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Article de revue

Du présent au passé : les dynamiques historiques de la richesse à l’époque moderne

Pages 91 à 102

Notes

  • [1]
     Thomas PIKETTY, Le capital au XXIe siècle, Paris, Éd. du Seuil, 2013, p. 558-561.
  • [2]
     S’il prend en compte les inégalités de revenus, c’est le patrimoine, plus concentré que les revenus, qui est l’objet principal des analyses.
  • [3]
     Une telle situation n’est certes pas une constante du XVIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, ni commune à tous les pays de l’Europe moderne, mais elle correspond du moins à ce qu’il était convenu d’appeler le « sombre XVIIe siècle ».
  • [4]
     T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 574 sq., en particulier n. 2, p. 578.
  • [5]
     Les taxes somptuaires, qui frappaient les consommations d’objets de luxe, constituent une exception à cette orientation régressive des impositions indirectes, mais leur produit demeurait marginal dans l’ensemble des revenus fiscaux en France, car elles servaient avant tout des objectifs de classification sociale et de contrôle du paraître, du moins jusqu’à la Révolution. En Angleterre, le poids relatif des taxes somptuaires dans l’ensemble du produit fiscal semble plus important. Daniel ROCHE, La culture des apparences. Une histoire du vêtement, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1989 ; Michèle FOGEL, « Modèle d’État ou modèle social de dépense ? Les lois somptuaires de 1485 à 1660 », in J.-P. GENET et M. LE MENÉ (éd.), Genèse de l’État moderne. Prélèvement et redistribution, Paris, Éd. du CNRS, 1987, p. 227-235 ; Maxine BERG et Helen CLIFFORD, « Luxury, Consumer Goods and British Taxation in the Eighteenth Century », in S. CAVACIOCCHI (éd.), La fiscalità nell’ economia europea, secc. XIII-XVIII, Florence, Firenze University Press, 2008, vol. 2, p. 1101- 1114.
  • [6]
     Des dispositions légales et coutumières, telles que celle du retrait lignager, visaient expressément à favoriser la conservation ou le retour dans un groupe familial de biens « propres » (échus en héritage) qui avaient fait l’objet d’une vente, en permettant au proche parent du vendeur de se substituer à l’acquéreur des biens, à condition de le rembourser, en vertu d’un droit collectif et prioritaire de la parenté sur le capital patrimonial du passé. Ce droit de retrait lignager ne pouvait s’appliquer qu’aux biens qui avaient le statut juridique d’immeubles, autrement dit au capital patrimonial par excellence. Robert Joseph POTHIER, « Traité des retraits », Traités sur différentes matières de droit civil appliquées à l’usage du barreau et de jurisprudence française, Paris/Orléans, Jean Debure/ Vve Rouzeau-Montaut, 1773, vol. 1, p. 707-905.
  • [7]
     Robert DESCIMON, « Les élites du pouvoir et le prince : l’État comme entreprise », in W. REINHARD (dir.), Les élites du pouvoir et la construction de l’État en Europe, trad. par H. Aji, Paris, PUF, 1996, p. 133-162.
  • [8]
     Pour la méthode mise en œuvre et expliquée, voir Daniel DESSERT, « Pouvoir et finance au XVIIe siècle : la fortune du cardinal Mazarin », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 23-2, 1976, p. 161-181.
  • [9]
     T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 624.
  • [10]
     Lawrence STONE, The Crisis of Aristocracy, 1558-1641, Oxford, Clarendon Press, 1965 ; Davis BITTON, The French Nobility in Crisis, 1560-1640, Stanford, Stanford University Press, 1969 ; Erlig LADEWIG PETERSEN, « La crise de la noblesse danoise entre 1580 et 1660 », trad. par N. Godneff, Annales ESC, 23-6, 1968, p. 1237-1261 ; François BILLACOIS, « La crise de la noblesse européenne (1550-1650). Une mise au point », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 23-2, 1976, p. 258-277 ; Denis CROUZET, « Recherches sur la crise de l’aristocratie en France au XVIe siècle : les dettes de la maison de Nevers », Histoire, économie et société, 1-1, 1982, p. 1-51.
  • [11]
     Jean-François CHAUVARD, La circulation des biens à Venise. Stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750), Rome, École française de Rome, 2005.
  • [12]
     Bartolomé YUN-CASALILLA, « Introduction », in B. YUN-CASALILLA et P. O’BRIEN (éd.), The Rise of Fiscal States : A Global History, 1500-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 1-35 ; Patrick O’BRIEN, « Historical Conditions for the Evolution of a Successful Fiscal State : Great Britain and its European Rivals from the Treaty of Munster to the Treaty of Vienna », in S. CAVACIOCCHI (éd.), La fiscalità..., op. cit., vol. 1, p. 131-151. Pour une analyse fouillée du cas français et de ce système fisco-financier, dont une partie des caractéristiques sont communes à d’autres États modernes, voir Daniel DESSERT, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984.
