Couverture de ANNA_753

Article de revue

Approche quantitative d’un projet intellectuel

Pages 583 à 608

Notes

  • [1]
    Hervé Coutau-Bégarie, Le phénomène « nouvelle histoire ». Stratégie et idéologie des nouveaux historiens, Paris, Economica, 1983 ; François Dosse, L’histoire en miettes. Des « Annales » à la « nouvelle histoire », Paris, La Découverte, 1987.
  • [2]
    Lucien Febvre, « Propos d’initiation. Vivre l’histoire » [1941], Mélanges d’histoire sociale, 3, 1943, p. 5-18, ici p. 6.
  • [3]
    Ibid.
  • [4]
    Sur le compte rendu « comme mode d’expression », en particulier chez Lucien Febvre, voir Bertrand Müller, « Lucien Febvre et la politique du compte rendu », in A. Clavien et B. Müller (dir.), Le goût de l’histoire, des idées et des hommes, Lausanne, Éd. de l’Aire, 1996, p. 437-459, ici p. 439 et 458 : « Sur 3 443 items dénombrés (1929-1945), 923 sont signés par Bloch, 835 par Febvre alors qu’ils ne signent que 15 articles de fond sur 156. »
  • [5]
    Voir, dans le présent numéro, « Un collectif au travail », p. 537-554.
  • [6]
    France Guérin-Pace, Thérèse Saint-Julien et Anita W. Lau-Bignon, « Une analyse lexicale des titres et mots-clés de 1972 à 2010 », L’Espace géographique, 41-1, 2012, p. 4-30.
  • [7]
    Henri L. Wesseling, « The Annales School and the Writing of Contemporary History », Review (Fernand Braudel Center), 1-3/4, 1978, p. 185-194.
  • [8]
    Sans autre précision, les articles portant sur le xviiie siècle rentrent dans les catégories « moderne » ou « 1789-1815 ».
  • [9]
    Sur le rapport entre la pratique de certains types d’histoire et le profil des auteurs, voir en particulier Andrew Abbott, Chaos of Disciplines, Chicago, The University of Chicago Press, 2001. Dans le contexte des revues de sciences sociales, voir Jerry A. Jacobs et Scott Frickel, « Interdisciplinarity: A Critical Assessment », Annual Review of Sociology, 35-1, 2009, p. 43-65 ; Steven Ruggles et Diana L. Magnuson, « The History of Quantification in History: The JIH as a Case Study », The Journal of Interdisciplinary History, 50-3, 2019, p. 363-381 ; no spécial « Espace des disciplines et pratiques interdisciplinaires », Actes de la recherche en sciences sociales, 210-5, 2015.
  • [10]
    H. L. Wesseling, « The Annales School and the Writing of Contemporary History », art. cit., p. 194. Voir également, dans le présent numéro, « Face au présent. Politique des temporalités », p. 493-516.
  • [11]
    Voir, dans le présent numéro, l’article « Le temps du récit. Histoire, fiction, littérature », p. 447-463.
  • [12]
    Sauf mention contraire, les proportions utilisées comptabilisent le nombre de pages concernées sur l’ensemble des pages d’articles publiés (donc hors comptes rendus) par an.
  • [13]
    Pour des développements substantiels sur ce point, voir, dans le présent numéro, l’article « Le temps du récit », art. cit.
  • [14]
    Voir les dossiers suivants : « La condition fœtale », Annales HSS, 61-2, 2006, p. 483-520 ; « Écriture de soi et écrits publics », É. Ficquet et A. Mbodj-Pouye (dir.), no spécial « Cultures écrites en Afrique », Annales HSS, 64-4, 2009, p. 855-924 ; « Lire Le capital de Thomas Piketty », Annales HSS, 70-1, 2015, p. 5-138.
  • [15]
    Les périodes institutionnelles retenues sont l’Antiquité, le Moyen Âge, l’époque moderne, le xixe et le xxe siècle : nous avons en effet considéré que la rupture institutionnelle entre dix-neuvièmistes et vingtièmistes pouvait être équivalente à celle entre les autres disciplines. La catégorie « longue durée » recoupe des articles qui se revendiquent explicitement de cette approche ou dont le spectre chronologique recoupe trois de ces périodes ou plus.
  • [16]
    De nombreux articles emploient ainsi des périodisations proches de la catégorie de l’« early modern » du xive siècle au xviie ou xviiie siècle, comme par exemple Fanny Cosandey, « De lance en quenouille. La place de la reine dans l’État moderne (xive-xviie siècles) », Annales HSS, 52-4, 1997, p. 799-820. Bien plus rares sont les articles qui franchissent la division entre Antiquité et Moyen Âge, tel Peter Brown, « Vers la naissance du purgatoire. Amnistie et pénitence dans le christianisme occidental de l’Antiquité tardive au haut Moyen Âge », Annales HSS, 52-6, 1997, p. 1247-1261.
  • [17]
    Voir en particulier le dossier « Anthropocène », Annales HSS, 72-2, 2017, p. 263-378.
  • [18]
    Johan Heilbron et Anaïs Bokobza, « Transgresser les frontières en sciences humaines et sociales en France », no spécial « Espace des disciplines et pratiques interdisciplinaires », Actes de la recherche en sciences sociales, 210-5, 2015, p. 108-121.
  • [19]
    Julien Boelaertet al., « Les aléas de l’interdisciplinarité. Genèses et l’espace des sciences sociales françaises (1990-2014) », Genèses, 100/101-3/4, 2015, p. 20-49.
  • [20]
    Voir en particulier le no spécial « Espace des disciplines et pratiques interdisciplinaires », Actes de la recherche en sciences sociales, 210-5, 2015.
  • [21]
    J. Heilbron et A. Bokobza, « Transgresser les frontières… », art. cit.
  • [22]
    Ghislaine Filliatreau, « Bibliométrie et évaluation en sciences humaines et sociales : une brève introduction », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 55-4 bis, 2008, p. 61-66 ; Paul Wouters, « Aux origines de la scientométrie », Actes de la recherche en sciences sociales, 164-4, 2006, p. 11-22.
  • [23]
    Le comité de l’Annual Review of Sociology avait ainsi exploré l’évolution de la présence de certains termes (interdisciplinary, post-modern ou encore actor-network theory) pour analyser celle des dialogues disciplinaires dans la revue ; ils avaient également suivi la citation de certains auteurs spécifiques, notamment Bruno Latour, et la manière dont ces travaux étaient relus : J. A. Jacobs et S. Frickel, « Interdisciplinarity », art. cit. De tels travaux pourraient donner des résultats intéressants en élargissant le corpus pour introduire une dimension comparative.
  • [24]
    Thomas Piketty, « Réponse à François Bourguignon et Gilles Postel-Vinay », no spécial « Réseaux marchands », Annales HSS, 58-3, 2003, p. 699-702 ; Éric Monnet, « Monnaie et capital. Contributions du Capital au xxiesiècle à l’histoire et à la théorie monétaires », Annales HSS, 70-1, 2015, p. 35-46 ; Robert Boyer, « Historiens et économistes face à l’émergence des institutions du marché », Annales HSS, 64-3, 2009, p. 665-693.
  • [25]
    C’est par exemple le cas de Nicolas Delalande, « Protéger le crédit de l’État. Spéculation, confiance et souveraineté dans la France de l’entre-deux-guerres », Annales HSS, 71-1, 2016, p. 127-162, qui réutilise abondamment des travaux d’économie et de sociologie économique, notamment états-uniens, à la fois comme source et comme outil de réflexion ; ou de Maria Novella Borghetti et Riccardo Rosolino, « Vices tyranniques. Résistance au monopole, idéologie et marché à l’aube de la modernité », Annales HSS, 68-3, 2013, p. 793-819, qui s’appuient sur des travaux d’économistes pour définir les trois concepts au cœur de leur réflexion, appliqués à l’Europe du début de l’époque moderne.
  • [26]
    En rassemblant les auteurs ayant une affiliation au CNRS, à l’EHESS, à l’une des ENS, au Collège de France ou à l’EPHE, nous arrivons à 64 % des auteurs français publiés aux Annales, ou 41 % de l’ensemble des auteurs.
  • [27]
    Dossier « Recherche historique et enseignement secondaire », Annales HSS, 70-1, 2015, p. 141-214. Avec la traduction anglaise de la revue depuis 2017, il sera intéressant d’observer si cela produit un effet sur les articles publiés dans les prochaines années.
  • [28]
    De nombreux dossiers comportent à la fois des articles épistémologiques plus développés que les introductions et des articles d’études de cas illustrant la proposition méthodologique générale : c’est le cas par exemple du dossier dirigé par Augustin Jomier et Ismail Warscheid, « Écrire l’histoire de l’islam moderne et contemporain », Annales HSS, 73-2, 2018, p. 311-439, de celui sur l’« Anthropocène », Annales HSS, 72-2, 2017, p. 263-378, du dossier « La longue durée en débat » ou de celui sur l’« Histoire des sciences », Annales HSS, 70-2, 2015, respectivement p. 285-378 et 381-435.
  • [29]
    Voir supra.
  • [30]
    F. Guérin-Pace, T. Saint-Julien et A. W. Lau-Bignon, « Une analyse lexicale… », art. cit.
  • [31]
    Voir supra.
  • [32]
    Étienne Anheim, Jean-Yves Grenier et Antoine Lilti, « Repenser les statuts sociaux », É. Anheim, J.-Y. Grenier et A. Lilti, no spécial « Statut sociaux », Annales HSS, 68-4, 2013, p. 949-953, ici p. 950.
  • [33]
    Voir la note critique de Simona Cerutti, « Pragmatique et histoire. Ce dont les sociologues sont capables (note critique) », Annales ESC, 46-6, 1991, p. 1437-1445 ainsi que ead., « À qui appartiennent les biens qui n’appartiennent à personne ? Citoyenneté et droit d’aubaine à l’époque moderne », Annales HSS, 62-2, 2007, p. 355-383 ; Jean-François Chauvard, « Adaptabilité versus inaliénabilité. Les dérogations des fidéicommis dans la Venise du xviiie siècle », Annales HSS, 70-4, 2015, p. 849-880 ; Annick Lacroix, « La poste au douar. Usagers non citoyens et État colonial dans les campagnes algériennes de la fin du xixe siècle à la Seconde Guerre mondiale », Annale HSS, 71-3, 2016, p. 709-740.
  • [34]
    Robert Descimon, « Declareuil (1913) contre Hauser (1912). Les rendez-vous manqués de l’histoire et de l’histoire du droit », Y. Thomas (dir.), no spécial « Histoire du droit », Annales HSS, 57-6, 2002, p. 1615-1636.
  • [35]
    La catégorie d’histoire politique et du droit que nous avons utilisée recoupe ainsi des articles comme : Alain Boureau, « Les cérémonies royales françaises entre performance juridique et compétence liturgique », Annales ESC, 46-6, 1991, p. 1253-1264 ; Myriam Cottias, « Droit, justice et dépendance dans les Antilles françaises (1848-1852) », Annales HSS, 59-3, 2004, p. 547-567 ; John Ma, « Élites, élitisme et communauté dans la polis archaïque », Annales HSS, 71-3, 2016, p. 631-658.
  • [36]
    À titre d’exemple, voir Mercedes García-Arenal, « Sainteté et pouvoir dynastique au Maroc : la résistance de Fès aux Sa’diens », Annales ESC, 45-4, 1990, p. 1019-1042 ; Takashi Tsukuda, « Les religieux mendiants d’Ôsaka durant la période prémoderne », Annales HSS, 66-4, 2011, p. 1053-1077 ; Dru C. Gladney, « La question Ouïgour. Entre islamisation et ethnicisation », P. Chuvin et J. Poloni-Simard (dir.), no spécial « Asie centrale », Annales HSS, 59-5/6, 2004, p. 1157-1182.
  • [37]
    Voir le dossier précédemment cité, « Écrire l’histoire de l’islam moderne et contemporain », Annales HSS, 73-2, 2018, p. 311-439.
  • [38]
    Georges Perec, Penser, classer, Paris, Hachette, 1985.
  • [39]
    S. Ruggles et D. L. Magnuson, « The History of Quantification in History », art. cit., p. 371-374. Des catégorisations thématiques plus fines font apparaître des fluctuations plus importantes, mais qui sont peut-être, comme les auteurs le soulignent, davantage liées au choix des numéros thématiques : Myron P. Gutmann, « Quantifying Interdisciplinary History: The Record of (Nearly) Fifty Years », The Journal of Interdisciplinary History, 50-4, 2020, p. 517-545, ici p. 24-527.
  • [40]
    André Burguière, « Histoire d’une histoire. La naissance des Annales », Annales ESC, 34-6, 1979, p 1347-1359, ici p. 1356.
  • [41]
    Philippe Mongin, « Retour à Waterloo. Histoire militaire et théorie des jeux », Annales HSS, 63-1, 2008, p. 39-69.
  • [42]
    Voir par exemple David A. Bell, La première guerre totale. L’Europe de Napoléon et la naissance de la guerre moderne, Seyssel, Champ Vallon, 2010 ; Hew Strachan et Sibylle Scheipers (dir.), The Changing Character of War, Oxford, Oxford University Press, 2011.
  • [43]
    Voir l’article récemment publié de Reine-Marie Bérard, « La politique du cadavre. Traitements funéraires et usages civiques des morts à la guerre en Grèce archaïque et classique », Annales HSS, 75-1, 2020, p. 1-38.
  • [44]
    Voir le numéro spécial dirigé par Pierre-Michel Menger et Jacques Revel, « Mondes de l’art », Annales ESC, 48-6, 1993 et le dossier « Images médiévales », Annales HSS, 51-1, 1996, p. 3-133.
  • [45]
    Raymonde Moulin et Alain Quemin, « La certification de la valeur de l’art. Experts et expertises », P.-M. Menger et J. Revel (dir.), no spécial « Mondes de l’art », Annales ESC, 48-6, 1993, p. 1421-1445 ; Jérôme Baschet, « Inventivité et sérialité des images médiévales. Pour une approche iconographique élargie », Annales HSS, 51-1, 1996, p. 93-133 ; Patrick Boucheron, « ‘Tournez les yeux pour admirer, vous qui exercez le pouvoir, celle qui est peinte ici.’ La fresque du Bon Gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti », Annales HSS, 60-6, 2005, p. 1137-1199.
  • [46]
    Cité dans Marc Ferro, « L’histoire est toujours contemporaine. Entretien avec Jean-Luc Racine », no spécial « Mémoires et nations », Transcontinentales. Sociétés, idéologies, système mondial, 6, 2008, p. 95-105, ici p. 96.
  • [47]
    Éditorial, « Tentons l’expérience », Annales ESC, 44-6, 1989, p. 1317-1323, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.
  • [48]
    Giuliano Milani, « Avidité et trahison du bien commun. Une peinture infamante du xiiie siècle », Annales HSS, 66-3, 2011, p. 705-739 ; Franck Mercier, « Le salut en perspective : un essai d’interprétation de la Flagellation du Christ de Piero della Francesca » et Étienne Anheim, « Un atelier italien à la cour d’Avignon. Matteo Giovannetti, peintre du pape Clément VI (1342-1352) », Annales HSS, 72-3, 2017, respectivement p. 737-771 et 703-735.
  • [49]
    Sophie Cras et Constance Moreteau, « Les revues et les images », Tracés. Revue de sciences humaines, 18, 2018, p. 101-114.
  • [50]
    Dossiers « Travail masculin, travail féminin, France et Angleterre, xixe-xxe s. », Annales HSS, 54-3, 1999, p. 561-614 ; « La femme japonaise », Annales HSS, 54-1, 1999, p. 29-86 ; « Régimes de genre », Annales HSS, 67-3, 2012, p. 563-713.
  • [51]
    Éditorial, « Les Annales, aujourd’hui, demain », Annales HSS, 67-3, 2012, p. 557-560, ici p. 560, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796. Voir également, dans le présent numéro, « Face au présent », art. cit.
  • [52]
    « Les Annales en débat », Bibliothèque nationale de France, https://annales.hypotheses.org/29.
  • [53]
    Françoise Thébaud, « Genre et histoire en France », Hypothèses, 8-1, 2005, p. 267-276.
  • [54]
    Didier Lett, « Les régimes de genre dans les sociétés occidentales de l’Antiquité au xviie siècle », dossier « Régimes de genre », Annales HSS, 67-3, 2012, p. 563-572, ici p. 563.
  • [55]
    Étienne Anheim, « Genre, publication scientifique et travail éditorial. L’exemple de la revue Annales. Histoire, sciences sociales », Tracés. Revue de sciences humaines, 32, 2017, p. 193-212.
  • [56]
    Voir les dossiers « Histoire et environnements », Annales ESC, 48-1, 1993, p. 3-41 et « Histoire et sociologie des sciences. Approches critiques », Annales HSS, 50-3, 1995, p. 487-562 ainsi que le numéro spécial dirigé par Yves Cohen et Dominique Pestre, « Histoire des techniques », Annales HSS, 53-3/5, 1998.
  • [57]
    Éditorial, « Histoire et sciences sociales. Un tournant critique ? », Annales ESC, 43-2, 1988, p. 291-293, ici p. 293, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.
  • [58]
    Voir, dans le présent numéro, « Les échelles du monde. Pluraliser, croiser, généraliser », p. 465-492.
  • [59]
    Il s’agit d’une tradition éditoriale bien plus ancienne dans la revue, mais ce texte ne porte volontairement que sur les Annales depuis le « tournant critique ».
  • [60]
    Éditorial, « Histoire et sciences sociales. Un tournant critique ? », Annales ESC, 43-2, 1988, p. 291-293, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.
  • [61]
    Par exemple le numéro spécial dirigé par Pierre-François Souyri et Hiroyuki Ninomiya, « L’histoire du Japon sous le regard japonais », Annales HSS, 50-2, 1995, ou encore celui sur l’« Histoire sociale de la RDA », Annales HSS, 53-1, 1998.
  • [62]
    Alberto Caracciolo, « La prima generazione », Quaderni storici, 160-1, 1999, p. 13-30, ici p. 13.

