Couverture de ANNA_753

Article de revue

Le temps du récit

Histoire, fiction, littérature

Pages 447 à 463

Notes

  • [1]
    Raymond Aron, « Comment l’historien écrit l’épistémologie. À propos du livre de Paul Veyne », Annales ESC, 26-6, 1971, p. 1319-1354 et Michel deCerteau, « Une épistémologie de transition : Paul Veyne », Annales ESC, 27-6, 1972, p. 1317-1327.
  • [2]
    Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, Paris, Éd. du Seuil, [1953] 1972.
  • [3]
    Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Éd. du Seuil, [1971] 1978, p. 70.
  • [4]
    P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, op. cit., p. 41 et 65-69.
  • [5]
    Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975 ; Paul Ricœur, Temps et récit, t. 1, L’intrigue et le récit historique, Paris, Éd. du Seuil, 1983.
  • [6]
    M. de Certeau, L’écriture de l’histoire, op. cit., p. 70.
  • [7]
    Id., La possession de Loudun, Paris, Gallimard, [1970] 1990, p. 7.
  • [8]
    Ibid., p. 327.
  • [9]
    Michel de Certeau, La fable mystique. xvie -xviie siècle, t. 1, Paris, Gallimard, 1982, p. 320.
  • [10]
    Id., « L’histoire, science et fiction », Le genre humain, 1-7, 1983, p. 147-169, ici p. 160.
  • [11]
    Id., L’écriture de l’histoire, op. cit., p. 119.
  • [12]
    Id., « Une épistémologie… », art. cit., p. 1321.
  • [13]
    Dans l’historiographie contemporaine, constituée comme discipline universitaire depuis le xixe siècle, cette communauté savante est aussi une communauté professionnelle. Il existe bien sûr, dans le passé européen comme dans d’autres traditions savantes extra-européennes, des dispositifs différents, où l’articulation du récit et de la preuve s’agence autrement, sans que cette différence soit nécessairement irréductible. Cette perspective comparatiste a été remarquablement absente des débats ici évoqués, du moins jusqu’aux années récentes. Voir Velcheru Narayana Rao, David Shulman et Sanjay Subrahmanyam, Textures du temps. Écrire l’histoire en Inde, trad. par M. Fourcade, Paris, Éd. du Seuil, 2004 et Nathalie Kouamé (dir.), Historiographies d’ailleurs. Comment écrit-on l’histoire en dehors du monde occidental ?, Paris, Karthala, 2014.
  • [14]
    Paul Ricœur, Temps et récit, Paris, Éd. du Seuil, 3 vol., 1983-1985.
  • [15]
    Id., « L’écriture de l’histoire et la représentation du passé », Annales HSS, 55-4, 2000, p. 731-747, ici p. 736. Voir aussi id., La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éd. du Seuil, 2000.
  • [16]
    Michel Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », in Dits et écrits (1954-1988), t. 2, 1970-1975, éd. par D. Defert et F. Ewald, Paris, Gallimard, [1971] 1994, p. 136-157.
  • [17]
    M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », art. cit., p. 149.
  • [18]
    Lawrence Stone, « Retour au récit ou réflexions sur une nouvelle vieille histoire », Le Débat, 4-4, 1980, p. 116-142 ; Carlo Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, 6-6, 1980, p. 3-44.
  • [19]
    Hayden White, The Content of the Form: Narrative Discourse and Historical Representation, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1987 ; id., Metahistory: The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1975.
  • [20]
    Pierre Vidal-Naquet, « Lettre », in L. Giard (dir.), Michel de Certeau, Paris, Centre Georges Pompidou, 1987, p. 71-72, cité par Patrick Boucheron dans « ‘Toute littérature est assaut contre la frontière’. Note sur les embarras historiens d’une rentrée littéraire », Annales HSS, 65-2, 2010, p. 441-467, ici p. 465.
  • [21]
    Lucette Valensi, « Présence du passé, lenteur de l’histoire », L. Valensi (dir.), no spécial « Présence du passé, lenteur de l’histoire. Vichy, l’Occupation, les Juifs », Annales ESC, 48-3, 1993, p. 491-500, ici p. 497.
  • [22]
    Carlo Ginzburg, « Just One Witness », in S. Friedlander (dir.), Probing the Limits of Representation: Nazism and the “Final Solution”, Cambridge, Harvard University Press, 1992, p. 82-96, repris sous une forme révisée dans id., « Unus testis. Lo sterminio degli ebrei e il principio de realtà », Quaderni storici, 80-2, 1992, p. 529-548. Cette question du « témoin unique » se trouve déjà semblablement articulée à celle de l’énonciation littéraire de la vérité historique chez Pierre Vidal-Naquet dans sa préface « Du bon usage de la trahison », inFlavius Josèphe, La guerre des Juifs, trad. par P. Savinel, Paris, Éd. de Minuit, 1977, p. 9-115).
  • [23]
    Carlo Ginzburg, Rapports de force. Histoire, rhétorique, preuve, Paris, Éd. de l’EHESS/Gallimard/Éd. du Seuil, 2003.
  • [24]
    James Clifford et George Marcus, Writing Culture: The Poetics and Politics of Ethnography, Berkeley, University of California Press, 1986.
  • [25]
    Philippe Descola, « Post-scriptum. Les écritures de l’ethnologie », in Les lances du crépuscule. Relations jivaros, Haute Amazonie, Paris, Plon, 1993, p. 479-482, ici p. 481-482.
  • [26]
    Même l’article de Daniel S. Milo, qui plaidait, en 1990, pour une « gaie histoire », expérimentale et iconoclaste, libérée des habitudes et des servitudes disciplinaires, esquive étrangement cette question : Daniel S. Milo, « Pour une histoire expérimentale, ou la gaie histoire », Annales ESC, 45-3, 1990, p. 717-734.
  • [27]
    On remarquera par exemple que Jacques Rancière, Les noms de l’histoire. Essai de poétique du savoir, Paris, Éd. du Seuil, 1992 n’a pas été recensé dans les Annales. Pas davantage que le livre, paru la même année et qui porte sur la politique de la Nouvelle Histoire, de Philippe Carrard, Poetics of the New History: French Historical Discourse from Braudel to Chartier, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1992, traduit en français en 1998. Les livres d’Hayden White ne font l’objet d’aucune recension et ne sont cités qu’à deux reprises : voir D. S. Milo, « Pour une histoire expérimentale… », art. cit., p. 731 et P. Ricœur, « L’écriture de l’histoire… », art. cit., p. 743-744.
  • [28]
    Voir notamment Jacques Revel, « Ressources narratives et connaissance historique », Enquête, 1, 1995, p. 43-70.
  • [29]
    Yannick Haenel, Jan Karski : roman, Paris, Gallimard, 2009 ; Claude Lanzmann, « Jan Karski de Yannick Haenel : un faux roman », Marianne, 666, janv. 2010, p. 23-29, republié dans Les Temps modernes, 657-1, 2010, p. 1-10 ; Annette Wieviorka, « Faux témoignage », L’Histoire, 349-1, 2010, p. 30-31. Yannick Haenel dépeint ainsi un Roosevelt libidineux, plus soucieux du corsage de sa secrétaire que des propos de Jan Karski, alors que ce dernier, dans ses mémoires, loue au contraire la qualité d’écoute du président américain. Se trouve validée, de la sorte, la thèse, historiquement problématique, d’une indifférence américaine au sort des Juifs d’Europe.
  • [30]
    Voir par exemple Bruce Mazlish, « The Question of The Question of Hu », History and Theory, 31-2, 1992, p. 143-152.
  • [31]
    Javier Cercas, Le point aveugle, trad. par É. Beyer et A. Grujičić, Arles, Actes Sud, 2016.
  • [32]
    Le début du siècle fut notamment marqué par la réception des œuvres d’auteurs européens majeurs comme W. G. Sebald et Hans Magnus Enzesberger, par le succès du livre de Jonathan Littell, Les bienveillantes, Paris, Gallimard, 2006 et par l’apparition sur la scène littéraire du collectif Inculte (réunissant, entre autres, Mathias Énard et Maylis de Kerangal), d’Emmanuel Carrère et d’Éric Vuillard. Pour le compte rendu critique de ce moment de vacillement des frontières entre « fiction » et « non-fiction » et de l’émergence corrélative de la notion de « littérature du réel », voir Françoise Lavocat, Fait et fiction. Pour une frontière, Paris, Éd. du Seuil, 2016 et Alexandre Gefen, Réparer le monde. La littérature française face au xxiesiècle, Paris, José Corti, 2017. Il s’agit également, dans le champ poétique français, d’une période de « retour au réel », sur fond de critique et parfois de répudiation des expériences « textualistes » des années 1970 (incarnées notamment par la revue Tel quel) – un tournant que signalent bien la montée en puissance de la topique du « monde » et le retour en grâce de la thématique pongienne des « choses ». Voir sur ce point Michel Collot, Le chant du monde dans la poésie française contemporaine, Paris, José Corti, 2019.
  • [33]
    Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel, Lagrasse, Verdier, 2008.
  • [34]
    Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu, 1798-1876, Paris, Flammarion, 1998.
  • [35]
    Pierre Senges, La réfutation majeure, Paris, Gallimard, 2005.
  • [36]
    Romain Bertrand, Qui a fait le tour de quoi ? L’affaire Magellan, Lagrasse, Verdier, 2020.
  • [37]
    Lucien Febvre, « Littérature et vie sociale. Un renoncement ? », Annales d’histoire sociale, 3-3/4, 1941, p. 113-117. Voir Anne Simonin, « Histoire et Littérature », in Y. Potin et J.-F. Sirinelli (dir.), Générations historiennes. xixe-xxiesiècle, Paris, CNRS Éditions, 2019, p. 697-717.
  • [38]
    Roland Barthes, « Histoire et littérature : à propos de Racine », Annales ESC, 15-3, 1960, p. 524-537, ici p. 525.
  • [39]
    Christian Jouhaud (dir.), no spécial « Littérature et histoire », Annales HSS, 49-2, 1994 et Jacques Poloni-Simard (dir.), no spécial « Pratiques d’écriture », Annales HSS, 56-4/5, 2001. On pourra comparer l’article de 1994 de Roger Chartier, « George Dandin, ou le social en représentation », Annales HSS, 49-2, 1994, p. 277-309, et son plaidoyer pour une histoire des représentations dans le numéro de 1989, id., « Le monde comme représentation », Annales ESC, 44-6, 1989, p. 1505-1520.
  • [40]
    Étienne Anheim et Antoine Lilti (dir.), no spécial « Savoirs de la littérature », Annales HSS, 65-2, 2010.
  • [41]
    Voir par exemple, récemment, Anaïs Fléchet et Élie Haddad (dir.), no spécial, « L’écriture de l’histoire : sciences sociales et récits », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 65-2, 2018.
  • [42]
    Luc Boltanski, Énigmes et complots. Une enquête à propos d’enquêtes, Paris, Gallimard, 2012.
  • [43]
    Michel Foucault et Claude Bonnefoy, Le beau danger. Un entretien de Michel Foucault avec Claude Bonnefoy, Paris, Éd. de l’EHESS, [1968] 2011.
  • [44]
    Lucien Febvre, « Face au vent. Manifeste des Annales nouvelles », Annales ESC, 1-1, 1946, p. 1-8, ici p. 5 et 7-8, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.
  • [45]
    Id., Le problème de l’incroyance au xviesiècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, [1942] 2003, p. 15.
  • [46]
    Voir Étienne Anheim, Jean-Yves Grenier et Antoine Lilti (dir.), no spécial « Statuts sociaux », Annales HSS, 68-4, 2013 et en particulier l’article d’Étienne Anheim, « Les hiérarchies du travail artisanal au Moyen Âge entre histoire et historiographie », p. 1027-1038 ; Antoine Lilti, « Le pouvoir du crédit au xviiie siècle. Histoire intellectuelle et sciences sociales », Annales HSS, 70-4, 2015, p. 957-978 ; Vincent Azoulay, « Repenser le politique en Grèce ancienne », Annales HSS, 69-3, 2014, p. 605-626.
  • [47]
    Clémence Revest, « La naissance de l’humanisme comme mouvement au tournant du xve siècle », Annales HSS, 68-3, 2013, p. 665-696.
  • [48]
    Ivan Jablonka, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Éd. du Seuil, 2014.
  • [49]
    Voir les reproches adressés à Éric Vuillard par Robert Paxton dans « The Reich in Medias Res », New York Review of Books, 6 déc. 2018 et, dans le présent numéro, le compte rendu par Romain Bertrand de Tristesse de la terre d’Éric Vuillard, p. 826-831.
  • [50]
    Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête. Portraits de l’écrivain contemporain en enquêteur, Paris, José Corti, 2019 ; Marie-Jeanne Zenetti, Factographies. L’enregistrement littéraire à l’époque contemporaine, Paris, Classiques Garnier, 2014.
  • [51]
    Enzo Traverso, Passés singuliers. Le « je » dans l’écriture de l’histoire, Montréal, Lux, 2020. Voir aussi, dans ce numéro, le compte rendu par Antoine Lilti des Disparus de Daniel Mendelsohn, p. 860-864.
  • [52]
    Philippe Artières, Vie et mort de Paul Gény. Récit, Paris, Éd. du Seuil, 2013.
  • [53]
    Voir, dans des styles différents et parmi bien d’autres exemples possibles, Simona Cerutti, Étrangers. Étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime, Montrouge, Bayard, 2012 et Jacques Dalarun, Gouverner c’est servir. Essai de démocratie médiévale, Paris, Alma éditeur, 2012.
  • [54]
    Françoise Zonabend, « Retour sur archives ou comment Minot s’est écrit », L’Homme, 200-4, 2000, p. 113-140 et Bernard Paillard, « Une enquête pluridisciplinaire en sciences humaines. Plozévet (1960-1965) : son histoire, ses archives », no spécial « Richesse et diversité : à la découverte des archives des sciences humaines et sociales », La Gazette des archives, 212-4, 2008, p. 57-67.
  • [55]
    Joël Lehr et Jacques Poirier (dir.), Retour à l’auteur, Reims, Éditions et Presses universitaires de Reims, 2015.
  • [56]
    Vincent Debaene, L’adieu au voyage. L’ethnologie française entre science et littérature, Paris, Gallimard, 2010 ; Alban Bensa et François Pouillon (dir.), Terrains d’écrivains. Littérature et ethnographie, Toulouse, Anacharsis, 2012.
  • [57]
    Patrick Boucheron, « On nomme littérature la fragilité de l’histoire », Le Débat, 165-3, 2011, p. 41-56.
  • [58]
    Laurent Binet, Civilizations, Paris, Grasset, 2019. Voir aussi Florian Besson, « Entretien. Imaginer une autre histoire des ‘Grandes Découvertes’ », Actuel Moyen Âge, 2019, http://actuelmoyenage.wordpress.com/2019/09/17/entretien-imaginer-une-autre-histoire-des-grandes-decouvertes.
  • [59]
    Pierre Bourdieu, Manet, une révolution symbolique. Cours au Collège de France (1999-2000), Paris, Éd. du Seuil, 2013.
  • [60]
    Pierre-Michel Menger, Le travail créateur. S’accomplir dans l’incertain, Paris, Gallimard/ Éd. du Seuil, 2009.
  • [61]
    Éditorial, « Les Annales, aujourd’hui, demain », Annales HSS, 67-3, 2012, p. 557-560, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.

