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Article de revue

Concurrence et collaboration dans le monde du livre vénitien, 1469-début du XVIe siècle

Pages 185 à 212

Notes

  • [1]
    Cité dans Martin Lowry, Le monde d’Alde Manuce. Imprimeurs, hommes d’affaires et intellectuels dans la Venise de la Renaissance, trad. par S. Mooney et F. Dupuigren et Desroussilles, Paris, Promodis/Éd. du Cercle de la librairie, [1979] 1989, p. 16.
  • [2]
    Pour une vue d’ensemble classique sur les débuts de l’imprimerie en Europe et ses répercussions intellectuelles, voir Brian Richardson, Print Culture in Renaissance Italy: The Editor and the Vernacular Text, 1470-1600, Cambridge, Cambridge University Press, 1994 ; Id., Printing, Writers and Readers in Renaissance Italy, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.
  • [3]
    Sur la situation lyonnaise, voir René Fédou et al. (dir.), Cinq études lyonnaises, Genève/Paris, Droz/Minard, 1966 ; Roger Chartier et al. (dir.), Nouvelles études lyonnaises, Genève, Droz, 1969 ; Guillaume Fau et al. , « L’imprimerie à Lyon au xve siècle : un état des lieux », Revue française d’histoire du livre, 118-121, 2003, p. 195-275 ; Ilaria Andreoli, « ‘Lyon, nom et marque civile. Qui sème aussi des bons livres l’usage’. Lyon dans le réseau éditorial européen (xve-xvie siècle) », in J.-L. Gaulin et S. Rau (dir.), Lyon vu/e d’ailleurs, 1245-1800. Échanges, compétitions et perceptions, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2009, p. 109-140 ; Id., « Ex Officina erasmiana. Vincenzo Valgrisi et l’illustration du livre entre Venise et Lyon à la moitié du xvie siècle », thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2/Ca’Foscari, 2006. Sur Milan, voir Teresa Rogledi Manni, La tipografia a Milano nel xv secolo, Florence, L. S. Olschki, 1980.
  • [4]
    Mario Infelise, I libri proibiti. Da Gutenberg all’Encyclopédie, Rome, Laterza, 1999 ; Id., I padroni dei libri. Il controllo sulla stampa nella prima età moderna, Rome, Laterza, 2014.
  • [5]
    Sur les différents types de privilèges libraires à cette époque, deux ouvrages en particulier font des points historiographiques et bibliographiques détaillés : Angela Nuovo et Christian Coppens, I Giolito e la stampa nell’Italia del xvi secolo, Genève, Droz, 2005 ; Angela Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, trad. par L. G. Cochrane, Leyde, Brill, [2003] 2013.
  • [6]
    Laura Carnelos, « La corporazione e gli esterni. Stampatori e librai a Venezia tra norma e contrafazzione (secoli xvi-xviii) », Società e storia, 130, 2010, p. 657-688, a bien mis en évidence que la création d’une corporation ne règle pas les conflits entre les membres de celle-ci et ceux qui n’en font pas partie, mais qui continuent de participer à la production et au commerce du livre dans la ville.
  • [7]
    Venise, Museo Correr, Mariegola dell’arte dei depentori, ms. 163, fol. 12-13 : « l’arte e mestier delle carte et figure stampide » ; cité dans Franco Brunello, Arti e mestieri a Venezia nel Medioevo e nel Rinascimento, Vicenza, Neri Pozza, 1981, p. 79.
  • [8]
    Venise, Archivio di Stato di Venezia (ci-après ASVe), Arti, b. 312, Marzeri. Mariegola, 1471-1487, fol. 10r-14r : en 1446, quand les merciers élargissent leur profession à de nombreux biens, ils souhaitent intégrer le commerce de carta da zugar; cité dans Richard MacKenney, « The Guilds of Venice: State and Society in the Longue Durée », Studi veneziani, 34, 1997, p. 15-43, ici p. 32.
  • [9]
    Richard MacKenney, Tradesmen and Traders: The World of the Guilds in Venice and Europe, c. 1250-c. 1650, Londres, Croom Helm, 1987.
  • [10]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 11, image 113, 18 sept. 1469.
  • [11]
    On considère que le nombre de noms présents aux colophons des ouvrages est une bonne estimation du nombre d’ateliers actifs à un moment précis. Les données utilisées sont extraites de l’Incunabula Short Title Catalogue (Istc), British Library.
  • [12]
    Catherine Kikuchi, « Des vagabonds des lettres ? Les typographes à Venise aux temps des débuts de l’imprimerie », in D. Chamboduc de Saint-Pulgent, A. Houdebert et C. Troadec (dir.), Précarité, instabilité, fragilité au Moyen Âge, Paris, Pups, à paraître.
  • [13]
    Rosa Salzberg, Ephemeral City: Cheap Print and Urban Culture in Renaissance Venice, Manchester, Manchester University Press, 2014 10.7228/manchester/9780719087035.001.0001.
  • [14]
    Sur le taux de survie des exemplaires des éditions, voir Xavier Hermand, Ezio Ornato et Chiara Ruzzier, Les stratégies éditoriales à l’époque de l’incunable. Le cas des anciens Pays-Bas, Turnhout, Brepols, 2012 ; Jonathan Green, Frank McIntyre et Paul Needham, « The Shape of Incunable Survival and Statistical Estimation of Lost Editions », The Papers of the Bibliographical Society of America, 105-2, 2011, p. 141-175 10.1086/680773.
  • [15]
    On pense en particulier aux écrits de Turgot, de Smith ou de Boisguilbert. Voir Albert O. Hirschman, Les passions et les intérêts. Justifications politiques du capitalisme avant son apogée, trad. par P. Andler, Paris, Puf, [1977] 1980 ; Jean-Yves Grenier, L’économie d’Ancien Régime. Un monde de l’échange et de l’incertitude, Paris, Albin Michel, 1996 ; Philippe Steiner, « La liberté du commerce : le marché des grains », Dix-huitième siècle, 26-1, 1994, p. 201-219 10.3406/dhs.1994.1981.
  • [16]
    Les autres sources où l’on pourrait trouver une auto-représentation des imprimeurs (dédicaces, correspondances, textes publicitaires, documents privés et notariés) ne traitent généralement pas de la situation économique du métier dans son ensemble. On renvoie néanmoins à des travaux importants sur la représentation de certains imprimeurs : Martin Lowry, « The Manutius Publicity Campaign », in D. S. Zeidberg (dir.), Aldus Manutius and Renaissance Culture: Essays in Memory of Franklin D. Murphy, Florence, L. S. Olschki, 1998, p. 31-46 ; Martin Lowry, Nicholas Jenson and the Rise of Venetian Publishing in Renaissance Europe, Oxford, Blackwell, 1991 ; M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit. ; Rosa Salzberg, « Masculine Republics: Establishing Authority in the Early Modern Venetian Printshop », in S. Broomhall et J. Van Gent (dir.), Governing Masculinities in the Early Modern Period, Farnham, Ashgate, 2011, p. 47-64.
  • [17]
    Giacomo Todeschini, Richesse franciscaine. De la pauvreté volontaire à la société de marché, trad. par N. Gailius et R. Nigro, Lagrasse, Verdier, [2004] 2008 ; Diego Quaglioni, Giacomo Todeschini et Gian Maria Varanini (dir.), Credito e usura fra teologia, diritto e amministrazione. Linguaggi a confronto, sec. xii-xvi, Rome, École française de Rome, 2005 ; Giacomo Todeschini, Il prezzo della salvezza. Lessici medievali del pensiero economico, Rome, Nuova Italia scientifica, 1994.
  • [18]
    À Venise, on estime qu’une presse peut s’acheter entre 15 et 30 ducats ; les fontes, selon leur qualité, coûteraient entre 15 et 100 ducats. Voir Marino Zorzi, « Stampatori tedeschi a Venezia », in G. Cozzi et al. (dir.), Venezia e la Germania. Arte, politica, commercio, due civiltà a confronto, Milan, Electa, 1986, p. 115-133, ici p. 123. À titre de comparaison pour la France, on peut se référer à Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, L’apparition du livre, Paris, Albin Michel, [1957] 1999, p. 166-167 ; Annie Parent-Charon, « Humanisme et typographie. Les ‘Grecs du Roi’ et l’étude du monde antique », in R. Blanchot et al. (dir.), L’art du livre à l’Imprimerie nationale, Paris, Imprimerie nationale, 1973, p. 55-67.
  • [19]
    ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 159, fol. 44-47, 1473.
  • [20]
    Érasme, Colloques, trad. et présenté par É. Wolff, Paris, Imprimerie nationale, 1992, p. 315 : « En comptant sa femme, ses fils, sa fille, son gendre, ses ouvriers et ses servantes, il avait chez lui environ trente-trois bouches à nourrir. »
  • [21]
    ASVe, Senato, Deliberazioni, Terra, reg. 14, image 224, 17 oct. 1502. M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit., p. 165-167, considère qu’il s’agit d’une estimation raisonnable.
  • [22]
    Rinaldo Fulin, « Documenti per servire alla storia della tipografia veneziana », Archivio veneto, 45-23, 1882, p. 84-212, ici p. 100-101. Pour des exemples lyonnais ou florentins, voir L. Febvre et H.-J. Martin, L’apparition du livre, op. cit., p. 169-170 ; William A. Pettas, « The Cost of Printing a Florentine Incunable », La bibliofilía, 75-1, 1973, p. 67-85, ici p. 69.
  • [23]
    ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 159, fol. 44-47, 1473 : l’imprimeur insiste sur le fait que ses ouvriers ne peuvent pas « vivre d’esprit » et qu’il a dû leur procurer « pain, viande et autres nourritures en suffisance, avec encore une partie de leur salaire » (sauf mention contraire, les traductions des sources sont de l’auteure). Voir aussi Tullia Gasparrini Leporace, « Nuovi documenti sulla tipografia veneziana del Quattrocento », inStudi bibliografici. Atti del Convegno dedicato alla storia del libro italiano nel v centenario dell’introduzione dell’arte tipografica in Italia, Florence, L. S. Olschki, 1967, p. 25-46.
  • [24]
    Franco Franceschi, Oltre il « tumulto ». I lavoratori fiorentini dell’arte della lana fra Tre et Quattrocento, Florence, L. S. Olschki, 1993, p. 43-45 et 55-61. Même en considérant que le ducat, vers 1500, a une fois et demie la valeur du florin florentin vers 1400 (ce qui est une estimation très large), les frais des imprimeurs restent nettement supérieurs.
  • [25]
    Ce phénomène est rappelé notamment dans Edoardo Barbieri, « L’accueil de l’imprimé dans les bibliothèques religieuses italiennes du Quattrocento », in D. Bougé-Grandon (dir.), Le livre voyageur. Constitution et dissémination des collections livresques dans l’Europe moderne (1450-1830), Paris, Klincksieck, 2000, p. 53-91, ici p. 56-57.
  • [26]
    W. A. Pettas, « The Cost of Printing a Florentine Incunable », art. cit., p. 73.
  • [27]
    Pour une mise au point sur les travaux portant sur ces sources, voir Angela Nuovo, Il commercio librario nell’Italia del Rinascimento, Milan, Franco Angeli, 2003, p. 25-31. Ces sources comportent cependant un biais : certains ouvrages en sont sans doute à leur deuxième mise en vente, car le commerce du livre neuf et celui de seconde main se côtoient sur les mêmes étals ; voir A. Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op. cit., p. 347. Pour une étude des catalogues d’Alde Manuce, voir Catherine Kikuchi, La Venise des livres, 1469-1530, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2018, p. 143-144.
  • [28]
    Cité dans J.-Y. Grenier, L’économie d’Ancien Régime…, op. cit., p. 148.
  • [29]
    A. Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op. cit., p. 21-46.
  • [30]
    Érasme, Les adages, éd. par J.-C. Saladin, Paris, Les Belles Lettres, 2011, vol. 2, adage 1001.
  • [31]
    D’après les données de l’Istc.
  • [32]
    Philippe Braunstein, « À l’origine des privilèges d’invention aux xive et xve siècles », in F. Caron (dir.), Les brevets. Leur utilisation en histoire des techniques et de l’économie, Paris, Ihmc/Éd. du Cnrs, 1984, p. 53-60 ; Giulio Mandich, « Privilegi per novità industriali a Venezia nei secoli xv e xvi », Atti della deputazione Veneta di storia patria, 5, 1963, p. 14-38 ; Roberto Berveglieri, Inventori stranieri a Venezia, 1474-1788. Importazione di tecnologia e circolazione di tecnici artigiani intentori. Repertorio, Venise, Istituto veneto di scienze, lettere ed arti, 1995.
  • [33]
    Il s’agit du refus de renouvellement du privilège de Daniel Bomberg pour des œuvres en hébreu ; il est signifié par le Conseil des Dix et résulte de circonstances religieuses problématiques pour ce genre de publications : ASVe, Consiglio dei Dieci, Deliberazioni, Comuni, reg. 1, fol. 76r, 12-16 oct. 1525 ; filze, no 3 et no 7, 7 déc. 1525 ; Marin Sanudo, Diarii, éd. par R. Fulin et al., Venise, Visentini, 1831, vol. 40, p. 56 et 75 ; vol. 41, p. 56 et 118.
  • [34]
    Il peut cependant y avoir un biais dans l’obtention des privilèges. Les acteurs d’origine italienne avaient plus de facilités à recevoir plusieurs fois des privilèges.
  • [35]
    A. Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op. cit., p. 222.
  • [36]
    Entre 1469 et 1530, on compte 267 privilèges accordés à 169 individus différents. Ils sont conservés dans ces fonds : ASVe, Collegio, Notatorio ; Senato, Deliberazioni, Terra ; Consiglio dei Dieci, Deliberazioni ; Capi dei Consiglio dei Dieci, Notatorio. Ne sont pas prises en compte ici les autorisations d’imprimer que l’on trouve également dans ces registres.
  • [37]
    Nous avons renoncé à en produire une analyse lexicologique pour plusieurs raisons. Les textes sont écrits en latin ou en vénitien, ce qui rend leur traitement commun difficile. Le latin lui-même est très vulgarisé et l’orthographe n’est en aucun cas fixe. De plus, pour ce que nous voulons étudier, l’analyse précise des termes n’est pas toujours éclairante, mis à part dans certains cas très précis, notamment l’utilisation de « concurrence », mais cela se fait aisément sans recours à la lexicologie quantitative à proprement parler.
  • [38]
    Il serait intéressant d’opérer une comparaison avec les textes provenant d’autres artisanats vénitiens. Cependant, l’imprimerie est la seule industrie à offrir un tel gisement de sources ; l’octroi des privilèges libraires est, si l’on en croit la composition des registres, l’une des principales occupations de certains conseils dans les années de forte demande.
  • [39]
    Pierre de Jean Olivi, Traité des contrats, éd. et trad. par S. Piron, Paris, Les Belles Lettres, 2012 ; Sylvain Piron, « Recherches d’histoire intellectuelle des sociétés médiévales », dossier d’habilitation à diriger des recherches, vol. 5, Université d’Orléans, 2010. Voir aussi G. Todeschini, Richesse franciscaine…, op. cit. ; D. Quaglioni, G. Todeschini et G. M. Varanini (dir.), Credito e usura fra teologia, diritto e amministrazione…, op. cit.
  • [40]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 162, 16 févr. 1493, demande de Simone Bevilacqua : « avec une très grande industrie et un très grand travail de [sa] part, ainsi que des frais intolérables » (maxima ipsorum industria et labore, nec non impensa intolerabili).
  • [41]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 17, image 188, 26 juin 1514.
  • [42]
    Sylvain Piron, « L’apparition du resicum en Méditerranée occidentale, xiie-xiiie siècles », in E. Collas-Heddeland et al. (dir.), Pour une histoire culturelle du risque. Genèse, évolution, actualité du concept dans les sociétés occidentales, Strasbourg, Éd. Histoire et anthropologie, 2004, p. 59-76.
  • [43]
    ASVe, Senato, Deliberazioni, Terra, reg. 25, image 84, 29 avril 1528.
