Couverture de ANNA_753

Article de revue

Un collectif au travail

Pages 537 à 554

Notes

  • [1]
    Ces questions sont évoquées, dans ce numéro, par Colin Jones, « Les Annales et Past & Present : une histoire croisée », p. 693-707.
  • [2]
    La première dans cette fonction à avoir reçu une formation professionnelle dans le domaine de l’édition est Séverine Guiton, arrivée en 2007. Jusqu’à son départ en 2019, elle joue un rôle essentiel dans l’édition de la revue, aux côtés d’autres éditeurs et éditrices se succédant au sein de l’équipe (sans compter les remplacements ponctuels) : Pauline Labey, Juliette Sanson, Blaise Royer, Aurianne Cox, Livia Foraison (toujours présente, mais désormais en charge de la coordination et de la production en lien avec les Éditions) et, aujourd’hui, Sophie Muraccioli et Clémence Peyran. En 2010, le projet d’une édition bilingue, en français et en anglais, conduit à faire évoluer la structure de l’équipe éditoriale. Le départ de Françoise Sy, qui assurait le secrétariat de la rédaction, a été compensé par un recrutement sur un poste d’éditrice anglophone en 2012, au moment du lancement de l’édition anglaise. La fonction a d’abord été occupée par Angela Krieger, puis, à partir de 2015, par Chloe Morgan.
  • [3]
    Par ordre alphabétique, Étienne Anheim, Vincent Azoulay, Nicolas Barreyre, Romain Bertrand, André Burguière, Guillaume Calafat, Vanessa Caru, Jean-Yves Grenier, Catherine Rideau-Kikuchi, Camille Lefebvre, Antoine Lilti, Antonella Romano, Stephen W. Sawyer, Anne Simonin, Michael Werner, soit 10 hommes, 5 femmes, dont 8 anciens élèves des ENS, 11 agrégés, 12 ayant fait leurs études de premier cycle à Paris, 6 enseignant aujourd’hui à l’EHESS, 3 chercheuses au CNRS, un chercheur FNSP, 3 enseignants à l’Université et 2 retraités de l’EHESS, ayant entre 30 et 82 ans.
  • [4]
    Voir, dans le présent numéro, « Une revue en langues. Les défis d’une édition bilingue », p. 573-582.
  • [5]
    Voir l’éditorial in memoriam « Jacques Le Goff (1924-2014) », Annales HSS, 69-3, 2014, p. 599-601, ici p. 600, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.
  • [6]
    Pour le fac-similé d’une page d’un article à différentes phases de son travail éditorial, se reporter p. 551-554.

1Décrire les pratiques éditoriales de la revue du point de vue de celles et ceux qui l’animent est un exercice périlleux : les biais sont inévitables. Il a pourtant semblé indispensable de tenter ici l’expérience, ne serait-ce que parce que nos propres interrogations sur nos façons de faire sont à l’origine de ce numéro. En outre, dans un monde scientifique où le fonctionnement des revues n’est guère normé, demeure souvent méconnu et peut grandement varier, en France comme ailleurs [1], cette description permettra de montrer comment se fabrique concrètement la revue.

2L’équipe des Annales est constituée de deux entités, la rédaction à proprement parler et le comité de rédaction, auxquelles il faut ajouter un comité scientifique. Actuellement, les trois éditrices qui constituent la rédaction – deux pour l’édition française et une pour l’édition anglaise – ont une formation de master ou de doctorat en sciences humaines et sociales, complétée par une formation ou une expérience éditoriale préalable [2]. Le recrutement est assuré par la direction de la revue, en coordination avec l’équipe déjà en poste. Le travail des éditrices et de la direction s’effectue dans des locaux mis à disposition par l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et ses Éditions, situés jusqu’en juin 2021 boulevard Raspail, dans le VIe arrondissement de Paris, et, depuis, sur le Campus Condorcet, à Aubervilliers. Le comité de rédaction est aujourd’hui formé de quinze historiens et historiennes [3]. Son renouvellement, cooptatif, est également impulsé par la direction à la suite de discussions au sein du comité sur les profils intellectuels et institutionnels qui apparaissent les plus pertinents pour la revue, en fonction des mutations du paysage de la recherche ou pour favoriser des évolutions jugées souhaitables au plan intellectuel comme en termes de représentativité thématique, générationnelle ou de genre. Le comité se réunit tous les premiers vendredis après-midi du mois, sauf en août et, contrairement à la plupart des autres revues scientifiques, tous les membres sont invités à lire et à discuter l’ensemble des articles à l’ordre du jour, quelle que soit la thématique abordée ou la période considérée.

3Le travail collectif réalisé par le comité et la rédaction résulte d’une négociation permanente entre les exigences d’une revue scientifique de référence selon les standards internationaux et la poursuite d’un projet intellectuel et éditorial propre aux Annales. L’organisation du travail au sein de la revue vise idéalement à publier des travaux correspondant à une pratique de l’histoire et des sciences sociales appuyée sur des dossiers documentaires inédits, des outils d’analyses originaux, une présentation réflexive de ses conditions d’élaboration (documentaires, institutionnelles, historiographiques, etc.), une ambition de généralisation et sur un propos qui, bien qu’ancré dans un terrain, puisse s’adresser plus largement à des lecteurs et lectrices intéressés par les sciences humaines et sociales.