  • [13]
     Robert DESCIMON, « La haute noblesse parlementaire parisienne. La production d’une aristocratie d’État aux XVIe et XVIIe siècles », in P. CONTAMINE (éd.), L’État et les aristocraties, XIIe-XVIIe siècle. France, Angleterre, Écosse, Paris, Presses de l’ENS, 1989, p. 357-384. La vénalité légale des offices de justice, instaurée en 1604, garantissait aux familles de pouvoir résigner l’office en faveur d’un tiers ou de le vendre en cas de décès moyennant le versement d’une taxe annuelle calculée en fonction de la valeur de l’office.
  • [14]
     Roland MOUSNIER, La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, Paris, PUF, [1946] 1971.
  • [15]
     R. Descimon a relevé ce décollage du montant des dots pour la haute noblesse parlementaire parisienne au XVIIe siècle, dont la valeur moyenne a décuplé en un siècle, avec un doublement approximatif tous les vingt ans ; voir R. DESCIMON, « La haute noblesse... », art. cit.
  • [16]
     Danielle HAASE-DUBOSC, Ravie et enlevée. De l’enlèvement des femmes comme stratégie matrimoniale au XVIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1999 ; Michel NASSIET, Parenté, noblesse et États dynastiques, XVe-XVIe siècles, Paris, Éd. de l’EHESS, 2000.
  • [17]
     T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 574-582 et 722. Des dispositions similaires sont mises en œuvre par le fedecommesso en Italie, le mayorazgo en Espagne, la substitution en France, l’entail en Angleterre. Pour un état des connaissances actuelles et une bibliographie à jour concernant l’Europe méditerranéenne, voir Jean-François CHAUVARD, Anna BELLAVITIS et Paola LANARO, « De l’usage du fidéicommis à l’âge moderne. État des lieux », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, 124-2, 2012, p. 321-337 ; Jean-Pierre DEDIEU, « Familles, majorats, réseaux de pouvoir. Estrémadure, XVe-XVIIIe siècle », in J.-P. DEDIEU et J. L. CASTELLANO (dir.), Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, CNRS Éditions, 1998, p. 111-146 ; Marie-Laure MASSEI-CHAMAYOU, « L’économie successorale dans Pride and Prejudice », Revue de la société d’études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles, 63, 2006, p. 99-116.
  • [18]
     Les créanciers pouvaient en conséquence n’être payés qu’avec les revenus produits par le capital immobilisé dans un fidéicommis, et non avec ce capital lui-même.
  • [19]
     Venise et Rome ont gardé la possibilité d’une substitution à perpétuité, mais l’Autriche et la France ont limité la durée à deux générations, le Piémont et la Toscane à quatre, l’Angleterre à vingt ans après la mort du donateur ; voir J.-F. CHAUVARD, A. BELLAVITIS et P. LANARO, « De l’usage du fidéicommis... », art. cit. La France révolutionnaire, puis la plupart des autres États ont interdit ces substitutions d’héritiers au XIXe siècle.
  • [20]
     T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 686 sq.
  • [21]
     Nicolas LYON-CAEN, « Un prix sans aménité. L’indemnisation des propriétaires parisiens à la fin de l’Ancien Régime », Histoire et mesure, 28-1, 2013, p. 75-106 ; Id., « L’immobilier parisien au XVIIIe siècle, un marché locatif ? », Histoire urbaine, à paraître ; Pierre COUPERIE et Emmanuel LE ROY LADURIE, « Le mouvement des loyers parisiens de la fin du Moyen Âge au XVIIIe siècle », Annales ESC, 25-4, 1970, p. 1002-1023.
  • [22]
     Gérard BÉAUR et al., Property Rights, Land Markets, and Economic Growth in the European Countryside (13th-20th Centuries), Turnhout, Brepols, 2013.
  • [23]
     On dénombre environ 150 000 rentiers à la mort de Louis XIV, dans un royaume d’une vingtaine de millions de Français. Les chiffres disponibles sont de 10 000 pour l’Angleterre en 1709-1710, 40 000 en 1720, 60 000 à la veille de la guerre de Sept Ans (1756-1763), sur une population totale d’un peu moins de dix millions d’habitants. Dans les deux cas, et même en utilisant un coefficient multiplicateur pour obtenir le nombre de foyers, c’est bien une très mince élite qui acquiert ces rentes à l’origine.
  • [24]
     Voir les calculs concernant les défauts de paiement des rentes publiques françaises des années 1640-1660 dans Katia BÉGUIN, Financer la guerre au XVIIe siècle. La dette publique et les rentiers de l’absolutisme, Seyssel, Champ Vallon, 2012, p. 104-138.
  • [25]
     Gregory CLARK, « Debt, Deficits, and Crowding Out : England, 1727-1840 », European Review of Economic History, 5-3, 2001, p. 403-436 ; K. BÉGUIN, Financer la guerre..., op. cit., p. 245-254.
  • [26]
     Certes, il faudrait être en mesure de connaître la part de ces revenus des biens effectivement recapitalisés.