  • [44]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 312, 18 avril 1497 : « Ne voulant pas qu’après avoir imprimé ces dites œuvres avec de très grands frais et efforts, que quelqu’un d’autre en concurrence le fasse réimprimer et puis le vende à vil prix, comme cela arrive souvent, ce qui entraînerait la ruine et le dommage du suppliant » (« Non volendo, che dapoi che cum grandissima spesa et faticha l’havera facto stampar le dicte opere che qualche altro a concorrentia le fesse restampir et poi le vendesse a vil pretio come molto vole achade, che tornaria a ruina et damno de lui supplicante »).
  • [45]
    Certains auteurs avaient noté l’emploi de ce terme dans les privilèges de façon extrêmement précoce : Paolo Trovato, Con ogni diligenza corretto. La stampa e le revisioni editoriali dei testi letterari italiani (1470-1570), Bologne, Il Mulino, 1991, p. 46.
  • [46]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 275, 25 févr. 1496 : « Craignant, lui suppliant, qu’on ne lui fasse concurrence par envie et que d’autres aient le fuit de ses secrets et de ses efforts » (« Temendo lui supplicante che per invidia non li sia facto concorrentia, et che altri habia el fruto di sui secreti et fatiche »).
  • [47]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 276, 10 févr. 1496 : « que d’autres en le faisant imprimer ne lui fasse concurrence et ainsi que lui soit enlevé le fruit de ses efforts et de ses frais très importants » (« che altri emuloi fazandolo stampar li fesseno concorrentia, e cussi a lui fusse levato el fructo de le fatiche e spexe sue grandissime »).
  • [48]
    M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit., p. 136-137.
  • [49]
    Par exemple : ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 15, image 165, 27 nov. 1502.
  • [50]
    C’est le cas dans les privilèges, mais également dans d’autres documents où des témoignages d’imprimeurs sont rapportés, par exemple : ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 159, fol. 47r, 6 nov. 1473 : « les pratiques de cet art » (« i pratichi de questa arte ») ; b. 168, fol. 19r, 19 juin 1478 : « quelques pratiques de ce métier » (« qualche praticha del mestier »).
  • [51]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 346, 14 mars 1498 (« per non esser ruinato dalla perfida ravia de la concorrentia consueta fra questa miserabel arte »).
  • [52]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 16, image 18, 18 juin 1508 (« esso supplicante teme esser e ruinato dala perfida concorrentia, laquale regna in questa povera et miserabel arte, che seria total ruina de casa sua, laquel concorrentia solum mediante lo adviso et benigna gratia di questa Serenissimo et sapientissimo conseglio potra fugera »).
  • [53]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 16, image 214, 11 févr. 1512.
  • [54]
    Gérard Sivéry, « La notion économique de l’usure selon saint Thomas d’Aquin », Revue du Nord, 356-357, 2004, p. 697-708 10.3917/rdn.356.0697. Pour la doctrine scolastique en matière de monopole, voir Raymond De Roover, La pensée économique des scolastiques. Doctrines et méthodes, Montréal/Paris, Institut d’études médiévales/J. Vrin, 1971. La place de la concurrence dans le juste prix, pour les scolastiques, fait l’objet de débats, mais elle semble établie au moins pour ce qui concerne l’école thomiste.
  • [55]
  • [56]
    Il semble que le terme n’était pas utilisé dans les suppliques de privilège d’invention avant l’imprimerie, mais ce point nécessiterait de plus amples investigations.
  • [57]
    Matthieu Scherman, Familles et travail à Trévise à la fin du Moyen Âge (vers 1434-vers 1509), Rome, École française de Rome, 2013, p. 147.
  • [58]
    Maud Harivel, « Entre justice distributive et corruption : les élections politiques dans la République de Venise (1500-1797) », thèse de doctorat, Université de Berne/Ephe, 2016.
  • [59]
    M. Sanudo, Diarii, op. cit., vol. 15, p. 554, et vol. 25, p. 426.
  • [60]
    Par exemple, Pincio et Paganini faisaient partie de la scuola de San Rocco, le second en étant même l’un des officiers en 1489 et 1498 : Cristina Dondi, « Printers and Guilds in Fifteenth-Century Venice », La bibliofilía, 106-3, 2004, p. 231-265.
  • [61]
    ASVe, Procuratori di San Marco de Supra, Commissaria, b. 6, Commissaria Pietro Francesco Barbarigo, Giornale di Cassa 1499-1511, édité par Ester Pastorello, « Di Aldo Pio Manuzio : testimonianze e documenti », La bibliofilía, 67, 1965, p. 163-220, ici p. 189-192.
  • [62]
    ASVe, Giudici di petizion, Capitoli pubblicati, b. 13, fol. 80r, 11 avril 1494. Voir pour la famille Gradenigo : ASVe, Giudici del Proprio, Lezze, b. 6, fol. 68 sq., 11 sept. 1522 ; pour la famille Badoer : ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 194, fol. 38r sq., 26 juil. 1494.
  • [63]
    Ne pouvant faire référence à toute la bibliographie en sciences sociales sur le sujet, nous renvoyons à la mise au point bibliographique dans Thierry Dutour, « ‘Que chacun fache bon ouvrage et loyal’. La construction et le maintien de la confiance impersonnelle dans la vie sociale à la fin du Moyen Âge (espace francophone, xiiie-xve siècle) », Quaestiones medii aevi novae, 17, 2012, p. 355-377, ici p. 355-356. Voir aussi Id., Sous l’empire du bien. « Bonnes gens » et pacte social, xiiie-xve siècle, Paris, Classiques Garnier, 2015.
  • [64]
    François Cusin, « Relations marchandes et esprit d’entreprise : la construction sociale de la confiance », Interventions économiques, 33, 2006, https://interventionseconomiques.revues.org/766.
  • [65]
    Sur la question de la confiance dans les relations économiques et le marché du travail, voir Mark Granovetter, « Economic Action and Social Structure: The Problem of Embeddedness », American Journal of Sociology, 91-3, 1985, p. 481-510 10.1086/228311. Voir aussi Michel Ferrary et Yvon Pesqueux, L’organisation en réseau, mythes et réalités, Paris, Puf, 2004, chap. 2, paragr. 5.
  • [66]
    Laurence Buchholzer et Frédérique Lachaud (dir.), no spécial « Le serment dans les villes du bas Moyen  Âge », Histoire urbaine, 39-1, 2014, p. 7-27 10.3917/rhu.039.0007 ; Claude Gauvard, « Introduction », in F. Laurent (dir.), Serment, promesse et engagement : rituels et modalités au Moyen Âge, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2008, p. 13-32 ; Raymond Verdier (dir.), Le serment, Paris, Éd. du Cnrs, 1991 ; Marie-France Auzépy et Guillaume Saint-Guillain (dir.), Oralité et lien social au Moyen Âge (Occident, Byzance, Islam). Parole donnée, foi jurée, serment, Paris, Achcbyz, 2008.
  • [67]
    Voir, par exemple, les contrats de Jacques Le Rouge en 1473 (Trévise, Archivio di Stato di Treviso, Notarile, ser. I, b. 1436, 27 nov. et 24 mai 1473, publié dans Agostino Contò, Calami e torchi. Documenti per la storia del libro nel territorio della Republica di Venezia, sec. xv, Vérone, Della Scala, 2003), le contrat de Leonard Wild avec Nicolas de Francfort en 1478 (publié dans R. Fulin, « Documenti per servire alla storia della tipografia veneziana », art. cit., doc. 2) ou le contrat entre Annibale Fosio, Marino Saraceno et Francesco de Madiis en 1486 (publié dans Riccardo Predelli, « Contratto per la stampa di un libro », Archivio veneto, 32-16, 1886, p. 190-192).
  • [68]
    T. Dutour, « ‘Que chacun fache bon ouvrage et loyal’… », art. cit., p. 366 : « La parole des marchands l’est aussi [incontestable]. Leurs écritures manuelles sont garanties avant tout par l’honorabilité de leurs auteurs. » Voir aussi Alessandra Stazzone, « Parole de marchand. Serment promissoire et indices ordaliques dans la définition du ‘bon’ marchand (xive siècle) », in L. Buchholzer et F. Lachaud (dir.), no spécial, « Le serment dans les villes du bas Moyen Âge », op. cit., p. 105-120.
  • [69]
    M. Ferrary et Y. Pesqueux, L’organisation en réseau…, op. cit., chap. 2, paragr. 4-5.
  • [70]
    Gustav Ludwig, « Antonello da Messina und Deutsche und Niederländische Künstler in Venedig », Jahrbuch der Königlich Preussischen Kunstsammlungen, 23, 1902, p. 43-65 ; Philippe Braunstein, « Les Allemands et la naissance de l’imprimerie vénitienne », Revue des études italiennes, 27-4, 1981, p. 381-389 ; Martin Lowry, « Venetian Capital, German Technology and Renaissance Culture in the Later Fifteenth Century », Renaissance Studies, 2-1, 1988, p. 1-13 10.1111/j.1477-4658.1988.tb00134.x ; Id., « The Social World of Nicholas Jenson and John of Cologne », La bibliofilía, 83, 1981, p. 193-218. Les travaux de Lowry sur les relations économiques et sociales de Jenson et d’Alde sont à ce jour inégalés. Pour une vision plus globale, voir Catherine Kikuchi, « Venise et le monde du livre, 1469-1530 », thèse de doctorat, Université Paris-Sorbonne, 2016, chap. 8, p. 423-498, et chap. 9, p. 499-550 ; ces deux chapitres proposent une analyse de la socialisation à Venise et dans le monde du livre, et de ses conséquences sur la formation d’une espace professionnel du livre.
  • [71]
    Les informations contenues dans les colophons sont rassemblées dans la liste systématique établie par Paul Needham, « Venetian Printers and Publishers in the Fifteenth Century », in L. Balsamo et P. Bellettini (dir.), Anatomie bibliologiche. Saggi di storia del libro per il centenario de La bibliofilía, Florence, L. S. Olschki, 1999, p. 157-200. Pour le xvie siècle, nous faisons référence à Fernanda Ascarelli et Marco Menato, La tipografia del ’500 in Italia, Florence, L. S. Olschki, 1989 ; Ester Pastorello, Tipografi, editori, librari a Venezia nel secolo xvi, Florence, L. S. Olschki, 1924.
  • [72]
    Nous avons complété ces informations quand nous savions que certaines collaborations existaient, mais toujours entre des acteurs qui apparaissaient déjà dans les colophons de cette période. Nous n’avons également tenu compte que des collaborations économiques, et non des collaborations littéraires. Ces relations ont été étudiées à travers les méthodes de l’analyse de réseaux, ou social network analysis. Voir Catherine Kikuchi, « Utiliser les réseaux pour comprendre le développement de l’imprimerie à Venise, 1469-1530 », Essais. Revue interdisciplinaire d’humanités, à paraître ; Id., « Venise et le monde du livre, 1469-1530 », op. cit., p. 139-144, 145-158 et 205-208. Étant donné la difficulté à dater précisément le début et la fin des collaborations, nous avons considéré qu’une collaboration existait pendant la durée d’activité commune des deux parties prenantes. Nous avons ensuite travaillé par grandes périodes, une analyse synchronique étant sujette à de nombreux aléas. Voir ces travaux essentiels sur l’analyse de réseaux en histoire médiévale : John F. Padgett et Christopher K. Ansell, « Robust Action and the Rise of the Medici, 1400-1434 », American Journal of Sociology, 98-6, 1993, p. 1259-1319 10.1086/230190 ; Isabelle Rosé, « Reconstitution, représentation graphique et analyse des réseaux de pouvoir au haut Moyen Âge. Approche des pratiques sociales de l’aristocratie à partir de l’exemple d’Odon de Cluny († 942) », Redes. Revista hispana para el análisis de redes sociales, 21-5, 2011, p. 199-272. Des doctorants ont également mis à l’honneur l’utilisation des réseaux en histoire : Nikita Dmitriev, Ségolène Maudet et Pierre Verschueren (dir.), dossier « Analyser des réseaux. Pourquoi ? Comment ? », Hypothèses, 19-1, 2016, p. 177-252.
  • [73]
    Une composante biconnexe est un réseau dont la densité de liens et d’interactions est suffisante pour que personne ne soit dépendant d’un seul individu pour son rattachement.
  • [74]
    Emmanuel Lazega, « Théorie de la coopération entre concurrents : interdépendances, discipline sociale et processus sociaux », Le libellio d’Aegis, 4-3, 2008, p. 1-5.
  • [75]
    Id., « Théorie de la coopération entre concurrents : organisations, marchés et analyse de réseaux », in P. Steiner et F. Vatin (dir.), Traité de sociologie économique, Paris, Puf, 2009, p. 533-571, ici p. 538.
  • [76]
    En termes d’analyse de réseaux, un k-noyau est un noyau dont tous les membres sont liés à k membres du groupe.
  • [77]
    E. Lazega, « Théorie de la coopération entre concurrents : organisations, marchés et analyse de réseaux », art. cit., p. 537-538.
  • [78]
    La question est ici compliquée car les collaborations ne sont pas symétriques : une personne apporte les fonds, une autre le capital matériel et technique. Il faut partir du principe que l’imprimeur qui collabore avec de nombreux éditeurs est un acteur tout aussi central et important que l’éditeur qui alimente le milieu en investissement ; le rapport de force lui est moins favorable, mais le fait d’être souvent choisi pour réaliser des éditions témoigne de son importance au sein d’un milieu concurrentiel. Le prestige de certains imprimeurs typographes justifie que cette dissymétrie ne soit pas rédhibitoire.
  • [79]
    Voir l’étude des documents d’archives issus de la gestion de l’héritage de Barbarigo après sa mort : ASVe, Procuratori di San Marco de Supra, Commissaria, b. 6, Commissaria Pietro Francesco Barbarigo, Giornale di cassa 1499-1511, édités par E. Pastorello, « Di Aldo Pio Manuzio… », art. cit., ici p. 189-192. Voir aussi M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit.
  • [80]
    Il s’agit de deux ouvrages de philosophie : Jean Duns Scot sur la Métaphysique d’Aristote (Istc : 00373000) et Dinus de Garbo sur Avicenne (Istc : 00196000).
  • [81]
    ASVe, Giudici di petizion, Terminazioni, b. 40, fol. 76v, 29 oct. 1529.
  • [82]
    Sur la famille Giunti, voir William A. Pettas, The Giunti of Florence: A Renaissance Printing and Publishing Family: A History of the Florentine Firm and a Catalogue of the Editions, New Castle, Oak Knoll Press, 2013.
  • [83]
    D’après les ouvrages recensés par l’Istc.
  • [84]
    Selon tous les indicateurs de centralité : de degré (le nombre de voisins directs), de proximité (par rapport aux autres nœuds du réseau) et d’intermédiarité (la présence sur les chemins passant entre un acteur et un autre).
  • [85]
    Jean Tirole, Théorie de l’organisation industrielle, trad. sous la dir. de M. Moreaux, Paris, Economica, [1988] 2015 ; David Encaoua, « Pouvoir de marché, stratégies et régulation. Les contributions de Jean Tirole, Prix Nobel d’Économie 2014 », Revue d’économie politique, 125-1, 2015, p. 1-76 10.3917/redp.251.0001.
  • [86]
    Ces questions, qui dépassent largement le cadre de cette étude, trouvent néanmoins des échos importants dans les préoccupations de projets de recherche actuels. Voir les programmes Erc conduits respectivement par Angela Nuovo et Cristina Dondi : « The Early Modern Book Trade » (Udine/Milan, 2016-2021) vise à étudier de façon systématique les prix et les transactions financières liés au livre en Europe ; « 15th Century Book Trade » (Cambridge, 2014-2019) entend examiner la diffusion des incunables en Europe à partir d’une étude matérielle des exemplaires survivants. Concernant la formation de marchés et les mécanismes sociaux qui y contribuent, voir Sandrine Victor et Juliette Sibon (dir.), no spécial « Normes et marchés en Occident, xiiie-xve siècle », Rives méditéranéennes, 55, 2017 ; Eleonora Canepari, Anne Montenach et Isabelle Pernin (dir.), no spécial « Aux marges du marché », Rives méditerranéennes, 54, 2017.