1Quelle histoire les Annales ont-elles publiée depuis 1990 ? Si l’on en croit leurs détracteurs, une histoire se distinguant surtout par la capacité stratégique de ses promoteurs à conquérir des positions universitaires et médiatiques afin de l’imposer (abusivement) comme neuve ou nouvelle [1]. Plutôt que d’alimenter la controverse, nous avons ici choisi d’explorer une voie autre et de fonder l’analyse sur une enquête quantitative.

2Une revue se définit certes par son comité de rédaction et le positionnement multiple des femmes et des hommes qui le composent, mais peut-être aussi par ses sommaires. Aux Annales, depuis 1990, 1 182 articles courant sur plus de 27 000 pages et plusieurs milliers de comptes rendus représentant près de 11 000 pages ont été publiés sous deux titres différents : Annales. Économies, sociétés, civilisations jusqu’en 1994 ; Annales. Histoire, sciences sociales ensuite, les deux sous-titres ayant en commun d’être flous et l’immense avantage d’être à géométrie variable. Lucien Febvre d’expliquer :

3

Quand nous avons fait imprimer, Marc Bloch et moi, ces deux mots traditionnels [à cette date, 1929, la revue s’intitulait Annales d’histoire économique et sociale] sur la couverture de nos Annales nous savions fort bien que social, en particulier, est un de ces adjectifs à qui on a fait dire tant de choses, dans le cours des temps, qu’il ne veut finalement à peu près plus rien dire. Mais c’est bien pour cela que nous l’avons recueilli[2].

4C’est par « un décret nominatif de la Providence historique » du même genre que l’expression « Histoire, Sciences Sociales » est venue se substituer à l’énumération « Économies, Sociétés, Civilisations » : pour faire rayonner l’histoire « largement, librement, indiscrètement même, sur tous les jardins du voisinage » [3].

5Si l’histoire-Annales est un certain type de récit, c’est aussi, depuis l’origine, un discours. Et pour prendre la revue en défaut, ou marquer l’écart entre ses intentions et la pratique effective, quoi de mieux que de confronter les sommaires au discours produit par les Annales sur elles-mêmes, en particulier dans leurs éditoriaux ? Le décalage ou, faisons un rêve, la cohérence entre les présupposés théoriques et l’histoire écrite publiée de celles et ceux qui soumettent leurs papiers à la revue et entrent en dialogue avec elle, sera ici commentée à partir des articles exclusivement. Dit autrement, les comptes rendus seront laissés de côté. Ce choix peut apparaître discutable quand on sait l’importance que M. Bloch et L. Febvre, surtout, accordaient à ceux-ci dans leur combat pour une autre histoire [4]. Ces comptes rendus de combat ont fait date : vitrines de l’interdisciplinarité, sismographes de l’actualité et de la curiosité tous azimuts exigée de l’historien, ils n’ont, sommaires en main, pas franchi le seuil des années 1950. Ayant toutefois perdu depuis longtemps leur fonction de chevaux légers d’une histoire de combat, les comptes rendus – occasionnellement écrits par les membres du comité – sont rassemblés par thèmes et placés en fin de volume dans les années 2000. Si les regroupements thématiques – ou « trains », insérés dans chaque numéro – se décident au niveau du comité, le contenu exact est soumis à de nombreux aléas sur lesquels la revue n’a pas toujours prise. Ces textes ne sont, pour le moment, pas traduits dans la version anglaise de la revue. En tout état de cause, ils relèvent d’un espace éditorial différent de celui des articles, ce qui justifie de ne pas les inclure dans l’enquête statistique – même s’ils représentent près de 30 % des pages publiées par la revue et sa partie la plus téléchargée sur internet [5]. L’étude de ces « trains », en tenant compte du processus éditorial spécifique qui les régit, couplée à une analyse prosopographique de leurs auteurs, reste un chantier à mener.

