Notes
-
[1]
Gordon Wright, « Contemporary History », in C. F. Delzell (dir.), The Future of History, Nashville, Vanderbilt University Press, 1977, p. 226 et Pieter Lagrou, « De l’histoire du temps présent à l’histoire des autres. Comment une discipline critique devint complaisante », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 118-2, 2013, p. 101-119, ici p. 104.
-
[2]
Hendrik L. Wesseling, « The Annales School and the Writing of Contemporary History », Review (Fernand Braudel Center), 1-3/4, 1978, p. 185-194, ici p. 194.
-
[3]
G. Wright, « Contemporary History », art. cit. et P. Lagrou, « De l’histoire du temps présent… », art. cit.
-
[4]
Lucien Febvre, « ‘De 1892 à 1933. Examen de conscience d’une histoire et d’un historien.’ Leçon d’ouverture au Collège de France, 13 décembre 1933 », in Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, [1952] 1992, p. 3-17, ici p. 15. La citation intégrale est : « [L’historien] ne conserve pas le passé dans sa mémoire, comme les glaces du Nord conservent frigorifiés les mammouths millénaires. Il part du présent – et c’est à travers lui, toujours, qu’il connaît, qu’il interprète le passé. » Voir aussi Fernand Braudel, « Histoire et Sciences sociales. La longue durée », Annales ESC, 13-4, 1958, p. 725-753, ici p. 738 : « Lucien Febvre, durant les dix dernières années de sa vie, aura répété : ‘histoire science du passé, science du présent’ ».
-
[5]
Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Dunod, [1949] 2018, p. 94.
-
[6]
Ibid., p. 97.
-
[7]
Enrico Castelli Gattinara, Les inquiétudes de la raison. Épistémologie et histoire en France dans l’entre-deux-guerres, Paris, Vrin/Éd. de l’EHESS, 1998.
-
[8]
Thomas Hirsch, Le temps des sociétés. D’Émile Durkheim à Marc Bloch, Paris, Éd. de l’EHESS, 2016.
-
[9]
Henri Berr, cité par Lucien Febvre, « ‘L’histoire dans le monde en ruines.’ Leçon inaugurale à l’université de Strasbourg en 1920 », Revue de synthèse historique, 30-1, 1920, p. 1-15, ici p. 1.
-
[10]
André Burguière, « Histoire d’une histoire : la naissance des Annales », Annales ESC, 34-6, 1979, p. 1347-1359, ici p. 1354.
-
[11]
Marc Bloch, « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre », Revue de synthèse historique, 33-7, 1921, p. 13-35 ; id., Apologie pour l’histoire…, op. cit.
-
[12]
Id., Apologie pour l’histoire…, op. cit., p. 87. Ces propos sont à rapprocher de ce que Lucien Febvre écrira en 1946 : « ‘Nous autres civilisations, nous savons bien maintenant que nous sommes mortelles’ [La crise de l’esprit, 1919]. Cette phrase eut un grand retentissement que Paul Valéry écrivait à la fin des années 20 […]. Déjà au temps des Regards sur le monde actuel [1931], le problème n’est même pas de savoir si notre civilisation […] va mourir […]. Il est de savoir quelle civilisation s’établira demain sur ce monde nouveau qui déjà s’élabore au fond du creuset » (Lucien Febvre, « Face au vent. Manifeste des Annales nouvelles », Annales ESC, 1-1, 1946, p. 1-8, ici p. 2-3, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796).
-
[13]
Il s’agit des sous-titres de l’édition d’Apologie pour l’histoire faite par L. Febvre en 1949, non repris dans l’édition Dunod citée ici.
-
[14]
Bronislaw Geremek, « Marc Bloch, historien et résistant », Annales ESC, 45-1, 1986, p. 1091-1105, ici p. 1104 ; Marc Bloch, L’étrange défaite, Paris, Société des « Éditions Franc-Tireur », 1946.
-
[15]
Fernand Braudel, « L’identité française selon Fernand Braudel », Le Monde, 16 mars 2007.
-
[16]
Ce que Fernand Braudel, en 1964, dans un texte justement écrit dans la revue pour les vingt ans de la mort de Marc Bloch, fait entendre d’une certaine manière : « Considérer l’histoire comme une science sociale qui ne s’arrête pas devant l’actuel, mais le traverse de son besoin de savoir et de comprendre, telle a été l’une des leçons de Marc Bloch » (Fernand Braudel, « 1944-1963 : Marc Bloch », Annales ESC, 19-5, 1964, p. 833-834, ici p. 833).
-
[17]
« Lire un livre, on le sait bien, c’est le réécrire », selon le mot de Jean-Paul Sartre, « Écrire pour son époque », in Situations, t. 2, Septembre 1944-décembre 1946, Gallimard, [1946] 2012, p. 389-399, ici p. 395.
-
[18]
Voir L. Febvre, « ‘De 1892 à 1933. Examen de conscience d’une histoire et d’un historien’ », art. cit., p. 27 : « Entre disciplines proches ou lointaines, négocier perpétuellement des alliances nouvelles ; sur un même sujet concentrer en faisceau la lumière de plusieurs sciences hétérogènes : tâche primordiale, et de toutes celles qui s’imposent à une histoire impatiente des frontières et des cloisonnements, la plus pressante sans doute et la plus féconde. »
-
[19]
Pierre Nora, « Présent », in J. Le Goff (dir.), La nouvelle histoire, Paris, Retz-CEPL, 1978, p. 467-472, ici p. 471-472.
-
[20]
Hervé Coutau-Bégarie, Le phénomène « Nouvelle Histoire ». Stratégie et idéologie des nouveaux historiens, Paris, Economica, 1983, p. 167.
-
[21]
Laurent Douzou, La Résistance française : une histoire périlleuse. Essai d’historiographie, Paris, Éd. du Seuil, 2005.
-
[22]
François Bédarida, « Le temps présent et l’historiographie contemporaine », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 69-1, 2001, p. 153-160, ici p. 153-154.
-
[23]
Ibid., p. 154.
-
[24]
Yann Potin, « Histoire contemporaine », in Y. Potin et J.-F. Sirinelli (dir.), Générations historiennes xixe-xxiesiècle, CNRS Éditions, 2019, p. 557-580, ici p. 568-569.
-
[25]
François Furet, « Tocqueville est-il un historien de la Révolution française ? », Annales ESC, 25-2, 1970, p. 434-451 ; id., Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978. Voir l’article de Claude Lefort, « Penser la révolution dans la Révolution française », Annales ESC, 35-2, 1980, p. 334-352, ici p. 335 et, dans le même numéro, la note critique de Jean-Pierre Hirsch, « Pensons la Révolution française », Annales ESC, 35-2, 1980, p. 320-333, ici p. 331.
-
[26]
Jean-Clément Martin, « La Vendée et sa guerre, les logiques de l’événement » et Michael Sonenscher, « Les sans-culottes de l’an II. Repenser le langage du travail dans la France révolutionnaire », dossier « La Révolution française », Annales ESC, 40-5, 1985, respectivement p. 1067-1085 et 1087-1108 ; Dominique Julia, « La Révolution, l’Église et la France (note critique) » et Claude Langlois, « Les dérives vendéennes de l’imaginaire révolutionnaire », dossier « La Révolution française », Annales ESC, 43-3, 1988, respectivement p. 761-770 et 771-797 ; François Furet et Ran Halévi, « L’année 1789 » et Albert O. Hirschmann, « Deux cents ans de rhétorique réactionnaire : le cas de l’effet pervers », dossier « La Révolution française », Annales ESC, 44-1, 1989, respectivement p. 3-24 et 67-86 ; David R. Weir, « Les crises économiques et les origines de la Révolution française » et Jacques Guilhaumou, « Décrire la Révolution française. Les porte-parole et le moment républicain (1790-1793) », dossier « La Révolution française », Annales ESC, 46-4, 1991, respectivement p. 917-947 et 949-970 ; Michel Troper, « Sur l’usage des concepts juridiques en histoire » et François Furet, « Concepts juridiques et conjoncture révolutionnaire », dossier « Sur la révolution, un débat », Annales ESC, 47-6, 1992, respectivement p. 1171-1183 et 1185-1194.
-
[27]
Voir les dossiers « Culture de la Terreur », Annales HSS, 57-4, 2002, p. 851-964 et « Violences révolutionnaires », Annales HSS, 71-2, 2016, p. 319-378.
-
[28]
Le prisme national fut paradoxalement plus puissant dans les années 1980 que dans les années 1950. Voir Tom Stammers, « La mondialisation de la Révolution française (vers 1930-1960). Origines et éclipse d’un paradigme historiographique », Annales HSS, 74-2, 2019, p. 297-335.
-
[29]
Stephen W. Sawyer, « Ces nations façonnées par les empires et la globalisation. Réécrire le récit national du xixe siècle aujourd’hui », Annales HSS, 69-1, 2014, p. 117-137.
-
[30]
F. Braudel, « Histoire et Sciences sociales. La longue durée », art. cit., p. 746.
-
[31]
Ibid., p. 735.
-
[32]
Marcel Gauchet, « De l’avènement de l’individu à la découverte de la société (note critique) », Annales ESC, 34-3, 1979, p. 451-463.
-
[33]
Id., Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985.
-
[34]
Pierre Rosanvallon, Pour une histoire conceptuelle du politique, Paris, Éd. du Seuil, 2003 (publication de sa leçon inaugurale au Collège de France, donnée le 28 mars 2002). On note que Pierre Rosanvallon présente son projet d’histoire conceptuelle du politique comme une continuation directe du projet des Annales. Il mentionne d’abord le dialogue fondateur avec Émile Durkheim : « Rappelons que c’est exactement pour cette raison que les historiens des Annales ne s’intéressaient pas à la politique. Notons aussi que c’est pour le même motif que Durkheim n’avait pas considéré que la politique stricto sensu constituait un objet pertinent pour la sociologie » (p. 16). Il cite ensuite M. Bloch sur l’histoire présent : « l’incompréhension du présent naît fatalement de l’ignorance du passé » (p. 15). La même année, en 2002, P. Rosanvallon publie un article en anglais, qui reprend les thématiques de sa leçon inaugurale. Le projet de F. Braudel y est cité comme modèle : « En ce sens, l’histoire philosophique du politique constitue une tentative de donner une signification nouvelle au projet d’histoire totale de Fernand Braudel. » (Pierre Rosanvallon, « Towards a Philosophical History of the Political », in D. Castiglione et I. Hampsher-Monk [dir.], The History of Political Thought in National Context, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 189-203, republié dans id., Democracy Past and Future, éd. par S. Moyn, New York, Columbia University Press, 2006, p. 59-78, ici p. 65).
-
[35]
Étienne Anheim, Antoine Lilti et Stéphane Van Damme (dir.), no spécial « Histoire et philosophie », Annales HSS, 64-1, 2009.
-
[36]
Catherine König-Pralong, « L’histoire de la philosophie médiévale depuis 1950 : méthodes, textes, débats », É. Anheim, A. Lilti et S. Van Damme (dir.), no spécial « Histoire et philosophie », Annales HSS, 64-1, 2009, p. 143-169.
-
[37]
Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Éd. du Seuil, 1997 ; René Rémond (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Éd. du Seuil, 1988.
-
[38]
Voir les propos de Lucette Valensi, « Présence du passé, lenteur de l’histoire », L. Valensi (dir.), no spécial « Présence du passé, lenteur de l’histoire. Vichy, l’Occupation, les Juifs », Annales ESC, 48-3, 1993, p. 491-500, ici p. 493 : « De fait, l’école des Annales n’a jamais exercé de monopole sur l’histoire. »
-
[39]
Marc Ferro, « Ouverture », dossier « Fascisme, nazisme », Annales ESC, 43-3, 1988, p. 561-565, ici p. 561.
-
[40]
L. Valensi, « Présence du passé, lenteur de l’histoire », art. cit., p. 492.
-
[41]
Décédé en 1983, Raymond Aron ne participera pas à la publication des actes du colloque (1985).