1Vers 1530, l’imprimeur bâlois Thomas Platter affirme : « Quand je me suis aperçu que Hervagius et les autres imprimeurs faisaient de bonnes affaires, qu’ils travaillaient peu pour un bon profit, j’ai pensé : moi aussi je veux être imprimeur  [1] ! » Le succès spectaculaire que certains d’entre eux rencontrent à la naissance de cette industrie en Europe a visiblement attiré des artisans ou des entrepreneurs séduits par l’argent facile. Pourtant, la réalité est souvent tout autre et le monde économique du livre européen, s’il connaît des ascensions fulgurantes, provoque aussi de nombreuses désillusions. L’innovation à l’origine de ce nouveau secteur d’activité particulièrement dynamique entre la fin du Moyen Âge et le début de l’époque moderne a également donné le jour à une industrie risquée et fortement concurrentielle à l’échelle de l’Europe  [2].

2Fondée sur une technique et un mode d’organisation nouveaux, celle-ci s’est bien souvent développée sans se reposer sur le milieu des copistes préexistant. Dans certains grands centres d’imprimerie, elle évolue même totalement en dehors des métiers organisés. À Venise, mais aussi à Lyon ou à Milan, l’imprimerie ne rentre pas dans le système des corporations avant le milieu du xvie siècle  [3]. Les réglementations, notamment la censure, se mettent en place tardivement ; l’Église ne s’y implique systématiquement qu’à partir de 1515  [4]. Le système des privilèges, élaboré précocement à Venise et diffusé ensuite en Europe, contraint de plus en plus l’impression de nouveaux livres mais, là aussi, surtout au xvie siècle  [5]. L’ouverture d’ateliers typographiques et l’implication d’acteurs très divers dans la production et le commerce de livres imprimés se font donc assez librement dans les grands centres européens qui irriguent le marché à une échelle souvent régionale.

3Cette relative liberté économique est à tempérer en fonction des situations locales, mais elle semble particulièrement forte à Venise, première productrice de livres incunables en termes de volume d’éditions. Avant la création de la corporation (arte) des imprimeurs, libraires et relieurs en 1549, le commerce du livre n’est jamais directement évoqué dans les statuts des arts, que ce soit avant ou après l’arrivée de l’imprimerie dans la lagune  [6]. Le système des métiers y est cependant bien installé au xve siècle et certains s’occupent déjà de vendre des biens approchants, comme du papier et des gravures  [7] ou des cartes à jouer  [8]. Fortement contrôlées par les autorités vénitiennes et les magistrats édilitaires de la ville, les Provveditori di Comun, les corporations sont une composante essentielle au fonctionnement social et politique de la République  [9]. L’imprimerie est une industrie nouvelle qui dépend, dans les premiers temps, de typographes non italiens ; elle est donc amenée à se développer en dehors du cadre corporatif, ce qui a favorisé la floraison d’ateliers. En peu d’années, la production vénitienne dépasse celle de Rome et des autres pôles européens et se spécialise dans l’édition universitaire latine à destination d’un marché lettré européen. Les classiques littéraires latins et les sommes juridiques figurent parmi les publications emblématiques, bien plus que les textes d’humanistes contemporains ou les classiques grecs, qui ont pourtant fait la réputation de ces presses.

4Dès le premier livre imprimé entre 1468 et 1469 par Johann de Spire, les autorités cherchent à stabiliser cette activité en lui accordant un privilège en septembre 1469  [10]. En vertu de ce texte, il est le seul à pouvoir imprimer dans le territoire vénitien pendant cinq ans ; il s’agit de limiter drastiquement l’ouverture de nouveaux ateliers par un monopole. Or celui-ci devient caduc à la mort de Johann de Spire l’année suivante. Après l’introduction de la nouvelle technique dans la ville, le nombre d’ateliers augmente très rapidement jusqu’aux années 1500 (fig. 1)  [11], mais pas tous avec autant de succès. La moitié des acteurs, imprimeurs ou éditeurs, arrêtent tout travail lié aux presses après un an ou moins entre 1469 et 1530, et ils sont encore davantage dans les années 1480-1490  [12]. Rosa Salzberg, à travers l’étude des imprimés éphémères, a mis en lumière la mobilité et la versatilité de l’industrie du livre vénitien  [13]. Cependant, cette activité, aussi brève soit-elle, laisse souvent des traces ; les livres eux-mêmes comportent de nombreuses informations précieuses pour la documenter  [14]. L’insertion des imprimeurs vénitiens dans les mécanismes juridiques et législatifs de la ville renseigne également sur la manière dont ceux-ci perçoivent leur propre organisation économique et l’image qu’ils souhaitent en donner. Les suppliques pour obtenir des privilèges, toutes conservées dans les registres du Sénat, du Collège et du Conseil des Dix, sont des sources qui permettent particulièrement bien de voir à l’œuvre la naissance d’une réflexivité sur le travail, l’échange et la valeur, avant même l’apparition de l’économie politique, et d’une réflexion théorique sur le fonctionnement des marchés  [15]. Elles procurent aussi l’avantage d’être régulières, de provenir d’acteurs très divers et donc de présenter un corpus bien plus large que les textes similaires dont on peut disposer pour d’autres métiers vénitiens. De plus, ces documents proposent un point de vue plus systématique que les procès auprès des cours de la République – les juges du Proprio, notamment –, où l’on retrouve quelques témoignages d’imprimeurs abordant l’exercice de leur métier  [16].

5L’étude de l’imprimerie vénitienne à ses débuts offre ainsi un observatoire privilégié pour comprendre la construction d’une industrie et d’un milieu économique, à travers des phénomènes de mise en concurrence décrits par la théorie économique, tout comme les phénomènes sociaux qui se développent dans un contexte concurrentiel. Elle permet en outre, à un moment où une industrie précapitalistique se met en place et où celle-ci élabore un discours sur elle-même à destination des autorités, de voir la naissance d’une pensée économique distincte d’une pensée chrétienne, ici dans un cadre strictement laïc  [17]. Le cas de Venise est l’occasion d’aborder les réalités sociales, anthropologiques et économiques d’un nouveau marché de production. L’organisation de cette industrie et la perception par les acteurs du fonctionnement dans lequel ils s’insèrent peuvent être mises en regard pour percevoir l’instauration de la concurrence, ses conséquences dans les relations interprofessionnelles et les déséquilibres que cette situation est susceptible d’engendrer.

figure im1
Figure 1 – Nombre d’imprimeurs et d’éditeurs présents aux colophons des ouvrages imprimés à Venise entre 1469 et 1530
Note : Ces données reprennent les listes des ateliers fournies dans P. NEEDHAM, « Venetian Printers and Publishers in the Fifteenth Century », art. cit. ; F. ASCARELLI et M. MENATO, La tipografia del ’500 in Italia, op. cit. ;

Coûts et risques d’une entreprise typographique

6Afin de saisir l’enjeu de l’organisation économique de l’imprimerie, il faut expliciter certaines spécificités matérielles. En effet, la concurrence pose un problème d’autant plus aigu qu’il existe une barrière importante à l’entrée dans l’activité. Le matériel doit être pris en compte dans les investissements de départ. Les presses elles-mêmes sont peu coûteuses mais les fontes le sont davantage  [18], sachant qu’un atelier a besoin de plusieurs sets de fontes devant être renouvelés régulièrement. Cependant, les frais les plus lourds s’inscrivent dans la durée, avec l’approvisionnement permanent en argent et en matières premières, rendu d’autant plus difficile que la rentabilité des éditions s’étale sur de nombreuses années.

Les difficultés de l’approvisionnement

7Des apports continus en liquidité sont indispensables pour le fonctionnement d’un atelier, qui comprend généralement une dizaine d’ouvriers, parfois membres de la famille. L’imprimeur Jacques Le Rouge, qui décrit ses conditions de travail en 1473, dit utiliser quatre presses avec douze à dix-huit ouvriers, ce qui lui coûte 80 ducats en quatre mois  [19]. Il s’agit là du mode de fonctionnement d’un atelier moyen. Dans celui d’Alde Manuce, serveurs, ouvriers et invités représentent une trentaine de personnes si l’on en croit le récit d’Érasme  [20] ; d’après l’étude de Martin Lowry et la déclaration d’Alde au Sénat vénitien, celui-ci emploie vers 1508 une quinzaine d’ouvriers, c’est-à-dire entre quatre et cinq équipes et autant de presses. L’imprimeur estime à 200 ducats par mois ses frais de fonctionnement, en comptant le salaire de toutes les parties prenantes, le loyer et l’approvisionnement en papier  [21]. Ce dernier est en réalité le poste de dépenses le plus important : le quart dans ce cas et sans doute davantage pour la plupart des imprimeurs vénitiens. Un contrat de 1478 pour une Bible tirée à plus de 900 exemplaires montre que le papier représente entre 200 et 300 ducats de frais  [22]. En cas de mauvais approvisionnement, c’est toute l’entreprise qui est en péril ; ainsi, en 1473, Le Rouge doit mettre au chômage technique ses ouvriers, tout en continuant à les payer, à cause d’un retard dans la livraison  [23].

8Les investissements de départ requis pour l’imprimerie sont particulièrement élevés si on les replace dans le paysage artisanal ou industriel médiéval. Une grande disponibilité financière n’est pas indispensable dans l’industrie lainière : un apport de 51 florins suffit à deux cardeurs en 1389 pour monter une société durant cinq ans. La même disproportion s’observe pour la fourniture en matières premières : les frais courants pour un tondeur à la même époque s’élèvent à une ou deux centaines de ducats par an  [24]. En comparaison, les frais de gestion d’une imprimerie exigent un capital considérable pour des investissements qui mettent plusieurs années à être rentabilisés.

Une hypothétique rentabilité

9Le capital nécessaire pour faire fonctionner un atelier typographique explique en grande partie l’implication de grands marchands et entrepreneurs. La plupart des imprimeurs ne peuvent, par eux-mêmes, assurer un afflux aussi important et constant d’argent pour faire perdurer leur entreprise. Ces difficultés de liquidité sont liées aussi au fait que le retour sur investissement peut être extrêmement long. Les feuilles volantes, les éphémérides, les publications pratiques ou conjoncturelles se vendent très rapidement. En revanche, pour les livres à proprement parler, qui impliquent des investissements bien plus lourds, cela peut prendre des mois, voire des années  [25]. William Pettas a ainsi déterminé que les profits réalisés par Agnolo Vernacci pour l’impression d’un bréviaire à Florence en 1484 s’échelonnent sur cinq ans après sa parution  [26]. À Venise, les catalogues de vente et les inventaires de boutiques donnent une image des stocks disponibles chez un libraire ou un imprimeur et montrent, par exemple, que les ventes des éditions aldines, grecques ou latines s’étalent très souvent sur plus de dix ans  [27].

10En raison de la lenteur du retour sur investissement, les erreurs d’anticipation sur la connaissance du public et du marché se paient cher. La distribution est donc un enjeu vital pour l’entreprise typographique qui doit se positionner en prévoyant au mieux la demande et les profits à venir. En cela, le marché du livre se rapproche de la manière dont Jean-Yves Grenier décrit l’économie d’Ancien Régime : dans une économie de l’anticipation, il s’agit de prévoir la demande au sein d’un environnement incertain et hasardeux. Un bon positionnement est d’autant plus crucial que l’entrepreneur se trouve en concurrence avec d’autres imprimeurs ; cela rejoint la situation décrite par Richard Cantillon, un banquier parisien du début du xviiie siècle : « les entrepreneurs ne peuvent jamais savoir la quantité de la consommation dans leur ville ni même combien de temps leurs chalands achèteront d’eux vu que leurs rivaux tâcheront par toutes sortes de voies de s’en attirer les pratiques  [28] ». Si nous ne pouvons entrer ici dans les détails d’un éventuel marché du livre régional ou européen, il est néanmoins certain que les imprimeurs doivent prévoir les produits, les prix et les quantités qui leur permettront d’atteindre leur public. Une erreur d’évaluation peut entraîner la production à perte d’une édition et la ruine de l’atelier.

