Notes
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[*]
Les matériaux exposés dans cet article ont été recueillis lors d’un séjour de recherche en Mauritanie en novembre 2016. Que Mohamedou Meyine, Ahmed Maouloud Eida El-Hilal, Abdel Wedoud dit Deddoud Ould Abdellahi, Mohammed el-Barnaoui et al-Tijani Ould Abdel Hamid trouvent ici le témoignage de ma gratitude pour leur aide et leur soutien. Je tiens également à remercier Camille Lefebvre et Augustin Jomier pour la richesse de leurs remarques sur une première version de cet article.
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[2]
Ulrich Rebstock, Maurische Literaturgeschichte, Wurtzbourg, Ergon Verlag, 2001, 3 vol. ; John O. Hunwick (éd.), Arabic Literature of Africa, vol. 4, The Writings of Western Sudanic Africa, Leyde, Brill, 2003 ; Charles C. Stewart (éd.), Arabic Literature of Africa, vol. 5, The Writings of Mauritania and the Western Sahara, Leyde, Brill, 2016, 2 vol. ; Graziano Krätli et Ghislaine Lydon (dir.), The Trans-Saharan Book Trade: Manuscript Culture, Arabic Literacy, and Intellectual History in Muslim Africa, Leyde, Brill, 2011 ; Ghislaine Lydon, « Inkwells of the Sahara: Reflections on the Production of Islamic Knowledge in Bilād Shinqīṭ », in S. S. Reese (dir.), The Transmission of Learning in Islamic Africa, Leyde, Brill, 2004, p. 39-71.
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[3]
Voir Ernest Gellner, Muslim Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, à qui nous devons sans doute la version la plus élaborée de cette théorie.
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[4]
Le terme « charia » désigne la normativité juridico-religieuse contenue dans les sources de la révélation islamique, alors que la notion de fiqh réfère à la fois à la science s’attachant à expliciter cette normativité et au système de normes et de règles né de ces efforts d’explicitation et d’interprétation. Voir Baber Johansen, Contingency in a Sacred Law: Legal and Ethical Norms in the Muslim Fiqh, Leyde, Brill, 1999 ; Joseph Schacht, Introduction au droit musulman, trad. par P. Kempf et A. M. Turki, Paris, Maisonneuve et Larose, [1964] 1983 ; Bernard G. Weiss, The Spirit of Islamic Law, Athens, University of Georgia Press, 2006.
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[5]
Rainer Osswald, Schichtengesellschaft und islamisches Recht. Die Zawāyā und Krieger der Westsahara im Spiegel von Rechtsgutachten des 16.-19. Jahrhunderts, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 1993 ; Mohamed El Mokhtar Ould Bah, La littérature juridique et l’évolution du malikisme en Mauritanie, Tunis, Université de Tunis, 1981 ; Yaḥyā Wuld al-Baraʾ, Al-Majmūʿat al-kubrā. Al-shāmilat li-fatāwā wa nawāzil wa aḥkām ahl gharb wa janūb gharb al-Ṣaḥrāʾ, Nouakchott, al-Sharīf Mawlāy al-Ḥasan bin al-Mukhtār bin al-Ḥasan, 2009, 12 vol.
-
[6]
Ghislaine Lydon, On Trans-Saharan Trails: Islamic Law, Trade Networks, and Cross-Cultural Exchange in Nineteenth-Century Western Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; Yahya Ould El-Bara, « Fiqh, société et pouvoir. Étude des soucis et préoccupations socio-politiques des théologiens-légistes maures (fuqahā) à partir de leurs consultations juridiques (fatāwā), du xviie au xxe siècle », thèse de doctorat, Ehess, 1998 ; Ismail Warscheid, Droit musulman et société au Sahara prémoderne. La justice islamique dans les oasis du Grand Touat (Algérie) aux xviie-xixe siècles, Leyde, Brill, 2017.
-
[7]
L’école malikite remonte à l’enseignement du juriste médinois Mālik b. Anas (m. 179/795). Elle s’est développée notamment dans l’Occident musulman et en Égypte.
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[8]
Nous avons utilisé l’édition publiée par le Centre des études sahariennes à Rabat, qui reprend celle réalisée par l’association des descendants de Muḥammad al-Māmī en 2007 : al-Shaykh Muḥammad al-Māmī b. al-Bukhārī al-Bariki, Kitāb al-bādiya wa nuṣūṣ ukhrā, Rabat, Publications du Centre des études sahariennes, 2014 (ci-après Kitāb al-bādiya).
-
[9]
Il existe deux monographies en arabe consacrées à al-Māmī et à son œuvre : Muḥammad Wuld Aḥmad al-Barnawi, Al-khilāf wa’l-ikhtilāf wa’l-istikhlāf aw al-ʿurf wa’l-sharʿ wa’l-sulṭa al-siyāsiya fī’l-janūb al-gharbī lil’-gharb al-islāmī bidāyat al-qarn al-tāsiʿʿashara. Muḥāwala ḥafr ḥawla fikr al-shaykh Muḥammad al-Māmi [sic] (1865-1780), Nouakchott, Institut Sidi Abdalla Ould el Fadhel pour la recherche scientifique, 2010 ; Id., Al-shaykh Muḥammad al-Māmi [sic] b. al-Bukhārī : al-walī, al-ʿālim, al-mujaddid, Nouakchott, s. n., 2012. Nous tenons à remercier chaleureusement Mohamed Ould Barnaoui de nous avoir offert un exemplaire de chacun de ces livres.
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[10]
Il a notamment transposé en dix mille vers le principal manuel du droit malikite de l’époque, le Mukhtaṣar, du juriste égyptien Khalīl b. Iṣḥāq al-Jundī (m. 767/1374). La pratique de la versification, très répandue dans tout l’espace sahélo-saharien, vise à faciliter la mémorisation (ḥifẓ) de ce type de texte, ce qui à la fois constitue l’idéal de l’éducation du temps et répond aux contraintes imposées par la rareté du papier dans la région. Sur le curriculum des lettrés sahélo-sahariens, voir Bruce S. Hall et Charles C. Stewart, « The Historic ‘Core Curriculum’ and the Book Market in Islamic West Africa », in G. Krätli et G. Lydon, The Trans-Saharan Book Trade…, op. cit., p. 109-174.
-
[11]
Abdel Wedoud Ould Cheikh, « Théologie du désordre. Islam, ordre et désordre au Sahara », L’année du Maghreb, 7, 2011, p. 61-77. L’anthropologue a mis en perspective l’inscription du texte et de son auteur dans le contexte sociopolitique de la première moitié du xixe siècle en étudiant la représentation de l’espace ouest-saharien chez al-Māmī comme une terre d’anarchie (bilād al-sāʾiba), déchirée par les rivalités entre les différents groupes nomades.
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[12]
Abdel Wedoud Ould Cheikh, « De quoi le Sahara est-il le nom ? Images du Sahara et des Sahariens dans Kitāb al-bādiya d’al-Shaykh Muhammad al-Mâmi », colloque « Le Sahara, lieux d’histoire et espace d’échanges », Centre des études sahariennes, 2016, p. 9. Nous remercions l’auteur de nous avoir aimablement communiqué le manuscrit de sa communication.
-
[13]
Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 27-31.
-
[14]
Rainer Osswald, Die Handelsstädte der Westsahara. Die Entwicklung der arabisch-maurischen Kultur von Šinqīṭ, Wādān, Tīšīt und Walāta, Berlin, D. Reimer, 1986 ; Abdel Wedoud Ould Cheikh, « Nomadisme, Islam et pouvoir dans la société maure précoloniale (xie siècle-xixe siècle). Essai sur quelques aspects du tribalisme », thèse de doctorat, Université Paris Descartes, 1985 ; Id., Éléments d’histoire de la Mauritanie, Nouakchott, Institut mauritanien de recherche scientifique, 1991.
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[15]
Bruce S. Hall, A History of Race in Muslim West Africa, 1600-1960, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.
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[16]
Il s’agit d’un espace s’étendant de l’Oued Noun au Maroc jusqu’à la vallée du Sénégal, du littoral atlantique jusqu’à l’Azaouad au nord de l’actuel Mali. Voir Khalīl al-Naḥwi, Bilād Shinqīṭ al-manāra wa’l-ribāṭ. ʿArḍ li’l-ḥayāt al-ʿilmiyya wa’l-ishāʿ al-thaqāfī wa’l-jihād al-dīnī min khilāl al-jāmiʿāt al-badawiya al-mutanaqila (al-maḥāḍir), Tunis, al-Munaẓẓama al-ʿarabiyya li-tarbiya wa’l-thaqāfa wa’l-ʿulūm, 1978, p. 24-56.
-
[17]
Voir notamment les travaux de Pierre Bonte, Timothy Cleaveland, Sophie Caratini, Abdel Wedoud Ould Cheikh, Bruce Hall, Rainer Osswald, Ulrich Rebstock, Ghislaine Lydon, Ann McDougall, Muhammad Ould Saad, Charles Stewart.
-
[18]
Nous avons décidé de ne pas recourir à la traduction conventionnelle du terme qabīla par « tribu » afin de mieux préserver les spécificités du discours lettré musulman, et lui avons préféré celui de « formation lignagère ».
-
[19]
Muhammed Al Muhtar W. As-sa’d, « Émirats et espace émiral maure. Le cas du Trārza aux xviiie-xixe siècles », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 54, 1989, p. 53-82 ; Pierre Bonte, L’émirat de l’Adrar mauritanien. Harîm, compétition et protection dans une société tribale saharienne, Paris, Karthala, 2008 ; A. W. Ould Cheikh, Éléments d’histoire de la Mauritanie, op. cit. ; Raymond A. Taylor, « L’émirat pré-colonial et l’histoire contemporaine en Mauritanie », Annuaire de l’Afrique du Nord, 38, 1999, p. 53-69.
-
[20]
Il s’agit d’un phénomène qui n’est pas propre à l’Ouest saharien mais qui est répandu un peu partout dans l’Occident musulman, y compris dans le monde touareg, en milieu fulbé et chez les communautés ibadites. Voir Fanny Colonna, « Saints furieux et saints studieux ou, dans l’Aurès, comment la religion vient aux tribus », Annales HSS, 35-3/4, 1980, p. 642-662 ; Jocelyne Dakhlia, L’oubli de la cité. La mémoire collective à l’épreuve du lignage dans le Jérid tunisien, Paris, La Découverte, 1990 ; Augustin Jomier, « Un réformisme islamique dans l’Algérie coloniale. Oulémas ibadites et société du Mzab (c. 1880-c. 1979) », thèse de doctorat, Université du Maine, 2015 ; Harry Thirwall Norris, The Tuaregs: Their Islamic Legacy and Its Diffusion in the Sahel, Warminster, Aris and Phillips, 1975 ; I. Warscheid, Droit musulman et société au Sahara prémoderne…, op. cit., p. 28-54.
-
[21]
Benjamin Acloque, « De la constitution d’un territoire à sa division. L’adaptation des Ahl Bârikalla aux évolutions sociopolitiques de l’Ouest saharien (xviie-xxie siècles) », Canadian Journal of African Studies/Revue canadienne des études africaines, 48-1, 2014, p. 119-143. Le terme Gibla ou Guebla, qui fait référence à la direction de la prière vers la Mecque (qibla), désigne le Sud de l’actuelle Mauritanie, les régions du Trarza et du Brakna au nord du fleuve Sénégal.
-
[22]
Philip D. Curtin, « Jihad in West Africa: Early Phases and Interrelations in Mauritania and Senegal », The Journal of African History, 12-1, 1971, p. 11-24 ; A. W. Ould Cheikh, « Nomadisme, Islam et pouvoir… », op. cit. ; David Robinson, « The Islamic Revolution of Futa Toro », The International Journal of African Historical Studies, 8-2, 1975, p. 185-221.
-
[23]
Kitāb al-bādiya, p. 228.
-
[24]
A. W. Ould Cheikh, « De quoi le Sahara est-il le nom ?… », art. cit.
-
[25]
A. W. Ould Cheikh, « Théologie du désordre… », art. cit., p. 66.
-
[26]
Paul E. Lovejoy, Jihād in West Africa during the Age of Revolutions, Athens, Ohio University Press, 2016.
-
[27]
L’ouvrage de référence reste celui de David Robinson, The Holy War of Umar Tal: The Western Sudan in the Mid-Nineteenth Century, Oxford, Clarendon Press, 1985.
-
[28]
Jacques Berque, « Les hilaliens repentis ou l’Algérie rurale au xve siècle d’après un manuscrit jurisprudentiel », Annales ESC, 25-5, 1970, p. 1325-1353 ; Sarah Binay, Die Figur des Beduinen in der arabischen Literatur 9.-12. Jahrhundert, Wiesbaden, L. Reichert, 2006 ; Stefan Leder, « Nomadische Lebensformen und ihre Wahrnehmung im Spiegel der arabischen Terminologie », Die Welt des Orients, 34, 2004, p. 72-104 ; Élise Voguet, « Dissidence affirmée ou rejet codifié de la Umma. Badawî et ‘arab dans les Nawâzil Mâzuna », Alfa. Maghreb et sciences sociales, 2006, p. 147-157.
-
[29]
Kitāb al-bādiya, p. 175.
-
[30]
Thomas A. Bauer, Die Kultur der Ambiguität. Eine andere Geschichte des Islam, Francfort-sur-le-Main, Verlag der Weltreligionen, 2011, p. 20-24.
-
[31]
Sherman A. Jackson, Islamic Law and the State: The Constitutional Jurisprudence of Shihāb al-Dīn al-Qarāfī, Leyde, Brill, 1996.
-
[32]
Noel James Coulson, A History of Islamic Law, Édimbourg, University Press, 1964 ; Yvon Linant de Bellefonds, Traité de droit musulman comparé, Paris, Mouton, 1965-1973, 3 vol. ; J. Schacht, Introduction au droit musulman, op. cit. ; B. Johansen, Contingency in a Sacred Law…, op. cit., p. 42-72 ; Brinkley Messick, The Calligraphic State: Textual Domination and History in a Muslim Society, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 54-72.
-
[33]
Kitāb al-bādiya, p. 131.
-
[34]
Joseph Schacht, « Classicisme, traditionalisme et ankylose dans la loi religieuse de l’Islam », in R. Brunshvig et G. E. Von Grunebaum (dir.), Classicisme et déclin culturel dans l’histoire de l’Islam, Paris, Maisonneuve et Larose, 1977, p. 141-166, ici p. 141.
-
[35]
Il s’agit de la méthodologie développée par les juristes musulmans entre le viiie et le ixe siècle pour dériver des normes à partir de la révélation islamique. L’expression « fondement » (aṣl, pl. uṣūl) renvoie aux quatre sources de normativité sur lesquelles les juristes musulmans se sont accordés : le Coran, la tradition prophétique (sunna), le raisonnement analogique (qiyās) et le consensus (ijmāʿ). Le terme ijtihād désigne la maîtrise de cette méthodologie qui permet au mujtahid de dériver des normes de manière autonome, à la différence du muqallid qui doit se contenter d’appliquer les règles et les principes forgés par les mujtahid-s de son école. Au cours des siècles, les juristes musulmans ont forgé toute une hiérarchie distinguant plusieurs types d’ijtihād et de taqlīd. Voir Wael B. Hallaq, A History of Islamic Legal Theories: An Introduction to Sunnī Uṣūl al-Fiqh, Cambridge, Cambridge University Press, 1999. Sur les hiérarchies entre juristes musulmans : Norman Calder, « Al-Nawawī’s Typology of Muftīs and Its Significance for a General Theory of Islamic Law », Islamic Law and Society, 3-2, 1996, p. 137-164.