Le comité aujourd’hui

4La composition du comité et ses orientations intellectuelles sont indissociables de l’institution qui l’héberge, l’EHESS. Cette proximité, qui transparaît aussi dans les soumissions d’articles ou la désignation des personnes chargées des expertises, n’est pas exceptionnelle. Nombre de revues sont liées à des institutions et leur équipe éditoriale attachée à une université : ainsi du Journal of Modern History avec l’université de Chicago, de Past & Present et de l’université d’Oxford ou de l’American Historical Review, associée à l’université d’Indiana – les directeurs ou directrices de ces revues appartenant également à ces universités. Il est en revanche plus rare qu’un comité rassemble uniquement des membres travaillant dans les institutions avoisinantes, comme c’est le cas aux Annales. Pour reprendre les revues évoquées plus haut, les membres de leurs comités de rédaction appartiennent à des institutions géographiquement bien plus variées. Si, à Past & Present, une masse critique des membres du comité travaillent à Oxford et Cambridge, d’autres enseignent par exemple dans les universités de Tel-Aviv, Princeton, Northwestern, Zurich, Chicago, Indiana, Columbia ou Leyde. Concernant l’American Historical Review, bien qu’aucun membre du comité ne soit en poste hors des États-Unis, certains, dont plusieurs sont d’origine étrangère, se répartissent dans des institutions disséminées sur l’ensemble du territoire américain – reflétant sans doute la vocation de la revue à être l’organe de publication d’une association professionnelle nationale. Ce recrutement géographique large influe sur le fonctionnement de ces comités : s’il présente des avantages en termes d’ouverture et de pluralité, il rend les réunions physiques plus rares, les rapports entre les membres du comité plus distendus et la possibilité de construire une vision collective moins évidente, d’autant que la variété des points de vue, renforcée par la distance, est souvent plus grande à bien des égards. À l’inverse, le comité des Annales réunit un groupe d’individus habitant tous dans une même région et travaillant pour beaucoup dans une même institution ou dans son voisinage immédiat. Dès lors, les réunions mensuelles ne sont qu’une des nombreuses occasions qu’ont les membres du comité de se voir et de discuter entre eux et avec la rédaction, selon une fréquence pluri-hebdomadaire, voire quotidienne – du moins hors temps de pandémie. Cette caractéristique a bien sûr des effets sur l’organisation du travail et les choix éditoriaux. Une telle situation, ancienne aux Annales, est aussi le résultat de la centralisation universitaire française qui, si elle fait courir le risque de l’entre-soi, rend également possible la construction d’un véritable travail collectif.

5Dans l’histoire de la revue, le comité n’a jamais rassemblé autant de membres ni compté plus de femmes, même si celles-ci restent aujourd’hui en minorité. La dissymétrie de genre est encore accentuée au niveau éditorial : alors que la direction a largement été assumée par un homme – à une exception près, Lucette Valensi –, l’équipe rédactionnelle a presque toujours été féminine. Si la division traditionnelle du travail a donc peu bougé, la présence des femmes se pose désormais en des termes différents : cette sous-représentation est devenue un sujet de réflexion essentiel, alors qu’il fut un temps où la question ne se posait tout simplement pas. L’objectif, désormais, est de parvenir rapidement à la parité au sein du comité.

6Du point de vue disciplinaire, celui-ci ne compte actuellement que des historiennes et des historiens. Tel n’a pas toujours été le cas et, à l’avenir, la revue espère de nouveau accueillir des spécialistes issus d’autres sciences sociales. Au cours des dix dernières années, plusieurs recrutements ont toutefois permis de diversifier les profils scientifiques, à la fois géographiquement, hors de l’Europe (seule une minorité travaille aujourd’hui sur l’espace français), et chronologiquement, vers l’Antiquité ou le temps présent. Le pluralisme du comité ne tient pas uniquement à la diversité des terrains de recherche : des approches différentes s’expriment au cours des discussions, sans pour autant que des clivages se cristallisent de manière stable. La sensibilité variable à l’écriture historique, à la place de la critique documentaire, à l’échelle de l’analyse ou à la contextualisation historiographique conduit régulièrement à des désaccords surmontés, autant que faire se peut, par la discussion. Les décisions sont en général prises de façon consensuelle, sans doute parce que, malgré la rudesse de certains échanges, les divergences entre les membres de la revue se situent à l’intérieur d’un cadre balisé par le système de la cooptation et par un certain consensus autour de l’orientation éditoriale générale.

7Le développement de l’édition anglaise a profondément modifié non seulement l’organisation matérielle et l’économie de la revue, mais aussi la conception d’ensemble des choix éditoriaux, désormais systématiquement pensés en deux langues et pour deux lectorats distincts. Tout en étant membres à part entière du comité de rédaction, Stephen W. Sawyer, dès 2012, puis, quelque temps après, Nicolas Barreyre sont devenus responsables de l’édition anglaise. Cette mue des Annales n’est donc pas passée par une transformation du comité, qui aurait impliqué l’internationalisation de ses membres (dont tous, à l’exception de S. W. Sawyer, ont été formés en France, même si plusieurs possèdent une expérience d’enseignement et de recherche plus ou moins longue à l’étranger), mais bien par un choix éditorial : la naissance d’une édition bilingue, en 2012, puis la mise en place d’une véritable coédition avec Cambridge University Press (CUP) à partir de 2017. Lors des discussions des articles en comité, il arrive désormais que l’on tienne compte des problèmes de lecture que l’article pourrait poser une fois traduit en anglais – parce que sa bibliographie est entièrement française ou, à l’inverse, que ses accroches historiographiques ou thématiques sont peu originales au regard de ce qui se fait dans le monde anglophone ou de ce que peut attendre le lectorat potentiel en Chine, au Japon ou en Inde, ou encore trop hexagonales pour avoir un sens hors du lectorat français. Inversement, le débat porte parfois sur l’importance, voire la nécessité, de publier tels ou tels travaux français en anglais parce qu’ils ne rencontrent pas d’équivalent dans la recherche internationale ou que des questions similaires y sont traitées différemment [4]. Dans cette perspective, le comité est également attentif aux soumissions d’articles dans des langues diverses, en particulier européennes, encore trop souvent absentes des publications issues du monde anglophone.