11Cette capacité à anticiper la demande, à mettre sur pied un réseau commercial et des associations productives adéquates et opportunes représente en ce sens un investissement immatériel supplémentaire et un frein au succès de certaines entreprises, plus ou moins bien organisées. À l’inverse, les plus prospères sont celles qui parviennent à instaurer un système de distribution vaste et efficace. Un des exemples les plus marquants est le réseau italien mis en place par Peter Ugelheimer pour la compagnie de Johann de Cologne et Johann Manthen avant 1480, étudié par Angela Nuovo  [29]. Grâce à de nombreux voyages dans la région et à des accords avec des revendeurs locaux, cette compagnie s’assure des débouchés auprès de plusieurs libraires ; elle peut ainsi diminuer les aléas liés à la diffusion et à la distribution de ses livres et prendre position sur le marché toscan au détriment de ses concurrents.

Un marché libre et concurrentiel ?

12En dépit de ces freins financiers et des difficultés organisationnelles, l’imprimerie est réputée pour pouvoir procurer la fortune à n’importe qui. Érasme affirmait même amèrement qu’il était plus facile, sans réglementation du métier, de devenir imprimeur que boulanger ou cordonnier  [30]. L’absence de barrière corporatiste, la nouveauté de l’industrie et les gains importants que certains en ont tirés entraînent l’ouverture de nombreux ateliers et la floraison de l’industrie dans la lagune. Après la mort du premier imprimeur vénitien, Johann de Spire, en 1470, l’activité est ouverte à tous et la concurrence s’installe d’abord sans aucun contrôle des autorités publiques. Les premiers privilèges libraires ne sont octroyés que dix ans plus tard. En pratique cependant, de 1470 à 1480, seules deux compagnies dominent le marché : celle de Johann Manthen et Johann de Cologne et celle de Nicolas Jenson. La fin de ces deux grandes entreprises typographiques en 1480 libère le secteur et facilite le développement de nouvelles presses. Le nombre d’imprimeurs et d’éditeurs actifs connaît une forte augmentation dans les années 1480-1490 (fig. 1) ; cette progression est révélatrice d’une ouverture de la production, et les changements vont bien au-delà. Contrairement à la situation d’avant 1480, aucun acteur n’est ensuite assez puissant pour monopoliser le marché et de nombreux ateliers se partagent la production dans un secteur en pleine croissance.

13En 1473 et 1474, les associés Johann Manthen et Johann de Cologne participent à plus de 20 % des éditions vénitiennes, ce qui fait figure d’exception  [31]. Les années 1480 marquent en effet une très nette déconcentration, avec une véritable redistribution des cartes. À partir de 1481, davantage d’individus actifs se répartissent plus largement la production : six ou sept participent chacun à 5-10 % de l’ensemble, et cela se maintient jusqu’à la fin du siècle. En 1487-1488 en particulier, seuls deux imprimeurs prennent part à plus de 5 % de la production ; les autres se répartissent des parts plus faibles. Pour autant, ceux-ci sont capables d’imprimer à peu près autant d’éditions que les premières grandes entreprises de la ville (entre dix et vingt par an). Cette capacité de production n’est plus simplement réservée à une ou deux compagnies, comme c’était le cas au début de l’industrie.

14Ce contexte économique de l’imprimerie interpelle : pas ou peu de réglementation, une activité ouverte à tous en lien avec une technologie et une fonction nouvelles, mais une ouverture contrebalancée par le coût d’entrée important pour créer un atelier, imprimer une édition et la distribuer, ainsi que par les risques liés à la rentabilité. Assiste-t-on, dans le cadre de la naissance de l’imprimerie européenne, à une situation de concurrence parfaite, sans réglementation, au sein d’une industrie quasi capitalistique ? On pourrait penser, dans un premier temps, que la libre concurrence a permis et favorisé le développement de l’imprimerie et que les acteurs du livre eux-mêmes ont cherché à protéger la liberté d’entreprendre leur ayant permis de s’installer et d’occuper une place sur le marché vénitien. Or ce n’est pas du tout ce qui ressort des sources émanant des imprimeurs eux-mêmes. On observe en effet la formation d’un discours extrêmement critique au sujet de la concurrence. Bien qu’ils aient bénéficié de l’ouverture, les imprimeurs et les éditeurs se plaignent des effets pervers de celle-ci et des risques qu’elle leur fait courir ; ils font montre d’une véritable conscience des réalités du marché et participent à la naissance d’une pensée économique moderne.

Les privilèges, un observatoire de la perception de la concurrence

Le discours des acteurs

15En raison des investissements consentis et de la relative absence de régulation du marché productif par les autorités vénitiennes, les imprimeurs semblent avoir durement ressenti la concurrence dans leur milieu. Trouver un public, fixer des prix ni trop élevés ni trop faibles afin de rentabiliser leur activité et établir un réseau de distribution : toutes ces étapes sont d’autant plus cruciales que de nombreux ateliers rivalisent à la fois au niveau des titres imprimés, des régions visées et des distributeurs employés. De façon à limiter l’effet de cette concurrence, certains essaient autant que possible de tirer parti de la seule voie de contrôle sur les imprimés : les privilèges. Ceux-ci s’inscrivent dans le cadre juridique ancien des privilèges d’invention accordés à un inventeur – technicien ou ingénieur – qui apporte dans la ville une technique particulière et à qui l’on octroie le monopole de son utilisation pour une durée limitée  [32]. Ce contexte législatif, bientôt dépassé par l’ampleur de la nouvelle invention, s’autonomise progressivement. La procédure est la suivante : un imprimeur, un éditeur, un auteur se présentent devant les autorités vénitiennes et demandent un privilège pour une œuvre ou une invention appliquée à l’imprimerie, pour un espace et une durée donnés, ainsi qu’une amende et une peine pour les contrevenants. Dans leur supplique, ils justifient généralement leur requête et détaillent les conditions exigées ; les autorités les acceptent ou les modifient – on ne trouve qu’un seul cas de refus entre 1469 et 1530  [33]. Il semble que tous ceux sollicitant un privilège l’obtiennent, des imprimeurs très productifs comme de plus petits ateliers  [34]. Dans de très rares cas, il existe une trace de paiement en échange, alors que cette pratique devient habituelle à l’époque moderne  [35].

16Les textes des suppliques permettent une étude complète des argumentaires des acteurs, quand ils prenaient la peine d’en formuler (fig. 2)  [36]. Dans ces sources, le rapport des imprimeurs et des autorités est mis en scène à travers des arguments très stéréotypés  [37]. Les premiers textes sont en partie repris des suppliques pour les privilèges d’invention existant avant l’imprimerie, puis les uns et les autres s’influencent à partir du moment où les privilèges libraires commencent à être accordés en masse. La cohérence de ce corpus met en évidence le vocabulaire des acteurs et leur perception de leur propre milieu économique  [38].

figure im2
Figure 2 – Nombre de privilèges accordés par les autorités vénitiennes entre 1469 et 1529
Note : Ces données ont été établies après dépouillement de tous les privilèges d’imprimerie vénitiens présents dans les archives d’État, dans les fonds du Sénat, du Conseil des Dix et du Collège.

17Les années 1490 correspondent à la construction d’une argumentation fouillée. Entre 1494 et 1498 en particulier, les suppliants utilisent beaucoup plus les raisons de la concurrence (19,7 % des privilèges accordés contre 11,5 % sur l’ensemble entre 1469 et 1530), de la qualité ou de la beauté du travail (27,6 % contre 5,6 %), de l’honneur et du bien commun de Venise (14,5 % contre 7,8 %) et du prix honnête (10,5 % contre 4,1 %). Ces arguments reprennent largement les discours économiques de la fin du Moyen Âge, nourris par les réflexions menées au sein des ordres mendiants, notamment, et par les penseurs scolastiques ; on y retrouve en particulier l’idée que le marchand doit œuvrer au bien commun et proposer pour ses marchandises un juste prix qui compense les risques pris dans son entreprise  [39]. Les suppliants s’inscrivent donc dans un univers économique existant, armés des outils intellectuels pour nommer les conditions de leur activité.

18Sur l’ensemble de la période, les arguments des efforts techniques ou intellectuels (185 suppliques) et des dépenses engagées (140 suppliques) sont les plus mobilisés, de façon normalisée et attendue, même dans des demandes très peu développées. Les acteurs n’utilisent pas le terme de rentabilité, mais cette idée semble toujours sous-jacente. Le privilège est censé garantir un monopole de vente et de production pour certaines œuvres sur la totalité du territoire sous domination vénitienne. Il peut permettre ainsi au suppliant de rentrer dans ses frais, en garantissant qu’il ne subira pas la concurrence d’autres imprimeurs et libraires, vénitiens ou non. Ce pré carré est limité, mais il s’agit néanmoins d’un réel avantage commercial et productif, sans quoi les imprimeurs et les éditeurs craignent de mettre la clé sous la porte : nombreux sont ceux qui disent avoir engagé pour une édition des « frais intolérables  [40] ». Sans utiliser explicitement le terme même de risque, ils en décrivent les effets. Le « dommage » (damnum ou damno) désigne la conséquence des frais et des incertitudes pesant sur la rentabilité : trente-huit suppliques y font référence. Ce mot est quasi systématiquement associé à la mention de l’effort financier du suppliant. Ainsi, Ottaviano de’Petrucci, qui demande une prolongation de son privilège pour l’impression d’une partition de chant (canto figurato), insiste sur le capital important mis en jeu ; en cas de perte, le « dommage » serait énorme  [41].

19Les textes des suppliques pour les privilèges vénitiens offrent un aperçu de l’univers mental des acteurs du livre et explicitent les réalités économiques qu’ils rencontrent. La question de la rentabilité est évoquée indirectement et le risque est omniprésent dans leurs réflexions. Il s’agit d’un risque individuel qui fait référence à l’anticipation non seulement de dommages possibles, mais aussi de gains et de bénéfices futurs  [42]. Cependant, plutôt que de conceptualiser ces incertitudes par l’usage du terme resicum usité à l’époque, les suppliants s’emploient à en décrire les conséquences concrètes, liées à la ruine. À l’inverse, la conceptualisation et l’usage d’un vocabulaire économique spécifique se repèrent dans les tentatives d’explication du risque que représente la multiplication des autres imprimeurs et libraires, et la concurrence qui en découle.

L’enfer, c’est les autres et la concurrence

20Les acteurs du monde du livre, dans les suppliques adressées aux autorités, ne regrettent jamais explicitement l’absence de corporation ou de réglementation officielle ; ils ne parlent pas non plus de marché. Pourtant, ils ont une conscience aiguë des interactions entre eux et des effets de la concurrence économique. L’argument du préjudice financier (damnum ou damno) est souvent employé dans un contexte très spécifique, pour parler d’une édition pirate, copiée sur la leur et qui leur ferait perdre le bénéfice de leur investissement. Ainsi, l’auteur Antonio Thylesio, qui demande un privilège pour l’un de ses ouvrages, fait valoir qu’une réimpression par d’autres serait « à son dommage  [43] ». Gaspar Dinslach utilise le même terme en agitant devant le Collège le spectre de sa ruine si jamais quelqu’un reprenait les lettres d’imprimerie qu’il a fait réaliser ; il a concédé des frais et des efforts importants qui seraient anéantis par la concurrence en cas de réimpression de l’ouvrage par d’autres : ceux-ci pourraient se permettre de le vendre à vil prix, puisqu’ils auraient volé son travail  [44].

21La réalité des rivalités économiques sur le marché du livre, qui se traduit par des éditions pirates, parfois à l’échelle de l’Europe, a conduit certains acteurs à formaliser cette situation par l’utilisation du concept de concurrence. Concorrentia est employé dans trente-deux privilèges entre 1469 et 1530 ; le terme est donc relativement peu courant, mais sa présence reste significative  [45]. Il est également utilisé sur l’ensemble de la période dans les suppliques, avec une fréquence plus élevée entre 1494 et 1498. Il est en général accompagné d’une diatribe violente à l’encontre des concurrents. Ainsi, Alde, dans sa supplique de 1496, demande aux autorités d’empêcher que d’autres, « par envie », ne lui fassent concurrence et ne lui volent « le fruit de ses secrets et de ses efforts »  [46]. L’imprimeur Stefan Roemer, qui se présente devant le Collège quelques jours auparavant, demande aussi d’empêcher qu’on lui enlève « le fruit de ses efforts et de ses frais », comme cela est arrivé à d’autres  [47]. La fin des années 1490 apparaît particulièrement tendue en raison d’un ralentissement économique, de la prolifération de contrefaçons et de la crainte que ses propres ouvriers, débauchés par les ateliers concurrents, ne trahissent le secret professionnel  [48].

22Les arguments liés à la concurrence vont donc du soupçon de vol et de contrefaçon au reproche de jalousie et de perfidie  [49]. Certains vont même jusqu’à accuser le métier lui-même et le groupe professionnel tout entier. Les imprimeurs ou les libraires ne parlent pas d’une corporation, d’une universitas ou d’une communauté qui les unirait. Ils utilisent parfois le terme de mestier ou d’ars pour désigner l’exercice concret de leur activité  [50], mais cette pratique commune est systématiquement jugée menaçante. Ainsi, l’imprimeur Filippo Pincio mentionne, en 1498, la peur d’« être ruiné par la rage perfide de la concurrence dans ce malheureux métier  [51] ». Paganino Paganini reprend et développe cet argument en 1507 quand il dit « craindre d’être ruiné par la perfide concurrence qui règne dans ce pauvre et misérable art, ce qui serait la ruine totale de [sa] maison ; et cette concurrence peut seulement être évitée par l’aide et la grâce bienveillante de ce Sérénissime et très sage conseil  [52] ». Pincio reprend à son tour ce discours pratiquement mot pour mot dans une autre demande de privilège en 1512  [53]. La circulation littérale des argumentaires entre suppliants est ici flagrante.

23Ces expressions ne sont pas anecdotiques et montrent que des imprimeurs partagent un point de vue sur le fonctionnement de ce « malheureux métier » en rapport avec leur position respective dans le milieu. Pincio est actif à Venise entre 1480 et 1530 et Paganini entre 1484 et 1539 : ils n’ont pas de lien personnel ou professionnel connu, mais leur activité est concomitante. Ils occupent tous deux une place importante dans l’industrie du livre et sont très productifs, collaborant avec de nombreux autres acteurs du secteur. Or ils critiquent directement auprès des autorités les relations au sein de leur art, en blâmant la concurrence « enragée », c’est-à-dire considérée comme déloyale. Plutôt que de cibler les imprimeurs envieux, ils visent le milieu économique et son mode de fonctionnement dans son ensemble.