-
[36]
Mohammed Fadel, « The Social Logic of Taqlīd and the Rise of the Mukhataṣar », Islamic Law and Society, 3-2, 1996, p. 193-233 ; R. Osswald, Schichtengesellschaft und islamisches Recht…, op. cit., p. 12-21.
-
[37]
Andrew Hapin, Reasoning with Law, Londres, Hart Publishing, 2001 ; Tamar Frankel, « Of Theory and Practice », Chicago-Kent Law Review, 77-1, 2001, p. 5-28.
-
[38]
Kitāb al-bādiya, p. 131.
-
[39]
S. A. Jackson, Islamic Law and the State…, op. cit. L’ouvrage constitue l’étude la plus approfondie de la notion du taqlīd à partir d’une lecture méticuleuse des écrits du juriste malikite égyptien Shihāb al-Dīn al-Qarāfi (m. 682/1283 ou 684/1285).
-
[40]
Kitāb al-bādiya, p. 131. Le terme « fatwa » désigne une consultation portant sur un point spécifique de la charia ou de son application. La fatwa relève d’une logique dialectique, c’est-à-dire qu’elle répond toujours à une demande explicite (istiftāʾ) formulée par un questionneur (mustaftī). L’identité de ce dernier est variable : bien que l’émission de fatwas vise avant tout, dès ses débuts au viie siècle, à encadrer l’action des juges musulmans, nombreux furent les souverains et les dignitaires politiques à s’adresser aux muftis pour légitimer leurs décisions d’un point de vue religieux. Voir Wael B. Hallaq, « From Fatwās to Furūʿ: Growth and Change in Islamic Substantive Law », Islamic Law and Society, 1-1, 1994, p. 29-65 ; Muhammad Khalid Masud, Brinkley Messick et David S. Powers (dir.), Islamic Legal Interpretation: Muftis and Their Fatwas, Cambridge, Harvard University Press, 1996.
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[41]
Kitāb al-bādiya, p. 128.
-
[42]
Ibid., p. 218, par exemple. Pour comprendre l’expression, il faut savoir que le terme qawl (affirmation) désigne dans le jargon du fiqh une prise de position doctrinale.
-
[43]
Kitāb al-bādiya, p. 131.
-
[44]
Ibid., p. 132.
-
[45]
Ibid., p. 131. Al-Māmī fait référence à l’école ash‘arite qui, dans la théologie musulmane (kalām), a effectivement adopté une position médiane entre le rationalisme mu‘tazilite et les positions traditionalistes. Voir Jan Thiele, « Between Cordoba and Nīsābūr: The Emergence and Consolidation of Ashaʿrism (Fourth-Fifth/Tenth-Eleventh Century) », in S. Schmidtke (dir.), The Oxford Handbook of Islamic Theology, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 225-241.
-
[46]
Le terme takhrīj désigne la solution d’un cas d’espèce inédit selon la méthodologie casuistique transmise dans le cadre de l’école juridique, tandis que celui de tarjīḥ renvoie au choix entre différents avis juridiques contradictoires. Voir W. B. Hallaq, « Fatwās to Furūʿ… », art. cit., p. 51-52 ; Id., « Takhrīj and the Construction of Juristic Authority », in B. Weiss (dir.), Studies in Islamic Legal Theory, Leyde, Brill, 2002, p. 337-364 ; S. A. Jackson, Islamic Law and the State…, op. cit.
-
[47]
Kitāb al-bādiya, p. 175.
-
[48]
Sur le personnage, voir al-Tijānī Wuld ʿAbd al-Ḥamīd, Sīdī ʿAbd Allāh b. al-Ḥājj Ibrāhīm al-ʿAlawī bayna muqtaḍiyyāt al-aḥwāl fi’l-majāl wa dawāfiʿ al-raghba fī’l-tajdīd wa sadd al-firāgh, Nouakchott, Imprimerie nouvelle, 2010.
-
[49]
Sīdī ʿAbdallāh bin al-Ḥājj Ibrāhīm al-ʿAlawī al-Shinqiṭi, Ṭarad al-ḍawāl wa’l-humal ʿan al-kurūʿ fī ḥiyāḍ masāʾil al-ʿamal, Idleb, Najeebawaih Manuscripts Center, [s. d.]. Je tiens à remercier Wuld ʿAbd al-Ḥamīd de m’avoir gracieusement offert un exemplaire du livre.
-
[50]
Ibid., p. 39-44.
-
[51]
Kitāb al-bādiya, p. 99-123. Sur le genre de la ḥāshiya, voir Ahmed El Shamsy, « The Ḥāshiya in Islamic Law: A Sketch of the Shāfiʿī Literature », Oriens: Journal of Philosophy, Theology and Science in Islamic Societies, 41-3/4, 2013, p. 289-315.
-
[52]
Kitāb al-bādiya, p. 127.
-
[53]
Ibid., p. 147.
-
[54]
Muḥammad al-Mukhtār Wuld Saʿd, Al-Fatāwā wa’l-tāʾrīkh. Dirāsa li-maẓāhir al-ḥayāt al-iqtiṣādiyya wa’l-ijtimaʿiyya fī Mawritāniyā min khilāl fiqh al-nawāzil, Beyrouth, Dār al-Gharb al-Islāmī, 2000.
-
[55]
L’auteur fait référence aux « villes-camps » (miṣr, pl. amṣār) fondées durant les grandes conquêtes des premiers siècles de l’islam, comme Bassorah, Koufa, Kairouan et Fustat, le futur Caire.
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[56]
Kitāb al-bādiya, p. 147.
-
[57]
A. W. Ould Cheikh, « De quoi le Sahara est-il le nom ?… », art. cit., p. 8-9.
-
[58]
Kitāb al-bādiya, p. 175.
-
[59]
Ibid., p. 177.
-
[60]
Ibid., p. 176 et 205.
-
[61]
Houari Touati, « Le prince et la bête. Enquête sur une métaphore pastorale », Studia Islamica, 83-1, 1996, p. 101-119.
-
[62]
Kitāb al-bādiya, p. 177. Voir aussi A. W. Ould Cheikh, « Théologie du désordre… », art. cit., p. 65.
-
[63]
Rahal Boubrik, « Les fuqahâ’ du prince et le prince des fuqahâ’. Discours politique des hommes de religion au pays maure (Mauritanie, xviie-xixe siècle) », Afrique et histoire, 7-1, 2009, p. 153-172 ; A. W. Ould Cheikh, « Théologie du désordre… », art. cit., p. 67 ; I. Warscheid, Droit musulman et société au Sahara prémoderne…, op. cit., p. 158-163.
-
[64]
Felicitas Opwis, Maṣlaḥa and the Purpose of the Law: Islamic Discourse on Legal Change from the 4th/10th to 8th/14th Century, Leyde, Brill, 2010.
-
[65]
Kitāb al-bādiya, p. 212 : « zāwiya al-bayt lā budda lahā min suwwar ». Pour un aperçu de ce système de fiscalité, voir P. Bonte, L’émirat de l’Adrar mauritanien…, op. cit. ; M. M. W. As-sa’d, « Émirats et espace émiral maure… », art. cit.
-
[66]
Kitāb al-bādiya, p. 214.
-
[67]
Kitāb al-bādiya, p. 214, rapporte une fatwa d’Ibn al-Aʿmash au sujet de la répartition des charges parmi les habitants de l’oasis de Ouadane. La même pratique s’observe chez les juristes des oasis du Grand Touat dans le Sud algérien aux xviiie et xixe siècles. Voir I. Warscheid, Droit musulman et société au Sahara prémoderne…, op. cit., p. 102-105.
-
[68]
Kitāb al-bādiya, p. 214.
-
[69]
A. W. Ould Cheikh, « Théologie du désordre… », art. cit., p. 64 ; Abdel Wedoud Ould Cheikh et Bernard Saison, « Vie(s) et mort(s) de al-Imām al-Ḥaḍrāmī. Autour de la postérité saharienne du mouvement almoravide (11e-17e s.) », Arabica, 34-1, 1987, p. 48-79, ici p. 66-71.
-
[70]
Éric Chaumont, « ‘God Has Ordained Excellence in All Things: When You Put to Death, Do So after a Decorous Manner’: The Implementation of Mandatory Penalties (al-ḥudūd) in Muslim Law », in K. Berthelot et M. Morgenstern (dir.), The Quest for a Common Humanity: Human Dignity and Otherness in the Religious Traditions of the Mediterranean, Leyde, Brill, 2011, p. 327-347 ; B. Johansen, Contingency in a Sacred Law…, op. cit., p. 349-420 et 421-433 ; Rudolph Peters, Crime and Punishment in Islamic Law: Theory and Practice from the Sixteenth to the Twenty-First Century, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
-
[71]
Robert Gleave, « Public Violence, State Legitimacy: The Iqamat al-hudud and the Sacred State », in C. Lange et M. Fierro (dir.), Public Violence in Islamic Societies: Power, Discipline, and the Construction of the Public Sphere, 7th-19th Centuries CE, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2009, p. 256-275.
-
[72]
B. Johansen, Contingency in a Sacred Law…, op. cit., p. 189-218, présente une excellente analyse de cette différenciation à partir du cas de l’école hanéfite.
-
[73]
Sarah Eltantawi, Shari’ah on Trial: Northern Nigeria’s Islamic Revolution, Oakland, University of California Press, 2017.
-
[74]
Kitāb al-bādiya, p. 177. Nous n’avons malheureusement pas réussi à localiser Jawluma.
-
[75]
Ibid., p. 177.
-
[76]
Ibid., p. 218.
-
[77]
Ibid., p. 175.
-
[78]
Leslie P. Peirce, Morality Tales: Law and Gender in the Ottoman Court of Aintab, Berkeley, University of California Press, 2003, p. 208.
-
[79]
B. Johansen, Contingency in a Sacred Law…, op. cit., p. 172-188. Par exemple, la validité d’un contrat n’est pas affectée par les considérations concernant la moralité des parties s’il s’agit de personnes réputées « pieuses » (ṣāliḥ) ou, au contraire, « débauchées » (fāsiq). Seule compte la question de savoir si la transaction a été conforme aux normes de l’école juridique et si les parties étaient en pleine possession de leur capacité juridique. En revanche, certains actes comme le pillage ou l’abus de pouvoir peuvent entraîner à la fois une condamnation éthico-morale et la perte de la capacité juridique, un sujet jurisprudentiel très présent dans les recueils de fatwas ouest-sahariens, dans la mesure où les groupes guerriers ḥassān sont les premiers visés. Voir R. Osswald, Schichtengesellschaft und Islamisches Recht…, op. cit.
-
[80]
Kitāb al-bādiya, p. 175.
-
[81]
Ibid., p. 176. Voir Jacques Berque, Al-Yousi. Problèmes de la culture marocaine au xviie siècle, Paris, Mouton, 1958.
-
[82]
Kitāb al-bādiya, p. 177.
-
[83]
Ibid., p. 223.
-
[84]
Éric Chaumont, « La notion de ‘awra selon Abû l-Ḥasan ‘Alî b. Muḥammad b. al-Qaṭṭān al-Fâsî (m. 628/1231) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 113/114, 2006, p. 109-123, ici p. 113 : « La ‘awra d’une personne désigne de manière générale les parties de son corps qu’elle ne peut dévoiler, qu’elle ne peut laisser apparaître et qu’autrui ne peut regarder. » Voir aussi Baber Johansen, « The Valorization of the Human Body in Muslim Sunni Law », in D. J. Stewart, B. Johansen et A. Singer (dir.), Law and Society in Islam, Princeton, Markus Wiener, 1996, p. 71-112.
-
[85]
Kitāb al-bādiya, p. 219.
-
[86]
R. Osswald, Schichtengesellschaft und Islamisches Recht…, op. cit.
-
[87]
Kitāb al-bādiya, p. 219.
-
[88]
Ibid., p. 220. Sur l’institution du muḥtasib, voir Kristen Stilt, Islamic Law in Action: Authority, Discretion, and Everyday Experiences in Mamluk Egypt, Oxford, Oxford University Press, 2011.
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[89]
Kitāb al-bādiya, p. 220 : « al-amr bi’l-maʿrūf wa’l-nahī ʿan al-munkar ». Voir Michael Cook, Commanding Right and Forbidding Wrong in Islamic Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.
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[90]
Kitāb al-bādiya, p. 220.
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[91]
Gustav E. Von Grunebaum, L’identité culturelle de l’Islam, trad. par R. Stuvéras, Paris, Gallimard, [1969] 1973, p. 53 : « Et en outre, le succès de la période ‘médiévale’ ne dura pas fort longtemps. Au xviiie siècle, la société musulmane, partout et en tout champ d’activité, connaissait une grave décadence. » Des propositions similaires se retrouvent dans des publications récentes : Dan Diner, Lost in the Sacred: Why the Muslim World Stood Still, trad. par S. Rendall, Princeton, Princeton University Press, [2005] 2009 ; Timur Kuran, The Long Divergence: How Islamic Law Held Back the Middle East, Princeton, Princeton University Press, 2010.
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[92]
Ismail Warscheid, « The Persisting Spectre of Cultural Decline: Historiographical Approaches to Muslim Scholarship in the Early Modern Maghreb », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 60-1/2, 2017, p. 142-173.
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[93]
Pour un regard critique sur cet arabocentrisme, voir Shahzad Bashir, « On Islamic Time: Rethinking Chronology in the Historiography of Muslim Societies », History and Theory, 53-4, 2014, p. 519-544.
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[94]
Pour d’autres usages de la « République des Lettres » dans le champ des études arabo-islamiques, voir Muhsin J. al-Musawi, The Medieval Islamic Republic of Letters: Arabic Knowledge Construction, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2015 ; İlker Evrim Binbas, Intellectual Networks in Timurid Iran: Saraf al-Dīn ‘Ali Yazdī and the Islamicate Republic of Letters, Cambridge, Cambridge University Press, 2016. Sur les réseaux de lettrés saharo-maghrébins aux périodes modernes et contemporaines, voir Augustin Jomier, « Les réseaux étendus d’un archipel saharien. Les circulations de lettrés ibadites (xviie-années 1950) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 63-2, 2016, p. 14-39 ; Stefan Reichmuth, « Murtaḍā al-Zabīdī (1732-91) and the Africans: Islamic Discourse and Scholarly Networks in the Late Eighteenth Century », in S. S. Reese (dir.), The Transmission of Learning in Islamic Africa, op. cit., p. 121-153 ; Charles C. Stewart, « Southern Saharan Scholarship and the Bilād al-Sūdān », The Journal of African History, 15-1, 1976, p. 73-93 ; I. Warscheid, Droit musulman et société au Sahara prémoderne…, op. cit., p. 28-57.
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[95]
Rainer Osswald, Sklavenhandel und Sklavenleben zwischen Senegal und Atlas, Wurtzbourg, Ergon Verlag, 2016.