-
[42]
L. Valensi, « Présence du passé, lenteur de l’histoire », art. cit., p. 493.
-
[43]
Philippe Burrin, La France à l’heure allemande. 1940-1944, Paris, Éd. du Seuil, [1995] 1997, p. 322-328.
-
[44]
Voir en particulier Peter Schöttler, « Marc Bloch et Lucien Febvre face à l’Allemagne nazie », no spécial « Le nazisme et les savants », Genèses, 21, 1995, p. 75-95 ; Marleen Wessel, « ‘Honneur ou Patrie ?’ Lucien Febvre et la question du sentiment national », Genèses, 25, 1996, p. 128-142, ici p. 133 ; Natalie Zemon Davis, « Censorship, Silence and Resistance: The Annales during the German Occupation of France », Historical Reflections/Réflexions Historiques, 24-2, 1998, p. 351-374 et Bertrand Müller, « Introduction », in M. Bloch et L. Febvre, Correspondance, t. 3, Les Annales en crise. 1938-1943, Paris, Fayard, 2003, p. xxviii-xxii.
-
[45]
Nicole Loraux, « Éloge de l’anachronisme en histoire », no spécial « L’ancien et le nouveau », Le genre humain, 27-1, 1993, p. 23-39 ; Jacques Rancière, « Le concept d’anachronisme et la vérité de l’historien », no spécial « Mensonges, vérités », L’Inactuel, 6, 1996, p. 53-68.
-
[46]
Lucien Febvre, Le problème de l’incroyance au xviesiècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, [1942] 1947, p. 32.
-
[47]
Id., « L’homme, la légende et l’œuvre. Sur Rabelais : ignorances fondamentales », Revue de synthèse, 1, 1931, p. 1-31 reproduit dans id., Combats pour l’histoire, op. cit., p. 247-263, ici p. 260. Voir Antoine Lilti, « Rabelais est-il notre contemporain ? Histoire intellectuelle et herméneutique critique », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 59-4 bis, 2012, p. 65-84.
-
[48]
Nelly Viallaneix, « Introduction », in S. Kierkegaard, La reprise, trad. par N. Viallaneix, Paris, Flammarion, [1843] 1990, p. 11-42, ici p. 16 et 19.
-
[49]
Fernand Braudel, Grammaire des civilisations, Paris, Arthaud/Flammarion, 1987, qui reprend la partie principale, des pages 143 à 475, du manuel de Suzanne Baille, Fernand Braudel et Robert Philippe, Le monde actuel, histoire et civilisation, Paris, Belin, 1963.
-
[50]
Voir l’article de Richard Cobb, initialement un compte rendu anonyme de l’ouvrage de François Furet et Denis Richet, La Révolution française, Paris, Fayard, 1988, paru dans le Times Literary Supplement, le 8 septembre 1966, sous le titre « Annalists’ Revolution ». C’est lors de sa republication dans un recueil d’articles, Richard Cobb, A Second Identity: Essays on France and French History, Londres, Oxford University Press, 1969, que le titre « Nous des Annales » apparaît, de même qu’est dévoilé un secret de polichinelle : le nom de l’auteur. On peut utilement consulter la notice très informée de Julien Louvier qui, en 2006, a traduit l’article et l’a mis en ligne (https://revolution-francaise.net/2006/06/01/42-nous-des-annales-richard-cobb-times-literary-supplement-1966).
-
[51]
Mot rapporté par André Burguière.
-
[52]
Patrick Boucheron, « ‘Toute littérature est assaut contre la frontière.’ Note sur les embarras historiens d’une rentrée littéraire », Annales HSS, 65-2, 2010, p. 411-467, ici p. 462.
-
[53]
François Hartog et Jacques Revel (dir.), Les usages politiques du passé, Paris, Éd. de l’EHESS, 2001 ; Jacques Revel, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Éd. du Seuil, 2003.
-
[54]
Gérard Lenclud, « Traversées dans le temps », Annales HSS, 61-5, 2006, p. 1053-1084 ; Alexandre Escudier, « ‘Temporalisation’ et modernité politique : penser avec Koselleck », Annales HSS, 64-6, 2009, p. 1269-1301.
-
[55]
Étienne Anheim, Jean-Yves Grenier et Antoine Lilti, « Repenser les statuts sociaux », É. Anheim, J.-Y. Grenier et A. Lilti (dir.), no spécial « Statuts sociaux », Annales HSS, 68-4, 2013, p. 949-953. On pourrait également citer : no spécial « Médecine », Annales HSS, 65-1, 2010, qui propose des papiers traitant des urines médiévales, des rêves renaissants dans l’Allemagne du xvie siècle, de l’industrie du tabac britannique ou de la médecine coloniale au Cameroun dans les années 1950 ; Alice Ingold (dir.), no spécial « Environnement », Annales HSS, 66-1, 2011, articulant les sujets des déboisements de la Méditerranée antique et de l’hydraulique de la Chine ancienne aux débats juridiques contemporains sur les « catégories de la nature » ou au militantisme qui réinvestit Seveso, lieu d’une catastrophe industrielle en 1976 ; no spécial « Politique en Grèce ancienne », Annales HSS, 69-3, 2014, qui, de même, tente de montrer comment les concepts politiques contemporains sont le résultat d’un héritage historiographique ancien, en soulignant également la façon dont les questions de la démocratie moderne informent notre perception du monde grec ; Karine Karila-Cohenet al., no spécial « Histoire quantitative », Annales HSS, 73-4, 2018, p. 771-783, dans lequel les autrices étudient les élites athéniennes, les réseaux aristocratiques carolingiens, l’histoire du travail au tournant de l’Ancien Régime et du xixe siècle et les persécutions contre les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
-
[56]
Voir, dans le présent numéro, « Le temps du récit. Histoire, fiction, littérature », p. 447-463.
-
[57]
Marc Bloch, Les rois thaumaturges, Strasbourg, Istra, 1924 ; id., La société féodale, Paris, Albin Michel, 2 vol., 1939-1940 ; Lucien Febvre, Le problème de l’incroyance au xviesiècle, op. cit. ; Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949 ; Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1975 ; Jacques Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996.
-
[58]
Thomas Piketty, Le capital au xxiesiècle, Paris, Éd. du Seuil, 2013 ; dossier « Lire Le capital de Thomas Piketty », Annales HSS, 70-1, 2015, p. 5-138.
-
[59]
Morten Jerven, Africa: Why Economists Get It Wrong, Londres, Zed Books, 2015 ; Denis Cogneau, « Histoire économique de l’Afrique : renaissance ou trompe l’œil ? », Annales HSS, 71-4, 2016, p. 879-896.
-
[60]
François Dosse, « À l’école des Annales, une règle : l’ouverture disciplinaire », Hermès. La revue, 67-3, 2013, p. 106-112, ici p. 106.
-
[61]
Voir les dossiers « Nouveaux historiens israéliens », Annales HSS, 59-1, 2004, p. 143-193 et « Histoire palestinienne », Annales HSS, 60-1, 2005, p. 35-126.
-
[62]
Voir le dossier « Recherche historique et enseignement secondaire », Annales HSS, 70-1, 2015, p. 141-214.
-
[63]
Voir les dossiers « Penser la crise des banlieues », Annales HSS, 61-4, 2006, p. 755-859 ; « Histoire sociale et identités raciales », Annales HSS, 64-6, 2009, p. 1305-1386 et les articles de Sylvie Thénault, « L’OAS à Alger en 1962. Histoire d’une violence terroriste et de ses agents », Annales HSS, 63-5, 2008, p. 977-1001 ; Jean-Louis Georget, « De la nation aux politiques mémorielles : réflexions sur les bouleversements de l’historiographie allemande et la possibilité d’une histoire européenne de l’Allemagne », Allemagne d’aujourd’hui, 211-1, 2015, p. 10-19.
-
[64]
Georges Didi-Huberman, « Ouvrir les camps, fermer les yeux », Annales HSS, 61-5, 2006, p. 1011-1049 ; Marc Olivier Baruch, « Anthropologie historique d’un massacre d’État », Annales HSS, 62-4, 2007, p. 839-852 ; Boris Gobille, « L’événement Mai 68. Pour une sociohistoire du temps court », Annales HSS, 63-2, 2008, p. 321-349.
-
[65]
Larissa Zakharova (dir.), no spécial « Le quotidien du communisme », Annales HSS, 68-2, 2013 et dossier « Écrire l’histoire de l’islam moderne et contemporain », Annales HSS, 73-2, 2018, p. 311-439.
1LesAnnalessont-elles une revue du présent ? La question peut sembler paradoxale. Fondée par un médiéviste et un moderniste, engagée dans une réflexion sur la longue durée, la revue a la réputation d’être peu tournée vers le contemporain. Or les chiffres sont là : le post-1815 (le contemporain, au sens de la périodisation classique du terme), toutes disciplines confondues, représente la moitié des articles publiés depuis 1990. Doit-on en conclure, pour autant, que non seulement les Annales ne sont pas cet ennemi déclaré du contemporain qu’une certaine historiographie a fait d’elles [1], mais qu’elles sont aussi une revue d’histoire contemporaine ?
2Dissipons immédiatement tout malentendu : revue du contemporain, les Annales ne sont pas une revue d’histoire contemporaine, même si, comme le remarquait Hendrik L. Wesseling en 1978, « l’histoire contemporaine ne saurait aujourd’hui être écrite sans les Annales [2] ». Mais de quelle histoire s’agit-il ? De l’histoire post-1815, comme le veut la périodisation institutionnelle dans l’enseignement français secondaire et supérieur [3] – l’histoire « contemporaine » ainsi définie étant inconnue outre-Manche et outre-Atlantique ? Ou d’une certaine idée de l’histoire indissociable de l’analyse du rapport au présent qu’entretient l’historien ? Si les Annales s’intéressent au contemporain, c’est parce que ce qualificatif recouvre non pas une période mais un problème central du métier d’historien.
3La réflexion sur la temporalité est, depuis l’origine de la revue, un sujet de préoccupation constant qui n’a toutefois jamais fait l’objet d’une théorisation aboutie, les Annales se trouvant riches d’heureuses formules léguées par leurs fondateurs. Lucien Febvre écrit ainsi : l’historien « part du présent – et c’est à travers lui, toujours, qu’il connaît, qu’il interprète le passé [4] ». Quant à Marc Bloch, il invite à « comprendre le passé par le présent » grâce à « un contact perpétuel avec l’aujourd’hui » [5] : comment, sinon, l’historien pourrait-il appliquer la « méthode régressive » et dérouler la bobine des événements « en sens inverse des prises de vues » [6] ?
4Plutôt que du contemporain au sens classique, français et institutionnel du terme (le post-1815), c’est donc du présent que parlent les Annales, un temps de l’histoire réinventé par leurs fondateurs, au croisement d’une double perspective : celle de la chronologie longue et celle du national. En effet, si déployer certains problèmes, comme celui de la documentation ou de l’écriture de l’histoire, conduit à remonter aux débats des années 1970, il est en revanche indispensable de porter le regard jusque dans l’entre-deux-guerres pour comprendre le lien entre les Annales et la temporalité. Et si le positionnement international de la revue configure la réflexion actuelle sur les échelles du monde, la pensée sur le présent porte l’empreinte historiographique et politique du national dès lors qu’à travers elle est interrogée la place de l’historien et de la discipline historique dans la Cité.