1 Comment les sociétés se transforment-elles, comment la répartition des richesses devient-elle plus inégalitaire et comment saisir ces évolutions au-delà du mouvement brownien des destinées familiales, des ascensions et des déclins individuels ? Parmi le faisceau d’explications circonstancielles mobilisées par les économistes pour rendre compte des variations de la distribution des richesses (impact des changements techniques, de la mondialisation, de l’accès à la formation et à l’emploi, etc.), Thomas Piketty en privilégie une, plus constante : la dynamique de recapitalisation des gros patrimoines issus du passé, hérités, dans un contexte de croissance économique et démographique atone et de faible taxation du capital (soit la majeure partie de l’histoire de l’humanité [1]). Bâtie à partir de données sur les XIXe et XXe siècles, la démonstration étaie la proposition, déjà formulée ailleurs par l’auteur, d’une imposition progressive du capital, correctif bénin d’un accroissement excessif et néfaste des inégalités patrimoniales [2].

2 Au-delà de cette dimension prescriptive de l’ouvrage qui ne laisse pas indifférent le citoyen, le facteur essentiel du creusement des écarts patrimoniaux dont T. Piketty analyse les implications à long terme constitue, pour les historiens notamment, une variable explicative stimulante, à même de redonner vigueur aux grandes enquêtes sérielles d’histoire économique et sociale. Ainsi, les conditions optimales du processus d’accroissement patrimonial analysées dans Le capital au XXIe siècle sont de toute évidence réunies à l’époque moderne : la période était traversée de guerres, les décollages économiques et démographiques étaient des exceptions localisées et le plus souvent réversibles, la répartition des richesses était très inégalitaire et la structure de l’impôt profondément régressive (taxation indirecte dominante, exemptions fiscales étendues de l’impôt direct, émergence tardive et incomplète des impôts universels, absence d’imposition des successions) [3]. Les sociétés européennes d’Ancien Régime offrent en quelque sorte un cas d’école pour éprouver la validité de la mécanique d’hyperconcentration patrimoniale qui a profité aux grandes fortunes. Pour autant, serait-il pertinent et surtout envisageable, pour un historien moderniste, de conduire une enquête analogue à celle que T. Piketty a menée pour les XIXe et XXe siècles ? Les caractéristiques qui viennent d’être mentionnées, dont la conséquence est la carence de données fiscales d’ensemble, proscrivent d’emblée une simple transposition en amont des méthodes employées pour les XIXe et XXe siècles. Accoutumés à contourner ces lacunes documentaires et à manier des sources moins homogènes, les historiens modernistes ont abordé ce problème sous des angles différents et complémentaires : celui des systèmes d’héritage et des coutumes qui réglaient la dévolution des biens entre héritiers ; celui des stratégies familiales et individuelles susceptibles de rendre compte des aléas patrimoniaux de toutes sortes (perpétuation, augmentation ou déclin d’une fortune sur le moyen terme) ; celui des transferts marchands, des marchés, des prix et des rendements des biens.

3 Les analyses de T. Piketty font aussi place à ces facteurs explicatifs. Cependant, la nature formelle des régimes politiques (sauf s’ils mettent en œuvre des correctifs patrimoniaux tels qu’une taxation plus que symbolique des successions), l’encadrement légal de la transmission des biens, les procédés mêmes par lesquels les plus riches bâtissaient leur avenir successoral pour éviter la dispersion de leur fortune pèsent peu par rapport à cette toile de fond des rendements supérieurs du capital hérité qui constituent pour l’économiste-historien la force de divergence patrimoniale déterminante [4]. Mon propos est donc d’explorer les voies qui permettraient aux historiens de saisir ce soubassement du processus d’accentuation des inégalités économiques, imperceptible à l’échelle des comportements individuels, si élaborés soient-ils, mais aussi de comprendre si une telle approche autoriserait à rendre compte plus efficacement de la concentration extrême de la richesse au sein des sociétés de l’époque moderne. En partant de l’état des connaissances sur les caractéristiques des grandes fortunes d’Ancien Régime et des conditions qui permettaient aux gros patrimoines de prospérer, ainsi que des pratiques matrimoniales et patrimoniales qui concouraient au cumul d’héritages, j’examinerai de quelle manière on peut, en croisant les données disponibles sur les stocks de richesse et celles qui sont relatives aux rendements des biens, éprouver cette hypothèse pour l’intégrer aux analyses historiques.

La longue durée et le renouvellement des grandes fortunes

4 Les sociétés d’Ancien Régime réunissaient a priori les principales conditions favorables à la perpétuation des grandes fortunes : un stock élevé et fortement concentré de richesses privées transmissibles, une taxation que l’on peut considérer d’emblée comme globalement régressive (avec le poids croissant des impositions indirectes sur les biens de consommation courante [5] et une ligne de partage fondamentale entre exemptés et contribuables qui variait à peine d’un pays à l’autre), un taux de mortalité élevé qui concourait à canaliser les flux successoraux sur un nombre restreint d’héritiers (en dépit du taux de natalité élevé lui aussi), sans compter les pratiques matrimoniales et les dispositions testamentaires qui tendaient clairement à cette fin. En dehors d’initiatives épisodiques et éphémères, l’absence de taxation des successions en ligne directe, dispensées, même pour la France, du droit d’enregistrement léger du centième denier qui frappait les autres transferts de biens, et le cadre légal autant que coutumier favorisaient la transmission familiale des richesses dans une mesure non négligeable [6].

L’approche micro : des repères utiles

5 Il est presque impossible d’avoir, sur une durée de deux ou trois siècles, une vision d’ensemble de l’évolution des grandes fortunes, au-delà des cas qui ont donné lieu à des monographies. Cela tient autant à des raisons documentaires et historiographiques qu’à une conception trop rigide de la reproduction sociale et de la perpétuation des fortunes, qui n’impliquent pourtant nullement la transmission immuable des mêmes biens d’une génération à l’autre [7]. L’analyse des stocks de richesse et des revenus qu’ils produisent est en soi riche d’enseignements quant à la composition des fortunes, au poids respectif des biens hérités et des acquêts, sous réserve de les examiner avec la rigueur méthodologique qui convient. Il ne suffit pas, insistons sur ce point, de classer les biens d’un inventaire après décès par catégories ni d’additionner leurs valeurs estimées pour obtenir un ordre de grandeur des fortunes, ni même de confronter, ce qui est cependant préférable, cette fortune à la masse successorale effectivement partagée entre les héritiers. Cet exercice ne vaut que si toutes les formes de dévolution anticipée de l’héritage, les donations faites du vivant du couple des propriétaires de la fortune, les dots civiles et religieuses données aux enfants ou aux collatéraux sont rapportées au montant successoral [8]. Il est d’ailleurs heureux de retrouver cette rigueur qui s’est parfois perdue dans les travaux historiques comme une évidence sous la plume d’un économiste, qui y est d’autant plus sensible que les donations ante mortem s’accroissent et représentent la moitié des flux successoraux actuels [9].