24L’emploi du terme de concurrence dans un sens très contemporain ici est d’autant plus intéressant que celui-ci apparaît encore rarement à cette époque dans un contexte économique et que, même à Venise, il est plutôt utilisé dans un cadre politique. Thomas d’Aquin accorde une importance certaine à l’idée de concurrence pour la fixation du juste prix, par opposition à Jean Duns Scot, mais sans en parler explicitement  [54]. L’une des premières occurrences du terme pour qualifier la rivalité est relevée en 1344 dans la Chronica major de Galvano Fiamma  [55], mais celui-ci reste encore très peu usité dans les textes théoriques. Dans les sources de la pratique, le cas vénitien est également singulier, y compris par rapport à d’autres milieux économiques de la région  [56]. Matthieu Scherman souligne ainsi que les artisans de Trévise mentionnent les difficultés liées à la concentration des ateliers d’une même activité dans un même lieu, mais sans employer le terme de concurrence, qui n’est pas encore entré dans le vocabulaire courant  [57]. Cette utilisation dans les privilèges d’imprimerie témoigne d’une conscience aiguë du phénomène ; celle-ci n’est pas seulement pratique mais aussi conceptuelle et permet de formaliser les relations dans ce nouveau milieu sans réglementation corporatiste. Le contexte marchand vénitien a sans doute contribué à l’utilisation d’un vocable spécifique. Le terme se retrouve en effet dans les textes du xvie siècle traitant de politique et devait être relativement courant dans les discussions entre marchands patriciens  [58]. Il est également utilisé par Marin Sanudo pour qualifier la compétition politique  [59].

25Il faut également souligner la proximité de certains suppliants avec le milieu marchand patricien vénitien, ce qui peut influencer les argumentaires présentés devant les conseils. La concurrence est principalement évoquée par de grands imprimeurs ou libraires, dont la production est importante. Certains participent aux institutions religieuses, les scuole grandi, au sein desquelles ils peuvent côtoyer l’élite de la ville  [60]. Des relations individuelles entre les imprimeurs et le patriciat existent, même si les traces en sont parfois ténues. Alde et Paganini se réfèrent tous deux à la concurrence de leur métier, or le premier est en affaires avec Pier Francesco Barbarigo  [61] et le second dit, en 1494, avoir acheté une grande quantité de livres à la famille de Luca Donà pour 100 ducats  [62]. Certains membres du monde du livre, par leurs relations personnelles et professionnelles avec le patriciat et les marchands vénitiens, s’inscrivent ainsi dans le même univers mental, politique, économique et social, et en usent pour faire appel à eux afin de protéger leur commerce.

26Pour qualifier leurs difficultés et le fonctionnement de leur activité, les suppliants critiquent une concurrence qui conduit, à tous les niveaux, à des comportements déloyaux et à des interactions malhonnêtes. Ce sont souvent les imprimeurs et les libraires les plus productifs et les mieux installés qui utilisent ce terme encore rare ; il s’agit pour eux de dénoncer une situation de fait formalisée et perçue comme fondamentalement anormale, ce qui démontre la conscience de la profonde interdépendance économique de leur environnement. La déloyauté ainsi critiquée pourrait donner une image d’un milieu d’une grande férocité, où la malhonnêteté empêcherait des relations apaisées entre confrères. Cela serait d’autant plus problématique que nous avons relevé, en raison de la variété des compétences requises et du niveau de financement initial, l’absolue nécessité pour les imprimeurs, les libraires ou les éditeurs de collaborer entre eux, et donc de dépasser la simple dénonciation de la concurrence, et même la réalité de la concurrence de tous contre tous, afin de réinstaurer une forme de confiance.

Restaurer la confiance et la collaboration

27Si l’on s’en tient au discours des imprimeurs et des libraires, toute confiance serait impossible dans ce milieu régi uniquement par la recherche du profit au détriment d’autrui. Pourtant, les collaborations sont essentielles à l’investissement productif. Dans toute activité commerciale ou industrielle, la confiance signifie qu’il est tenu pour acquis qu’un individu se comporte selon les règles écrites ou implicites du milieu économique local ; c’est la condition du consensus sur ce qui peut constituer l’intérêt du groupe, alors même que les individus sont en concurrence les uns avec les autres  [63]. « Dans la sphère économique, la confiance est d’autant plus cruciale que les partenaires de l’échange ont des intérêts par essence divergents » ; François Cusin pose à ce titre, pour l’époque contemporaine, une question que ne renieraient pas les imprimeurs du xve siècle : « Dans quelle mesure le comportement d’autrui est-il prévisible ? Ne risque-t-il pas de faire défaut par incompétence, par ruse ou par malhonnêteté ? »  [64]. Michel Ferrary et Yvon Pesqueux insistent en particulier sur l’apprentissage de la confiance comme fondement indispensable pour établir des relations économiques. Cette notion peut permettre de mieux appréhender la manière dont les rapports personnels interfèrent avec l’activité professionnelle ; elle compense en effet l’incertitude du milieu, des conditions matérielles et financières et du comportement d’autrui. C’est l’une des conditions de possibilité des liens économiques même si, en aucun cas, les acteurs du livre vénitien n’y font référence  [65]. Il faut donc dépasser les discours virulents pour comprendre dans quelle mesure ces concurrents sont parvenus à instaurer la confiance nécessaire aux affaires, et quelle en est la conséquence.

La confiance en milieu concurrentiel

28Le serment est mobilisé dans de nombreuses circonstances de la vie sociale médiévale ; cet engagement est régulièrement vérifié et rappelé dans le cadre d’activités réglementées par une ars  [66]. Or, dans l’imprimerie vénitienne, il n’existe ni serment ni corporation jurée. En l’absence de procédures fixées et ritualisées, la pratique économique et sociale doit pourtant respecter un certain nombre de codes pour être reconnue par tous comme valide. La confiance en la parole donnée doit donc être établie par d’autres moyens dont le principal, dans le contexte italien de la fin du Moyen Âge, est le contrat. Quelques-uns nous sont parvenus pour l’imprimerie vénitienne, mais le mauvais état de conservation des actes notariés pour la période ne permet pas d’en tirer des conclusions générales  [67]. Surtout, les contrats ne semblent pas avoir été systématiques. Ils sont par ailleurs garantis non seulement par la procédure notariée, mais aussi par l’honorabilité du marchand, c’est-à-dire la confiance qu’autrui peut lui accorder  [68]. Même dans les sociétés contemporaines, le contrat conserve une part de risque et dépend largement du lien social interpersonnel entre les deux contractants et de la confiance préexistante.

29La confiance est donc avant tout permise par la formation d’un groupe d’acteurs autonomes, partageant des pratiques, des buts et des intérêts communs, et qui se reconnaissent comme fiables. En son sein, des relations d’affaires riches et fréquentes sont la garantie d’une activité économique stable ; elles créent et entretiennent la confiance, d’où naissent par la suite de nouvelles collaborations. À celles-ci viennent se greffer d’autres types de relations impliquant aussi l’établissement d’une confiance réciproque : les procurations, le rôle d’exécuteur testamentaire ou de témoin pour un acte notarié ou dans le cadre d’un procès ; les liens familiaux, avec les parrainages, les marrainages et les alliances matrimoniales ; la participation commune à des confréries ou la proximité de voisinage. Le capital social d’un individu, composé de toutes les personnes qu’il côtoie dans un cadre personnel et professionnel, lui permet alors de renforcer son réseau économique par la confiance qu’il peut accorder à un certain stock de partenaires potentiels  [69]. Ce processus est observable empiriquement à un niveau individuel et collectif dans l’imprimerie vénitienne et a fait l’objet d’études qualitatives ponctuelles  [70]. Cependant, le traitement systématique d’un tel réseau se révèle compliqué en raison des lacunes des sources. En revanche, une étude quantitative des collaborations formelles, telles qu’elles sont mentionnées dans les colophons des éditions imprimées et répertoriées, est possible afin de mieux comprendre comment la confiance s’instaure à différents niveaux dans ce milieu du livre concurrentiel.

Les réseaux de collaboration

30Les individus qui parviennent à établir des collaborations fructueuses accroissent leurs capacités organisationnelles, cruciales pour la mise en place de la production et de la distribution des livres imprimés ; il s’agit aussi d’un investissement sur le plus long terme, quand les échanges se révèlent durables. Au-delà de cet intérêt individuel, les réseaux de collaboration témoignent de la construction d’un environnement social propice à des relations économiques moins conflictuelles. Les colophons représentent une source suffisamment sérielle pour être traitée avec des méthodes quantitatives, en particulier l’analyse de réseaux  [71]. Il ne faut toutefois pas oublier leurs silences : certaines éditions ont été intégralement perdues et certaines collaborations ne sont pas mentionnées, mais des recoupements d’informations sont possibles  [72].

31Le réseau professionnel des imprimeurs et des éditeurs vénitiens entre 1469 et 1530 se densifie et se complexifie au fur et à mesure que l’industrie s’implante dans la ville. Les années 1469-1480 voient un nombre restreint d’acteurs tisser des collaborations ; celles-ci sont encore peu nombreuses (fig. 3). Trente imprimeurs ou éditeurs actifs à Venise durant cette période ne participent à aucune d’entre elles ; ils ont généralement arrêté leur activité assez tôt, leur manque d’insertion dans le réseau étant sans doute l’un des facteurs explicatifs de leur échec. C’est le cas de Clemente de Padoue, un miniaturiste actif entre 1471 et 1472 ; premier imprimeur italien à Venise, il a sans doute pâti de l’absence de lien avec la colonie allemande qui dominait alors le marché productif. La concurrence frappe de plein fouet ceux qui ne parviennent pas à entrer dans un rapport de coopération et qui n’ont donc pas accès à d’autres ressources financières, techniques ou matérielles. La confiance nécessaire pour l’établissement de relations économiques durables et stables est peut-être aussi insuffisante, l’industrie étant très jeune. L’afflux d’imprimeurs après 1470 a dû rendre le milieu assez chaotique, d’autant que les privilèges ne sont pas encore octroyés en masse.

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Figure 3 – Réseau des collaborations entre 1469 et 1480
Note : Ce réseau figure les collaborations dont nous avons trace dans les colophons. Chaque noeud représente un imprimeur ou un éditeur et chaque lien, l’attestation d’une collaboration économique entre eux. Les dates de début et de fin de collaboration étant très difficiles à estimer, nous avons choisi de procéder par large période chronologique, en fonction des dates d’activité de chaque acteur.

32Dans les années 1480-1500 puis 1500-1530, le nombre d’acteurs augmente et celui des collaborations plus encore (fig. 4 et 5). La densité des liens s’accroît dans le milieu du livre, qui acquiert une plus grande cohérence : il y a beaucoup moins d’acteurs isolés. Au début du xvie siècle, peu de groupes d’imprimeurs ou d’éditeurs ne travaillent qu’entre eux ; ils sont pour la plupart liés à une grande composante cohérente. Certains sont centraux tandis que d’autres restent en marge et ne sont pas rattachés au réseau principal, ou bien font partie d’une périphérie qui n’y est reliée que de façon faible. Entre 1480 et 1500, Giorgio Dalmatino est lié à la composante connexe principale, mais par sa seule collaboration avec Jacomo Britannico ; de même, entre 1500 et 1530, pour Francesco da Salo et Girolamo Pincio avec Nicolò Garanta. Ce dernier, comme Britannico, joue en ce sens un rôle de passeur important afin de faire circuler la technique et le capital au sein d’un groupe plus large. Johann Hamman permet quant à lui à sept autres imprimeurs d’être rattachés à la composante principale, ce qui lui confère une position particulièrement influente. Les acteurs densément reliés entre eux forment une composante biconnexe  [73], un réseau élargi où l’argent et les compétences circulent au rythme des collaborations, en formant une véritable communauté d’interactions et d’expériences au regard de la participation économique. L’inclusion dans un réseau d’échanges est centrale pour la survie de l’entreprise. Tributaire d’un seul partenaire, l’imprimeur se retrouve dépendant d’une situation de domination économique flagrante. À l’inverse, ceux qui multiplient les collaborations bénéficient d’une meilleure intégration, ce qui leur sert d’assurance en cas de problème et fonctionne comme un filet de sécurité dans un environnement encore très instable et concurrentiel. L’analyse des réseaux montre ainsi la construction progressive d’un milieu cohérent avec des acteurs de plus en plus solidaires entre eux, liés par des intérêts communs, ce qui tranche avec les discours de violence économique présents dans les privilèges à la même époque.

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Figure 4 – Réseau des collaborations entre 1480 et 1500 et composante biconnexe
Note : Gris : composante biconnexe ; noir : membres de la composante biconnexe qui servent d’intermédiaire avec d’autres noeuds ; blanc : non-membres de la composante biconnexe.
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Figure 5 – Réseau des collaborations entre 1500 et 1530 et composante biconnexe
Note : Gris : composante biconnexe ; noir : membres de la composante biconnexe qui servent d’intermédiaire avec d’autres noeuds ; blanc : non-membres de la composante biconnexe.

Des concurrents partenaires

33L’augmentation des coopérations laisse penser que la confiance s’instaure graduellement et de façon cumulative dans le milieu de l’imprimerie vénitienne entre 1469 et 1530. Cette évolution n’est cependant pas uniforme. Emmanuel Lazega a développé une théorie de la coopération entre concurrents en reprenant, tout en les adaptant, des analyses de réseaux sociaux. Les acteurs du livre sont dans une situation de concurrence avec nécessité de coopération pour avoir accès à des ressources ; ils ont besoin de partenaires d’échange. Il en résulte la construction de « niches sociales  [74] » qui établissent une « discipline sociale  [75] » au sein de relations de concurrence, afin d’instaurer la confiance nécessaire à la coopération. La constitution de collaborations particulièrement denses entre 1500 et 1530 peut être interprétée de cette manière. Certains groupes dont les membres sont reliés de façon bien plus dense que les autres forment des noyaux  [76]. On observe ici la constitution d’un « 4-noyau » central (fig. 6). Ce sous-réseau où chaque acteur est relié à au moins quatre autres en compte vingt-sept au total, dont des noms très importants de l’imprimerie vénitienne comme Nicolò Zoppino, Melchior Sessa ou la famille Scotti, ou moins connus tel Francesco Consorti, actif entre 1511 et 1518. Ce groupe restreint permet sans doute aux imprimeurs et aux libraires de contrôler la concurrence et d’instaurer une « discipline » entre personnes influentes et se reconnaissant comme telles. Il se construit ainsi un environnement davantage sécurisé, où la confiance peut s’établir entre des partenaires plus ou moins égaux et favoriser leur coopération en vue d’un objectif commun et dans l’intérêt de chacun.

