Notes
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[1]
Guilhem Ferrand, « Communautés et insécurité en Rouergue à la fin du Moyen Âge », thèse de doctorat, université Toulouse 2, 2009.
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[2]
Geneviève Bresc-Bautier et Henri Bresc, Une maison de mots. Inventaires de maisons, de boutiques d’ateliers et de châteaux de Sicile (xiiie-xve siècle), Palerme, Associazione Mediterranea, 2014 ; Jordi Bolos et Imma Sánchez-Boiro, Inventaris i encants conservats a l’Arxiu Capitular de Lleida (segles xiv-xvi), Barcelone, Fundació Noguera, 2014.
1Après une thèse dédiée aux communautés de la fin du Moyen Âge confrontées à la guerre dans le Rouergue [1], Guilhem Ferrand a poursuivi des recherches sur le vin et ce qu’il signifiait pour les habitants du Dijonnais. C’est au cours de ce chantier qu’il a pris conscience de la richesse des inventaires conservés aux archives départementales de la Côte-d’Or et de la nécessité de les rendre accessibles à un plus large public. Il propose ainsi le premier tome d’une série consacrée à l’édition des quelque 700 inventaires de biens dressés par la mairie de Dijon de 1390 au milieu du xve siècle, lorsqu’une évolution de la coutume de Bourgogne amena une forte réduction de cette activité.
2Ce corpus occupe une place singulière dans l’historiographie, comme le souligne un avant-propos de Danièle Alexandre-Bidon et de Perrine Mane en forme d’hommage à Françoise Piponnier, l’une des premières à percevoir le potentiel de ce type de documentation, avant que les historiens s’y intéressent plus systématiquement à partir des années 1970-1980. Cette rétrospective met en lumière l’apport fondamental des travaux sur les inventaires dijonnais, menés dès 1965 par la chercheuse au sein de différents programmes de l’Ehess. Il s’agit, de fait, d’une série inégalée par son volume et par sa précision pour la fin du Moyen Âge. Les corpus connus par ailleurs pour la même période sont d’une moindre ampleur : l’on compte environ 200 inventaires à Marseille et une cinquantaine à peine à Saragosse, Toulouse ou Bordeaux. Rares sont les séries éditées, telle une série de 500 inventaires siciliens et une autre de 200 inventaires pour Lleida [2].
3Après une introduction générale qui propose un bilan historiographique et présente le corpus dijonnais, Ferrand offre une réflexion liminaire synthétique sur la procédure de l’inventaire et sa trace écrite. Il développe le fonctionnement d’un écrit normalisé, quoique souple. Le chercheur pose les étapes, les objectifs et présente les acteurs de la procédure, de même que les contextes juridiques dans lesquels elle s’inscrit. Les contraintes propres à l’inventaire et à son enregistrement ainsi que ce qui leur échappe sont mis en évidence. Ces énumérations non seulement d’objets, mais aussi de biens immobiliers, de créances ou de dettes sont le plus souvent dressées à l’initiative de la mairie de Dijon à la suite d’un décès, lorsque des héritiers mineurs sont impliqués. Il s’agit alors de protéger la valeur des biens inventoriés. Ces actes concernent avant tout les populations des couches moyennes à aisées, sans que les pauvres gens en soient exclus. Les traces écrites qui subsistent aujourd’hui correspondent à des documents internes à l’administration municipale, dont circulaient des copies. Elles offrent des opportunités fécondes et rares de travail tout en étant, par leur graphie et leur état de conservation, d’un accès difficile.
4Les choix d’édition donnent à l’ensemble une clarté et une lisibilité remarquables. Les inventaires sont présentés dans une logique strictement chronologique (un tome ultérieur rassemblera les documents non datés). Leur édition est suivie d’un index nominum (métiers, noms de personnes, noms de lieux) ne prenant en considération que le protocole et l’eschatocole des actes, et d’un index rerum reprenant, dans leurs variantes orthographiques, tous les objets et lieux qui figurent dans le dispositif. Le choix a été fait de ne pas charger l’ensemble d’un appareil critique, ce qui en allège la lecture, tout en rendant la compréhension plus difficile. L’essentiel des biens inventoriés, qu’il s’agisse de meubles, d’ustensiles et d’outils, de matériaux ou d’éléments de vêture, relève d’un lexique spécifique, inaccessible aux non-spécialistes. Si l’index rerum, qui restitue la terminologie contemporaine ou définit succinctement les termes utilisés, se révèle fort utile (par exemple : ainchelin, vêtement court, p. 611), la publication ultérieure d’un lexique qui éclairerait les mots choisis pour désigner les biens inventoriés serait précieuse pour une meilleure appréhension et une étude plus avisée des textes.