6En partant des articles et des notes critiques, nous souhaitions mesurer l’écart entre la revue réelle et son programme explicite : celui du « tournant critique ». D’autres programmes ou propositions pour l’histoire, sous-jacents ou implicites, ont-ils émergé du flux des articles publiés ? Si nous nous référons à la première partie de ce numéro, la réponse est sans ambiguïté : tout ce qui s’est fait de nouveau ou de différent aux Annales depuis les années 1990 l’a été en dehors du programme formulé par le « tournant critique ». L’objectif ici n’est pas tant de signifier que les programmes ne servent à rien (ils permettent au moins de clarifier ce que l’on voudrait faire) que d’attirer l’attention sur la capacité des Annales à accueillir de nouvelles expérimentations et à sortir des sentiers battus – autrement dit : sur leur caractère vivant. L’important, pour paraphraser Jean-Paul Sartre, n’est pas ce que l’on fait des Annales, mais ce que les Annales font de ce qu’on veut faire d’elles.

7Comment rendre compte, en effet, de ce qui a été publié en échappant à l’évaluation complaisante ou aux pièges d’une interprétation rétrospective gommant les aspérités d’autant plus facilement qu’elle les ignore ? Dans ce contexte, partir de la recension des articles publiés, rassemblés au sein d’une base de données consultable sur le site des Annales HSS, est apparu comme une opération d’intelligibilité intéressante à mettre en œuvre, faisant entendre un son neuf dans le concert d’approches plus théoriques développées dans ce numéro en vue de comprendre ce que sont les Annales aujourd’hui. Sans être dupe de la fausse objectivité qu’induit le recours aux chiffres, l’analyse quantitative de la production éditoriale permet de mettre en lumière ce qui a été fait, afin de mieux prendre conscience de ce qui reste à faire. Et de mesurer ce qui aurait pu être fait.

Question de méthode

8La base de données ici réalisée rassemble les 1 182 articles publiés par les Annales depuis 1990, à l’exclusion des comptes rendus, donc, mais en incluant les éditoriaux, les notes critiques et les introductions de dossier. Dans la plupart des traitements proposés dans la suite de cet article, les introductions sont retirées des comptages ; les données quantitatives ne porteront ainsi que sur les 1 100 articles et notes critiques stricto sensu. Le travail de catégorisation se fonde principalement sur les titres, les résumés disponibles et mobilise les éléments paratextuels immédiatement accessibles au lecteur. Cette approche n’est pas inédite : le comité de L’Espace géographique, à l’occasion des quarante ans de la revue, avait également choisi d’analyser les titres et les mots-clefs des articles publiés [6].

9Est également considérée l’aire géographique couverte par les articles et les notes critiques. La période historique traitée est codée selon les découpages du temps historique banalisés par les manuels scolaires et les cursus d’histoire, corrigés à la marge, dans l’idée de produire des données comparables à celles établies par Henri L. Wesseling en 1978 [7]. Les articles ont donc été ventilés entre histoire ancienne, médiévale-byzantine, moderne (xvie-xviiie siècle) – cette période incluant 1789-1815 [8] –, le xixe siècle, qui couvre la période 1815-1914, le xxe siècle, allant de 1919 à 1989, et le xxie siècle, qui s’étire de 1989 à nos jours. Nombre d’articles chevauchent plusieurs périodes ou aires géographiques. Les articles portant sur deux périodes entrent dans la catégorie « moyenne durée » ; ceux se rattachant à trois périodes ou plus sont classés en « longue durée ».

10Un dernier codage, portant sur les thématiques, les disciplines et sous-disciplines a été effectué, ici encore en prenant en considération le fait qu’un même article peut concerner plusieurs domaines. Ces différents découpages chronologiques, géographiques, thématiques et disciplinaires reprennent largement des distinctions françaises. Leur caractère euro-centrique trouve ses limites quand il s’agit de répertorier des articles portant sur d’autres aires géographiques imperméables à une chronologie européenne ou à une vision occidentale du temps.

11Le codage a été expérimental. Certaines catégories a priori utiles se sont révélées, à l’usage, peu significatives, alors que d’autres se sont avérées plus pertinentes qu’attendu. La mise en chiffres, donc en récit, de l’histoire aux Annales s’est faite en adoptant des choix, partiaux et partiels, au fur et à mesure de la progression de l’étude. En répartissant les articles entre des catégories thématiques « traditionnelles » (histoire de l’économie, histoire du social, histoire de la culture, histoire des sciences et des techniques, histoire du politique et du droit et histoire du religieux, pour l’essentiel), nous avons adopté une classification orthogonale à une « histoire-problème » afin de tester par la négative la résistance de cette catégorie promue par les Annales. Si la production de la revue pouvait être, sans difficulté, répartie entre ou logée dans les catégories de l’histoire positiviste, cela poserait de sérieuses questions auxquelles le « tournant critique » devrait être confronté. Il en va de même pour la définition de thèmes marginaux d’un point de vue quantitatif (histoire militaire, histoire urbaine, histoire du genre, histoire nationale, histoire des arts) : ces angles apparemment morts (ou moins vivants) de la production des Annales devaient permettre d’interpréter autrement le type d’histoire que la revue défend et publie.

12L’association de catégories plus « disciplinaires » permet de réfléchir à la manière dont les Annales construisent l’échange avec ces voisines que sont l’anthropologie, l’économie, la géographie et la sociologie. Enfin, les articles traitant de questions épistémologiques et historiographiques ont été rassemblés sous une même catégorie. Cette assimilation, bien que contestable, a le mérite de faire surgir la part d’articles explicitement réflexifs dans la pratique de l’histoire. Combinées, ces différentes catégories font ressortir certaines dynamiques à l’œuvre dans la revue.

13Malgré un travail collectif au cours duquel nous nous sommes efforcés de clarifier les préconceptions et de maintenir à distance, consciente et critique, les imperfections – notamment du codage et des catégories (trop floues, trop larges, trop…) –, ce que la méthodologie suivie comporte d’arbitraire et de réducteur saute aux yeux. Reste que les résultats obtenus ont le mérite d’exister, faisant apparaître des évolutions, suscitant des interrogations ou, au contraire, confirmant des résultats attendus en ce qui concerne l’histoire publiée par les Annales depuis 1990.

14Enfin, plusieurs pistes, qui ne sont ici qu’esquissées, gagneraient à être explorées pour mieux cerner la dimension éditoriale de l’histoire aux Annales. Ainsi, le profil des auteurs peut-il orienter le type d’histoire publiée, qu’il s’agisse des thématiques ou de la méthodologie adoptée. Symétriquement, la composition du comité n’est pas neutre [9]. La sociologie des acteurs (auteurs et membres du comité) est ici éclairée de façon ponctuelle à partir d’une base de données des affiliations institutionnelles des auteurs des Annales. Reste que ces aspects essentiels mériteraient d’être davantage creusés. Nous ne l’avons pas fait – mais sommes-nous les mieux placés pour cela ?

Le temps aux Annales

15Répartir les articles entre les différentes périodes est, sans nul doute, la manière la plus simple de faire surgir la conception du temps historique propre aux Annales. C’est aussi une façon de revisiter certaines polémiques ou débats anciens concernant notamment la place du contemporain dans la revue [10].

16Contrairement à une idée reçue et entretenue, l’époque contemporaine (1815 à nos jours) prédomine dans les articles publiés aux Annales[11] : entre 1990 et 2018, 49 % des pages d’articles traitent de l’époque contemporaine, quand l’époque moderne représente 37 %, le Moyen Âge 17 % et l’Antiquité 10 %. Le contemporain dépasse même les 80 % en 2006 et en 2008 – même si un repli plus récent est à noter [12]. Amorcée dans les années 1980, ce déplacement vers le contemporain s’institutionnalise avec le « tournant critique », l’époque contemporaine passant devant l’époque moderne dans les sommaires des Annales au début des années 1990. Ce mouvement s’explique, en partie, par l’évolution même de la discipline historique : en termes numériques, les historiens contemporanéistes sont bien plus nombreux que les autres, ce qui entraîne de facto une primauté dans les soumissions d’articles. Reste que la poussée et l’installation de la période contemporaine aux sommaires des Annales marquent une nette rupture dans l’histoire de la revue.

Figure 1 - Les périodes historiques institutionnelles aux Annales

Figure 1 - Les périodes historiques institutionnelles aux Annales

Note : Le graphique présente une moyenne mobile sur cinq ans, c’est-à-dire, pour chaque année, une moyenne prenant en compte les cinq années précédentes pour son calcul. Il s’agit de la moyenne annuelle.
Source : Base des articles des Annales (1990-2018), à disposition sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture ».

17Le glissement vers l’histoire contemporaine sur les trente dernières années s’est opéré sous la forme d’un grand écart, non d’un reniement : les périodes les plus anciennes sont toujours très présentes dans la revue d’histoire généraliste que sont les Annales, mais elles sont également investies d’une autre fonction que celle de la transmission d’un savoir érudit et spécialisé. Elles servent ainsi d’ancrage au développement des recherches sur le présent tel que le conçoit la revue. Si nous scindons l’histoire contemporaine aux Annales en deux composantes – la période 1815-1945 et celle post-1945, donc hors Seconde Guerre mondiale –, nous constatons des évolutions divergentes : l’histoire contemporaine post-1945 tend à gagner du terrain. Alors qu’elle ne représentait que 20 % des pages publiées entre 1998 et 2003, elle passe à 35 % entre 2006 et 2011, avant de redescendre à 22 % dans les cinq dernières années. Cette baisse est compensée, pour la période dans son ensemble, par une augmentation significative des publications d’histoire contemporaine pré-1945. Jusqu’à une époque très récente, le dynamisme du contemporain dans la revue était portée par l’après-1945 – la Seconde Guerre mondiale, à l’exception du numéro notoire de 1993, restant un sujet peu exploré par les Annales, ce qui les distingue fortement des revues d’histoire contemporaine proprement dites.

18Le contemporain aux Annales est moins une période chronologique spécifique qu’un jeu de temps [13]. Lors du « tournant critique », le contemporain est devenu l’espace privilégié pour réaffirmer des alliances disciplinaires (avec la sociologie, l’économie et l’anthropologie en particulier) : ainsi du dossier sur « La condition fœtale », en 2006, ou encore de celui sur « Écriture de soi et écrits publics », en 2009, composé d’articles d’anthropologie sur l’Afrique contemporaine. À cet égard, le cas le plus emblématique est sans doute le numéro de 2015, autour du Capital au xxiesiècle de Thomas Piketty [14]. Ce dossier, rassemblé « à chaud », dans la foulée de la publication de l’ouvrage, mêle terrains médiéval, moderne et contemporain, articulant une longue durée qui permet d’éclairer la problématique des inégalités de revenu et de caractériser plus fortement, par comparaison inter-périodes, la spécificité de notre « aujourd’hui ». De façon plus éparse, nous retrouvons également, dans les titres des articles, des échos aux débats de société et aux événements qui rythment notre présent : le 11-Septembre, le sida et son traitement par AZT, la crise des banlieues ou encore l’écologie politique. Les questions de société, traitées sous l’angle des sciences sociales, sont ainsi constitutives des Annales de ces quinze dernières années, mais d’une façon qui leur est propre : dans un dialogue avec les disciplines non historiques et en s’inscrivant dans un horizon spécifique, celui de la longue durée du présent.