1Les sociétés de l’Ouest saharien à l’époque moderne (xvie-xixe siècles) paraissent travaillées par un paradoxe. Dépourvues de grands centres urbains – à l’exception, peut-être, de Tombouctou – et échappant peu ou prou à l’emprise d’acteurs étatiques, ces sociétés lignagères n’en ont pas moins su se doter de traditions savantes puissantes tirant leurs références et leurs ressources de l’Islam. Diffusées par l’intermédiaire d’une classe lettrée autochtone, ces traditions ont contribué de manière décisive à façonner l’organisation sociale autant en milieu nomade que sédentaire. Dès la fin du Moyen Âge, mais surtout à partir du xviie siècle, se propage un peu partout dans ce vaste espace désertique une profusion d’ouvrages couvrant toutes les disciplines du savoir islamique (ʿilm) ainsi que les belles-lettres [2]. Serait-ce une particularité des habitants du grand désert et de ses prolongements sahéliens ? On ne saurait l’affirmer, mais il est certain que l’essor de cette érudition et ses effets sociaux surviennent à rebours de toute une série de modèles d’appréhension du fait rural dans l’aire arabo-musulmane, selon lesquels culture citadine et culture campagnarde constitueraient deux univers séparés et distincts [3].
2L’impact des traditions savantes sur les modes de vie des pasteurs nomades et des cultivateurs oasiens devient évident dès lors que l’on considère la diffusion de la normativité juridico-religieuse que désigne le terme « charia » et que systématise la science du fiqh [4], communément appelé le « droit musulman ». Les archives produites par les juges musulmans (cadis) et les notaires, tout comme le développement d’une énorme littérature juridique vernaculaire [5], contredisent deux suppositions majeures de l’histoire sociale des mondes maghrébins et sahéliens pré-coloniaux. Primo, l’étude et la pratique du droit musulman ne sauraient être envisagées comme des arts exclusivement urbains, que quelques oulémas missionnaires téméraires s’efforceraient de propager sur un terrain potentiellement hostile, tout en restant des éléments profondément allogènes aux contextes locaux. Secundo, il s’ensuit que les populations de l’intérieur saharien ne vivent pas uniquement sous le régime d’un droit coutumier d’essence orale, lequel serait par définition réfractaire aux stipulations de la loi religieuse, préférant l’arbitrage des saints aux jugements du cadi. Au contraire, les régimes judiciaires ancrés dans le système normatif du fiqh ont pu bel et bien trouver leur place au sein de communautés sédentaires ou nomades et ainsi permettre l’émergence d’une culture juridique autonome [6].
3Ce n’est pas tout. N’importe quel énoncé portant sur une question d’ordre local, prononcé par un lettré musulman dans sa fonction de juriste (faqīh, pl. fuqahāʾ), se formule nécessairement selon les codes épistémologiques, mais aussi symboliques et idéologiques, d’un système englobant : l’école juridique (madhhab, pl. madhāhib), en l’occurrence le malikisme, et la science du fiqh en général sont considérées comme le cadre immuable et indépassable de toute réflexion normative, car elles tirent leur légitimité d’une révélation divine [7]. Autrement dit, les juristes traitent les problèmes propres à leurs sociétés dans un langage abstrait et technique. Dès lors, leur propos devient difficile à distinguer, à première vue, de celui d’un jurisconsulte malikite marocain ou égyptien de la même période. Leur ancrage saharien est absorbé par une discursivité qui envisage le « local » comme un problème normatif de l’ensemble de la communauté musulmane, à traiter par ceux qui maîtrisent l’art de résoudre de tels problèmes et en détiennent le monopole, les fuqahāʾ. Cela revient à poser la question des méthodes et des structures de la réflexion doctrinale qui ont soutenu la constitution d’une sphère d’action sociale animée par un corps d’agents spécialisés : les juges, les jurisconsultes et les notaires. Analyser cette circularité entre une pensée systémique et un environnement social constitue, à notre avis, un élément indispensable pour la compréhension du rôle historique joué par la charia et ses interprètes attitrés dans l’évolution des sociétés sahariennes aux temps modernes.
4Cet article s’attache précisément à étudier les modalités de cet usage « constructiviste » de la loi islamique en s’intéressant à un texte datant de la première moitié du xixe siècle et composé par un jurisconsulte originaire des étendues désertiques du Tiris, au nord de l’actuelle Mauritanie, Muḥammad al-Māmī wuld al-Bukhārī (m. 1282/1865). Né sous la tente en 1202/1788 et ayant mené pendant toute sa vie une existence de nomade entre le Tiris et la vallée du fleuve Sénégal, al-Māmī a commencé, vers 1236/1821, la rédaction du Livre du désert (Kitāb al-bādiya), un traité qui discute de l’adaptation de la charia aux besoins des populations pastorales de sa région [8]. Ni le livre ni son auteur ne sont des inconnus [9]. Si nous ne disposons guère d’informations sur la vie d’al-Māmī, il n’en est pas moins un personnage clé de la culture lettrée de l’Ouest saharien au xixe siècle, en raison de la vaste diffusion de ses écrits, dont une bonne partie a été éditée ces dernières années. Véritable polygraphe, dans la mesure où les traditions locales le créditent de plusieurs centaines d’ouvrages – un chiffre sans doute exagéré – dans les différentes branches du savoir islamique, al-Māmī est réputé autant pour ses prises de position doctrinales, jugées audacieuses, que pour l’ampleur d’une érudition acquise pour l’essentiel comme autodidacte. Sa gloire littéraire vient aussi de ses poésies qui comprennent de nombreuses pièces composées dans l’arabe dialectal local, le ḥassāniyya, ainsi que des versifications de titres issus du curriculum des lettrés musulmans de l’époque [10].
5L’opus magnum d’al-Māmī est le Kitāb al-bādiya. Considéré comme l’une des principales œuvres du patrimoine littéraire de ce qui est devenu, au cours du xxe siècle, la Mauritanie, il constitue une source régulièrement mise à contribution par des chercheurs aussi bien arabophones qu’occidentaux [11]. Pourquoi, alors, se replonger dans l’étude d’un texte sur lequel tout semble déjà avoir été dit ? Par la qualité même de leurs analyses, les travaux précédents invitent à varier l’échelle d’observation sur l’œuvre. Dans cet article, il s’agit de s’éloigner des lectures vernaculaires qui envisagent le Kitāb al-bādiya essentiellement comme une source sur l’action discursive des lettrés musulmans dans le jeu sociopolitique ouest-saharien. Certes, une telle démarche s’impose pour un texte affectant un si grand nombre de détails ethnographiques et faisant « preuve d’un intérêt pour des questions sociales rarement directement thématisées de façon aussi nette [12] ». Elle risque cependant d’escamoter une seconde dimension de l’ouvrage, qui n’est pas moins fondamentale : l’ambition de l’auteur de s’exprimer dans un champ intellectuel qui ne se réduit pas aux milieux lettrés ouest-sahariens, mais les intègre dans une communauté savante transcendant les particularismes locaux. En réfléchissant sur l’application de la charia en milieu nomade, al-Māmī entend apporter une contribution à la tradition malikite de son temps, telle qu’elle est mise en œuvre du Caire jusqu’aux campements du Tiris, et recourt à cette même tradition pour penser sa propre société. Son livre permet d’observer comment le discours des juristes musulmans se nourrit de son lieu de production afin d’aborder des problèmes épistémologiques généraux [13], dans la mesure où la mobilisation de grilles de lecture et de références externes concourt à façonner la perception des formes culturelles et sociales locales. C’est à une analyse de cette pratique vernaculaire d’un cosmopolitisme savant que cet article s’attelle.
La formation d’une aire culturelle
6Pendant la période moderne, l’Ouest saharien traverse un processus de reconfiguration sociale, culturelle et linguistique à la suite de l’arrivée de populations nomades arabophones – les Banū Ḥassān et les Banū Maʿqīl – entre le xive et le xviie siècle, prolongeant vers le sud les migrations hilaliennes médiévales [14]. L’immersion de ces groupes pastoraux au sein de la population locale, majoritairement berbérophone, entraîne la formation progressive d’une aire culturelle. Ses habitants s’identifient via une langue arabe vernaculaire commune, le ḥassāniyya, et s’instituent comme collectif : les « Blancs » (bayḍān, aussi bayẓān), en opposition aux populations subsahariennes avoisinantes pensées comme « noires » (sūdān) [15]. À l’intérieur de cet espace désigné localement sous le nom de « pays des Blancs [16] » (trāb al-bayḍān) émerge alors un ordre social structuré autour d’une bipolarité socioculturelle, productrice de groupes statutaires qui s’organisent selon les classifications du système de la généalogie en Islam (nasab) et sur lesquels une vaste littérature anthropologique et historique existe [17].
7Un premier pôle regroupe les formations lignagères ḥassān (qabīla, pl. qabāʾil [18]) qui se rattachent généalogiquement aux immigrés arabophones et cultivent une réputation d’« hommes d’épée » − d’où l’expression « tribus guerrières », ou « groupes guerriers », que l’on retrouve dans la littérature sur la question. Ces groupes sont en compétition pour l’accès aux pâturages et aux points d’eau, le contrôle des circuits caravaniers et les tributs qu’ils prélèvent sur leurs clients, parmi lesquels figurent de nombreuses communautés de cultivateurs sédentaires habitant la zone sahélienne qui borde le Sahara. Dans la seconde moitié du xviie et au xviiie siècle, certaines formations lignagères ḥassān voient l’apparition, en leur sein, de pouvoirs dynastiques qui s’emploient à constituer des émirats rassemblant différents groupes guerriers et leurs dépendants sous l’autorité de big men portant le titre d’émir [19]. L’autre pôle est constitué par des formations lignagères se revendiquant d’une noblesse religieuse. Celle-ci est fondée sur le savoir (ʿilm), la piété (ṣalāḥ) ou la sainteté (walāya) par lesquels certains personnages rattachés à une généalogie commune, à commencer par l’ancêtre fondateur, se sont distingués et dont la mémoire fournit, par la suite, ses repères identitaires au collectif [20]. En tant que groupe statutaire, ces « tribus maraboutiques », selon l’expression des auteurs de la période coloniale, sont désignées par des termes variables d’une région à l’autre, mais qui se réfèrent tous aux agents et aux institutions de la transmission du savoir religieux en Islam saharo-maghrébin de l’époque : zawāyā, en référence à la zaouïa, ṭulba, désignant le collectif de ceux qui étudient la science (ṭālib al-ʿilm), ou mrābṭīn, qui a donné lieu au terme français « marabout ». Ces formations partagent le prestige tiré de la référence au fait islamique avec les lignages se réclamant des descendants du Prophète Muḥammad (shurafāʾ), que l’on retrouve notamment en milieu oasien, dans les villages fortifiés (ksar, pl. ksour) comme Oualata ou Tichitt. À ceux qui prient et à ceux qui se battent fait face une population de subalternes : les tributaires des groupes ḥassān et des religieux dominants (znāgā, laḥma), les communautés associées à la pratique de certains métiers (forgerons, pêcheurs, griots), ainsi que les populations esclaves (ʿabīd) ou affranchies (ḥaraṭīn).
8Il n’est pas question ici de fournir une analyse approfondie de ces trois catégories. Soulignons, en revanche, qu’elles ne forment aucunement un système figé et immuable dans le temps. Les revendications généalogiques et les statuts sociaux sont soumis à des renégociations continuelles. De nombreux groupes ḥassān se sont en effet convertis en zawāyā, produisant des lettrés de renom, de même que l’histoire de la région ne manque pas d’exemples de formations lignagères « maraboutiques » maniant l’épée avec la même aisance que la plume. La conception de l’ordre social sous la forme d’une interaction entre ces différents groupes statutaires doit donc être envisagée, avec le système des classifications généalogiques, comme un cadre discursif à travers lequel les acteurs pensent leur monde, tout en résultant d’usages historiques de ce même cadre pour construire ce monde et, en particulier, ses hiérarchies.
9Le Kitāb al-bādiya s’inscrit étroitement dans ces dynamiques. L’ouvrage est l’œuvre d’un membre des Ahl Bārik Allāh, un puissant groupe zawāyā qui a migré au début du xviiie siècle vers les plaines du Tiris, moins exposées à la pression des émirats ḥassān que la région de la Gibla d’où ils étaient originaires [21]. L’épisode est à rattacher à un conflit violent survenu dans les années 1670, lequel tient lieu, en quelque sorte, de mythe fondateur de la société bayḍān : la guerre de Shurr Bubba. Sous la houlette d’un leader religieux charismatique connu sous le nom d’Abū Bakr b. Akdām Nāṣir al-Dīn (m. 1085/1674), une confédération de zawāyā, les Tashumsha, dont les Ahl Bārik Allāh constituent une faction, s’est opposée à différents groupes ḥassān vivant dans le Sud de l’actuelle Mauritanie, afin de construire un État islamique, un imamat, fondé sur l’application de la charia. Les enjeux et les conséquences sociopolitiques de cet affrontement qui s’est terminé avec la défaite sanglante des Tashumsha ont suscité des interprétations divergentes sur lesquelles nous n’insisterons pas ici [22]. L’essentiel, pour notre propos, réside dans les traces laissées par l’épisode dans la mémoire collective des populations sahélo-sahariennes. D’un côté, le conflit est perçu comme le symbole de l’instauration de la domination politique des ḥassān sur les zawāyā, de l’autre, l’État éphémère de Nāṣir al-Dīn devient un modèle pour les mouvements de djihad dans la région aux xviiie et xixe siècles, en particulier au Sahel.
10Les deux aspects de la mémoire du conflit se retrouvent dans le Kitāb al-bādiya, ainsi que dans d’autres écrits d’al-Māmī. Alors que le lettré reconnaît l’hégémonie exercée par les ḥassān, il la circonscrit à la seule région de la Gibla, reprenant de la sorte implicitement la revendication des Ahl Bārik Allāh d’être une communauté de zawāyā affranchie d’obligations tributaires à l’égard des groupes guerriers [23]. L’affirmation de leur pouvoir et de leur autonomie dans les rapports de force entre les formations lignagères de l’Ouest saharien constitue l’arrière-plan sociopolitique de la rédaction du Kitāb al-bādiya. Selon Abdel Wedoud Ould Cheikh, l’enjeu principal du livre serait la fabrique d’un cadre théologique destiné à légitimer le prélèvement de tributs auprès des nombreux groupes clients des Ahl Bārik Allāh [24]. Al-Māmī paraît même nourrir l’espoir d’une revanche de l’ensemble des Tashumsha sur leurs adversaires. Dans l’un de ses poèmes, il adresse un fervent appel à la confédération à se lancer dans un nouveau djihad pour rétablir l’honneur des zawāyā et secouer le joug des émirs ḥassān [25].
11Le contexte de l’époque semble favorable à une telle entreprise. Depuis la fin du xviie siècle, le paysage politique du Sahel et des franges méridionales du Sahara est bouleversé par une série de mouvements de réforme religieuse militants chez les populations peules, qui aboutissent à la formation de plusieurs États islamiques fondés sur la pratique du djihad et l’application de la charia. Les plus importants sont, suivant l’ordre chronologique de leur apparition, l’imamat torrobbee du Fouta-Toro dans la vallée du fleuve Sénégal (seconde moitié du xviiie siècle), le califat du Sokoto dans le Nord de l’actuel Nigéria, établi par Usman dan Fodio (m. 1232/1817), celui de Hamdullahi dans le Massina au Mali, créé par Aḥmad Lobbo (m. 1260/1845), et l’empire issu des conquêtes d’al-Ḥājj ʿUmar (m. 1281/1864), qui s’étend sur une grande partie du Sahel occidental.
