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Article de revue

Une souveraineté à l'encre sympathique ?

Souveraineté autochtone et appropriations territoriales dans les traités franco-africains au XIXe siècle

Pages 313 à 348

Notes

  • [1]
    Voir, par exemple, Daniel PHILPOTT, Revolutions in Sovereignty : How Ideas Shaped Modern International Relations, Princeton, Princeton University Press, 2001.
  • [2]
    Antony ANGHIE, « Finding the Peripheries : Sovereignty and Colonialism in Nineteenth-Century International Law », Harvard International Law Journal, 40-1, 1999, p. 1-71 ; Id., Imperialism, Sovereignty and the Making of International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
  • [3]
    Charles Henry ALEXANDROWICZ, « Treaty and Diplomatic Relations between European and South Asian Powers in the Seventeenth and Eighteenth Centuries », Recueil des cours de l’Académie de droit international, t. 100, Leyde, A. W. Sijthoff, 1961, p. 207- 320 ; Id., « Le droit des nations aux Indes orientales aux XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles », Annales ESC, 19-5, 1964, p. 869-884 ; Id., An Introduction to the History of the Law of Nations in the East Indies, 16th, 17th and 18th Centuries, Oxford, Clarendon Press, 1967.
  • [4]
    Id., « Le rôle des traités dans les relations entre les puissances européennes et les souverains africains. Aspects historiques », Revue internationale de droit comparé, 22-4, 1970, p. 703-709 ; Id., « The Partition of Africa by Treaty », Proceedings of the Symposium of the Colston Research Society, 25, 1973, p. 129-157 ; Id., The European-African Confrontation : A Study in Treaty Making, Leyde, A. W. Sijthoff, 1973.
  • [5]
    La première de ces deux approches renvoie aux techniques d’analyse des catégories coloniales mises en œuvre par le chef de file des historiens subalternistes indiens, Ranajit Guha, pour dégager de leur gangue discursive les faits rapportés par l’archive et reconstituer la figure des subalternes : Ranajit GUHA, Elementary Aspects of Peasant Insurgency in Colonial India, Delhi, Oxford University Press, 1983 ; sur l’ensemble de la démarche de R. Guha et des historiens subalternistes, voir Jacques POUCHEPADASS, « Les Subaltern Studies ou la critique postcoloniale de la modernité », L’Homme, 156, 2000, p. 161-186. Quant à la seconde approche, elle a été développée plus récemment par Ann Stoler dans une étude sur le fonctionnement de l’État colonial aux Indes néerlandaises : Ann Laura STOLER, Along the Archival Grain : Epistemic Anxieties and Colonial Common Sense, Princeton, Princeton University Press, 2009. Pour un exemple de la mise en œuvre de ces méthodes dans le contexte ouest-africain, voir David ROBINSON, Sociétés musulmanes et pouvoir colonial français au Sénégal et en Mauritanie, 1880-1920. Parcours d’accommodation, trad. par H. Tourneux, Paris, Karthala, [2000] 2004, qui expose les ressorts de la construction d’un savoir français sur les sociétés musulmanes ouest-africaines, la dépendance de ce savoir à l’égard des informateurs locaux et les limites de l’archive coloniale, en particulier p. 66-71 et p. 84-90.
  • [6]
    Romain BERTRAND, L’histoire à parts égales. Récits d’une rencontre Orient-Occident, XVIe-XVIIe siècle, Paris, Éd. du Seuil, 2011.
  • [7]
    Le corpus étudié comporte plus de 400 traités. L’ancienne base Choiseul des archives du ministère des Affaires étrangères, aujourd’hui fondue dans la base des Traités et Accords de la France, en recensait 170, disponibles en ligne : http://basedoc.diplomatie. gouv.fr/Traites/Accords_Traites.php. Un registre récapitulatif manuscrit conservé aux Archives du Sénégal en recense 300 entre la fin du XVIIIe siècle et 1879, pour l’Afrique occidentale et le Gabon, et indique leurs principales clauses sans en donner le texte intégral : ANS série D Sénégal, Affaires politiques et administratives, 10D1/59. Enfin, les Archives nationales du Sénégal (ci-après ANS) et les Archives nationales d’outre-mer (ci-après ANOM) recèlent d’autres pièces, dont certaines ne sont répertoriées dans aucun de ces instruments de travail et dont il n’a pas été possible de faire un inventaire exhaustif.
  • [8]
    Les traités mentionnés dans cet article, sauf indication contraire, figurent dans ANS 10D1/59, ici p. 44. Seule la sous-série sera mentionnée ci-après pour les traités réunis dans la série D.
  • [9]
    ANS 10D1/59, feuillets manuscrits insérés dans le registre.
  • [10]
    Mamadou DIOUF, Le Kajoor au XIXe siècle. Pouvoir ceddo et conquête coloniale, Paris, Karthala, 1990, p. 123-124 ; Boubacar BARRY, La Sénégambie du XVe au XIXe siècle. Traite négrière, Islam et conquête coloniale, Paris, L’Harmattan, 1988, p. 196-198 ; Georges HARDY, La mise en valeur du Sénégal de 1817 à 1954, Paris, É. Larose, 1921.
  • [11]
    ANS 10D1/59, p. 27.
  • [12]
    Sékéné Mody CISSOKO, Le Khasso face à l’Empire toucouleur et à la France dans le Haut-Sénégal, 1854-1890, Paris, ACCT/L’Harmattan, 1988.
  • [13]
    ANS 10D1/59, p. 135. Le surnom « Barbessin » pourrait être une transcription fautive du titre de Bour (roi) du Sine ou Bourba Sine.
  • [14]
    ANS 10D1/59, p. 131, traité passé entre le commandant de Gorée et Wagam Faye, roi de Sine, le 17 février 1837.
  • [15]
    ANS 10D1/59, p. 131.
  • [16]
    Cette intervention constituait un tournant dans la politique des traités suivie jusque-là : Faidherbe avait énoncé clairement son intention « de déclarer nuls les traités et conventions passés pendant les dernières années, pour la régulation des coutumes à payer aux chefs de ces pays en échange de la sécurité promise par ces derniers, et d’établir nos relations futures sur des termes nouveaux et plus dignes », cité par Martin A. KLEIN, Islam and Imperialism in Senegal, Sine-Saloum, 1847-1914, Stanford, Stanford University Press, 1968, p. 55.
  • [17]
    Annales sénégalaises de 1854 à 1885, suivies des traités passés avec les indigènes, Paris, Maisonneuve frères et C. Leclerc, 1885, p. 406-407. Seul le traité avec le Cayor est reproduit, mais les autres sont de même facture. Sur l’expédition miliaire, voir Yves SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire. Naissance d’un empire colonial, 1850- 1871, Paris, Karthala, 1989, p. 416-423.
  • [18]
    ANS 10D1/65, convention entre le gouverneur Charmasson et les chefs des villages de Bisséri (Yabou), Dingavare (Sébéti) et Sandignéry (Dhiénou) en Haute-Casamance, signée à bord de L’Érèbe, le 21 décembre 1839 ; ANS 10D1/62, chemise 12, Casamance 1838-1897, dossier 1, 1838-1839, traités et conventions divers passés avec les chefs de la Casamance et du Rio Nunez. Copies littérales non signées.
  • [19]
    ANS 10D1/65. La concession ne s’étend que sur cent mètres de profondeur pour deux autres villages, Somboudou et Pacao.
  • [20]
    ANS 10D1/65. La « barre » ou barre de fer sert d’unité monétaire. Elle est ensuite convertie en un assortiment de marchandises qui peut comprendre des pagnes de coton de différentes qualités, de la poudre, des « fusils de traite », de l’eau-de-vie, du tabac, etc. L’alcaty est un dignitaire local, souvent un lettré faisant office de secrétaire. Au bas de ces traités, les chefs ont apposé leur marque en forme de croix, tandis que les alcatys signaient de leur nom en arabe. Voir figure 1, p. 337.
  • [21]
    ANS 10D1/65, exemplaire de Sandignéry.
  • [22]
    Base des Traités et des Accords de la France, TRA18380013/001, convention avec les frères Blackwill, chefs du pays de Garroway, 14 décembre 1838 ; ANS 10D1/59, p. 157, convention passée avec le roi Denis, 9 février 1839.
  • [23]
    Base des Traités et des Accords de la France, TRA18420007, traité relatif à la souveraineté sur le territoire de Garroway, 7 février 1842.
  • [24]
    ANS 10D1/59, p. 157, traité passé entre les délégués du commandant Édouard Bouët et Peter, roi du Grand-Bassam, et les chefs du pays, 19 février 1842.
  • [25]
    ANS 10D1/59, p. 157, traité passé entre le commandant Bouët et le roi Louis, chef de la rive droite du Gabon, 18 mars 1842.
  • [26]
    Sur la prise de décision et la campagne d’établissement des forts, voir Bernard SCHNAPPER, La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée de 1838 à 1870, Paris, Mouton, 1961, qui montre que la décision, politique, fut essentiellement motivée par la concurrence anglaise dans la région, que Bouët avait bien mise en évidence, alors que les maisons de commerce bordelaises et les traitants de Gorée ne montraient pas un grand enthousiasme à l’égard du projet, les nouveaux établissements étant trop éloignés de leurs circuits commerciaux.
  • [27]
    ANS 10D1/59, p. 157, traité avec le roi et les chefs d’Assinie, 16 mars 1844.
  • [28]
    B. SCHNAPPER, La politique et le commerce français..., op. cit., p. 69-70.
  • [29]
    ANOM FM SG SEN/III/5B, rapport Broquant, p. 96, cité par B. SCHNAPPER, La politique et le commerce français..., op. cit., p. 21, n. 1.
  • [30]
    ANS 10D1/0060, p. 12, traités et conventions avec différents chefs des Rivières du Sud, du 8 février 1785 au 16 août 1849.
  • [31]
    C. H. ALEXANDROWICZ, The European-African Confrontation..., op. cit.
  • [32]
    Ibid., p. 14-17.
  • [33]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 126-127.
  • [34]
    Emmanuel BERTRAND-BOCANDÉ, « Carabane et Sédhiou. Des ressources que présentent dans leur état actuel les comptoirs français établis sur les bords de la Casamance », Revue coloniale, XVI, 1856, p. 398-421 ; Id., « Notes sur la Guinée portugaise ou Sénégambie méridionale », Bulletin de la société de géographie, 3e série, 1849, 11, p. 265-350, et 12, p. 57-93.
  • [35]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 265-266, 402-405, 454 et 458-459.
  • [36]
    ANS 10D1/62, chemise 12.
  • [37]
    ANS 13G2, traité conclu avec les chefs de Cagnut le 25 mars 1851, cité par Moustapha KEBE, « La domination coloniale française en Basse Casamance, 1836-1960 », thèse de doctorat de troisième cycle, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2006.
  • [38]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 186.
  • [39]
    Ibid. La Basse-Casamance était particulièrement difficile à appréhender pour les Français en raison de son morcellement politique, chaque village constituant une unité politique autonome. Voir Peter MARK, A Cultural, Economic and Religious History of the Basse Casamance since 1500, Wiesbaden/Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1985 ; Christian ROCHE, Histoire de la Casamance. Conquête et résistance, 1850-1920, Paris, Karthala, 1985 ; Séverine AWENENGO DALBERTO, « Les Joola, la Casamance et l’État au Sénégal (1890- 2005) », thèse d’histoire, Université Paris 7-Denis Diderot, 2005.
  • [40]
    ANS Sénégal 10D1/65 et 13G4, traité conclu avec le village de Thiong le 5 mai 1860. Les traités signés dans les années 1860-1865 en Basse-Casamance portent la marque d’une situation conflictuelle : des villages s’étaient soulevés contre les empiétements territoriaux précédemment consentis, s’en étaient pris à des commerçants européens et avaient subi des expéditions punitives en représailles. Voir M. KEBE, « La domination coloniale française... », op. cit., p. 107-108.
  • [41]
    ANS 10D1/59, p. 149-152.
  • [42]
    ANS 10D1/59, p. 163-166.
  • [43]
    ANOM, Gabon I/9h, lettre de l’amiral Bourgois au ministre de la Marine, 29 juin 1870, citée par B. SCHNAPPER, La politique et le commerce français..., op. cit., p. 60.
  • [44]
    C. H. ALEXANDROWICZ, The European-African Confrontation..., op. cit., p. 62 (« Legal terminology was obviously not a significant weapon in the colonial officer’s professional armory ») et p. 80 (« It has been often maintained that the Africans did not understand international law in detail but we may wonder whether European colonial negociators had grasped the meaning of the law »).
  • [45]
    François GAIRAL, Le protectorat international. La protection-sauvegarde, le protectorat de droit des gens, le protectorat colonial, Paris, A. Pédone, 1896.
  • [46]
    ANS 10D1/59, p. 157, traité signé le 14 décembre 1838 à bord du brick La Malouine, entre Bouët et les frères Blackwill, répertorié comme « protectorat » dans la base des Traités et Accords de la France, TRA18380013.
  • [47]
    Base des Traités et Accords de la France, TRA18420007, traité signé à bord du Nisus, au mouillage de Garroway le 7 février 1842, par Bouët et par le roi Guillaume, dit Will, aîné des Blackwill et son jeune frère. Le contexte dans lequel ont été établis les traités de Bouët entre 1842 et 1844 a été présenté plus haut, et la part de la pression militaire dans leur acceptation n’est pas douteuse.
  • [48]
    La plupart des chefs des États musulmans d’Afrique de l’Ouest portaient le titre d’almamy, équivalent de l’arabe al imam.
  • [49]
    Traité de paix avec le chef du Dimar, 18 juin 1858 ; traité de paix avec le chef du Toro, 10 avril 1859 ; traité de paix avec le Damga, 10 septembre 1850. Tous ces traités, signés par Faidherbe, sont reproduits dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 425-426 et 428.
  • [50]
    Traité de paix avec le Fouta, 15 août 1859, publié dans les Annales sénégalaises, op. cit., p. 426-427.
  • [51]
    Annales sénégalaises, op. cit., p. 428 pour le Dimar, p. 431-432 pour le Toro et p. 432 pour le Damga. Voir aussi ANS 13G5.
  • [52]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 489-490.
  • [53]
    Ibid.
  • [54]
    Christian SCHEFFER (éd.), Instructions générales données de 1763 à 1870 aux gouverneurs et ordonnateurs des établissements français en Afrique occidentale, t. II, 1831-1870, Paris, Société de l’histoire des colonies françaises, 1927, p. 364.
  • [55]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 330 et 524.
  • [56]
    Traité du 12 janvier 1871, publié dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 411.
  • [57]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 592-595.
  • [58]
    Lettre du ministre de la Marine et des Colonies au gouverneur du Sénégal et dépendances, Paris, le 26 mai 1870, in C. SCHEFFER (éd.), Instructions générales..., op. cit., t. II, p. 401.
  • [59]
    ANS 10D1/59, p. 67 et 69, traités du 24 octobre 1877 avec l’Irlabé et le Lao.
  • [60]
    Traité avec le teigne du Baol, 8 mars 1883, reproduit dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 419-420, et disponible dans la base des Traités et Accords de la France, TRA18830015.
  • [61]
    Base des Traités et Accords de la France, TRA18910025, traité de protectorat et de commerce avec le chef de la ville de San, 14 janvier 1891. Une copie ronéotypée de ce traité se trouve dans les papiers Monteil, aux Archives nationales de France : AN 66 AP 4.
  • [62]
    Ibid.
  • [63]
    F. GAIRAL, Le protectorat international..., op. cit.
  • [64]
    Diaries of Lord Lugard, vol. I, East Africa, november 1889 to december 1890, Londres, Faber and Faber, 1963, p. 318, cité par Saadia TOUVAL, « Treaties, Borders, and the Partition of Africa », The Journal of African History, 7-2, 1966, p. 279-293, ici p. 283.
  • [65]
    Thierno DIALLO, « La mission du Dr Bayol au Fouta-Djalon (1881) ou la signature du 1er traité de protectorat de la France sur le Fouta-Djalon », Bulletin de l’Institut fondamental d’Afrique noire, XXIV, série B, 1, 1972, p. 118-150 ; Ismaël BARRY, Le Fuuta-Jaloo face à la colonisation. Conquête et mise en place de l’administration en Guinée (1880-1920), Paris, L’Harmattan, 1997, vol. 1, p. 116.
  • [66]
    Déclaration citée par C. H. ALEXANDROWICZ, The European-African Confrontation..., op. cit., p. 47.
  • [67]
    Ibid.
  • [68]
    S. TOUVAL, « Treaties... », art. cit.
  • [69]
    Dans un traité signé à Boussa en 1897, on relève ainsi la marque du roi, celle de Daoudou, neveu du roi, héritier du trône, et la signature en arabe de l’imam de Boussa. Base des Traités et des Accords de la France, TRA18970022.
  • [70]
    Ainsi, à Say, en 1895, où trois notables apposent leur signe sous celui du roi. Base des Traités et des Accords de la France, TRA18950040.
  • [71]
    Traité du 20 mai 1858, reproduit dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 397-399. Le consentement à ce traité fut dénoncé par des neveux de Mohamed El-Habib, qui l’assassinèrent en 1860.
  • [72]
    Traité de paix avec le Fouta, 15 août 1859, publié dans les Annales sénégalaises, op. cit., p. 427-428.
  • [73]
    ANS 10D1/62, chemise 5, dossier 3, traité avec le Cayor, 12 janvier 1871.
  • [74]
    Dans les années 1870, la signature du gouverneur du Sénégal est généralement précédée de la formule « Ratifié sauf approbation ministérielle ». C’est le cas des traités signés avec Lat Dior en 1879 : ANS 10D1/62, chemise 5, dossiers 4 et 5. Les traités versés au Dépôt des papiers publics des colonies et publiés au Journal officiel ont été ratifiés par décret.
  • [75]
    Expression employée par D. ROBINSON, Sociétés musulmanes et pouvoir colonial français..., op. cit., p. 51. Sur le Cayor et Lat Dior, voir aussi M. DIOUF, Le Kajoor au XIXe siècle..., op. cit.
  • [76]
    ANS SEN 10D1/62, chemise 4, convention du 10 septembre 1879 avec le Cayor.3 3 9
  • [77]
    ANS SEN 10D1/62, chemise 5, acte additionnel à la convention du 10 septembre 1879 avec le Cayor, signé le 12 septembre 1879. Les deux textes sont reproduits dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 413-417.
  • [78]
    Jean Bayol, cité par I. BARRY, Le Fuuta-Jaloo face à la colonisation..., op. cit., p. 116.
  • [79]
    Ce prince devint ensuite sous le nom de Béhanzin le dernier roi du Dahomey indépendant et opposa une résistance acharnée à la conquête française, jusqu’à sa reddition en 1894.
  • [80]
    Lettre du roi du Dahomey Gléglé au roi du Portugal Dom Luiz Ier, 16 juillet 1887. Sur cette affaire, un dossier comporte de nombreux documents portugais, envoyés et analysés par l’ambassadeur de France à Lisbonne, Albert Billot, et traduits en français : ANOM FM/SG/AFR/VI/67b.
  • [81]
    « Chacha » fut d’abord le surnom donné à Francisco Felix de Souza, marchand d’esclaves originaire de Bahia au Brésil, installé sur la côte des Esclaves à la fin du XVIIIe ou au début du XIXe siècle, qui fit alliance avec le roi du Dahomey Ghézo. Celui-ci en fit un dignitaire important de son royaume, sous le titre de chacha, transmis ensuite à ses descendants qui constituèrent l’une des puissantes familles luso-africaines actives dans le commerce sur la côte des Togo et Bénin actuels. Voir Pierre VERGER, Flux et reflux de la traite des Nègres entre le golfe de Bénin et Bahia de Todos os Santos du XVIIe au XIXe siècle, Paris, Mouton, 1968, cité par Elikia M’BOKOLO, Afrique Noire. Histoire et civilisations, t. II, XIXe-XXe siècles, Paris, Hatier/AUPELF, 1992, p. 112. Julião Felix de Souza était donc l’héritier du titre et jouissait en principe de la confiance du roi, mais ses liens étroits avec les Portugais le faisaient parfois considérer par les autorités portugaises « comme un fonctionnaire portugais » (ANOM FM/SG/AFR/VI/67b, télégramme du secrétaire général du gouvernement de São Tomé au ministre de la Marine à Lisbonne, 21 novembre 1887, pièce LXXXIX des documents publiés au Diário do Governo les 8 et 9 mai 1888). Les documents portugais orthographient ce titre « xaxa ».
  • [82]
    Lettre du major Curado, gouverneur d’Ajuda, au gouverneur de San Thomé, le 13 octobre 1886, pièce XLVI des documents publiés au Diário do Governo, résumée par Billot.
  • [83]
    Ibid.
  • [84]
    Ibid.
  • [85]
    Pièce XXIX des documents publiés au Diário do Governo.
  • [86]
    Le voyage de Nolim (orthographié aussi Rolin dans d’autres sources) donna lieu à un rapport envoyé le 9 juin 1887, qui ne parvint à San Thomé qu’en octobre. Une longue lettre de Billot au ministre des Affaires étrangères, datée du 18 mai 1888, en cite de larges extraits et résume les conclusions auxquelles cet officier était parvenu à l’issue de cette mission, mais ne donne pas la traduction des documents publiés au Diário do Governo et des pièces afférentes, à l’exception de la lettre de Gléglé.
  • [87]
    Rapport de Nolim, gouverneur d’Ajuda, sur son voyage à Abomey, le 9 juin 1887, cité dans une lettre de Billot, ministre de France à Lisbonne à R. Goblet, ministre des Affaires étrangères, le 18 mai 1888.
  • [88]
    Lettre de Gléglé, roi du Dahomey, à Dom Luiz Ier, roi du Portugal, datée du 16 juillet 1887.
  • [89]
    Ibid.
  • [90]
    Ibid.
  • [91]
    Cette disgrâce peut aussi s’expliquer par des rivalités entre familles de commerçants brésiliens de Ouidah et par les détournements de fonds dont se serait rendu coupable Felix de Souza dans les transactions financières liées au traité. Voir Robin LAW, Ouidah : The Social History of a West African Slaving « Port », 1727-1892, Oxford/Athènes, Ohio University Press/James Currey, 2002, et Joseph Adrien DJIVO, « Le roi Glélé et les Européens. L’échec du protectorat portugais sur le Danhomé (1885-1887) », Cahiers du Centre de recherches africaines, 8, 1994, p. 269-284.
  • [92]
    Rapport du gouverneur de San Thomé au ministre de la Marine et des Colonies à Lisbonne, cité par Billot, sans date (octobre 1887).
  • [93]
    Joseph Adrien Djivo suggère que la délégation de signature de Gléglé à son fils et au chacha a pu relever d’une ruse du souverain du Dahomey pour se ménager la possibilité de dénoncer le traité, voire d’un principe de gouvernement lui permettant de ne pas engager sa responsabilité : J. A. DJIVO, « Le roi Glélé et les Européens... », art. cit., p. 275-276.
  • [94]
    Traité du 20 mai 1858, reproduit dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 397-399.
  • [95]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 336.
  • [96]
    « Layered sovereignty » : Jane BURBANK et Frederick COOPER, Empires. De la Chine ancienne à nos jours, trad. par C. Jeanmougin, Paris, Payot, [2010] 2011.
  • [97]
    François ZUCARELLI, « De la chefferie traditionnelle au canton : évolution du canton colonial au Sénégal, 1855-1960 », Cahiers d’études africaines, 13-50, 1973, p. 213-238.
  • [98]
    J. BURBANK et F. COOPER, Empires..., op. cit.