Figure 2 - Les périodes historiques redéfinies aux Annales

Figure 2 - Les périodes historiques redéfinies aux Annales

Note : Le graphique présente une moyenne mobile sur cinq ans, c’est-à-dire, pour chaque année, une moyenne prenant en compte les cinq années précédentes pour son calcul. Il s’agit de la moyenne annuelle.
Source : Base des articles des Annales (1990-2018), à disposition sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture ».

19Les Annales ne sont pas devenues une revue d’histoire contemporaine au sens pris par ce terme dans les années 1980 ; elles sont restées la revue du présent inscrit dans le temps long, du présent à partir duquel l’historien formule ses interrogations tout en s’efforçant de reconstituer le contexte du passé qui l’intéresse. D’où l’importance de la place conservée par les autres périodes et une prise en charge de cette durée singulière qu’est le contemporain version Annales par une pratique : celle de la publication d’articles, certes, mais aussi de l’organisation des sommaires de la revue ou des dossiers thématiques qui panachent les temps de l’histoire. De ce point de vue, les sommaires de la revue doivent être lus, tout autant que les éditoriaux et les introductions de dossier, comme une déclaration d’intention : chaque période référencée est appelée à colorer, de façon plus ou moins appuyée, l’idée que les Annales se font du présent.

20Si, avec 43 % des pages des articles publiés entre 2007 et 2011, l’histoire moderne demeure le socle historique de la vision du présent propre à la revue, les époques plus reculées restent très présentes. Longtemps aux Annales, le contemporain a pu être lu au prisme du Moyen Âge. C’est moins le cas aujourd’hui où l’histoire médiévale est passée de 22 % du nombre de pages des articles publiés, entre 1994 et 1998, à 10 %, entre 2014 et 2018. Quant à l’histoire ancienne, elle occupe une place variable : 9 % des pages publiées entre 1992 et 1996, 14 % entre 2001 et 2005, pour se maintenir à 13 % des pages publiées entre 2014 et 2018. Indépendamment des chiffres cependant, le maintien, dans une perspective généraliste, de l’histoire ancienne ou de l’histoire médiévale aux sommaires de la revue caractérise l’histoire du présent telle que les Annales la conçoivent.

21Ces jeux de temps affleurent aussi dans la présence significative des articles spécifiquement consacrés à la longue durée ou qui enjambent les bornes chronologiques consacrées [15]. La longue durée telle que précédemment définie (un article couvrant trois périodes chronologiques institutionnelles) représente 6 % du volume de pages d’articles publiés ; la moyenne durée (un article s’étendant sur deux périodes) 9 %. C’est peu, si nous nous en tenons à une approche strictement quantitative, mais cela n’en demeure pas moins remarquable dans le paysage des revues d’histoire généralistes en France.

22En l’absence de données comparatives, il est difficile de mesurer l’influence de la longue durée dans l’écriture de l’histoire en France et ailleurs. La présence d’articles portant sur des aires géographiques extra-européennes explique le franchissement de découpages périodiques très euro-centrés. Règne aussi au sein de la revue une grande liberté encourageant à s’affranchir de certaines frontières, même dans le cadre d’une recherche sur des objets européens. Plus largement, nous ne surprendrons guère en affirmant que la longue durée reste un héritage vivace aux Annales, et qu’elle offre un espace transgressif institutionnalisé, en quelque sorte, permettant à l’historien de braconner sur les terres du géographe ou de l’anthropologue, quand elle ne lui octroie pas la liberté de traiter un sujet situé hors des divisions temporelles canoniques – en tout cas, selon les standards français [16]. La référence braudélienne tend cependant à perdre de son importance dans la pratique même de la longue durée au profit d’autres types d’analyses – dans les développements récents de l’histoire environnementale, en particulier [17].

Figure 3 - La longue durée et la moyenne durée aux Annales

Figure 3 - La longue durée et la moyenne durée aux Annales

Note : Ce graphique présente le pourcentage de pages publiées relevant de la longue et de la moyenne durée sur l’ensemble des pages des articles publiés dans les Annales chaque année. Les articles portant sur deux périodes entrent dans la catégorie « moyenne durée » ; ceux se rattachant à trois périodes institutionnelles ou plus sont classés en « longue durée ».
Source : Base des articles des Annales (1990-2018), à disposition sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture ».

Figure 3 bis - Longue et moyenne durées cumulées aux Annales

Figure 3 bis - Longue et moyenne durées cumulées aux Annales

Note : Ce graphique présente le pourcentage de pages publiées relevant de la longue et de la moyenne durée sur l’ensemble des pages des articles publiés dans les Annales chaque année, ainsi que la moyenne mobile sur cinq ans de ce pourcentage. Les articles portant sur deux périodes entrent dans la catégorie « moyenne durée » ; ceux se rattachant à trois périodes institutionnelles ou plus sont classés en « longue durée ». La moyenne mobile sur cinq ans est pour chaque année, une moyenne prenant en compte les cinq années précédentes pour son calcul ; il s’agit de la moyenne annuelle.
Source : Base des articles des Annales (1990-2018), à disposition sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture ».

L’interdisciplinarité aux Annales

23D’un point de vue purement quantitatif, la place des disciplines non historiques, qui inscrivent la longue durée dans leur propre séquence temporelle, est certes minoritaire, mais loin d’être négligeable : entre 1990 et 2018, 77 articles d’anthropologie, 84 de sociologie, 19 d’économie et 18 de géographie, soit un peu moins de 20 % d’articles d’autres disciplines ou d’études, engagent un dialogue explicite avec une discipline non historique. Les Annales comme revue d’histoire offrent donc une place conséquente aux réflexions issues des autres sciences humaines et sociales. Cette situation doit être soulignée dans le paysage éditorial actuel.

24En effet, des travaux récents ont mis en évidence un processus de « redisciplinarisation » en sciences sociales. L’étude réalisée par Genèses à partir des intersections des auteurs de différentes revues de sciences humaines et sociales – soit les auteurs communs à plusieurs revues – montre que les liens étaient plus denses dans les années 1990, tandis que les années 2000 et le début des années 2010 attestent un accroissement de – ou un retour à – la différenciation disciplinaire : les sociologues publient dans les revues de sociologie, les historiens dans celles d’histoire. Les pratiques d’écriture restent également sous l’emprise des frontières disciplinaires : les sociologues citent des travaux de sociologie, les historiens des travaux d’histoire, même si cette dernière discipline conserve une relative porosité aux autres sciences sociales. À partir d’une étude bibliométrique réalisée sur les années 2003 et 2004, Johan Heilbron et Anaïs Bokobza mettent ainsi en évidence que les articles d’histoire se trouvent dans un entre-deux, ni complètement fermés ni largement ouverts à d’autres disciplines [18].

25Les Annales n’échappent pas à ce « retour » disciplinaire [19]. Les articles publiés dans la revue citent dans 33 % des cas des références extra-disciplinaires, contre 35 % dans les autres revues d’histoire étudiées par J. Heilbron et A. Bokobza [20]. Si les citations des auteurs dans les Annales sont donc quantitativement plutôt historiennes [21], quel sens revêtent les citations issues d’autres sciences sociales [22] ? Une étude plus poussée reste à faire sur la manière dont ces références sont concrètement mobilisées [23], mais nous pouvons avoir un aperçu de l’art de la citation historienne aux Annales en prenant comme exemple le dialogue noué avec l’économie. Les Annales publient des articles d’économistes de formation, à l’image de T. Piketty, d’Éric Monnet ou de Robert Boyer [24] : il s’agit peut-être, à l’heure actuelle, de la seule revue d’histoire dans laquelle cela est possible, sans doute en raison de liens, jamais démentis, établis depuis les origines de la revue entre les disciplines. Cependant, quand les Annales s’intéressent à l’économie, il s’agit le plus souvent d’historiens et d’historiennes qui reprennent des concepts économiques permettant de contextualiser l’économie dans une situation historique donnée ou qui adaptent leurs emprunts aux contraintes de l’enquête historique dans la durée, plutôt qu’ils ou elles ne réfléchissent à l’économie dans son cadre épistémologique [25].

26Le cadre institutionnel, dans lequel ce dialogue s’inscrit, a également son importance. Il s’agit là d’un aspect rarement évoqué de l’interdisciplinarité en acte : n’est pas chercheur interdisciplinaire qui veut. Le profil des auteurs publiés aux Annales atteste un fort ancrage dans deux institutions principales : l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui concentrent respectivement 19 % et 17 % des auteurs publiés entre 1989 et 2019, cette proportion atteignant 29 % et 26 % si nous ne tenons compte que des auteurs travaillant en France (64 % des auteurs publiés [26]). Si ce constat fait apparaître la proximité institutionnelle des Annales avec l’EHESS, il informe en filigrane sur une autre réalité. En effet, à l’EHESS comme au CNRS, l’interdisciplinarité est largement favorisée, non seulement par une réelle politique scientifique de ces institutions en la matière, mais aussi par le temps libéré pour la recherche dont bénéficient leurs membres. Sortir des frontières académiques ou chronologiques traditionnelles est un risque et nécessite souvent un investissement en temps conséquent. Au-delà même du type d’histoire publié et des liens multiples entre la revue et l’institution qui l’abrite, la question du temps consacré à la recherche contribue à expliquer la surreprésentation des auteurs venant de l’EHESS et du CNRS par rapport aux enseignants-chercheurs de l’université – une comparaison avec les autres revues du domaine serait intéressante pour vérifier si le statut des Annales agit ici comme un révélateur de tendances existant par ailleurs, ce qui est probable. Nous constatons néanmoins des évolutions significatives au cours des trente dernières années : alors que les auteurs issus du CNRS, de l’EHESS, des écoles normales supérieures (ENS), du Collège de France et de l’École pratique des hautes études (EPHE) représentaient 60 % des auteurs français (36 % de l’ensemble des auteurs) entre 1989 et 1999, cette part s’élève à 74 % entre 1999 et 2009 (48 % de l’ensemble des auteurs) pour redescendre à 56 % entre 2009 et 2019 (39 % de l’ensemble des auteurs). Cette baisse va de pair avec une augmentation relative de la proportion d’auteurs travaillant dans des institutions françaises publiés (69 % entre 2009 et 2019 contre 64 % sur l’ensemble de la période), ce qui se traduit non pas par une augmentation des auteurs issus des institutions déjà citées, mais plutôt par une diversification des profils universitaires, et même non universitaires, avec la publication de plusieurs articles d’enseignants du secondaire, notamment dans le dossier « Recherche historique et enseignement secondaire » en 2015 [27].

27Quelle que soit la position institutionnelle, l’histoire ne dialogue jamais complètement à parts égales avec les autres sciences sociales. Elle opère une retraduction dans ses catégories avant de nouer l’échange, dont la position seconde ne signifie pas qu’il est secondaire. Le dialogue interdisciplinaire est devenu une pratique incontournable du métier d’historien, pratique dont il n’est peut-être pas abusif de dire que les Annales ont été, depuis l’origine, le fer de lance, mais dont la revue doit aujourd’hui constater la perte du monopole. Il y a là une forme de victoire théorique – collective et en collaboration avec d’autres acteurs du monde éditorial et scientifique – dans la banalisation de la démarche des Annales, dans la naturalisation de l’histoire-problème, dans la construction multidisciplinaire du fait historique, qui demeure au cœur de la pratique intellectuelle et éditoriale des Annales.