12Ce n’est pas le lieu d’aborder en détail cette période pivot qui constitue l’un des principaux objets de l’historiographie de l’Islam ouest-africain [26]. Toujours est-il que les nouvelles entités politiques ne manquent pas d’exercer une attirance considérable sur les lettrés zawāyā, dont les multiples liens avec les djihadistes fulbé mériteraient par ailleurs une étude en soi. L’auteur du Kitāb al-bādiya en est la meilleure illustration. Son surnom rend hommage à Almāmī ʿAbd al-Qādir Kane (m. 1221/1807), le fondateur de l’État torrobbee du Fouta-Toro. Nous savons aussi qu’al-Māmī a vécu pendant plusieurs années dans cette région de la vallée du Sénégal, même si les détails de son séjour nous échappent dans l’état actuel de la documentation. Dès lors, il n’est guère surprenant de relever qu’al-Māmī se montre à maintes reprises élogieux à l’égard du djihad lancé par son contemporain al-Ḥājj ʿUmar contre les « mécréants » (kuffār) et les « mauvais musulmans » (fussāq) [27].
Un débat de méthode
13Même si, derrière le propos d’al-Māmī, se dessinent un auditoire et des enjeux essentiellement locaux, il n’en reste pas moins que l’ouvrage du lettré nomade constitue une œuvre relevant de la science du fiqh. L’intitulé du livre en arabe est porteur d’une polysémie dont la traduction habituelle par Livre du désert ne rend pas compte. Le terme bādiya se réfère certes à une classification géographique – l’espace où vivent les nomades – et, partant, à un type de civilisation – celui de la « bédouinité » (badāwa, tabaddī) [28], mais il renvoie aussi à une catégorisation normative dans les écrits des juristes musulmans. Celle-ci se construit à travers la mise en opposition de la bādiya avec l’autre concept clé par lequel la pensée islamique prémoderne appréhende les sociétés humaines : le monde des sédentaires (ḥaḍāra). Si le premier a pour figure emblématique et ambiguë celle du Bédouin (badawī, ʿarab), qui évoque à la fois les vertus d’un noble seigneur et la force destructrice d’un hors-la-loi impie, le second est centré sur l’image de la citadinité (tamaddun), l’expression d’un raffinement culturel, intellectuel et moral. Dans le discours juridique, bédouinité et sédentarité fonctionnent ainsi comme des catégories subsumant les cadres sociétaux à l’intérieur desquels les normes de la charia se déploient.
14Cette conceptualisation implique une vision hiérarchique de l’espace normatif de la communauté islamique (umma). L’adhésion du monde sédentaire aux préceptes de la charia est considérée comme acquise. Dans la lecture qu’en fait al-Māmī, elle est censée découler, d’une part, de l’excellence des mœurs chez les citadins et, d’autre part, de l’existence d’un pouvoir étatique, incarné par le souverain légitime (imām), qui est en mesure d’imposer les normes de la charia [29]. Par contraste, les conditions de vie dans le monde bédouin, à commencer par l’absence d’une telle autorité étatique « contraignante » (wazīʿ), selon l’expression khaldounienne, rendent la place du droit sacré à l’intérieur de la société fragile et précaire. Pour al-Māmī, comme pour la plupart de ses collègues sahariens entre le xviie et le xixe siècle, la question essentielle est alors de savoir à quel point et sous quelles modalités le régime normatif du monde sédentaire centré autour des villes, sièges de l’État, peut devenir le droit d’une société nomade, au sein de laquelle les contraintes de l’économie agropastorale semblent, au premier abord, inconciliables avec les principes moraux et juridiques de la charia.
15Partant, l’auteur se retrouve devant un dilemme caractéristique des juristes musulmans de la période dite « post-formative » ou « post-classique », entre le xiie et le xixe siècle [30] : comment apporter des réponses à des questions irrésolues, alors qu’un consensus existe sur le fait que « la porte du raisonnement indépendant est close » (insidād bāb al-ijtihād) et que, par conséquent, la tâche du juriste réside essentiellement dans l’observation rigoureuse (taqlīd) des doctrines de l’école juridique à laquelle il appartient ? Ce dogme d’autocensure s’est définitivement imposé dans le droit sunnite vers le xiie siècle. Il reflète l’aboutissement d’un processus pluriséculaire qui voit le madhhab se constituer comme l’unique cadre légitime de la réflexion sur la charia [31]. Mais comment se conformer à ce dogme dès lors que les spécificités du lieu exigent sine qua non des lectures décalées de l’enseignement des Anciens et des prises de parole autonomes, susceptibles d’aboutir à des innovations, à des suspensions, voire à des dérogations ? Les contraintes et les impératifs sociaux sont-ils à même de légitimer un positivisme normatif qui ne dit pas son nom ? La lecture du Kitāb al-bādiya autorise à aborder sous un angle nouveau les débats autour de la prétendue disparition d’une pensée juridico-religieuse innovatrice (ijtihād), au profit de ce que les islamologues et les réformistes musulmans au xxe siècle appellent dédaigneusement l’« imitation aveugle » des doctrines établies (taqlīd) [32]. Introduisant le premier chapitre de son livre, al-Māmī écrit en effet : Nous sommes loin du récit orientaliste convenu selon lequel l’ijtihād aurait disparu une fois que le droit musulman serait entré dans un état d’« ankylose », où toute « pensée originale devait se réfugier et ne pouvait s’exprimer que dans des constructions systématiques abstraites qui n’ont eu aucune influence ni sur les solutions acquises du droit positif ni sur la théorie classique des fondements du droit » [33]. Le passage interpelle, au contraire, par la dichotomie qu’al-Māmī établit entre ceux qui s’adonnent à une exégèse s’apparentant à l’ijtihād, qu’il associe explicitement à une réflexion sur l’épistémologie de la science du droit en Islam (uṣūl al-fiqh) [34], et ceux qui se veulent uniquement les fidèles adeptes de la doctrine de leur école juridique (muqallidūn), en suivant le modèle donné par le manuel de référence de l’école malikite à l’époque moderne, le Mukhtaṣar, du juriste égyptien Khalīl b. Iṣḥāq al-Jundī (m. 767/1374) [35]. Pour autant, la tension entre les deux groupes ne résulte pas tant d’un antagonisme entre ceux qui feraient preuve d’inventivité normative et ceux qui se plieraient servilement à la tradition. Le débat s’énonce plutôt sous la forme d’une conflictualité qui semble presque inhérente à l’institution de la Loi à la fois comme droit de la société et comme objet de connaissance : celle des rapports, toujours difficiles, entre juristes praticiens et théoriciens [36]. Alors que les « gens étudiant les fondements (ahl al-uṣūl) accusent les juristes praticiens (fuqahāʾ) d’ignorer de nombreuses questions relatives à la méthodologie du droit [37] », ceux-ci revendiquent, à leur tour, une expertise et des outils de connaissance qui leur sont propres : ils maîtriseraient mieux la vaste bibliographie de leur école accumulée au fil des siècles et ils seraient plus familiers avec les contextes concrets dans lesquels les normes de la charia sont censées se déployer.
Les savants de notre temps se divisent en deux factions ; celle des théoriciens (uṣūlī) penchant vers le raisonnement indépendant (ijtihād), sans en réclamer ouvertement et sans en être accusés. Ils critiquent la stricte observation de la doctrine de l’école (taqlīd) […] [Il y a enfin] ceux qui s’orientent vers la jurisprudence (fiqh) en affirmant « nous sommes les partisans de Khalīl », sans pour autant atteindre les objectifs de celle-ci (maqāṣidahu). À peine l’une des deux factions aspire-t-elle à traiter ensemble à la fois les vastes questions de la jurisprudence (masāʾil al-fiqh) et ces questions liées aux fondements du droit sur lesquels il est licite d’émettre des consultations (masāʾil al-uṣūl al-mubīḥa li’l-futyā). Au contraire, chacune vilipende l’autre [38].
17L’argument avancé par les « partisans de Khalīl » est important puisqu’il attire l’attention sur un problème central de la culture juridique de l’époque : dans un système normatif entièrement fondé sur les activités interprétatives des juristes, pratiquer le taqlīd – c’est-à-dire identifier la norme de l’école à appliquer dans un cas d’espèce – n’est pas une mince affaire au vu de l’immensité de l’héritage textuel à parcourir et de la complexité des règles de déduction à observer. Jusqu’à la seconde moitié du xixe siècle, le droit musulman ignore l’institution du code et les ouvrages comme le Mukhtaṣar de Khalīl doivent être envisagés comme des condensés doctrinaux qui, par ailleurs, sont quasiment incompréhensibles sans la médiation d’un commentaire. De cet art de la quête référentielle (baḥth) et non d’un fidéisme irréfléchi, il est donc question lorsque le « régime du taqlīd », selon l’expression de Sherman Jackson, est convoqué [39].
18La description que fournit al-Māmī des théoriciens du droit de son temps laisse entrevoir à quel point ce cadre réflexif exerce des effets contraignants. Quand bien même leurs activités relèvent de la science des « fondements du droit » (uṣūl al-fiqh), l’auteur ne les conçoit qu’à travers la pratique de l’émission de fatwas qui traitent de « ces questions liées aux fondements du droit sur lesquelles il est licite de donner des consultations » (masāʾil al-uṣūl al-mubīḥa fi’l-futyā) [40]. Tout en se présentant comme une élite intellectuelle, les théoriciens se soumettent donc au dogme de la « fermeture de la porte de l’ijtihād ». Une remarque similaire s’impose pour le projet qu’a al-Māmī de construire un droit à l’usage des populations nomades de l’Ouest saharien. Celui-ci ne laisse pas le moindre doute quant au fait qu’il conçoit ses activités interprétatives strictement dans le cadre du malikisme post-khalilien, assurant dans l’avant-propos de son livre s’être uniquement appuyé sur des références textuelles issues de l’école de Mālik [41]. Cette posture se trouve par la suite condensée dans la tournure introduisant chacune de ses prises de position doctrinales : « J’affirme, mais je n’ai rien à affirmer » (qultu wa lā qawlan lī) [42].
19Al-Māmī relève néanmoins une contradiction dans la critique que font les théoriciens du travail de leurs collègues praticiens : ils les accuseraient « de rester figés dans leurs textes (nuṣūṣ) et de ne pas tenir compte des maximes juridiques (qawāʿid), des coutumes (ʿawāʾid) et des considérations d’intérêt général (maṣāliḥ), alors qu’ils leur interdisent précisément d’y avoir recours [en tant que muqallidūn-s] [43] ». En vérité, le lettré des Ahl Bārik Allāh ne s’identifie avec aucun des deux camps. Il estime que le désintérêt d’un grand nombre de praticiens pour l’approche des théoriciens témoigne d’une paresse intellectuelle fâcheuse, de même que l’opposition frontale, mêlée de mépris, des théoriciens vis-à-vis des consultations et des jugements rendus par leurs collègues « ne saurait être victorieuse [44] ». Au contraire, ce sont ces positionnements extrêmes qui permettent à al-Māmī de prôner, en bon sunnite, une via media qu’il présente comme l’essence de la normativité islamique : « Ainsi procède notre Loi (sharʿunā) dans [l’évaluation] des choses ; elle se situe au milieu de l’école des partisans du libre arbitre et de celle des partisans de la prédestination (madhabay al-qadariyya wa’l-jabariyya), de l’abstrait et du concret, de la Loi de Moïse et de celle de Jésus [45]. » Abstraction faite du topos de l’éloge du juste milieu chez les auteurs sunnites, quels sont les contours précis de cette via media qui aboutiraient à la réconciliation des deux camps ? Al-Māmī propose une sorte de compromis méthodologique : il s’agit d’encourager les praticiens à s’approprier trois procédés herméneutiques des théoriciens, à savoir la prise en compte des coutumes locales, la déduction textuelle (takhrīj) et la pesée entre différents avis (tarjīḥ) [46]. Vues sous cet angle, les solutions qu’il développe pour adapter la charia aux conditions de la vie dans l’Ouest saharien constituent une mise à l’épreuve empirique de ce compromis.
Un droit à l’usage des nomades
20Passée la brève préface, le Kitāb al-bādiya se divise en quatre chapitres de longueur inégale, intitulés tamliyya. Ce jeu de mots intraduisible se réfère au fait que chaque chapitre s’ouvre par la conjonction lammā, « lorsque » en arabe. Les trois premiers chapitres sont plutôt courts, d’une dizaine de pages chacun, selon l’édition que nous avons consultée, alors que le dernier s’étend sur une centaine. Ils constituent une sorte d’introduction avant d’entrer dans le vif du sujet, ce que l’auteur confirme en qualifiant la quatrième tamliyya de l’« appui du chevalier (ʿumdat al-murakkab), tandis que les trois qui la précèdent n’ont été que prélude et décor (ikhmāl) [47] ». Ce décor a tout de même son importance, car il permet de répondre à une question fondamentale restée jusqu’alors en suspens. L’opposition entre les praticiens et les théoriciens évoquée par al-Māmī renvoie-t-elle à une dispute entre lettrés sahariens ou à un débat plus vaste impliquant l’ensemble des juristes malikites, voire s’agit-il seulement d’une figure rhétorique ?
21Il est vrai que l’écriture technique d’al-Māmī tire délibérément tout enjeu local vers un auditoire global qui est celui des savants en Islam. L’imprécision sur l’échelle du propos est intentionnelle et se rapporte à la conception du monde d’un lettré musulman de l’époque, pour lequel l’appartenance à une communauté universelle et sacrée détermine les lectures de faits locaux nécessairement profanes. Pourtant, force est de constater que les propositions avancées par l’auteur dans les trois premiers chapitres ne visent rien de moins qu’à contredire explicitement la principale autorité de la région en matière de théorie du droit, Sīdī ʿAbdallāh Wuld al-Ḥājj Ibrāhīm (m. 1233/1817). Originaire de l’oasis de Tijikja, situé dans le centre de l’actuelle Mauritanie, et auteur d’une œuvre littéraire considérable, ce dernier est réputé parmi les juristes de l’Ouest saharien pour avoir été le premier grand spécialiste de la science des uṣūl al-fiqh dans la région [48]. Son principal ouvrage, le Marāqī al-suʿūd fī uṣūl al-fiqh (Les étapes vers le bonheur dans les fondements de la Loi), un long poème pédagogique qu’il a fait accompagner d’un commentaire volumineux, a connu une large diffusion par-delà même l’espace sahélo-saharien et constitue encore de nos jours un manuel en usage dans les centres d’éducation religieuse en Mauritanie.
22C’est à cet éminent érudit et à ses disciples que fait allusion al-Māmī lorsqu’il évoque la « faction des théoriciens (uṣūlī) ». En effet, dans un court texte aspirant à la Réfutation des égarés et des vagabonds qui s’abreuvent dans les bassins des questions de la pratique judiciaire [49], Wuld al-Ḥājj Ibrāhīm, qui a reçu une partie de sa formation à Fès, s’engage dans une critique acerbe des cadis et des muftis locaux. Multipliant les références bibliographiques et les renvois à ses maîtres marocains, il fustige la propension des juristes ouest-sahariens à légitimer les normes coutumières (ʿurf) et prône une application stricte des avis faisant unanimement autorité (mashhūr) au sein de l’école malikite. Dans son zèle à exhorter ses collègues à s’en tenir, en tant que muqallidūn-s, aux solutions généralement admises, Wuld al-Ḥājj Ibrāhīm va jusqu’à déclarer invalide tout jugement (ḥukm) ou fatwa qui contredit à ce principe en s’appuyant sur des avis considérés comme marginaux (shādhdh) ou sur des coutumes locales [50].