Héritage
5Le rapport au présent de M. Bloch et de L. Febvre, sur lequel se fonde la revue, s’inscrit à la croisée de deux grandes problématiques de leur époque. La première est celle d’une philosophie de la perception du temps, telle qu’Henri Bergson la développe en opposant temps objectif et durée subjective, dont, comme l’a montré Enrico Castelli Gattinara [7], les Annales cherchent alors à se distinguer tout en en réintégrant les apports. Néanmoins, au lieu de faire du présent le propre de la conscience individuelle, l’attention des Annales à la sociologie d’Émile Durkheim et, surtout, le compagnonnage avec Maurice Halbwachs, mis en évidence par Thomas Hirsch [8], ont permis à la revue de proposer une conception à la fois culturelle et sociale de la temporalité, qui s’applique aussi bien à ce dont parle l’historien qu’au lieu depuis lequel il parle. Le lien si essentiel, dès l’origine de la revue, entre passé et présent est ainsi un choix épistémologique qui induit un rapport spécifique à la temporalité et à la philosophie de l’histoire – L. Febvre est de ceux, dira Henri Berr, qui s’efforce de « rendre le travail historique conscient [9] ». Face à l’ombre de la guerre et à l’urgence de la crise, ce lien au présent est aussi un choix politique : s’il n’est d’histoire que du présent, c’est d’abord parce que l’historien est de son temps, et entend le comprendre et donc le vivre intensément en choisissant de faire de l’histoire. Acquitter une impossible dette envers les morts et expliciter l’influence du passé, c’est aussi cela, faire de l’histoire hic et nunc pour L. Febvre et M. Bloch, soucieux de réconcilier l’historien avec cette notion toujours invoquée mais jamais précisément définie : la « vie ». André Burguière rappelle ainsi :
Jusqu’en 1939, le tiers et, certaines années plus de la moitié des articles que publient les Annales portent sur le temps présent. Il s’agit d’abord bien sûr de la Crise, phénomène majeur et planétaire, que la revue évoque en permanence et sous toutes ses formes […]. Mais l’expérience Roosevelt, l’émergence du nazisme, la planification soviétique font aussi l’objet d’analyses presque immédiates [10].
7Cette proportion est d’ailleurs bien supérieure à celles des autres revues d’histoire en France, qu’il s’agisse de la Revue historique, de la Revue d’histoire moderne ou de la Revue de synthèse, pour ne rien dire de la Bibliothèque de l’École des Chartes. L’alliance revendiquée par les Annales avec l’économie doit être replacée dans ce contexte : il s’agit moins de choisir l’économie parce qu’elle serait déterminante en dernière instance ou qu’elle gouvernerait le monde moderne que parce que la discipline, située au cœur de la crise scientifique et politique de l’entre-deux-guerres, est aussi celle qui permet de scruter le plus intensément le monde actuel. L’adjectif n’est pas neutre. Il est emprunté à l’un des adversaires, mais aussi l’un des inspirateurs, des Annales, Paul Valéry, très critique vis-à-vis de la discipline savante dans Regards sur le monde actuel (1931), ouvrage profondément marqué par la présence de l’histoire dans le monde. Se déterminer par rapport à P. Valéry, ce n’est pas seulement poser la question de l’état de la science historique ; c’est aussi s’interroger sur la place de l’histoire dans le présent et revendiquer celle-ci comme une science de l’« actuel ». Quand, en 1921, le médiéviste M. Bloch publie ses « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre », il signe, par anticipation, le premier texte d’histoire du temps présent, vingt ans avant d’en élaborer la théorie dans Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien (1949), texte rédigé entre 1940 et 1943 [11].
8À P. Valéry, M. Bloch oppose désormais Jules Michelet : « ‘Celui qui voudra s’en tenir au présent, à l’actuel, ne comprendra pas l’actuel’, écrivait, au siècle dernier, Michelet, en tête de ce beau livre du Peuple [1848], tout plein pourtant des fièvres du moment [12]. » C’est alors, projeté chez J. Michelet, le nouage de la politique et de l’épistémologie qui s’opère : l’actuel, ce qui est en acte au présent, ce qui passe de la puissance à la réalité, c’est le passé encore et toujours actif. M. Bloch met en garde contre l’illusion de distinguer un passé révolu et dévolu à l’histoire d’un présent qui en serait définitivement séparé et dont la connaissance serait l’apanage des seules sciences sociales. « Comprendre le présent par le passé » et « comprendre le passé par le présent » [13] : cette double hélice constitue l’histoire en science sociale. C’est elle qui est à l’œuvre dans L’étrange défaite, rédigé en 1940-1941 et publié de façon posthume en 1946, que Bronislaw Geremek considère comme « le modèle d’un livre sur le temps présent [14] », mais aussi, d’une manière sans doute plus ambiguë quoique non moins significative, dans L’identité de la France (1986), dont le projet, écrit Fernand Braudel, est celui d’une « France vivante [qui] se retourne vers l’histoire et vers son passé pour avoir des renseignements sur elle-même […], car le passé intervient dans le présent, le ‘brûle’ [15] ». C’est justement cet accord du temps présent avec le temps passé qui représenterait pour F. Braudel l’identité parfaite, laquelle n’existe pas. Que ce dernier soit le symbole d’une longue durée de principe hostile au contemporain ne signifie pas, ou ne devrait pas signifier, qu’il n’est pas un historien du présent.
9La diversité des catégories – contemporain, présent, actuel et autres – recouvre donc une distinction essentielle : celle qui existe entre un objet historiographique (le contemporain comme période, dotée d’un certain nombre de caractéristiques) et une démarche intellectuelle (le contemporain comme problème de l’écriture de l’histoire, fût-elle celle des périodes les plus reculées [16]). Si le contemporain-période occupe, contrairement aux idées reçues, une place centrale dans les sommaires des Annales, c’est toutefois le contemporain-problème, qui sous-tend la démarche scientifique d’une histoire de l’actuel, que l’on retrouve au cœur du projet intellectuel de la revue, et ce depuis l’origine.
10Il reste cependant à comprendre comment le tournant critique a accentué l’importance du présent aux Annales – pour des raisons autres qu’un effet de rattrapage face aux succès, de librairie et universitaire, remportés par l’histoire contemporaine. Depuis les années 1990, la revue a reconstruit une réflexion sur le présent et sur le politique qui, pour avoir été insuffisamment explicitée, n’en constitue pas moins, à nouveau, l’horizon de sa méthode historiographique et de son projet épistémologique. Le présent a, idéalement ou asymptotiquement, vocation à éclairer tous les articles que publient les Annales. C’est la réinstauration de cette temporalité de l’histoire que l’on voudrait ici questionner, en sachant d’emblée que cette « reprise » de l’impératif du présent héritée des fondateurs ne recouvre pas, en réalité, la pratique éditoriale concrète de la revue dans sa totalité.
11En confrontant la catégorie de « présent » à des événements (la Révolution française) ou à des séquences (le xixe siècle) du passé, on invite ici à une relecture, donc à une réécriture [17], de l’histoire des Annales à partir des sommaires de la revue. On insistera plus particulièrement sur les liens entre passé et présent permettant de rendre compte de l’augmentation des pages consacrées à l’époque contemporaine, afin d’en réinterpréter et d’en actualiser le sens indissociablement politique et épistémologique.
Équivoques
12Le présent aux Annales ne se définit pas par des dates, on l’a dit : « présent » ne désigne pas le temps très récent de la discipline historique. Le présent des Annales est un espace aux frontières en perpétuel mouvement puisque configurées, et ce dès 1929, par la situation de l’historien ou de l’historienne et par l’échange privilégié qu’il ou elle entretient avec telles ou telles autres disciplines des sciences sociales [18]. Ce « présent » s’inscrit dans la durée, moyenne ou longue : il n’existe qu’en fonction et en rapport avec un « passé », parfois très ancien. Et si cette tension essentielle est repensée de différentes manières au cours de l’histoire de la revue, elle n’a jamais disparu, mais s’est plutôt renforcée.
13Ce présent est politique dans un sens très différent, voire opposé, à celui de l’histoire « politique » qui a traditionnellement dominé l’histoire contemporaine (au sens disciplinaire). C’est peut-être sur ce dernier point que l’incompréhension est la plus forte. De l’aversion théorisée des Annales pour une certaine histoire politique – qu’on la nomme histoire-historisante chez M. Bloch et L. Febvre, histoire à idoles chez François Simiand et les durkheimiens, histoire positiviste « attachée à une problématique retardataire » chez Pierre Nora [19] –, on a (un peu vite) déduit la détestation de la revue pour le contemporain. Dans le paysage des revues d’histoire françaises, il n’existe pourtant guère de revue scientifique qui, dès sa fondation et sans discontinuer, a tenu un discours plus articulé politiquement sur l’importance de l’histoire et des sciences sociales pour penser et agir dans le temps présent. Malgré ces affirmations, la distance relative prise à l’égard du contemporain-période à l’époque de F. Braudel et dans les années 1970 reste à l’origine d’un profond malentendu historiographique, lié à des enjeux institutionnels autant qu’intellectuels. La longue durée avait pourtant une signification sociale et politique : celle d’un rapport particulier au passé à mettre en valeur, d’une discipline historique qui devenait comme un contrepoint à la modernité des Trente Glorieuses. L’on pouvait néanmoins lire, au début des années 1980 : « Les héritiers de Marc Bloch et de Lucien Febvre n’ont pas su préserver cette part de l’héritage [l’attention au présent] [20]. »
14Faute de l’avoir théorisée, l’histoire du présent, sur laquelle les Annales auraient dû apposer leur sceau – M. Bloch est l’auteur du livre inaugural en la matière ; L. Febvre est l’un des acteurs centraux de l’institutionnalisation de l’histoire du présent aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale [21] –, échappe à la revue. La réintégration du contemporain dans le territoire de l’historien s’accomplit, dans l’historiographie française, hors des Annales, au moment où l’offensive institutionnelle des tenants de l’histoire politique est couronnée de succès : « À l’époque […] de la création de l’Institut d’histoire du temps présent [1978], rapporte François Bédarida, Ernest Labrousse, toujours attentif à la marche de la discipline, m’avait dit : ‘Cela marque une date dans l’historiographie française’ [22]. » Cette date correspond aussi à la captation du « présent » au profit de la seule histoire du « temps présent ». F. Bédarida continue ainsi :
Sur le plan de la terminologie, si le terme d’histoire du temps présent l’a emporté sur celui concurrent d’histoire immédiate […] [et sur] l’expression d’histoire contemporaine, sémantiquement la plus juste, [c’est parce que cette dernière] souffrait d’une ambiguïté rédhibitoire puisque depuis des générations les programmes d’enseignement du secondaire et du supérieur la faisaient commencer avec la Révolution française, en sorte que le terme avait perdu de plus en plus son sens originel à mesure que la durée de cette histoire s’allongeait et que l’on se trouvait séparé de près de deux siècles de 1789 [23].
16Afin d’ancrer l’histoire du temps présent dans l’après-1815 pour les programmes d’enseignement de l’histoire et dans l’après-1940 concernant la recherche, l’Université et les médias, l’histoire contemporaine devient donc, dans les années 1970, histoire d’un temps présent décroché de la période révolutionnaire (où, ne l’oublions pas, cette forme d’histoire est pourtant née [24]). Les Annales n’ont pas disputé, au sens de mis en débat et contesté, cette appropriation de la catégorie « présent » : ainsi conçu, le présent n’intéressait pas la revue. Hormis le mot, du présent des Annales au temps présent, il n’y avait rien, ou si peu, en commun. Reste que si les Annales pouvaient continuer de faire, comme elles l’avaient toujours fait, de l’histoire du présent, elles ne pouvaient plus prétendre être le lieu où se forgeait la notion de contemporain et où s’élaborait l’histoire du temps présent.
17Plusieurs facteurs expliquent le durcissement de catégories (présent, histoire immédiate, histoire contemporaine) labiles jusqu’au début des années 1980. L’ombre élargie de la Seconde Guerre mondiale et ses suites a institué cet événement comme l’origine du présent des sociétés démocratiques et libérales occidentales, obligées de reconsidérer leur impensé mortifère et d’analyser l’ensemble de leurs mécanismes d’exclusion. Le caractère massif et la gravité des questions portées par la Seconde Guerre mondiale ont, de fait, raccourci l’échelle des temporalités du contemporain. Le fléchage des postes, à l’Université, à Sciences Po et au Centre national de la recherche scientifique, a constitué un corps de spécialistes qui a érigé le post-1940 en frontière de l’histoire contemporaine. La Révolution française a alors été rangée sur l’étagère de l’histoire « moderne », appellation dont l’équivocité permettait d’échapper au reproche de conservatisme et de masquer la réalité de ce que la Révolution était devenue dans l’histoire contemporaine des années 1980 : le Moyen Âge du présent. Si cette reconfiguration de l’histoire contemporaine dans les frontières temporelles du post-1940 a produit un sujet – la mémoire – et inventé une source – le témoignage oral –, elle a aussi renforcé la dimension traditionnelle de l’histoire en substituant à un problème irrésolu (le statut du présent dans la réflexion de l’historien) le fétiche d’une périodisation : les sujets sont redevenus contemporains par leur date, non par leur construction.