28En parallèle d’articles mettant en œuvre une méthodologie interdisciplinaire, la revue a toujours revendiqué penser l’histoire et la démarche historique. Les articles d’épistémologie ou d’historiographie, ceux qui proposent explicitement une réflexion sur la production historienne dans le champ des sciences humaines, passent de 20 % en moyenne dans les années 2000 à 35 % du volume d’articles publiés en 2015, à 37 % en 2016 et à 36 % en 2017. L’augmentation est donc nette au cours des dernières années. À cette dimension réflexive, les Annales ont accordé un genre – les notes critiques – et proposé une pratique – les dossiers commandés ou coordonnés par des membres du comité autour d’un questionnement explicité dans la « présentation » qui les introduit [28]. Il s’agit d’une véritable singularité de la revue et de la trace la plus sûre du caractère vivant (ou toujours actif) de son héritage ; si les comptes rendus sont devenus principalement informatifs [29], les notes critiques, plus longues, plus théoriques, plus polémiques aussi, sont en revanche le lieu de véritables prises de position.

Figure 4 - Épistémologie et historiographie aux Annales

Figure 4 - Épistémologie et historiographie aux Annales

Note : Ce graphique présente le pourcentage de pages publiées relevant de l’épistémologie et de l’historiographie sur l’ensemble des pages des articles publiés dans les Annales chaque année, ainsi que la moyenne mobile sur cinq ans de ce pourcentage (soit, pour chaque année, une moyenne prenant en compte les cinq années précédentes pour son calcul ; il s’agit de la moyenne annuelle).
Source : Base des articles des Annales (1990-2018), à disposition sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture ».

29En raison de la part considérable des articles concernant l’anthropologie et la sociologie, qui revendiquent clairement une dimension réflexive et épistémologique, ces deux disciplines sont, au sein du corpus d’articles, les deux grandes animatrices du dialogue interdisciplinaire aux Annales : 37 % pour la sociologie, 23 % pour l’anthropologie. Cela n’a rien d’étonnant quand on sait l’importance accordée à Émile Durkheim et à François Simiand, auteur du seul article que les Annales aient (quasi intégralement) republié en 1960, réancrant leur projet épistémologique dans la dispute avec la sociologie, relativisant aussi la déviation un peu trop « littéraire » impulsée dans les années 1940. La période braudélienne, puis le début des années 1970 ont servi de matrice à la réception de l’anthropologie – à travers les travaux de Georges Duby, de Jacques Le Goff et de Jean-Pierre Vernant, par exemple. La sociologie bourdieusienne est demeurée une référence importante dans les années 1970-1980, avant que la revue ne fasse plutôt le choix de la sociologie pragmatique portée par Luc Boltanski et Laurent Thévenot, mais sans exclure d’autres approches. Par ailleurs, l’anthropologie et l’histoire, passé l’affrontement entre Fernand Braudel et Claude Lévi-Strauss, traversent un moment de coopération plus apaisée, voire de relative synthèse. L’anthropologie publiée aux Annales contribue ainsi au renouvellement de l’histoire du politique et du droit (les articles croisant les deux disciplines représentent 23 % des articles d’anthropologie et 5 % des articles d’histoire du politique et du droit). Quant à l’histoire du religieux, elle est présente dans 14 % des articles d’anthropologie, tandis que 7 % des articles d’anthropologie s’intéressent à l’histoire du religieux.

30Les Annales ne revendiquent aucune hégémonie quant à la réflexion épistémologique ou au croisement entre disciplines et sous-disciplines. Peut-être simplement la revue rend-elle ces opérations plus explicites que cela ne se fait en général dans le champ de la recherche historique. La comparaison avec les données internes d’autres revues d’histoire serait intéressante. Dans un autre sous-champ des revues de sciences sociales, l’analyse lexicale que le comité d’Espace géographique a menée en 2012 sur les titres et les mots-clefs des articles publiés depuis la création de la revue en 1972 soulignait l’importance conjoncturelle des prises de position épistémologiques, d’autant plus affirmées que les débats étaient rudes [30]. Les Annales, elles, se distinguent par une confrontation constante avec d’autres historiographies et sciences sociales, cherchant à poursuivre un dialogue interdisciplinaire dont les cadres instables semblent toujours à redéfinir. Ce dialogue reste prégnant dans l’identité des Annales tout en faisant sans cesse l’objet d’un effort conscient et collectif pour en reformuler les bases. Si les Annales ne sont pas, et n’ont jamais été, une revue généraliste de sciences sociales, ces dernières servent largement à renouveler le répertoire argumentatif et conceptuel des travaux historiques menés dans le cadre de la revue.

Intérêts et désintérêts des Annales

31Ce n’est pas une tâche aisée, si l’on utilise des méthodes quantitatives, de répertorier, de façon nécessairement simplifiée, voire simpliste, les thèmes qui ont retenu l’attention des Annales sur une trentaine d’années. Surtout, il est difficile de rendre justice à la complexité épistémologique de chaque article, dans la mesure où certains travaux d’histoire économique, par exemple, comportent bien souvent une part d’histoire sociale ou politique qui n’est pas toujours perceptible dans le titre ou le résumé. Les analyses qui suivent font le choix d’éclairages ponctuels, qui, en les croisant, rendent apparents des liens entre des catégories qui sont tout sauf étanches.

32Le travail de caractérisation opéré ici permet d’identifier des objets d’étude présents chaque année, ou presque, dans des proportions significatives. Cinq d’entre eux ont retenu notre attention. Si la liste de ces catégories est quelque peu attendue – histoire du social, histoire de l’économie, histoire de la culture, histoire du politique et du droit, histoire du religieux –, encore faut-il expliciter ce que recouvrent ces catégories, et tenter d’interpréter le type d’histoire qui se trouve derrière l’objet.

33L’histoire de l’économie et l’histoire du social apparaissent, de façon a priori surprenante, très en retrait sur la période (respectivement 16 % et 18 % des pages d’articles publiés). Dans une revue initialement intitulée Annales d’histoire économique et sociale, cette situation est, pour le moins, paradoxale. Cependant, rappelons que ces catégories ont été avant tout construites à partir des sujets énoncés, et non de la façon de les analyser. L’histoire sociale aux Annales est une méthode qui s’applique à des objets divers, notamment politiques ou religieux. Les articles traitant explicitement de l’organisation économique et sociale représentent une part relativement faible, sans pour autant que l’histoire économique en tant que méthode soit délaissée par la revue [31]. L’éditorial du numéro de 2013 consacré aux statuts sociaux continue ainsi à exploiter le flou heuristique qui entoure, depuis l’origine, la notion de « social » aux Annales : « La notion de statut [social] permet en effet de réunir la dimension juridique et les pratiques sociales, mais aussi le point de vue de l’historien et celui de l’acteur [32]. » M. Bloch et L. Febvre auraient pu signer ces lignes où il revient à l’histoire d’aimanter et d’agréger des façons de penser des sujets, sans pour autant imposer d’autre méthode que l’horizon, jamais atteint, d’une « histoire totale ».

Figure 5 - De quoi traite l’histoire publiée aux Annales ?

Figure 5 - De quoi traite l’histoire publiée aux Annales ?

Note : Ce graphique présente le pourcentage de pages publiées traitant de différentes thématiques sur l’ensemble des pages des articles publiés dans les Annales, par tranche de cinq ans et sur l’ensemble de la période 1990-2018.
Source : Base des articles des Annales (1990-2018), à disposition sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture ».

34L’histoire économique et sociale imprègne largement la manière dont les Annales traitent de l’objet politique et juridique. Avec 37 % des pages d’articles publiés depuis 1990, l’histoire du politique et du droit représente parfois plus de 60 % du volume d’articles sur une année, avec une tendance à l’augmentation, particulièrement entre le milieu des années 1995 et le début des années 2010. On sait à quel point l’histoire politique, l’« histoire-traité », surgeon de l’histoire diplomatique, et l’« histoire-bataille », cousine de l’histoire événementielle, incarnent a priori le type même d’histoire contre laquelle les Annales ont ferraillé depuis l’origine. De fait, la catégorie « histoire politique », telle qu’elle est découpée ici, est très éloignée de ces devancières.

35L’histoire du politique aux Annales est une histoire de la cité, une histoire des pouvoirs, qui a partie liée avec l’histoire économique et sociale, mais aussi, bien souvent, avec le droit et qui s’ancre dans l’étude juridique des rapports sociaux. Il n’y a donc pas une forme « retour au politique », mais la promotion d’une histoire du droit entendue au sens large, liée à une histoire sociale et à une sociologie des acteurs et de leurs ressources [33], alors même que les échanges avec le droit, pour être réels (les collaborations de Yan Thomas, de Simona Cerutti ou d’Alain Boureau l’attestent), restent à la périphérie d’une discipline dont les catégories d’entendement demeurent étrangères à l’historien [34]. Les Annales empruntent au droit un questionnaire qui enrichit la perception historienne de l’État et de ses institutions – des concepts de citoyenneté, d’esclavage et des statuts juridiques de l’Antiquité à nos jours en passant par la Révolution française, en situation coloniale ou impériale [35]. Forte de ces emprunts, la revue bâtit une histoire politique singulière, une histoire du pouvoir qui, sur le plan méthodologique, intègre des questionnements sociaux, économiques, juridiques actuels tout en s’attachant à des objets politiques au sens quasi étymologique du terme.

36Parmi les objets inattendus, se signale l’histoire du religieux (avec 14 % des pages d’articles publiés depuis 1990), dont la part quantitative relativement faible ne doit pas masquer sa récurrence dans les sommaires de la revue : les Annales publient tous les ans, 2016 excepté, des articles sur l’histoire du religieux. Loin d’être une survivance, l’histoire du religieux offre un angle d’attaque original (10 % des articles d’histoire du religieux sont également des articles d’épistémologie ou d’historiographie) pour aborder la question des minorités et l’histoire institutionnelle sur la longue durée associée à des objets culturels ou politiques (plus d’un cinquième des articles d’histoire du religieux dans chacun des cas). C’est une « histoire-socle » (Alphonse Dupront), un banc d’essai de concepts qui rajeunit, en la réactualisant, cette discipline canonique, véritable ancrage de l’histoire du politique aux Annales. Cette approche n’est pas exempte de biais. Les trois monothéismes se taillent ainsi la part du lion, avec une présence résiduelle des religions antiques (sur les 19 articles portant sur l’Antiquité et l’histoire du religieux, seuls 5 ne concernent ni le christianisme, ni le judaïsme, ni l’islam). En revanche, notons l’absence quasi totale d’articles sur d’autres religions dans d’autres périodes ; pas sur d’autres espaces, cependant : en effet, près d’un quart des articles d’histoire du religieux sont liés à des espaces extra-européens [36]. Enfin, les pages d’articles traitant « du religieux » concernent, pour plus d’un tiers, l’histoire médiévale et, dans un peu moins d’un tiers des cas, l’histoire moderne. En ce sens, le religieux aux Annales est bien une entrée possible pour aborder l’organisation sociale et politique des sociétés occidentales pré-modernes. Les articles publiés témoignent aussi du dynamisme des études concernant les communautés juives, mais également le monde islamique, tel le dossier de 2018 « Écrire l’histoire de l’islam moderne et contemporain » [37].