8Le travail des éditrices et leur nombre créent des conditions favorables qui permettent au comité de consacrer l’essentiel de son temps à l’examen collectif des articles et à la discussion scientifique, sans se préoccuper au premier chef des conditions concrètes de production. Il revient parfois au directeur ou aux membres de la rédaction de rappeler certaines contraintes essentielles (respect du calendrier, établissement de sommaires, taille des articles ou du numéro, etc.), réarticulant ainsi revue rêvée et revue réelle. La taille de la rédaction est en adéquation avec ce que représente la gestion de publications particulièrement volumineuses (environ un million de signes par numéro), le traitement d’un nombre fort élevé de livres reçus et de comptes rendus et la nécessité d’assurer de front l’édition française et anglaise – ce qui revient, concrètement, à éditer deux revues, soit huit numéros par an. Ces impératifs éditoriaux sont d’autant plus lourds que le calendrier de parution a été fortement perturbé à la suite de la mise en place de la collaboration avec CUP – impliquant une toute nouvelle chaîne de production –, même si la situation est aujourd’hui en voie de normalisation.

Choisir les articles

9Depuis une dizaine d’années, les soumissions d’articles se font uniquement par courrier électronique. La revue n’a finalement pas développé d’outil de traitement automatisé, après quelques tentatives peu concluantes d’utilisation du logiciel Open Journal Systems (OJS). Ce sont le directeur et la rédaction qui prennent en charge l’ensemble des échanges avec les auteurs et les autrices. Pour 20 à 30 articles publiés, la revue reçoit jusqu’à 200 propositions de manuscrits par an – un nombre relativement stable depuis le début des années 2010. Un article soumis est d’abord lu et évalué par le directeur. S’il correspond aux attentes minimales de la revue, il suit le parcours classique des soumissions ; sinon, il est refusé d’emblée pour différentes raisons d’ordre formel (longueur inadaptée, absence de références, incorrection linguistique grave, etc.) ou intellectuel (écart trop grand avec les domaines thématiques couverts par la revue ou avec l’inscription dans une perspective de sciences sociales).

10Ces dernières années, les soumissions ont pris une forme plus académique qu’autrefois. Car les Annales, du fait sans doute de leur notoriété, ont longtemps reçu un nombre important d’articles qui ne relevaient pas vraiment de la recherche en histoire et en sciences sociales. Au début des années 2010 encore, il s’agissait parfois de dizaines de propositions de textes soumis par des amateurs d’histoire, de littérature, de philosophie ou de sciences sociales en général, allant de quelques pages à plusieurs centaines. Ce type de soumissions a presque totalement disparu en quelques années, peut-être en lien avec la diversification des formes de publication et d’autopublication, notamment en ligne. La part du rejet sans examen par le comité de rédaction reste cependant élevée, mais concerne surtout des envois relevant de disciplines éloignées du centre de gravité de ce que la revue publie, ou rédigés dans une forme trop hétérodoxe – bien qu’il n’existe pas (ou très peu) de textes soumis dans une forme « orthodoxe », les consignes éditoriales disponibles en ligne étant, en général, ignorées par les auteurs. Lorsque le directeur a lu une première fois un article et qu’il ne l’a pas écarté, le manuscrit est soumis aux membres du comité les plus proches du sujet pour déterminer s’il doit bien faire l’objet d’une expertise, ce qui peut occasionner une décision négative. Cette pratique, dont la frontière est difficile à tracer, repose sur la conviction qu’il n’est pas raisonnable, tant pour le travail que cela représente qu’en termes de gestion des flux, que tous les articles fassent l’objet de rapports formalisés commandés à des lecteurs extérieurs. Ce premier examen revêt un autre avantage : il permet aux auteurs de pouvoir soumettre leur travail ailleurs, sans avoir besoin d’attendre une réponse pendant plusieurs mois.

11Un premier travail d’évaluation scientifique est parfois accompli en amont de la soumission. Si la plupart des textes examinés parviennent à la revue sans médiation, certains articles peuvent avoir été sollicités par des membres du comité ou ont été, préalablement à leur transmission, l’objet d’échanges avec le directeur ou des membres du comité. Cette pratique, qui a longtemps été l’apanage du secrétaire ou du directeur de la revue, est aujourd’hui largement répandue parmi les membres du comité, dont une partie du travail consiste à donner à des auteurs potentiels des conseils ou des orientations pour reprendre leur article avant de le soumettre formellement. Ce travail préalable ne vaut toutefois nullement engagement à publier : que le texte arrive par soumission spontanée ou qu’il ait déjà bénéficié d’échanges informels, l’expertise extérieure et le débat en comité suivent les mêmes procédures, et le taux de refus n’en est pas affecté. En revanche, l’incitation permet à la revue d’essayer de contrebalancer certains biais des soumissions : elle fournit l’occasion de solliciter des articles sur des domaines de recherche que le comité souhaite mettre en avant et, également, d’encourager des auteurs, et surtout des autrices, parfois plus jeunes ou étrangers, qui pourraient hésiter à proposer leur recherche aux Annales.