Carrefours
18Les Annales sont restées à l’écart de ce réaménagement de la temporalité historiographique et ont maintenu une ligne qui n’a alors eu que peu de visibilité, sans doute faute de débouché institutionnel majeur. Les sommaires de la revue l’attestent : la revue n’a jamais souscrit à la liquidation de la période révolutionnaire comme moment de formation ou matrice du contemporain. Le maintien de ce lien emblématique avec la Révolution a également contribué à l’ancrage, propre à l’histoire de France, de la longue durée et à son ouverture internationale : une majorité des textes publiés sur la Révolution depuis vingt ans n’a pas été écrite par des Français, même si leur préoccupation principale reste la Révolution française en France. Dans les années 1970-1980, les Annales ont donc continué de défendre théoriquement le bien-fondé historique d’une périodisation alternative à celle d’une histoire contemporaine post-1940, non pour contester la pertinence du découpage chronologique, mais pour problématiser la temporalité du présent à partir de certains points de rupture historiographiques – ce que montre l’exemple du traitement de la Révolution et du xixe siècle comme entrées dans un nouveau « régime d’historicité », au sens de Reinhart Koselleck et de François Hartog, qui définit à la fois la vie des sociétés et l’historiographie qu’elles produisent.
19La revue s’est efforcée de promouvoir une lecture plurielle de la Révolution, et ce dès l’article de François Furet sur Tocqueville, en 1970 – l’un des chapitres phares de son futur Penser la Révolution française (1978), dans lequel Claude Lefort devait lire la « réouverture » de l’histoire Annales à la « réflexion politique » (et non pas à l’histoire politique). La note (très) critique de Jean-Pierre Hirsch y voyait, elle, le retour vers un présent dominé par la problématique de l’anti-totalitarisme et la centralité des droits de l’homme : les allusions de F. Furet au goulag ou à la situation des intellectuels dans la France contemporaine, qu’on les approuve ou pas, attestaient que le livre était « riche des questions de notre présent » [25]. Ce rapport de la revue avec la Révolution française, tourmenté mais ininterrompu, ne s’est jamais démenti. La Révolution est demeurée l’événement indétrônable pour problématiser le présent et donc penser le contemporain d’une manière qui puisse être saisie par les Annales – et non pas simplement comme une catégorie donnée et objective, déterminée par des bornes chronologiques.
20Au cœur de cette problématisation se trouve la primauté du politique en tant que force historique définissant le contemporain. Ainsi, la période qu’ouvre la Révolution, au xviiie siècle, se distingue d’autres périodes par le fait que toute relation sociale, tout rapport de force, toute forme de pouvoir résulte alors du rapport de la société avec elle-même. Ce rapport totalisant avec le politique qu’instaure la Révolution française était impensable avant elle et la période contemporaine qu’elle inaugure. Enchevêtrant, au moment de la Terreur de l’an II, voire depuis l’origine, la question de la démocratie (réflexivité, représentativité) et celle à venir du totalitarisme (anti-droits de l’homme, transparence, culte de l’Un réunifié), la Révolution française est demeurée aux Annales un moment pivot pour appréhender et comprendre le contemporain. Elle est devenue le socle d’un renouveau de l’histoire du politique accomplie par des auteurs qui, s’ils ne sont pas à proprement parler des auteurs des Annales, sont, à l’époque, intellectuellement proches d’elles (Marcel Gauchet, Claude Lefort, Pierre Rosanvallon). Ainsi les Annales, en maintenant actif le potentiel heuristique de la Révolution, ont-elles été non pas le principal promoteur de l’anti-totalitarisme, mais l’un des plus sûrs relais de la pensée anti-totalitaire dans l’historiographie portée par le tournant critique.
21La succession de dossiers consacrés à la Révolution en fait le thème le plus fréquent de la décennie 1980 : en 1985, en particulier Jean-Clément Martin et Michael Sonenscher ; en 1988, Dominique Julia et Claude Langlois ; en 1989, le dossier consacré à la rhétorique réactionnaire s’ouvre par une contribution de F. Furet et de Ran Halévi, parachevée par Albert O. Hirschmann ; en 1991, David R. Weir et Jacques Guilhaumou réinterrogent la Révolution au prisme de l’histoire économique et comme événement discursif. Enfin, en guise de clôture provisoire de la séquence, la revue se fait l’écho, en 1992, de la controverse entre Michel Troper et F. Furet, toujours, sur l’interprétation de la Constitution de 1791, une controverse qui dépasse largement son objet initial puisqu’elle oppose, en réalité, les points de vue du juriste et de l’historien et solde le divorce entre droit et histoire [26].
22La rémanence de ces débats – qui se poursuivent jusqu’à aujourd’hui, de l’important dossier de 2002 sur la culture de la Terreur au dossier sur les violences révolutionnaires de 2016 [27] – témoigne que la Révolution demeure, dans une historiographie marquée par l’expérience française mais déprise de la préférence nationale [28], l’un des lieux alternatifs à la Seconde Guerre mondiale pour penser le rapport entre histoire, politique et présent. Sans doute cette actualité n’a-t-elle jamais été aussi forte que dans la France des années 1980, quand la Révolution, à l’instar des guerres de religion dans le Languedoc du début du xxe siècle chez M. Bloch, est revenue hanter le présent de la France, avec le déchaînement des passions et des controverses suscitées par le Bicentenaire – ce qui rappelle aussi que l’historiographie peut être un bon sismographe des passions du présent.
23La Révolution n’est cependant pas le seul lieu d’actualisation du passé, comme le montre Stephen Sawyer dans une note critique de 2014 à propos de la réécriture du récit national du xixe siècle à aujourd’hui [29]. En effet, étroitement lié à la Révolution, le xixe siècle occupe également une place singulière dans le contemporain des Annales. Une fois encore, il convient d’enjamber la barrière des années 1990 pour comprendre la logique de cette situation historiographique, sur laquelle plane l’ombre de F. Braudel et sa contribution au renouvellement de la notion de présent aux Annales. En vue d’éviter le piège du temps bref de l’immédiateté de l’événement, tout en maintenant le présent dans le bouleversement historiographique et la temporalité de la longue durée, F. Braudel reprend la notion d’actuel :
Si je fabriquais un modèle à partir de l’actuel, j’aimerais le replacer aussitôt dans la réalité, puis le faire remonter dans le temps, si possible, jusqu’à sa naissance. Après quoi, je supputerais sa vie probable, jusqu’à la prochaine rupture, d’après le mouvement concomitant d’autres réalités sociales. À moins que, m’en servant comme d’un modèle de comparaison, je ne le promène dans le temps ou l’espace, à la recherche d’autres réalités capables de s’éclairer grâce à lui d’un jour nouveau [30].
25Il ajoute : « Chaque ‘actualité’ rassemble des mouvements d’origine, de rythme différent : le temps d’aujourd’hui date à la fois d’hier, d’avant-hier, de jadis [31]. » L’actuel de la Révolution aux Annales, ce présent de moyenne durée, sera le xixe siècle.
26Seuil décisif pour le capitalisme de F. Braudel comme pour le « long Moyen Âge » de Jacques Le Goff, le xixe siècle est aussi le moment qui voit se conjoindre le temps court de l’événement et celui du politique. Cette union, qui n’est pas sans rapport avec l’héritage de J. Michelet, est restée en partie impensée dans la revue, qui lorgnait davantage du côté de Maurice Agulhon que de celui du projet d’histoire du politique, construit à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), dans le prolongement de Raymond Aron. La réflexion avait pourtant été amorcée dans la revue par une courte mais essentielle note critique de M. Gauchet, en 1979, sur Louis Dumont [32]. Il s’agissait, à travers l’œuvre de ce dernier, de dépasser les apories de l’opposition entre F. Braudel et Claude Lévi-Strauss, crispée autour du rapport conflictuel de l’histoire et de l’anthropologie structuraliste. Le rapport de l’individu et de la structure est redéfini par M. Gauchet en tant que problème de l’invention de l’individu moderne au cours d’un xixe siècle qui se révèle être un moment charnière. Le xixe siècle se présente alors comme ce moment décisif où le politique (qui en est l’expression conceptuelle) devient la clef de voûte de l’organisation sociale. Le politique peut ainsi devenir le lieu de construction d’une nouvelle « histoire totale », au sens de J. Le Goff, étroitement liée à une histoire de la modernité, de la démocratie et de ce que M. Gauchet appelle le « désenchantement du monde » [33]. Cette proposition reprenait donc des éléments fondamentaux des Annales des années 1970 – l’ambition totalisante et l’anthropologie historique –, en les intégrant dans un nouveau programme orienté vers un politique devenu déterminant à partir du xixe siècle en vue d’élaborer une anthropologie historique du politique.
27Alors que P. Rosanvallon, dans sa leçon inaugurale du Collège de France, en 2002, explicitait la parenté avec les Annales d’un projet où le politique constituait le point de vue à partir duquel intégrer l’anthropologie et la sociologie et construire une vision totalisante et problématisée de l’histoire contemporaine [34], le débat, cette fois encore, devait rester largement extérieur à la revue – et ce pour des raisons qui tiennent en partie à la surdétermination politique du champ de l’histoire et des sciences sociales en France dans les années 1980, à des rapports de force internes à l’EHESS et, avant tout, à des obstacles méthodologiques propres à l’outillage conceptuel des Annales. La conception, traditionnellement à l’œuvre dans la revue et renouvelée par le tournant critique, d’une histoire sociale peu sensible à l’histoire proprement intellectuelle a ainsi joué un rôle important dans cette mise à distance d’une nouvelle histoire du politique.
28Les Annales, en position centrale du point de vue de la notoriété et des abonnements dans l’espace francophone, voient alors certains de leurs questionnements historiques réinvestis de l’extérieur par de nouvelles publications visant un public plus large comme, au début des années 1980, Le Débat, qui cherche à faire renouer les sciences sociales avec un public de non-spécialistes. On trouve, dans les décennies suivantes, d’autres moments de cette « réinterprétation » des problématiques nées de la revue, par exemple avec Genèses au début des années 1990, qui pose, à nouveaux frais, la question de l’histoire et des sciences sociales ou encore Enquête, au début des années 2000, qui accueille les textes de certains membres de la revue, dans une perspective plus méthodologique et épistémologique. Cette diffraction des questionnements des Annales dans d’autres lieux de publication participe d’une histoire sociale et intellectuelle de l’historiographie française et de ses formes éditoriales caractéristiques de la période qui se trouve de part et d’autre du tournant critique.
29Une partie du travail effectué dans les Annales depuis les années 2000 consiste, au contraire, à tenter de réintégrer ces débats au cœur même de la revue. C’est vrai, en général, pour ce qui concerne la place nouvelle donnée à l’histoire intellectuelle sous ses différentes formes et dont témoigne, notamment, le numéro spécial consacré à la philosophie [35], parmi lesquelles certaines contributions, comme celle de Catherine König-Pralong [36], peuvent être entendues comme un écho du débat historiographique et politique manqué des années 1980-1990. C’est tout aussi vrai de l’actualisation d’un présent dont la Révolution et le xixe siècle demeurent des ancrages fondamentaux – et comment pourrait-il en être autrement, dès lors que les problèmes centraux de ces moments historiques et historiographiques clefs (empire, genre, identités, révolution, etc.) sont encore les nôtres ? Reste que le curseur s’est déplacé, et que le présent des Annales s’est enrichi des questions soulevées par une nouvelle rupture : celle de l’année 1989-1990, où s’entrelacent l’actualité de la revue (le tournant critique), la mémoire du présent historique (le Bicentenaire de la Révolution) et l’histoire monde du contemporain (la chute du mur de Berlin et l’explosion du monde soviétique).