37Nous devons faire ici avec la limite inhérente à la typologisation d’articles : essayer de les rentrer dans des cases pour les penser/classer [38] tend à ignorer une part importante de leurs réflexions, notamment la façon dont ces articles assument, critiquent, se distinguent des catégories dans lesquelles le codage les enferme. Cette opération de catégorisation en grandes thématiques est toutefois valable, bon an mal an, et bon gré mal gré, sous toutes les directions de la revue et sur l’ensemble de la période considérée. The Journal of Interdisciplinary History arrive à la même conclusion concernant les articles qu’il a publiés durant ses cinquante années d’existence [39]. Si ces ensembles larges sont suffisamment souples pour dessiner une certaine stabilité dans les intérêts spécifiques de la revue au fil du temps, ils restent cependant insuffisamment précis pour nous permettre de discerner de véritables évolutions méthodologiques ou épistémologiques.

38Pour appréhender de façon fine les évolutions et les infléchissements des centres d’intérêt de la revue, ce n’est peut-être pas tant à ce que publient les Annales qu’il convient de s’intéresser qu’à ce qu’elles choisissent de ne pas (ou peu) publier : « L’orientation des Annales se laisse peut-être mieux déchiffrer dans ce qu’elle refuse que dans ce qu’elle propose [40] », écrit ainsi André Burguière, membre du comité de la revue. L’enquête statistique ici menée valide cette réflexion. Un exemple extrême : un seul article d’histoire militaire dans la revue, relisant la bataille de Waterloo à la lumière de la théorie des jeux [41]. Cette quasi absence atteste un long désintérêt et un stigmate tenace, l’histoire militaire étant toujours la vivace héritière de l’« histoire historisante ». En dépit du renouveau des études militaires dans une perspective d’histoire globale et des réflexions sur l’évolution des caractères de la guerre moderne [42], et malgré l’intérêt réel porté par les Annales à l’anthropologie de la guerre [43], l’omerta des débuts de la revue n’a jamais été levée.

39Par ailleurs, quelques éclairages plus spécifiques permettent d’observer des formes d’histoire et des objets qui s’implantent peu ou difficilement aux Annales, malgré les injonctions répétées des éditoriaux à remodeler les intérêts légitimes de la discipline historique et, conséquemment, ceux de la revue. L’objet « art » offre un exemple intéressant d’une forme d’histoire et de dialogue qui ne prend pas aux Annales. La présence de l’histoire de l’art se limite à des dossiers qui explorent certaines questions spécifiques : ainsi, en 1993, du dossier sociologique sur les « Mondes de l’art » ou, en 1996, de celui sur les « Images médiévales » [44]. La présence d’articles liés aux arts et aux artistes semble davantage reposer sur les recherches de certains membres du comité ou sur la personnalité de certains chercheurs – concrètement, peu ou pas d’historiens de l’art, plutôt des sociologues ou des historiens, tels Raymonde Moulin, Jérôme Baschet ou, plus récemment, Patrick Boucheron [45]. C’est par l’entremise de la sociologie et de l’anthropologie historique que l’art est devenu objet d’étude aux Annales. Et même sous cette modalité, la présence de l’histoire de l’art demeure sporadique et se traduit par de nombreuses années d’absence au sommaire de la revue. L’histoire de l’art aux Annales est, comme aurait dit F. Braudel, « un oued ayant dépéri dans le désert au lieu d’aller vers la mer [46] », alors même qu’elle faisait partie des disciplines visées par l’éditorial de 1989 avec lesquelles il eût été bon de « tenter l’expérience » [47]. Cela s’explique peut-être, au moins en partie, par un déficit de réflexion sur le statut du visuel – même si des articles récents rompent avec cette atonie théorique [48]. Les Annales publient sans images et, quand images il y a, ces dernières ont trop souvent un statut purement illustratif – hormis le numéro de 1996 sur l’image médiévale, qui ferait presque figure d’hapax. Ces réticences à intégrer pleinement l’histoire de l’art, et plus généralement le visuel comme langage et matrice d’une autre histoire du contemporain, renvoient peut-être au problème plus structurel de l’histoire de l’art comme discipline, à ses fragilités institutionnelles, au déficit de visibilité des revues spécialisées, par opposition aux revues de sociologie ou d’économie par exemple, plus familières à l’historien [49]. Toujours est-il que l’art aux Annales est un objet évanescent, et que son absence fait de la revue le lieu d’un rendez-vous manqué avec la discipline.

Figure 6 - Histoire et arts

Figure 6 - Histoire et arts

Note : Ce graphique présente le pourcentage de pages publiées traitant d’une thématique artistique sur l’ensemble des pages des articles publiés dans les Annales par tranche de deux ans.
Source : Base des articles des Annales (1990-2018), à disposition sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture ».

40Il est d’autres domaines historiques envers lesquels les Annales manifestent une vraie réticence. Parmi eux, l’histoire du genre. Les quelques dossiers consacrés au sujet ne doivent pas faire illusion : « Travail masculin, travail féminin » et « La femme japonaise », en 1999, et, surtout, « Régimes de genre », en 2012 [50]. La parution de ce dernier dossier est d’ailleurs tardive. Elle se produit à un moment où il apparaît étrange que la revue n’ait pas accordé plus de place à cette approche, pourtant bien installée dans le champ historiographique français. Dans le cadre du premier débat des Annales organisés à la Bibliothèque nationale de France, le 26 octobre 2012, afin de renouer avec un idéal de recherche citoyen, indissociable de la présence de l’histoire dans la cité [51], plusieurs participants de la table ronde ont souligné qu’il valait mieux tard que jamais [52]. La volonté de prendre en considération ce domaine a toutefois fait long feu. Aucun article en histoire du genre n’a été publié dans la revue entre 2014 et 2017 – ce qui s’explique au moins autant par des raisons internes qu’externes (l’absence d’acceptation et le faible nombre de soumission notamment). Les articles traitant de l’histoire du genre ont ainsi tendance à être soumis à des revues spécialisées qui se sont créées dans l’espace institutionnel laissé vacant par le désintérêt de revues plus installées. En outre, la constitution du genre en un sous-champ disciplinaire s’est faite au-delà du périmètre historien, les gender studies empruntant surtout aux sciences politiques et à la sociologie [53]. Le dossier de 2012 n’a eu que peu d’effet sur cette marginalisation de l’histoire comme discipline pour penser le genre dans le champ français.

41Peut-on, pour autant, en déduire que le désintérêt pour le genre aux Annales reflète l’absence d’une position théorique sur cette question ? La résistance de la revue est bien davantage liée à un regard critique sur l’usage du genre dans le champ français, qui « sacrifi[e] une grande partie de la vivacité des questions [que le genre] adresse aux sciences sociales au profit d’effets prévisibles de dénonciation », ainsi que l’écrit Didier Lett dans son introduction au dossier de 2012 [54]. Quand les Annales traitent du genre, elles le dé-localisent, abandonnent le terrain du contemporain pour l’Antiquité et le xviie siècle. Plongé dans ces mondes, le genre dé-naturalise les rapports sociaux, trace la généalogie du « modèle des deux sexes » et réveille la capacité subversive d’une problématique qui, replacée dans une histoire longue, complexifie à nouveau l’histoire de la domination. En ce sens, le dossier « Régimes de genre » n’est pas une forme de rattrapage mais plutôt une prise de position théorique et méthodologique. Allant de pair avec la féminisation croissante du comité [55], cette posture demande toutefois, pour atteindre un régime de pleine crédibilité, de ne pas se contenter d’un numéro, mais bien d’être nourrie, poursuivie et approfondie au fil des sommaires de la revue.

42La catégorie « Histoire des sciences et des techniques » a été ici utilisée comme un mode de regroupement d’articles rendant compte des profondes reconfigurations tant en termes d’objets et de questionnaires que d’espaces et de chronologies. L’histoire s’est réapproprié les nouvelles propositions initialement portées par la sociologie. À partir de 1998, nous observons, presque tous les ans, la publication d’un article relevant de ces thématiques. L’intérêt des Annales a cependant pris des allures très diverses, ici amalgamées dans un ensemble disparate. Nous trouvons, dans les trente dernières années, des dossiers pionniers sur certains sujets : ainsi d’« Histoire et environnement », en 1993, ou d’« Histoire et sociologie des sciences », en 1995, qui, cette fois, ont eu véritablement la fonction d’introduire à l’exploration d’un sous-domaine et d’interroger ses spécialités méthodologiques ou épistémologiques. Le numéro spécial « Histoire des techniques », en 1998, est, quant à lui, marqué par une ouverture très nette à l’histoire anglophone et, plus particulièrement, aux science studies[56]. Cependant, ces publications s’enracinent dans des traditions historiographiques et épistémologiques très diverses : la question de l’anthropocène, celle des systèmes techniques, l’influence de l’anthropologie, de la sociologie ou encore de l’histoire connectée. De la volonté forte d’ancrer ces thématiques dans l’histoire de la revue dans les années 1990 ne ressort pas, toutefois, une ligne éditoriale propre aux Annales en matière d’histoire des sciences et des techniques.

Figure 7 - Histoire et genre

Figure 7 - Histoire et genre

Note : Ce graphique présente le pourcentage de pages publiées traitant du genre sur l’ensemble des pages des articles publiés dans les Annales par période de deux ans.
Source : Base des articles des Annales (1990-2018), à disposition sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture ».

Figure 8 - Histoire des sciences et des techniques

Figure 8 - Histoire des sciences et des techniques

Note : Ce graphique présente le pourcentage de pages publiées traitant des sciences et des techniques sur l’ensemble des pages des articles publiés dans les Annales par période de deux ans.
Source : Base des articles des Annales (1990-2018), à disposition sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture ».

43Enfin, parmi les dialogues ouverts par « le tournant critique », figure la question des « aires culturelles » [57]. Un tiers des articles considérés ici portent sur la France et, si nous élargissons la focale, les articles concernant l’Europe occidentale regroupent les deux tiers des publications. Si cette prégnance de l’Europe occidentale n’empêche pas près de la moitié des articles de traiter au moins en partie une autre aire géographique (45 %), seulement un quart des travaux concerne exclusivement un espace extra-européen [58]. Malgré les difficultés à catégoriser des études portant sur des périodes très diverses, ces résultats témoignent d’une réelle attention de la revue à une ouverture géographique.

44Publier des travaux d’histoire et de sciences sociales sur des aires géographiques diversifiées est une constante des Annales de ces trente dernières années [59], en ligne avec le texte programmatique du « tournant critique » qui appelait de ses vœux, mais sans le détailler, une attention particulière aux « aires culturelles les plus lointaines [60] ». Malgré des fluctuations au cours des trois dernières décennies, cet intérêt ne s’est jamais démenti. Si la proportion des articles centrés exclusivement sur la France ou l’une de ses régions a baissé après le milieu des années 1990, l’Europe occidentale reste, tout au long de la période, au cœur des Annales, d’un point de vue quantitatif – à l’exception des années 2002-2006, où la majorité des articles concernent d’autres aires géographiques, résultat d’une véritable politique volontariste de la revue prenant appui sur l’organisation de numéros thématiques régionaux. L’ouverture aux aires culturelles constitue aujourd’hui l’une des marques de fabrique des Annales. Cette politique de décentrement se manifeste également dans l’accueil fait à d’autres historiographies par le biais d’auteurs non français et, plus spécifiquement, états-uniens ou non européens, notamment dans les années 1990, où les dossiers « aires culturelles » reposaient, en grande partie, sur la publication d’auteurs étrangers [61].