23Al-Māmī s’insurge contre un tel rigorisme. Les circonstances précises dans lesquelles la polémique éclate nous échappent malheureusement dans l’état actuel de la documentation. Toujours est-il qu’al-Māmī consacre au pamphlet de Wuld al-Ḥājj Ibrāhīm une glose (ḥāshiya) dont le titre annonce ses intentions : Réplique des égarés et des vagabonds [51]. Le fait de remplacer « réfutation » (ṭarad) par « réplique » (radd) suggère qu’il s’estime visé par la critique du grand théoricien du droit. Cela peut surprendre, car le lettré de Tijikja appartient à la génération des maîtres d’al-Māmī, ce dont celui-ci semble être conscient puisqu’il lui accorde le titre honorifique de « notre cheikh ». Dans sa glose, al-Māmī s’efforce nonobstant de repousser avec fermeté les accusations portées à l’encontre des juristes de la région en mobilisant à son tour l’héritage littéraire du malikisme. Le Kitāb al-bādiya poursuit cette apologie. Le premier chapitre reprend même directement le fil conducteur de la glose, dans la mesure où il se compose, pour l’essentiel, d’un commentaire du titre de l’ouvrage de Wuld al-Ḥājj Ibrāhīm. Par la suite, al-Māmī présente un exposé général des raisons pour lesquelles il est au contraire légitime, voire indispensable, dans le cadre du processus décisionnel, de tenir compte des coutumes locales et de recourir parfois à des positions normatives minoritaires, en utilisant les techniques de déduction textuelle et de pesée entre différents avis.
24La critique que mène al-Māmī contre l’intransigeance de Wuld al-Ḥājj Ibrāhīm interpelle moins par les différents arguments juridiques déployés que par un thème global sous-jacent : les spécificités du terrain saharien rendraient impossible le fait de respecter les restrictions imposées aux juristes muqallidūn-s. Renoncer à toute initiative d’adaptation et de création normatives aurait pour conséquence de suspendre l’ordre juridique (tʿaṭīl al-aḥkām), ce qui équivaudrait à l’abandon des piliers (arkān) de la pratique religieuse, comme le jeûne ou la prière canonique [52]. L’auteur allègue à ce propos les mots d’un jurisconsulte de l’oasis de Chinguetti, dans l’Adrar mauritanien, Muḥammad Ibn al-Aʿmash (m. 1107/1695-1696) : « Nous n’appartenons pas à ceux auxquels il est loisible d’émettre des fatwas et, pourtant, il est indispensable que nous apportions des réponses, vu notre situation [53]. » La citation est bien trouvée. Non seulement le recueil de fatwas attribuées à Ibn al-Aʿmash constitue le plus ancien spécimen connu de la littérature des responsa juridiques (nawāzil, ajwiba) dans l’Ouest saharien, inaugurant un essor remarquable du genre dans toute la région [54], mais les consultations du mufti de Chinguetti sont aussi omniprésentes dans les écrits des juristes locaux des xviiie et xixe siècles. Al-Māmī lui-même s’y réfère à plusieurs reprises dans le Kitāb al-bādiya. En bref, son appel à plus de souplesse en matière de réflexion juridique conjure l’autorité de la figure fondatrice des traditions jurisprudentielles en pays bayḍān.
25Une telle souplesse répond à la fois aux contraintes du temps et de l’espace. Quelle différence existe-t-il, en effet, entre les conditions de travail des juristes aux premiers siècles de l’Islam et celles qui prévalent à l’époque d’al-Māmī dans l’Ouest saharien ? Sans doute y a-t-il une certaine part d’exagération dans ce portrait des conditions de travail. L’abondante littérature des recueils de fatwas ainsi que les nombreux échanges épistolaires entre jurisconsultes sahariens, conservés dans les archives familiales des « héritiers », attestent amplement une pratique généralisée de consultations mutuelles, parfois sur de très longues distances. Le discours d’al-Māmī reflète la persistance, dans les cercles d’oulémas, du modèle de la cité comme un idéal face auquel les réalités locales ne peuvent qu’être défectueuses. L’argument n’intrigue pas moins : les accommodements doctrinaux tirent leur légitimité des formes de vie en milieu bédouin que l’auteur met en relation avec le mythe de l’âge d’or de l’Islam.
Les savants des villes-garnisons (amṣār) [55], étant donné leur assiduité dans la lecture, le peu de préoccupations qui troublaient leur tête, l’abondance des livres à leur disposition, leur prise en charge par le Trésor public (bayt al-māl), ne cessaient d’échanger par voie épistolaire sur des problèmes juridiques. Tout nous différencie d’eux. Étant donné les distances à parcourir entre nos campements et nos sources, personne ne saurait consulter un autre [collègue sur une affaire]. Dès lors, nous jugeons nos cas d’espèce (nawāzil) sans référence aux textes d’autorité, en conjecturant ou par analogie (qiyās) [56].
27Dans le quatrième chapitre du Kitāb al-bādiya, al-Māmī expose les grandes lignes de ce travail d’accommodement qu’il juge nécessaire pour le maintien d’un ordre normatif fondé sur la charia dans l’Ouest saharien. Cette partie de l’ouvrage est la plus riche en détails ethnographiques sur la société bayḍān et, de ce fait, elle a la première retenu l’attention des chercheurs [57]. L’inventaire des usages et des coutumes n’y est pourtant pas moins subordonné à une démonstration doctrinale. L’enjeu est d’élucider comment le fiqh peut rendre compte des réalités culturelles et sociales qui diffèrent de celles de l’univers citadin (ḥaḍāra). Ce constat d’un manque marque le point de départ du raisonnement : De fait, de nombreuses questions normatives soulevées par la vie dans la bādiya appellent d’autres solutions que celles élaborées par les juristes citadins. Al-Māmī allègue l’exemple de l’aumône légale (zakāt). Dans une société peu monétarisée, où l’élevage constitue la principale source de richesse, celle-ci ne peut être acquittée que sous la forme de « biens fongibles et d’animaux » (bi’l-ʿurūḍ wa’l-ḥaywān), alors que les manuels du fiqh exigent un paiement en dirhams ou en dinars [58]. La situation est plus compliquée pour ce qui est des biens de mainmorte (awqāf, aḥbās) : comment régler l’aliénation du bétail afin de subvenir à l’entretien d’une mosquée et, ensuite, assurer la perpétuation d’une telle fondation en l’absence d’un gestionnaire (nāẓir), comme il est de coutume dans le monde citadin [59] ? De plus, en milieu bédouin, rares sont les lieux de prière disposant de structures physiques stables. En général, ceux-ci se résument à de simples terrains de sable délimités à l’intérieur des campements. Partant, al-Māmī valide la pratique locale qui consiste à diviser non l’usufruit (ghilla) d’un bien mis en mainmorte, mais l’objet lui-même, en l’occurrence l’ensemble du troupeau, sans oublier de déconseiller la procédure du tirage au sort (qismat al-qarʿa) pour départager les bénéficiaires, en raison de sa trop grande complexité juridique, qu’il juge inadaptée aux besoins des nomades.
Il est apparu à nos savants […] qu’il y a de nombreuses questions particulières aux nomades sur lesquelles aucune autorité ne s’est prononcée (ghayr mutakallim fīhā) et aucun écrit (muṣannaf) n’existe. […] Cela est dû au fait que les livres juridiques (taṣānīf) proviennent des villes (madaniyya). Mais les citadins n’abordent le plus souvent que leurs propres affaires ou, au mieux, les problèmes qu’ils partagent avec nous. Ils se taisent au sujet de la majorité des questions particulières aux nomades, soit parce qu’ils sont incapables d’imaginer [ces questions] dans le cadre de leurs conditions de vie, soit en raison de l’interdiction (ḥurma) qui leur est imposée de parler d’autres coutumes (ʿurf) que celles de leur pays (balad) [60].
L’ordre public dans la bādiya
29La conception de l’espace normatif bédouin chez al-Māmī est étroitement liée à la question de l’exercice du pouvoir. Cela ne saurait étonner car, selon les théoriciens de l’État en Islam sunnite, la fonction judiciaire relève des principales prérogatives du souverain légitime (imām). Chargé d’assurer le règne de la charia, l’imam la délègue aux cadis via une procédure d’investiture formelle (tawliya) et intervient, selon des modalités évidemment variables en fonction des lieux et des époques, dans la nomination des muftis. Qu’en est-il, toutefois, dans ces parties du monde musulman où une telle instance régulatrice n’existe pas, dans ces contrées travaillées par l’absence du lien d’allégeance à l’imam (bilād al-sāʾiba), qui assure l’intégration plénière dans la communauté islamique [61] ? C’est le cas de l’Ouest saharien, selon al-Māmī, qui constituerait un no man’s land situé entre « les deux imamats [62] », à savoir le royaume alaouite du Maroc et la théocratie des torrobbee du Fouta-Toro.
30Al-Māmī adopte une position qui fait consensus parmi les jurisconsultes de l’aire saharo-maghrébine à la période moderne, consistant à reconnaître les acteurs politiques existant à l’échelle locale [63]. Il s’agit, d’une part, des chefs des groupes guerriers – en premier lieu les émirs − « détenant de facto le pouvoir » (mutaghallib), d’autre part, des conseils (jamāʿa) réunissant les notables (aʿyān) d’une collectivité restreinte, qu’il s’agisse d’une formation lignagère ou des habitants d’un village oasien. Associé au « collectif des musulmans » (jamāʿat al-muslimīn), ce conseil communautaire est considéré comme l’unique acteur institutionnel, à l’échelle locale, à même de « remplacer le souverain légitime en son absence » (taqūm bi-maqām al-imām). Les deux principales formes d’autorité politique de l’époque, le pouvoir personnel fondé sur la force (jāh) et l’oligarchie nobiliaire, sont ainsi conceptualisées et accréditées selon les critères du fiqh et de la tradition islamique en général. Al-Māmī se conforme à la ligne accommodante et résignée que la majorité des juristes sunnites a fini par adopter à l’égard des pouvoirs établis, afin de conjurer la menace de la « discorde » (fitna) et de maintenir l’ordre public. C’est devenu en effet un véritable leitmotiv de la pensée politique en Islam sunnite depuis le déclin du califat abbasside au ixe siècle et l’apparition de multiples États dynastiques à travers le monde musulman : la tyrannie vaut mieux que l’anarchie.
31Al-Māmī reconnaît l’autorité des leaders ḥassān au nom de l’impératif de la préservation de l’intérêt public (maṣlaḥa) [64], même s’il n’accorde aucune légitimité religieuse à cette domination reposant sur l’usurpation du pouvoir par la seule force (taghallub). Pour lui, obéir (ṭāʾa) aux ordres des groupes guerriers et, surtout, satisfaire leurs exigences fiscales relèvent uniquement d’une nécessité (ḍarūra) pour se prémunir contre le risque, bien réel, d’éventuelles exactions. Il compare les différentes contributions (mudārāt) auxquelles les groupes zawāyā sont astreints par les chefs guerriers aux murs qui doivent entourer tout édifice de zaouïa [65]. Selon lui, la fonction protectrice de la bâtisse en milieu sédentaire est assurée, chez les nomades, par le versement de tributs qui sont qualifiés d’actes de charité (ṣadaqa) et sont obligatoires pour chaque membre de la communauté. Du point de vue juridique, cette argumentation pose toutefois problème. Les ponctions effectuées par les groupes guerriers constituent des impôts illégaux. Comment déclarer obligatoire ce qui est dénué de tout fondement légal et s’apparente même à de l’injustice (ẓulm) ? Al-Māmī allègue le principe du « choix du moindre mal » (irtikāb akhaff al-ḍararayn) [66]. Il s’agit d’une position qui fait consensus parmi les juristes sahariens des xviiie et xixe siècles. Certains vont même jusqu’à autoriser les cadis ou les conseils communautaires à réaliser des ventes de biens forcées afin de garantir le paiement des redevances [67]. Néanmoins, al-Māmī insiste sur le caractère exceptionnel de cette solution, qu’il espère provisoire, en faisant implicitement référence au djihad de Nāṣir al-Dīn : « Si l’intérêt public (al-maṣlaḥat al-ʿāma) peut se passer du versement de tributs (mudāra), comme c’était le cas du pays de la Gibla pendant un certain moment, parce que la justice s’y est manifestée (li-ẓuhūr al-ʿadl) […], nous revenons à la situation originale (aṣl) qui est le caractère non obligatoire (ʿadam al-luzūm) [de ces contributions] [68]. »
32La persistance de l’utopie de la fondation d’une authentique cité musulmane distingue nettement la position d’al-Māmī de celle d’autres jurisconsultes sahariens, pour lesquels l’option révolutionnaire relève même du proscrit. De fait, l’éminent Ibn al-Aʿmash de Chinguetti s’est activement opposé aux prétentions de Nāṣir al-Dīn, qu’il accusait de prosélytisme hérétique [69]. Vue sous cet angle, l’attitude de l’auteur du Kitāb al-bādiya à l’égard des États issus des djihads fulbé est particulièrement remarquable. Il ne les envisage pas comme le résultat, regrettable et éphémère, d’ambitions démesurées qui provoquent la discorde (fitna) entre les croyants, mais comme des entités politiques islamiques aussi légitimes que le royaume chérifien du Maroc.
33L’argumentation tourne notamment autour de la question de la capacité d’un acteur politique à imposer les châtiments corporels prévus par la charia (iqāmat al-ḥudūd), tels que l’amputation de la main en cas de vol (saraq) ou la lapidation en vue de sanctionner certains types de rapports sexuels jugés illégaux (zinā) [70]. Alors que ces peines ont, en vérité, rarement été appliquées dans les sociétés musulmanes médiévales et modernes, elles ne constituent pas moins le symbole par excellence de l’existence d’un pouvoir étatique islamique [71]. Sans entrer dans le détail de cette thématique complexe, il convient de rappeler que, selon les normes du fiqh, les ḥudūd visent à punir ceux qui transgressent les « droits de Dieu » (ḥuqūq Allāh), à savoir les limites – c’est le sens littéral du terme ḥudūd (sg. ḥadd) en arabe – que la révélation islamique a fixées aux actes humains et dont l’imam doit se porter garant [72]. L’un des enjeux des mouvements de djihad en Afrique de l’Ouest consiste dans l’introduction de ce régime pénal, même s’il faut souligner que les modalités concrètes de son application à l’échelle locale demeurent encore mal connues [73]. Toujours est-il qu’al-Māmī ne manque pas d’affirmer qu’il a vu de ses propres yeux l’« Almami Abū Bakr faire appliquer les ḥudūd à Jawluma [74] ». À travers le thème des peines corporelles, l’auteur établit en vérité un lien étroit entre l’émergence d’un acteur politique puissant – qu’il agisse d’un homme fort (mutaghallib) converti à la cause de la religion ou d’une assemblée communautaire (jamāʿa) soucieuse des normes de la charia – et la construction d’un État islamique : « Là où un tel homme manipulant la force n’existe pas, la situation se présente comme chez les gens de l’espace entre les deux imamats : il ne peut y avoir une application des peines corporelles qu’après son apparition, à moins qu’il n’y ait une assemblée communautaire au sein de laquelle la discorde n’est pas à craindre [75]. »
34Rien de tel ne saurait donc avoir lieu dans la bādiya à l’époque d’al-Māmī, où le recours aux châtiments physiques – y compris à la loi du talion – risquerait inévitablement de déclencher des cycles de violence interminables. Pour cette raison, la pratique (ʿamal) de substituer à ces peines des amendes (ʿuqūbāt al-māl) s’est généralisée dans l’Ouest saharien des temps modernes, ce qui, soit dit en passant, n’est pas sans rappeler les stipulations coutumières (ittifaqāt) des populations berbérophones du Sud marocain. À l’instar de la majorité des jurisconsultes sahariens, al-Māmī revendique le pragmatisme en la matière. Selon lui, de telles adaptations trouvent leur raison d’être dans le fait que « les stipulations de la Loi sacrée suivent les intérêts publics ». Il suffirait de se pencher sur l’histoire de la révélation en Islam pour s’en apercevoir : « C’est pourquoi la Loi de Moïse excluant l’octroi de la grâce (ʿadam al-ʿafaw) diverge de celle de Jésus qui l’a au contraire rendu obligatoire pour ce qui est des crimes de sang, car l’intérêt public varie (li-ikhtilāf al-maṣlaḥa) [d’une époque à l’autre] » [76].