5Pour chaque document apparaît, en gras, un numéro d’édition, le nom du propriétaire dont les biens sont inventoriés, le lieu et la date, puis le protocole de l’inventaire, dans lequel le clerc de la mairie fait connaître les circonstances de la procédure et les acteurs qui y ont pris part. Sont alors énumérés les témoins et les procureurs, mais aussi les priseurs, parfois spécialisés, dont le rôle est d’estimer la valeur des effets énumérés. Suit l’inventaire proprement dit, réalisé pièce par pièce, parfois sur plusieurs jours, avec l’enregistrement d’une valeur pour chaque élément présent. Les folios sont indiqués (sans numérotation, ligne à ligne) et les abréviations développées. Des notes numériques signalent les ajouts marginaux des clercs, tandis qu’en fin d’inventaire, d’autres, alphabétiques, précisent les éléments raturés au cours de l’écriture. Lorsque l’inventaire a été conservé dans son intégralité – la proportion n’en est pas négligeable –, il est clos par un eschatocole dont l’objectif principal est de formaliser la dévolution des biens devant les officiers dijonnais. Les pièces prennent la forme de cahiers de papier, qui peuvent se monter à une trentaine de folios ou, parfois, se réduire à quelques lignes.
6Parmi les documents remarquables, on note l’inventaire de bourgeois appartenant aux familles les plus impliquées dans la vie politique, dont celui de Philippe Géliot (1392) qui inclut, des folios 6 à 10, un inventaire des draps de son ovreur (ouvroir), puis, des folios 11 à 17, un inventaire des dettes contractées envers lui – plusieurs biens gagés par ses débiteurs étant, en outre, inventoriés dans sa chambre. Se dégagent aussi l’inventaire des biens d’un receveur paroissial contenant une liste de plus d’une centaine de biens gagés par les contribuables (1407), ou dix folios inventoriant les gages détenus par le juif Joseph de Saint Miel (1394). L’inventaire des biens de Pierre de Jalerainges, sage en droit, s’ouvre, pour sa part, sur l’énumération d’une trentaine d’ouvrages de droit et de théologie (1407). Les inventaires dijonnais frappent par l’importance des « lettres » et des papiers, dont le contenu est le plus souvent énuméré avec soin – ainsi de l’inventaire de près de 150 lettres du bourgeois Jehan Mercier qui requit plusieurs journées de travail (1397). Ailleurs, les instruments de travail et le stock des boutiques – une mercerie, par exemple (1395) – font l’objet d’une même précision.
7Ressortent également les inventaires de résidents nobles, dont le plus développé, celui de Jehan Sauvegrain, détaille des ornements ou des pièces d’armurerie plus spécifiques (1397). Ceux d’officiers ducaux, comme celui du curial Aube, qui énumère des parures d’argent et des pièces d’orfèvrerie (1395), se démarquent de même. L’inventaire du tailleur Regnault Chevalier fait quant à lui apparaître le contenu de sa taillerie et d’une armoire où sont entreposés plusieurs draps d’or, dont l’un porte la devise ducale « Il me tarde » (1396). Les biens de serviteurs plus modestes – tels un porteur de cuisine de la duchesse qui laisse ses biens en garde à son départ (1400) ou le premier cuisinier Perrot Laillot (1407) – sont énumérés sur un ou deux feuillets et laissent voir quelques pièces d’argenterie. Les biens de Pierre Faitement, maître des monnaies, inventoriés à la maison de la Monnaie (1396), donnent quant à eux un instantané du fonctionnement de l’institution. On trouve dans l’inventaire aussi bien le métal précieux, sous toutes ses formes, qu’un récapitulatif des sommes dues aux, ou par, les différents acteurs de la Monnaie.
8De nombreux champs de recherche de l’histoire matérielle, culturelle ou économique peuvent être enrichis par l’étude de ce corpus, outre ce qu’il apporte à l’histoire de ce type de procédure et de documentation. L’espace, les gestes, les liens humains, le langage, les techniques, la valeur prêtée aux choses sont lisibles dans ces « empreintes précieuses » (p. 17) de ce que fut la vie des hommes et des maisons. En atteste la multiplicité des objets d’étude déjà proposés par Piponnier, qui vont de l’outillage et des métiers à l’habitat, de l’approvisionnement en eau aux techniques culinaires, en passant par les gestes de la toilette ou l’espace social féminin. La diversité des intérieurs inventoriés en fait une source précieuse pour l’étude de l’horizon quotidien des plus modestes autant que pour celle des patrimoines, des stratégies de consommation distinctive et des relations socioéconomiques des plus puissants. Cette série, que les tomes ultérieurs viendront compléter, témoigne des ressources offertes par les fonds dijonnais de la fin du Moyen Âge, souvent mésestimés, et devrait permettre d’engager des recherches nouvelles.
Notes
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[1]
Guilhem Ferrand, « Communautés et insécurité en Rouergue à la fin du Moyen Âge », thèse de doctorat, université Toulouse 2, 2009.
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[2]
Geneviève Bresc-Bautier et Henri Bresc, Une maison de mots. Inventaires de maisons, de boutiques d’ateliers et de châteaux de Sicile (xiiie-xve siècle), Palerme, Associazione Mediterranea, 2014 ; Jordi Bolos et Imma Sánchez-Boiro, Inventaris i encants conservats a l’Arxiu Capitular de Lleida (segles xiv-xvi), Barcelone, Fundació Noguera, 2014.