Modernité du capital : des révisions d’importance

6 La connaissance du détail de la composition des fortunes a permis d’invalider des hypothèses qui ont eu leur heure de gloire historiographique, comme celle de noblesses presque exclusivement propriétaires de terres et par là très exposées aux oscillations des rendements de ce capital, lui-même hautement dépendant des conditions climatiques favorables, ou non, aux récoltes et à la vente à bon prix des productions agricoles [10]. Le premier centile et même le premier décile des plus riches de l’époque moderne (globalement le milieu des aristocraties terriennes, des marchands-banquiers, des grands négociants, des titulaires de grands offices) possédaient des actifs plus composites, dont les fortunes au décès ne donnent qu’une vision tronquée, car elles n’informent guère sur les flux de revenus qui les ont alimentées dans le passé. Qui plus est, une partie de ces biens, comme les offices vénaux, les stocks des négociants, les titres de dette à court terme, ont disparu lorsque la mort survient à un âge avancé. En effet, si la terre et les revenus de la rente foncière occupaient une place déterminante au sommet de l’échelle des fortunes un peu partout en Europe (sauf pour les patriciats de petites cités-États comme Gênes ou Venise, où le foncier était une ressource rare et où le palais urbain tenait lieu de principale propriété immeuble [11]), on sait désormais que les participations aux activités financières, aux prêts aux souverains et aux particuliers, aux investissements dans les compagnies commerciales, aux activités de négoce et de change n’étaient pas insignifiantes.

7 Loin d’être des reliquats féodaux d’une puissance désuète, les grandes fortunes se sont recomposées à l’époque moderne. Avec l’essor de la vie de cour qui s’est accompagné de la migration des aristocraties dans les capitales, l’immeuble ou l’hôtel urbain et le château dans l’orbite de la résidence des souverains sont devenus une composante obligée des patrimoines dans les grands États territoriaux. Cette transformation a eu, par exemple, des conséquences majeures sur le mouvement des prix des seigneuries relativement proches de Paris, rarement mises en vente, à tel point que les acquéreurs recherchaient des biens dans une aire toujours plus vaste. Surtout, les patrimoines des très riches se sont financiarisés, sous l’impulsion des guerres qui accroissaient les besoins de financement des États. Dans ces sociétés d’épargne très concentrée, les principaux bailleurs de fonds des souverains emprunteurs se trouvaient – faut-il s’en étonner ? – parmi les plus fortunés. Ceux-ci investissaient dans les prêts à court et à long terme sous le couvert de sociétés de financiers en France, de monied companies à Londres, de banquiers à Rome, ou, par l’intermédiaire de syndicats de financiers, de marchands, de banquiers (souvent les mêmes), dans la levée des taxes concédées par les États pour anticiper les recettes fiscales à venir et se décharger des coûts de collecte [12].

8 La concentration patrimoniale s’est ainsi accélérée, pour une fraction très étroite de la société aristocratique, avec l’intégration d’actifs créés par la puissance publique, rentes constituées, offices vénaux, charges. Le développement de la vénalité des grands offices et des charges, dans les États où elle était légale ou coutumière (Rome, France, Castille par exemple), s’est aussi soldé par un processus de patrimonialisation de ces biens, appropriés par des familles qui transmettaient davantage qu’elles ne vendaient. La propriété du capital correspondant à la finance de ces offices était de toute façon sécurisée, ce qui a abouti, en France, à une envolée des prix marchands des plus prestigieux de ces biens, devenus vite hors de portée des groupes sociaux qui pouvaient encore les acquérir un siècle plus tôt, jusqu’à ce qu’un coup d’arrêt soit porté à ce mouvement spéculatif en 1665 [13]. La fermeture de l’accès aux grandes charges de cour, qui dépendaient de la faveur royale et demeuraient a priori étrangères à cette transmission intergénérationnelle, procédait d’un mode d’assurance parallèle, le roi accordant des brevets de retenue qui consignaient non la totalité de la valeur marchande de la charge, mais la partie remboursable en cas de dépossession au profit d’un nouveau titulaire [14]. Les montants de ces brevets, accordés par le souverain, permettaient de limiter le préjudice économique subi par les familles susceptibles d’être destituées ou de leur tenir lieu de garantie hypothécaire pour emprunter. Or la valeur marchande des brevets de retenue des offices les plus prestigieux de la cour et des grands gouvernements militaires de province a atteint des sommets aux XVIIe et XVIIIe siècles, ce qui les a confinés dans un milieu toujours plus restreint. Ajoutés aux lettres de survivance qui garantissaient la transmission des charges à un héritier, ces brevets à la valeur exorbitante ont figé la circulation des grands offices de la cour, dont plusieurs ont été détenus en succession patrilinéaire directe du règne de Louis XIV à la Révolution. Certes, l’accès aux faveurs de la cour avait un coût, à commencer par celui des consommations somptuaires auxquelles les courtisans étaient astreints, dont on a pu faire la cause universelle de ruine ou de dépendance de l’aristocratie curiale, alors que ce coût a surtout creusé l’écart entre les familles qui pouvaient maintenir leur rang et augmenter leur capital et les autres.

9 Loin d’être purement honorifiques, les actifs créés par l’État sont à prendre en compte dans l’observation, car ils produisaient des revenus, avaient une valeur marchande et entraient, tout autant que les terres et seigneuries, dans les montages des plus riches pour bâtir et contrôler leur devenir patrimonial. La soustraction partielle des biens les plus rares à la redistribution ou au marché de la revente et la dévolution programmée de l’héritage qui tendait au même effet ont focalisé l’attention des historiens, qui y ont vu un accélérateur majeur de la concentration patrimoniale.