12Commence alors la phase d’expertise externe qui, conformément aux pratiques éditoriales internationales, est une garantie indispensable de la rigueur et de la scientificité de ce qui est ou n’est pas publié. Les collègues chargés des expertises sont choisis par le directeur de la revue avec l’aide des membres du comité et sont contactés par les éditrices. Si leur sélection obéit à des logiques scientifiques – en termes de domaines de spécialité –, elle s’effectue aussi parfois sur la base d’une interconnaissance préalable. Se crée ainsi un cercle d’experts et d’expertes, nourris en partie par la proximité des laboratoires de l’EHESS et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) mais sans s’y limiter, qui connaissent bien la revue. Le choix est donc orienté non seulement par la compétence reconnue à l’expert, mais aussi par sa connaissance des attentes historiographiques et méthodologiques des Annales. La direction veille à ce que ce principe de proximité soit contrebalancé par le choix concomitant d’experts éloignés de la revue, le plus souvent à l’étranger – la double expertise anonyme étant la règle. Ce processus peut parfois ralentir l’examen des articles en comité, comme dans le cas où le travail d’expertise n’a pas été effectué dans les délais prévus, celles-ci étant indispensables pour la discussion en comité. Il arrive ainsi – quoique rarement – qu’un expert ou une experte fasse défaut au dernier moment, ce qui oblige à reprendre la procédure. La lourdeur de ce travail d’évaluation, chronophage, bénévole et peu reconnu dans l’évaluation des carrières, détourne de plus en plus de collègues de cette tâche. L’expertise peut cependant remplir d’autres fonctions et, en particulier, conduire à solliciter son auteur pour qu’il soumette lui-même, à terme, un article : si le vivier des nouveaux auteurs et autrices s’est longtemps constitué à partir des rédacteurs et rédactrices de comptes rendus, celui-ci est aujourd’hui souvent alimenté par les experts et expertes eux-mêmes.

13En fonction de leur qualité et de leur degré de précision, ces évaluations jouent un rôle très variable dans les discussions. En effet, leur rédaction se fait sous la forme d’un commentaire libre, sans être encadré par un questionnaire prédéfini ou soumis à une grille. Certains rapports analysent l’article en plusieurs pages et se livrent à une discussion historiographique approfondie. Que les articles soient ou non acceptés, ce travail est utile à leurs auteurs et autrices, et d’autant plus précieux lorsque le comité se trouve collectivement peu compétent pour évaluer l’importance d’un travail dans un domaine spécifique. L’articulation entre expertises et discussion du comité reste néanmoins claire. Si les expertises apportent un éclairage spécialisé indispensable au vu de la diversification des objets d’étude en histoire et en sciences sociales et si elles permettent d’alerter sur des problèmes invisibles faute de compétence, elles constituent « seulement » une aide à la décision. Il est hautement improbable qu’un article soit publié si les expertises sont défavorables, mais il est courant qu’un article se voie refusé malgré des expertises positives émanant de spécialistes séduits par l’analyse proposée en raison de leurs propres intérêts de recherche. C’est sans doute là que se niche le cœur du travail intellectuel du comité – puisque tous les membres lisent l’ensemble des articles en discussion chaque mois – et que l’on décèle ce qui le distingue le plus des pratiques en usage dans les grandes revues internationales.

14Chaque année, près de 100 articles sont soumis à ce processus d’évaluation dans le cadre des réunions mensuelles. Ces comités, auxquels participent souvent les éditrices, ont pour objectif de débattre des questions générales liées à la revue (dossiers et numéros spéciaux en préparation, stratégie éditoriale, politique de diffusion, choix économiques, textes rédigés collectivement) et de discuter de 6 à 10 articles d’environ 100 000 signes chacun, rédigés dans différentes langues – plus de la moitié en français, pour un tiers en anglais et, plus rarement, en italien, en espagnol ou en allemand –, chaque membre s’exprimant sur tous les articles. Le comité ne vote jamais et il est rare qu’il soit partagé en deux blocs antagonistes. C’est par la discussion que l’ensemble de ses membres arrive à une décision qui, parce qu’elle est prise collectivement et démocratiquement, est considérée par toutes et tous comme légitime, sans pour autant que tout le monde soit d’accord. Les prises de parole ont toutefois un poids tributaire non seulement de la compétence reconnue à chaque personne au regard du sujet discuté et de l’engagement individuel dans la critique ou la défense de l’article, mais aussi du caractère et, parfois, de la rhétorique des uns et des autres. La structuration des échanges dépend également d’autres facteurs. Dans un comité longtemps presque exclusivement composé d’hommes, les modes d’interactions restent parfois marqués par les sociabilités masculines et ont pu, et peuvent encore, peser sur les membres féminins. L’ancienneté plus ou moins grande au sein de la revue ou le statut d’ancien directeur peuvent aussi avoir une importance notable, de même que le temps consacré par chacun ou chacune à la vie de la revue. Enfin, le comité n’est pas exempt de rapports de pouvoir : la position académique de l’ensemble des membres n’est pas équivalente, ce qui peut interférer dans la circulation de la parole et l’échange des arguments. Différents processus mis en place au sein du comité visent à maîtriser, tant bien que mal, ces biais réels, en privilégiant notamment leur formulation explicite et en tentant d’équilibrer les prises de parole, avec pour objectif idéal de dégager un consensus sur une base essentiellement scientifique. Cet horizon explique d’ailleurs la fréquente longueur des discussions, car il ne s’agit pas seulement d’emporter la décision, mais bien de convaincre les réticents. Au gré des tours de parole, des articles imaginaires, comme rêvés, plus ou moins proches du texte originellement soumis, peuvent également surgir [5]. Parfois, cette nouvelle idée d’article est trop éloignée du texte pour suggérer à l’auteur ou à l’autrice de le modifier en conséquence. Cette construction par la discussion d’un article idéal permet cependant de guider la réécriture et d’aboutir à une nouvelle version plus convaincante, ou de conduire à d’autres commandes, voire à la conception de dossiers entiers.