1 Les relations entre souveraineté et droit international ont fait l’objet de grands récits antagonistes qui peinent à rendre compte de la pratique d’une diplomatie du contact impérial mettant aux prises les puissances européennes et des entités politiques autochtones. La version la plus commune de ces récits décrit une naissance européenne de la notion de souveraineté, dans sa forme territoriale, au moment des traités de Westphalie en 1648, puis une diffusion au reste du monde, par un transfert de souveraineté aux États nouvellement indépendants, au moment des décolonisations [1]. La période coloniale est placée hors-champ et les appropriations coloniales de territoires ne sont pas considérées comme des aliénations de souveraineté, au motif que la notion n’aurait pas existé hors d’Europe. Une version postcoloniale, présentée par Antony Anghie, affirme au contraire une genèse coloniale du droit international et de la doctrine de la souveraineté, nés conjointement des problèmes posés dès le XVIe siècle par la « confrontation coloniale », obligeant les juristes à imaginer des solutions pour ne pas reconnaître aux sociétés non européennes une personnalité légale reposant sur la « souveraineté » qu’ils attribuaient dans le même temps aux États européens [2].

2 Ce détour par les périphéries impériales met en lumière l’importance des relations entre entités politiques européennes et extra-européennes, largement oubliées de l’histoire du droit international, mais il les analyse au prisme de doctrines élaborées par des juristes européens, dans le cadre d’une histoire intellectuelle de la littérature savante fondatrice du droit international comme discipline. Ce faisant, A. Anghie en dit plus sur les ressorts d’un discours européen visant à dénier au reste du monde la capacité juridique que sur les interactions juridiques auxquelles donne lieu la confrontation coloniale. Or cette confrontation n’a pas seulement produit la doctrine savante du droit international européen, mais aussi tout un corpus de textes contractuels par lesquels des signataires européens et non européens tentaient de régler en droit leurs relations, autrement dit une pratique du droit international hors d’Europe.

3 Ce corpus a fait l’objet d’analyses divergentes. À partir d’une étude comparative des clauses contenues dans les traités euro-asiatiques des XVIIe et XVIIIe siècles, et dans les traités euro-africains du XIXe siècle, Charles Henry Alexandrowicz distingue d’abord une période où prévalaient les principes d’un « droit des nations » classique, élaboré par des auteurs tels que Hugo Grotius ou Emer de Vattel, qui attribuaient à toutes les nations une égale dignité et une capacité juridique à régler leurs relations sur un pied d’égalité [3]. Il identifie ensuite une « période de transition », qui vit disparaître progressivement au cours du XIXe siècle le « principe d’égalité et de réciprocité » dans les relations entre États européens et africains, en vertu d’une conception « positiviste » du droit international qui excluait la plupart des pays africains et asiatiques de la « famille des nations » au nom de critères raciaux et civilisationnels établissant une supériorité des Européens [4]. Pour A. Anghie, c’est dès le XVIe siècle, avec les travaux de Francisco de Vitoria (De Indis, 1559), que se manifeste le déni de personnalité juridique qui permet d’écarter de la souveraineté des sociétés comme celles des Indiens d’Amérique et de justifier la conquête de leurs territoires, dès lors qu’elles s’opposent au droit de commercer. Les traités produits en grand nombre par la confrontation coloniale et les rapports commerciaux avec des entités situées hors d’Europe posent dès lors un problème d’interprétation. Leur existence contredit en effet la doctrine, puisqu’ils manifestent la possibilité d’établir des relations contractuelles avec ces sociétés, ce qui revient à leur reconnaître une personnalité juridique de facto. Pour A. Anghie, les traités qui régissent les appropriations territoriales hors d’Europe font en réalité disparaître les souverainetés autochtones, au moment où celles-ci acquièrent une visibilité sur le papier, en les incorporant immédiatement à une souveraineté européenne, seule légitime. Ces traités fonctionneraient comme des textes écrits à l’encre sympathique, faisant d’un même geste apparaître et disparaître les souverainetés autochtones. Cette interprétation, qui place au fondement même de ces traités un tour de passe-passe originel, permet de les dénoncer comme inauthentiques et de leur refuser toute valeur juridique. C’est faire peu de cas de leur dimension contractuelle et de la valeur que pouvait leur accorder l’autre partie. Je voudrais explorer dans cet article une hypothèse alternative, en examinant dans quelle mesure l’écriture du traité, qui est pour partie une co-construction, confère à l’entité politique autochtone les moyens d’affirmer la plume à la main sa propre souveraineté. L’examen d’un corpus de traités conclus entre les autorités françaises et les autorités de territoires autochtones en Afrique occidentale au XIXe siècle ne fait pas apparaître comme une évidence la fonction confiscatoire de souveraineté souvent prêtée à ces documents de la pratique coloniale.

4 Le corpus étudié, produit d’une diplomatie du contact impérial à l’initiative d’agents européens, pose la question de la dissymétrie des sources. Il traduit l’activité des autorités coloniales du Sénégal dans un processus séculaire d’expansion commerciale et territoriale. Dissymétrie des sources ne signifie pas, cependant, eurocentrisme de la démarche. D’une part, en effet, les historiens de la colonisation ont élaboré des techniques de lecture des documents légués par l’archive coloniale, que ce soit « against the grain » (à contre-fil) ou, au contraire, « along the grain » (au fil de l’archive), qui permettent de résister à l’unilatéralisme des sources en décryptant leur discours pour y repérer ce qu’elles ne disent pas, ou en y décelant les lacunes et les incohérences qui vont à l’encontre de l’image de rationalité et de toute-puissance que tente de se donner l’État colonial [5]. D’autre part, il ne saurait être question de conforter l’assurance des acteurs coloniaux sur leur capacité à transformer le monde, en considérant l’expansion territoriale à laquelle ils ont contribué comme le vecteur d’un transfert unilatéral de conceptions purement européennes, comme la notion de souveraineté. Ainsi, sans prétendre faire une histoire connectée entendue comme une histoire « à parts égales [6] », on s’attachera à restituer autant que possible la part prise dans l’établissement de ces traités par les signataires africains, telle qu’elle se laisse saisir dans les documents.

5 Il s’agit de tenter de retracer sur le long XIXe siècle l’histoire d’un genre diplomatique qui traduit une certaine inventivité en matière de droit international et échappe à toute codification, avant de se cristalliser en « protectorat colonial ». Objet classique du droit international, le protectorat repose sur la dissociation entre deux niveaux de souveraineté, la souveraineté « extérieure », qui autorise une entité étatique à entretenir des relations avec d’autres, à conclure des traités ou à déclarer la guerre, et la souveraineté « intérieure » par laquelle s’exerce l’autorité sur les habitants qui lui sont assujettis. Établir un protectorat consiste donc pour une autorité souveraine à se substituer à une autre pour tout ce qui concerne l’exercice de sa souveraineté extérieure et à prendre en charge la défense de ses frontières et de son territoire, tout en la laissant exercer en toute autonomie les prérogatives que lui confère sa souveraineté intérieure.

6 Il s’agit d’examiner comment ce modèle se met en place en l’inscrivant dans le temps long d’une histoire du passage du régime des concessions et des comptoirs, qui a caractérisé la présence européenne en Afrique jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, à un régime d’appropriations territoriales orchestrées par le partage colonial. Le rapport de force entre autorité coloniale et autorités autochtones évolue au cours de ce long XIXe siècle, mais il est aussi très différent d’un espace à un autre, à une date donnée. Ainsi les traités conclus peuvent-ils être le corollaire de la conquête, résultant directement d’une opération militaire dans les régions côtières ou fluviales où le contact commercial est déjà ancien, ou au contraire avoir été signés par des Européens s’avançant seuls en pays africain, en position de faiblesse, bien au-delà des limites de la colonie. Objets paradigmatiques de la transition impériale – d’un ancien régime colonial à la formation de nouveaux empires –, les traités permettent d’interroger les modalités des appropriations territoriales en posant la question centrale de la souveraineté. Support et instrument d’un transfert de souveraineté, ils traduisent le progressif démantèlement d’une souveraineté africaine, voire sa disparition du champ des possibles. Pour autant, ils constituent aussi une reconnaissance préalable de souveraineté. Ce jeu de la reconnaissance et de la confiscation ne peut se comprendre qu’en interrogeant les conceptions autochtones et européennes de cette notion, dont les traités constituent l’interface. Or, si les premières se traduisent par une diversité liée à celle des formes d’organisation sociopolitique locales, des sociétés lignagères aux États constitués, les secondes n’apparaissent paradoxalement pas plus consistantes et s’avèrent, en particulier, bien différentes selon qu’elles sont mises en œuvre en métropole ou dans les marges impériales.

7 Une analyse précise des termes employés pour désigner en droit les appropriations permet de mettre en évidence le caractère chaotique du processus à travers la porosité des catégories (appropriation foncière ou territoriale, souveraineté ou suzeraineté, etc.). Dans une première partie sont examinées les multiples voies explorées par les négociateurs européens, tandis que la deuxième partie met en évidence la cristallisation du protectorat colonial dans un contexte de plus en plus tendu, où les rivalités inter-impériales prennent le pas sur la relation politique avec les souverains autochtones. Qu’il s’agisse d’un protectorat classique, d’un protectorat « colonial » ou de toute autre forme de traité, l’objet de la négociation est la souveraineté. La dernière partie de l’enquête examine donc les conditions qui rendent la souveraineté négociable, en interrogeant à la fois les formes de l’expression diplomatique du consentement au traité et leur signification, et les cas emblématiques de chefs d’État africains qui se sont refusés à une telle négociation.