34En effet, la coopération entre des concurrents partenaires nécessite « un travail et des investissements relationnels symboliques. La sélection de partenaires d’échanges n’est pas un choix rationnel au sens étroit du terme. Elle a une dimension symbolique qui réside dans la définition d’identités, dans la construction d’un langage commun complexe, de critères d’évaluation des activités  [77]. » En créant un ensemble de collaborations étroites, les acteurs affirment leur attachement à des pratiques et leur appartenance à un groupe, accédant à un statut qui les distingue d’individus plus isolés. Le choix des collaborateurs n’est pas uniquement fondé sur une pure rationalité économique, mais aussi sur le prestige qui peut en découler. Les imprimeurs, les éditeurs et les libraires s’associent en espérant faire partie d’un cercle économique et social. N’entre pas qui veut, mais les multiples associations augmentent la visibilité et l’honorabilité des participants  [78]. Se construire une réputation permet de prétendre à une activité collaborative importante, nécessaire pour se développer, et rejaillit ensuite sur les autres membres.

35Le 4-noyau observé peut donc être interprété comme une niche sociale caractérisée par la collaboration d’acteurs se reconnaissant entre eux comme des partenaires fiables et dignes de confiance. Les membres de ce « club » restreint forgent réciproquement leur prestige dans un univers hautement concurrentiel. Pour autant, cela n’exclut pas des relations avec des acteurs moins intégrés. De ce fait, la nécessité de la collaboration et, en même temps, la réalité de la concurrence créent des inégalités au sein du milieu du livre vénitien. Certains individus concentrent de nombreux partenariats, ce qui permet aux membres du réseau, moins importants économiquement, d’être inclus dans un environnement favorable. Avec ce type de position dans le réseau, ces imprimeurs, libraires ou éditeurs deviennent des relais et des pivots qui structurent l’organisation économique de l’industrie du livre. Ils font jouer la concurrence pour choisir des partenaires imprimeurs et typographes dans un vivier vaste mais inégal, et des collaborateurs possibles dont ils pourraient financer des éditions.

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Figure 6 – Réseau des collaborations entre 1500 et 1530 et k-noyaux
Note : Noir : 4-noyau ; gris foncé : 3-noyau ; gris clair : 2-noyau.

De nouveaux consortia dans une imprimerie oligopolistique

36La formation de sous-réseaux très denses en collaborations professionnelles permet de contrebalancer l’apparente férocité du milieu ; cela a également des conséquences importantes sur la structure économique générale de la nouvelle industrie et illustre les effets de l’absence de régulation d’un marché productif exigeant des capitaux importants. La concurrence aboutit progressivement à des situations de déséquilibre parfois important et à la formation d’oligopoles. L’organisation de l’imprimerie vénitienne offre un observatoire pour aborder ces questions de théorie économique afin de comprendre les ambiguïtés d’un marché quasi capitalistique où la concurrence est peu freinée par la régulation politique et où les acteurs semblent être libres de s’installer et de produire en fonction de la demande.

37En effet, malgré la concurrence effrénée et la déconcentration très nette des volumes de production à partir de 1480, une élite se distingue rapidement de l’ensemble des imprimeurs et éditeurs actifs à Venise. De 1480 à 1500, les mêmes individus figurent généralement au colophon des ouvrages imprimés. Parmi les cinq imprimeurs les plus productifs, plusieurs noms reviennent très régulièrement : Battista de Tortis jusqu’en 1500, Erhard Ratdolt jusqu’en 1486, Andrea Torresani et Boneto Locatello à partir de 1487, les frères de Gregori à partir de 1483 ; Bernardino Benali, actif à partir de 1483, a une production un peu fluctuante et Giovanni Tacuino commence seulement son activité en 1492, qui prend une véritable ampleur dans les dernières années du siècle. Une oligarchie d’imprimeurs se forme progressivement, ne se modifiant qu’à la marge, à la faveur des départs et des arrivées des principaux membres. La stabilité générale de cette élite montre une ouverture toute relative. Une poignée finit par avoir la haute main sur le marché vénitien, avec même une légère reconcentration de la production à la fin de la période. Cette évolution va de pair avec la constitution, à la fin du xve et au début du xvie siècle à Venise, de véritables consortia typographiques. Le terme de consortium qualifie généralement une collaboration temporaire entre différents acteurs ; ici, nous l’employons pour désigner la multiplication des collaborations d’un même acteur avec des individus différents, cette accumulation conduisant à une nouvelle forme d’organisation économique.

38Deux exemples parmi d’autres permettent de saisir tout le profit que certains tirent de leurs multiples relations et de la manière dont ils construisent leur capacité d’investissement. Torresani, depuis la fin de son apprentissage supposé chez Jenson, collabore avec un grand nombre d’imprimeurs de plus petit calibre, ce qui lui sert de tremplin au début de sa carrière quand il travaille notamment pour les héritiers de la compagnie de Jenson et en association avec Piero de Plasis et Bartolomeo de Blavis. À partir de 1491, il devient éditeur d’un certain nombre de publications, ce qui signale un changement de capacité financière. Il collabore régulièrement avec Simone de Luere, et surtout avec Alde et Barbarigo de façon durable et formelle, au moins à partir de 1495  [79]. Cependant, il ne s’agit pas d’une association exclusive. Alde imprime sans doute uniquement avec l’aide de Torresani qui, de son côté, continue à imprimer des livres en son nom propre après 1494 (dix en 1495, six en 1496), le partenariat lui servant à dédoubler sa production. L’entrepreneur continue aussi à financer des éditions d’autres typographes : Hamman publie deux éditions en 1499 pour Torresani  [80] ; Simone de Luere lui en imprime treize jusqu’en 1500, ce qui suggère une collaboration relativement formalisée et stable. Enfin, Torresani et Bonino Bonini ont sans doute un accord, voire une compagnie formelle, puisqu’ils ont des comptes en commun de 1490 à 1506  [81]. Cette démultiplication laisse penser que Torresani a acquis, à partir du début des années 1490, une capacité d’investissement considérable ; il est à même de financer à la fois plusieurs ateliers, de déléguer en partie sa production et de se diversifier.

39Lucantonio Giunti, libraire d’origine florentine actif à Venise, accumule également les relations avec des acteurs très divers  [82]. Avec Giovanni Ragazzo, il imprime pendant trois ans des Bibles, les Vies de saint Jérôme et des Vies des hommes illustres ; avec Giovanni Rosso, des classiques latins, des œuvres de piété et des Bibles ; avec Johann Emerich, des ouvrages astronomiques, liturgiques et paraliturgiques ainsi que des sermons ; avec Matteo Capcasa, des œuvres de piété et Ovide  [83]. Ces collaborations permettent de démultiplier et de diversifier la production comme les publics. Elles créent un ensemble économique centré sur l’investisseur, c’est-à-dire l’éditeur commercial qui a la capacité financière nécessaire à la publication de nombreuses éditions par an, en organisant la production de plusieurs ateliers et de plusieurs presses à la fois.

40Ces consortia composent une structure formalisée indépendante, dominée par une figure qui prend une importance croissante dans le monde du livre : le libraire-éditeur. Au cours des trente premières années du xvie siècle, Giunti devient l’acteur le plus central ; la concentration d’un très grand nombre de collaborations lui octroie une capacité d’action supérieure  [84]. Sans atteindre pour autant une situation de monopole, il est parvenu à organiser la structure économique de l’industrie du livre à son profit. Plus généralement, à partir des années 1490, certains imprimeurs installés à Venise, qui avaient réussi à tirer parti de la libération du marché, deviennent des entrepreneurs dont la capacité productive se traduit par la multiplication des collaborations. Du fait de leur capacité d’investissement, ces individus jouent un rôle structurant dans la production vénitienne ; ils fournissent les fonds pour la production d’un grand nombre de typographes. Les partenariats multiples qu’ils créent à cette occasion forment des consortia de plus ou moins grande ampleur, mettant au cœur un même acteur. Ils leur permettent de diversifier leurs investissements et donc les risques, et de faire fructifier au mieux leur capital, mais créent aussi de profondes inégalités et des rapports de force déséquilibrés. Cette situation peut être rapprochée de l’organisation industrielle étudiée par Jean Tirole qui montre comment, en l’absence de régulation, plusieurs entreprises puissantes peuvent être amenées à former des oligopoles  [85]. Cela entraîne des stratégies de concurrence imparfaite biaisant le fonctionnement du marché – ici du fait de la dépendance que de nombreux ateliers acquièrent par rapport à certains acteurs plus puissants, qui financent les éditions dans de nombreuses presses. La liberté d’activité dans le marché du livre devient rapidement un leurre ; elle est mise au profit de ceux qui bénéficient de la capacité de s’en servir pour construire leur position dominante.

41L’imprimerie vénitienne, en tant qu’environnement économique concurrentiel hors des cadres corporatifs, est donc un bon observatoire des tensions et des aménagements au sein des entreprises et dans leurs relations entre elles. Étant donné le coût d’entrée important, du fait d’un investissement lourd et continu et de l’incertitude de ce commerce reposant sur des anticipations constantes d’un marché du livre en construction, l’imprimerie est une activité à risque. Ce risque est bien perçu par les acteurs eux-mêmes, qui puisent dans les discours sur l’économie élaborés depuis le xiiie et, surtout, le xive siècle pour expliquer leurs difficultés auprès des autorités. Ils empruntent également le vocabulaire utilisé par les patriciens pour décrire la concurrence politique afin de qualifier la compétition déloyale qui régnerait dans leur milieu en l’absence de réglementation. Pour demander des privilèges à ces mêmes patriciens, certains grands libraires et imprimeurs se réfèrent à cet univers mental commun et contribuent à élaborer un vocabulaire économique essentiellement moderne.

42Au-delà des discours, dont on comprend bien qu’ils sont intéressés, les relations concurrentielles instaurées dans le monde du livre vénitien laissent la place à l’établissement d’une part de confiance, essentielle pour la coopération entre les acteurs. Cette confiance est d’autant plus nécessaire que les investissements productifs de l’imprimerie nécessitent des collaborations nombreuses, qui se multiplient à partir de 1480. Une analyse de réseaux fait apparaître un cœur de relations denses, dans lequel l’argent et les compétences circulent largement. Ce faisant, les membres de ce cercle restreint contrôlent et maîtrisent les comportements économiques du groupe, en recréant un environnement où ils se reconnaissent comme des partenaires valables, coopérant en vue de leurs intérêts communs. La confiance est établie pour collaborer et la collaboration entraîne la confiance. Ce processus cumulatif permet aussi d’expliquer les fortes inégalités qui apparaissent notamment à la fin du xve et au début du xvie siècle, dont certains tirent parti. La concurrence joue en faveur de ceux qui accumulent les collaborations, en tirent du prestige et développent leur capacité future de production et de financement. Ils organisent autour d’eux des consortia qui font entrer toute une série d’acteurs dans un rapport de dépendance économique. Parmi les libraires-éditeurs au cœur de cette économie oligopolistique, on trouve parfois ceux-là mêmes qui dénonçaient la concurrence au sein de leur métier.

43L’imprimerie, en tant que nouvelle industrie peu réglementée, pourrait apparaître comme un modèle de libre concurrence favorisant l’innovation et l’entreprenariat. La réalité et la perception qu’en ont les acteurs sont bien plus complexes. Même dans les périodes qui semblent les plus ouvertes, comme c’est le cas à partir de 1480 et jusqu’aux années 1530, la concurrence est canalisée par certains libraires-éditeurs qui parviennent à maîtriser leur environnement de travail en recréant des inégalités et des barrières tacites reposant sur la réputation, l’entre-soi et la capacité financière. La conscience et la formalisation avancée de la situation économique n’empêchent pas – voire même sans doute favorisent – la mise en place de stratégies de concurrence imparfaite à l’œuvre dans le monde du livre vénitien. L’organisation d’un milieu économique est façonnée par la perception qu’en ont les acteurs et par les mécanismes qu’ils mettent en place, via leurs relations sociales et en faisant intervenir des phénomènes de prestige et de confiance. Ces éléments permettent d’expliquer la structure d’un milieu économique et, à terme, de mieux comprendre la mise en place du marché à proprement parler et les relations concurrentielles au niveau de la fixation des prix du livre en Europe  [86]. Croiser une approche de sociologie économique des industries médiévales et modernes avec une étude à plus large échelle de la diffusion des produits et de la formation des prix pour les entreprises en question pourrait ainsi se présenter comme l’une des pistes de recherche les plus fructueuses en histoire économique et sociale de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne.