1Dans les années 1980 et 1990, l’historiographie française, notamment les Annales, a pu donner le sentiment d’une certaine frilosité à l’égard des interrogations, parfois radicales, qui agitaient la communauté historienne internationale à propos des liens entre histoire et littérature. Cette situation pouvait apparaître surprenante, dans la mesure où le débat avait été vif dès les années 1970, en particulier autour du livre de Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, objet de deux recensions dans la revue [1]. En remettant en question les présupposés implicites de la pratique argumentative de l’histoire – spécialement le lien entre le statut de vérité de l’énoncé historique et ses conditions littéraires d’énonciation –, l’ouvrage dénaturalisait l’évidence d’une « écriture blanche [2] », où la preuve s’administrait hors de tout effet d’écriture, par le seul jeu de la confrontation et de la critique des sources. La réponse apportée par P. Veyne à sa propre interrogation redoublait d’ailleurs ce choc épistémologique. Il affirmait que « l’explication n’est pas autre chose que le récit [des] antécédents [du fait ou de la classe de faits considérés] [3] », et faisait de la modalité même de la mise en récit du matériau historique la variable clef de son inteligibilité. Quand bien même il était passible, dans le champ des sciences sociales, du même type de critiques auxquelles il faisait face dans le champ littéraire par suite de l’émergence du « nouveau roman », le modèle de l’ordonnancement chronologique des causes et des conséquences – un dispositif narratif linéaire – restait la condition sine qua non de tout effort de « rétrodiction du passé » [4]. Il ne s’agissait pas de savoir si histoire et narration avaient partie liée, mais, l’ayant d’entrée de jeu admis, de comprendre comment tirer le meilleur parti de leur relation.