30Si, entre la fin des années 1970 et la fin des années 2000, la place du contemporain, en tant que période chronologique, a doublé dans les Annales, c’est entre 1990 et 1993 que le contemporain-période dépasse, en termes quantitatifs, l’époque moderne dans les sommaires de la revue. Il s’agit probablement d’une des transformations majeures de la revue du « tournant critique » – même si ce n’est pas celle qui a le plus retenu l’attention de celles et ceux qui l’ont accompli comme de ses détracteurs.
Présent vs contemporain
31Cette évolution des Annales correspond à ce que l’on peut considérer comme un choix tacite, car demeuré informulé, alors même que se fait jour un intérêt nouveau pour les travaux qui relèvent de la contemporanéité et que, à partir du début des années 1990, les interrogations politiques investissent les sommaires de la revue – les articles touchant des thématiques qu’on appellera ici « politiques », toutes périodes confondues, représentant plus du tiers des publications. Pour autant, peut-on parler d’« histoire politique » aux Annales, au sens classique, qui désigne en priorité, même en intégrant une dimension sociale ou culturelle, le jeu des institutions ? Probablement pas : une analyse qualitative montre que, dans la revue, le politique croise deux approches. L’une, verticale, relève de ce que l’on pourrait appeler une « histoire des pouvoirs », qui mêle la tradition des sciences sociales à une interrogation sur les formes de domination et de stratification des sociétés. L’autre, plus horizontale, s’appuie sur l’histoire sociale et la socio-anthropologie pour réfléchir aux formes de construction des collectifs et de leur action. C’est au point de rencontre entre cette histoire des pouvoirs et cette histoire des collectifs que se situe sans doute la spécificité de l’histoire « politique » aux Annales. En somme, il s’agit d’une histoire qui n’est pas moins politique que l’histoire labellisée comme telle des institutions, des gouvernements ou des partis, mais qui tire son originalité d’une forme de liaisons particulières entre histoire et sciences sociales. Préciser dans quelle mesure certains objets historiographiques peuvent relever de l’histoire politique dans la revue ne suffit toutefois pas à éclairer le retournement d’intérêt de celle-ci pour des savoirs (le contemporain, le politique) qu’elle avait délaissés non pas tant comme objets que comme sujets de réflexion essentiels pour appréhender la nouvelle configuration entre disciplines, temporalités et politique qui se met en place dans la dernière décennie du xxe siècle.
32Là où de nouveaux mots d’ordre, en particulier à Sciences Po, vont chercher à fédérer – « pour une histoire culturelle » de Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli faisant écho, en 1997, au « pour une histoire politique » lancé par René Rémond presque dix ans plus tôt [37] –, le tournant critique engage l’histoire des Annales dans une autre direction : celle du renforcement du dialogue interdisciplinaire (le contemporain aux Annales ne s’identifie pas à un champ de savoir, mais à la manière d’organiser le dialogue des sciences sociales entre elles) et d’une nouvelle façon d’entrer dans la mêlée (ou de s’inscrire dans le champ des revues, comme on voudra). L’une des nouveautés du tournant critique se situe peut-être aussi sur le plan du style, dans le choix d’une autre manière d’écrire l’histoire (y compris l’histoire immédiate d’une revue qui abandonne toute velléité de position dominante [38]) pour accueillir davantage le doute et l’incertitude sans céder sur le fait que les historiens et les historiennes doivent être conscients de l’histoire qu’ils ou elles font.
33Après l’avoir contournée, les Annales affrontent la question du contemporain telle que posée par d’autres, mais après « rumination » à la manière nietzschéenne, en l’investissant d’un sens inspiré des débats historiographiques inaboutis sur le politique et le totalitarisme. L’introduction que signe Marc Ferro au dossier « Fascisme, nazisme » en 1988 est, de ce point de vue, emblématique : « Les articles publiés dans cette livraison des Annales ESC traitent du pouvoir en Allemagne nazie, en Italie fasciste, dans la France de Vichy [39]. » C’est la question irrésolue de la « nature » de ces régimes et l’analyse des stratégies historiographiques successives visant à identifier l’URSS au « régime totalitaire » (au bénéfice d’une banalisation du nazisme) qui intéresse les Annales au premier chef.
34Il faut attendre le numéro spécial de 1993, « Présence du passé, lenteur de l’histoire. Vichy, l’Occupation, les Juifs », pour voir les Annales interroger, sous la plume de Lucette Valensi dans son introduction, non seulement la question du retard de l’historiographie française sur Vichy, mais aussi le refoulement du contemporain par les Annales : « Il est arrivé pourtant qu’on impute la lenteur des historiens aux carences de la nouvelle histoire, hostile au politique, à l’événementiel, et mal à l’aise dans le contemporain ». S’ensuit une citation de Pierre Vidal-Naquet :
L’école dite des Annales, […] rompant pour une part avec l’inspiration de la revue fondée en 1929 […] a choisi dans son ensemble la « longue durée » contre l’événement souvent considéré comme une simple ride, voire « l’écume des choses ». Le crime hitlérien relève pourtant du temps court, même si la longue durée peut le mettre en perspective [40].
36F. Braudel n’aurait pas démenti : le crime hitlérien est actuel. Quant à l’hostilité au politique, L. Valensi rappelle L’étrange défaite de M. Bloch, l’enthousiasme de L. Febvre lors de la publication du journal 1940-1944 de son ami Léon Werth, Déposition, en 1946, ainsi que le colloque pionnier L’Allemagne nazie et le génocide juif organisé à l’EHESS en 1982 par F. Furet et R. Aron [41]. Si retard il y a en matière d’histoire des années noires, c’est un retard à responsabilités partagées par l’historiographie nationale :
Reste que les premiers travaux importants sur Vichy surgissent en Allemagne [Eberhard Jäckel, 1966] et aux États-Unis [Peter Novick, 1968 et Robert O. Paxton, 1972] dans les années 1960, quand les historiens français sont encore isolés et rencontrent un faible intérêt parmi leurs collègues spécialistes de l’histoire contemporaine [42].
38Le réinvestissement du moment Vichy comme déterminant l’engagement des Annales dans le présent se traduit l’année suivante, en 1994, par l’entrée au comité de rédaction d’un sociologue sensible aux enjeux civiques qui nervurent les relations de pouvoir dans le monde social et économique, Laurent Thévenot, et d’un économiste dont les choix théoriques sont liés à une conception critique de sa discipline, André Orléan. Si l’on ajoute une anthropologue et historienne du politique en Islam, Jocelyne Dakhlia, et un historien de la culture européenne du xixe siècle, Michael Werner, ce renouvellement infléchit sensiblement le positionnement de la revue, précisément quand celle-ci modifie sa position dans le champ éditorial. La perte de la position dominante de la revue emporte avec elle une réécriture de son histoire, dont le tranchant critique et polémique est adouci au profit de la mise en place d’une tradition historiographique appelée à faire consensus.
39Les Annales se réclament d’un héritage désormais incarné par M. Bloch, spécialiste incontesté du Moyen Âge et sainte figure de la Résistance, revenue au premier plan de la scène historiographique. Le colloque Marc Bloch aujourd’hui, dirigé par A. Burguière et Hartmut Atsma, en 1986, participe de la construction de M. Bloch comme historien capital de la France du xxe siècle. En revanche, la stature de L. Febvre pâlit et pâtit de la charge portée contre lui par Philippe Burrin dans La France à l’heure allemande (1995), pour avoir imposé à M. Bloch la reparution des Annales sous l’Occupation, alors même que la législation antisémite de Vichy obligeait à retirer son nom de l’ours de la revue [43]. Que M. Bloch ait, finalement, consenti à ce sacrifice ; qu’il ait accepté de publier sous pseudonyme dans les Mélanges (le nom des Annales pendant l’Occupation) ; qu’il ait fait part à L. Febvre de sa satisfaction face à la tenue de la revue, c’est à des historiens étrangers qu’il reviendra d’abord de le dire, au premier rang desquels Peter Schöttler, Marleen Wessel, Natalie Zemon Davis et Bertrand Müller [44]. À la virulente critique morale dont L. Febvre est l’objet s’ajoute une critique intellectuelle, portée par Nicole Loraux et Jacques Rancière [45], à l’encontre de sa célèbre et très ferme condamnation de l’anachronisme. En élevant l’anachronisme au rang du « péché entre tous irrémissible [46] » de l’historien, L. Febvre aurait contribué à creuser un fossé insurmontable entre passé et présent, et serait, malgré lui, devenu le fourrier du retour de l’histoire positiviste.
40Le reproche est curieux, adressé à un historien qui écrit « Mon Rabelais est moins citoyen du monde des esprits, et plus citoyen de la France de son temps », avant de conclure : « C’est par là précisément qu’il me semble digne d’intéresser l’histoire » [47]… Ce n’est donc pas par aveuglement sur l’opération historiographique, toujours menée depuis le présent, que L. Febvre attaque l’anachronisme, mais comme laxisme (ou paresse) de l’historien dans le contrôle du retour vers le passé. Sa condamnation sans appel de l’anachronisme est celle de l’inattention à l’épaisseur de la temporalité et de la naïveté de l’historien face à l’immédiateté psychologisante de l’histoire traditionnelle. En somme, c’est bien parce que L. Febvre donne une importance primordiale au présent qu’il met en garde contre l’anachronisme et dénonce à travers lui un déficit d’imagination et de reconstruction rigoureuse du contexte de la part de l’historien englué dans son époque.
41Par ses livres et ses comptes rendus critiques surtout, en tant que directeur des Annales et président, en 1945, du Comité d’histoire de la guerre, l’un des ancêtres directs de l’Institut d’histoire du temps présent, L. Febvre est, avec M. Bloch, l’un des penseurs et des acteurs fondamentaux du présent à l’usage de l’historien. Les Annales n’ont cessé d’interroger et de s’interroger sur le contemporain à partir de cette certaine idée du présent héritée de leurs fondateurs.
Reprise
42Est-ce à dire que les Annales du tournant critique n’ont en rien innové et que, pour se laver du péché de déviance par rapport au projet initial de la revue, elles se sont contentées de répéter (les fondateurs) et de reproduire (le discours des origines) ? Les Annales se sont, en réalité, livrées à une tout autre entreprise historiographique en opérant non pas un « retour » aux Annales d’origine, mais une « reprise », à la façon de Søren Kierkegaard, c’est-à-dire un « retour » qui intègre et amalgame le nouveau à l’ancien pour créer du neuf [48]. C’est bien cette « reprise » qui donne sa configuration singulière au présent dans les Annales d’aujourd’hui.
43D’un point de vue statistique, les choses sont a priori claires : les Annales renouent avec un équilibre ancien. Ainsi, 48 % des articles publiés par la revue portent sur la période contemporaine depuis 1990 quand, entre 1929 et 1941, c’était le cas de 45 % d’entre eux selon H. L. Wesseling. En creux, les années 1950 et les années 1980, où les Annales apparaissent beaucoup plus intéressées par la période moderne (qui représente 47 % des articles publiés entre 1968 et 1977, contre 24 % entre 1929 et 1941), et beaucoup moins tournés vers le contemporain que leurs fondateurs et les promoteurs du tournant critique (seulement 28 % des articles entre 1957 et 1977). Quelle meilleure démonstration du « retour à » et, accessoirement, de « la faute à Braudel » ?
44Que le père de la longue durée soit le « patron » des Annales le plus manifestement rétif à l’histoire contemporaine (assimilée par lui à une histoire de l’événement sans autre portée explicative que d’écume) ne surprendra guère celles et ceux qui aiment les vérités simples. Or, on l’a vu, F. Braudel est très sensible au rapport entre passé et présent, qui informe sa pratique d’historien – le projet didactique de sa Grammaire des civilisations, dès 1963, ne se présente-t-il pas comme une contribution à « l’histoire du monde actuel [49] » ?