Capitalisations matrimoniales et patrimoniales : deux amplificateurs des écarts de fortune

10 Dans nombre de pays de l’Europe moderne, mais de façon non simultanée, les très riches ont infléchi leurs pratiques matrimoniales et successorales afin de cumuler les héritages et de conjurer les principales menaces qui pouvaient entraver leur perpétuation : l’émiettement par les partages, la dispersion par un héritier prodigue, les aléas biologiques d’une absence de descendance qui recueille l’héritage, le risque de saisie et de vente forcée en cas d’insolvabilité, le risque de marché enfin, c’est-à-dire celui de voir la valeur marchande de ce capital fluctuer (à la baisse) avec la diminution de ses rendements.

Alliances, captations d’héritages et malthusianisme matrimonial

11 Des évolutions comparables des stratégies d’alliances se sont dessinées un peu partout en Europe, afin de marier moins d’enfants pour unir de façon plus avantageuse ceux par lesquels la puissance patrimoniale d’un lignage était appelée à se prolonger ou à augmenter. Un tel phénomène, là où il a pu être observé, s’est traduit par l’augmentation du célibat des cadets, la raréfaction des alliances hypogamiques des filles, le gonflement du montant des dots [15] et une course à l’héritière dont l’objet était la captation du patrimoine d’un lignage sans descendance masculine (au point que les hommes seuls, sans capital, ne dédaignaient pas la solution ultime du rapt [16]). Les archives privées des familles les plus heureuses dans cette bataille matrimoniale portent encore la trace de ces cumuls de patrimoines entrés par l’alliance et la succession.

12 De telles pratiques aggravaient la précarité biologique des familles : en mariant moins, on réduisait le nombre d’héritiers potentiels. La concentration du flux successoral au profit d’un héritier principal était à haut risque et produisait des effets analogues à l’un des facteurs ultérieurs de la divergence patrimoniale analysés dans Le capital au XXIe siècle, à savoir un taux de natalité faible. Aussi le pendant de cette inflexion des pratiques matrimoniales de l’époque moderne a-t-il été l’essor des mises en réserve fidéicommissaire des biens, forme plus radicale de concentration de l’héritage doublée d’une désignation anticipée des héritiers, qui revenait à priver les générations à venir de leur capacité à disposer des biens. T. Piketty observe les effets au XIXe siècle de ces dispositifs qui conduisaient Thomas Jefferson à déplorer que l’avenir fût balisé par les morts [17]. Ces substitutions d’héritiers font aussi l’objet d’une attention renouvelée des historiens modernistes, mais elles leur posent de redoutables problèmes lorsqu’il s’agit d’estimer la valeur des biens concernés.

Substitutions, fidéicommis, majorats, entails : des patrimoines inaliénables, insaisissables, inestimables

13 Les dispositions fidéicommissaires plaçaient leurs bénéficiaires successifs en position de dépositaires, usufruitiers de biens inaliénables. Ceux-ci ne pouvaient ni être vendus, ni être utilisés comme collatéraux d’emprunts, à moins d’obtenir une autorisation expresse du souverain, qui fixait les cadres normatifs des fidéicommis (et leurs équivalents) et imposait leur enregistrement afin de les rendre publics. À l’instant de leur intégration à un fidéicommis, ces capitaux devenaient intouchables, ne pouvaient faire l’objet de saisies judiciaires des créanciers [18]. Soustraits aux transactions qui impliquaient leur estimation ou leur prisée, ils se trouvaient de facto préservés des oscillations de leurs prix marchands, gelés à leur valeur conventionnelle, celle du temps de la fondation. C’est une sérieuse difficulté pour estimer l’ampleur des patrimoines immobilisés, la valeur originelle du capital étant souvent la seule donnée disponible, alors qu’elle peut avoir varié considérablement en deux ou trois générations.

14 Il est notoire qu’une part écrasante du capital foncier et des immeubles urbains se trouvait immobilisée au XVIIIe siècle. C’est justement à ce moment-là que, dans la lignée de la critique de l’économie politique qui dénonçait les effets funestes de cette soustraction des biens à la sphère du commerce, plusieurs États décidèrent de limiter la durée des fidéicommis et/ou d’en réserver l’usage à l’aristocratie. Ce blocage concernait également les biens fonciers considérables du clergé et des institutions hospitalières, de mainmorte et d’assistance, eux aussi indisponibles à la vente ou à la saisie sans autorisation du pouvoir politique [19]. Cet angle mort de l’observation historienne (sensiblement le même que pour des transferts successoraux sans partage ni inventaire à un descendant unique) ne peut être contourné qu’en procédant à la conversion en capital des rendements annuels de ces biens (lorsqu’ils sont disponibles), en adoptant les méthodes et les critères des experts de l’estimation qu’étaient les notaires. Cela suppose de nouer l’approche des stocks de richesse et celle des rendements d’une manière presque artisanale, ne serait-ce que pour comprendre si ces propriétés autour desquelles s’organisaient les tractations matrimoniales et des dispositions successorales d’une rare complexité procuraient à leurs détenteurs un rendement plus élevé que d’autres et concouraient à la dynamique inégalitaire. La question des rendements des biens identifiés comme les actifs présents avec des proportions variables dans toutes les grandes fortunes est cruciale dans l’ouvrage de T. Piketty. Celui-ci récuse en effet l’hypothèse habituelle des modèles économiques d’un rendement moyen identique du capital pour tous ses détenteurs, petits ou gros, et soutient à l’inverse que l’inégalité des rendements du capital constitue un autre facteur essentiel de divergence de la répartition des richesses [20].

Les rendements du capital : un catalyseur de la divergence patrimoniale à l’époque moderne ?