2L’argument aurait pu être sereinement entendu et calmement discuté. Il le fut, dans un premier temps, notamment sur la base des propositions de Michel de Certeau dans L’écriture de l’histoire, puis à partir des considérations plus philosophiques de Paul Ricœur, livrées dans Temps et récit[5]. Chez M. de Certeau, qui entame sa réflexion sur le devenir-événement des faits dans les remous de Mai 68, l’« opération historiographique » tient d’abord de la concordance des temps : c’est depuis le présent que l’historien édifie le passé qui lui sert de territoire d’enquête, puisque la « relation au corps social est précisément l’objet de l’histoire [6] ». Se fait ainsi jour chez lui la topique, appelée à une longue postérité, d’une histoire inquiète : ne tenant que par les mises en intrigue dont elle fait l’objet, « l’histoire n’est jamais sûre [7] ». Le passé comporte une irréductible part d’étrangeté, laquelle interdit de le domestiquer par la litanie facile des précédents : « L’historien […] se ferait illusion s’il croyait s’être débarrassé de cette étrangeté interne à l’histoire en la casant quelque part, hors de lui, loin de nous, dans un passé clos [8] ». L’histoire relève, par-delà le respect des règles d’une méthode, du jeu d’une rhétorique du proche et du lointain qui, lors même qu’elle atteste les échos du passé dans le présent, préserve leur charge d’altérité. Le propre de l’historien est de parler « dans [une] parole venue d’ailleurs [9] ».

3Or, telle qu’elle s’est constituée en Occident depuis le xixe siècle, l’« opération historiographique » s’emploie, selon M. de Certeau, « à pourchasser le faux plus qu’à construire le vrai ». Puisque l’historiographie nomme fiction « ce qu’elle institue comme erroné », elle rejette ce qui lui résiste du côté de l’irréel [10]. Elle accentue ainsi la césure entre le présent et le passé pour mieux constituer ce dernier en objet d’un savoir objectif : « [e]lle est un tombeau en ce double sens que, par le même texte, elle honore et elle élimine [11]. » Lorsqu’elle ne questionne pas ses propres attendus, l’histoire devient une écriture du « grand partage » qui concourt à la délimitation de l’irrecevable et dont il importe, par contrecoup, de déceler et d’exposer les finalités répressives. À rebours de la position « naïve » de P. Veyne, qu’il critique dans les Annales au moyen d’un long compte rendu de Comment on écrit l’histoire, il n’y a donc pas, pour M. de Certeau, de récit innocent. P. Veyne a beau claironner que le discours historien peut « apprivoiser le réel et devenir la transparence », que, par son moyen, « les mots […] donneraient les choses », aucune vérité ne préexiste à son énonciation – et se refuser à l’admettre revient toujours à faire le jeu d’un assujettissement [12]. Pour autant, insiste M. de Certeau, ce serait une erreur que de réduire l’opération historiographique à une mise en récit, quand elle est tout autant constituée par le travail critique sur la documentation et par l’inscription dans une communauté savante [13]. Que les historiens écrivent des textes ne signifie pas qu’il s’agisse de fictions ou d’œuvres littéraires. C’est notamment le rôle des citations et des notes infra-paginales que de rappeler, à même le texte, ce travail savant qui leur donne une autorité spécifique et les distingue d’autres productions scripturaires.

4Le débat entre P. Veyne et M. de Certeau – rude, mais loyal – ouvrit un premier temps de discussion autour des modalités techniques des « fictions » qui ordonnent le récit historien, mais aussi, et surtout, de leurs finalités politiques. Le travail d’exégèse philosophique de la prose historienne mené par P. Ricœur, qui s’était d’abord inscrit dans le cadre d’une réflexion sur les enjeux épistémologiques de toute narration [14], a par la suite renoué le fil de ce questionnement sur les usages et les effets politiques de l’histoire. Il le pousse cependant un cran plus loin, en nommant « mémoire » cette forme intrinsèquement politique d’histoire qui, par le moyen de généalogies à fil tendu, ânonnées dans des récits sans trêves ni trouées, résorbe l’étrangeté du passé : « [l]a mémoire détient un privilège que l’histoire ne partagera pas, à savoir le petit bonheur de la reconnaissance : ‘C’est bien elle ! C’est bien lui [15] !’ » Il n’est donc d’histoire « vraie » que celle qui, dans les termes de Michel Foucault, « [met] en morceaux le jeu consolant des reconnaissances [16] ».

5L’heure est encore à l’affirmation, héritée des militantismes anti-carcéraux et anti-psychanalytiques des années 1970, que tout énoncé de savoir charrie l’injonction d’un pouvoir. N’échappant pas à la règle, l’histoire se trouve sommée de renoncer aux subterfuges rhétoriques qui lui permettent, en tissant une absolue continuité entre passé et présent, de transformer l’aléatoire d’une trajectoire en la nécessité d’une destinée – et, par là même, de grimer en évidences les choix qui organisent les exclusions et les dominations. Ainsi la question polémique du statut purement narratif ou rhétorique de la vérité historique se trouvait-elle conjurée chez P. Ricœur par l’introduction, dans l’analyse, du discours tiers de la « mémoire ». Ce qui toutefois semblait s’être perdu, dans le face-à-face soigneusement chorégraphié de l’histoire et de la mémoire, c’est le rapport à la littérature comme forme d’écriture.

6Quoique scandée de passes d’armes, la discussion sur le statut de l’histoire comme pratique d’écriture avait donc bien eu lieu : elle s’était soldée par la réaffirmation des potentialités émancipatrices du récit historique, dès lors que celui-ci obéit à un principe de discontinuité. Qu’il soit question de substituer à l’illusion sereine d’une origine le « grouillement barbare » des provenances, comme chez M. Foucault [17], ou qu’il s’agisse de faire droit à des voix venues d’un autrefois en forme d’ailleurs, comme chez M. de Certeau, le récit historien se voyait malgré tout crédité d’une puissance de vérité supérieure à celle des institutions s’évertuant à le désarmer.

Rendez-vous manqués

7Au cours des années 1980, la controverse n’a guère été poursuivie au sein des Annales. C’est plutôt dans les pages d’une revue généraliste et nouvelle comme Le Débat que furent publiés le texte de Lawrence Stone sur le « retour du récit » et le célèbre article de Carlo Ginzburg sur le « paradigme indiciaire [18] ». On peut attribuer cette frilosité à la conscience d’une double menace, épistémologique et politique, qui semblait peser sur la discipline historique. Sur le plan théorique, le succès outre-Atlantique du linguistic turn et, plus largement, du postmodernisme, remettait en cause la prétention des historiens à tenir un discours vrai sur le passé. La parution, en 1987, de l’ouvrage d’Hayden White – The Content of the Form: Narrative Discourse and Historical Representation, qui reprenait, en les radicalisant, les thèses initialement avancées par l’auteur dans sa Metahistory, publiée en 1975 [19] – fut perçue comme un point de bascule vers un textualisme extrême, lequel, en refusant toute hiérarchisation entre sources et théories aussi bien qu’en liant de façon quasi-exclusive l’autorité de la prose historienne à son usage de techniques narratives, pavait la voie à toutes les contestations révisionnistes.

8Dans ces mêmes années, et sur le plan politique cette fois, l’offensive des négationnistes, dans le sillage de Robert Faurisson, commandait la plus grande prudence. L’heure n’était plus à l’expérimentation théorique ou à l’hybridation de l’histoire et de la fiction, mais à l’affirmation, au contraire, de l’attachement à « cette vieillerie, ‘le réel’ », selon les termes d’une lettre très ferme de Pierre Vidal-Naquet à Luce Giard, dans laquelle il prenait ses distances à l’égard des propositions de M. de Certeau [20]. La réflexion de la revue sur les liens entre histoire et mémoire se fit donc sous cette contrainte d’une vigilance exacerbée à l’égard du négationnisme. En témoigne le numéro spécial « Présence du passé, lenteur de l’histoire. Vichy, l’Occupation, les Juifs », coordonné en 1993 par Lucette Valensi, dans lequel la nécessité pour l’historien d’être « dans la cité » se trouve d’autant plus vigoureusement réaffirmée que le moment arrive où « se rompt le temps des témoins [21] ».

9Cette méfiance à l’égard des propositions postmodernes, soupçonnées d’affaiblir l’autorité scientifique des historiens au moment où ceux-ci en avaient le plus besoin, ne fut pas un phénomène strictement français. Fer de lance de la critique de ce qu’il percevait comme une « offensive néo-sceptique », C. Ginzburg répudia méthodiquement les thèses d’H. White dans une série d’articles qui les poussaient au point limite en les appliquant à la négation de l’extermination des Juifs d’Europe [22]. Il montrait ainsi que l’opposition entre rhétorique et preuve était mal formée, et qu’il s’agissait au contraire de subordonner les procédures d’écriture à une exigence probatoire [23]. Cette « querelle du narrativisme » rendit suspect, des années durant, le débat autour des rapports entre histoire et littérature – et, plus encore, toute discussion à propos de l’usage possible de techniques de fictionnalisation dans le récit historien.