Les mots de la souveraineté : un bricolage pragmatique

8 Envisagés en série, les traités signés au « Sénégal et dépendances » font apparaître une grande hétérogénéité de formulation des clauses comme de la terminologie [7]. Si les traités constituent le support et l’instrument juridique des appropriations territoriales et des transferts de souveraineté en faveur de la puissance coloniale, il convient d’analyser de plus près les formes juridiques de la mainmise sur le territoire pour comprendre ce qui fait l’objet du transfert : s’agit-il d’un terrain, d’un territoire, de droits politiques limités, ou de la souveraineté pleine et entière ? Pour le dire autrement, quels sont les régimes d’appropriation mobilisés par la pratique contractuelle ? L’indétermination du vocabulaire apparaît très vite dans ces textes rédigés par des officiers peu au fait des subtilités juridiques des notions qu’ils utilisent et guère conscients des contradictions qu’ils introduisent d’une clause à l’autre dans un même traité. Les termes employés ne doivent donc pas être pris au pied de la lettre, mais mis en relation avec l’univers sémantique qui se déploie dans l’ensemble des clauses d’un traité. Les glissements de sens sont courants et nécessitent une lecture attentive. Chaque traité – ou série limitée de traités similaires – peut être considéré comme une création originale qui doit beaucoup à l’imagination politico-juridique du négociateur européen, même si l’on constate aussi des emprunts, des reprises et des circulations au sein d’une pratique qui finit par se « routiniser », sans s’uniformiser. Les formulaires imprimés standardisés, dont usaient certaines compagnies de commerce britanniques au temps duscramble ou Henry Morton Stanley pour le compte de Léopold II au Congo, n’ont pas eu cours dans la pratique diplomatique française en Afrique occidentale. L’ampleur chronologique du corpus étudié, de 1817 à 1897, sans exclure quelques items plus anciens, permet de saisir un mouvement d’ensemble qui procède par tâtonnements.

Le régime de la propriété foncière et ses usages

9 Dans la première moitié du XIXe siècle, on voit persister sur les côtes et « dans les rivières » une forme d’appropriation inspirée du régime des comptoirs qui a prévalu jusqu’à la fin du XVIIIe siècle en Afrique. Portant sur des « terrains », non sur des « territoires », elle relève du registre du droit foncier et non du politique. Il s’agit par exemple de la « cession à la France d’un terrain nécessaire à l’établissement d’un comptoir et ses appontements dans le village de M’Béring [Diembering] ou les environs », en Casamance, le 29 mars 1828, suivi deux jours plus tard d’une prise de possession qui donne lieu à un procès-verbal [8]. Le modèle du comptoir et du registre foncier n’empêche pourtant pas certains glissements de sens qui laissent penser que la distinction entre terrain et territoire reste longtemps poreuse : ainsi, toujours en Casamance, on trouve la « cession d’un territoire pour un établissement » en 1828 et la « cession d’un territoire pour un comptoir à Cajinole » en 1860 [9].

10 La nouveauté consiste en l’absence d’une redevance payée au chef pour la reconnaissance de son droit de propriété éminente sur la terre. La « cession en toute propriété de l’île de Carabane » (à l’embouchure de la Casamance), le 22 janvier 1836, montre que le régime de la propriété pleine et entière tend à s’imposer aux dépens d’un régime foncier plus complexe, où prévalait une conception étagée des droits sur le sol, distinguant l’usager du maître de la terre. Le traité s’apparente alors à un acte notarié qui dépolitise la relation à la terre. Selon cette logique, un terrain peut en principe faire l’objet d’une transaction, au même titre que n’importe quel autre bien.

11 La question des modalités de l’appropriation foncière se pose surtout pour les colonies de peuplement, où elle trouve sa place au cœur des dispositifs législatifs coloniaux qui permettent l’achat des terres indigènes, l’expropriation ou le cantonnement des populations spoliées, comme en Algérie, en Afrique du Sud, en Rhodésie du Sud ou sur les hauts plateaux du Kenya. L’Afrique occidentale ignore largement ce modèle, puisqu’elle ne relevait pas de cette forme de colonisation, à l’exception d’une tentative éphémère de colonisation agricole dans la basse vallée du Sénégal, lancée par le gouverneur Julien Schmaltz en 1819 et abandonnée en 1831 [10]. En dehors de cette expérience avortée, des achats de terrains apparaissent sporadiquement. Certains traités se présentent comme un cadre juridique provisionnel pour de futures transactions foncières, anticipant notamment l’installation de Français qui viendraient se livrer à des activités commerciales ou minières : il s’agit de rassurer les autorités autochtones sur le fait que ces installations seront négociées et ne feront pas l’objet d’expropriations. Le traité signé le 30 septembre 1855 par Louis Faidherbe, Dioukha Samballa et plusieurs chefs du Khasso prévoit que les Français « pourront créer de nouveaux établissements partout où ils le voudront en indemnisant les propriétaires du terrain, s’il est occupé [11] ». Les terrains ainsi appropriés constituent des enclaves d’abord périphériques (portions de rivage ou îles) puis enchâssées en territoire autochtone, et sont souvent destinés à la construction d’un fort. L’achat de terrains pour le fort de Médine, en 1855, montre que les acquisitions effectuées sous le régime de la transaction foncière ne sont pas complètement exemptes de tout recours au registre politique et peuvent comporter le paiement d’une coutume, qui marque la reconnaissance d’une propriété éminente du souverain du Khasso [12].

12 Le cas de Joal, localité de la Petite-Côte, représenté par quatre traités entre 1785 et 1859, montre comment se recompose dans des contextes successifs le jeu du foncier et du politique. La convention passée le 25 mars 1785 entre « Mr Blin, commandant de Gorée, agissant au nom du comte de Repentigny, gouverneur général à la côte d’Afrique et Biram Paté, dit Barbessin, prince souverain du royaume de Joal », qui prévoit la « cession à la France, sans rétribution, de 100 toises de terrain à Joal pour y établir un comptoir », constitue un exemple précoce d’appropriation sans contrepartie financière. Cependant, la gratuité de la cession n’exclut pas le paiement des redevances coutumières sur le commerce effectué sur la côte : « Les bâtiments de commerce continueront à payer les droits accoutumés. Les bâtiments de guerre n’en paieront dans aucun cas » [13]. Propriété et souveraineté sont bien distinguées, le prélèvement de taxes douanières étant un indicateur de la seconde. La souveraineté du Bour est cependant entamée par la clause qui impose la libre fréquentation de Joal par les navires de guerre français, signe d’un rapport de force devenu défavorable au royaume côtier. Pour autant, le terrain cédé en 1785 n’avait fait l’objet d’aucune délimitation, pas même d’une localisation, encore moins d’une prise de possession, comme l’attestent les traités ultérieurs qui renouvellent la « cession aux Français d’un terrain de 100 toises pour l’établissement d’un comptoir [14] ». Il s’agit donc d’une propriété par provision dont le but est surtout de préempter des droits pour l’avenir.

13 Le traité qui renouvelle la fixation des coutumes avec le roi du Sine le 19 mars 1849 est plus explicite encore, puisqu’il prévoit la « cession à la France d’un terrain de 100 toises carrées et plus si nécessaire, dont elle prendra possession quand elle le voudra ». Le report sine die de la prise de possession, l’indétermination de la localisation, de l’extension, et même de la destination du terrain, puisque le projet d’installation d’un comptoir n’est plus formulé, fait de ce droit de propriété virtuel un objet juridique mal répertorié qui, sous couvert du droit foncier, laisse planer la menace d’une domination politique. Le roi du Sine, May-Diouf Nilane Faye, ne s’y trompe pas, puisqu’il introduit dans le traité de 1849 une clause restrictive sur l’usage à venir du terrain, dont la France pourra prendre possession « sans cependant pouvoir y établir de fort sans passer avec le roi de nouvelles conventions ». Le registre récapitulatif précise que cette restriction, acceptée par le négociateur signataire, le lieutenant de vaisseau Arnaud Charles Gabriel Jaffrézic, fut rejetée par le gouverneur [15]. Ce refus atteste l’ambiguïté de la notion de « terrain » et les usages équivoques qui en sont faits par les autorités françaises au Sénégal, en une période où le rapport de force se tend sur la Petite-Côte, pourvoyeuse d’arachide. De fait, c’est bien un fort qui devait être construit à Joal, mais seulement après l’expédition militaire menée par Faidherbe au sud du Cayor, au Baol, au Sine et au Saloum en mai 1859, au terme de laquelle furent imposés à chacun de ces royaumes des traités auxquels ils ne furent pas en mesure de s’opposer [16]. Les dispositions énoncées dans cette série de traités réservaient le commerce aux marchands français, leur donnaient le droit de bâtir « des établissements en maçonnerie s’ils le jug[ai]ent convenable » sur des terrains achetés « aux particuliers qui en [étaie]nt propriétaires », et plaçaient les zones côtières et les estuaires sous contrôle militaire avec la clause suivante : « Le gouvernement français choisira tel point qui lui conviendra pour bâtir un fort » [17]. Sans abandonner formellement leur souveraineté territoriale, ces royaumes entraient ainsi brutalement, pour leurs parties côtières, dans la zone d’influence de la France.

14 Envisagés comme une série, les quatre traités concernant Joal (1785, 1837, 1849 et 1859) forment une séquence qui illustre bien la phase initiale de la transition impériale où l’on voit s’esquisser le processus de mise en dépendance. Le registre de l’appropriation foncière est mobilisé à chacune des étapes, mais il est le vecteur d’un glissement de sens qui altère la souveraineté des rois du Sine. Dans un premier temps, il permet de dissocier possession du sol et exercice d’une souveraineté autochtone, et donc de vider le foncier de sa charge politique. Dans un second temps, il est progressivement réinvesti d’une signification politique qui fait du terrain acquis une réserve de droits indéterminés au bénéfice des Français, jusqu’à permettre un contrôle effectif du débouché côtier du Sine. Le terrain acquis, sous couvert d’enclave foncière, constitue ainsi le cheval de Troie de la domination politique. À cette étape du processus, cependant, on ne peut pas parler d’un transfert de souveraineté : les conditions d’un contrôle stratégique ont été mises en place, mais le royaume du Sine reste souverain.

Cession de territoire et souveraineté

15 Le registre de l’appropriation politique et territoriale tend parfois à se superposer et à se substituer explicitement à celui de la propriété foncière, comme c’est le cas dans une série de traités signés avec plusieurs chefs des rives de la Casamance en 1838-1839 où il est question d’une cession « en toute propriété et Souveraineté à Sa Majesté le Roi des Français [18] ». L’association des deux termes mérite analyse.

16 Une convention signée avec les chefs de trois villages de Haute-Casamance, Bisséri, Dingavare et Sandignéry, prévoit la cession de tout le littoral de la rivière « dépendant de leur territoire dans une profondeur de deux cents mètres [19] » (art. 1) : cette « concession » territoriale s’accompagne de l’exclusivité du commerce pour les Français (art. 2) ; la souveraineté se manifeste par un engagement des chefs « à garder et à arborer le pavillon français sur les points qui leur seront indiqués », « en attendant la formation des établissements projetés » (art. 3) ; la propriété se traduit par le droit accordé aux Français de « couper dans le pays les bois qui leur seront nécessaires et d’y faire paître le bétail » (art. 4), mais elle s’assortit d’un droit d’usage conservé par les chefs qui « se réservent [...] la faculté de cultiver les Lougans [champs] et exploiter les palmiers qui se trouvent sur le terrain concédé » (art. 1). Enfin, elle a pour contrepartie symbolique l’« amitié et [la] protection » que le roi des Français « accorde aux habitants » et pour contrepartie matérielle le versement de « coutumes » annuelles au chef de chacun des villages et à ses principaux dignitaires, comme le précise l’article 5 :

17

En retour de la cession du territoire indiqué en l’article premier et des obligations que s’imposent les dits chefs, Sa Majesté le Roi des Français accorde aux habitants amitié et protection, et s’engage à donner chaque année et à chacun des trois villages, la valeur de cinquante barres payables en marchandises à leur convenance et réparties comme suit :
Au chef, trente barres 30
À l’alcaty, quinze barres 15
À l’envoyé du chef, deux barres et demie 2 ½
À l’envoyé de l’alcaty, deux barres et demie 2 ½
La dite coutume étant l’unique redevance qui leur soit accordée[20].

18 La coutume remplit ici plusieurs fonctions. Elle est à la fois une sorte de loyer du terrain concédé, selon le régime des comptoirs, et une contrepartie de la souveraineté abandonnée sur le littoral : le « terrain » de l’article 1 devient ainsi « territoire » à l’article 5. Elle se rapporte aussi aux « obligations » acceptées par les chefs, qui renoncent à commercer avec d’autres nations et s’engagent à arborer le pavillon français. Cette dernière obligation est limitée dans le temps, puisqu’elle doit prendre fin avec l’installation des établissements. Le drapeau a donc plutôt une fonction dissuasive à l’égard des marchands des autres puissances européennes, qui pourraient former le projet de s’installer au même endroit, que le sens d’un marqueur de souveraineté sur le territoire. Autrement dit, il est un signe adressé à l’extérieur plutôt qu’une marque d’allégeance imposée aux chefs. Enfin, la dernière clause de l’article 5 indique le caractère global et libératoire de la coutume, qui exclut tout prélèvement de taxe sur le volume ou la valeur des marchandises devant faire l’objet des transactions à venir : il s’agit ainsi d’une sorte d’abonnement à la coutume par versement annuel. Cette convention place le littoral des trois villages sous un régime de comptoirs renforcé par la souveraineté que s’arrogent les Français sur la portion de territoire qui les intéresse, mais elle ne met pas fin à la souveraineté interne ou externe des chefs sur le reste de leur territoire. La coutume constitue d’ailleurs en soi une reconnaissance de leur souveraineté.

19 Fait extrêmement rare, les exemplaires originaux de cette série de traités portent, dans la marge au recto et au verso, le décompte de ces versements en nature jusqu’en 1848, avec le détail des marchandises fournies, attestés par la signature d’un dignitaire, d’un interprète et du capitaine du navire français venu remettre la coutume. Ces comptes annuels portent la trace d’incidents qui ont affecté les relations entre les traitants et la population à différentes dates. Ainsi l’exemplaire de Sandignéry porte-t-il la mention suivante :

20

Payé le 25 décembre 1843 à l’alcaty de Sandigniery les coutumes dues pour l’année courante, lesquelles coutumes seront données à M. Dumont, Traitant pour acompte des marchandises pillées le 15 février dernier à Sandigniery par les habitants[21].

21 En 1848, les coutumes d’un autre village sont directement payées à un commerçant dont les marchandises avaient été pillées « dans la rivière ». La coutume peut ainsi être amputée de retenues décidées unilatéralement par les autorités du Sénégal au profit de commerçants spoliés. Mais tandis que, en 1843, la responsabilité du dédommagement est laissée à l’alcaty, représentant du chef, qui reste le garant des actes de ses sujets, en 1848 les autorités françaises se passent de cet intermédiaire, ce qui constitue un déni de la souveraineté du chef sur ses sujets. Inversement, en 1841, les Français mettent fin à « l’affaire des rôniers », bois pris indûment « à des mandingues qui les avaient déposés dans le poste » de Sandignéry, en les indemnisant par l’ajout à la coutume de douze kilos et demi de poudre et de deux barres de fer. Susceptible d’ajustements pour régler des contentieux, la coutume représente donc à la fois la reconnaissance par les Français de l’autorité locale et la matérialisation des relations entre les deux parties et de leurs fluctuations.

22 Si la souveraineté française ne s’appliquait, dans la série de traités passés en Casamance en 1838 et 1839, qu’au terrain concédé, au début des années 1840 elle tend à se distinguer de la cession foncière et s’étend à l’ensemble d’un territoire. L’initiative en revient au commandant Édouard Bouët (plus tard connu sous le nom de Bouët-Willaumez) qui, à la tête d’une mission d’exploration commerciale sur les côtes du golfe de Guinée en 1838-1839, avait signé les premiers traités portant sur des cessions de terrains avec les chefs de Garroway (le Libéria actuel) et avec le roi Denis au Gabon [22]. Il avait rédigé au retour de sa mission un rapport prônant l’établissement de trois comptoirs fortifiés à Garroway, à Grand-Bassam (Côte-d’Ivoire actuelle) et au Gabon. Devenu commandant de la station navale de Gorée, chargé de réprimer la traite clandestine, puis gouverneur du Sénégal (1842- 1844), il poursuivit sa politique de traités sans attendre les résultats de la commission chargée d’étudier son projet. En 1842, les frères Blackwill de Garroway concédaient ainsi au roi des Français, par un nouveau traité, « tous leurs droits de souveraineté sur les pays dont la légitime possession leur vient de leurs pères [23] ». Bouët obtint de la même façon la concession de la souveraineté sur les pays et la rivière du Grand-Bassam, à laquelle s’ajoutait la cession d’un terrain de deux milles carrés [24], et un nouveau traité au Gabon, dans lequel le roi Louis, fils du roi Denis, cédait l’ancien village de son père et concédait « toute souveraineté » sur son pays [25]. Lorsque le ministère de la Marine décida de mettre en œuvre le projet de construction des établissements fortifiés et fit voter le budget nécessaire en 1843, Bouët avait déjà mis en place les conditions juridiques qui le rendaient possible en outrepassant ses instructions [26]. Il lui restait à obtenir la souveraineté sur le comptoir d’Assinie, qui avait remplacé celui de Garroway dans le projet, ce qui fut réalisé en 1844 [27].