Notes

  • [1]
    Cité dans Martin Lowry, Le monde d’Alde Manuce. Imprimeurs, hommes d’affaires et intellectuels dans la Venise de la Renaissance, trad. par S. Mooney et F. Dupuigren et Desroussilles, Paris, Promodis/Éd. du Cercle de la librairie, [1979] 1989, p. 16.
  • [2]
    Pour une vue d’ensemble classique sur les débuts de l’imprimerie en Europe et ses répercussions intellectuelles, voir Brian Richardson, Print Culture in Renaissance Italy: The Editor and the Vernacular Text, 1470-1600, Cambridge, Cambridge University Press, 1994 ; Id., Printing, Writers and Readers in Renaissance Italy, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.
  • [3]
    Sur la situation lyonnaise, voir René Fédou et al. (dir.), Cinq études lyonnaises, Genève/Paris, Droz/Minard, 1966 ; Roger Chartier et al. (dir.), Nouvelles études lyonnaises, Genève, Droz, 1969 ; Guillaume Fau et al. , « L’imprimerie à Lyon au xve siècle : un état des lieux », Revue française d’histoire du livre, 118-121, 2003, p. 195-275 ; Ilaria Andreoli, « ‘Lyon, nom et marque civile. Qui sème aussi des bons livres l’usage’. Lyon dans le réseau éditorial européen (xve-xvie siècle) », in J.-L. Gaulin et S. Rau (dir.), Lyon vu/e d’ailleurs, 1245-1800. Échanges, compétitions et perceptions, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2009, p. 109-140 ; Id., « Ex Officina erasmiana. Vincenzo Valgrisi et l’illustration du livre entre Venise et Lyon à la moitié du xvie siècle », thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2/Ca’Foscari, 2006. Sur Milan, voir Teresa Rogledi Manni, La tipografia a Milano nel xv secolo, Florence, L. S. Olschki, 1980.
  • [4]
    Mario Infelise, I libri proibiti. Da Gutenberg all’Encyclopédie, Rome, Laterza, 1999 ; Id., I padroni dei libri. Il controllo sulla stampa nella prima età moderna, Rome, Laterza, 2014.
  • [5]
    Sur les différents types de privilèges libraires à cette époque, deux ouvrages en particulier font des points historiographiques et bibliographiques détaillés : Angela Nuovo et Christian Coppens, I Giolito e la stampa nell’Italia del xvi secolo, Genève, Droz, 2005 ; Angela Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, trad. par L. G. Cochrane, Leyde, Brill, [2003] 2013.
  • [6]
    Laura Carnelos, « La corporazione e gli esterni. Stampatori e librai a Venezia tra norma e contrafazzione (secoli xvi-xviii) », Società e storia, 130, 2010, p. 657-688, a bien mis en évidence que la création d’une corporation ne règle pas les conflits entre les membres de celle-ci et ceux qui n’en font pas partie, mais qui continuent de participer à la production et au commerce du livre dans la ville.
  • [7]
    Venise, Museo Correr, Mariegola dell’arte dei depentori, ms. 163, fol. 12-13 : « l’arte e mestier delle carte et figure stampide » ; cité dans Franco Brunello, Arti e mestieri a Venezia nel Medioevo e nel Rinascimento, Vicenza, Neri Pozza, 1981, p. 79.
  • [8]
    Venise, Archivio di Stato di Venezia (ci-après ASVe), Arti, b. 312, Marzeri. Mariegola, 1471-1487, fol. 10r-14r : en 1446, quand les merciers élargissent leur profession à de nombreux biens, ils souhaitent intégrer le commerce de carta da zugar; cité dans Richard MacKenney, « The Guilds of Venice: State and Society in the Longue Durée », Studi veneziani, 34, 1997, p. 15-43, ici p. 32.
  • [9]
    Richard MacKenney, Tradesmen and Traders: The World of the Guilds in Venice and Europe, c. 1250-c. 1650, Londres, Croom Helm, 1987.
  • [10]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 11, image 113, 18 sept. 1469.
  • [11]
    On considère que le nombre de noms présents aux colophons des ouvrages est une bonne estimation du nombre d’ateliers actifs à un moment précis. Les données utilisées sont extraites de l’Incunabula Short Title Catalogue (Istc), British Library.
  • [12]
    Catherine Kikuchi, « Des vagabonds des lettres ? Les typographes à Venise aux temps des débuts de l’imprimerie », in D. Chamboduc de Saint-Pulgent, A. Houdebert et C. Troadec (dir.), Précarité, instabilité, fragilité au Moyen Âge, Paris, Pups, à paraître.
  • [13]
    Rosa Salzberg, Ephemeral City: Cheap Print and Urban Culture in Renaissance Venice, Manchester, Manchester University Press, 2014 10.7228/manchester/9780719087035.001.0001.
  • [14]
    Sur le taux de survie des exemplaires des éditions, voir Xavier Hermand, Ezio Ornato et Chiara Ruzzier, Les stratégies éditoriales à l’époque de l’incunable. Le cas des anciens Pays-Bas, Turnhout, Brepols, 2012 ; Jonathan Green, Frank McIntyre et Paul Needham, « The Shape of Incunable Survival and Statistical Estimation of Lost Editions », The Papers of the Bibliographical Society of America, 105-2, 2011, p. 141-175 10.1086/680773.
  • [15]
    On pense en particulier aux écrits de Turgot, de Smith ou de Boisguilbert. Voir Albert O. Hirschman, Les passions et les intérêts. Justifications politiques du capitalisme avant son apogée, trad. par P. Andler, Paris, Puf, [1977] 1980 ; Jean-Yves Grenier, L’économie d’Ancien Régime. Un monde de l’échange et de l’incertitude, Paris, Albin Michel, 1996 ; Philippe Steiner, « La liberté du commerce : le marché des grains », Dix-huitième siècle, 26-1, 1994, p. 201-219 10.3406/dhs.1994.1981.
  • [16]
    Les autres sources où l’on pourrait trouver une auto-représentation des imprimeurs (dédicaces, correspondances, textes publicitaires, documents privés et notariés) ne traitent généralement pas de la situation économique du métier dans son ensemble. On renvoie néanmoins à des travaux importants sur la représentation de certains imprimeurs : Martin Lowry, « The Manutius Publicity Campaign », in D. S. Zeidberg (dir.), Aldus Manutius and Renaissance Culture: Essays in Memory of Franklin D. Murphy, Florence, L. S. Olschki, 1998, p. 31-46 ; Martin Lowry, Nicholas Jenson and the Rise of Venetian Publishing in Renaissance Europe, Oxford, Blackwell, 1991 ; M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit. ; Rosa Salzberg, « Masculine Republics: Establishing Authority in the Early Modern Venetian Printshop », in S. Broomhall et J. Van Gent (dir.), Governing Masculinities in the Early Modern Period, Farnham, Ashgate, 2011, p. 47-64.
  • [17]
    Giacomo Todeschini, Richesse franciscaine. De la pauvreté volontaire à la société de marché, trad. par N. Gailius et R. Nigro, Lagrasse, Verdier, [2004] 2008 ; Diego Quaglioni, Giacomo Todeschini et Gian Maria Varanini (dir.), Credito e usura fra teologia, diritto e amministrazione. Linguaggi a confronto, sec. xii-xvi, Rome, École française de Rome, 2005 ; Giacomo Todeschini, Il prezzo della salvezza. Lessici medievali del pensiero economico, Rome, Nuova Italia scientifica, 1994.
  • [18]
    À Venise, on estime qu’une presse peut s’acheter entre 15 et 30 ducats ; les fontes, selon leur qualité, coûteraient entre 15 et 100 ducats. Voir Marino Zorzi, « Stampatori tedeschi a Venezia », in G. Cozzi et al. (dir.), Venezia e la Germania. Arte, politica, commercio, due civiltà a confronto, Milan, Electa, 1986, p. 115-133, ici p. 123. À titre de comparaison pour la France, on peut se référer à Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, L’apparition du livre, Paris, Albin Michel, [1957] 1999, p. 166-167 ; Annie Parent-Charon, « Humanisme et typographie. Les ‘Grecs du Roi’ et l’étude du monde antique », in R. Blanchot et al. (dir.), L’art du livre à l’Imprimerie nationale, Paris, Imprimerie nationale, 1973, p. 55-67.
  • [19]
    ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 159, fol. 44-47, 1473.
  • [20]
    Érasme, Colloques, trad. et présenté par É. Wolff, Paris, Imprimerie nationale, 1992, p. 315 : « En comptant sa femme, ses fils, sa fille, son gendre, ses ouvriers et ses servantes, il avait chez lui environ trente-trois bouches à nourrir. »
  • [21]
    ASVe, Senato, Deliberazioni, Terra, reg. 14, image 224, 17 oct. 1502. M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit., p. 165-167, considère qu’il s’agit d’une estimation raisonnable.
  • [22]
    Rinaldo Fulin, « Documenti per servire alla storia della tipografia veneziana », Archivio veneto, 45-23, 1882, p. 84-212, ici p. 100-101. Pour des exemples lyonnais ou florentins, voir L. Febvre et H.-J. Martin, L’apparition du livre, op. cit., p. 169-170 ; William A. Pettas, « The Cost of Printing a Florentine Incunable », La bibliofilía, 75-1, 1973, p. 67-85, ici p. 69.
  • [23]
    ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 159, fol. 44-47, 1473 : l’imprimeur insiste sur le fait que ses ouvriers ne peuvent pas « vivre d’esprit » et qu’il a dû leur procurer « pain, viande et autres nourritures en suffisance, avec encore une partie de leur salaire » (sauf mention contraire, les traductions des sources sont de l’auteure). Voir aussi Tullia Gasparrini Leporace, « Nuovi documenti sulla tipografia veneziana del Quattrocento », inStudi bibliografici. Atti del Convegno dedicato alla storia del libro italiano nel v centenario dell’introduzione dell’arte tipografica in Italia, Florence, L. S. Olschki, 1967, p. 25-46.
  • [24]
    Franco Franceschi, Oltre il « tumulto ». I lavoratori fiorentini dell’arte della lana fra Tre et Quattrocento, Florence, L. S. Olschki, 1993, p. 43-45 et 55-61. Même en considérant que le ducat, vers 1500, a une fois et demie la valeur du florin florentin vers 1400 (ce qui est une estimation très large), les frais des imprimeurs restent nettement supérieurs.
  • [25]
    Ce phénomène est rappelé notamment dans Edoardo Barbieri, « L’accueil de l’imprimé dans les bibliothèques religieuses italiennes du Quattrocento », in D. Bougé-Grandon (dir.), Le livre voyageur. Constitution et dissémination des collections livresques dans l’Europe moderne (1450-1830), Paris, Klincksieck, 2000, p. 53-91, ici p. 56-57.
  • [26]
    W. A. Pettas, « The Cost of Printing a Florentine Incunable », art. cit., p. 73.
  • [27]
    Pour une mise au point sur les travaux portant sur ces sources, voir Angela Nuovo, Il commercio librario nell’Italia del Rinascimento, Milan, Franco Angeli, 2003, p. 25-31. Ces sources comportent cependant un biais : certains ouvrages en sont sans doute à leur deuxième mise en vente, car le commerce du livre neuf et celui de seconde main se côtoient sur les mêmes étals ; voir A. Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op. cit., p. 347. Pour une étude des catalogues d’Alde Manuce, voir Catherine Kikuchi, La Venise des livres, 1469-1530, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2018, p. 143-144.
  • [28]
    Cité dans J.-Y. Grenier, L’économie d’Ancien Régime…, op. cit., p. 148.
  • [29]
    A. Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op. cit., p. 21-46.
  • [30]
    Érasme, Les adages, éd. par J.-C. Saladin, Paris, Les Belles Lettres, 2011, vol. 2, adage 1001.
  • [31]
    D’après les données de l’Istc.
  • [32]
    Philippe Braunstein, « À l’origine des privilèges d’invention aux xive et xve siècles », in F. Caron (dir.), Les brevets. Leur utilisation en histoire des techniques et de l’économie, Paris, Ihmc/Éd. du Cnrs, 1984, p. 53-60 ; Giulio Mandich, « Privilegi per novità industriali a Venezia nei secoli xv e xvi », Atti della deputazione Veneta di storia patria, 5, 1963, p. 14-38 ; Roberto Berveglieri, Inventori stranieri a Venezia, 1474-1788. Importazione di tecnologia e circolazione di tecnici artigiani intentori. Repertorio, Venise, Istituto veneto di scienze, lettere ed arti, 1995.
  • [33]
    Il s’agit du refus de renouvellement du privilège de Daniel Bomberg pour des œuvres en hébreu ; il est signifié par le Conseil des Dix et résulte de circonstances religieuses problématiques pour ce genre de publications : ASVe, Consiglio dei Dieci, Deliberazioni, Comuni, reg. 1, fol. 76r, 12-16 oct. 1525 ; filze, no 3 et no 7, 7 déc. 1525 ; Marin Sanudo, Diarii, éd. par R. Fulin et al., Venise, Visentini, 1831, vol. 40, p. 56 et 75 ; vol. 41, p. 56 et 118.
  • [34]
    Il peut cependant y avoir un biais dans l’obtention des privilèges. Les acteurs d’origine italienne avaient plus de facilités à recevoir plusieurs fois des privilèges.
  • [35]
    A. Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op. cit., p. 222.
  • [36]
    Entre 1469 et 1530, on compte 267 privilèges accordés à 169 individus différents. Ils sont conservés dans ces fonds : ASVe, Collegio, Notatorio ; Senato, Deliberazioni, Terra ; Consiglio dei Dieci, Deliberazioni ; Capi dei Consiglio dei Dieci, Notatorio. Ne sont pas prises en compte ici les autorisations d’imprimer que l’on trouve également dans ces registres.
  • [37]
    Nous avons renoncé à en produire une analyse lexicologique pour plusieurs raisons. Les textes sont écrits en latin ou en vénitien, ce qui rend leur traitement commun difficile. Le latin lui-même est très vulgarisé et l’orthographe n’est en aucun cas fixe. De plus, pour ce que nous voulons étudier, l’analyse précise des termes n’est pas toujours éclairante, mis à part dans certains cas très précis, notamment l’utilisation de « concurrence », mais cela se fait aisément sans recours à la lexicologie quantitative à proprement parler.
  • [38]
    Il serait intéressant d’opérer une comparaison avec les textes provenant d’autres artisanats vénitiens. Cependant, l’imprimerie est la seule industrie à offrir un tel gisement de sources ; l’octroi des privilèges libraires est, si l’on en croit la composition des registres, l’une des principales occupations de certains conseils dans les années de forte demande.
  • [39]
    Pierre de Jean Olivi, Traité des contrats, éd. et trad. par S. Piron, Paris, Les Belles Lettres, 2012 ; Sylvain Piron, « Recherches d’histoire intellectuelle des sociétés médiévales », dossier d’habilitation à diriger des recherches, vol. 5, Université d’Orléans, 2010. Voir aussi G. Todeschini, Richesse franciscaine…, op. cit. ; D. Quaglioni, G. Todeschini et G. M. Varanini (dir.), Credito e usura fra teologia, diritto e amministrazione…, op. cit.
  • [40]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 162, 16 févr. 1493, demande de Simone Bevilacqua : « avec une très grande industrie et un très grand travail de [sa] part, ainsi que des frais intolérables » (maxima ipsorum industria et labore, nec non impensa intolerabili).
  • [41]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 17, image 188, 26 juin 1514.
  • [42]
    Sylvain Piron, « L’apparition du resicum en Méditerranée occidentale, xiie-xiiie siècles », in E. Collas-Heddeland et al. (dir.), Pour une histoire culturelle du risque. Genèse, évolution, actualité du concept dans les sociétés occidentales, Strasbourg, Éd. Histoire et anthropologie, 2004, p. 59-76.
  • [43]
    ASVe, Senato, Deliberazioni, Terra, reg. 25, image 84, 29 avril 1528.
  • [44]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 312, 18 avril 1497 : « Ne voulant pas qu’après avoir imprimé ces dites œuvres avec de très grands frais et efforts, que quelqu’un d’autre en concurrence le fasse réimprimer et puis le vende à vil prix, comme cela arrive souvent, ce qui entraînerait la ruine et le dommage du suppliant » (« Non volendo, che dapoi che cum grandissima spesa et faticha l’havera facto stampar le dicte opere che qualche altro a concorrentia le fesse restampir et poi le vendesse a vil pretio come molto vole achade, che tornaria a ruina et damno de lui supplicante »).