15Aux Annales comme dans les autres revues, un article n’est pas écarté parce qu’il serait foncièrement mauvais, mais parce qu’il n’apparaît pas, face à d’autres textes et au moment de son examen, comme prioritaire (puisque la revue ne peut publier qu’un peu plus d’une vingtaine de textes par an). Les choix du comité sont guidés, d’une façon générale, par l’originalité de l’approche méthodologique retenue et l’intérêt du dossier documentaire. Le comité est particulièrement attentif à la dimension réflexive, historique et historiographique de l’enquête. Sur cette base, les expérimentations assumées et les démarches qui interrogent les frontières et les méthodes de la discipline historique, voire qui empruntent des formes d’écriture et de raisonnement venues d’autres disciplines, retiennent l’attention. Enfin, la revue porte un intérêt particulier aux questions de théorie, d’historiographie et aux relations épistémologiques entre histoire et sciences sociales – ce qui explique la place donnée aux notes critiques et aux articles de discussion bibliographique. Il ne s’agit toutefois pas là d’une liste de critères à cocher, mais de l’explicitation des priorités qui orientent les choix du comité dans sa composition actuelle – auxquels la première partie de ce numéro tente de donner une mise en forme intellectuelle.

16Les articles discutés ne sont pas simplement acceptés ou refusés : les options sont plus variées. Première possibilité : l’article est accepté à l’issue de son premier passage, dès lors qu’il intègre les demandes, observations et suggestions des expertises et du comité, souvent nombreuses. C’est l’option la plus rare, qui ne concerne qu’une poignée d’articles par an : parmi les manuscrits qui passent la première lecture et arrivent jusqu’au comité, les trois quarts sont refusés et, pour les 25 % publiés, seuls 5 % sont acceptés dès la première lecture. Deuxième option : l’article n’est pas accepté tel quel, mais le comité invite l’auteur ou l’autrice à le soumettre à nouveau pour une seconde lecture. Il s’agit d’une demande de retravail, en fonction des remarques des évaluateurs extérieurs et de celles du comité, qui n’implique pas pour autant l’acceptation de l’article à l’issue de sa réécriture. La propension d’un auteur ou d’une autrice à prendre en compte les suggestions faites à propos de son texte joue comme un impondérable. Le comité passe ainsi un temps non négligeable à évaluer la probabilité d’arriver à une seconde version satisfaisante. Les choix du comité, discutables, n’échappent pas aux effets de seuil. Entre un article accepté de justesse, après une longue discussion, et un autre refusé de peu, la limite est ténue, voire aléatoire : la présence ou l’absence de tel ou tel membre du comité, le fait d’avoir déjà beaucoup publié sur le sujet ou pas, la sensibilité historiographique sont autant de facteurs qui peuvent faire pencher la balance, dans un sens comme dans l’autre. Enfin, il existe une troisième possibilité : celle où le texte n’est pas accepté, mais dont la lecture fait émerger l’idée claire d’un autre article, suggérée à l’auteur ou à l’autrice. Dans ce cas, le comité donne des indications à partir du texte existant, ce qui aboutit, après un temps plus ou moins long, à des articles souvent publiés.

17À ce stade et quelle que soit l’issue des discussions, le directeur de la revue prend en charge les échanges avec les auteurs et les autrices. Il rédige ces courriers en faisant la synthèse des expertises et des avis du comité. Les expertises extérieures ne sont jamais livrées telles quelles aux auteurs, mais incluses et résumées dans les retours du directeur de la revue. C’est un moyen de préserver la liberté de ton et l’anonymat des experts. L’éventuelle proposition d’une nouvelle version s’accompagne souvent d’échanges entre le directeur ou l’un des membres du comité et les auteurs et autrices. Il s’agit alors d’accompagner la réécriture et d’assurer la compréhension des attentes du comité, ce qui donne lieu à des discussions riches et à de profonds remaniements des premières versions. Ces exigences sont tout à fait compatibles avec l’acceptation d’articles de jeunes chercheurs et chercheuses : ces derniers apportent d’ailleurs, comme l’attestent les sommaires de la revue au cours des dernières années, une contribution essentielle.

18Si le directeur a pour mission d’accompagner les auteurs acceptés dans la reprise de leur article, il lui revient également de justifier les nombreux refus : cette tâche occupe une part importante de son temps. Au-delà des refus brièvement motivés, envoyés dans le mois après la soumission, ces courriels synthétisent le plus souvent l’avis des experts et la délibération du comité et peuvent suggérer, malgré le refus opposé, certaines pistes de réécriture.

Le travail éditorial

19Le comité n’accomplit qu’une partie du travail éditorial : les éditrices, en dialogue avec le directeur, jouent un rôle décisif dans la transformation de l’article accepté en texte publié. Depuis une dizaine d’années, elles ont progressivement été associées au fonctionnement de la revue, qu’il s’agisse de prendre part aux réunions du comité ou aux discussions stratégiques concernant la revue, comme celle du partenariat de coédition avec CUP. Elles ont de même participé à la réalisation matérielle et intellectuelle de ce numéro, et à la rédaction de cet article, en particulier des pages qui suivent.