15 Deux questions essentielles se posent dans une enquête qui aurait pour ambition de répondre à cette interrogation : d’une part, elle requiert une maîtrise de la conjoncture des prix marchands des biens équivalents à partir desquels des extrapolations peuvent être faites (comme le faisaient les notaires et autres experts) ; d’autre part, elle suppose de saisir ce qui, dans ces patrimoines composites, procurait les rendements les plus élevés.

Stocks de richesses et flux de revenus : des conversions problématiques

16 La simplicité de la démarche n’est qu’apparente. Se reporter au prix d’expert, celui des notaires, lors des partages par exemple, sans s’intéresser à leurs procédures d’évaluation, expose au risque de ne pas comprendre les litiges suscités par des estimations jugées défectueuses, ni les différences entre les estimations amiables et les prix marchands. Or les manuels à l’usage des notaires sont peu explicites et les régularités observées parmi les actes de la pratique constituent la principale indication disponible (avec les contestations judiciaires). Pour résumer à gros traits, les notaires utilisent les rendements des biens, qu’ils multiplient par un denier correspondant au délai de récupération du capital. Par exemple, le denier 20 est modal pour l’estimation du rendement des loyers des maisons, d’une terre ou des rentes constituées (c’est l’inverse du taux d’intérêt nominal, de 5 % pour les rentes dans ce cas) [21]. L’opération est moins simple dès qu’il s’agit d’estimer des biens porteurs de dignité, des offices de judicature prestigieux, des terres titrées auxquelles sont associés des droits seigneuriaux, des droits de basse ou haute justice qui entrent en ligne de compte dans les calculs ou occasionnent parfois la contestation d’un partage. Les variations de la productivité agricole et des prix de vente des produits sont telles qu’il est usuel de considérer qu’un rendement annuel moyen oscillant autour de 3,5 % est correct pour les terres, d’autant qu’elles occasionnent des coûts d’entretien. Cet ordre de grandeur a précisément l’inconvénient d’être un rendement moyen, qui ne rend pas compte de la supériorité éventuelle des grandes propriétés foncières, sur lesquelles on dispose de travaux monographiques aux résultats contradictoires, du moins pour les biens rendus inaliénables [22].

17 Quant aux actifs financiers de l’époque moderne, ils offraient des rendements volatils, variables d’un pays à l’autre et selon la conjoncture, irréductibles en tout état de cause à un rapport moyen. Ils sont un observatoire intéressant à plusieurs égards. Déjà possédés pour une part écrasante (autant sinon plus que les biens fonciers), par les propriétaires de très gros patrimoines, ils ont pu se diffuser sous leur forme banale de rente publique au sein d’un public de petits porteurs, mais l’essentiel des volumes des titres de dette à long terme était aux mains d’une étroite élite (de 1 à 3 % des sujets dans la plupart des pays émetteurs) [23]. Ils redirigeaient donc une part croissante du produit des taxes dans les mains de ceux qui n’étaient que faiblement assujettis à l’impôt. En outre, ils pouvaient procurer des rendements très élevés, comme toutes les participations au financement des États en guerre.

Les emprunts de guerre, une source de profits incomparables

18 De toute évidence, même si le cas de la France était parmi les plus extrêmes, les emprunts des souverains en guerre offraient les opportunités de placement de l’épargne les plus profitables pour les plus riches. Les conflits militaires entraînaient une hausse subite du coût de l’argent, anticipée par les gros détenteurs d’espèces métalliques, qui n’ouvraient leurs bourses qu’avec les offres de rendement élevé et fournissaient l’essentiel des volumes d’argent levés dans l’urgence par les belligérants.

19 C’est par une approche de type micro que peuvent être mesurés les écarts de rendement effectif entre les petits porteurs et les puissants, y compris lors des défauts sélectifs de l’emprunteur [24]. Il faut aussi entrer dans le détail des conditions d’emprunt pour prendre la pleine mesure de la profitabilité de ces investissements. En effet, la vente au rabais des titres de dette était un procédé usuel pour éviter de faire monter le taux d’intérêt, d’autant qu’il était intrinsèquement lié à celui des emprunts à court terme, qui devenait exorbitant à la fin des longs conflits (de l’ordre de 20 à 25 % dans les années 1650 pour la France). La différence entre le taux d’intérêt nominal et le rendement réellement servi était sans conteste particulièrement marquée en France, mais elle s’observe même en Angleterre, sous des formes similaires, celles de primes d’émissions diverses qui créent des distorsions entre les capitaux effectivement versés par les acquéreurs et la valeur faciale des titres [25]. Un exemple donne une idée de la réalité des rendements masqués par les taux d’intérêt officiels : au terme d’un processus séculaire de baisse du taux d’intérêt légal (à 5 %), la détérioration des conditions d’emprunt était telle en France à la fin du XVIIe siècle que la monarchie offrait (seulement à ceux qui possédaient déjà des titres) des rentes perpétuelles au taux maximal de 8,33 % pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), taux qui était déjà considéré comme usuraire par le surintendant des finances Sully à l’orée du XVIIe siècle. Si l’on songe que les plus grosses fortunes fournissaient en outre, par l’intermédiaire des financiers signataires des contrats, une fraction importante des prêts à court terme dont la profitabilité était encore supérieure (sans que cette participation apparaisse, sinon de façon accidentelle ou marginale, dans les actes notariés et les inventaires après décès), on peut avancer que la guerre et l’endettement public qu’elle provoquait ont été, en raison de leurs effets anti-redistributifs redoublés par le fait qu’ils étaient adossés partout à la fiscalité indirecte, de puissants accélérateurs de la divergence patrimoniale à l’époque moderne.