10Le débat n’était d’ailleurs pas cantonné à l’histoire. L’anthropologie connaissait au même moment – avec la publication, en 1986, de l’ouvrage de James Clifford et de George Marcus, Writing Culture: The Poetics and Politics of Ethnography[24] – une remise en cause radicale de ses protocoles d’écriture. La critique explicitement « postmoderne » des deux auteurs ne visait certes pas à affirmer l’impossibilité de quelque mise en récit que ce soit d’une situation d’observation ethnographique ; elle plaidait au contraire pour l’inventivité narrative en défendant une esthétique du « fragment » et en appelant au retour réflexif de l’ethnographe en son récit. Cependant, en déconstruisant mot à mot l’argument d’autorité canonique de l’ethnographie – le « j’y étais » sans appel d’Edward Evan Evans-Pritchard et de Bronisław Malinowski –, elle engendra une crise disciplinaire durable. La proposition de J. Clifford et de G. Marcus donna ainsi lieu à des reparties tout aussi virulentes que celle adressée à H. White par C. Ginzburg : les tenants d’un structuralisme axé sur la pratique raisonnée du comparatisme la dénoncèrent comme un « nouvel avatar égotiste de l’ethnocentrisme » menant au « solipsisme narcissique » [25].

11En restant très discrètes sur ces débats, qui ne trouvèrent presque aucun écho dans les pages de la revue alors même qu’ils étaient si vifs dans le monde anglophone, les Annales faisaient implicitement le choix d’un positivisme repensé, mais fermement ré-ancré au sein des sciences sociales [26]. C’était tout le sens du « tournant critique » : l’histoire était invitée à se renouveler non seulement en nouant un dialogue serré avec l’économie et la sociologie, mais aussi par une réflexion sur les échelles d’analyse, les formes de modélisation et les stratégies démonstratives. À l’inverse, la théorie critique, les études littéraires et la philosophie étaient maintenues à prudente distance. La question des enjeux narratifs ou stylistiques de l’histoire n’a pour cela guère été à l’honneur durant cette période, non plus que dans les années suivantes [27]. Lorsqu’elle a été abordée, y compris par les animateurs de la revue, ce fut plutôt dans d’autres lieux [28].

Histoire et littérature

12La revue s’est ressaisie de la question au début des années 2010, dans un contexte différent : celui des débats suscités par plusieurs romans portant sur la Seconde Guerre mondiale, certains assumant leur dimension fictionnelle, d’autres jouant plus ou moins ouvertement sur le rapprochement entre document historique et recréation littéraire. La controverse devint tout particulièrement visible lorsque Claude Lanzmann, bientôt rejoint par des historiennes et des historiens, accusa Yannick Haenel, à propos de son livre Jan Karski publié fin 2009, de « falsification de l’Histoire et de ses protagonistes », au motif que le romancier avait traité sur un mode par trop fictionnel la rencontre (réelle) entre Jan Karski et Franklin D. Roosevelt (au cours de laquelle les Alliés auraient été sommés en vain d’intervenir pour mettre un terme à la politique nazie de destruction des Juifs d’Europe). Y. Haenel aurait ainsi conféré à certaines de ses propres inventions littéraires – en particulier concernant le caractère et les réactions des acteurs – une vraisemblance équivalente à celle de faits avérés par la recherche historique [29].

13Si les écrivains semblaient de plus en plus enclins à s’emparer des objets et des méthodes de l’histoire, les historiens et les historiennes, à leur tour, étaient désireux d’expérimenter de nouvelles façons d’écrire, de jouer avec les frontières, de flirter avec la fiction, voire avec l’autofiction. Les propositions, malgré la diversité des approches, avaient en commun de traduire leur insatisfaction à l’égard des formes les plus classiques du récit historique, ainsi qu’un désir de liberté formelle nourri par le sentiment qu’en s’éloignant de la littérature, l’historiographie s’était amputée d’une part d’elle-même et privée de sa capacité à trouver un lectorat au-delà du monde universitaire. Ce faisant, l’historiographie française pouvait donner l’impression, à certains égards, de rejouer des débats qui avaient, dès les années 1990, animé une partie de la communauté internationale autour des liens entre histoire et littérature [30]. Elle le faisait pourtant dans un contexte dissemblable : celui d’un rapprochement avec la littérature contemporaine, marquée par la vogue du « roman sans fiction », selon les mots de Javier Cercas [31].

14La question ne portait donc plus sur les liens (con)substantiels entre histoire et littérature, c’est-à-dire sur les conditions d’usage générales de procédés ou d’effets littéraires à des fins de restitution d’une enquête historique, mais sur une modalité particulière de leurs relations : celle de la fictionnalisation romanesque des données et des documentations. De fait, la frontière entre « fiction » (romanesque) et « non-fiction » (scientifique) semblait vaciller sous les assauts conjugués d’écrivains s’emparant du matériau historique et d’historiens tentés par l’expérimentation littéraire. Du premier de ces mouvements témoignait l’inflexion « historienne » du travail littéraire de nombreux auteurs, en France comme à l’étranger – certains allant jusqu’à poser la question de l’usage et du rendu littéraires de documentations de type historique ou ethnographique [32]. Du second de ces mouvements – l’histoire « tentée par la littérature » – portaient trace des ouvrages qui, ayant cartographié les lacunes des attestations archivistiques d’un événement ou d’une situation, s’efforçaient de dévoiler et de pousser à leur extrême limite les procédés de l’histoire probabiliste [33], prenant ainsi leurs distances avec la pratique antérieure de cette démarche – tout aussi prudente et productive, mais moins consciente d’elle-même [34].

15Il existe, en outre, des modèles intermédiaires, plus réflexifs, de jeu sur les frontières entre histoire et littérature. Ceux-ci impliquent très souvent le recours à la parodie ou au pastiche : le romancier peut manier avec ironie (donc à des fins purement littéraires et données comme telles) les catégories et les marqueurs de style de la prose historienne (comme dans le travail de Pierre Senges [35]) ; l’historien peut user de formes littéraires consacrées pour les pousser au point limite de leurs effets afin de dévoiler et de conjurer l’efficace de leur procédé – la plupart du temps dans le but de dénouer l’intrication préalable du littéraire et de l’historique sous les espèces de la doxa ou de la légende [36]. Dans les deux cas, le « pacte de vérité » du texte tient dans la conscience claire des frontières, des pouvoirs et des limites de la pratique de l’autre : l’histoire et la littérature sont d’emblée données pour des programmes de vérité distincts, quitte à être réduites à des formes archétypales, voire caricaturales, et le « jeu de miroirs » ainsi créé permet de rendre compte aussi bien de leurs fragilités respectives que des apories de leurs entremêlements incontrôlés ou faussement naïfs. Il s’agit donc non pas d’un dispositif d’emprunts réciproques entre histoire et littérature, mais d’une variation sur le thème de leurs rapports – laquelle puise en toute connaissance de cause, à des fins critiques, dans le répertoire de leurs imbrications passées. La réaffirmation de la frontière entre les deux domaines passe par l’institution d’une méta-convention de ton ou de style, que signale une certaine distance de l’auteur à son texte et qui s’incarne dans une pratique outrée de la langue de l’autre.

16Dans ce contexte d’expérimentations tous azimuts, le choix des Annales fut de renverser le questionnement qui avait prévalu dans les approches critiques issues du linguistic turn : plutôt que de pointer ce qui, dans l’écriture de l’histoire, échappait à la science pour relever de la fiction, pourquoi ne pas étudier la littérature elle-même comme une science sociale ? Ce n’était pas la première fois que les Annales s’intéressaient au sujet : depuis le début, la littérature a occupé une place non négligeable dans la revue, parce qu’elle était considérée comme une forme importante d’activité culturelle des sociétés, ce qui impliquait de tracer des lignes de partage disciplinaires avec les études littéraires. En 1941, pour le premier numéro paru sous l’Occupation, Lucien Febvre avait publié un texte retentissant dans lequel il reprochait à Daniel Mornet d’avoir renoncé au programme lansonien d’histoire sociale de la littérature au profit d’une simple histoire littéraire, constituée par les biographies et les péripéties éditoriales des auteurs [37]. La critique portait sur deux flancs : D. Mornet était coupable non seulement d’isoler la littérature du reste de la vie sociale (alphabétisation et éducation, histoire du goût et des publics, évolution du sentiment religieux, conjoncture politique), mais aussi de dédaigner les textes eux-mêmes, leurs enjeux linguistiques et formels comme leur contenu intellectuel. Derrière ce procès en renoncement, L. Febvre menait l’une de ces offensives disciplinaires brutales qu’il affectionnait, cette fois contre les « professeurs de littérature ». Retournant le stigmate présumé de l’historien « lourdaud » sommé de comparaître devant l’assemblée des « fins lettrés », il finissait par revendiquer, au seul profit des études historiques, l’analyse exhaustive des œuvres littéraires.