20Le processus éditorial qui s’amorce une fois l’article accepté scientifiquement permet d’apporter de nouvelles améliorations au texte par l’examen des articles dans le détail de leur argumentation – ce qui engendre souvent de nouveaux échanges avec l’auteur ou l’autrice. Ce travail contribue à l’unité formelle de la revue, renforcée par l’étape finale de relecture croisée des épreuves entre éditrices, qui lisent ainsi l’intégralité du numéro. Les procédures actuellement mises en œuvre pour chaque article sont très formalisées. Chacun passe au moins trois fois en relecture avant composition : une première relecture est faite par une éditrice, une autre par le directeur de la rédaction, qui débouchent sur une relecture de l’auteur ou de l’autrice. Ce travail considérable permet de parachever le texte avant l’envoi en composition, qui prévoit généralement la production de quatre jeux d’épreuves : un premier, à la pièce, est relu intégralement par l’autre éditrice et par l’auteur de l’article ; un deuxième, où le numéro est cette fois-ci monté en entier, donne lieu à un « pointage » par les éditrices des nombreuses corrections demandées sur les premières épreuves, à une harmonisation de certains termes et des références bibliographiques, notamment entre les différents articles d’un même dossier, et à une vérification du respect de la maquette par le compositeur ; une troisième série d’épreuves permet de vérifier l’intégration des corrections demandées, car, à ce stade, il reste encore souvent des erreurs ; enfin, une quatrième série d’épreuves occasionne un dernier pointage avant le bon à tirer.

21La série de relectures avant l’envoi en composition a plusieurs fonctions : corriger, mettre en forme et aussi vérifier l’information, en particulier l’appareil de notes, en contrôlant systématiquement chaque référence bibliographique, l’orthographe des noms propres ou les dates. Cette pratique est chronophage : elle représente souvent un temps supérieur à celui consacré à la relecture des textes à proprement parler et à l’élaboration de propositions de reformulations ou de réorganisation. Le directeur de la rédaction est, pour sa part, le garant ultime de la qualité scientifique des propositions éditoriales. En d’autres termes, il vérifie une dernière fois que le travail d’édition n’a pas altéré par inadvertance le sens du texte et participe également à la réécriture de celui-ci, pour le clarifier autant que possible, en reformulant parfois certains passages. Les textes rédigés dans d’autres langues que le français et l’anglais (espagnol, italien, allemand majoritairement) sont, eux, relus à six reprises avant l’envoi en composition, puisqu’ils sont d’abord traduits, puis relus une première fois par l’auteur avant de suivre le parcours classique de relecture. Pour ce qui est des textes soumis en anglais, ceux-ci connaissent huit relectures avant l’envoi en composition. En effet, avant la traduction, une première relecture est effectuée par l’éditrice anglophone de la revue, la correction du texte original en amont apportant des indications indispensables au traducteur et permettant ainsi d’améliorer le passage d’une langue à l’autre, les contresens étant souvent liés à des problèmes dans le texte source. Après ce premier passage, les textes sont confiés à un traducteur externe, puis envoyés à l’auteur ou l’autrice pour vérification, avant de reprendre le parcours classique de relecture, auquel s’ajoute une dernière relecture par l’éditrice anglophone afin de vérifier la concordance du texte original et du texte traduit et corrigé en français. L’éditrice anglaise intervient donc à la fois en amont, pour préparer la traduction et en aval, pour vérifier la qualité de la version française et son adéquation avec le texte source. La description de toutes ces étapes souligne que l’un des enjeux essentiels pour l’équipe de rédaction est la maîtrise du calendrier, le directeur et les éditrices travaillant toujours sur trois, voire quatre numéros en même temps. Ce travail s’apparente à un jeu de construction où tout doit venir s’emboîter au rythme prévu, sous peine de mettre en péril l’équilibre général de l’entreprise.

22Dans la version anglaise, sont systématiquement indiqués en tête des notes les noms et les rôles de celles et ceux qui ont travaillé en interne et en externe sur les articles traduits : This article was translated from the French byand edited by… Même lorsque la traduction est excellente et que le travail éditorial a été limité, ces mentions rendent compte des responsabilités de chacun des acteurs ayant travaillé sur le texte et permettent de donner sa juste place au travail souvent invisible de traduction et d’édition. Pour les textes soumis en anglais, mais d’abord publiés en français, on se contente de faire référence à la version française en indiquant : This article was originally published in French as…, et ce même lorsque les textes anglais ont été profondément retravaillés lors de leur préparation éditoriale. C’est ainsi qu’est mise en évidence l’ampleur du travail éditorial effectué sur chaque article. Cette reconnaissance reste toutefois fort discrète : si les auteurs et les autrices manifestent souvent leur gratitude à l’équipe éditoriale, à une éditrice en particulier ou au directeur de la revue à travers une note, ces mentions individualisées sont systématiquement enlevées pour éviter des remerciements longs et répétitifs entre articles.

23Cette pratique contribue à invisibiliser le travail éditorial aux yeux des lecteurs et des lectrices de la revue, qui n’ont guère idée de l’écart qui sépare souvent une version soumise à la revue de l’article finalement publié. Pour en donner un aperçu, le fac-similé d’une page d’un article à différentes phases de son travail éditorial est livré en annexe [6]. Le processus minutieux ici dévoilé a bien sûr comme condition de possibilité la présence d’éditrices aux compétences reconnues et auxquelles on accorde suffisamment de temps pour travailler les textes en profondeur. Ce travail mérite d’être souligné, à un moment où la gratuité et l’accès immédiat des articles scientifiques sont en train de s’imposer. Cette position généreuse, lorsqu’elle va jusqu’à encourager l’autopublication ou le pré-print, revient à nier le travail effectué sur les articles – qui, jusqu’à un certain point, relève d’une forme de co-production entre l’auteur, le comité et la rédaction.

24Les comptes rendus ont longtemps joué un rôle central aux Annales et, pour beaucoup d’auteurs, ont souvent constitué le premier mode d’intervention dans la revue. Aujourd’hui, ces recensions ne constituent plus un élément aussi structurant des débats au sein de la communauté scientifique – même si la publication régulière de notes critiques, plus longues, continue de faire vivre cette tradition –, de même qu’elles ont cessé d’être un passage presque obligé avant de publier un article dans les Annales. Néanmoins, si les comptes rendus ont changé de fonction et relèvent désormais plutôt de l’information bibliographique, les ensembles de comptes rendus thématiques sont parmi les fichiers les plus téléchargés des Annales et tiennent toujours une place importante dans la revue, non seulement en volume – ils représentent approximativement le tiers des pages –, mais également en temps de travail éditorial.