45L’approche quantitative ne permet pas d’apercevoir ce que les Annales peuvent parfois insuffler de nouveauté à des approches traditionnelles (histoire du politique et du droit, histoire sociale), tout en étant parfois à contre-courant de certaines évolutions thématiques (importance de l’histoire du religieux, quasi-absence de l’histoire du genre). Or l’histoire-Annales échappe structurellement, pourrait-on dire, à toute tentative de catégorisation en ce qu’elle enchevêtre les périodes, mêle les disciplines et que le pouvoir de consécration reconnu à la revue fait que, parfois, un seul article suffit pour lancer une nouvelle question et ouvrir l’appétit de l’historien pour de nouveaux objets. Successivement « totale », « globale », « nouvelle », l’histoire-Annales pourrait aujourd’hui être définie comme l’histoire que la revue choisit de publier, en espérant donner envie à celles et ceux qui la lisent d’écrire à leur tour. Et pour se saisir de cette réalité-là, quelle mesure utiliser ?

46Dans le centième numéro des Quaderni storici, en 1999, Alberto Caracciolo écrivait :

47

Faire l’histoire d’une revue d’histoire est un exercice plein d’embûches […]. La périodicité de la parution publique, comme la fragmentation et l’alternance des signatures qui la composent, permettent de suivre de près, souvent même avant qu’on parvienne à des résultats consolidés et mûrs, tout ce qui se produit progressivement dans ce laboratoire. La « forme revue » représente donc un terrain favorable à une réflexion non isolée ni purement philologique, des vicissitudes des groupes, des écoles, des courants de pensée et de recherche[62].

Figure 9 - Distribution géographique des articles par année, 1990-2018

Figure 9 - Distribution géographique des articles par année, 1990-2018

Note : Pour des raisons de confort de lecture et liées à la publication numérique, ce graphique est également présent dans l’article « Les échelles du monde. Pluraliser, croiser, généraliser », p. 465-492.
Source : Base des articles des Annales (1990-2018), à disposition sur le site de la revue (annales.ehess.fr), rubrique « Compléments de lecture ».

48Le tableau quantitatif sommaire et incomplet présenté ici sert de contrepoint aux réflexions critiques et épistémologiques sur ce que sont les Annales aujourd’hui, au regard de ce qu’elles étaient hier. L’approche quantitative montre, en particulier, l’écart entre certaines intentions affichées, notamment lors du « tournant critique », et leur mise en pratique – mais n’est-ce pas la définition même de tout programme, y compris intellectuel, que de n’être jamais qu’imparfaitement appliqué, obligé de composer avec la vision que les auteurs ont de leur sujet, celle que les membres du comité s’en font, les pesanteurs institutionnelles diverses et, bien sûr, l’obligation de faire paraître régulièrement des numéros (contrainte matérielle dont on aurait tort de sous-estimer le poids dévastateur) ? Prendre à défaut toute déclaration d’intention n’est pas si compliqué ; la tenir à bonne distance critique est un exercice somme toute plus fécond, car il oblige à s’intéresser aux détails – moins au projet avoué du « tournant critique » qu’à sa mise en œuvre dans les sommaires de la revue. Parmi les permanences, on remarquera la persistance des jeux entre les périodes ; l’intérêt pour le contemporain, voire la promotion d’une histoire fondamentalement contemporaine des périodes plus anciennes ; la focalisation persistante sur certains thèmes privilégiés, mais appréhendés selon des perspectives historiographiques diversifiées ; des discussions renouvelées, à vocation inachevée et inquiète, entre différents domaines des sciences sociales en vue de maintenir l’histoire ouverte et d’aiguiser le regard que porte l’historien sur les mondes ancien et présent comme sur le monde actuel.


