récente – des « vues d’ailleurs », posées à partir de lieux géographiques, institutionnels et intellectuels distincts.
2Ces articles sont le résultat d’une commande personnalisée, dont la teneur a été discutée en comité de rédaction. Le périmètre des invitations se fondait sur plusieurs critères : il s’agissait tout d’abord de solliciter le regard de collègues étrangers situés à bonne distance des Annales, afin d’éviter la connivence, et en même temps suffisamment intéressés par la revue pour entretenir avec elle une certaine familiarité ; ensuite, de privilégier des historiennes et des historiens impliqués dans des revues d’histoire d’ambition comparable ou, à tout le moins, manifestant une préoccupation aiguë pour les questions historiographiques et épistémologiques ; enfin, d’essayer, dans le panel retenu, d’équilibrer les genres et les traditions intellectuelles.
3À considérer le sommaire, c’est évidemment sur ce dernier point que le bât blesse : les lacunes sont flagrantes, en particulier du côté de l’Afrique et de l’Asie du Sud-Est, malgré nos efforts de prospection et les invitations lancées. Ce déséquilibre en dit assurément long sur la réception différenciée de la revue sur le plan géographique. Le pari est également manqué en termes de genre : alors que les invitations tendaient vers la parité, après refus et désistements, la section ne compte qu’un article écrit par une femme, contre six par des hommes. Au-delà des hasards des circonstances, cet écart mériterait d’être interrogé collectivement.
4Si l’échantillon est assurément biaisé, il produit néanmoins, par un effet kaléidoscopique, un certain portrait de la revue, qui ne correspond d’ailleurs pas toujours à celui que ses propres membres se font d’elle – décalage qui en fait tout le prix. Les différents textes manifestent une certaine cohérence, sans doute parce que la commande posait au départ un cadre de réflexion commun. Après avoir évoqué le projet du numéro spécial et en avoir décrit les linéaments, la lettre d’invitation suggérait aux destinataires de « porter leur propre regard sur les Annales », non pas en tant qu’école historique, mais en tant que revue actuelle et vivante, celle qu’ils fréquentaient (ou pas) au fil des dernières décennies, à partir de leur propre expérience intellectuelle et éditoriale. S’ensuivait une série de questions destinées, sinon à orienter la réflexion, du moins à la circonscrire :
Quelle a été votre perception et votre lecture de la revue au cours des dernières années ? Dans quelle mesure pouvez-vous identifier des choix éditoriaux et historiographiques, et quelle analyse faites-vous de ces choix ? Considérez-vous qu’il existe, dans le traitement ou dans l’écriture de l’histoire, un « style » des Annales ? La revue s’inscrit-elle encore, et si oui, comment, dans le paysage international, selon l’expérience qui est la vôtre ? Quels sont éventuellement les problèmes que vous avez identifiés face à l’évolution des Annales, comme revue et comme projet méthodologique ? Existe-t-il encore un espace pour une revue internationale qui soit porteuse d’une proposition intellectuelle, ou bien la standardisation de la production savante, la normalisation de l’évaluation académique ainsi que l’évolution matérielle et économique des modes de diffusion ont-elles rendu ce modèle caduc ?
6La lettre suggérait également la possibilité, pour celles et ceux qui étaient engagés dans des revues scientifiques de sciences sociales, de confronter leur propre expérience à celle des Annales, quitte à en faire un portrait croisé. C’est le produit de ces réflexions qui est ici donné à lire.
Date de mise en ligne : 25/08/2021