23 L’emploi systématique de la notion de « concession de souveraineté », distinguée des « cessions de terrains », est la marque de fabrique des campagnes de Bouët et de ses lieutenants. Les prises de possession solennelles se font en musique et le drapeau hissé est salué par des coups de canon. L’obligation d’arborer le pavillon est plus étroitement contrôlée après l’établissement des forts, et y contrevenir peut valoir aux chefs des représailles parfois brutales de la part de commandants de poste inexpérimentés [28]. Le drapeau semble, là aussi, avoir été l’instrument d’un marquage du territoire dans le cadre des rivalités inter-impériales, en particulier de la concurrence avec les Britanniques, qui connut un moment d’exacerbation dans les années 1840. L’établissement de ces postes fortifiés répondait à l’émergence d’une nouvelle doctrine ordonnant la relation à établir avec les chefs indigènes. Le capitaine Broquant, qui avait accompagné Bouët dans sa mission d’exploration commerciale de la côte en 1838, avait lui aussi rédigé un rapport dans lequel il exprimait une certaine défiance à l’égard des relations contractuelles en usage dans le régime des comptoirs :

24

Quand je dis qu’il faudrait en Afrique des comptoirs, j’entends des établissements armés et capables de se défendre, je n’admets pas du tout de simples résidences placées sur la foi des traités et sous la protection des chefs du pays. Il suffit de jeter un coup d’œil sur ces contrées pour reconnaître qu’il n’y a pour ainsi dire d’autre système politique que celui de soumettre le plus faible au plus fort[29].

25 La capacité à protéger, attribut de la souveraineté, fait ainsi l’objet d’un transfert d’un partenaire à l’autre. Elle est désormais revendiquée par les Français dans leurs relations avec les chefs africains. Le fait n’est pas entièrement nouveau. Sous l’Ancien Régime, une telle revendication pouvait s’exprimer ponctuellement, comme on le voit dans le compte rendu d’un « palabre de traité fait entre le Roi de France & celui de Bar, le 31 Mars 1785 », pour le rétablissement du comptoir d’Albréda, à l’embouchure de la Gambie :

26

On avait établi des coutumes pour le protecteur, soi-disant, de la nation et des commerçants qui venaient faire la traite à Albréda.
Le titre de protecteur de la nation Française est un titre ridicule pour elle, c’est le Roi de France qui protège et défend ses alliés et amis, s’il se passe quelque chose contre l’ordre, c’est à l’officier qui commande que l’on doit s’adresser[30].

27 Le « ridicule » qui s’attache désormais à l’idée d’une protection exercée par un chef africain sur des ressortissants d’une nation européenne est le symptôme de la transition d’une conception des relations internationales relevant du « droit des nations », qui place celles-ci sur un pied d’égalité, à une conception « positiviste », qui établit une supériorité des nations européennes sur les autres [31]. La nouvelle doctrine ne s’impose pas du jour au lendemain, mais connaît des moments d’affirmation qui correspondent à des périodes d’exacerbation des rivalités inter-impériales propices à l’établissement d’un rapport de force plus affirmé avec les chefs africains, comme c’est le cas dans les années 1840.

Suzeraineté et souveraineté

28 À côté du terme de souveraineté employé dans les traités de Casamance en 1838- 1839, puis dans les traités de Bouët au début des années 1840, on voit surgir le terme plus surprenant de « suzeraineté », que l’on rencontre d’abord dans quelques traités en 1852 et 1860, puis dans plusieurs séries de traités contractés en Casamance (une dizaine en 1861, un en 1863 et une vingtaine en 1865-1866), auxquels s’ajoutent deux traités conclus en 1865 et 1866 dans la Mellacorée (l’une des Rivières du Sud, située dans l’actuelle Guinée). Le terme apparaît soit seul, soit associé à ceux de « souveraineté » ou de « protectorat ». Les Portugais avaient fait grand usage de la relation vassal-suzerain dans leurs traités en Asie au XVIe siècle, aussi bien qu’en Afrique au XVIIe siècle, comme au Monomotapa en 1629 [32]. Mais au XIXe siècle et dans le cadre des traités franco-africains, l’usage du terme de « suzeraineté » semble être une réinvention du Second Empire, plus particulièrement appliquée au contexte casamançais. Il subsiste pourtant sous la Troisième République, dans des conditions qu’il faudra analyser.

29 Pour autant que l’on puisse en juger à l’examen du corpus étudié, l’introduction du terme de « suzeraineté » dans les traités semble imputable à Emmanuel Bertrand-Bocandé, commerçant nantais devenu résident à Carabane en 1849. Le poste installé sur cette île à l’embouchure de la Casamance, sur un terrain acquis en 1836 « en toute propriété » pour une somme modique, fut pourvu d’un « résident », un commerçant qui arborait le pavillon français devant sa maison et représentait l’autorité coloniale dans les litiges commerciaux et les relations avec les chefs. Le premier résident, Jean Baudin, ayant été destitué en 1849 pour s’être livré à la traite et avoir attaqué un bateau anglais, Bertrand-Bocandé le remplaça dans ses fonctions jusqu’en 1864 [33]. Les commandants de Gorée et les gouverneurs du Sénégal voyaient en lui un bon connaisseur des sociétés de la Basse-Casamance [34], un fin négociateur déployant une activité diplomatique inlassable auprès des chefs et le consolidateur de la présence française dans l’estuaire casamançais. Soutenu par la maison Maurel et Prom, le projet de le faire nommer résident supérieur en Casamance échoua, mais Bertrand-Bocandé resta une figure locale que les gouverneurs consultaient volontiers sur la politique et le commerce dans la région [35]. Il est à l’origine de séries de traités conclus dans les années 1851- 1852 et 1860.

30 Le traité conclu en 1852 avec les chefs du cap Roxo, situé entre l’embouchure de la Casamance et le Rio Cachéo au sud, est assez curieux dans sa formulation. Il mobilise conjointement les notions de souveraineté et de suzeraineté tout en les distinguant et en les appliquant à des portions de territoire différentes. L’article 1 stipule en effet que les chefs signataires « cèdent en toute propriété et souveraineté, pour toujours et sans redevance, toutes les îles cultivables ou non cultivables dépendant de leur territoire et qui sont formées par les marigots qui joignent la Casamance au Rio Grande San Domingo, autrement dit, Rio de Cachéo entre Carabane et le cap Roxo ». Dans l’article 2, « ils reconnaissent à la France le même droit de souveraineté sur tout le littoral du territoire du cap Roxo, conformément à ses limites qui seront déterminées par des agents français » et enfin, par l’article 3, « ils soumettent tout le reste de leur territoire sous la suzeraineté de la France » [36]. Le traité met donc en place une gradation des droits sur le territoire. La concession de souveraineté sur les terrains cédés en propriété, appliquée aux îles, est une formule conforme à celles que l’on a rencontrées dans les traités antérieurs. La souveraineté simple, sans cession de terrain, est appliquée au littoral, sans précision sur la profondeur du territoire concerné. Sa fonction semble être de garantir un droit d’accès au littoral qui, sans être exclusif, se présente comme privilégié. Enfin, la suzeraineté, appliquée au « reste » du territoire, c’est-à-dire à l’arrière-pays, apparaît comme une forme affaiblie de souveraineté.

31 Il est difficile, à la lecture de ce traité, de définir les contours juridiques, le champ d’application et même l’extension du territoire concerné par le « droit de souveraineté » sur le littoral : s’agit-il d’une annexion formelle ou de droits réservés ? La future délimitation doit-elle porter, en extension, sur le nombre de kilomètres de côtes concernés ou sur la profondeur du territoire côtier ? Et que signifie la souveraineté sur un littoral si celui-ci est conçu comme une ligne ? En revanche, la suzeraineté, guère mieux définie, renvoie clairement à un acte de soumission politique. Portant sur « le reste » du territoire, autrement dit sur le territoire demeuré sous la souveraineté des chefs, elle recouvre en réalité un acte d’allégeance et établit une domination personnelle sur ces chefs plutôt que sur leur territoire. Cette dimension du traité s’explique assez bien par le contexte. L’année précédente, une expédition de représailles menée contre les Diolas des environs de Carabane, à Cagnut, s’était terminée par la soumission des chefs et par la signature d’un traité dont Bertrand-Bocandé avait été le négociateur. Les chefs diolas avaient été contraints d’abandonner en pleine propriété la totalité de l’île de Carabane et d’accepter la suzeraineté de la France [37]. Cette dernière clause apparaît ainsi comme l’instrument juridique de la mise au pas de chefs qui pouvaient menacer les activités commerciales des Français dans la région. Selon Yves Saint-Martin, la formalisation juridique de la domination française était cependant davantage tournée contre les Portugais, concurrents des Français dans la rivière Casamance où ils possédaient un préside à Ziguinchor, que contre les Diolas proprement dits [38]. Au cap Roxo, le traité de 1852 ne semble pas avoir conclu une séquence d’attaques et de représailles, mais la même situation de rivalité franco-portugaise prévalait. L’expédition de Cagnut constitue en tout cas, selon Y. Saint-Martin, un tournant dans la politique menée par les gouverneurs du Sénégal envers les chefs africains, au-delà même de la Casamance [39]. Elle est un jalon dans la transition impériale, dont les traités se font l’écho par l’invention de la suzeraineté coloniale. Dans un traité plus tardif également négocié par Bertrand-Bocandé, l’imposition de la suzeraineté correspond explicitement à une mesure de représailles et une forme de paix inégale [40].

32 La reconnaissance de suzeraineté, associée à la notion de protection, affirme une domination politique mais non territoriale. Elle constitue une des expressions de l’invention juridique du protectorat colonial. Le terme de suzeraineté introduit par Bertrand-Bocandé est ensuite repris dans une série de traités conclus en Casamance, pour la plupart à l’initiative des commandants des postes de Carabane (Basse-Casamance) et de Sédhiou (Haute-Casamance), et plus rarement à l’occasion d’un déplacement dans la région du commandant de Gorée, Émile Pinet-Laprade en 1861, ou du gouverneur du Sénégal, Jean Jauréguiberry en 1861 et 1863 [41]. Pour le reste, les clauses sont similaires à celles des traités casamançais de 1838-1839 : exclusivité du commerce attribuée aux Français et droit de couper du bois. S’y ajoutent parfois l’interdiction opposée aux chefs de vendre des terrains sans l’autorisation d’un représentant de la France et l’obligation de céder sans contrepartie ceux qui seraient nécessaires aux établissements des commerçants français.

33 Terme hérité de la féodalité, « suzeraineté » renvoie à l’hommage d’un vassal à son suzerain et personnalise la relation politique : la souveraineté porte sur un territoire tandis que la suzeraineté engage un homme. Par conséquent, celle-ci n’est pas héréditaire et doit être renouvelée à chaque fois qu’intervient un changement de règne. On peut s’étonner de voir subsister l’usage de cette notion féodale sous la Troisième République. Les traités conclus dans les Rivières du Sud en 1877-1879, souvent à l’initiative de Charles Émile Boilève, directeur des Affaires politiques du Sénégal, associent suzeraineté et protectorat. Mais la plupart se réfèrent à des traités antérieurs, datant des années 1865-1866, dont ils ne font que reprendre la terminologie en ajoutant des clauses plus contraignantes [42], l’essentiel étant d’obtenir des nouveaux chefs la confirmation de la soumission formelle à la France effectuée par leurs prédécesseurs.

34 En 1870, à un moment où il était question d’abandonner les comptoirs fortifiés fondés par Bouët sur les côtes du golfe de Guinée et au Gabon, l’amiral Siméon Bourgois, commandant supérieur des établissements de la Côte-d’Or et du Gabon, exprimait des doutes quant à la nature des traités signés : « Il est à regretter que dans la plupart des traités passés sur la côte d’Afrique, les mots de souveraineté aient été écrits lorsqu’il s’agissait en réalité que d’un protectorat très restreint [43]. » Si la notion de souveraineté utilisée par Bouët semblait alors excessive par rapport à l’engagement réel de la France sur ces points de la côte, celle de suzeraineté remise à l’honneur par Bertrand-Bocandé, aussi anachronique fût-elle en apparence, correspondait finalement mieux à la nature des relations entretenues par la France avec les chefs des États côtiers.

35 Il est difficile de tirer des conclusions claires d’une telle labilité dans les termes employés et leur usage. Pour C. Alexandrowicz, elle illustre l’ignorance des négociateurs européens, administrateurs coloniaux ou militaires, qui distinguaient assez mal le sens des notions juridiques qu’ils mobilisaient [44]. Il ne faut pas oublier, néanmoins, qu’il n’existait pas de modèle préétabli et unifié permettant d’énoncer clairement la forme juridique des appropriations. L’expérience antérieure des Européens en Asie ou des Portugais en Afrique, à laquelle C. Alexandrowicz compare l’activité diplomatique européenne en Afrique au XIXe siècle, ne semble pas avoir constitué un univers de référence mobilisable. Tout au plus les négociateurs européens connaissent-ils les traités signés par leurs prédécesseurs avec les représentants d’un territoire donné. Ils s’en inspirent alors en introduisant des variantes qui vont généralement dans le sens d’une accentuation de la contrainte juridique imposée aux chefs. Mais la pression qu’ils se sentent autorisés à exercer dépend étroitement des circonstances : elle reflète à la fois le contexte de rivalité inter-impériale dans lequel se trouve pris un territoire et l’évolution locale du rapport de force entre Européens et Africains. Finalement, la production diplomatique analysée ici manifeste une certaine liberté des acteurs-auteurs de ces textes, qui inventent constamment de nouvelles manières de dire.

L’invention du protectorat colonial

36 Il reste à éclairer la notion de « protectorat », qui recouvre aussi des réalités différentes puisque celui-ci peut se révéler « très restreint », selon le mot de l’amiral Bourgois, ou confiner à l’annexion.

Protection et protectorat

37 On rencontre en effet la même indétermination dans l’usage de la notion de « protection », dont dérive le « protectorat ». L’apparition précoce des deux termes ne permet pas de conclure à l’existence de véritables « protectorats coloniaux », tels que les définissent les juristes de la fin du XIXe siècle [45]. Ainsi, en 1838 à Garroway, une simple cession de terrain s’accompagne d’une « alliance offensive et défensive avec la France qui, d’un autre côté, lui garantit son protectorat [46] ». Le « protectorat », en contrepartie de l’alliance, semble ici signifier une protection – au sens propre – contre les attaques d’ennemis de toute sorte, puisqu’il n’est aucunement question d’une cession de souveraineté. Ce n’est que quatre ans plus tard que le nouveau chef de Garroway, « vu l’attaque violente dont son peuple a été l’objet de la part des habitants de l’intérieur », désire « se ranger plus directement encore sous le patronage d’un roi puissant » : les frères Blackwill consentent à abandonner au roi des Français « tous leurs droits de souveraineté sur les pays dont la légitime possession leur vient de leurs pères ». C’est dans un contexte troublé, pour chasser un occupant venu de l’intérieur – qui avait en réalité surtout mis la main sur les terrains cédés à la France en 1838 –, que les habitants de Garroway trouvent le motif de « se ranger sous le protectorat du Roi des Français, dont ils se considèrent comme les sujets dorénavant » [47]. On passe ainsi d’un faux protectorat à un assujettissement pur et simple de tous les habitants par un traité qui n’engage plus seulement la responsabilité du chef mais toute la population, et dont on peut supposer qu’il resta d’autant plus fictif que le projet d’établir un poste fortifié à Garroway fut finalement abandonné.

38 Dans la série de traités casamançais de 1838-1839, il y a bien abandon de souveraineté sur la portion de territoire cédée aux Français, mais l’amitié et la protection en retour sont acquises à tous les habitants du village. Le territoire limité de la concession et le territoire de la protection ne sont pas superposables : ce n’est pas un « protectorat ». Dans la Mellacorée, le traité signé avec l’almamy [48] Maléguy Touré en 1865 accordait, en échange de la suzeraineté et du protectorat, la reconnaissance de l’autorité du chef du Forrécariah sur tout le Moréah qu’il étendait aux rivières voisines, avantage politique plus considérable que la protection proprement dite. Le « protectorat » valait ainsi extension du territoire pour l’autorité autochtone.