45M. Ferro, qui travaille auprès de lui aux Annales à partir de 1960, s’efforce de réintroduire des questionnements contemporains, par exemple sur le totalitarisme. Le succès rencontré par la notion de « longue durée » dans toutes les sciences sociales écrase néanmoins, à l’époque comme aujourd’hui, la diversité des approches de la temporalité dans la revue. Dans les années 1970, l’histoire de l’Ancien Régime d’inspiration labroussienne nourrit théoriquement la prédominance de la longue durée quand la position dominante des Annales, au niveau national et international [50], la légitime. La revue regarde d’un œil distrait, quand il n’est pas méprisant, l’histoire du temps présent naissante : « Le meilleur historien de la France contemporaine », selon Emmanuel Le Roy Ladurie, n’est-il pas Pierre Bourdieu [51] ?
46La conception braudélienne de l’actuel, du présent nécessairement situé dans la perspective d’une moyenne (xixe siècle) ou d’une longue durée (époque ancienne, médiévale et moderne), est cependant le socle à partir duquel s’accomplit en pratique le retour du contemporain dans la revue à partir des années 1990. L’onde de choc du révisionnisme donne à la question des régimes d’historicité et des rapports entre mémoire et histoire posée par des historiens appartenant (Jacques Revel) ou proches (F. Hartog) des Annales une importance désormais centrale : quelle est la validité du critère de contemporanéité, à partir duquel se discrimine le vrai du faux pour l’historien, quand les preuves matérielles accumulées ne parviennent pas à établir pour notre époque, de façon irrécusable, le plus faux du faux : l’inexistence des chambres à gaz [52] ? Le présent reprend dès lors des couleurs théoriques qui réveillent l’intérêt des Annales.
47La collection « Enquête » des Éditions de l’EHESS consacre sa première livraison, en 2001, aux Usages politiques du passé, sous la direction de J. Revel et F. Hartog, alors que ce dernier publie, en 2003, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps [53]. Déployer, dans un temps long, l’histoire du présent fait surgir le régime d’historicité singulier qui caractérise notre temps, celui que F. Hartog appelle le présentisme, ce présent omniprésent de la mémoire, que sa réflexion théorique permet de distinguer du régime d’historicité du présent dont l’histoire a besoin et se nourrit pour penser le contemporain. Les travaux de F. Hartog, soulignés dans la revue en 2006 par une note critique de Gérard Lenclud, ainsi que ceux de R. Koselleck, mis en évidence par Alexandre Escudier en 2009, contribuent à renouveler la réflexion sur la temporalité dans une perspective qui revient sur l’héritage de F. Braudel et de J. Le Goff [54].
48La réarticulation conceptuelle opérée dans la revue à partir du début du xxie siècle retourne le problème du rapport entre passé et présent, désormais dialectisé par la durée, plus ou moins longue, qui les unit l’un à l’autre et les rend intellectuellement inséparables. Le numéro de 2013 consacré à « repenser les statuts sociaux » est, de ce point de vue, emblématique [55]. Le sommaire commence dans l’Antiquité et s’achève avec la nomenclature des statuts professionnels en vigueur dans la France du début du xxie siècle. L’interrogation part d’une réflexion contemporaine sur la stratification sociale, sa portée politique et son interprétation intellectuelle depuis l’avènement des sociétés industrielles et démocratiques, pour retracer l’histoire des configurations statutaires dans le passé. L’enquête montre que la construction théorique et pratique de sociétés gouvernées par des statuts a contribué, dans la longue durée, à fabriquer à la fois le rapport que ces mêmes sociétés entretiennent aux statuts aujourd’hui et sa saisie par les sciences sociales. Cette approche généalogique permet de dépasser le problème de l’écart entre le monde des acteurs et celui des chercheurs et de dissiper le danger d’anachronisme, dès lors que l’historien travaille à identifier le double lien entre les catégories du passé et celles du présent dans un processus de « traduction » similaire à celui qu’on voit à l’œuvre chez les anthropologues afin d’échapper à la dichotomie menaçante de l’émique et de l’étique. La longue durée de l’histoire, mais aussi de sa transmission par l’historiographie, transforme l’opposition entre passé et présent en une interrogation circulaire et dialectique qui se situe au cœur de l’opération réflexive accomplie par l’écriture de l’histoire [56].
49Ce geste est peut-être ce qui pourrait tenir lieu de paradigme aux Annales d’aujourd’hui : non pas un modèle d’interprétation univoque, mais une attitude épistémologique consistant à déplier les conditions – documentaires, sociologiques, historiques, spatiales, narratives – de l’opération scientifique en même temps qu’on la réalise. Tout travail d’histoire réarticule un passé transmis, quoique de façon non linéaire, à un présent dans lequel l’historien est lui-même inscrit et qui est lui aussi le produit de ce passé, d’une manière ou d’une autre. Ce cadre réflexif n’est pas purement théorique, loin de là : il conditionne la pratique de l’écriture et de la lecture de l’histoire aux Annales.
L’épistémologie comme politique
50Le présent qui émerge à la fin du xxe siècle d’un contexte à la fois politique et épistémologique noue ces deux dimensions l’une à l’autre et en vient à dépasser tant la question de l’histoire contemporaine que celle de l’histoire politique. Certes Les rois thaumaturges (1924), La société féodale (1939-1940) ou Le problème de l’incroyance (1942) sont bien, aussi, des livres d’histoire politique, de même que La Méditerranée (1949), Montaillou (1975) ou Saint Louis (1996) [57], mais la place du politique dans le projet intellectuel des Annales ne saurait être principalement celle d’un objet auquel la revue s’attacherait plus particulièrement, comme on ferait de l’histoire culturelle ou sociale, en ouvrant des tiroirs. Cette « histoire politique », parce qu’elle naturalise la catégorie, tend à « dépolitiser » ce que devrait être l’étude de l’articulation entre les formes de hiérarchisation verticale et de coopération horizontale au sein des sociétés humaines. En outre, ce qui relève du « politique » en ce sens n’a pas a priori de dignité supérieure ni de priorité sur d’autres formes de manifestation du social entendu au sens large. Tous les objets historiques sont susceptibles d’intéresser les Annales : seule la manière dont ils sont étudiés compte, comme en témoigne le dossier consacré en 2015 au livre de Thomas Piketty sur le capital au xxie siècle [58]. Il s’agissait, à travers le livre, non seulement d’aborder les enjeux politiques des sciences sociales (les inégalités), mais aussi de faire dialoguer des historiens, du Moyen Âge à l’époque contemporaine, avec des économistes et des sociologues. Cela vaut pour l’ouvrage de Morten Jerven sur l’économie africaine, paru en 2015, également lu dans la perspective d’un dialogue interdisciplinaire [59]. Car là est l’une des clefs de la politique du présent aux Annales : l’interdisciplinaire ou le transdisciplinaire vise à renforcer l’autonomie des disciplines dans l’échange des savoirs, tout en maintenant les frontières grandes ouvertes [60]. Les Annales sont une revue où les sciences sociales autres que l’histoire constituent près de 20 % des articles publiés depuis trente ans, et le présent n’échappe pas à ce métissage de méthode (ou de principe).
51La revue a aussi écarté l’idée de faire du politique, tel qu’il s’est affirmé dans la tradition occidentale au début du xixe siècle, une méthode d’analyse historique qui ramènerait à lui l’ensemble des explications historiques. Cela ne veut pas dire qu’à titre d’hypothèse, il ne soit pas pertinent de s’interroger sur la possibilité d’une histoire politique suffisamment « totalisante » pour que les rapports sociaux, institutionnels, économiques, juridiques s’y trouvent problématisés dans leur ensemble. Une telle approche pourrait être au fondement d’une démarche visant à faire du politique – et non pas de la seule vie politique, au sens institutionnel, événementiel ou partisan du terme – la catégorie déterminante de toute analyse sociohistorique. Conférer au politique ce statut ne pourrait cependant être que le résultat, et non le présupposé de l’analyse. De plus, ce résultat ne pourrait, par avance, être généralisé à l’ensemble des sociétés dans le temps et dans l’espace. En effet, même s’il était possible de faire du « politique » un concept analytique pur – détaché de sa généalogie occidentale et susceptible de désigner abstraitement les formes d’institution imaginaire des sociétés, déclinées en des pratiques de domination, de coopération ou de délibération –, en faire un a priori explicatif procéderait d’une erreur de méthode. Éclairer ce qui structure l’auto-organisation des sociétés n’est-il pas justement l’un des enjeux fondamentaux de la méthode historique ? Il n’y a pas de détermination en dernière instance, que ce soit par le politique, l’économique ou le social : il n’y a que les outils des sciences sociales, dans leur diversité et leur cohérence, que l’historien mobilise pour, chaque fois, tenter de convaincre le lecteur de leur pertinence dans tel ou tel contexte particulier.
52Donner une prépondérance méthodologique au politique, même comme catégorie anthropologique ou philosophique d’analyse, risquerait de produire, cette fois, une « surpolitisation » de l’étude historique, frappant d’invalidité le projet d’une histoire non pas objective, mais d’une histoire science sociale (nouveau sous-titre inscrit au fronton de la revue, en 1994), d’une histoire inscrite dans la cité mais vouée à demeurer rétive à tout autre impératif que ceux qu’elle se fixe dans la libre détermination de ses hypothèses de recherche. Une histoire qui sert, tant mieux, mais une histoire serve, jamais.
53Si le biais politique connaît des formes naïves – comme celles qui consistent, par exemple, à étiqueter politique tel ou tel objet étudié (histoire des croisades ou de l’armée vs histoire de la Commune ou du monde ouvrier) –, il revêt également des formes savantes – telles celles qui consistent à accorder une valeur politique et normative, positive ou négative, aux choix méthodologiques (ce qui est en réalité plus problématique encore). Ces manières de subordonner la pratique des sciences sociales au politique (en négligeant de déconstruire les questions posées ou de s’interroger sur la forme dans laquelle les sources nous sont parvenues, par exemple) constituent autant de petites morts du projet même d’autonomie, pourtant au fondement de l’idée de science.
54Tenir le politique à distance réflexive ne signifie pas que les Annales refusent toute forme d’engagement, ainsi que l’attestent les dossiers consacrés aux enjeux les plus polémiques de l’historiographie contemporaine, tel « Nouveaux historiens israéliens » en 2004 ou « Histoire palestinienne » l’année suivante, en 2005 [61]. Sans être chargé de la même intensité, l’opportunité d’un dossier consacré à l’enseignement de l’histoire dans le secondaire a également divisé le comité dix ans plus tard, en 2015 [62]. L’actuel, c’est aussi ce qui, dans le contemporain, pose problème, précisément parce que la superposition entre passé et présent est investie de forts engagements intellectuels, politiques, mais aussi personnels (de génération, de genre, de parcours intellectuel, etc.).
55Les articles qui ont trait au présent sont donc l’une des épreuves (au sens donné par L. Thévenot et Luc Boltanski) qui s’imposent et que s’impose le comité afin de tester le maintien en tension des rapports entre science et politique, et de faire de ce test une forme de critique, au sens fort de la critique philosophique du xviiie siècle, soit un retour réflexif sur les conditions de la connaissance du contemporain. D’où les articles publiés, dès 2006, sur les émeutes des banlieues françaises, la justice politique pendant la guerre d’Algérie, l’Allemagne des années 1970, en 2008, ou encore sur la race, en 2009 [63]. Des événements ou des lieux emblématiques ont, dans cette perspective, été réinterrogés – de Falkenau 1945 à Charonne 1962, de la Shoah à Mai 68 [64]. Enfin, des dossiers thématiques ont été consacrés au très contemporain, en lien étroit avec une interrogation qui s’est voulue tout à la fois savante, politique et critique, qu’il s’agisse du quotidien du communisme, en 2013, ou de l’islam aujourd’hui, en 2018 [65].
56Expliciter le traitement du politique aux Annales ne relève pas d’un plaidoyer idéaliste pour une forme de neutralité axiologique, tout d’abord, parce qu’il n’y a pas de neutralité axiologique, mais, au mieux, une neutralisation, c’est-à-dire une opération qui relève précisément de la réflexivité et vise à mettre à distance, au cours de la recherche, les valeurs engagées par les chercheurs et les chercheuses en histoire et en sciences sociales, mais surtout, parce que ce processus de neutralisation qui est à l’œuvre dans le fonctionnement d’une communauté scientifique comme les Annales n’est lui-même pas neutre. Il atteste l’adhésion à un minimum civique commun qui consiste à accorder à la science et à la connaissance une valeur spécifique, qui justifie l’effort consistant à la produire et à la diffuser.