17L’ambition était peut-être démesurée. Face à l’émergence de la « nouvelle critique » et au renouvellement des études littéraires, la revue offrait à Roland Barthes, quelques années plus tard, une tribune pour défendre la distinction entre deux programmes disciplinaires à la fois concurrents et complémentaires – l’objet dictant ici la méthode, puisque si l’« institution littéraire » relevait de la méthode historique (et sociologique), la « création littéraire », elle, impliquait l’« investigation psychologique [38] ». Les Annales sont restées par la suite fidèles à cette répartition des rôles, contribuant activement au développement de l’histoire du livre et de la culture écrite comme à l’essor de celle des institutions littéraires et des trajectoires d’écrivains. Deux numéros spéciaux, en 1994 et 2001, y furent consacrés, permettant aussi d’esquisser, notamment grâce aux propositions de Roger Chartier, un débat entre les propositions du « tournant critique » et les apports de l’histoire culturelle de la littérature [39].

18Dix ans plus tard, le numéro « Savoirs de la littérature [40] » proposait une perspective différente, plus attentive aux textes eux-mêmes, dans leur dimension narrative ou stylistique, et aux usages – rarement explicités – que les historiens font de leurs lectures. La proposition, qui a suscité de nombreuses discussions, a parfois été mal comprise, comme si une telle approche supposait d’abandonner toute réflexion sur l’historicité de la littérature ou de négliger la spécificité savante de l’histoire comme discipline des sciences sociales [41]. La proposition, en réalité, était tout autre. Elle visait à suggérer de nouvelles façons d’analyser historiquement la littérature, en insistant sur les moyens grâce auxquels celle-ci parvient à produire et à transmettre des connaissances plutôt que sur ses effets politiques ou ses déterminations sociologiques, si souvent mis en avant. Qu’il s’agisse de la construction des personnages, des figures de l’enquête, de la temporalité de la narration ou des techniques de description, les écrivains expérimentent des outils tout à la fois linguistiques et cognitifs qui ont eux-mêmes une histoire, et que l’on retrouve dans les textes des historiens.

19Une telle approche implique, comme l’avait déjà établi M. de Certeau trente ans auparavant, que l’écriture de l’histoire fait intégralement partie de sa dimension savante, et qu’elle ne saurait être considérée comme un supplément d’âme esthète ou un apparat éditorial. Autrement dit, la dimension formelle de l’écriture de l’histoire ou encore la proximité entre littérature et histoire ne sont pas des questions exclusivement esthétiques ou rhétoriques. Elles n’engagent pas seulement la lisibilité des textes historiques et leur capacité à toucher des publics diversifiés, mais portent aussi sur la nature même de la démonstration et sur les outils cognitifs de l’historien. Les arts de la description et ceux de la narration ne sont pas de simples mises en scène d’un matériau élaboré dans l’atelier de l’érudition : ils sont les outils cognitifs qui permettent à l’historien d’appréhender la matière même de l’histoire.

20Une autre conséquence était de souligner qu’histoire et littérature, en dépit de leurs pétitions de dissemblance, partagent certains éléments de généalogie. Les types de narrativité propres à telle discipline des sciences sociales à un moment donné de son institutionnalisation ou de son affirmation publique ne sont ainsi jamais radicalement étrangers aux formes d’énonciation littéraire qui leur sont contemporaines – et qui définissent l’horizon d’un rapport spécifique à la langue. Luc Boltanski suggère à ce titre que le compte rendu de l’enquête sociologique et le roman policier et d’espionnage, qui apparaissent au même moment, au tournant du xixe et du xxe siècle, font usage d’une même forme narrative : celle de l’énigme se résolvant indice après indice [42]. Le récit littéraire et le récit historien se distribuent le long d’un continuum – historiquement et socialement situé – de modes d’écriture du réel : ils puisent à un même répertoire de formes narratives. Si le rapport des sciences sociales aux formes littéraires qui les environnent est toujours de l’ordre du « beau danger [43] », c’est précisément qu’il existe, des unes aux autres, des gués, fussent-ils risqués.

Questions de style

21La réflexion, il est vrai, est restée d’ordre théorique, sans déboucher sur de véritables innovations formelles. La revue elle-même demeura très classique (trop peut-être) dans les formats proposés à ses lecteurs, cédant peu aux sirènes de l’expérimentation. L’usage de la première personne, la forme « enquête », les libertés stylistiques en sont comme bannies. Autocensure des auteurs ? Conformisme académique du comité de rédaction, inhibé par l’habitus scolaire français ? Normalisation internationale des pratiques d’écriture ? Les causes sont probablement multiples et convergentes, mais le résultat est là : les articles des Annales sont généralement arides, sacrifiant souvent la virtuosité narrative à la rigueur argumentative et à de lourds appareils de note. La diversité de ton, de longueur et de style a laissé place à une certaine uniformité, sur le modèle des gros articles de 80 000 à 100 000 signes, pensés comme des textes de référence, présentant une recherche aboutie. Même l’alacrité polémique, qui fut longtemps l’un des signes distinctifs des Annales, depuis les comptes rendus assassins de L. Febvre jusqu’aux chapeaux ironiques de la rédaction, semble avoir déserté ses pages.

22Il faut ici rappeler que de sa fondation aux années d’après-guerre, la revue hébergeait volontiers des notules proches du coup de semonce, voire de véritables déclarations de guerre – scientifiques le plus souvent, mais politiques à l’occasion. On y trouvait aussi, sous le prétexte de la recension « à chaud » d’ouvrages de « vulgarisation », des textes qui n’hésitaient pas à verser dans l’expression d’une opinion sur les affaires du temps – qu’il s’agisse de la place de la France en Europe ou de l’enlisement des conflits coloniaux. Si l’ombre portée des engagements de Marc Bloch expliquait pour partie ces textes de combat, ceux-ci traduisaient également le souci permanent de L. Febvre de redonner droit de cité à l’histoire dans le débat public. C’est tout le sens du « Manifeste des Annales nouvelles » de 1946, marqué du sceau d’une appréhension inquiète de l’avenir et significativement intitulé « Face au vent » :

23

[V]ite à la besogne, historiens. Assez de discussions. Le temps passe, le temps presse. Vous voudriez peut-être qu’on vous laisse souffler ? Le temps de balayer chacun devant sa porte ? Il s’agit bien de cela. Le monde vous pousse, le monde vous souffle au visage son haleine de fièvre. Non, on ne vous laissera pas tranquilles. Ni les Anglais, ni les Américains, ni les Russes, ni les Libanais, ni les Syriens, ni les Arabes, ni les Kabyles, ni les portefaix de Dakar, ni les boys de Saïgon.
[…] En 1946, l’histoire des Annales entend servir. […] [N]ous aussi, historiens, faisons notre examen de conscience. Notre retour sur nous-mêmes. Et disons : l’Érudition pour l’Érudition, jamais. L’Histoire au service des partis et des opinions partisanes, jamais. Mais l’Histoire posant des problèmes au passé, en fonction des besoins présents de l’Humanité : cela, oui. Voilà notre doctrine. Voilà notre Histoire [44].

24On ne trouve plus trace depuis longtemps, dans les Annales, de billets d’humeur de cette sorte. Il se peut que la revue paie ainsi le prix de son succès, trop consciente désormais de sa respectabilité et de sa responsabilité. Il est vraisemblable que cette normalisation des formats soit, bien au-delà des Annales, une conséquence de l’uniformisation des procédures d’évaluation, laquelle entraîne l’imposition d’un calibrage international de « l’article de recherche », reconnaissable à ses longues notes de bas de page passant en revue toute la bibliographie existante sur un sujet donné. Il se peut aussi que les formes brèves, les interventions légères ou polémiques trouvent aujourd’hui d’autres espaces de publication, notamment sur internet, tandis que l’innovation formelle et la tentation littéraire s’épanouissent plutôt dans le format « livre », notamment chez les éditeurs généralistes qui visent un public plus large. Les normes implicites qui règlent l’écriture d’un article, partagées par les auteurs et le comité, correspondent aussi à l’évolution du lectorat – réel et postulé – de la revue : plus universitaire, moins généraliste.

25Faut-il s’y résigner ? Les lecteurs savants ne méritent-ils que des lectures uniformes ? Diversifier les formats et les modes d’écriture, renouer avec des formes plus courtes, des interventions plus incisives, voire polémiques, pourrait être l’un des objectifs de la revue dans les années qui viennent. Cela passerait sans doute par le développement de nouvelles rubriques, par exemple en publiant des comptes rendus un peu plus longs que la moyenne, des notes sur l’actualité historiographique et des débats critiques. Nous souhaiterions réintroduire dans les Annales une forme de subjectivité, voire une pincée de mauvaise foi, susciter le plaisir de la lecture, surprendre. Enfin, cette réflexion doit intégrer toutes les formes non discursives qui participent à l’écriture de l’histoire : images, cartes, tableaux statistiques, qui sont souvent les laissés pour compte de la discussion épistémologique. Pour une revue comme les Annales, beaucoup de questions formelles sont aujourd’hui ouvertes, comme en suspens, qui ne sauraient se réduire à la question du récit. L’écriture collaborative, à plusieurs mains, est de plus en plus pratiquée et pose des questions spécifiques de format et d’homogénéité. L’articulation des articles publiés et des compléments qui peuvent se trouver en ligne, sur le site de la revue, reste aussi un enjeu à explorer. L’émancipation à l’égard du support papier demeure, à cet égard, ambivalente : si elle restreint le lectorat de la revue, pour l’essentiel, au monde universitaire, la coupant du grand public que L. Febvre et M. Bloch espéraient toucher, elle offre toutefois des possibilités éditoriales inédites.