Date de mise en ligne : 25/08/2021

Notes

  • [1]
    Hervé Coutau-Bégarie, Le phénomène « nouvelle histoire ». Stratégie et idéologie des nouveaux historiens, Paris, Economica, 1983 ; François Dosse, L’histoire en miettes. Des « Annales » à la « nouvelle histoire », Paris, La Découverte, 1987.
  • [2]
    Lucien Febvre, « Propos d’initiation. Vivre l’histoire » [1941], Mélanges d’histoire sociale, 3, 1943, p. 5-18, ici p. 6.
  • [3]
    Ibid.
  • [4]
    Sur le compte rendu « comme mode d’expression », en particulier chez Lucien Febvre, voir Bertrand Müller, « Lucien Febvre et la politique du compte rendu », in A. Clavien et B. Müller (dir.), Le goût de l’histoire, des idées et des hommes, Lausanne, Éd. de l’Aire, 1996, p. 437-459, ici p. 439 et 458 : « Sur 3 443 items dénombrés (1929-1945), 923 sont signés par Bloch, 835 par Febvre alors qu’ils ne signent que 15 articles de fond sur 156. »
  • [5]
    Voir, dans le présent numéro, « Un collectif au travail », p. 537-554.
  • [6]
    France Guérin-Pace, Thérèse Saint-Julien et Anita W. Lau-Bignon, « Une analyse lexicale des titres et mots-clés de 1972 à 2010 », L’Espace géographique, 41-1, 2012, p. 4-30.
  • [7]
    Henri L. Wesseling, « The Annales School and the Writing of Contemporary History », Review (Fernand Braudel Center), 1-3/4, 1978, p. 185-194.
  • [8]
    Sans autre précision, les articles portant sur le xviiie siècle rentrent dans les catégories « moderne » ou « 1789-1815 ».
  • [9]
    Sur le rapport entre la pratique de certains types d’histoire et le profil des auteurs, voir en particulier Andrew Abbott, Chaos of Disciplines, Chicago, The University of Chicago Press, 2001. Dans le contexte des revues de sciences sociales, voir Jerry A. Jacobs et Scott Frickel, « Interdisciplinarity: A Critical Assessment », Annual Review of Sociology, 35-1, 2009, p. 43-65 ; Steven Ruggles et Diana L. Magnuson, « The History of Quantification in History: The JIH as a Case Study », The Journal of Interdisciplinary History, 50-3, 2019, p. 363-381 ; no spécial « Espace des disciplines et pratiques interdisciplinaires », Actes de la recherche en sciences sociales, 210-5, 2015.
  • [10]
    H. L. Wesseling, « The Annales School and the Writing of Contemporary History », art. cit., p. 194. Voir également, dans le présent numéro, « Face au présent. Politique des temporalités », p. 493-516.
  • [11]
    Voir, dans le présent numéro, l’article « Le temps du récit. Histoire, fiction, littérature », p. 447-463.
  • [12]
    Sauf mention contraire, les proportions utilisées comptabilisent le nombre de pages concernées sur l’ensemble des pages d’articles publiés (donc hors comptes rendus) par an.
  • [13]
    Pour des développements substantiels sur ce point, voir, dans le présent numéro, l’article « Le temps du récit », art. cit.
  • [14]
    Voir les dossiers suivants : « La condition fœtale », Annales HSS, 61-2, 2006, p. 483-520 ; « Écriture de soi et écrits publics », É. Ficquet et A. Mbodj-Pouye (dir.), no spécial « Cultures écrites en Afrique », Annales HSS, 64-4, 2009, p. 855-924 ; « Lire Le capital de Thomas Piketty », Annales HSS, 70-1, 2015, p. 5-138.
  • [15]
    Les périodes institutionnelles retenues sont l’Antiquité, le Moyen Âge, l’époque moderne, le xixe et le xxe siècle : nous avons en effet considéré que la rupture institutionnelle entre dix-neuvièmistes et vingtièmistes pouvait être équivalente à celle entre les autres disciplines. La catégorie « longue durée » recoupe des articles qui se revendiquent explicitement de cette approche ou dont le spectre chronologique recoupe trois de ces périodes ou plus.
  • [16]
    De nombreux articles emploient ainsi des périodisations proches de la catégorie de l’« early modern » du xive siècle au xviie ou xviiie siècle, comme par exemple Fanny Cosandey, « De lance en quenouille. La place de la reine dans l’État moderne (xive-xviie siècles) », Annales HSS, 52-4, 1997, p. 799-820. Bien plus rares sont les articles qui franchissent la division entre Antiquité et Moyen Âge, tel Peter Brown, « Vers la naissance du purgatoire. Amnistie et pénitence dans le christianisme occidental de l’Antiquité tardive au haut Moyen Âge », Annales HSS, 52-6, 1997, p. 1247-1261.
  • [17]
    Voir en particulier le dossier « Anthropocène », Annales HSS, 72-2, 2017, p. 263-378.
  • [18]
    Johan Heilbron et Anaïs Bokobza, « Transgresser les frontières en sciences humaines et sociales en France », no spécial « Espace des disciplines et pratiques interdisciplinaires », Actes de la recherche en sciences sociales, 210-5, 2015, p. 108-121.
  • [19]
    Julien Boelaertet al., « Les aléas de l’interdisciplinarité. Genèses et l’espace des sciences sociales françaises (1990-2014) », Genèses, 100/101-3/4, 2015, p. 20-49.
  • [20]
    Voir en particulier le no spécial « Espace des disciplines et pratiques interdisciplinaires », Actes de la recherche en sciences sociales, 210-5, 2015.
  • [21]
    J. Heilbron et A. Bokobza, « Transgresser les frontières… », art. cit.
  • [22]
    Ghislaine Filliatreau, « Bibliométrie et évaluation en sciences humaines et sociales : une brève introduction », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 55-4 bis, 2008, p. 61-66 ; Paul Wouters, « Aux origines de la scientométrie », Actes de la recherche en sciences sociales, 164-4, 2006, p. 11-22.
  • [23]
    Le comité de l’Annual Review of Sociology avait ainsi exploré l’évolution de la présence de certains termes (interdisciplinary, post-modern ou encore actor-network theory) pour analyser celle des dialogues disciplinaires dans la revue ; ils avaient également suivi la citation de certains auteurs spécifiques, notamment Bruno Latour, et la manière dont ces travaux étaient relus : J. A. Jacobs et S. Frickel, « Interdisciplinarity », art. cit. De tels travaux pourraient donner des résultats intéressants en élargissant le corpus pour introduire une dimension comparative.
  • [24]
    Thomas Piketty, « Réponse à François Bourguignon et Gilles Postel-Vinay », no spécial « Réseaux marchands », Annales HSS, 58-3, 2003, p. 699-702 ; Éric Monnet, « Monnaie et capital. Contributions du Capital au xxiesiècle à l’histoire et à la théorie monétaires », Annales HSS, 70-1, 2015, p. 35-46 ; Robert Boyer, « Historiens et économistes face à l’émergence des institutions du marché », Annales HSS, 64-3, 2009, p. 665-693.
  • [25]
    C’est par exemple le cas de Nicolas Delalande, « Protéger le crédit de l’État. Spéculation, confiance et souveraineté dans la France de l’entre-deux-guerres », Annales HSS, 71-1, 2016, p. 127-162, qui réutilise abondamment des travaux d’économie et de sociologie économique, notamment états-uniens, à la fois comme source et comme outil de réflexion ; ou de Maria Novella Borghetti et Riccardo Rosolino, « Vices tyranniques. Résistance au monopole, idéologie et marché à l’aube de la modernité », Annales HSS, 68-3, 2013, p. 793-819, qui s’appuient sur des travaux d’économistes pour définir les trois concepts au cœur de leur réflexion, appliqués à l’Europe du début de l’époque moderne.
  • [26]
    En rassemblant les auteurs ayant une affiliation au CNRS, à l’EHESS, à l’une des ENS, au Collège de France ou à l’EPHE, nous arrivons à 64 % des auteurs français publiés aux Annales, ou 41 % de l’ensemble des auteurs.
  • [27]
    Dossier « Recherche historique et enseignement secondaire », Annales HSS, 70-1, 2015, p. 141-214. Avec la traduction anglaise de la revue depuis 2017, il sera intéressant d’observer si cela produit un effet sur les articles publiés dans les prochaines années.
  • [28]
    De nombreux dossiers comportent à la fois des articles épistémologiques plus développés que les introductions et des articles d’études de cas illustrant la proposition méthodologique générale : c’est le cas par exemple du dossier dirigé par Augustin Jomier et Ismail Warscheid, « Écrire l’histoire de l’islam moderne et contemporain », Annales HSS, 73-2, 2018, p. 311-439, de celui sur l’« Anthropocène », Annales HSS, 72-2, 2017, p. 263-378, du dossier « La longue durée en débat » ou de celui sur l’« Histoire des sciences », Annales HSS, 70-2, 2015, respectivement p. 285-378 et 381-435.
  • [29]
    Voir supra.
  • [30]
    F. Guérin-Pace, T. Saint-Julien et A. W. Lau-Bignon, « Une analyse lexicale… », art. cit.
  • [31]
    Voir supra.
  • [32]
    Étienne Anheim, Jean-Yves Grenier et Antoine Lilti, « Repenser les statuts sociaux », É. Anheim, J.-Y. Grenier et A. Lilti, no spécial « Statut sociaux », Annales HSS, 68-4, 2013, p. 949-953, ici p. 950.
  • [33]
    Voir la note critique de Simona Cerutti, « Pragmatique et histoire. Ce dont les sociologues sont capables (note critique) », Annales ESC, 46-6, 1991, p. 1437-1445 ainsi que ead., « À qui appartiennent les biens qui n’appartiennent à personne ? Citoyenneté et droit d’aubaine à l’époque moderne », Annales HSS, 62-2, 2007, p. 355-383 ; Jean-François Chauvard, « Adaptabilité versus inaliénabilité. Les dérogations des fidéicommis dans la Venise du xviiie siècle », Annales HSS, 70-4, 2015, p. 849-880 ; Annick Lacroix, « La poste au douar. Usagers non citoyens et État colonial dans les campagnes algériennes de la fin du xixe siècle à la Seconde Guerre mondiale », Annale HSS, 71-3, 2016, p. 709-740.
  • [34]
    Robert Descimon, « Declareuil (1913) contre Hauser (1912). Les rendez-vous manqués de l’histoire et de l’histoire du droit », Y. Thomas (dir.), no spécial « Histoire du droit », Annales HSS, 57-6, 2002, p. 1615-1636.
  • [35]
    La catégorie d’histoire politique et du droit que nous avons utilisée recoupe ainsi des articles comme : Alain Boureau, « Les cérémonies royales françaises entre performance juridique et compétence liturgique », Annales ESC, 46-6, 1991, p. 1253-1264 ; Myriam Cottias, « Droit, justice et dépendance dans les Antilles françaises (1848-1852) », Annales HSS, 59-3, 2004, p. 547-567 ; John Ma, « Élites, élitisme et communauté dans la polis archaïque », Annales HSS, 71-3, 2016, p. 631-658.
  • [36]
    À titre d’exemple, voir Mercedes García-Arenal, « Sainteté et pouvoir dynastique au Maroc : la résistance de Fès aux Sa’diens », Annales ESC, 45-4, 1990, p. 1019-1042 ; Takashi Tsukuda, « Les religieux mendiants d’Ôsaka durant la période prémoderne », Annales HSS, 66-4, 2011, p. 1053-1077 ; Dru C. Gladney, « La question Ouïgour. Entre islamisation et ethnicisation », P. Chuvin et J. Poloni-Simard (dir.), no spécial « Asie centrale », Annales HSS, 59-5/6, 2004, p. 1157-1182.
  • [37]
    Voir le dossier précédemment cité, « Écrire l’histoire de l’islam moderne et contemporain », Annales HSS, 73-2, 2018, p. 311-439.
  • [38]
    Georges Perec, Penser, classer, Paris, Hachette, 1985.
  • [39]
    S. Ruggles et D. L. Magnuson, « The History of Quantification in History », art. cit., p. 371-374. Des catégorisations thématiques plus fines font apparaître des fluctuations plus importantes, mais qui sont peut-être, comme les auteurs le soulignent, davantage liées au choix des numéros thématiques : Myron P. Gutmann, « Quantifying Interdisciplinary History: The Record of (Nearly) Fifty Years », The Journal of Interdisciplinary History, 50-4, 2020, p. 517-545, ici p. 24-527.
  • [40]
    André Burguière, « Histoire d’une histoire. La naissance des Annales », Annales ESC, 34-6, 1979, p 1347-1359, ici p. 1356.
  • [41]
    Philippe Mongin, « Retour à Waterloo. Histoire militaire et théorie des jeux », Annales HSS, 63-1, 2008, p. 39-69.
  • [42]
    Voir par exemple David A. Bell, La première guerre totale. L’Europe de Napoléon et la naissance de la guerre moderne, Seyssel, Champ Vallon, 2010 ; Hew Strachan et Sibylle Scheipers (dir.), The Changing Character of War, Oxford, Oxford University Press, 2011.
  • [43]
    Voir l’article récemment publié de Reine-Marie Bérard, « La politique du cadavre. Traitements funéraires et usages civiques des morts à la guerre en Grèce archaïque et classique », Annales HSS, 75-1, 2020, p. 1-38.
  • [44]
    Voir le numéro spécial dirigé par Pierre-Michel Menger et Jacques Revel, « Mondes de l’art », Annales ESC, 48-6, 1993 et le dossier « Images médiévales », Annales HSS, 51-1, 1996, p. 3-133.
  • [45]
    Raymonde Moulin et Alain Quemin, « La certification de la valeur de l’art. Experts et expertises », P.-M. Menger et J. Revel (dir.), no spécial « Mondes de l’art », Annales ESC, 48-6, 1993, p. 1421-1445 ; Jérôme Baschet, « Inventivité et sérialité des images médiévales. Pour une approche iconographique élargie », Annales HSS, 51-1, 1996, p. 93-133 ; Patrick Boucheron, « ‘Tournez les yeux pour admirer, vous qui exercez le pouvoir, celle qui est peinte ici.’ La fresque du Bon Gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti », Annales HSS, 60-6, 2005, p. 1137-1199.
  • [46]
    Cité dans Marc Ferro, « L’histoire est toujours contemporaine. Entretien avec Jean-Luc Racine », no spécial « Mémoires et nations », Transcontinentales. Sociétés, idéologies, système mondial, 6, 2008, p. 95-105, ici p. 96.
  • [47]
    Éditorial, « Tentons l’expérience », Annales ESC, 44-6, 1989, p. 1317-1323, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.
  • [48]
    Giuliano Milani, « Avidité et trahison du bien commun. Une peinture infamante du xiiie siècle », Annales HSS, 66-3, 2011, p. 705-739 ; Franck Mercier, « Le salut en perspective : un essai d’interprétation de la Flagellation du Christ de Piero della Francesca » et Étienne Anheim, « Un atelier italien à la cour d’Avignon. Matteo Giovannetti, peintre du pape Clément VI (1342-1352) », Annales HSS, 72-3, 2017, respectivement p. 737-771 et 703-735.
  • [49]
    Sophie Cras et Constance Moreteau, « Les revues et les images », Tracés. Revue de sciences humaines, 18, 2018, p. 101-114.
  • [50]
    Dossiers « Travail masculin, travail féminin, France et Angleterre, xixe-xxe s. », Annales HSS, 54-3, 1999, p. 561-614 ; « La femme japonaise », Annales HSS, 54-1, 1999, p. 29-86 ; « Régimes de genre », Annales HSS, 67-3, 2012, p. 563-713.
  • [51]
    Éditorial, « Les Annales, aujourd’hui, demain », Annales HSS, 67-3, 2012, p. 557-560, ici p. 560, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796. Voir également, dans le présent numéro, « Face au présent », art. cit.
  • [52]
    « Les Annales en débat », Bibliothèque nationale de France, https://annales.hypotheses.org/29.
  • [53]
    Françoise Thébaud, « Genre et histoire en France », Hypothèses, 8-1, 2005, p. 267-276.
  • [54]
    Didier Lett, « Les régimes de genre dans les sociétés occidentales de l’Antiquité au xviie siècle », dossier « Régimes de genre », Annales HSS, 67-3, 2012, p. 563-572, ici p. 563.
  • [55]
    Étienne Anheim, « Genre, publication scientifique et travail éditorial. L’exemple de la revue Annales. Histoire, sciences sociales », Tracés. Revue de sciences humaines, 32, 2017, p. 193-212.
  • [56]
    Voir les dossiers « Histoire et environnements », Annales ESC, 48-1, 1993, p. 3-41 et « Histoire et sociologie des sciences. Approches critiques », Annales HSS, 50-3, 1995, p. 487-562 ainsi que le numéro spécial dirigé par Yves Cohen et Dominique Pestre, « Histoire des techniques », Annales HSS, 53-3/5, 1998.
  • [57]
    Éditorial, « Histoire et sciences sociales. Un tournant critique ? », Annales ESC, 43-2, 1988, p. 291-293, ici p. 293, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.
  • [58]
    Voir, dans le présent numéro, « Les échelles du monde. Pluraliser, croiser, généraliser », p. 465-492.
  • [59]
    Il s’agit d’une tradition éditoriale bien plus ancienne dans la revue, mais ce texte ne porte volontairement que sur les Annales depuis le « tournant critique ».
  • [60]
    Éditorial, « Histoire et sciences sociales. Un tournant critique ? », Annales ESC, 43-2, 1988, p. 291-293, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.
  • [61]
    Par exemple le numéro spécial dirigé par Pierre-François Souyri et Hiroyuki Ninomiya, « L’histoire du Japon sous le regard japonais », Annales HSS, 50-2, 1995, ou encore celui sur l’« Histoire sociale de la RDA », Annales HSS, 53-1, 1998.
  • [62]
    Alberto Caracciolo, « La prima generazione », Quaderni storici, 160-1, 1999, p. 13-30, ici p. 13.

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