Usages incertains de l’annexion : le démantèlement du Fouta-Toro

39 La notion de protection reste efficiente, ne serait-ce que de façon rhétorique, dans l’usage du terme de « protectorat » lors des annexions auxquelles procèdent Faidherbe et ses successeurs dans les années 1860 et 1870 dans le Moyen-Sénégal, en démantelant progressivement la confédération du Fouta-Toro. Cette région était à la fois une aire d’activités pour les traitants de Saint-Louis qui voulaient y abolir les « coutumes » et y obtenir une protection de leur commerce, une zone de passage obligé entre le Bas et le Haut-Fleuve, et un État théocratique musulman. La population s’y montrait particulièrement sensible à la prédication d’El-Hajj Umar qui s’était opposé à la présence française dans le Haut-Sénégal en assiégeant le fort de Médine en 1857, avant de fonder plus à l’est un empire théocratique centré sur le fleuve Niger. Le Fouta-Toro constituait donc une poche de résistance dans la progression des Français vers le Haut-Fleuve engagée depuis le début des années 1850.

40 Faidherbe gouverneur, la politique de mise sous tutelle du Fouta-Toro consista en une série de campagnes qui s’achevèrent par des traités visant à séparer progressivement toutes les provinces de cette confédération, pour isoler le Fouta central déjà affaibli par la migration d’une partie de ses habitants partis rejoindre El-Hajj Umar. Dans un premier temps, selon les termes de ces traités, les provinces périphériques se déclaraient elles-mêmes « indépendantes » de cet État et bénéficiaient de la protection de la France. C’est le cas du Dimar en 1858, puis, en 1859, du Toro et du Damga, situés de part et d’autre du Fouta central [49]. Le traité passé avec le chef du Toro est celui où l’argument est le mieux développé :

41

Article 1er. – Le Toro, reconnaissant que sa réunion politique avec le Fouta lui a toujours été plus nuisible qu’utile, et voulant s’assurer, pour l’avenir, la protection des Français, et une paix durable avec eux, déclare former à l’avenir un État indépendant [...].
Article 3. – Le gouverneur reconnaît l’indépendance de ce nouvel État et de son chef électif. Il lui promet aide et protection contre les ennemis que pourrait lui susciter le présent traité et, en particulier, dans le cas où les villages qui forment la limite du Toro, du côté du Fouta, auraient à souffrir des dommages de la part des habitants de ce dernier pays, le gouverneur promet de faire construire une tour à l’endroit le plus convenable pour assurer une protection efficace au Toro.

42 En formant ainsi des États indépendants, le gouverneur était conduit à garantir leurs frontières avec ce qui subsistait de la confédération. La nécessité de les protéger découlait des termes mêmes du traité qui créait des entités politiques fragiles servant d’États tampons. La promesse de faire construire une tour sur la nouvelle frontière, présentée comme une manifestation de sollicitude et de bienveillance, correspondait, dans les vues de Faidherbe, à un moyen de contrôler le Fouta-Toro au plus près du cœur du territoire, en ponctuant le fleuve d’établissements fortifiés. Pour autant, aucun de ces traités n’est présenté comme établissant un « protectorat » : la nomenclature retenue dans les Annales sénégalaises est celle de « traités de paix ». La série se terminait par un traité avec le Fouta, obligé de reconnaître les nouvelles frontières qui lui étaient imposées par la création des nouveaux États, et sa réduction de facto au « Fouta proprement dit, ou Fouta central [50] ».

43 Dans un deuxième temps, le Dimar, le Damga et le Toro, les trois provinces séparées de la confédération entre 1860 et 1863, sont annexés [51]. Ce dénouement intervient, pour ce qui est du Toro, au terme d’une campagne destructrice menée par terre et par voie fluviale sous le commandement de Jauréguiberry, gouverneur du Sénégal de 1861 à 1863, contre le nouveau lam Toro (almamy du Toro), Samba Oumané, réputé hostile aux Français. Le traité qui en résulte constitue avant tout un acte de soumission [52]. Pourtant, une analyse précise du texte permet de s’interroger sur le sens du mot « annexion ». Le préambule et le premier article sont ceux d’une paix léonine, par laquelle le gouverneur profite de la terreur provoquée par les bombardements et les destructions pour imposer une complète mise sous tutelle :

44

Le gouverneur du Sénégal et dépendances accepte la soumission des habitants du Toro et consent à leur accorder la paix aux conditions suivantes :
Article 1er. – Les habitants du Toro reconnaissent que leur pays est annexé à la colonie française du Sénégal, qu’ils sont par conséquent sous la dépendance et la protection de Sa Majesté l’Empereur des Français, représenté en Sénégambie par le gouverneur[53].

45 L’annexion y est donc définie par l’ajout de la dépendance à la protection. Pourtant, les articles suivants donnent un contenu bien léger à cette dépendance, puisqu’ils précisent que « le Toro continuera à s’administrer d’après ses lois, usages et coutumes » et que « la religion des habitants sera sérieusement respectée ». Et si le gouverneur se réserve un droit de regard sur la désignation des chefs, par une validation a posteriori du lam Toro désigné par l’assemblée générale des chefs, il décide aux termes du traité de confirmer Samba Oumané, celui-là même qu’il était venu combattre. Outre les clauses d’usage sur la liberté du commerce et contre le brigandage, les seules mesures contraignantes sont celles de l’article 7 qui institue l’administration française comme seule juridiction compétente pour régler les litiges entre sujets français et habitants du Toro et l’article 6 selon lequel « les chefs sont chargés de faire exécuter, dans tous les villages soumis à leur autorité, les lois du pays et les ordres du gouverneur » : le pouvoir législatif est ainsi réparti entre les institutions locales et l’autorité coloniale, tandis que le pouvoir exécutif est entièrement entre les mains des autorités locales. La souveraineté est donc pour le moins partagée. Bien loin de l’annexion, qui eût imposé l’application de la législation de la colonie, la formule est celle d’un protectorat sans résident : le commandant français est une instance judiciaire que l’on saisit de certains cas, mais aucune compétence particulière ne lui est attribuée en matière d’administration interne, pas même à titre consultatif. Jauréguiberry devait être conscient d’avoir employé mal à propos le terme d’annexion, puisqu’il expliquait dans une dépêche au ministre, deux jours après la signature de ce traité, qu’il n’avait inséré cette clause que pour éviter que le nouveau traité ne puisse se révéler en retrait par rapport au précédent. Or il ignorait les termes employés dans le traité de 1859, qu’il n’avait pas pu retrouver dans les archives [54]. L’exemple est symptomatique de pratiques diplomatiques non encadrées et dénuées de suivi, qui laissent le champ libre au négociateur européen pour inventer de nouvelles formules.

46 La pratique de l’annexion n’était pas une invention de Jauréguiberry. Elle avait été inaugurée par Faidherbe à l’égard du Oualo en décembre 1855 et devait être de nouveau appliquée au Cayor par le même Faidherbe à la fin de son second mandat, en 1865 : le gouverneur avait alors adopté successivement les titres de brak du Oualo et de damel (roi) du Cayor. Ces annexions n’ont laissé aucune trace dans les registres, car il s’agit de décisions unilatérales [55]. Les annexions par traité du Dimar, du Damga et du Toro constituaient donc une anomalie qui n’allait pas tarder à être relevée. Dans un contexte bien différent de ceux du Oualo et du Cayor, et par un effet de mimétisme irréfléchi, Jauréguiberry avait cru pouvoir user pour le Toro du même terme d’annexion, que le contenu du traité démentait formellement. Laissant en place Samba Oumané, légitimement élu, Jauréguiberry n’avait nullement en vue de transférer au gouverneur le titre de lam Toro. De plus, la notion même d’annexion fut remise en cause par l’administration de la colonie comme par le ministère, dans les dernières années du Second Empire et au début de la Troisième République. L’inflexion majeure de la politique sénégalaise de la France autour de 1870 conduisit ainsi à désannexer le Cayor central en en remettant la souveraineté à Lat Dior, son ancien souverain [56], à restituer une certaine autonomie au Oualo en lui attribuant une constitution sous l’autorité d’un « chef supérieur » qui ne portait pas le titre de brak mais était choisi dans la famille royale et pouvait être considéré comme tel par ses administrés [57], et enfin à « renoncer à [la] domination directe sur le Toro et sur le Dimar en laissant les populations nommer leurs chefs elles-mêmes et s’administrer comme elles l’entendront », ce qui était déjà le cas [58]. Finalement, dans les traités imposés à l’Irlabé et au Lao, dernières provinces à être détachées du Fouta-Toro en 1877, le processus fut plus rapide mais il n’était plus question d’annexion : un seul acte suffit à déclarer ces provinces indépendantes du Fouta et à les placer simultanément sous le protectorat de la France [59].

Protégés et indépendants ?

47 La pratique diplomatique qui s’imposa dans les années 1870 et 1880 consista en un usage de plus en plus raisonné de la notion de protectorat. Dans le détail, les traités étaient loin d’être identiques, mais la définition du protectorat comme un partage de souveraineté reposant sur une dissociation de la souveraineté extérieure et de la souveraineté intérieure, sans être jamais exprimée en ces termes, était devenue une évidence tacite. Les négociateurs mettaient désormais un soin particulier à assurer aux chefs d’État africains que les règles de succession ne seraient pas remises en cause, qu’ils conserveraient leur autorité sur leurs sujets et pourraient les administrer selon la coutume et les usages en vigueur. Ainsi le traité passé en 1883 avec le teigne (roi) du Baol énonce-t-il que ce royaume « est placé sous le protectorat de la France », ce qui se traduit par la promesse d’une « aide et protection au Baol dans le cas où les habitants de ce pays seraient menacés dans leurs personnes ou leurs biens pour avoir exécuté le pacte d’amitié qu’il conclut librement avec la France », mais aussi par l’engagement que « la République française ne s’immiscera ni dans le gouvernement, ni dans les affaires intérieures du Baol ». La permanence à la tête de l’État est assurée par l’article 9 qui précise que « les droits de Teigne et de ses successeurs restent absolument les mêmes que par le passé », même si elle n’est pas inconditionnelle, comme le montre l’article 10 : « La République française reconnaît d’avance la succession au trône du Baol dans la famille Tiéacine et d’après les usages anciens du pays, à la condition que le successeur reconnaîtra les clauses du présent traité » [60].

48 Le partage entre souverainetés externe et interne donne lieu à des formulations encore plus lapidaires, comme dans une série de traités négociés par Parfait-Louis Monteil lors de sa mission de 1890-1891, rédigés selon deux modèles distincts, l’un de protectorat et de commerce, l’autre d’alliance et de commerce, dont l’officier usait selon les circonstances. Les traités relevant du modèle du « protectorat » reprenaient tous les mêmes clauses, à quelques variantes près. Ainsi les deux premiers articles du traité passé avec l’almamy de San étaient-ils rédigés comme suit :

49

Article 1er. – L’almamy de San en son nom et au nom de ses successeurs place son pays sous le protectorat de la France.
Article 2. – La France reconnaît l’indépendance de la ville de San sous l’Almamy actuel et ses successeurs membres de sa famille dans l’ordre normal de succession. Elle s’engage à assurer cette indépendance contre les entreprises des pays voisins[61].

50 La juxtaposition des termes de « protectorat » et d’« indépendance » n’est paradoxale qu’en apparence : elle constitue l’expression la plus claire de la dissociation entre les deux régimes de souveraineté, interne et externe. La répétition du terme d’« indépendance » dans l’article 2 traduit bien cette dichotomie : l’indépendance interne est garantie par le maintien de toutes les prérogatives des almamys de San, tandis qu’elle relève, à l’égard des voisins, de la protection de la France. La perte de souveraineté extérieure est signifiée à l’almamy de San par les clauses suivantes :

51

Article 8. – L’Almamy de San s’engage à ne passer de traités avec aucune puissance européenne étrangère sans la sanction préalable du Gouvernement français.
Article 9. – Comme signe efficace de notre protection dont il pourra user contre toute entreprise européenne étrangère, l’Almamy de San a reçu de nous un pavillon français qu’il s’engage à conserver[62].

52 On retrouve là un contexte de rivalités inter-impériales qui avait aussi conduit, dans les Rivières du Sud ou sur la côte de l’Or, à la même insistance sur le drapeau, marque d’une souveraineté extérieure dirigée contre les rivaux européens. C’est aussi l’indice de ce que C. Alexandrowicz considère comme un dévoiement de la pratique juridique du protectorat classique en « protectorat colonial », instrument purement politique d’une course aux titres engagée après la conférence de Berlin, en 1884-1885, par les puissances européennes : dans ce cadre, les traités passés avec des chefs africains n’étaient plus considérés comme des actes bilatéraux réglant une relation particulière entre un État africain et un État européen, mais comme des droits provisionnels au territoire, à faire valoir auprès du « concert des nations » européen. C’est aussi le sens que donne François Gairal au « protectorat colonial », défini comme une forme transitoire et provisionnelle d’appropriation qui vise essentiellement à signifier une influence politique sans se donner immédiatement les moyens et la peine d’une occupation effective [63]. Cette lecture met en évidence la dimension rhétorique du traité de protectorat qui fonde un droit en l’énonçant et en le notifiant : dans cette perspective, les traités constituent autant d’énoncés performatifs dont l’accumulation instaure une sorte d’empire de papier. Se pose alors la question de savoir ce qu’ils signifiaient pour les signataires africains.

La souveraineté est-elle négociable ?

53 De nombreux acteurs du partage de l’Afrique, en particulier parmi les négociateurs engagés dans la course aux traités pour le compte de compagnies à charte britanniques, ont mis en doute la valeur contractuelle des documents qu’ils devaient faire signer. C’est le cas de Frederick Lugard qui renonce par exemple, dans sa négociation avec un chef Kikuyu au Kenya, à utiliser le formulaire établi par la compagnie, qu’il considère comme une escroquerie : « Aucun homme ne le signerait en pleine connaissance de cause, et affirmer qu’un chef sauvage a été convaincu de céder tous ses droits en échange de rien serait une contre-vérité absolue [64]. » Pourtant, si de nombreux traités ont fait l’objet de tractations expéditives, les sources narratives produites par les contractants européens mentionnent souvent d’interminables négociations, au cours desquelles chaque clause était examinée scrupuleusement par la partie africaine. En 1881, le docteur Jean Bayol obtint ainsi la signature de l’almamy Ibrahima Sori du Fouta-Djalon au terme de « cinq jours de palabres [65] ». Si les traités n’étaient pas signés à la légère par les contractants africains, la question se pose de savoir dans quelle mesure ces chefs pouvaient accepter de renoncer à leurs droits souverains et de les transférer à une puissance étrangère, et quels furent les ressorts de leur consentement au traité.

L’expression du consentement

54 La question du consentement des souverains africains signataires a été soulevée lors de la conférence de Berlin par le représentant du gouvernement américain, John Kasson. Celui-ci parvint à faire insérer dans le protocole de l’acte final une déclaration affirmant les principes d’un « droit international moderne » qui tendait à reconnaître « le droit des races indigènes [communautés africaines] à disposer librement d’elles-mêmes et de leur sol héréditaire », et imposa que les prises de possession à venir reposent sur ce principe [66]. Pour C. Alexandrowicz, les puissances signataires de l’acte ont au moins tacitement reconnu ce principe [67]. Dès lors, nombre de traités comportent des formules qui visent à attester le consentement des chefs signataires et leur pleine et entière compréhension des termes du traité et de ce à quoi il les engageait. Dans le contexte post-berlinois de dévoiement du protectorat classique en protectorat colonial, l’historien peut néanmoins être tenté de considérer la croix ou la signature apposée au bas des traités par les chefs africains comme une marque purement formelle, sans réelle valeur contractuelle, soit qu’elle ait été extorquée sous la contrainte d’une expédition militaire, soit qu’elle fût le produit d’un malentendu. Pourtant, comme l’a montré Saadia Touval, un nombre significatif de traités furent signés à l’initiative de chefs africains, avec l’espoir que l’alliance avec une puissance européenne constituerait un soutien déterminant dans un conflit qui les opposait à un voisin plus puissant ou, au contraire, un moyen de conserver le contrôle sur des vassaux, voire d’étendre leur territoire [68]. Au-delà des stratégies politiques locales qui peuvent expliquer le choix de traiter avec des Européens, la manière dont s’exprime le consentement au bas des traités permet également d’en sonder la signification diplomatique.

55 Dans le contexte de l’expansion française en Afrique occidentale, la diplomatie des traités s’exerce au sein d’entités politiques de nature différente : sociétés lignagères, cités-États, royaumes, fédérations, où la souveraineté repose sur des acteurs aux statuts différents. Dans les sociétés lignagères comme celles de Basse-Casamance, le morcellement politique conduit à traiter séparément avec chaque village. Le consentement de la communauté villageoise est alors réduit à sa plus simple expression : la « marque » du chef, en forme de croix. Dans les régions en contact avec l’islam, des dignitaires musulmans (alcaty ou cadi, imam ou marabout) ajoutent leur signature en arabe à la marque du chef ou du roi.

Figure 1

Marques des chefs et signatures des dignitaires (ou alcatys) en arabe

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Marques des chefs et signatures des dignitaires (ou alcatys) en arabe

ANS Sénégal 10D1/65, convention entre Charmasson et les chefs des villages de Bisséri (Yabou), Dingavare (Sébéti) et Sandignéry (Dhiénou) en Haute-Casamance, signée à bord de L’Érèbe, le 21 décembre 1835.