26Ici encore, les formes d’écriture et de publication sont indissociables d’une réflexion sur les modes de connaissance. Ces dernières années, l’accent s’est déplacé de la question poétique à la réflexivité critique, portant dès lors moins sur la mise en forme de l’enquête que sur le rapport que l’historien entretient au passé, notamment à travers l’historicité des catégories qu’il mobilise. Comme on le sait, l’histoire savante a souvent pensé que la production d’un savoir objectif impliquait de tracer une frontière épistémologique étanche entre le passé et le présent. L’historien ou l’historienne se tient fermement dans son temps, et étudie avec les outils de la critique historique et les concepts des sciences sociales un passé plus ou moins lointain mais qu’il ou elle s’évertue à tenir à distance pour éviter le « péché irrémissible » entre tous : celui de l’anachronisme [45]. Cette position, pourtant, est difficilement tenable, car entre les catégories des acteurs et celles des historiens, il n’existe pas, le plus souvent, de solution de continuité.

27Si bien qu’une approche plus réflexive du travail historiographique consiste à étudier l’ombre portée des catégories indigènes dans le vocabulaire savant, en général à travers la médiation des sciences sociales du xxe siècle – lesquelles ont fréquemment eu partie liée avec l’expérimentation littéraire. C’est le cas, en particulier, des grandes catégories de l’histoire sociale, comme celle de « statuts sociaux », dès lors qu’on les applique à l’histoire européenne, mais aussi de concepts essentiels de l’histoire économique, comme ceux de « travail » ou de « crédit », et, bien évidemment, de l’histoire politique, depuis la notion de « révolution » jusqu’à celle de « politique » elle-même, qui plonge ses racines dans la tradition grecque et ses réemplois [46]. Il en va encore plus nettement des méta-catégories historiographiques, comme les concepts d’époques (Moyen Âge, Renaissance, Humanisme, Lumières), dont l’historien hérite et qui charrient avec elles de longues chaînes d’interprétation qu’il est illusoire de vouloir éliminer ou neutraliser [47].

28Mieux vaut assumer les boucles herméneutiques qui se forment alors entre l’utilisation des catégories dans les sources de la pratique, les efforts de conceptualisation dans le passé et les savoirs interprétatifs produits dans le présent. La vieille opposition entre les approches « émiques » et « étiques » se trouve alors dépassée pour déboucher sur une généalogie des catégories de l’entendement historien. Celle-ci enrichit, en retour, la compréhension du passé en désactivant les effets de familiarité engendrés par la continuité trompeuse du vocabulaire. Par conséquent, l’étude des traditions historiographiques n’est plus un préalable à l’enquête ni une spécialité autonome, mais la condition de toute recherche historique, dès lors qu’il n’est plus admis de saisir une question historique en dehors des traditions interprétatives qui l’ont portée jusqu’à nous.

29Pour autant, les historiens ne se débarrassent pas à si bon compte de la question littéraire. Celle-ci, plus que jamais, semble hanter l’historiographie contemporaine. Les propositions ont ainsi fleuri – peut-être en réponse à la crise éditoriale de l’histoire savante – en faveur d’un rapprochement assumé qui ferait de l’histoire une « littérature contemporaine [48] », au risque pourtant évident de dépouiller l’écriture historiographique de sa spécificité : celle d’une démarche savante, soucieuse de donner aux lecteurs les éléments contrôlables d’une argumentation et les moyens documentaires d’une « falsification ». Du côté des écrivains, la fascination croissante pour l’histoire comme terrain de jeu et d’expérimentation, diagnostiquée dans le numéro sur les « Savoirs de la littérature », s’est renforcée, faisant resurgir périodiquement les débats sur la liberté de l’écrivain à l’égard de la vérité historique et sur le pacte de vérité qui le lie à ses lecteurs [49]. Le modèle de l’enquête, qui suppose la mise en scène du narrateur-détective, la narrativisation de la trouvaille documentaire et l’interrogation inquiète sur l’opacité du passé, semble dessiner un unique horizon topique, qui est peut-être avant tout le symptôme d’un moment épistémologique incertain [50]. Les historiens, à leur tour, se saisissent de ce modèle narratif, avec une prédilection pour les récits familiaux, au risque de laisser le « moi » subjectif du narrateur supplanter le « je » épistémologique du chercheur [51].

30La « forme enquête » du récit historique recouvre en effet, et menace parfois de confondre, deux modes distincts de mise en forme littéraire de l’« opération historiographique ». La première vise, au prétexte du retour de l’auteur en son récit, la mise en scène de l’enquêteur : transformé en antihéros qui chemine de déconvenue en découverte, celui-ci leste le texte de la crédibilité du témoin – le témoin esseulé de sa propre recherche [52]. La seconde expose le déroulement de l’enquête elle-même : au moyen d’incises et d’apartés, elle donne à voir, dans le corps même du texte, les opérations techniques au moyen desquelles s’édifie la démonstration et s’administre la preuve – sélection des sources, comparaison, traduction, mise en série des données [53]. Elle ne mobilise donc à aucun moment le « moi » explicite de l’auteur, mais recourt au « je » implicite du praticien inscrit dans une communauté savante dont il dévoile la méthode et les tours de main. L’autorité du récit – son effet de véracité – n’y procède pas de la prouesse d’un narrateur qui réinvente à chaque page les gestes d’un métier, mais des acquis collectifs d’une discipline, ce qui a pour mérite, par la mise à disposition plus systématique des matériaux « bruts », d’augmenter le coefficient de « falsifiabilité » de la démonstration. Par ailleurs, il est à noter que ce « je » épistémologique, qui est en réalité le « nous » d’un champ institutionnalisé de savoir, prend le relais d’une autre déclinaison de la forme enquête : celle des grandes enquêtes collectives des années 1970, qui tiraient leur robustesse de la mise en commun ou en regard des apports disciplinaires et constituaient un exemple abouti d’écriture collaborative [54]. Derrière l’apparente unicité de la « forme enquête » se cachent ainsi des stratégies très dissemblables d’autorité narrative. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que ces stratégies recoupent, sur la durée du demi-siècle écoulé, l’histoire de la transformation de la notion d’« auteur » au sein du champ littéraire – depuis l’annonce tonitruante de sa « mort » au tournant des années 1970 jusqu’à la célébration de sa « résurrection » dans les années 1990 [55].

31L’histoire n’est pas la seule discipline des sciences sociales saisie, et parfois ébranlée, par ces interrogations : les anthropologues, qui n’ont pas renoncé à la tradition du « deuxième livre », plus littéraire, regardent avec intérêt du côté des écrivains et de leurs « terrains [56] ». Il est cependant certain que les doutes de plus en plus souvent exprimés sur la capacité des historiens à donner une vision objective et fiable du passé les encouragent à se tourner vers les ressources littéraires, celles-ci offrant la possibilité de mettre en forme l’incertitude du discours historique. D’où ce paradoxe apparent : le tropisme littéraire de certains historiens, aujourd’hui, relève à la fois d’un manque de confiance épistémologique dans la robustesse du savoir historique et d’une grande assurance quant à sa capacité à concurrencer la fiction auprès de son public – le lectorat généraliste. De l’art de transformer une fragilité en force [57].

32À ce point, les risques de confusion ne sont pas négligeables, et on ne mesure pas vraiment ce que les historiens ont à gagner à l’affirmation rhétorique de l’indétermination des formes d’écriture du passé. Dans certains cas, le rapprochement entre histoire et littérature paraît même tenir de l’alliance tactique. On voit bien ce que la fiction y gagne – ainsi lorsque l’indécision de la « méthode contrefactuelle » rencontre le vœu pieux d’une « réparation » littéraire des torts de l’Histoire pour produire un récit qui n’obéit à aucun pacte explicite de véracité [58]. On voit moins bien ce que l’histoire, elle, peut y gagner, s’il s’agit de s’affranchir des formes savantes d’administration de la preuve. Entre, d’une part, la tentation d’un néo-positivisme, encouragée par les modes de financement international, les humanités numériques et le culte résurgent des bases de données « livrables », et, de l’autre, le fantasme d’une dilution des sciences sociales dans les grandes eaux de la littérature, la voie est étroite, mais elle existe. Elle implique une attention curieuse et vigilante des historiens à l’égard des écrits littéraires, ceux-ci étant à la fois des ressources précieuses lorsqu’il s’agit d’affûter les façons de dire le monde, et des objets historiques qui se doivent d’être abordés sans fascination excessive. Elle suppose également, pour ne pas être dupe de leur réemploi, de prendre en compte et au sérieux l’historicité des formes littéraires, c’est-à-dire l’histoire des états syntaxiques et lexicaux de la langue à partir desquels s’opèrent les départs et les écarts qui s’énoncent comme des expérimentations – révolutions modernistes ou restaurations classicistes [59].