35La variabilité de l’intérêt public met aussi en cause les conditions spatiales de l’existence humaine. Cela rejoint le thème de l’opposition entre le monde citadin (ḥaḍāra) et le monde bédouin (bādiya), évoqué au début de cet article. La civilisation urbaine (tamaddun) constitue pour al-Māmī l’espace au sein duquel le respect des normes de la charia est manifeste : les femmes portent le voile, la ségrégation des sexes est acquise, le savoir religieux est enseigné comme il convient et les peines islamiques sont appliquées. Les exemples enchaînés par l’auteur concernent autant l’ordre judiciaire qu’une morale publique érigée en critère de distinction culturelle. Il l’affirme lui-même en s’interrogeant sur le sens du concept de tamaddun : « S’agit-il du rattachement effectif à la juridiction des villes ou de la genèse de leurs mœurs nobles [77] ? » Sans doute la question s’énonce-t-elle, en partie, de façon rhétorique, pour autant que les deux aspects soient intrinsèquement liés l’un à l’autre. La réflexion sur le rôle du droit dans la société est conçue dans le cadre du fiqh comme une contribution au maintien de ce que l’ottomaniste Leslie Peirce a nommé une « citoyenneté morale commune [78] », même si les juristes musulmans sont conscients de la tension qu’il peut y avoir entre les devoirs éthico-moraux du croyant (diyāna) et les exigences propres à la rationalité juridique [79].
36Une autre problématique émerge toutefois de cette subordination judiciaire et culturelle du monde bédouin aux villes : revient-il aux habitants de la bādiya de chercher la protection des citadins en tant que clients (mawālī), comme pourrait le laisser entendre toute une série de traditions des débuts de l’Islam qu’al-Māmī rapporte à l’occasion ? Le Prophète Muḥammad n’aurait-il pas exhorté un fidèle à « ne pas vivre dans les villages pour que [son] savoir ne se perde pas [80] » ? Que dire alors des propos du grand homme de lettres marocain du xviie siècle, al-Ḥasan b. Masʿūd al-Yūsī (m. 1102/1691), chantant les éloges de la vie bédouine et villageoise [81] ? Les représentations de l’univers bédouin dans les écrits des penseurs musulmans médiévaux et modernes se caractérisent en effet par une profonde ambivalence. La bādiya inspire à la fois crainte et admiration. Elle est tantôt louée comme l’espace refuge d’une supposée « pureté » originelle de la vie en société, véhiculée notamment dans les échanges linguistiques – le topos de la langue « claire » des Bédouins –, tantôt décriée comme un foyer d’impiété et d’ignorance qui menace constamment, par les forces incontrôlables qu’elle abrite, l’ordre de la cité.
37Malheureusement, al-Māmī ne développe pas davantage sa propre interprétation de ce thème, sur lequel Ibn Khaldūn a bâti sa théorie de la civilisation. Il se cantonne à définir un régime judiciaire en fonction de l’éloignement des centres urbains : « Pour ceux qui se retrouvent encore en zone de contact (ahl masāfa al-ʿadwā) [avec les villes], il ne convient pas qu’ils sortent de la juridiction urbaine (aḥkām al-mudun) puisque celle-ci peut potentiellement les atteindre et ce qui est proche d’une chose partage avec elle son statut juridique [82]. » Au-delà de cette sphère d’influence s’étend le vaste espace, aux contours indécis, de la bādiya, pays de l’anarchie, où « se perdent les obligations imposées par Dieu et relevant de la compétence du souverain et de ses agents [83] », à moins que n’y émerge un leader ou une assemblée communautaire s’attelant à l’application de la charia.
38Le rapport entre l’instauration d’un régime judiciaire et le maintien d’un ordre public qui est censé rendre visibles les exigences éthico-morales du législateur divin n’est toutefois pas envisagé par al-Māmī à travers l’unique prisme de l’absence, en terre bédouine, de ses garants citadins, la culture urbaine et l’imam. Les aménagements à opérer au nom de l’intérêt public découlent aussi des contraintes du mode de vie nomade des habitants de la bādiya. Al-Māmī évoque, d’une part, la question de la stricte ségrégation qui devrait régner entre les sexes, d’autre part, celle des interdits vestimentaires imposés aux femmes et, dans une moindre mesure, aux hommes, pour couvrir ce que les juristes musulmans considèrent être les parties intimes du corps (sitr al-ʿawra) [84]. Les déplacements réguliers entre les différents lieux de pâturage ainsi que la promiscuité régnant dans les campements relèvent, selon l’auteur, d’une nécessité absolue (ḍarura) autorisant la suspension partielle des normes en la matière.
39La question des interdits vestimentaires et de la ségrégation entre les sexes est néanmoins sensible parce qu’elle met en jeu le corps comme lieu de l’articulation de l’ordre social et symbolique. Al-Māmī multiplie ainsi, non sans raison, les références et les citations pour créer un fondement doctrinal à sa légitimation en mettant l’accent sur une analogie entre différents besoins sociaux : le cas de la médecine, celui du témoignage devant le juge ou encore celui du marché sont évoqués [85]. En même temps, alors qu’il fait preuve d’indulgence à l’égard d’autres pratiques locales en conflit avec les normes du fiqh, telles que les diverses transactions coutumières sur le bétail qui frôlent souvent l’usure (ribā) [86], al-Māmī ne semble concéder sur cette question que le strict minimum, afin de ne pas entraver sérieusement la mobilité des groupes pastoraux. Il avertit toutefois le lecteur que « ce qu’il est impossible d’éviter, comme l’exposition des extrémités en raison des impératifs du voyage et non pour s’exhiber, cela ne l’emporte pas pour autant sur le principe de l’obligation de se couvrir [87] ».
40Al-Māmī est encore plus intransigeant au sujet de l’interdiction d’entrer dans une maison (bayt) – en l’occurrence, une tente – sans avoir reçu l’autorisation préalable (istīdhān), ce qui pourrait « exposer » les membres féminins du foyer à des regards indiscrets. Certes, la vie dans le campement rend nécessairement difficile le maintien de ce type de normes de convenance qui ont pour enjeu la préservation de l’intimité (ḥarīm) du groupe familial et qui caractérisent les modes de cohabitation dans les villes et les villages arabo-musulmans. Une fois de plus, al-Māmī déplore l’absence d’une autorité étatique islamique, étant donné que « l’abandon de la règle de la demande d’autorisation équivaut à l’abandon d’une des fonctions relevant de la compétence (wilāya) du responsable de l’ordre public (muḥtasib) [88] ». Dans le contexte de la bādiya, la charge publique du muḥtasib se transforme alors en obligation individuelle. Au nom de l’ordre imposé aux musulmans « d’ordonner le bien et d’interdire le mal [89] », chacun doit s’évertuer, selon ses moyens, à faire respecter cette norme étroitement associée à des injonctions coraniques et à des traditions prophétiques.
41Les dérogations accordées à la norme de la ségrégation sexuelle s’articulent donc sur le mode d’une exceptionnalité absolue. Le pouvoir exercé sur les corps s’avère être le lieu de la cristallisation d’une autorité dogmatique sur laquelle toute l’argumentation d’al-Māmī repose. Ce dernier termine sa mise en garde par un renvoi à l’excellence morale de la voie des soufis (madhhab al-ṣūfiyya) qui s’abstiendraient (ijtināb), par principe, de tout contact avec des « étrangers », car « si la première voie est celle des régulations de la charia (quyūd al-sharīʿa), la seconde filtre l’accès à la vérité divine (aghlāl al-ḥaqīqa) [90] ». La digression vers le soufisme peut étonner, puisqu’al-Māmī n’en parle quasiment pas dans son livre, alors même qu’il s’est forgé une réputation de mystique et de saint thaumaturge. Selon les formes et les modes de perception normative que nous avons essayé de reconstituer dans cet article, l’irruption inattendue de l’autre grand pilier de la culture musulmane aux temps modernes apparaît toutefois comme la conclusion logique du raisonnement mené. Elle reflète l’inscription de la réflexion sur les règles juridiques dans une discursivité qui a pour objet ultime la quête du salut à travers la construction d’une exemplarité éthico-morale. La pratique soufie, à cette époque, en est la manifestation la plus évidente. Sur le plan sociologique, l’idéalisation d’une vie ancrée dans l’esprit de scrupule (waraʿ) qui devrait nourrir chaque acte social – et le droit en fait partie – constitue le fondement du pouvoir symbolique exercé par cette classe de lettrés à laquelle appartient al-Māmī.
42Le Kitāb al-bādiya révèle la vision du monde d’un juriste et homme de religion doublement marginal au regard des critères qui, dans un champ encore fortement marqué par l’héritage orientaliste, ont tendance à commander les enquêtes sur l’histoire des idées en Islam. Son auteur appartient à une époque jugée longtemps peu digne d’intérêt scientifique par comparaison avec les exploits intellectuels des « grands hommes » du Moyen Âge et des protagonistes d’un modernisme musulman à partir de la seconde moitié du xixe siècle. En dépit de l’important renouveau méthodologique et conceptuel dans lequel la recherche s’est engagée depuis la fin des années 1970 persiste une tendance à envisager l’histoire intellectuelle de l’Islam à travers le prisme d’une sorte de compétition civilisationnelle : « innovation » vs « décadence », « renaissance » vs « déclin », « création » vs « imitation » [91]. Dans une telle optique, des textes comme le Kitāb al-bādiya sont le plus souvent relégués au rang d’écrits secondaires, dont le seul mérite consisterait à servir de témoignage pour étudier l’« univers mental » d’une époque [92]. À cela s’ajoute le fait qu’al-Māmī évolue dans un espace considéré comme périphérique autant par les études arabo-musulmanes focalisées sur les « terres centrales de l’Islam [93] » que par la recherche sur l’Islam ouest-africain, plus orientée vers le Sénégal, le Mali et le Nigeria. Les choses « importantes » semblent se passer ailleurs que dans les campements nomades de l’Ouest saharien, dans les grandes villes comme Le Caire ou, à la rigueur, Tombouctou. Vue sous cet angle, l’affirmation d’al-Māmī d’appartenir à un « entre-deux » (bilād al-fitra) conserve une actualité insoupçonnée.
43Pourtant, le Kitāb al-bādiya met en garde contre une telle histoire intellectuelle qui évalue ses objets et ses sources à travers leur distance par rapport à un « centre », qu’il soit géographique ou chronologique, qu’il soit désigné comme un idéal littéraire ou épistémologique. Pour al-Māmī, l’enjeu est de prendre position au sein des débats juridiques de son temps. Dès lors, les références savantes s’entremêlent dans un jeu de perspectives subtil et complexe. Certains sujets, à commencer par la question du recours à l’ijtihād, traversent l’ensemble des milieux lettrés musulmans de l’époque, en Inde, à Damas, comme dans l’Ouest saharien ; d’autres articulent des problèmes normatifs certes plus étroitement liés au milieu de l’auteur, mais leur caractère vernaculaire est absorbé dans une démonstration doctrinale qui se présente comme une contribution à la tradition malikite. Pour brouiller davantage les pistes, al-Māmī légitime sa réflexion sur l’adaptation de la charia au monde bédouin − pour laquelle, bien entendu, nous ne disposons pas d’équivalent pour le Maghreb ou le Proche-Orient − en arguant de sa propre marginalité au sein de la « République des Lettres » musulmane [94] : c’est le silence de l’érudition citadine et des autorités du passé qui rend concevable et nécessaire l’élaboration de nouvelles solutions en s’appuyant sur les références textuelles du malikisme. Pour tenir compte de telles dynamiques intellectuelles, un raisonnement sur le caractère « tardif » d’un ouvrage venant de la « périphérie » de l’Islam semble peu pertinent. De la lecture du traité ressort plutôt la question de savoir comment un auteur comme al-Māmī s’approprie les ressources culturelles de son époque et de son milieu, comment il les met en œuvre dans son propre discours et, enfin, comment les hiérarchies, les classifications et les « centres » que présuppose et reconnaît la culture lettrée à laquelle il appartient interviennent dans ce processus.
44Le Kitāb al-bādiya invite ainsi à déplacer le regard d’une reconstruction des généalogies intellectuelles, telle qu’elle reste largement pratiquée dans les études islamologiques, vers une analyse située des pratiques savantes. L’enjeu de cet article a été de restituer progressivement les différents contextes dans lesquels s’inscrit le propos de son auteur : celui d’un notable religieux de l’Ouest saharien, membre d’un puissant groupe de zawāyā, nostalgique de l’épopée de Nāṣir al-Dīn et fervent partisan des leaders du djihad de son temps, celui d’un jurisconsulte malikite qui pense sa société dans le cadre de la culture du fiqh, celui d’un nomade s’interrogeant sur les implications juridico-religieuses de la distance culturelle et du décalage politique qui séparent son monde de celui des villes. Une telle approche implique aussi de souligner les silences du discours qu’elle observe. À aucun moment, al-Māmī n’évoque, par exemple, l’institution de l’esclavage, qui pourtant est fondamentale pour l’organisation sociale de toute la région, et ce en partie jusqu’à nos jours [95]. De même, il ne dit rien de la présence des Européens sur les côtes atlantiques depuis le xve siècle, en particulier celle des Français de Saint-Louis très engagés dans le commerce de la gomme arabique avec les nomades bayḍān de la Gibla. Pour al-Māmī, ce qu’il convient de retenir de la vie dans la bādiya et ce sur quoi doivent porter les efforts normatifs des juristes, c’est l’interaction entre les nomades arabophones et, surtout, entre les différents groupes zawāyā. Ces silences mériteraient sans doute d’être davantage interrogés. Il n’empêche : à travers le dépouillement d’un appareil référentiel qui mêle des sources textuelles provenant d’époques et de régions très diverses, mais liées par leur appartenance à une formation discursive partagée, le malikisme, il s’est dessiné autre chose qu’une adoption passive de schèmes culturels venus d’ailleurs. L’usage créatif de ces références par al-Māmī illustre la fabrique d’une tradition de pensée juridique dans l’Ouest saharien qui, consciente de ses particularités, n’en réclame pas moins une prise de parole sur le mode de l’universel.