56 Leur présence confère à l’acte signé la garantie de l’écrit qui engage l’État au-delà de la personne du roi. Sont parfois associés à titre de témoins d’autres membres de la famille royale, en particulier l’héritier du trône, qui assure un engagement dans la longue durée [69]. Dans les cités-États, ce sont les notables qui représentent la collectivité par leur présence auprès du roi [70]. Enfin, dans les États plus anciennement islamisés, qui connaissent une tradition diplomatique en langue arabe, le consentement s’exprime de façon plus modulée, de la main même du chef de l’État, et constitue une sorte de commentaire sur le traité.

57 Celui-ci peut être à usage interne, comme cette adresse à ses sujets que l’émir des Maures Trarzas appose au bas du traité conclu en 1858 avec Faidherbe :

58

Celui qui, ces présentes lira, saura que Mohammed-El-Habib donne son assentiment à ce traité de paix entre lui et les Français, traité qui lui a été apporté par Khiaroum, de la part de son père Mokhtar-Sidi, le dimanche 10e jour du mois de Choual de l’année 1274 de l’hégire, Mohammed-El-Habib, roi des Trarzas, à ses successeurs et à ses peuples[71].

59 Il peut aussi se présenter comme une courte missive adressée au gouverneur du Sénégal, lorsque la négociation s’est déroulée par le truchement de représentants des deux parties. La lettre par laquelle l’almamy du Fouta, Moustapha, reconnaît officiellement les clauses du traité démantelant la confédération du Fouta-Toro qu’il dirigeait, ne laisse pas de doute sur la signification qu’il lui accordait : « Cette lettre a pour but de vous informer que j’accepte moi-même ce qu’ont accepté le Fouta, le Toro et le Damga, qu’il m’en advienne du bien ou du mal, que j’en sois amoindri ou agrandi [72]. »

60 On trouve le même accent de consentement contraint dans l’acceptation formelle par Lat Dior des clauses du traité de 1871 par lesquelles les Français lui restituent la souveraineté sur le Cayor, qu’ils avaient annexé sous le règne du précédent damel, tout en amputant le royaume de cinq de ses provinces :

61

De la part de Lat-Dior, roi du Cayor, au Gouverneur Valière, Salut le plus complet.
Je vous fais savoir que moi, Lat-Dior, j’accepte les conditions que vous m’imposez pour le pays du Cayor. Sachez cela sûrement. Salut[73] !

62 Reconnaissance de conditions imposées, certes, mais l’expression circonstanciée du consentement est aussi un acte autographe ayant valeur de ratification et, à ce titre, un acte de souveraineté au sens plein. Elle voisine d’ailleurs au bas du traité avec la ratification officielle du gouverneur du Sénégal, placée sur le même plan. Seule différence entre les deux ratifications, cependant, et elle est de taille : celle du gouverneur est suspendue à l’approbation du ministère de tutelle (ministère de la Marine avant 1894, puis ministère des Colonies) [74]. Ainsi, la souveraineté d’un Lat Dior est plus complète que celle du gouverneur du Sénégal avec lequel il traite.

63 Cette souveraineté éminente et la position stratégique occupée par le Cayor entre Saint-Louis et Dakar entrèrent en tension avec les projets d’aménagement de l’espace sénégalais que conçurent les Français à partir des années 1870, ce qui conduisit à de longues négociations au cours desquelles ces derniers établirent une « accommodation fonctionnelle » avec Lat Dior [75]. La part de plus en plus importante que le port de Dakar fut amené à tenir dans les échanges entre la métropole et la colonie imposa un renforcement des liaisons entre le nouveau et l’ancien port, Saint-Louis, qui s’ensablait. Or ces liaisons traversaient nécessairement le territoire du Cayor. Dans le traité de 1871, déjà, Lat Dior s’engageait à « protéger la ligne télégraphique de Saint-Louis à Gorée contre toute violence dans l’étendue de son territoire ». En 1879, la négociation porta sur l’établissement d’une ligne de chemin de fer entre Dakar et Saint-Louis, dont les conséquences en matière de souveraineté furent l’objet de l’attention soutenue de Lat Dior. Il s’agissait en effet pour lui d’accorder une concession de terrain traversant de part en part son territoire. Pour limiter le danger afférent à ce dispositif, il obtint en premier lieu la reconnaissance de sa « propriété » sur l’ensemble de son territoire dans les frontières de 1871 (art. 1). En échange de cette garantie, il s’engageait « à accorder aux Français la jouissance d’une route commerciale » et « donn[ait] gratuitement le terrain nécessaire pour la route et pour tous les établissements qui en dépend[ai]ent ». Ce « don » ne pouvait être entendu comme une dévolution pleine et entière de la propriété du sol, mais seulement comme un droit d’usage (« jouissance »), sous peine d’entrer en contradiction avec l’article 1. Le damel avait pris soin de limiter la concession au terrain strictement nécessaire à l’établissement de la voie et des gares. Le tout formait un corridor jalonné d’enclaves, qui posait un problème de contrôle des frontières. Il s’agissait d’éviter à la fois que les Français ne débordent à partir de ces enclaves et que ses propres sujets puissent y trouver une situation confortable d’extraterritorialité :

64

Article 10. – La concession du terrain soit pour le passage de la route, soit pour les gares, soit pour les points d’arrêts ne peut en aucun cas constituer des droits sur les alentours en faveur des Français, ni servir de lieu de refuge aux sujets du damel qui voudraient se soustraire à son autorité.
En conséquence, aucun sujet du Cayor ne pourra résider à l’intérieur des limites des concessions sans l’autorisation expresse du damel, la présente convention ne pouvant toucher en rien aux droits du damel dans l’exercice de sa souveraineté[76].

65 La souveraineté du damel se traduisait par le contrôle qu’il exerçait sur les limites en interdisant leur franchissement par ses sujets. Cependant, le statut du corridor et des enclaves restait indéterminé en termes de souveraineté. Lat Dior concédait aux Français le droit d’exercer la police des gares et des points d’arrêt, mais la convention leur interdisait d’y installer une garnison ou d’y déployer des troupes, à moins que ce ne soit pour lui venir en aide au cas où son territoire aurait été violé par une tierce puissance. Les employés du chemin de fer obligés de résider dans l’espace concédé devaient obligatoirement être des civils. La dévolution du droit de police conférait aux Français un des attributs de la souveraineté, ce qui entrait en contradiction avec l’affirmation du principe selon lequel la souveraineté du damel n’était en rien entamée par la convention. En revanche, l’interdiction opposée aux Français de déployer leur armée dans la concession faisait de Lat Dior le détenteur de la souveraineté externe.

66 Deux jours après avoir apposé son cachet au bas de la convention, Lat Dior négociait un acte additionnel qui fixait la contribution du Cayor en main-d’œuvre et en matériaux pour la construction de la voie ferrée [77]. La fourniture de main-d’œuvre relève, certes, d’une demande des Français et l’on pourrait être tenté de voir en Lat Dior un de ces chefs de la période coloniale collaborant avec les autorités en réquisitionnant ses propres sujets pour le travail forcé, d’autant qu’il en tire avantage en obtenant du gouverneur, à la fin de chaque campagne, « deux beaux chevaux arabes en témoignage de sa satisfaction pour la manière dont ses sujets ont travaillé ». Cependant, le texte comporte nombre de précisions qui attestent la volonté du damel de négocier les meilleures conditions de travail à ceux de ses sujets qui seraient employés à cette tâche : salaire identique à ceux pratiqués à Saint-Louis, ration de riz, période de travail annuelle compatible avec les travaux agricoles, interdiction d’employer des enfants de moins de douze ans. Le damel s’engageait à fournir gratuitement le bois, mais la ressource sylvicole était protégée par l’interdiction de couper les rôniers femelles et obligation était faite aux Français de fournir l’eau sur le chantier en creusant eux-mêmes des puits qu’ils laisseraient à la disposition de la population. Autant d’éléments qui montrent la capacité de Lat Dior à imposer ses demandes aux Français et le font apparaître comme un souverain soucieux de l’intérêt de ses sujets et de la pérennité des ressources de son territoire. Enfin, avant d’apposer son cachet, le damel faisait ajouter par son cadi la « restriction formelle à inscrire dans l’article 1er de n’exiger des gens du Cayor qui seront employés comme travailleurs, qu’une somme de travail dans la limite de leurs forces ». Par ce repentir de dernière minute, il s’arrogeait le dernier mot.

Le refus du roi Gléglé

67 Inséré dans une séquence d’interactions entre puissances contractantes, chaque traité traduit l’état d’un rapport de force en évolution. Le consentement à des conditions imposées peut ainsi être une manière de prendre acte d’un état provisoire du rapport de force qui ne préjuge pas de l’avenir, sans compromettre la relation. C’est alors la dimension purement contractuelle du traité qui prévaut sur l’examen du contenu. Néanmoins, lorsqu’ils furent confrontés pour la première fois à la notion de transfert de souveraineté présente dans un traité de protectorat, nombre de chefs africains engagèrent une réflexion approfondie sur ce à quoi ils étaient prêts à consentir, et certains dénoncèrent un traité conclu, au motif qu’ils n’en avaient pas compris clairement les termes au moment de la signature. Ainsi, la pierre d’achoppement se révèle bien souvent être la question de la souveraineté, et plus précisément celle du transfert de souveraineté.

68 On perçoit dans certaines sources narratives l’inquiétude sourde exprimée par des chefs d’État africains face aux menaces inédites que représente l’arrivée des Blancs, nouveaux acteurs du jeu politique ouest-africain, dont il faut élucider les intentions. Bayol rapporte par exemple les propos ambigus que lui tint l’almamy Sori lors de la négociation du traité de 1881 :

69

Le Fouta doit être aux Peuls et la France aux Français. Seulement, ces deux nations qui ont le même père et la même mère, n’en formeront qu’une et la plus forte prêtera son appui à la plus faible[78].

70 Cette conception du rapport entre les souverainetés respectives des Africains et des Européens s’exprime de façon encore plus explicite dans l’affaire de la dénonciation par le roi du Dahomey, Gléglé, du traité signé avec le Portugal le 5 août 1885, qui aboutit à la levée de ce protectorat en 1887. Cet épisode éclaire d’une manière exceptionnelle les deux questions connexes du consentement du souverain africain et de sa compréhension des termes du traité. En effet, sans en avoir été le seul motif, l’expression claire et répétée par le roi Gléglé de son rejet du protectorat a joué un rôle déterminant dans l’abandon portugais.

71 Le traité du 5 août 1885 n’a pas été signé par le roi qui était alors « à la guerre », mais par son fils Kondo [79], prince héritier dépêché à cet effet [80]. L’envoyé portugais, le docteur Meyrelles, était accompagné par le chacha Julião Felix de Souza qui servit d’intermédiaire et d’interprète tout en représentant le Dahomey [81]. Le traité ne portait pas sur l’ensemble du Dahomey, mais seulement sur « la côte maritime », sans que les sources disponibles permettent de savoir comment cette zone fut définie et délimitée. L’occupation de la côte dahoméenne, en septembre 1885, « n’a pas soulevé de contestations de la part des autorités du pays », selon le major Curado, nommé gouverneur d’Ajuda, puisque celui-ci a reçu des témoignages « affectueux » du roi et s’est vu offrir un terrain « pour y construire un palais » [82]. Les difficultés ont commencé lorsque les Portugais ont cherché à exercer leur juridiction sur ce territoire. Ils se sont alors heurtés au chacha, agissant au nom du roi du Dahomey, qui se réservait le droit de trancher tout différend, y compris entre Blancs, en s’appuyant sur une lettre du roi du Portugal que lui aurait remise le gouverneur de la province de San Thomé, assurant que rien ne serait changé dans l’application des coutumes. Devant ces obstacles inattendus, Curado réunit des représentants du roi du Dahomey, qui exprimèrent une conception du « protectorat » sensiblement différente de celle que les Portugais pensaient pouvoir mettre en œuvre : il ne s’agissait pour eux que de « l’établissement du drapeau portugais sur la côte au même titre que celui des maisons de commerce déjà existantes [83] ». Le « protectorat » aurait alors été une nouvelle dénomination inventée par les Européens pour désigner un accord leur permettant de s’installer en arborant le symbole de leur nation et de poursuivre le cours habituel de leurs relations avec les souverains africains. Curado perçoit cette déclaration comme un signe de la « duplicité de la politique dahoméenne », tout en reconnaissant que « le traité de protectorat a été conclu, du côté du Dahomey, par des gens qui n’avaient ou ne paraissaient pas avoir une pleine conscience de leurs actes » [84]. Interrogé sur ce point, le chacha Felix de Souza reconnut « qu’il ignorait ce qu’était la souveraineté quand il avait signé le traité d’Aguanum, et que même il n’était pas dans la pensée de son co-traitant de céder à la couronne portugaise aucun territoire en souveraineté [85] ».

72 C’est lors d’un voyage à Abomey, capitale du Dahomey, entrepris au printemps 1887 par le gouverneur Nolim pour mettre fin au malentendu sur le protectorat, que le point de vue du chef de l’État dahoméen fut enfin clairement exprimé, d’abord de la bouche du prince héritier, puis lors d’une audience que Gléglé lui-même accorda au capitaine portugais [86]. Lors de ces entrevues, le prince déclara « que le traité a été fait sans l’autorisation du roi, que celui-ci ne peut céder un pouce de terre à aucune nation », ce que confirma Gléglé en affirmant que « les lois du pays ne lui permettent de céder une cuiller de terre à aucune nation ni à personne » [87]. Ce point de vue fut ensuite répété par écrit dans une lettre adressée par Gléglé au roi du Portugal : « Je ne donne mes terres à aucune nation, pas même la valeur d’une cuillère, mais je désire que les amis y fassent le commerce [88]. »

73 La récurrence de la métaphore de la cuillerée de terre constitue un indicateur éloquent de la manière dont ce souverain conçoit son rapport au territoire. Superposant le registre de la propriété foncière à celui de la souveraineté territoriale, le territoire est aussi une « terre » sur laquelle le roi dispose d’un droit de propriété éminente inaliénable. Il peut inviter des étrangers à y commercer, mais ceux-ci doivent se soumettre aux règles de l’hospitalité et ne peuvent se considérer comme chez eux sur les terrains concédés. Dans sa lettre, Gléglé dénonce l’impudence de certains Européens, en particulier les Français, qui ne se conforment plus à ces règles :

74

Il y a quelques jours, les Français ont fait mettre un drapeau sur une petite terre à moi, et je l’ai fait défendre et s’ils continuent je les ferai arrêter et ce sera pour la première fois ; jamais des Européens ne sont arrivés à ce point ; les Anglais ont voulu faire de même, mais comme je n’ai pas accepté ce qu’ils voulaient, ils n’ont rien fait de plus, les Français ont aussi, il y a quelque temps, tiré un coup de canon, et le boulet est tombé à une demie lieue d’Ajuda ; je garde ce boulet pour me servir un jour de pièce à conviction[89].

75 Ce souverain, qui souligne les appétits croissants des partenaires européens mais ne se laisse pas intimider par la politique de la canonnière, exprime de la manière la plus claire le principe d’une souveraineté africaine sur les terres d’Afrique et demande au roi du Portugal de faire publier ses propos « dans l’Europe toute entière » : « Il vaut mieux que chaque nation gouverne ses terres, les blancs dans les leurs avec leurs Rois, et moi, Roi du Dahomey avec les miennes » [90]. Cette déclaration de principe est aussi la condamnation d’une évolution en cours : « les blancs ont pris les terres des nègres, mais ceux-ci ne peuvent pas faire de même », déplore-t-il. Ces convictions interdisent tout consentement à un quelconque transfert de souveraineté, ne serait-ce que sur une portion du territoire. Le traité du 5 août 1885, signé sans son autorisation, lui apparaît par conséquent comme attentant à sa souveraineté, dont il impute toute la responsabilité à Felix de Souza. Gléglé en tire les conséquences en faisant appréhender le chacha, qui avait accompagné le capitaine Nolim à Abomey, avant de l’inculper de haute trahison. C’était pour Gléglé le moyen de manifester de manière éclatante la dénonciation du traité et d’instruire en quelque sorte, à travers le procès du chacha, le procès du traité [91].