25Repérer les livres, enregistrer et trier ceux qui ont été envoyés à la revue (même si, aujourd’hui, des éditions électroniques les remplacent parfois) et les diriger vers des recenseurs est aussi l’une des fonctions de la rédaction et du comité. La spécificité des Annales consiste ainsi à proposer des ensembles thématiques de comptes rendus qui se construisent le plus souvent selon trois cas de figure. Dans le premier cas, le directeur de la publication, après considération des articles et des dossiers sur le point d’être acceptés, essaie de mettre en place un ensemble de recensions qui en soit le prolongement. L’équipe de rédaction cherche ensuite à compléter cette somme en demandant aux membres du comité d’indiquer quels sont, dans leur champ, les ouvrages récents les plus importants sur la question. Dans un deuxième cas de figure, l’équipe de rédaction constate que la revue a déjà reçu un certain nombre d’ouvrages portant sur un même thème et décide d’étoffer l’ensemble en demandant aux membres du comité des références pour le compléter. Le dernier cas correspond, pour les membres du comité, à passer commande d’ouvrages spécifiques sur une thématique qui leur semble importante, avant que la rédaction ne les envoie aux recenseurs qu’ils ont suggérés.

26La recherche de recenseurs s’avère souvent longue et fastidieuse. Pour chaque ouvrage, il n’est pas rare que les éditrices soient obligées de solliciter jusqu’à cinq personnes différentes. Les premiers courriels sont adressés aux recenseurs conseillés par les membres du comité, puis, à chaque refus, la personne initialement contactée est invitée à proposer une nouvelle personne, sous réserve de validation par le directeur. Un ensemble de comptes rendus de 30 titres implique donc potentiellement, en amont, 100 à 150 demandes. En ajoutant l’aléa non négligeable des désistements de dernière minute, la publication d’un train de comptes rendus thématique nécessite d’avoir obtenu l’accord d’au moins une quarantaine de recenseurs. Le temps de concevoir puis de passer les commandes, d’obtenir des réponses et de laisser le temps aux recenseurs de faire leur travail, il faut donc, pour respecter le calendrier, commencer à y réfléchir environ six mois avant le début du travail éditorial sur le numéro concerné. L’ouvrage n’est par ailleurs pas toujours présent physiquement à la rédaction au moment de la première sollicitation et il faut bien souvent relancer plusieurs fois les éditeurs avant de l’obtenir. Certaines maisons d’édition refusent en outre d’envoyer les livres qui ont plus de deux ans d’ancienneté, d’autres ne mettent plus à disposition que des versions électroniques, alors que la plupart des chercheurs et chercheuses continuent à préférer travailler sur des ouvrages imprimés (non seulement pour le confort de lecture, mais aussi pour permettre de renvoyer à des pages précises, la pagination étant souvent absente des versions numériques). Pour les maisons d’édition étrangères, la temporalité est encore plus complexe, puisque l’on ne sait jamais combien de temps prendra le transport. La rédaction fixe un délai de trois mois pour que le recenseur lise le livre et écrive son compte rendu. Il est ensuite nécessaire de prévoir entre un mois et un mois et demi pour les relances et la préparation éditoriale. Ces tâches sont répétitives et peu valorisantes : c’est pourquoi, malgré la lourdeur de l’outil pour les équipes éditoriales comme pour les auteurs et autrices, l’utilisation de plateformes comme OJS, avec des relances automatiques, fait actuellement l’objet de discussions au sein de la rédaction et, plus largement, des revues en sciences humaines et sociales. La crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 a d’ailleurs révélé toute la complexité de la tâche : la dispersion du collectif des Annales (comité et rédaction), la fermeture de certaines maisons d’édition et les difficultés d’acheminement du courrier ont rendu impossible la réalisation d’un ensemble de comptes rendus pour accompagner le premier numéro de l’année 2020.

27Les éditrices de la rédaction des Annales ne s’occupent pas seulement, par conséquent, de relire et corriger les textes, même s’il s’agit du cœur de leur métier. Elles veillent également à ce que les conditions matérielles soient réunies pour que les décisions prises en comité puissent se concrétiser sous la forme d’une revue. Cela engage un grand nombre de tâches administratives : correspondance avec les auteurs et autrices, suivi du calendrier éditorial, gestion des expertises, des externalisations, des traductions, des relations avec CUP ainsi que du budget, rédaction et suivi des contrats d’auteur, etc. Le directeur de la rédaction, qui fait le lien entre le comité et l’équipe éditoriale, endosse tout à la fois les fonctions du chercheur, du gestionnaire et du coordinateur d’équipe : il se préoccupe en particulier du budget de la revue et des renouvellements de postes, mais s’assure aussi, au cours de réunions hebdomadaires, de l’avancée du travail éditorial, tout en veillant à ne pas mettre sous pression une équipe qui ne compte pas ses heures. Ces rendez-vous hebdomadaires sont d’ailleurs essentiels, en permettant à chacun de prendre connaissance du travail fourni par les autres et des éventuelles difficultés rencontrées, de façon à réfléchir collectivement à leur résolution. Ils sont également l’occasion de revenir sur les décisions prises en comité, de discuter des affaires courantes et de hiérarchiser les nombreuses tâches annexes dont il faut prévoir la réalisation.