Mise en ligne 24/09/2019
Notes
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[*]
Les matériaux exposés dans cet article ont été recueillis lors d’un séjour de recherche en Mauritanie en novembre 2016. Que Mohamedou Meyine, Ahmed Maouloud Eida El-Hilal, Abdel Wedoud dit Deddoud Ould Abdellahi, Mohammed el-Barnaoui et al-Tijani Ould Abdel Hamid trouvent ici le témoignage de ma gratitude pour leur aide et leur soutien. Je tiens également à remercier Camille Lefebvre et Augustin Jomier pour la richesse de leurs remarques sur une première version de cet article.
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[2]
Ulrich Rebstock, Maurische Literaturgeschichte, Wurtzbourg, Ergon Verlag, 2001, 3 vol. ; John O. Hunwick (éd.), Arabic Literature of Africa, vol. 4, The Writings of Western Sudanic Africa, Leyde, Brill, 2003 ; Charles C. Stewart (éd.), Arabic Literature of Africa, vol. 5, The Writings of Mauritania and the Western Sahara, Leyde, Brill, 2016, 2 vol. ; Graziano Krätli et Ghislaine Lydon (dir.), The Trans-Saharan Book Trade: Manuscript Culture, Arabic Literacy, and Intellectual History in Muslim Africa, Leyde, Brill, 2011 ; Ghislaine Lydon, « Inkwells of the Sahara: Reflections on the Production of Islamic Knowledge in Bilād Shinqīṭ », in S. S. Reese (dir.), The Transmission of Learning in Islamic Africa, Leyde, Brill, 2004, p. 39-71.
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[3]
Voir Ernest Gellner, Muslim Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, à qui nous devons sans doute la version la plus élaborée de cette théorie.
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[4]
Le terme « charia » désigne la normativité juridico-religieuse contenue dans les sources de la révélation islamique, alors que la notion de fiqh réfère à la fois à la science s’attachant à expliciter cette normativité et au système de normes et de règles né de ces efforts d’explicitation et d’interprétation. Voir Baber Johansen, Contingency in a Sacred Law: Legal and Ethical Norms in the Muslim Fiqh, Leyde, Brill, 1999 ; Joseph Schacht, Introduction au droit musulman, trad. par P. Kempf et A. M. Turki, Paris, Maisonneuve et Larose, [1964] 1983 ; Bernard G. Weiss, The Spirit of Islamic Law, Athens, University of Georgia Press, 2006.
-
[5]
Rainer Osswald, Schichtengesellschaft und islamisches Recht. Die Zawāyā und Krieger der Westsahara im Spiegel von Rechtsgutachten des 16.-19. Jahrhunderts, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 1993 ; Mohamed El Mokhtar Ould Bah, La littérature juridique et l’évolution du malikisme en Mauritanie, Tunis, Université de Tunis, 1981 ; Yaḥyā Wuld al-Baraʾ, Al-Majmūʿat al-kubrā. Al-shāmilat li-fatāwā wa nawāzil wa aḥkām ahl gharb wa janūb gharb al-Ṣaḥrāʾ, Nouakchott, al-Sharīf Mawlāy al-Ḥasan bin al-Mukhtār bin al-Ḥasan, 2009, 12 vol.
-
[6]
Ghislaine Lydon, On Trans-Saharan Trails: Islamic Law, Trade Networks, and Cross-Cultural Exchange in Nineteenth-Century Western Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; Yahya Ould El-Bara, « Fiqh, société et pouvoir. Étude des soucis et préoccupations socio-politiques des théologiens-légistes maures (fuqahā) à partir de leurs consultations juridiques (fatāwā), du xviie au xxe siècle », thèse de doctorat, Ehess, 1998 ; Ismail Warscheid, Droit musulman et société au Sahara prémoderne. La justice islamique dans les oasis du Grand Touat (Algérie) aux xviie-xixe siècles, Leyde, Brill, 2017.
-
[7]
L’école malikite remonte à l’enseignement du juriste médinois Mālik b. Anas (m. 179/795). Elle s’est développée notamment dans l’Occident musulman et en Égypte.
-
[8]
Nous avons utilisé l’édition publiée par le Centre des études sahariennes à Rabat, qui reprend celle réalisée par l’association des descendants de Muḥammad al-Māmī en 2007 : al-Shaykh Muḥammad al-Māmī b. al-Bukhārī al-Bariki, Kitāb al-bādiya wa nuṣūṣ ukhrā, Rabat, Publications du Centre des études sahariennes, 2014 (ci-après Kitāb al-bādiya).
-
[9]
Il existe deux monographies en arabe consacrées à al-Māmī et à son œuvre : Muḥammad Wuld Aḥmad al-Barnawi, Al-khilāf wa’l-ikhtilāf wa’l-istikhlāf aw al-ʿurf wa’l-sharʿ wa’l-sulṭa al-siyāsiya fī’l-janūb al-gharbī lil’-gharb al-islāmī bidāyat al-qarn al-tāsiʿʿashara. Muḥāwala ḥafr ḥawla fikr al-shaykh Muḥammad al-Māmi [sic] (1865-1780), Nouakchott, Institut Sidi Abdalla Ould el Fadhel pour la recherche scientifique, 2010 ; Id., Al-shaykh Muḥammad al-Māmi [sic] b. al-Bukhārī : al-walī, al-ʿālim, al-mujaddid, Nouakchott, s. n., 2012. Nous tenons à remercier chaleureusement Mohamed Ould Barnaoui de nous avoir offert un exemplaire de chacun de ces livres.
-
[10]
Il a notamment transposé en dix mille vers le principal manuel du droit malikite de l’époque, le Mukhtaṣar, du juriste égyptien Khalīl b. Iṣḥāq al-Jundī (m. 767/1374). La pratique de la versification, très répandue dans tout l’espace sahélo-saharien, vise à faciliter la mémorisation (ḥifẓ) de ce type de texte, ce qui à la fois constitue l’idéal de l’éducation du temps et répond aux contraintes imposées par la rareté du papier dans la région. Sur le curriculum des lettrés sahélo-sahariens, voir Bruce S. Hall et Charles C. Stewart, « The Historic ‘Core Curriculum’ and the Book Market in Islamic West Africa », in G. Krätli et G. Lydon, The Trans-Saharan Book Trade…, op. cit., p. 109-174.
-
[11]
Abdel Wedoud Ould Cheikh, « Théologie du désordre. Islam, ordre et désordre au Sahara », L’année du Maghreb, 7, 2011, p. 61-77. L’anthropologue a mis en perspective l’inscription du texte et de son auteur dans le contexte sociopolitique de la première moitié du xixe siècle en étudiant la représentation de l’espace ouest-saharien chez al-Māmī comme une terre d’anarchie (bilād al-sāʾiba), déchirée par les rivalités entre les différents groupes nomades.
-
[12]
Abdel Wedoud Ould Cheikh, « De quoi le Sahara est-il le nom ? Images du Sahara et des Sahariens dans Kitāb al-bādiya d’al-Shaykh Muhammad al-Mâmi », colloque « Le Sahara, lieux d’histoire et espace d’échanges », Centre des études sahariennes, 2016, p. 9. Nous remercions l’auteur de nous avoir aimablement communiqué le manuscrit de sa communication.
-
[13]
Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 27-31.
-
[14]
Rainer Osswald, Die Handelsstädte der Westsahara. Die Entwicklung der arabisch-maurischen Kultur von Šinqīṭ, Wādān, Tīšīt und Walāta, Berlin, D. Reimer, 1986 ; Abdel Wedoud Ould Cheikh, « Nomadisme, Islam et pouvoir dans la société maure précoloniale (xie siècle-xixe siècle). Essai sur quelques aspects du tribalisme », thèse de doctorat, Université Paris Descartes, 1985 ; Id., Éléments d’histoire de la Mauritanie, Nouakchott, Institut mauritanien de recherche scientifique, 1991.
-
[15]
Bruce S. Hall, A History of Race in Muslim West Africa, 1600-1960, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.
-
[16]
Il s’agit d’un espace s’étendant de l’Oued Noun au Maroc jusqu’à la vallée du Sénégal, du littoral atlantique jusqu’à l’Azaouad au nord de l’actuel Mali. Voir Khalīl al-Naḥwi, Bilād Shinqīṭ al-manāra wa’l-ribāṭ. ʿArḍ li’l-ḥayāt al-ʿilmiyya wa’l-ishāʿ al-thaqāfī wa’l-jihād al-dīnī min khilāl al-jāmiʿāt al-badawiya al-mutanaqila (al-maḥāḍir), Tunis, al-Munaẓẓama al-ʿarabiyya li-tarbiya wa’l-thaqāfa wa’l-ʿulūm, 1978, p. 24-56.
-
[17]
Voir notamment les travaux de Pierre Bonte, Timothy Cleaveland, Sophie Caratini, Abdel Wedoud Ould Cheikh, Bruce Hall, Rainer Osswald, Ulrich Rebstock, Ghislaine Lydon, Ann McDougall, Muhammad Ould Saad, Charles Stewart.
-
[18]
Nous avons décidé de ne pas recourir à la traduction conventionnelle du terme qabīla par « tribu » afin de mieux préserver les spécificités du discours lettré musulman, et lui avons préféré celui de « formation lignagère ».
-
[19]
Muhammed Al Muhtar W. As-sa’d, « Émirats et espace émiral maure. Le cas du Trārza aux xviiie-xixe siècles », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 54, 1989, p. 53-82 ; Pierre Bonte, L’émirat de l’Adrar mauritanien. Harîm, compétition et protection dans une société tribale saharienne, Paris, Karthala, 2008 ; A. W. Ould Cheikh, Éléments d’histoire de la Mauritanie, op. cit. ; Raymond A. Taylor, « L’émirat pré-colonial et l’histoire contemporaine en Mauritanie », Annuaire de l’Afrique du Nord, 38, 1999, p. 53-69.
-
[20]
Il s’agit d’un phénomène qui n’est pas propre à l’Ouest saharien mais qui est répandu un peu partout dans l’Occident musulman, y compris dans le monde touareg, en milieu fulbé et chez les communautés ibadites. Voir Fanny Colonna, « Saints furieux et saints studieux ou, dans l’Aurès, comment la religion vient aux tribus », Annales HSS, 35-3/4, 1980, p. 642-662 ; Jocelyne Dakhlia, L’oubli de la cité. La mémoire collective à l’épreuve du lignage dans le Jérid tunisien, Paris, La Découverte, 1990 ; Augustin Jomier, « Un réformisme islamique dans l’Algérie coloniale. Oulémas ibadites et société du Mzab (c. 1880-c. 1979) », thèse de doctorat, Université du Maine, 2015 ; Harry Thirwall Norris, The Tuaregs: Their Islamic Legacy and Its Diffusion in the Sahel, Warminster, Aris and Phillips, 1975 ; I. Warscheid, Droit musulman et société au Sahara prémoderne…, op. cit., p. 28-54.
-
[21]
Benjamin Acloque, « De la constitution d’un territoire à sa division. L’adaptation des Ahl Bârikalla aux évolutions sociopolitiques de l’Ouest saharien (xviie-xxie siècles) », Canadian Journal of African Studies/Revue canadienne des études africaines, 48-1, 2014, p. 119-143. Le terme Gibla ou Guebla, qui fait référence à la direction de la prière vers la Mecque (qibla), désigne le Sud de l’actuelle Mauritanie, les régions du Trarza et du Brakna au nord du fleuve Sénégal.
-
[22]
Philip D. Curtin, « Jihad in West Africa: Early Phases and Interrelations in Mauritania and Senegal », The Journal of African History, 12-1, 1971, p. 11-24 ; A. W. Ould Cheikh, « Nomadisme, Islam et pouvoir… », op. cit. ; David Robinson, « The Islamic Revolution of Futa Toro », The International Journal of African Historical Studies, 8-2, 1975, p. 185-221.
-
[23]
Kitāb al-bādiya, p. 228.
-
[24]
A. W. Ould Cheikh, « De quoi le Sahara est-il le nom ?… », art. cit.
-
[25]
A. W. Ould Cheikh, « Théologie du désordre… », art. cit., p. 66.
-
[26]
Paul E. Lovejoy, Jihād in West Africa during the Age of Revolutions, Athens, Ohio University Press, 2016.
-
[27]
L’ouvrage de référence reste celui de David Robinson, The Holy War of Umar Tal: The Western Sudan in the Mid-Nineteenth Century, Oxford, Clarendon Press, 1985.
-
[28]
Jacques Berque, « Les hilaliens repentis ou l’Algérie rurale au xve siècle d’après un manuscrit jurisprudentiel », Annales ESC, 25-5, 1970, p. 1325-1353 ; Sarah Binay, Die Figur des Beduinen in der arabischen Literatur 9.-12. Jahrhundert, Wiesbaden, L. Reichert, 2006 ; Stefan Leder, « Nomadische Lebensformen und ihre Wahrnehmung im Spiegel der arabischen Terminologie », Die Welt des Orients, 34, 2004, p. 72-104 ; Élise Voguet, « Dissidence affirmée ou rejet codifié de la Umma. Badawî et ‘arab dans les Nawâzil Mâzuna », Alfa. Maghreb et sciences sociales, 2006, p. 147-157.
-
[29]
Kitāb al-bādiya, p. 175.
-
[30]
Thomas A. Bauer, Die Kultur der Ambiguität. Eine andere Geschichte des Islam, Francfort-sur-le-Main, Verlag der Weltreligionen, 2011, p. 20-24.
-
[31]
Sherman A. Jackson, Islamic Law and the State: The Constitutional Jurisprudence of Shihāb al-Dīn al-Qarāfī, Leyde, Brill, 1996.
-
[32]
Noel James Coulson, A History of Islamic Law, Édimbourg, University Press, 1964 ; Yvon Linant de Bellefonds, Traité de droit musulman comparé, Paris, Mouton, 1965-1973, 3 vol. ; J. Schacht, Introduction au droit musulman, op. cit. ; B. Johansen, Contingency in a Sacred Law…, op. cit., p. 42-72 ; Brinkley Messick, The Calligraphic State: Textual Domination and History in a Muslim Society, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 54-72.
-
[33]
Kitāb al-bādiya, p. 131.
-
[34]
Joseph Schacht, « Classicisme, traditionalisme et ankylose dans la loi religieuse de l’Islam », in R. Brunshvig et G. E. Von Grunebaum (dir.), Classicisme et déclin culturel dans l’histoire de l’Islam, Paris, Maisonneuve et Larose, 1977, p. 141-166, ici p. 141.
-
[35]
Il s’agit de la méthodologie développée par les juristes musulmans entre le viiie et le ixe siècle pour dériver des normes à partir de la révélation islamique. L’expression « fondement » (aṣl, pl. uṣūl) renvoie aux quatre sources de normativité sur lesquelles les juristes musulmans se sont accordés : le Coran, la tradition prophétique (sunna), le raisonnement analogique (qiyās) et le consensus (ijmāʿ). Le terme ijtihād désigne la maîtrise de cette méthodologie qui permet au mujtahid de dériver des normes de manière autonome, à la différence du muqallid qui doit se contenter d’appliquer les règles et les principes forgés par les mujtahid-s de son école. Au cours des siècles, les juristes musulmans ont forgé toute une hiérarchie distinguant plusieurs types d’ijtihād et de taqlīd. Voir Wael B. Hallaq, A History of Islamic Legal Theories: An Introduction to Sunnī Uṣūl al-Fiqh, Cambridge, Cambridge University Press, 1999. Sur les hiérarchies entre juristes musulmans : Norman Calder, « Al-Nawawī’s Typology of Muftīs and Its Significance for a General Theory of Islamic Law », Islamic Law and Society, 3-2, 1996, p. 137-164.