76 Le capitaine Nolim en tira aussi les conséquences, et le Portugal après lui. Après avoir en vain essayé d’expliquer à Gléglé « la notion du protectorat », le gouverneur d’Ajuda se retira en disant que le Portugal ne sollicitait aucune cession de territoire. Son rapport forgea la conviction du gouverneur de San Thomé, qui le transmit au ministre avec ses propres commentaires. Le gouverneur justifiait ainsi sa suggestion d’abandonner un protectorat qui ne pouvait plus être maintenu selon lui que par un déploiement de force disproportionné aux bénéfices qu’il pouvait rapporter et qui était devenu un obstacle dans les relations commerciales avec le Dahomey :

77

Le roi de Dahomey se refuse formellement à accepter notre dominium et notre ingérence sur le territoire qui lui appartient. [...] Protecteurs d’une nation plus forte que la nôtre, au moins dans son territoire naturellement défendu, nous nous voyons forcés de subir ses exigences et ses vexations[92].

78 Le ministre de la Marine et des Colonies prit aussitôt la décision de lever le protectorat. Enfin, on ignore en quels termes Nolim chercha à faire comprendre à Gléglé la notion de protectorat, mais la tâche était insurmontable, tant celui-ci était peu conforme à la définition classique, pour autant que l’on puisse en juger à partir des sources réunies dans le dossier étudié, sans disposer du texte même du traité. Ni les documents portugais publiés au Diário do Governo, ni les commentaires de l’ambassadeur de France à Lisbonne, ni ceux des ministres des Affaires étrangères ou de la Marine et des Colonies en France ne distinguent souveraineté extérieure et souveraineté intérieure et l’on voit mal comment le protectorat classique ainsi défini pouvait s’appliquer à une portion de territoire. Comment la souveraineté extérieure pouvait-elle être transférée, alors que le littoral n’était pas en soi le siège d’une autorité souveraine ? Et quelle autorité intérieure dahoméenne aurait pu subsister dans un territoire ainsi séparé du reste du royaume ? Si l’on comprend bien ce que le premier gouverneur d’Ajuda avait pour instruction de mettre en œuvre – une juridiction proprement portugaise, appliquant les lois portugaises, mais aussi des travaux de construction et d’aménagement –, il n’était nullement question, du point de vue portugais, que subsiste une souveraineté intérieure, et ce fut là l’objet du conflit avec le chacha qui entendait continuer à appliquer sur le territoire d’Ajuda les coutumes et la juridiction dahoméennes. Le prétendu « protectorat » portugais ressemble en tout point à une annexion pure et simple et l’on comprend, dans ces conditions, qu’il n’ait pu recevoir l’assentiment de Gléglé. Ainsi, les contractants dahoméens qui avaient engagé un peu légèrement la signature du souverain du Dahomey n’avaient peut-être pas compris le sens du mot « souveraineté », mais le signataire portugais, pour sa part, s’était trompé d’objet en appelant « protectorat » un acte d’annexion [93].

Une souveraineté indivisible ?

79 Finalement, dans le cas que nous venons d’étudier, la souveraineté était conçue par les deux parties comme une et entière, et comme assise sur le territoire. Dès lors, elle n’était pas négociable. Le protectorat conçu par les Portugais supposait la division du territoire, non le partage de la souveraineté. À la lumière de cette étude de cas, il devient possible de reprendre autrement la question initiale du consentement aux traités en général, et au protectorat en particulier. Il reste en effet à expliquer pourquoi certains chefs ne trouvèrent pas indigne de s’associer par traité aux Européens tandis que d’autres s’y opposèrent farouchement. La formule employée par Gléglé pour décrire sa conception des prérogatives de chaque peuple, africain ou européen, et de ses droits sur le territoire (« Il vaut mieux que chaque nation gouverne ses terres, les blancs dans les leurs avec leurs Rois, et moi, Roi du Dahomey avec les miennes ») est assez proche de celle que Bayol prêtait à l’almamy Sori (« Le Fouta doit être aux Peuls et la France aux Français »). Ce sont là des expressions d’une conception toute « westphalienne », étatique et territoriale, de la souveraineté. Elles permettent de contester l’idée d’une exception européenne dans la naissance de la notion de souveraineté sur le territoire et celle, qui lui est connexe, d’un processus diffusionniste par lequel ce concept aurait franchi les océans avec les Européens pour se répandre dans le reste du monde qui en aurait ignoré l’usage. Elles obligent aussi à réviser l’idée selon laquelle, en Afrique, la souveraineté aurait porté sur les hommes et non sur le territoire. Mais on peut émettre l’hypothèse selon laquelle de telles revendications de souveraineté émanaient plutôt de chefs d’États ayant connu un processus de formation étatique continu depuis le XVIIIe siècle, et parfois renforcé au XIXe siècle, ce qui est le cas du Dahomey et du Fouta-Djalon, auxquels on pourrait ajouter bien d’autres exemples, comme l’Ashanti ou le califat de Sokoto, que les Britanniques soumirent difficilement. Ces États, forts d’une dynamique étatique et territoriale comparable à celle qui caractérisait les États européens, étaient aussi porteurs d’une conception de la souveraineté proche de celle que les puissances européennes revendiquaient pour elles-mêmes sur leurs territoires métropolitains. Dès lors, le choc des souverainetés était inévitable.

80 En revanche, de nombreux États interstitiels connaissaient des situations de double allégeance envers des voisins plus puissants, et certaines formations étatiques étaient organisées en confédérations à géométrie variable, comme le Khasso. Ceux-là pouvaient voir dans les nouveaux venus européens des partenaires capables d’offrir de nouvelles opportunités au sein d’un jeu d’alliances à plusieurs bandes, et ils se montrèrent souvent plus réceptifs à des formules de protectorat où ils avaient quelque chose à gagner en échange de l’abandon partiel de leur souveraineté. Dans ces espaces, le traité pouvait représenter une nouvelle allégeance, considérée comme préférable, à un moment donné, à celles auxquelles elle venait se substituer, et l’abandon partiel ou complet de la souveraineté extérieure y constituait un régime familier. Inversement, un traité pouvait confirmer la suzeraineté d’un chef africain sur des territoires tiers, et ce, y compris lorsque ces territoires avaient aussi fait l’objet d’un protectorat. Ainsi, par le traité de paix signé en 1858 par Faidherbe avec l’émir des Trarzas, Mohammed El-Habib, ce dernier renonçait à tout droit de suzeraineté sur le territoire du Oualo, annexé par la France en 1855, reconnaissait le protectorat établi par le Sénégal sur le Dimar, le Djolof, le Ndiambour et le Cayor, mais voyait confirmer ses droits sur certains de ces États, pour lesquels le gouverneur s’engageait à lui verser directement le tribut correspondant [94]. Ces États étaient ainsi soumis à une double souveraineté externe, l’une sous forme de protectorat, la seconde exprimée en termes de suzeraineté, formule qui battait en brèche le principe d’une souveraineté française intégrale sur le fleuve et dont Y. Saint-Martin souligne le caractère insolite en parlant de « condominium franco-trarza [95] ». C’était là le résultat d’une véritable négociation de la souveraineté sur des territoires tiers : l’abandon des prétentions des Trarzas sur le Oualo importait plus au gouverneur du Sénégal que les droits plus formels qu’il leur reconnaissait en contrepartie sur des territoires plus éloignés de la colonie, droits qu’il encadrait d’ailleurs strictement en empêchant les Maures de venir percevoir leurs tributs sur la rive gauche du fleuve.

81 Plus que l’attitude individuelle de tel ou tel chef enclin à « collaborer » ou à « résister », ce sont les situations politiques locales et les régimes de souveraineté en vigueur qui peuvent expliquer les disparités dans le consentement au traité. Mais la souveraineté ne pouvait se négocier que si elle était conçue de part et d’autre comme divisible. Loin de transporter aux marges impériales une notion consistante de souveraineté territoriale élaborée en Europe à l’usage des États-nations, la pratique contractuelle manifeste des formes d’accommodement et de compromis avec les situations locales d’où surgit un régime de souveraineté bien distinct de celui qui prévaut en métropole : les souverainetés « feuilletées » caractéristiques des empires [96]. La pratique des négociateurs français ne diffère pas fondamentalement en la matière de celle qui a pu prévaloir dans l’empire britannique : la distinction entre souveraineté externe et interne, qui fonde le protectorat, s’apparente en tout point à l’indirect rule théorisé par lord Lugard. Ce n’est que dans les années 1910 et 1920, à la faveur d’une politique d’homogénéisation administrative de l’Afrique occidentale française, que la plupart des traités par lesquels les États africains avaient été progressivement incorporés à l’empire sont devenus caducs : les règles de succession traditionnelles ont été bouleversées par la mise en place de la « chefferie administrative », tandis que le découpage en cantons remaniait les limites des anciens royaumes [97]. Pour autant, les gouvernements coloniaux n’ont pu s’affranchir du recours aux autorités locales, car aucun empire ne pouvait se passer de « travailler avec les intermédiaires [98] ».

82 Documents issus de la pratique contractuelle, les traités sont d’abord des textes. Les investigations menées dans la terminologie qu’ils mobilisent ont révélé un foisonnement des formules, un bricolage juridique, une indétermination des termes, et des contradictions internes. On rencontre ainsi des « terrains » qui deviennent des « territoires », des cessions de souveraineté qui sont en même temps des reconnaissances de souveraineté, des « annexions » qui sont en réalité des « protectorats » et vice versa, et l’on voit resurgir une archaïque « suzeraineté » au succès éphémère, sans doute plus adéquate à la relation qu’elle énonce que la « souveraineté » qui la supplante.

83 En mettant en évidence les distorsions entre ce que disent ces textes et les catégories juridiques qu’ils mobilisent, il ne s’agissait pas de disqualifier la pratique au nom de l’incompétence de ses acteurs, incompétence souvent prêtée aux signataires africains mais finalement bien partagée. Il s’agissait plutôt de voir à l’œuvre l’incroyable laboratoire juridique que constitue la pratique contractuelle qui cherche à régler les appropriations territoriales. Supports et instruments de la territorialisation de la colonie, les traités sont le lieu d’une réinvention erratique de la souveraineté territoriale où s’expriment pleinement la liberté et l’autonomie des acteurs avant que ne s’impose une pratique normée, le « protectorat colonial ». Révéler l’indécision et les contradictions, ingrédients de la cuisine des traités, permet aussi de relativiser leur caractère d’énoncés performatifs : ils ne créent des « droits » sur le territoire que pour autant qu’on accorde créance à ce qu’ils prétendent dire mais, pris à la lettre, ils ne fondent pas des droits si solides.

84 Devant cet empire de papier, il devenait possible de reprendre la question lancinante du consentement des chefs africains à cette pratique contractuelle dont les catégories leur étaient imposées et à laquelle ils ne furent associés qu’à la marge. Au-delà de l’intérêt que pouvait trouver tel ou tel chef à l’alliance, donc à la fonction purement contractuelle des traités, c’est bien parce qu’ils les prirent à la lettre qu’ils purent y consentir. En effet, qu’affirmaient les traités de « protectorat » sinon le maintien du titre dans la famille régnante, la continuation de l’autorité du chef sur ses sujets et la perpétuation des juridictions coutumières ? Certes, il y avait toujours cet article 1er qui parlait de céder la « souveraineté », terme d’autant plus difficile à traduire que l’on ne voyait pas bien, à la lecture des clauses suivantes, quel en était le contenu. L’interdiction de s’allier avec d’autres ? C’était bien une définition possible de l’alliance. L’obligation d’arborer le pavillon français ? L’almamy Ibrahima Sori, qui venait de signer avec Bayol un traité d’alliance et de commerce en arabe et ne pouvait soupçonner qu’en français il s’agissait d’un traité de « protectorat », accueillit avec plaisir le drapeau offert par le médecin de marine français comme un cadeau symbolique, non comme une marque d’assujettissement, et l’on peut soupçonner que bien d’autres en firent autant, du moins jusqu’à ce qu’un commandant de poste trop zélé ne vienne bombarder leur village pour sanctionner le défaut de pavillon. Il ne s’agit pas de minimiser la portée de la perte de la souveraineté externe, mais les dispositions contractuelles en rendaient l’identification difficile et pouvaient la faire apparaître comme une formule vide. C’est bien parce qu’elle n’était pas « pleine et entière », contrairement à ce qu’affirmait le traité, que la « souveraineté » des Français pouvait être acceptable. Pour ceux qui lurent à la lettre l’article 1er, en revanche, le traité n’était pas acceptable. La ligne de partage entre ces deux lectures des traités tient à une différence dans les conceptions de la souveraineté. Souveraineté territoriale, pleine et entière, indivisible, dans un cas, souveraineté divisible, recelant tout un feuilletage de droits qu’il était loisible de discuter pied à pied pour en préserver l’essentiel, dans l’autre. Les deux attitudes s’expliquent ainsi par l’ambivalence constitutive des traités.

85 Envisagée du côté des chefs d’État africains, la pratique contractuelle constitue aussi dans certains cas un exemple de ce que l’historiographie du fait colonial décrit comme l’agency des colonisés – ici, en l’occurrence, de ceux qui s’apprêtaient à entrer sous domination coloniale : les chefs dont nous avons saisi l’expression du consentement désabusé ou volontaire, de la colère ou du refus, de la ruse ou de l’opiniâtreté, s’expriment en leur nom propre, selon leurs propres termes. Ils se saisissent du dispositif contractuel pour porter leur parole sur une scène internationale, ne fût-elle que localement internationale. Quel que soit leur degré de conscience du caractère inéluctable d’une transformation du rapport de force en leur défaveur, ils soumettent à examen les transferts de souveraineté qui leur sont proposés ou imposés et ne signent aucun document à la légère. Bien plus, ils impriment leur marque dans les négociations et utilisent les traités qui les privent de tout ou partie de leur souveraineté pour faire acte de souveraineté. Ainsi, l’image proposée en introduction, qui suggérait la disparition immédiate de la souveraineté reconnue aux chefs autochtones par la partie européenne, dans des traités écrits à l’encre sympathique, se retourne dans une certaine mesure : la ratification autographe de ces traités par les souverains africains, surtout lorsque s’y ajoute un commentaire, représente le passage à la flamme qui fait réapparaître le texte invisible.