57Ce qu’il y a de politique aux Annales ne s’exprime pas dans la synthèse des opinions individuelles, mais réside dans le choix premier de considérer que la science est une valeur, et qu’elle est une valeur politique, c’est-à-dire qu’elle a un sens pour la société – et pas seulement pour les savants. C’est d’ailleurs cette défense politique de l’autonomie de la science contre le pouvoir politique qui éclaire certaines interventions de la revue, qu’il s’agisse de critiquer les pratiques d’évaluation des revues scientifiques, en 2009, ou, comme en 2015, de réfléchir aux conséquences des réformes de l’enseignement de l’histoire et, sur un autre plan, de marquer un écart par rapport aux propositions de Jo Guldi et de David Armitage de restaurer la position de l’histoire en tant que discipline destinée à conseiller le pouvoir. Pour la même raison, la revue doit rester vigilante face aux transformations contemporaines des conditions de travail du monde de la recherche, dès lors qu’elles menacent cette autonomie scientifique en fragilisant ses acteurs, ses institutions et ses ressources.
58Ainsi, la réflexion sur le présent menée dans la revue montre que la véritable dimension politique des Annales est épistémologique. C’est un geste essentiel qui affirme que l’histoire et les sciences sociales ne peuvent séparer leur démarche scientifique de leur historicité et de leur localisation contemporaine – ce qui fonde, en retour, leur capacité à faire dire quelque chose du passé au présent. Ce geste repose sur l’idée que la connaissance historique, comme les autres formes de science, est située dans un contexte national et, aujourd’hui, international : le défi des Annales du xxie siècle consiste aussi à s’adresser à une cité qui n’est plus seulement celle formée par les autres chercheurs, ni même celle de la société française qui, pourtant, en est toujours le lieu. C’est le sens de l’édition des Annales en langue anglaise que de viser une cité-monde dont l’horizon inspire le projet intellectuel de la revue.
59Les Annales sont une revue politique et contemporaine parce qu’elles sont une revue scientifique : elles ne visent ni à produire de l’ingénierie sociale ni à favoriser l’engagement partisan, mais à défendre et à illustrer l’idée même de science historique et sociale, y compris au-delà de ses frontières savantes. On pourra trouver cet objectif timide. Est-ce une entreprise si modeste, dans le monde actuel, que d’affirmer la valeur essentielle de la connaissance, face à la régression qui menace ? Entre les dégâts causés dans le monde par le mythe positiviste de la science depuis le xixe siècle et ceux, non moins grands désormais, du relativisme contemporain à l’égard de tout savoir institué, la redéfinition de la démarche scientifique constitue un enjeu politique et épistémologique crucial du temps présent. L’histoire des Annales n’est ni une méditation poétique, ni une maîtresse de vie, ni un savoir érudit ou une force émancipatrice ; sa dimension politique se fonde sur l’idée que la science historique a une signification pour les sociétés actuelles, non par ses prescriptions et ses certitudes, mais par sa capacité à contribuer à la réflexivité, à entretenir l’inquiétude et donc la délibération collective. Ce qui est ici politique, c’est considérer que l’histoire, comme science sociale, a quelque chose à dire au présent, le temps dont la revue parle, qui est aussi celui depuis lequel elle s’exprime. Le « présent » des Annales à partir duquel le passé est réfléchi est le fondement indissociable d’une théorie de la connaissance historique et d’une conception civique de la place de l’histoire et de l’historien : c’est ce qui en fonde la singularité.
Date de mise en ligne : 25/08/2021
Notes
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[1]
Gordon Wright, « Contemporary History », in C. F. Delzell (dir.), The Future of History, Nashville, Vanderbilt University Press, 1977, p. 226 et Pieter Lagrou, « De l’histoire du temps présent à l’histoire des autres. Comment une discipline critique devint complaisante », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 118-2, 2013, p. 101-119, ici p. 104.
-
[2]
Hendrik L. Wesseling, « The Annales School and the Writing of Contemporary History », Review (Fernand Braudel Center), 1-3/4, 1978, p. 185-194, ici p. 194.
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[3]
G. Wright, « Contemporary History », art. cit. et P. Lagrou, « De l’histoire du temps présent… », art. cit.
-
[4]
Lucien Febvre, « ‘De 1892 à 1933. Examen de conscience d’une histoire et d’un historien.’ Leçon d’ouverture au Collège de France, 13 décembre 1933 », in Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, [1952] 1992, p. 3-17, ici p. 15. La citation intégrale est : « [L’historien] ne conserve pas le passé dans sa mémoire, comme les glaces du Nord conservent frigorifiés les mammouths millénaires. Il part du présent – et c’est à travers lui, toujours, qu’il connaît, qu’il interprète le passé. » Voir aussi Fernand Braudel, « Histoire et Sciences sociales. La longue durée », Annales ESC, 13-4, 1958, p. 725-753, ici p. 738 : « Lucien Febvre, durant les dix dernières années de sa vie, aura répété : ‘histoire science du passé, science du présent’ ».
-
[5]
Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Dunod, [1949] 2018, p. 94.
-
[6]
Ibid., p. 97.
-
[7]
Enrico Castelli Gattinara, Les inquiétudes de la raison. Épistémologie et histoire en France dans l’entre-deux-guerres, Paris, Vrin/Éd. de l’EHESS, 1998.
-
[8]
Thomas Hirsch, Le temps des sociétés. D’Émile Durkheim à Marc Bloch, Paris, Éd. de l’EHESS, 2016.
-
[9]
Henri Berr, cité par Lucien Febvre, « ‘L’histoire dans le monde en ruines.’ Leçon inaugurale à l’université de Strasbourg en 1920 », Revue de synthèse historique, 30-1, 1920, p. 1-15, ici p. 1.
-
[10]
André Burguière, « Histoire d’une histoire : la naissance des Annales », Annales ESC, 34-6, 1979, p. 1347-1359, ici p. 1354.
-
[11]
Marc Bloch, « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre », Revue de synthèse historique, 33-7, 1921, p. 13-35 ; id., Apologie pour l’histoire…, op. cit.
-
[12]
Id., Apologie pour l’histoire…, op. cit., p. 87. Ces propos sont à rapprocher de ce que Lucien Febvre écrira en 1946 : « ‘Nous autres civilisations, nous savons bien maintenant que nous sommes mortelles’ [La crise de l’esprit, 1919]. Cette phrase eut un grand retentissement que Paul Valéry écrivait à la fin des années 20 […]. Déjà au temps des Regards sur le monde actuel [1931], le problème n’est même pas de savoir si notre civilisation […] va mourir […]. Il est de savoir quelle civilisation s’établira demain sur ce monde nouveau qui déjà s’élabore au fond du creuset » (Lucien Febvre, « Face au vent. Manifeste des Annales nouvelles », Annales ESC, 1-1, 1946, p. 1-8, ici p. 2-3, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796).
-
[13]
Il s’agit des sous-titres de l’édition d’Apologie pour l’histoire faite par L. Febvre en 1949, non repris dans l’édition Dunod citée ici.
-
[14]
Bronislaw Geremek, « Marc Bloch, historien et résistant », Annales ESC, 45-1, 1986, p. 1091-1105, ici p. 1104 ; Marc Bloch, L’étrange défaite, Paris, Société des « Éditions Franc-Tireur », 1946.
-
[15]
Fernand Braudel, « L’identité française selon Fernand Braudel », Le Monde, 16 mars 2007.
-
[16]
Ce que Fernand Braudel, en 1964, dans un texte justement écrit dans la revue pour les vingt ans de la mort de Marc Bloch, fait entendre d’une certaine manière : « Considérer l’histoire comme une science sociale qui ne s’arrête pas devant l’actuel, mais le traverse de son besoin de savoir et de comprendre, telle a été l’une des leçons de Marc Bloch » (Fernand Braudel, « 1944-1963 : Marc Bloch », Annales ESC, 19-5, 1964, p. 833-834, ici p. 833).
-
[17]
« Lire un livre, on le sait bien, c’est le réécrire », selon le mot de Jean-Paul Sartre, « Écrire pour son époque », in Situations, t. 2, Septembre 1944-décembre 1946, Gallimard, [1946] 2012, p. 389-399, ici p. 395.
-
[18]
Voir L. Febvre, « ‘De 1892 à 1933. Examen de conscience d’une histoire et d’un historien’ », art. cit., p. 27 : « Entre disciplines proches ou lointaines, négocier perpétuellement des alliances nouvelles ; sur un même sujet concentrer en faisceau la lumière de plusieurs sciences hétérogènes : tâche primordiale, et de toutes celles qui s’imposent à une histoire impatiente des frontières et des cloisonnements, la plus pressante sans doute et la plus féconde. »
-
[19]
Pierre Nora, « Présent », in J. Le Goff (dir.), La nouvelle histoire, Paris, Retz-CEPL, 1978, p. 467-472, ici p. 471-472.
-
[20]
Hervé Coutau-Bégarie, Le phénomène « Nouvelle Histoire ». Stratégie et idéologie des nouveaux historiens, Paris, Economica, 1983, p. 167.
-
[21]
Laurent Douzou, La Résistance française : une histoire périlleuse. Essai d’historiographie, Paris, Éd. du Seuil, 2005.
-
[22]
François Bédarida, « Le temps présent et l’historiographie contemporaine », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 69-1, 2001, p. 153-160, ici p. 153-154.
-
[23]
Ibid., p. 154.
-
[24]
Yann Potin, « Histoire contemporaine », in Y. Potin et J.-F. Sirinelli (dir.), Générations historiennes xixe-xxiesiècle, CNRS Éditions, 2019, p. 557-580, ici p. 568-569.
-
[25]
François Furet, « Tocqueville est-il un historien de la Révolution française ? », Annales ESC, 25-2, 1970, p. 434-451 ; id., Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978. Voir l’article de Claude Lefort, « Penser la révolution dans la Révolution française », Annales ESC, 35-2, 1980, p. 334-352, ici p. 335 et, dans le même numéro, la note critique de Jean-Pierre Hirsch, « Pensons la Révolution française », Annales ESC, 35-2, 1980, p. 320-333, ici p. 331.
-
[26]
Jean-Clément Martin, « La Vendée et sa guerre, les logiques de l’événement » et Michael Sonenscher, « Les sans-culottes de l’an II. Repenser le langage du travail dans la France révolutionnaire », dossier « La Révolution française », Annales ESC, 40-5, 1985, respectivement p. 1067-1085 et 1087-1108 ; Dominique Julia, « La Révolution, l’Église et la France (note critique) » et Claude Langlois, « Les dérives vendéennes de l’imaginaire révolutionnaire », dossier « La Révolution française », Annales ESC, 43-3, 1988, respectivement p. 761-770 et 771-797 ; François Furet et Ran Halévi, « L’année 1789 » et Albert O. Hirschmann, « Deux cents ans de rhétorique réactionnaire : le cas de l’effet pervers », dossier « La Révolution française », Annales ESC, 44-1, 1989, respectivement p. 3-24 et 67-86 ; David R. Weir, « Les crises économiques et les origines de la Révolution française » et Jacques Guilhaumou, « Décrire la Révolution française. Les porte-parole et le moment républicain (1790-1793) », dossier « La Révolution française », Annales ESC, 46-4, 1991, respectivement p. 917-947 et 949-970 ; Michel Troper, « Sur l’usage des concepts juridiques en histoire » et François Furet, « Concepts juridiques et conjoncture révolutionnaire », dossier « Sur la révolution, un débat », Annales ESC, 47-6, 1992, respectivement p. 1171-1183 et 1185-1194.
-
[27]
Voir les dossiers « Culture de la Terreur », Annales HSS, 57-4, 2002, p. 851-964 et « Violences révolutionnaires », Annales HSS, 71-2, 2016, p. 319-378.