20 Aller au-delà de cette exploration partielle des conditions dans lesquelles la mécanique inégalitaire a pu jouer et renforcer la concentration des richesses suppose donc de multiplier les investigations qui croisent les cartographies de la distribution des éléments composites entrés dans les grosses fortunes, les rendements changeants qu’ils procuraient à leurs propriétaires, leurs prix marchands ou leurs estimations amiables. Une telle entreprise, compliquée par la dispersion des sources, l’usage répandu des prête-noms, le masquage des rendements effectifs, changerait-elle fondamentalement les analyses des historiens, accoutumés à pointer d’autres ressorts de la reproduction sociale que la conjonction de facteurs permettant au capital de faire boule de neige [26] ? De fait, cette hypothèse de la dynamique de la richesse a l’avantage d’inviter à ressaisir ensemble, le cas des actifs financiers le montre, des phénomènes trop intrinsèquement liés pour que leur observation myope en histoire politique, institutionnelle, sociale, ou financière suffise à en rendre compte. L’activité guerrière intense des États modernes, avec son lot d’implications fiscales et financières, a sans doute été un facteur non moins décisif de reproduction et de concentration du capital que la distribution des postes de la cour, les stratégies matrimoniales et patrimoniales des acteurs, le cadre légal, coutumier, ou le privilège fiscal. Surtout, l’analyse approfondie de ce processus cumulatif et sa mesure dans la durée permettraient de démontrer que la pérennité et l’accroissement des gros patrimoines sont tout autre chose que la reproduction d’une société immobile, immuable, que la suprématie du capital hérité s’est entretenue en épousant les mutations du temps.