33Ce regard critique sur l’historicité des formes littéraires, ou simplement langagières, appartient depuis longtemps, nous l’avons rappelé, au projet des Annales. L’attention portée au dialogue que toute écriture historique entretient, qu’elle le veuille ou non, qu’elle le reconnaisse ou pas, avec les formes narratives et les techniques descriptives de son temps est peut-être un mouvement plus inédit. La revue est dès lors équipée pour échapper aux fausses alternatives. Les historiens n’ont pas à choisir entre la science et la littérature, qui sont, après tout, deux configurations historiques du rapport à la connaissance. Ils doivent, en revanche, expliciter les implications épistémologiques de leurs choix d’écriture et leur articulation aux pratiques documentaires qui fondent la crédibilité savante de leurs écrits.

34Au prix d’un surcroît de travail réflexif concernant les déterminations sociales de leur propre pratique stylistique, l’historienne et l’historien pourraient ainsi ne pas rester aveugles aux raisons de leurs pétitions de novation (ou de neutralité) littéraire. Ils en viendraient, ce faisant, interrogés sur les particularités de leur écriture, à substituer au catalogue sartrien de leurs « lectures personnelles » – illusion héroïque par excellence – l’inventaire des formes et des prétentions narratives auxquelles leur inscription circonstancielle dans le champ disciplinaire les ont rendu perméables. Une histoire des « tentations littéraires » de l’histoire permettrait alors de déjouer, par le recours même aux outils de la méthode historique, le mythe – commun à tous les domaines de création à forte « auctorialité [60] » – d’une bravoure stylistique esseulée. Si l’histoire est aussi « question de style [61] », alors l’histoire de ses styles reste à faire.