  • [45]
    Certains auteurs avaient noté l’emploi de ce terme dans les privilèges de façon extrêmement précoce : Paolo Trovato, Con ogni diligenza corretto. La stampa e le revisioni editoriali dei testi letterari italiani (1470-1570), Bologne, Il Mulino, 1991, p. 46.
  • [46]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 275, 25 févr. 1496 : « Craignant, lui suppliant, qu’on ne lui fasse concurrence par envie et que d’autres aient le fuit de ses secrets et de ses efforts » (« Temendo lui supplicante che per invidia non li sia facto concorrentia, et che altri habia el fruto di sui secreti et fatiche »).
  • [47]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 276, 10 févr. 1496 : « que d’autres en le faisant imprimer ne lui fasse concurrence et ainsi que lui soit enlevé le fruit de ses efforts et de ses frais très importants » (« che altri emuloi fazandolo stampar li fesseno concorrentia, e cussi a lui fusse levato el fructo de le fatiche e spexe sue grandissime »).
  • [48]
    M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit., p. 136-137.
  • [49]
    Par exemple : ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 15, image 165, 27 nov. 1502.
  • [50]
    C’est le cas dans les privilèges, mais également dans d’autres documents où des témoignages d’imprimeurs sont rapportés, par exemple : ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 159, fol. 47r, 6 nov. 1473 : « les pratiques de cet art » (« i pratichi de questa arte ») ; b. 168, fol. 19r, 19 juin 1478 : « quelques pratiques de ce métier » (« qualche praticha del mestier »).
  • [51]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 346, 14 mars 1498 (« per non esser ruinato dalla perfida ravia de la concorrentia consueta fra questa miserabel arte »).
  • [52]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 16, image 18, 18 juin 1508 (« esso supplicante teme esser e ruinato dala perfida concorrentia, laquale regna in questa povera et miserabel arte, che seria total ruina de casa sua, laquel concorrentia solum mediante lo adviso et benigna gratia di questa Serenissimo et sapientissimo conseglio potra fugera »).
  • [53]
    ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 16, image 214, 11 févr. 1512.
  • [54]
    Gérard Sivéry, « La notion économique de l’usure selon saint Thomas d’Aquin », Revue du Nord, 356-357, 2004, p. 697-708 10.3917/rdn.356.0697. Pour la doctrine scolastique en matière de monopole, voir Raymond De Roover, La pensée économique des scolastiques. Doctrines et méthodes, Montréal/Paris, Institut d’études médiévales/J. Vrin, 1971. La place de la concurrence dans le juste prix, pour les scolastiques, fait l’objet de débats, mais elle semble établie au moins pour ce qui concerne l’école thomiste.
  • [55]
  • [56]
    Il semble que le terme n’était pas utilisé dans les suppliques de privilège d’invention avant l’imprimerie, mais ce point nécessiterait de plus amples investigations.
  • [57]
    Matthieu Scherman, Familles et travail à Trévise à la fin du Moyen Âge (vers 1434-vers 1509), Rome, École française de Rome, 2013, p. 147.
  • [58]
    Maud Harivel, « Entre justice distributive et corruption : les élections politiques dans la République de Venise (1500-1797) », thèse de doctorat, Université de Berne/Ephe, 2016.
  • [59]
    M. Sanudo, Diarii, op. cit., vol. 15, p. 554, et vol. 25, p. 426.
  • [60]
    Par exemple, Pincio et Paganini faisaient partie de la scuola de San Rocco, le second en étant même l’un des officiers en 1489 et 1498 : Cristina Dondi, « Printers and Guilds in Fifteenth-Century Venice », La bibliofilía, 106-3, 2004, p. 231-265.
  • [61]
    ASVe, Procuratori di San Marco de Supra, Commissaria, b. 6, Commissaria Pietro Francesco Barbarigo, Giornale di Cassa 1499-1511, édité par Ester Pastorello, « Di Aldo Pio Manuzio : testimonianze e documenti », La bibliofilía, 67, 1965, p. 163-220, ici p. 189-192.
  • [62]
    ASVe, Giudici di petizion, Capitoli pubblicati, b. 13, fol. 80r, 11 avril 1494. Voir pour la famille Gradenigo : ASVe, Giudici del Proprio, Lezze, b. 6, fol. 68 sq., 11 sept. 1522 ; pour la famille Badoer : ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 194, fol. 38r sq., 26 juil. 1494.
  • [63]
    Ne pouvant faire référence à toute la bibliographie en sciences sociales sur le sujet, nous renvoyons à la mise au point bibliographique dans Thierry Dutour, « ‘Que chacun fache bon ouvrage et loyal’. La construction et le maintien de la confiance impersonnelle dans la vie sociale à la fin du Moyen Âge (espace francophone, xiiie-xve siècle) », Quaestiones medii aevi novae, 17, 2012, p. 355-377, ici p. 355-356. Voir aussi Id., Sous l’empire du bien. « Bonnes gens » et pacte social, xiiie-xve siècle, Paris, Classiques Garnier, 2015.
  • [64]
    François Cusin, « Relations marchandes et esprit d’entreprise : la construction sociale de la confiance », Interventions économiques, 33, 2006, https://interventionseconomiques.revues.org/766.
  • [65]
    Sur la question de la confiance dans les relations économiques et le marché du travail, voir Mark Granovetter, « Economic Action and Social Structure: The Problem of Embeddedness », American Journal of Sociology, 91-3, 1985, p. 481-510 10.1086/228311. Voir aussi Michel Ferrary et Yvon Pesqueux, L’organisation en réseau, mythes et réalités, Paris, Puf, 2004, chap. 2, paragr. 5.
  • [66]
    Laurence Buchholzer et Frédérique Lachaud (dir.), no spécial « Le serment dans les villes du bas Moyen  Âge », Histoire urbaine, 39-1, 2014, p. 7-27 10.3917/rhu.039.0007 ; Claude Gauvard, « Introduction », in F. Laurent (dir.), Serment, promesse et engagement : rituels et modalités au Moyen Âge, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2008, p. 13-32 ; Raymond Verdier (dir.), Le serment, Paris, Éd. du Cnrs, 1991 ; Marie-France Auzépy et Guillaume Saint-Guillain (dir.), Oralité et lien social au Moyen Âge (Occident, Byzance, Islam). Parole donnée, foi jurée, serment, Paris, Achcbyz, 2008.
  • [67]
    Voir, par exemple, les contrats de Jacques Le Rouge en 1473 (Trévise, Archivio di Stato di Treviso, Notarile, ser. I, b. 1436, 27 nov. et 24 mai 1473, publié dans Agostino Contò, Calami e torchi. Documenti per la storia del libro nel territorio della Republica di Venezia, sec. xv, Vérone, Della Scala, 2003), le contrat de Leonard Wild avec Nicolas de Francfort en 1478 (publié dans R. Fulin, « Documenti per servire alla storia della tipografia veneziana », art. cit., doc. 2) ou le contrat entre Annibale Fosio, Marino Saraceno et Francesco de Madiis en 1486 (publié dans Riccardo Predelli, « Contratto per la stampa di un libro », Archivio veneto, 32-16, 1886, p. 190-192).
  • [68]
    T. Dutour, « ‘Que chacun fache bon ouvrage et loyal’… », art. cit., p. 366 : « La parole des marchands l’est aussi [incontestable]. Leurs écritures manuelles sont garanties avant tout par l’honorabilité de leurs auteurs. » Voir aussi Alessandra Stazzone, « Parole de marchand. Serment promissoire et indices ordaliques dans la définition du ‘bon’ marchand (xive siècle) », in L. Buchholzer et F. Lachaud (dir.), no spécial, « Le serment dans les villes du bas Moyen Âge », op. cit., p. 105-120.
  • [69]
    M. Ferrary et Y. Pesqueux, L’organisation en réseau…, op. cit., chap. 2, paragr. 4-5.
  • [70]
    Gustav Ludwig, « Antonello da Messina und Deutsche und Niederländische Künstler in Venedig », Jahrbuch der Königlich Preussischen Kunstsammlungen, 23, 1902, p. 43-65 ; Philippe Braunstein, « Les Allemands et la naissance de l’imprimerie vénitienne », Revue des études italiennes, 27-4, 1981, p. 381-389 ; Martin Lowry, « Venetian Capital, German Technology and Renaissance Culture in the Later Fifteenth Century », Renaissance Studies, 2-1, 1988, p. 1-13 10.1111/j.1477-4658.1988.tb00134.x ; Id., « The Social World of Nicholas Jenson and John of Cologne », La bibliofilía, 83, 1981, p. 193-218. Les travaux de Lowry sur les relations économiques et sociales de Jenson et d’Alde sont à ce jour inégalés. Pour une vision plus globale, voir Catherine Kikuchi, « Venise et le monde du livre, 1469-1530 », thèse de doctorat, Université Paris-Sorbonne, 2016, chap. 8, p. 423-498, et chap. 9, p. 499-550 ; ces deux chapitres proposent une analyse de la socialisation à Venise et dans le monde du livre, et de ses conséquences sur la formation d’une espace professionnel du livre.
  • [71]
    Les informations contenues dans les colophons sont rassemblées dans la liste systématique établie par Paul Needham, « Venetian Printers and Publishers in the Fifteenth Century », in L. Balsamo et P. Bellettini (dir.), Anatomie bibliologiche. Saggi di storia del libro per il centenario de La bibliofilía, Florence, L. S. Olschki, 1999, p. 157-200. Pour le xvie siècle, nous faisons référence à Fernanda Ascarelli et Marco Menato, La tipografia del ’500 in Italia, Florence, L. S. Olschki, 1989 ; Ester Pastorello, Tipografi, editori, librari a Venezia nel secolo xvi, Florence, L. S. Olschki, 1924.
  • [72]
    Nous avons complété ces informations quand nous savions que certaines collaborations existaient, mais toujours entre des acteurs qui apparaissaient déjà dans les colophons de cette période. Nous n’avons également tenu compte que des collaborations économiques, et non des collaborations littéraires. Ces relations ont été étudiées à travers les méthodes de l’analyse de réseaux, ou social network analysis. Voir Catherine Kikuchi, « Utiliser les réseaux pour comprendre le développement de l’imprimerie à Venise, 1469-1530 », Essais. Revue interdisciplinaire d’humanités, à paraître ; Id., « Venise et le monde du livre, 1469-1530 », op. cit., p. 139-144, 145-158 et 205-208. Étant donné la difficulté à dater précisément le début et la fin des collaborations, nous avons considéré qu’une collaboration existait pendant la durée d’activité commune des deux parties prenantes. Nous avons ensuite travaillé par grandes périodes, une analyse synchronique étant sujette à de nombreux aléas. Voir ces travaux essentiels sur l’analyse de réseaux en histoire médiévale : John F. Padgett et Christopher K. Ansell, « Robust Action and the Rise of the Medici, 1400-1434 », American Journal of Sociology, 98-6, 1993, p. 1259-1319 10.1086/230190 ; Isabelle Rosé, « Reconstitution, représentation graphique et analyse des réseaux de pouvoir au haut Moyen Âge. Approche des pratiques sociales de l’aristocratie à partir de l’exemple d’Odon de Cluny († 942) », Redes. Revista hispana para el análisis de redes sociales, 21-5, 2011, p. 199-272. Des doctorants ont également mis à l’honneur l’utilisation des réseaux en histoire : Nikita Dmitriev, Ségolène Maudet et Pierre Verschueren (dir.), dossier « Analyser des réseaux. Pourquoi ? Comment ? », Hypothèses, 19-1, 2016, p. 177-252.
  • [73]
    Une composante biconnexe est un réseau dont la densité de liens et d’interactions est suffisante pour que personne ne soit dépendant d’un seul individu pour son rattachement.
  • [74]
    Emmanuel Lazega, « Théorie de la coopération entre concurrents : interdépendances, discipline sociale et processus sociaux », Le libellio d’Aegis, 4-3, 2008, p. 1-5.
  • [75]
    Id., « Théorie de la coopération entre concurrents : organisations, marchés et analyse de réseaux », in P. Steiner et F. Vatin (dir.), Traité de sociologie économique, Paris, Puf, 2009, p. 533-571, ici p. 538.
  • [76]
    En termes d’analyse de réseaux, un k-noyau est un noyau dont tous les membres sont liés à k membres du groupe.
  • [77]
    E. Lazega, « Théorie de la coopération entre concurrents : organisations, marchés et analyse de réseaux », art. cit., p. 537-538.
  • [78]
    La question est ici compliquée car les collaborations ne sont pas symétriques : une personne apporte les fonds, une autre le capital matériel et technique. Il faut partir du principe que l’imprimeur qui collabore avec de nombreux éditeurs est un acteur tout aussi central et important que l’éditeur qui alimente le milieu en investissement ; le rapport de force lui est moins favorable, mais le fait d’être souvent choisi pour réaliser des éditions témoigne de son importance au sein d’un milieu concurrentiel. Le prestige de certains imprimeurs typographes justifie que cette dissymétrie ne soit pas rédhibitoire.
  • [79]
    Voir l’étude des documents d’archives issus de la gestion de l’héritage de Barbarigo après sa mort : ASVe, Procuratori di San Marco de Supra, Commissaria, b. 6, Commissaria Pietro Francesco Barbarigo, Giornale di cassa 1499-1511, édités par E. Pastorello, « Di Aldo Pio Manuzio… », art. cit., ici p. 189-192. Voir aussi M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit.
  • [80]
    Il s’agit de deux ouvrages de philosophie : Jean Duns Scot sur la Métaphysique d’Aristote (Istc : 00373000) et Dinus de Garbo sur Avicenne (Istc : 00196000).
  • [81]
    ASVe, Giudici di petizion, Terminazioni, b. 40, fol. 76v, 29 oct. 1529.
  • [82]
    Sur la famille Giunti, voir William A. Pettas, The Giunti of Florence: A Renaissance Printing and Publishing Family: A History of the Florentine Firm and a Catalogue of the Editions, New Castle, Oak Knoll Press, 2013.
  • [83]
    D’après les ouvrages recensés par l’Istc.
  • [84]
    Selon tous les indicateurs de centralité : de degré (le nombre de voisins directs), de proximité (par rapport aux autres nœuds du réseau) et d’intermédiarité (la présence sur les chemins passant entre un acteur et un autre).
  • [85]
    Jean Tirole, Théorie de l’organisation industrielle, trad. sous la dir. de M. Moreaux, Paris, Economica, [1988] 2015 ; David Encaoua, « Pouvoir de marché, stratégies et régulation. Les contributions de Jean Tirole, Prix Nobel d’Économie 2014 », Revue d’économie politique, 125-1, 2015, p. 1-76 10.3917/redp.251.0001.
  • [86]
    Ces questions, qui dépassent largement le cadre de cette étude, trouvent néanmoins des échos importants dans les préoccupations de projets de recherche actuels. Voir les programmes Erc conduits respectivement par Angela Nuovo et Cristina Dondi : « The Early Modern Book Trade » (Udine/Milan, 2016-2021) vise à étudier de façon systématique les prix et les transactions financières liés au livre en Europe ; « 15th Century Book Trade » (Cambridge, 2014-2019) entend examiner la diffusion des incunables en Europe à partir d’une étude matérielle des exemplaires survivants. Concernant la formation de marchés et les mécanismes sociaux qui y contribuent, voir Sandrine Victor et Juliette Sibon (dir.), no spécial « Normes et marchés en Occident, xiiie-xve siècle », Rives méditéranéennes, 55, 2017 ; Eleonora Canepari, Anne Montenach et Isabelle Pernin (dir.), no spécial « Aux marges du marché », Rives méditerranéennes, 54, 2017.
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