Mise en ligne 23/04/2015

Notes

  • [1]
     Thomas PIKETTY, Le capital au XXIe siècle, Paris, Éd. du Seuil, 2013, p. 558-561.
  • [2]
     S’il prend en compte les inégalités de revenus, c’est le patrimoine, plus concentré que les revenus, qui est l’objet principal des analyses.
  • [3]
     Une telle situation n’est certes pas une constante du XVIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, ni commune à tous les pays de l’Europe moderne, mais elle correspond du moins à ce qu’il était convenu d’appeler le « sombre XVIIe siècle ».
  • [4]
     T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 574 sq., en particulier n. 2, p. 578.
  • [5]
     Les taxes somptuaires, qui frappaient les consommations d’objets de luxe, constituent une exception à cette orientation régressive des impositions indirectes, mais leur produit demeurait marginal dans l’ensemble des revenus fiscaux en France, car elles servaient avant tout des objectifs de classification sociale et de contrôle du paraître, du moins jusqu’à la Révolution. En Angleterre, le poids relatif des taxes somptuaires dans l’ensemble du produit fiscal semble plus important. Daniel ROCHE, La culture des apparences. Une histoire du vêtement, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1989 ; Michèle FOGEL, « Modèle d’État ou modèle social de dépense ? Les lois somptuaires de 1485 à 1660 », in J.-P. GENET et M. LE MENÉ (éd.), Genèse de l’État moderne. Prélèvement et redistribution, Paris, Éd. du CNRS, 1987, p. 227-235 ; Maxine BERG et Helen CLIFFORD, « Luxury, Consumer Goods and British Taxation in the Eighteenth Century », in S. CAVACIOCCHI (éd.), La fiscalità nell’ economia europea, secc. XIII-XVIII, Florence, Firenze University Press, 2008, vol. 2, p. 1101- 1114.
  • [6]
     Des dispositions légales et coutumières, telles que celle du retrait lignager, visaient expressément à favoriser la conservation ou le retour dans un groupe familial de biens « propres » (échus en héritage) qui avaient fait l’objet d’une vente, en permettant au proche parent du vendeur de se substituer à l’acquéreur des biens, à condition de le rembourser, en vertu d’un droit collectif et prioritaire de la parenté sur le capital patrimonial du passé. Ce droit de retrait lignager ne pouvait s’appliquer qu’aux biens qui avaient le statut juridique d’immeubles, autrement dit au capital patrimonial par excellence. Robert Joseph POTHIER, « Traité des retraits », Traités sur différentes matières de droit civil appliquées à l’usage du barreau et de jurisprudence française, Paris/Orléans, Jean Debure/ Vve Rouzeau-Montaut, 1773, vol. 1, p. 707-905.
  • [7]
     Robert DESCIMON, « Les élites du pouvoir et le prince : l’État comme entreprise », in W. REINHARD (dir.), Les élites du pouvoir et la construction de l’État en Europe, trad. par H. Aji, Paris, PUF, 1996, p. 133-162.
  • [8]
     Pour la méthode mise en œuvre et expliquée, voir Daniel DESSERT, « Pouvoir et finance au XVIIe siècle : la fortune du cardinal Mazarin », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 23-2, 1976, p. 161-181.
  • [9]
     T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 624.
  • [10]
     Lawrence STONE, The Crisis of Aristocracy, 1558-1641, Oxford, Clarendon Press, 1965 ; Davis BITTON, The French Nobility in Crisis, 1560-1640, Stanford, Stanford University Press, 1969 ; Erlig LADEWIG PETERSEN, « La crise de la noblesse danoise entre 1580 et 1660 », trad. par N. Godneff, Annales ESC, 23-6, 1968, p. 1237-1261 ; François BILLACOIS, « La crise de la noblesse européenne (1550-1650). Une mise au point », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 23-2, 1976, p. 258-277 ; Denis CROUZET, « Recherches sur la crise de l’aristocratie en France au XVIe siècle : les dettes de la maison de Nevers », Histoire, économie et société, 1-1, 1982, p. 1-51.
  • [11]
     Jean-François CHAUVARD, La circulation des biens à Venise. Stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750), Rome, École française de Rome, 2005.
  • [12]
     Bartolomé YUN-CASALILLA, « Introduction », in B. YUN-CASALILLA et P. O’BRIEN (éd.), The Rise of Fiscal States : A Global History, 1500-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 1-35 ; Patrick O’BRIEN, « Historical Conditions for the Evolution of a Successful Fiscal State : Great Britain and its European Rivals from the Treaty of Munster to the Treaty of Vienna », in S. CAVACIOCCHI (éd.), La fiscalità..., op. cit., vol. 1, p. 131-151. Pour une analyse fouillée du cas français et de ce système fisco-financier, dont une partie des caractéristiques sont communes à d’autres États modernes, voir Daniel DESSERT, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984.
  • [13]
     Robert DESCIMON, « La haute noblesse parlementaire parisienne. La production d’une aristocratie d’État aux XVIe et XVIIe siècles », in P. CONTAMINE (éd.), L’État et les aristocraties, XIIe-XVIIe siècle. France, Angleterre, Écosse, Paris, Presses de l’ENS, 1989, p. 357-384. La vénalité légale des offices de justice, instaurée en 1604, garantissait aux familles de pouvoir résigner l’office en faveur d’un tiers ou de le vendre en cas de décès moyennant le versement d’une taxe annuelle calculée en fonction de la valeur de l’office.
  • [14]
     Roland MOUSNIER, La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, Paris, PUF, [1946] 1971.
  • [15]
     R. Descimon a relevé ce décollage du montant des dots pour la haute noblesse parlementaire parisienne au XVIIe siècle, dont la valeur moyenne a décuplé en un siècle, avec un doublement approximatif tous les vingt ans ; voir R. DESCIMON, « La haute noblesse... », art. cit.
  • [16]
     Danielle HAASE-DUBOSC, Ravie et enlevée. De l’enlèvement des femmes comme stratégie matrimoniale au XVIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1999 ; Michel NASSIET, Parenté, noblesse et États dynastiques, XVe-XVIe siècles, Paris, Éd. de l’EHESS, 2000.
  • [17]
     T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 574-582 et 722. Des dispositions similaires sont mises en œuvre par le fedecommesso en Italie, le mayorazgo en Espagne, la substitution en France, l’entail en Angleterre. Pour un état des connaissances actuelles et une bibliographie à jour concernant l’Europe méditerranéenne, voir Jean-François CHAUVARD, Anna BELLAVITIS et Paola LANARO, « De l’usage du fidéicommis à l’âge moderne. État des lieux », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, 124-2, 2012, p. 321-337 ; Jean-Pierre DEDIEU, « Familles, majorats, réseaux de pouvoir. Estrémadure, XVe-XVIIIe siècle », in J.-P. DEDIEU et J. L. CASTELLANO (dir.), Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, CNRS Éditions, 1998, p. 111-146 ; Marie-Laure MASSEI-CHAMAYOU, « L’économie successorale dans Pride and Prejudice », Revue de la société d’études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles, 63, 2006, p. 99-116.
  • [18]
     Les créanciers pouvaient en conséquence n’être payés qu’avec les revenus produits par le capital immobilisé dans un fidéicommis, et non avec ce capital lui-même.
  • [19]
     Venise et Rome ont gardé la possibilité d’une substitution à perpétuité, mais l’Autriche et la France ont limité la durée à deux générations, le Piémont et la Toscane à quatre, l’Angleterre à vingt ans après la mort du donateur ; voir J.-F. CHAUVARD, A. BELLAVITIS et P. LANARO, « De l’usage du fidéicommis... », art. cit. La France révolutionnaire, puis la plupart des autres États ont interdit ces substitutions d’héritiers au XIXe siècle.
  • [20]
     T. PIKETTY, Le capital..., op. cit., p. 686 sq.
  • [21]
     Nicolas LYON-CAEN, « Un prix sans aménité. L’indemnisation des propriétaires parisiens à la fin de l’Ancien Régime », Histoire et mesure, 28-1, 2013, p. 75-106 ; Id., « L’immobilier parisien au XVIIIe siècle, un marché locatif ? », Histoire urbaine, à paraître ; Pierre COUPERIE et Emmanuel LE ROY LADURIE, « Le mouvement des loyers parisiens de la fin du Moyen Âge au XVIIIe siècle », Annales ESC, 25-4, 1970, p. 1002-1023.
  • [22]
     Gérard BÉAUR et al., Property Rights, Land Markets, and Economic Growth in the European Countryside (13th-20th Centuries), Turnhout, Brepols, 2013.
  • [23]
     On dénombre environ 150 000 rentiers à la mort de Louis XIV, dans un royaume d’une vingtaine de millions de Français. Les chiffres disponibles sont de 10 000 pour l’Angleterre en 1709-1710, 40 000 en 1720, 60 000 à la veille de la guerre de Sept Ans (1756-1763), sur une population totale d’un peu moins de dix millions d’habitants. Dans les deux cas, et même en utilisant un coefficient multiplicateur pour obtenir le nombre de foyers, c’est bien une très mince élite qui acquiert ces rentes à l’origine.
  • [24]
     Voir les calculs concernant les défauts de paiement des rentes publiques françaises des années 1640-1660 dans Katia BÉGUIN, Financer la guerre au XVIIe siècle. La dette publique et les rentiers de l’absolutisme, Seyssel, Champ Vallon, 2012, p. 104-138.
  • [25]
     Gregory CLARK, « Debt, Deficits, and Crowding Out : England, 1727-1840 », European Review of Economic History, 5-3, 2001, p. 403-436 ; K. BÉGUIN, Financer la guerre..., op. cit., p. 245-254.
  • [26]
     Certes, il faudrait être en mesure de connaître la part de ces revenus des biens effectivement recapitalisés.
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