28Certains membres du comité participent également au volet éditorial et matériel de la vie de la revue – en relisant la version anglaise, en participant à la construction des ensembles de comptes rendus ou en écrivant régulièrement des recensions. La rédaction, le comité et le directeur organisent aussi parfois des événements autour des numéros et cherchent à les mettre en valeur à l’aide de nouveaux outils de communication, en particulier grâce au site de la revue et à la présence des Annales sur les réseaux sociaux. Au total, la variété des activités aux Annales est donc très importante, ce qui est une caractéristique de l’évolution du travail au sein de toutes les revues scientifiques depuis une dizaine d’années.

29Par sa complexité, cette organisation éditoriale requiert un temps important entre la soumission et la publication des articles et des comptes rendus, plus long sans doute que pour de nombreux nouveaux supports (notamment en ligne), même s’il est comparable, voire plus court que celui en vigueur dans d’autres revues internationales. En cela, les Annales assument un décalage par rapport à une conception de la recherche réduite à une course à la publication. De même se singularisent-elle par le choix du format de leurs textes, d’environ 100 000 signes, soit une longueur inhabituelle selon les pratiques actuelles, en France comme à l’étranger – ce qui fait de la revue un lieu pour exposer des recherches au long cours, des enquêtes approfondies et des réflexions de fond qui trouvent parfois difficilement leur place dans un paysage éditorial de plus en plus contraint.

30Ce choix est aussi une prise de position politique et intellectuelle. Grâce au soutien de l’EHESS et de ses Éditions et à la collaboration avec CUP, les Annales peuvent se livrer à ce travail éditorial attentif aux détails et continuer à défendre une certaine vision de la publication scientifique. Les choix éditoriaux de la revue n’empêchent pas, aujourd’hui, de s’interroger sur les manières de renouveler ses pratiques, en publiant par exemple des articles de taille différente, entre les longs essais de recherche et les comptes rendus, afin de proposer d’autres formes d’interventions, plus réactives aux circonstances et formellement plus diversifiées. Les Annales s’efforcent ainsi de préserver une exigence de qualité tout en s’inscrivant dans une histoire vivante. Plus encore que les déclarations d’intention, les articles publiés en sont, nous l’espérons, le meilleur témoignage. Reflets des échanges entre les autrices et les auteurs du monde entier et l’équipe de la rédaction et du comité, ils forment, bout à bout, ce que toute revue ambitionne d’être : une communauté d’écriture, de lecture et de savoir.

Figure 1 – Première page de l’article « Un collectif au travail », version soumise au comité, octobre 2020

Figure 1 – Première page de l’article « Un collectif au travail », version soumise au comité, octobre 2020

Figure 2 – Première page de l’article « Un collectif au travail », avant le début du travail éditorial, janvier 2021

Figure 2 – Première page de l’article « Un collectif au travail », avant le début du travail éditorial, janvier 2021

Figure 3 – Première page de l’article « Un collectif au travail », après relecture de la rédaction, mars-avril 2021

Figure 3 – Première page de l’article « Un collectif au travail », après relecture de la rédaction, mars-avril 2021

Figure 4 – Première page de l’article « Un collectif au travail », deuxièmes épreuves, juin 2021

Figure 4 – Première page de l’article « Un collectif au travail », deuxièmes épreuves, juin 2021


Date de mise en ligne : 25/08/2021

Notes

  • [1]
    Ces questions sont évoquées, dans ce numéro, par Colin Jones, « Les Annales et Past & Present : une histoire croisée », p. 693-707.
  • [2]
    La première dans cette fonction à avoir reçu une formation professionnelle dans le domaine de l’édition est Séverine Guiton, arrivée en 2007. Jusqu’à son départ en 2019, elle joue un rôle essentiel dans l’édition de la revue, aux côtés d’autres éditeurs et éditrices se succédant au sein de l’équipe (sans compter les remplacements ponctuels) : Pauline Labey, Juliette Sanson, Blaise Royer, Aurianne Cox, Livia Foraison (toujours présente, mais désormais en charge de la coordination et de la production en lien avec les Éditions) et, aujourd’hui, Sophie Muraccioli et Clémence Peyran. En 2010, le projet d’une édition bilingue, en français et en anglais, conduit à faire évoluer la structure de l’équipe éditoriale. Le départ de Françoise Sy, qui assurait le secrétariat de la rédaction, a été compensé par un recrutement sur un poste d’éditrice anglophone en 2012, au moment du lancement de l’édition anglaise. La fonction a d’abord été occupée par Angela Krieger, puis, à partir de 2015, par Chloe Morgan.
  • [3]
    Par ordre alphabétique, Étienne Anheim, Vincent Azoulay, Nicolas Barreyre, Romain Bertrand, André Burguière, Guillaume Calafat, Vanessa Caru, Jean-Yves Grenier, Catherine Rideau-Kikuchi, Camille Lefebvre, Antoine Lilti, Antonella Romano, Stephen W. Sawyer, Anne Simonin, Michael Werner, soit 10 hommes, 5 femmes, dont 8 anciens élèves des ENS, 11 agrégés, 12 ayant fait leurs études de premier cycle à Paris, 6 enseignant aujourd’hui à l’EHESS, 3 chercheuses au CNRS, un chercheur FNSP, 3 enseignants à l’Université et 2 retraités de l’EHESS, ayant entre 30 et 82 ans.
  • [4]
    Voir, dans le présent numéro, « Une revue en langues. Les défis d’une édition bilingue », p. 573-582.
  • [5]
    Voir l’éditorial in memoriam « Jacques Le Goff (1924-2014) », Annales HSS, 69-3, 2014, p. 599-601, ici p. 600, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.
  • [6]
    Pour le fac-similé d’une page d’un article à différentes phases de son travail éditorial, se reporter p. 551-554.

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