-
[36]
Mohammed Fadel, « The Social Logic of Taqlīd and the Rise of the Mukhataṣar », Islamic Law and Society, 3-2, 1996, p. 193-233 ; R. Osswald, Schichtengesellschaft und islamisches Recht…, op. cit., p. 12-21.
-
[37]
Andrew Hapin, Reasoning with Law, Londres, Hart Publishing, 2001 ; Tamar Frankel, « Of Theory and Practice », Chicago-Kent Law Review, 77-1, 2001, p. 5-28.
-
[38]
Kitāb al-bādiya, p. 131.
-
[39]
S. A. Jackson, Islamic Law and the State…, op. cit. L’ouvrage constitue l’étude la plus approfondie de la notion du taqlīd à partir d’une lecture méticuleuse des écrits du juriste malikite égyptien Shihāb al-Dīn al-Qarāfi (m. 682/1283 ou 684/1285).
-
[40]
Kitāb al-bādiya, p. 131. Le terme « fatwa » désigne une consultation portant sur un point spécifique de la charia ou de son application. La fatwa relève d’une logique dialectique, c’est-à-dire qu’elle répond toujours à une demande explicite (istiftāʾ) formulée par un questionneur (mustaftī). L’identité de ce dernier est variable : bien que l’émission de fatwas vise avant tout, dès ses débuts au viie siècle, à encadrer l’action des juges musulmans, nombreux furent les souverains et les dignitaires politiques à s’adresser aux muftis pour légitimer leurs décisions d’un point de vue religieux. Voir Wael B. Hallaq, « From Fatwās to Furūʿ: Growth and Change in Islamic Substantive Law », Islamic Law and Society, 1-1, 1994, p. 29-65 ; Muhammad Khalid Masud, Brinkley Messick et David S. Powers (dir.), Islamic Legal Interpretation: Muftis and Their Fatwas, Cambridge, Harvard University Press, 1996.
-
[41]
Kitāb al-bādiya, p. 128.
-
[42]
Ibid., p. 218, par exemple. Pour comprendre l’expression, il faut savoir que le terme qawl (affirmation) désigne dans le jargon du fiqh une prise de position doctrinale.
-
[43]
Kitāb al-bādiya, p. 131.
-
[44]
Ibid., p. 132.
-
[45]
Ibid., p. 131. Al-Māmī fait référence à l’école ash‘arite qui, dans la théologie musulmane (kalām), a effectivement adopté une position médiane entre le rationalisme mu‘tazilite et les positions traditionalistes. Voir Jan Thiele, « Between Cordoba and Nīsābūr: The Emergence and Consolidation of Ashaʿrism (Fourth-Fifth/Tenth-Eleventh Century) », in S. Schmidtke (dir.), The Oxford Handbook of Islamic Theology, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 225-241.
-
[46]
Le terme takhrīj désigne la solution d’un cas d’espèce inédit selon la méthodologie casuistique transmise dans le cadre de l’école juridique, tandis que celui de tarjīḥ renvoie au choix entre différents avis juridiques contradictoires. Voir W. B. Hallaq, « Fatwās to Furūʿ… », art. cit., p. 51-52 ; Id., « Takhrīj and the Construction of Juristic Authority », in B. Weiss (dir.), Studies in Islamic Legal Theory, Leyde, Brill, 2002, p. 337-364 ; S. A. Jackson, Islamic Law and the State…, op. cit.
-
[47]
Kitāb al-bādiya, p. 175.
-
[48]
Sur le personnage, voir al-Tijānī Wuld ʿAbd al-Ḥamīd, Sīdī ʿAbd Allāh b. al-Ḥājj Ibrāhīm al-ʿAlawī bayna muqtaḍiyyāt al-aḥwāl fi’l-majāl wa dawāfiʿ al-raghba fī’l-tajdīd wa sadd al-firāgh, Nouakchott, Imprimerie nouvelle, 2010.
-
[49]
Sīdī ʿAbdallāh bin al-Ḥājj Ibrāhīm al-ʿAlawī al-Shinqiṭi, Ṭarad al-ḍawāl wa’l-humal ʿan al-kurūʿ fī ḥiyāḍ masāʾil al-ʿamal, Idleb, Najeebawaih Manuscripts Center, [s. d.]. Je tiens à remercier Wuld ʿAbd al-Ḥamīd de m’avoir gracieusement offert un exemplaire du livre.
-
[50]
Ibid., p. 39-44.
-
[51]
Kitāb al-bādiya, p. 99-123. Sur le genre de la ḥāshiya, voir Ahmed El Shamsy, « The Ḥāshiya in Islamic Law: A Sketch of the Shāfiʿī Literature », Oriens: Journal of Philosophy, Theology and Science in Islamic Societies, 41-3/4, 2013, p. 289-315.
-
[52]
Kitāb al-bādiya, p. 127.
-
[53]
Ibid., p. 147.
-
[54]
Muḥammad al-Mukhtār Wuld Saʿd, Al-Fatāwā wa’l-tāʾrīkh. Dirāsa li-maẓāhir al-ḥayāt al-iqtiṣādiyya wa’l-ijtimaʿiyya fī Mawritāniyā min khilāl fiqh al-nawāzil, Beyrouth, Dār al-Gharb al-Islāmī, 2000.
-
[55]
L’auteur fait référence aux « villes-camps » (miṣr, pl. amṣār) fondées durant les grandes conquêtes des premiers siècles de l’islam, comme Bassorah, Koufa, Kairouan et Fustat, le futur Caire.
-
[56]
Kitāb al-bādiya, p. 147.
-
[57]
A. W. Ould Cheikh, « De quoi le Sahara est-il le nom ?… », art. cit., p. 8-9.
-
[58]
Kitāb al-bādiya, p. 175.
-
[59]
Ibid., p. 177.
-
[60]
Ibid., p. 176 et 205.
-
[61]
Houari Touati, « Le prince et la bête. Enquête sur une métaphore pastorale », Studia Islamica, 83-1, 1996, p. 101-119.
-
[62]
Kitāb al-bādiya, p. 177. Voir aussi A. W. Ould Cheikh, « Théologie du désordre… », art. cit., p. 65.
-
[63]
Rahal Boubrik, « Les fuqahâ’ du prince et le prince des fuqahâ’. Discours politique des hommes de religion au pays maure (Mauritanie, xviie-xixe siècle) », Afrique et histoire, 7-1, 2009, p. 153-172 ; A. W. Ould Cheikh, « Théologie du désordre… », art. cit., p. 67 ; I. Warscheid, Droit musulman et société au Sahara prémoderne…, op. cit., p. 158-163.
-
[64]
Felicitas Opwis, Maṣlaḥa and the Purpose of the Law: Islamic Discourse on Legal Change from the 4th/10th to 8th/14th Century, Leyde, Brill, 2010.
-
[65]
Kitāb al-bādiya, p. 212 : « zāwiya al-bayt lā budda lahā min suwwar ». Pour un aperçu de ce système de fiscalité, voir P. Bonte, L’émirat de l’Adrar mauritanien…, op. cit. ; M. M. W. As-sa’d, « Émirats et espace émiral maure… », art. cit.
-
[66]
Kitāb al-bādiya, p. 214.
-
[67]
Kitāb al-bādiya, p. 214, rapporte une fatwa d’Ibn al-Aʿmash au sujet de la répartition des charges parmi les habitants de l’oasis de Ouadane. La même pratique s’observe chez les juristes des oasis du Grand Touat dans le Sud algérien aux xviiie et xixe siècles. Voir I. Warscheid, Droit musulman et société au Sahara prémoderne…, op. cit., p. 102-105.
-
[68]
Kitāb al-bādiya, p. 214.
-
[69]
A. W. Ould Cheikh, « Théologie du désordre… », art. cit., p. 64 ; Abdel Wedoud Ould Cheikh et Bernard Saison, « Vie(s) et mort(s) de al-Imām al-Ḥaḍrāmī. Autour de la postérité saharienne du mouvement almoravide (11e-17e s.) », Arabica, 34-1, 1987, p. 48-79, ici p. 66-71.
-
[70]
Éric Chaumont, « ‘God Has Ordained Excellence in All Things: When You Put to Death, Do So after a Decorous Manner’: The Implementation of Mandatory Penalties (al-ḥudūd) in Muslim Law », in K. Berthelot et M. Morgenstern (dir.), The Quest for a Common Humanity: Human Dignity and Otherness in the Religious Traditions of the Mediterranean, Leyde, Brill, 2011, p. 327-347 ; B. Johansen, Contingency in a Sacred Law…, op. cit., p. 349-420 et 421-433 ; Rudolph Peters, Crime and Punishment in Islamic Law: Theory and Practice from the Sixteenth to the Twenty-First Century, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
-
[71]
Robert Gleave, « Public Violence, State Legitimacy: The Iqamat al-hudud and the Sacred State », in C. Lange et M. Fierro (dir.), Public Violence in Islamic Societies: Power, Discipline, and the Construction of the Public Sphere, 7th-19th Centuries CE, Édimbourg, Edinburgh University Press, 2009, p. 256-275.
-
[72]
B. Johansen, Contingency in a Sacred Law…, op. cit., p. 189-218, présente une excellente analyse de cette différenciation à partir du cas de l’école hanéfite.
-
[73]
Sarah Eltantawi, Shari’ah on Trial: Northern Nigeria’s Islamic Revolution, Oakland, University of California Press, 2017.
-
[74]
Kitāb al-bādiya, p. 177. Nous n’avons malheureusement pas réussi à localiser Jawluma.
-
[75]
Ibid., p. 177.
-
[76]
Ibid., p. 218.
-
[77]
Ibid., p. 175.
-
[78]
Leslie P. Peirce, Morality Tales: Law and Gender in the Ottoman Court of Aintab, Berkeley, University of California Press, 2003, p. 208.
-
[79]
B. Johansen, Contingency in a Sacred Law…, op. cit., p. 172-188. Par exemple, la validité d’un contrat n’est pas affectée par les considérations concernant la moralité des parties s’il s’agit de personnes réputées « pieuses » (ṣāliḥ) ou, au contraire, « débauchées » (fāsiq). Seule compte la question de savoir si la transaction a été conforme aux normes de l’école juridique et si les parties étaient en pleine possession de leur capacité juridique. En revanche, certains actes comme le pillage ou l’abus de pouvoir peuvent entraîner à la fois une condamnation éthico-morale et la perte de la capacité juridique, un sujet jurisprudentiel très présent dans les recueils de fatwas ouest-sahariens, dans la mesure où les groupes guerriers ḥassān sont les premiers visés. Voir R. Osswald, Schichtengesellschaft und Islamisches Recht…, op. cit.
-
[80]
Kitāb al-bādiya, p. 175.
-
[81]
Ibid., p. 176. Voir Jacques Berque, Al-Yousi. Problèmes de la culture marocaine au xviie siècle, Paris, Mouton, 1958.
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[82]
Kitāb al-bādiya, p. 177.
-
[83]
Ibid., p. 223.
-
[84]
Éric Chaumont, « La notion de ‘awra selon Abû l-Ḥasan ‘Alî b. Muḥammad b. al-Qaṭṭān al-Fâsî (m. 628/1231) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 113/114, 2006, p. 109-123, ici p. 113 : « La ‘awra d’une personne désigne de manière générale les parties de son corps qu’elle ne peut dévoiler, qu’elle ne peut laisser apparaître et qu’autrui ne peut regarder. » Voir aussi Baber Johansen, « The Valorization of the Human Body in Muslim Sunni Law », in D. J. Stewart, B. Johansen et A. Singer (dir.), Law and Society in Islam, Princeton, Markus Wiener, 1996, p. 71-112.
-
[85]
Kitāb al-bādiya, p. 219.
-
[86]
R. Osswald, Schichtengesellschaft und Islamisches Recht…, op. cit.
-
[87]
Kitāb al-bādiya, p. 219.
-
[88]
Ibid., p. 220. Sur l’institution du muḥtasib, voir Kristen Stilt, Islamic Law in Action: Authority, Discretion, and Everyday Experiences in Mamluk Egypt, Oxford, Oxford University Press, 2011.
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[89]
Kitāb al-bādiya, p. 220 : « al-amr bi’l-maʿrūf wa’l-nahī ʿan al-munkar ». Voir Michael Cook, Commanding Right and Forbidding Wrong in Islamic Thought, Cambridge, Cambridge University Press, 2006.
-
[90]
Kitāb al-bādiya, p. 220.
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[91]
Gustav E. Von Grunebaum, L’identité culturelle de l’Islam, trad. par R. Stuvéras, Paris, Gallimard, [1969] 1973, p. 53 : « Et en outre, le succès de la période ‘médiévale’ ne dura pas fort longtemps. Au xviiie siècle, la société musulmane, partout et en tout champ d’activité, connaissait une grave décadence. » Des propositions similaires se retrouvent dans des publications récentes : Dan Diner, Lost in the Sacred: Why the Muslim World Stood Still, trad. par S. Rendall, Princeton, Princeton University Press, [2005] 2009 ; Timur Kuran, The Long Divergence: How Islamic Law Held Back the Middle East, Princeton, Princeton University Press, 2010.
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[92]
Ismail Warscheid, « The Persisting Spectre of Cultural Decline: Historiographical Approaches to Muslim Scholarship in the Early Modern Maghreb », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 60-1/2, 2017, p. 142-173.
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[93]
Pour un regard critique sur cet arabocentrisme, voir Shahzad Bashir, « On Islamic Time: Rethinking Chronology in the Historiography of Muslim Societies », History and Theory, 53-4, 2014, p. 519-544.
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[94]
Pour d’autres usages de la « République des Lettres » dans le champ des études arabo-islamiques, voir Muhsin J. al-Musawi, The Medieval Islamic Republic of Letters: Arabic Knowledge Construction, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 2015 ; İlker Evrim Binbas, Intellectual Networks in Timurid Iran: Saraf al-Dīn ‘Ali Yazdī and the Islamicate Republic of Letters, Cambridge, Cambridge University Press, 2016. Sur les réseaux de lettrés saharo-maghrébins aux périodes modernes et contemporaines, voir Augustin Jomier, « Les réseaux étendus d’un archipel saharien. Les circulations de lettrés ibadites (xviie-années 1950) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 63-2, 2016, p. 14-39 ; Stefan Reichmuth, « Murtaḍā al-Zabīdī (1732-91) and the Africans: Islamic Discourse and Scholarly Networks in the Late Eighteenth Century », in S. S. Reese (dir.), The Transmission of Learning in Islamic Africa, op. cit., p. 121-153 ; Charles C. Stewart, « Southern Saharan Scholarship and the Bilād al-Sūdān », The Journal of African History, 15-1, 1976, p. 73-93 ; I. Warscheid, Droit musulman et société au Sahara prémoderne…, op. cit., p. 28-57.
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[95]
Rainer Osswald, Sklavenhandel und Sklavenleben zwischen Senegal und Atlas, Wurtzbourg, Ergon Verlag, 2016.