-
[28]
Le prisme national fut paradoxalement plus puissant dans les années 1980 que dans les années 1950. Voir Tom Stammers, « La mondialisation de la Révolution française (vers 1930-1960). Origines et éclipse d’un paradigme historiographique », Annales HSS, 74-2, 2019, p. 297-335.
-
[29]
Stephen W. Sawyer, « Ces nations façonnées par les empires et la globalisation. Réécrire le récit national du xixe siècle aujourd’hui », Annales HSS, 69-1, 2014, p. 117-137.
-
[30]
F. Braudel, « Histoire et Sciences sociales. La longue durée », art. cit., p. 746.
-
[31]
Ibid., p. 735.
-
[32]
Marcel Gauchet, « De l’avènement de l’individu à la découverte de la société (note critique) », Annales ESC, 34-3, 1979, p. 451-463.
-
[33]
Id., Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985.
-
[34]
Pierre Rosanvallon, Pour une histoire conceptuelle du politique, Paris, Éd. du Seuil, 2003 (publication de sa leçon inaugurale au Collège de France, donnée le 28 mars 2002). On note que Pierre Rosanvallon présente son projet d’histoire conceptuelle du politique comme une continuation directe du projet des Annales. Il mentionne d’abord le dialogue fondateur avec Émile Durkheim : « Rappelons que c’est exactement pour cette raison que les historiens des Annales ne s’intéressaient pas à la politique. Notons aussi que c’est pour le même motif que Durkheim n’avait pas considéré que la politique stricto sensu constituait un objet pertinent pour la sociologie » (p. 16). Il cite ensuite M. Bloch sur l’histoire présent : « l’incompréhension du présent naît fatalement de l’ignorance du passé » (p. 15). La même année, en 2002, P. Rosanvallon publie un article en anglais, qui reprend les thématiques de sa leçon inaugurale. Le projet de F. Braudel y est cité comme modèle : « En ce sens, l’histoire philosophique du politique constitue une tentative de donner une signification nouvelle au projet d’histoire totale de Fernand Braudel. » (Pierre Rosanvallon, « Towards a Philosophical History of the Political », in D. Castiglione et I. Hampsher-Monk [dir.], The History of Political Thought in National Context, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 189-203, republié dans id., Democracy Past and Future, éd. par S. Moyn, New York, Columbia University Press, 2006, p. 59-78, ici p. 65).
-
[35]
Étienne Anheim, Antoine Lilti et Stéphane Van Damme (dir.), no spécial « Histoire et philosophie », Annales HSS, 64-1, 2009.
-
[36]
Catherine König-Pralong, « L’histoire de la philosophie médiévale depuis 1950 : méthodes, textes, débats », É. Anheim, A. Lilti et S. Van Damme (dir.), no spécial « Histoire et philosophie », Annales HSS, 64-1, 2009, p. 143-169.
-
[37]
Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Éd. du Seuil, 1997 ; René Rémond (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Éd. du Seuil, 1988.
-
[38]
Voir les propos de Lucette Valensi, « Présence du passé, lenteur de l’histoire », L. Valensi (dir.), no spécial « Présence du passé, lenteur de l’histoire. Vichy, l’Occupation, les Juifs », Annales ESC, 48-3, 1993, p. 491-500, ici p. 493 : « De fait, l’école des Annales n’a jamais exercé de monopole sur l’histoire. »
-
[39]
Marc Ferro, « Ouverture », dossier « Fascisme, nazisme », Annales ESC, 43-3, 1988, p. 561-565, ici p. 561.
-
[40]
L. Valensi, « Présence du passé, lenteur de l’histoire », art. cit., p. 492.
-
[41]
Décédé en 1983, Raymond Aron ne participera pas à la publication des actes du colloque (1985).
-
[42]
L. Valensi, « Présence du passé, lenteur de l’histoire », art. cit., p. 493.
-
[43]
Philippe Burrin, La France à l’heure allemande. 1940-1944, Paris, Éd. du Seuil, [1995] 1997, p. 322-328.
-
[44]
Voir en particulier Peter Schöttler, « Marc Bloch et Lucien Febvre face à l’Allemagne nazie », no spécial « Le nazisme et les savants », Genèses, 21, 1995, p. 75-95 ; Marleen Wessel, « ‘Honneur ou Patrie ?’ Lucien Febvre et la question du sentiment national », Genèses, 25, 1996, p. 128-142, ici p. 133 ; Natalie Zemon Davis, « Censorship, Silence and Resistance: The Annales during the German Occupation of France », Historical Reflections/Réflexions Historiques, 24-2, 1998, p. 351-374 et Bertrand Müller, « Introduction », in M. Bloch et L. Febvre, Correspondance, t. 3, Les Annales en crise. 1938-1943, Paris, Fayard, 2003, p. xxviii-xxii.
-
[45]
Nicole Loraux, « Éloge de l’anachronisme en histoire », no spécial « L’ancien et le nouveau », Le genre humain, 27-1, 1993, p. 23-39 ; Jacques Rancière, « Le concept d’anachronisme et la vérité de l’historien », no spécial « Mensonges, vérités », L’Inactuel, 6, 1996, p. 53-68.
-
[46]
Lucien Febvre, Le problème de l’incroyance au xviesiècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, [1942] 1947, p. 32.
-
[47]
Id., « L’homme, la légende et l’œuvre. Sur Rabelais : ignorances fondamentales », Revue de synthèse, 1, 1931, p. 1-31 reproduit dans id., Combats pour l’histoire, op. cit., p. 247-263, ici p. 260. Voir Antoine Lilti, « Rabelais est-il notre contemporain ? Histoire intellectuelle et herméneutique critique », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 59-4 bis, 2012, p. 65-84.
-
[48]
Nelly Viallaneix, « Introduction », in S. Kierkegaard, La reprise, trad. par N. Viallaneix, Paris, Flammarion, [1843] 1990, p. 11-42, ici p. 16 et 19.
-
[49]
Fernand Braudel, Grammaire des civilisations, Paris, Arthaud/Flammarion, 1987, qui reprend la partie principale, des pages 143 à 475, du manuel de Suzanne Baille, Fernand Braudel et Robert Philippe, Le monde actuel, histoire et civilisation, Paris, Belin, 1963.
-
[50]
Voir l’article de Richard Cobb, initialement un compte rendu anonyme de l’ouvrage de François Furet et Denis Richet, La Révolution française, Paris, Fayard, 1988, paru dans le Times Literary Supplement, le 8 septembre 1966, sous le titre « Annalists’ Revolution ». C’est lors de sa republication dans un recueil d’articles, Richard Cobb, A Second Identity: Essays on France and French History, Londres, Oxford University Press, 1969, que le titre « Nous des Annales » apparaît, de même qu’est dévoilé un secret de polichinelle : le nom de l’auteur. On peut utilement consulter la notice très informée de Julien Louvier qui, en 2006, a traduit l’article et l’a mis en ligne (https://revolution-francaise.net/2006/06/01/42-nous-des-annales-richard-cobb-times-literary-supplement-1966).
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[51]
Mot rapporté par André Burguière.
-
[52]
Patrick Boucheron, « ‘Toute littérature est assaut contre la frontière.’ Note sur les embarras historiens d’une rentrée littéraire », Annales HSS, 65-2, 2010, p. 411-467, ici p. 462.
-
[53]
François Hartog et Jacques Revel (dir.), Les usages politiques du passé, Paris, Éd. de l’EHESS, 2001 ; Jacques Revel, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Éd. du Seuil, 2003.
-
[54]
Gérard Lenclud, « Traversées dans le temps », Annales HSS, 61-5, 2006, p. 1053-1084 ; Alexandre Escudier, « ‘Temporalisation’ et modernité politique : penser avec Koselleck », Annales HSS, 64-6, 2009, p. 1269-1301.
-
[55]
Étienne Anheim, Jean-Yves Grenier et Antoine Lilti, « Repenser les statuts sociaux », É. Anheim, J.-Y. Grenier et A. Lilti (dir.), no spécial « Statuts sociaux », Annales HSS, 68-4, 2013, p. 949-953. On pourrait également citer : no spécial « Médecine », Annales HSS, 65-1, 2010, qui propose des papiers traitant des urines médiévales, des rêves renaissants dans l’Allemagne du xvie siècle, de l’industrie du tabac britannique ou de la médecine coloniale au Cameroun dans les années 1950 ; Alice Ingold (dir.), no spécial « Environnement », Annales HSS, 66-1, 2011, articulant les sujets des déboisements de la Méditerranée antique et de l’hydraulique de la Chine ancienne aux débats juridiques contemporains sur les « catégories de la nature » ou au militantisme qui réinvestit Seveso, lieu d’une catastrophe industrielle en 1976 ; no spécial « Politique en Grèce ancienne », Annales HSS, 69-3, 2014, qui, de même, tente de montrer comment les concepts politiques contemporains sont le résultat d’un héritage historiographique ancien, en soulignant également la façon dont les questions de la démocratie moderne informent notre perception du monde grec ; Karine Karila-Cohenet al., no spécial « Histoire quantitative », Annales HSS, 73-4, 2018, p. 771-783, dans lequel les autrices étudient les élites athéniennes, les réseaux aristocratiques carolingiens, l’histoire du travail au tournant de l’Ancien Régime et du xixe siècle et les persécutions contre les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
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[56]
Voir, dans le présent numéro, « Le temps du récit. Histoire, fiction, littérature », p. 447-463.
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[57]
Marc Bloch, Les rois thaumaturges, Strasbourg, Istra, 1924 ; id., La société féodale, Paris, Albin Michel, 2 vol., 1939-1940 ; Lucien Febvre, Le problème de l’incroyance au xviesiècle, op. cit. ; Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949 ; Emmanuel Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris, Gallimard, 1975 ; Jacques Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996.
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[58]
Thomas Piketty, Le capital au xxiesiècle, Paris, Éd. du Seuil, 2013 ; dossier « Lire Le capital de Thomas Piketty », Annales HSS, 70-1, 2015, p. 5-138.
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[59]
Morten Jerven, Africa: Why Economists Get It Wrong, Londres, Zed Books, 2015 ; Denis Cogneau, « Histoire économique de l’Afrique : renaissance ou trompe l’œil ? », Annales HSS, 71-4, 2016, p. 879-896.
-
[60]
François Dosse, « À l’école des Annales, une règle : l’ouverture disciplinaire », Hermès. La revue, 67-3, 2013, p. 106-112, ici p. 106.
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[61]
Voir les dossiers « Nouveaux historiens israéliens », Annales HSS, 59-1, 2004, p. 143-193 et « Histoire palestinienne », Annales HSS, 60-1, 2005, p. 35-126.
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[62]
Voir le dossier « Recherche historique et enseignement secondaire », Annales HSS, 70-1, 2015, p. 141-214.
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[63]
Voir les dossiers « Penser la crise des banlieues », Annales HSS, 61-4, 2006, p. 755-859 ; « Histoire sociale et identités raciales », Annales HSS, 64-6, 2009, p. 1305-1386 et les articles de Sylvie Thénault, « L’OAS à Alger en 1962. Histoire d’une violence terroriste et de ses agents », Annales HSS, 63-5, 2008, p. 977-1001 ; Jean-Louis Georget, « De la nation aux politiques mémorielles : réflexions sur les bouleversements de l’historiographie allemande et la possibilité d’une histoire européenne de l’Allemagne », Allemagne d’aujourd’hui, 211-1, 2015, p. 10-19.
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[64]
Georges Didi-Huberman, « Ouvrir les camps, fermer les yeux », Annales HSS, 61-5, 2006, p. 1011-1049 ; Marc Olivier Baruch, « Anthropologie historique d’un massacre d’État », Annales HSS, 62-4, 2007, p. 839-852 ; Boris Gobille, « L’événement Mai 68. Pour une sociohistoire du temps court », Annales HSS, 63-2, 2008, p. 321-349.
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[65]
Larissa Zakharova (dir.), no spécial « Le quotidien du communisme », Annales HSS, 68-2, 2013 et dossier « Écrire l’histoire de l’islam moderne et contemporain », Annales HSS, 73-2, 2018, p. 311-439.