Date de mise en ligne : 25/08/2021

Notes

  • [1]
    Raymond Aron, « Comment l’historien écrit l’épistémologie. À propos du livre de Paul Veyne », Annales ESC, 26-6, 1971, p. 1319-1354 et Michel deCerteau, « Une épistémologie de transition : Paul Veyne », Annales ESC, 27-6, 1972, p. 1317-1327.
  • [2]
    Roland Barthes, Le degré zéro de l’écriture, Paris, Éd. du Seuil, [1953] 1972.
  • [3]
    Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Éd. du Seuil, [1971] 1978, p. 70.
  • [4]
    P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, op. cit., p. 41 et 65-69.
  • [5]
    Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975 ; Paul Ricœur, Temps et récit, t. 1, L’intrigue et le récit historique, Paris, Éd. du Seuil, 1983.
  • [6]
    M. de Certeau, L’écriture de l’histoire, op. cit., p. 70.
  • [7]
    Id., La possession de Loudun, Paris, Gallimard, [1970] 1990, p. 7.
  • [8]
    Ibid., p. 327.
  • [9]
    Michel de Certeau, La fable mystique. xvie -xviie siècle, t. 1, Paris, Gallimard, 1982, p. 320.
  • [10]
    Id., « L’histoire, science et fiction », Le genre humain, 1-7, 1983, p. 147-169, ici p. 160.
  • [11]
    Id., L’écriture de l’histoire, op. cit., p. 119.
  • [12]
    Id., « Une épistémologie… », art. cit., p. 1321.
  • [13]
    Dans l’historiographie contemporaine, constituée comme discipline universitaire depuis le xixe siècle, cette communauté savante est aussi une communauté professionnelle. Il existe bien sûr, dans le passé européen comme dans d’autres traditions savantes extra-européennes, des dispositifs différents, où l’articulation du récit et de la preuve s’agence autrement, sans que cette différence soit nécessairement irréductible. Cette perspective comparatiste a été remarquablement absente des débats ici évoqués, du moins jusqu’aux années récentes. Voir Velcheru Narayana Rao, David Shulman et Sanjay Subrahmanyam, Textures du temps. Écrire l’histoire en Inde, trad. par M. Fourcade, Paris, Éd. du Seuil, 2004 et Nathalie Kouamé (dir.), Historiographies d’ailleurs. Comment écrit-on l’histoire en dehors du monde occidental ?, Paris, Karthala, 2014.
  • [14]
    Paul Ricœur, Temps et récit, Paris, Éd. du Seuil, 3 vol., 1983-1985.
  • [15]
    Id., « L’écriture de l’histoire et la représentation du passé », Annales HSS, 55-4, 2000, p. 731-747, ici p. 736. Voir aussi id., La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éd. du Seuil, 2000.
  • [16]
    Michel Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », in Dits et écrits (1954-1988), t. 2, 1970-1975, éd. par D. Defert et F. Ewald, Paris, Gallimard, [1971] 1994, p. 136-157.
  • [17]
    M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », art. cit., p. 149.
  • [18]
    Lawrence Stone, « Retour au récit ou réflexions sur une nouvelle vieille histoire », Le Débat, 4-4, 1980, p. 116-142 ; Carlo Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, 6-6, 1980, p. 3-44.
  • [19]
    Hayden White, The Content of the Form: Narrative Discourse and Historical Representation, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1987 ; id., Metahistory: The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1975.
  • [20]
    Pierre Vidal-Naquet, « Lettre », in L. Giard (dir.), Michel de Certeau, Paris, Centre Georges Pompidou, 1987, p. 71-72, cité par Patrick Boucheron dans « ‘Toute littérature est assaut contre la frontière’. Note sur les embarras historiens d’une rentrée littéraire », Annales HSS, 65-2, 2010, p. 441-467, ici p. 465.
  • [21]
    Lucette Valensi, « Présence du passé, lenteur de l’histoire », L. Valensi (dir.), no spécial « Présence du passé, lenteur de l’histoire. Vichy, l’Occupation, les Juifs », Annales ESC, 48-3, 1993, p. 491-500, ici p. 497.
  • [22]
    Carlo Ginzburg, « Just One Witness », in S. Friedlander (dir.), Probing the Limits of Representation: Nazism and the “Final Solution”, Cambridge, Harvard University Press, 1992, p. 82-96, repris sous une forme révisée dans id., « Unus testis. Lo sterminio degli ebrei e il principio de realtà », Quaderni storici, 80-2, 1992, p. 529-548. Cette question du « témoin unique » se trouve déjà semblablement articulée à celle de l’énonciation littéraire de la vérité historique chez Pierre Vidal-Naquet dans sa préface « Du bon usage de la trahison », inFlavius Josèphe, La guerre des Juifs, trad. par P. Savinel, Paris, Éd. de Minuit, 1977, p. 9-115).
  • [23]
    Carlo Ginzburg, Rapports de force. Histoire, rhétorique, preuve, Paris, Éd. de l’EHESS/Gallimard/Éd. du Seuil, 2003.
  • [24]
    James Clifford et George Marcus, Writing Culture: The Poetics and Politics of Ethnography, Berkeley, University of California Press, 1986.
  • [25]
    Philippe Descola, « Post-scriptum. Les écritures de l’ethnologie », in Les lances du crépuscule. Relations jivaros, Haute Amazonie, Paris, Plon, 1993, p. 479-482, ici p. 481-482.
  • [26]
    Même l’article de Daniel S. Milo, qui plaidait, en 1990, pour une « gaie histoire », expérimentale et iconoclaste, libérée des habitudes et des servitudes disciplinaires, esquive étrangement cette question : Daniel S. Milo, « Pour une histoire expérimentale, ou la gaie histoire », Annales ESC, 45-3, 1990, p. 717-734.
  • [27]
    On remarquera par exemple que Jacques Rancière, Les noms de l’histoire. Essai de poétique du savoir, Paris, Éd. du Seuil, 1992 n’a pas été recensé dans les Annales. Pas davantage que le livre, paru la même année et qui porte sur la politique de la Nouvelle Histoire, de Philippe Carrard, Poetics of the New History: French Historical Discourse from Braudel to Chartier, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1992, traduit en français en 1998. Les livres d’Hayden White ne font l’objet d’aucune recension et ne sont cités qu’à deux reprises : voir D. S. Milo, « Pour une histoire expérimentale… », art. cit., p. 731 et P. Ricœur, « L’écriture de l’histoire… », art. cit., p. 743-744.
  • [28]
    Voir notamment Jacques Revel, « Ressources narratives et connaissance historique », Enquête, 1, 1995, p. 43-70.
  • [29]
    Yannick Haenel, Jan Karski : roman, Paris, Gallimard, 2009 ; Claude Lanzmann, « Jan Karski de Yannick Haenel : un faux roman », Marianne, 666, janv. 2010, p. 23-29, republié dans Les Temps modernes, 657-1, 2010, p. 1-10 ; Annette Wieviorka, « Faux témoignage », L’Histoire, 349-1, 2010, p. 30-31. Yannick Haenel dépeint ainsi un Roosevelt libidineux, plus soucieux du corsage de sa secrétaire que des propos de Jan Karski, alors que ce dernier, dans ses mémoires, loue au contraire la qualité d’écoute du président américain. Se trouve validée, de la sorte, la thèse, historiquement problématique, d’une indifférence américaine au sort des Juifs d’Europe.
  • [30]
    Voir par exemple Bruce Mazlish, « The Question of The Question of Hu », History and Theory, 31-2, 1992, p. 143-152.
  • [31]
    Javier Cercas, Le point aveugle, trad. par É. Beyer et A. Grujičić, Arles, Actes Sud, 2016.
  • [32]
    Le début du siècle fut notamment marqué par la réception des œuvres d’auteurs européens majeurs comme W. G. Sebald et Hans Magnus Enzesberger, par le succès du livre de Jonathan Littell, Les bienveillantes, Paris, Gallimard, 2006 et par l’apparition sur la scène littéraire du collectif Inculte (réunissant, entre autres, Mathias Énard et Maylis de Kerangal), d’Emmanuel Carrère et d’Éric Vuillard. Pour le compte rendu critique de ce moment de vacillement des frontières entre « fiction » et « non-fiction » et de l’émergence corrélative de la notion de « littérature du réel », voir Françoise Lavocat, Fait et fiction. Pour une frontière, Paris, Éd. du Seuil, 2016 et Alexandre Gefen, Réparer le monde. La littérature française face au xxiesiècle, Paris, José Corti, 2017. Il s’agit également, dans le champ poétique français, d’une période de « retour au réel », sur fond de critique et parfois de répudiation des expériences « textualistes » des années 1970 (incarnées notamment par la revue Tel quel) – un tournant que signalent bien la montée en puissance de la topique du « monde » et le retour en grâce de la thématique pongienne des « choses ». Voir sur ce point Michel Collot, Le chant du monde dans la poésie française contemporaine, Paris, José Corti, 2019.
  • [33]
    Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel, Lagrasse, Verdier, 2008.
  • [34]
    Alain Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu, 1798-1876, Paris, Flammarion, 1998.
  • [35]
    Pierre Senges, La réfutation majeure, Paris, Gallimard, 2005.
  • [36]
    Romain Bertrand, Qui a fait le tour de quoi ? L’affaire Magellan, Lagrasse, Verdier, 2020.
  • [37]
    Lucien Febvre, « Littérature et vie sociale. Un renoncement ? », Annales d’histoire sociale, 3-3/4, 1941, p. 113-117. Voir Anne Simonin, « Histoire et Littérature », in Y. Potin et J.-F. Sirinelli (dir.), Générations historiennes. xixe-xxiesiècle, Paris, CNRS Éditions, 2019, p. 697-717.
  • [38]
    Roland Barthes, « Histoire et littérature : à propos de Racine », Annales ESC, 15-3, 1960, p. 524-537, ici p. 525.
  • [39]
    Christian Jouhaud (dir.), no spécial « Littérature et histoire », Annales HSS, 49-2, 1994 et Jacques Poloni-Simard (dir.), no spécial « Pratiques d’écriture », Annales HSS, 56-4/5, 2001. On pourra comparer l’article de 1994 de Roger Chartier, « George Dandin, ou le social en représentation », Annales HSS, 49-2, 1994, p. 277-309, et son plaidoyer pour une histoire des représentations dans le numéro de 1989, id., « Le monde comme représentation », Annales ESC, 44-6, 1989, p. 1505-1520.
  • [40]
    Étienne Anheim et Antoine Lilti (dir.), no spécial « Savoirs de la littérature », Annales HSS, 65-2, 2010.
  • [41]
    Voir par exemple, récemment, Anaïs Fléchet et Élie Haddad (dir.), no spécial, « L’écriture de l’histoire : sciences sociales et récits », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 65-2, 2018.
  • [42]
    Luc Boltanski, Énigmes et complots. Une enquête à propos d’enquêtes, Paris, Gallimard, 2012.
  • [43]
    Michel Foucault et Claude Bonnefoy, Le beau danger. Un entretien de Michel Foucault avec Claude Bonnefoy, Paris, Éd. de l’EHESS, [1968] 2011.
  • [44]
    Lucien Febvre, « Face au vent. Manifeste des Annales nouvelles », Annales ESC, 1-1, 1946, p. 1-8, ici p. 5 et 7-8, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.
  • [45]
    Id., Le problème de l’incroyance au xviesiècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, [1942] 2003, p. 15.
  • [46]
    Voir Étienne Anheim, Jean-Yves Grenier et Antoine Lilti (dir.), no spécial « Statuts sociaux », Annales HSS, 68-4, 2013 et en particulier l’article d’Étienne Anheim, « Les hiérarchies du travail artisanal au Moyen Âge entre histoire et historiographie », p. 1027-1038 ; Antoine Lilti, « Le pouvoir du crédit au xviiie siècle. Histoire intellectuelle et sciences sociales », Annales HSS, 70-4, 2015, p. 957-978 ; Vincent Azoulay, « Repenser le politique en Grèce ancienne », Annales HSS, 69-3, 2014, p. 605-626.
  • [47]
    Clémence Revest, « La naissance de l’humanisme comme mouvement au tournant du xve siècle », Annales HSS, 68-3, 2013, p. 665-696.
  • [48]
    Ivan Jablonka, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Éd. du Seuil, 2014.
  • [49]
    Voir les reproches adressés à Éric Vuillard par Robert Paxton dans « The Reich in Medias Res », New York Review of Books, 6 déc. 2018 et, dans le présent numéro, le compte rendu par Romain Bertrand de Tristesse de la terre d’Éric Vuillard, p. 826-831.
  • [50]
    Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête. Portraits de l’écrivain contemporain en enquêteur, Paris, José Corti, 2019 ; Marie-Jeanne Zenetti, Factographies. L’enregistrement littéraire à l’époque contemporaine, Paris, Classiques Garnier, 2014.
  • [51]
    Enzo Traverso, Passés singuliers. Le « je » dans l’écriture de l’histoire, Montréal, Lux, 2020. Voir aussi, dans ce numéro, le compte rendu par Antoine Lilti des Disparus de Daniel Mendelsohn, p. 860-864.
  • [52]
    Philippe Artières, Vie et mort de Paul Gény. Récit, Paris, Éd. du Seuil, 2013.
  • [53]
    Voir, dans des styles différents et parmi bien d’autres exemples possibles, Simona Cerutti, Étrangers. Étude d’une condition d’incertitude dans une société d’Ancien Régime, Montrouge, Bayard, 2012 et Jacques Dalarun, Gouverner c’est servir. Essai de démocratie médiévale, Paris, Alma éditeur, 2012.
  • [54]
    Françoise Zonabend, « Retour sur archives ou comment Minot s’est écrit », L’Homme, 200-4, 2000, p. 113-140 et Bernard Paillard, « Une enquête pluridisciplinaire en sciences humaines. Plozévet (1960-1965) : son histoire, ses archives », no spécial « Richesse et diversité : à la découverte des archives des sciences humaines et sociales », La Gazette des archives, 212-4, 2008, p. 57-67.
  • [55]
    Joël Lehr et Jacques Poirier (dir.), Retour à l’auteur, Reims, Éditions et Presses universitaires de Reims, 2015.
  • [56]
    Vincent Debaene, L’adieu au voyage. L’ethnologie française entre science et littérature, Paris, Gallimard, 2010 ; Alban Bensa et François Pouillon (dir.), Terrains d’écrivains. Littérature et ethnographie, Toulouse, Anacharsis, 2012.
  • [57]
    Patrick Boucheron, « On nomme littérature la fragilité de l’histoire », Le Débat, 165-3, 2011, p. 41-56.
  • [58]
    Laurent Binet, Civilizations, Paris, Grasset, 2019. Voir aussi Florian Besson, « Entretien. Imaginer une autre histoire des ‘Grandes Découvertes’ », Actuel Moyen Âge, 2019, http://actuelmoyenage.wordpress.com/2019/09/17/entretien-imaginer-une-autre-histoire-des-grandes-decouvertes.
  • [59]
    Pierre Bourdieu, Manet, une révolution symbolique. Cours au Collège de France (1999-2000), Paris, Éd. du Seuil, 2013.
  • [60]
    Pierre-Michel Menger, Le travail créateur. S’accomplir dans l’incertain, Paris, Gallimard/ Éd. du Seuil, 2009.
  • [61]
    Éditorial, « Les Annales, aujourd’hui, demain », Annales HSS, 67-3, 2012, p. 557-560, reproduit dans le présent numéro : « 90 ans d’éditoriaux », p. 725-796.

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