Notes

  • [1]
    Voir, par exemple, Daniel PHILPOTT, Revolutions in Sovereignty : How Ideas Shaped Modern International Relations, Princeton, Princeton University Press, 2001.
  • [2]
    Antony ANGHIE, « Finding the Peripheries : Sovereignty and Colonialism in Nineteenth-Century International Law », Harvard International Law Journal, 40-1, 1999, p. 1-71 ; Id., Imperialism, Sovereignty and the Making of International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
  • [3]
    Charles Henry ALEXANDROWICZ, « Treaty and Diplomatic Relations between European and South Asian Powers in the Seventeenth and Eighteenth Centuries », Recueil des cours de l’Académie de droit international, t. 100, Leyde, A. W. Sijthoff, 1961, p. 207- 320 ; Id., « Le droit des nations aux Indes orientales aux XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles », Annales ESC, 19-5, 1964, p. 869-884 ; Id., An Introduction to the History of the Law of Nations in the East Indies, 16th, 17th and 18th Centuries, Oxford, Clarendon Press, 1967.
  • [4]
    Id., « Le rôle des traités dans les relations entre les puissances européennes et les souverains africains. Aspects historiques », Revue internationale de droit comparé, 22-4, 1970, p. 703-709 ; Id., « The Partition of Africa by Treaty », Proceedings of the Symposium of the Colston Research Society, 25, 1973, p. 129-157 ; Id., The European-African Confrontation : A Study in Treaty Making, Leyde, A. W. Sijthoff, 1973.
  • [5]
    La première de ces deux approches renvoie aux techniques d’analyse des catégories coloniales mises en œuvre par le chef de file des historiens subalternistes indiens, Ranajit Guha, pour dégager de leur gangue discursive les faits rapportés par l’archive et reconstituer la figure des subalternes : Ranajit GUHA, Elementary Aspects of Peasant Insurgency in Colonial India, Delhi, Oxford University Press, 1983 ; sur l’ensemble de la démarche de R. Guha et des historiens subalternistes, voir Jacques POUCHEPADASS, « Les Subaltern Studies ou la critique postcoloniale de la modernité », L’Homme, 156, 2000, p. 161-186. Quant à la seconde approche, elle a été développée plus récemment par Ann Stoler dans une étude sur le fonctionnement de l’État colonial aux Indes néerlandaises : Ann Laura STOLER, Along the Archival Grain : Epistemic Anxieties and Colonial Common Sense, Princeton, Princeton University Press, 2009. Pour un exemple de la mise en œuvre de ces méthodes dans le contexte ouest-africain, voir David ROBINSON, Sociétés musulmanes et pouvoir colonial français au Sénégal et en Mauritanie, 1880-1920. Parcours d’accommodation, trad. par H. Tourneux, Paris, Karthala, [2000] 2004, qui expose les ressorts de la construction d’un savoir français sur les sociétés musulmanes ouest-africaines, la dépendance de ce savoir à l’égard des informateurs locaux et les limites de l’archive coloniale, en particulier p. 66-71 et p. 84-90.
  • [6]
    Romain BERTRAND, L’histoire à parts égales. Récits d’une rencontre Orient-Occident, XVIe-XVIIe siècle, Paris, Éd. du Seuil, 2011.
  • [7]
    Le corpus étudié comporte plus de 400 traités. L’ancienne base Choiseul des archives du ministère des Affaires étrangères, aujourd’hui fondue dans la base des Traités et Accords de la France, en recensait 170, disponibles en ligne : http://basedoc.diplomatie. gouv.fr/Traites/Accords_Traites.php. Un registre récapitulatif manuscrit conservé aux Archives du Sénégal en recense 300 entre la fin du XVIIIe siècle et 1879, pour l’Afrique occidentale et le Gabon, et indique leurs principales clauses sans en donner le texte intégral : ANS série D Sénégal, Affaires politiques et administratives, 10D1/59. Enfin, les Archives nationales du Sénégal (ci-après ANS) et les Archives nationales d’outre-mer (ci-après ANOM) recèlent d’autres pièces, dont certaines ne sont répertoriées dans aucun de ces instruments de travail et dont il n’a pas été possible de faire un inventaire exhaustif.
  • [8]
    Les traités mentionnés dans cet article, sauf indication contraire, figurent dans ANS 10D1/59, ici p. 44. Seule la sous-série sera mentionnée ci-après pour les traités réunis dans la série D.
  • [9]
    ANS 10D1/59, feuillets manuscrits insérés dans le registre.
  • [10]
    Mamadou DIOUF, Le Kajoor au XIXe siècle. Pouvoir ceddo et conquête coloniale, Paris, Karthala, 1990, p. 123-124 ; Boubacar BARRY, La Sénégambie du XVe au XIXe siècle. Traite négrière, Islam et conquête coloniale, Paris, L’Harmattan, 1988, p. 196-198 ; Georges HARDY, La mise en valeur du Sénégal de 1817 à 1954, Paris, É. Larose, 1921.
  • [11]
    ANS 10D1/59, p. 27.
  • [12]
    Sékéné Mody CISSOKO, Le Khasso face à l’Empire toucouleur et à la France dans le Haut-Sénégal, 1854-1890, Paris, ACCT/L’Harmattan, 1988.
  • [13]
    ANS 10D1/59, p. 135. Le surnom « Barbessin » pourrait être une transcription fautive du titre de Bour (roi) du Sine ou Bourba Sine.
  • [14]
    ANS 10D1/59, p. 131, traité passé entre le commandant de Gorée et Wagam Faye, roi de Sine, le 17 février 1837.
  • [15]
    ANS 10D1/59, p. 131.
  • [16]
    Cette intervention constituait un tournant dans la politique des traités suivie jusque-là : Faidherbe avait énoncé clairement son intention « de déclarer nuls les traités et conventions passés pendant les dernières années, pour la régulation des coutumes à payer aux chefs de ces pays en échange de la sécurité promise par ces derniers, et d’établir nos relations futures sur des termes nouveaux et plus dignes », cité par Martin A. KLEIN, Islam and Imperialism in Senegal, Sine-Saloum, 1847-1914, Stanford, Stanford University Press, 1968, p. 55.
  • [17]
    Annales sénégalaises de 1854 à 1885, suivies des traités passés avec les indigènes, Paris, Maisonneuve frères et C. Leclerc, 1885, p. 406-407. Seul le traité avec le Cayor est reproduit, mais les autres sont de même facture. Sur l’expédition miliaire, voir Yves SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire. Naissance d’un empire colonial, 1850- 1871, Paris, Karthala, 1989, p. 416-423.
  • [18]
    ANS 10D1/65, convention entre le gouverneur Charmasson et les chefs des villages de Bisséri (Yabou), Dingavare (Sébéti) et Sandignéry (Dhiénou) en Haute-Casamance, signée à bord de L’Érèbe, le 21 décembre 1839 ; ANS 10D1/62, chemise 12, Casamance 1838-1897, dossier 1, 1838-1839, traités et conventions divers passés avec les chefs de la Casamance et du Rio Nunez. Copies littérales non signées.
  • [19]
    ANS 10D1/65. La concession ne s’étend que sur cent mètres de profondeur pour deux autres villages, Somboudou et Pacao.
  • [20]
    ANS 10D1/65. La « barre » ou barre de fer sert d’unité monétaire. Elle est ensuite convertie en un assortiment de marchandises qui peut comprendre des pagnes de coton de différentes qualités, de la poudre, des « fusils de traite », de l’eau-de-vie, du tabac, etc. L’alcaty est un dignitaire local, souvent un lettré faisant office de secrétaire. Au bas de ces traités, les chefs ont apposé leur marque en forme de croix, tandis que les alcatys signaient de leur nom en arabe. Voir figure 1, p. 337.
  • [21]
    ANS 10D1/65, exemplaire de Sandignéry.
  • [22]
    Base des Traités et des Accords de la France, TRA18380013/001, convention avec les frères Blackwill, chefs du pays de Garroway, 14 décembre 1838 ; ANS 10D1/59, p. 157, convention passée avec le roi Denis, 9 février 1839.
  • [23]
    Base des Traités et des Accords de la France, TRA18420007, traité relatif à la souveraineté sur le territoire de Garroway, 7 février 1842.
  • [24]
    ANS 10D1/59, p. 157, traité passé entre les délégués du commandant Édouard Bouët et Peter, roi du Grand-Bassam, et les chefs du pays, 19 février 1842.
  • [25]
    ANS 10D1/59, p. 157, traité passé entre le commandant Bouët et le roi Louis, chef de la rive droite du Gabon, 18 mars 1842.
  • [26]
    Sur la prise de décision et la campagne d’établissement des forts, voir Bernard SCHNAPPER, La politique et le commerce français dans le golfe de Guinée de 1838 à 1870, Paris, Mouton, 1961, qui montre que la décision, politique, fut essentiellement motivée par la concurrence anglaise dans la région, que Bouët avait bien mise en évidence, alors que les maisons de commerce bordelaises et les traitants de Gorée ne montraient pas un grand enthousiasme à l’égard du projet, les nouveaux établissements étant trop éloignés de leurs circuits commerciaux.
  • [27]
    ANS 10D1/59, p. 157, traité avec le roi et les chefs d’Assinie, 16 mars 1844.
  • [28]
    B. SCHNAPPER, La politique et le commerce français..., op. cit., p. 69-70.
  • [29]
    ANOM FM SG SEN/III/5B, rapport Broquant, p. 96, cité par B. SCHNAPPER, La politique et le commerce français..., op. cit., p. 21, n. 1.
  • [30]
    ANS 10D1/0060, p. 12, traités et conventions avec différents chefs des Rivières du Sud, du 8 février 1785 au 16 août 1849.
  • [31]
    C. H. ALEXANDROWICZ, The European-African Confrontation..., op. cit.
  • [32]
    Ibid., p. 14-17.
  • [33]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 126-127.
  • [34]
    Emmanuel BERTRAND-BOCANDÉ, « Carabane et Sédhiou. Des ressources que présentent dans leur état actuel les comptoirs français établis sur les bords de la Casamance », Revue coloniale, XVI, 1856, p. 398-421 ; Id., « Notes sur la Guinée portugaise ou Sénégambie méridionale », Bulletin de la société de géographie, 3e série, 1849, 11, p. 265-350, et 12, p. 57-93.
  • [35]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 265-266, 402-405, 454 et 458-459.
  • [36]
    ANS 10D1/62, chemise 12.
  • [37]
    ANS 13G2, traité conclu avec les chefs de Cagnut le 25 mars 1851, cité par Moustapha KEBE, « La domination coloniale française en Basse Casamance, 1836-1960 », thèse de doctorat de troisième cycle, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, 2006.
  • [38]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 186.
  • [39]
    Ibid. La Basse-Casamance était particulièrement difficile à appréhender pour les Français en raison de son morcellement politique, chaque village constituant une unité politique autonome. Voir Peter MARK, A Cultural, Economic and Religious History of the Basse Casamance since 1500, Wiesbaden/Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 1985 ; Christian ROCHE, Histoire de la Casamance. Conquête et résistance, 1850-1920, Paris, Karthala, 1985 ; Séverine AWENENGO DALBERTO, « Les Joola, la Casamance et l’État au Sénégal (1890- 2005) », thèse d’histoire, Université Paris 7-Denis Diderot, 2005.
  • [40]
    ANS Sénégal 10D1/65 et 13G4, traité conclu avec le village de Thiong le 5 mai 1860. Les traités signés dans les années 1860-1865 en Basse-Casamance portent la marque d’une situation conflictuelle : des villages s’étaient soulevés contre les empiétements territoriaux précédemment consentis, s’en étaient pris à des commerçants européens et avaient subi des expéditions punitives en représailles. Voir M. KEBE, « La domination coloniale française... », op. cit., p. 107-108.
  • [41]
    ANS 10D1/59, p. 149-152.
  • [42]
    ANS 10D1/59, p. 163-166.
  • [43]
    ANOM, Gabon I/9h, lettre de l’amiral Bourgois au ministre de la Marine, 29 juin 1870, citée par B. SCHNAPPER, La politique et le commerce français..., op. cit., p. 60.
  • [44]
    C. H. ALEXANDROWICZ, The European-African Confrontation..., op. cit., p. 62 (« Legal terminology was obviously not a significant weapon in the colonial officer’s professional armory ») et p. 80 (« It has been often maintained that the Africans did not understand international law in detail but we may wonder whether European colonial negociators had grasped the meaning of the law »).
  • [45]
    François GAIRAL, Le protectorat international. La protection-sauvegarde, le protectorat de droit des gens, le protectorat colonial, Paris, A. Pédone, 1896.
  • [46]
    ANS 10D1/59, p. 157, traité signé le 14 décembre 1838 à bord du brick La Malouine, entre Bouët et les frères Blackwill, répertorié comme « protectorat » dans la base des Traités et Accords de la France, TRA18380013.
  • [47]
    Base des Traités et Accords de la France, TRA18420007, traité signé à bord du Nisus, au mouillage de Garroway le 7 février 1842, par Bouët et par le roi Guillaume, dit Will, aîné des Blackwill et son jeune frère. Le contexte dans lequel ont été établis les traités de Bouët entre 1842 et 1844 a été présenté plus haut, et la part de la pression militaire dans leur acceptation n’est pas douteuse.
  • [48]
    La plupart des chefs des États musulmans d’Afrique de l’Ouest portaient le titre d’almamy, équivalent de l’arabe al imam.
  • [49]
    Traité de paix avec le chef du Dimar, 18 juin 1858 ; traité de paix avec le chef du Toro, 10 avril 1859 ; traité de paix avec le Damga, 10 septembre 1850. Tous ces traités, signés par Faidherbe, sont reproduits dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 425-426 et 428.
  • [50]
    Traité de paix avec le Fouta, 15 août 1859, publié dans les Annales sénégalaises, op. cit., p. 426-427.
  • [51]
    Annales sénégalaises, op. cit., p. 428 pour le Dimar, p. 431-432 pour le Toro et p. 432 pour le Damga. Voir aussi ANS 13G5.
  • [52]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 489-490.
  • [53]
    Ibid.
  • [54]
    Christian SCHEFFER (éd.), Instructions générales données de 1763 à 1870 aux gouverneurs et ordonnateurs des établissements français en Afrique occidentale, t. II, 1831-1870, Paris, Société de l’histoire des colonies françaises, 1927, p. 364.
  • [55]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 330 et 524.
  • [56]
    Traité du 12 janvier 1871, publié dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 411.
  • [57]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 592-595.
  • [58]
    Lettre du ministre de la Marine et des Colonies au gouverneur du Sénégal et dépendances, Paris, le 26 mai 1870, in C. SCHEFFER (éd.), Instructions générales..., op. cit., t. II, p. 401.
  • [59]
    ANS 10D1/59, p. 67 et 69, traités du 24 octobre 1877 avec l’Irlabé et le Lao.
  • [60]
    Traité avec le teigne du Baol, 8 mars 1883, reproduit dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 419-420, et disponible dans la base des Traités et Accords de la France, TRA18830015.
  • [61]
    Base des Traités et Accords de la France, TRA18910025, traité de protectorat et de commerce avec le chef de la ville de San, 14 janvier 1891. Une copie ronéotypée de ce traité se trouve dans les papiers Monteil, aux Archives nationales de France : AN 66 AP 4.
  • [62]
    Ibid.
  • [63]
    F. GAIRAL, Le protectorat international..., op. cit.
  • [64]
    Diaries of Lord Lugard, vol. I, East Africa, november 1889 to december 1890, Londres, Faber and Faber, 1963, p. 318, cité par Saadia TOUVAL, « Treaties, Borders, and the Partition of Africa », The Journal of African History, 7-2, 1966, p. 279-293, ici p. 283.
  • [65]
    Thierno DIALLO, « La mission du Dr Bayol au Fouta-Djalon (1881) ou la signature du 1er traité de protectorat de la France sur le Fouta-Djalon », Bulletin de l’Institut fondamental d’Afrique noire, XXIV, série B, 1, 1972, p. 118-150 ; Ismaël BARRY, Le Fuuta-Jaloo face à la colonisation. Conquête et mise en place de l’administration en Guinée (1880-1920), Paris, L’Harmattan, 1997, vol. 1, p. 116.
  • [66]
    Déclaration citée par C. H. ALEXANDROWICZ, The European-African Confrontation..., op. cit., p. 47.
  • [67]
    Ibid.
  • [68]
    S. TOUVAL, « Treaties... », art. cit.
  • [69]
    Dans un traité signé à Boussa en 1897, on relève ainsi la marque du roi, celle de Daoudou, neveu du roi, héritier du trône, et la signature en arabe de l’imam de Boussa. Base des Traités et des Accords de la France, TRA18970022.
  • [70]
    Ainsi, à Say, en 1895, où trois notables apposent leur signe sous celui du roi. Base des Traités et des Accords de la France, TRA18950040.
  • [71]
    Traité du 20 mai 1858, reproduit dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 397-399. Le consentement à ce traité fut dénoncé par des neveux de Mohamed El-Habib, qui l’assassinèrent en 1860.
  • [72]
    Traité de paix avec le Fouta, 15 août 1859, publié dans les Annales sénégalaises, op. cit., p. 427-428.
  • [73]
    ANS 10D1/62, chemise 5, dossier 3, traité avec le Cayor, 12 janvier 1871.
  • [74]
    Dans les années 1870, la signature du gouverneur du Sénégal est généralement précédée de la formule « Ratifié sauf approbation ministérielle ». C’est le cas des traités signés avec Lat Dior en 1879 : ANS 10D1/62, chemise 5, dossiers 4 et 5. Les traités versés au Dépôt des papiers publics des colonies et publiés au Journal officiel ont été ratifiés par décret.
  • [75]
    Expression employée par D. ROBINSON, Sociétés musulmanes et pouvoir colonial français..., op. cit., p. 51. Sur le Cayor et Lat Dior, voir aussi M. DIOUF, Le Kajoor au XIXe siècle..., op. cit.
  • [76]
    ANS SEN 10D1/62, chemise 4, convention du 10 septembre 1879 avec le Cayor.3 3 9
  • [77]
    ANS SEN 10D1/62, chemise 5, acte additionnel à la convention du 10 septembre 1879 avec le Cayor, signé le 12 septembre 1879. Les deux textes sont reproduits dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 413-417.
  • [78]
    Jean Bayol, cité par I. BARRY, Le Fuuta-Jaloo face à la colonisation..., op. cit., p. 116.
  • [79]
    Ce prince devint ensuite sous le nom de Béhanzin le dernier roi du Dahomey indépendant et opposa une résistance acharnée à la conquête française, jusqu’à sa reddition en 1894.
  • [80]
    Lettre du roi du Dahomey Gléglé au roi du Portugal Dom Luiz Ier, 16 juillet 1887. Sur cette affaire, un dossier comporte de nombreux documents portugais, envoyés et analysés par l’ambassadeur de France à Lisbonne, Albert Billot, et traduits en français : ANOM FM/SG/AFR/VI/67b.
  • [81]
    « Chacha » fut d’abord le surnom donné à Francisco Felix de Souza, marchand d’esclaves originaire de Bahia au Brésil, installé sur la côte des Esclaves à la fin du XVIIIe ou au début du XIXe siècle, qui fit alliance avec le roi du Dahomey Ghézo. Celui-ci en fit un dignitaire important de son royaume, sous le titre de chacha, transmis ensuite à ses descendants qui constituèrent l’une des puissantes familles luso-africaines actives dans le commerce sur la côte des Togo et Bénin actuels. Voir Pierre VERGER, Flux et reflux de la traite des Nègres entre le golfe de Bénin et Bahia de Todos os Santos du XVIIe au XIXe siècle, Paris, Mouton, 1968, cité par Elikia M’BOKOLO, Afrique Noire. Histoire et civilisations, t. II, XIXe-XXe siècles, Paris, Hatier/AUPELF, 1992, p. 112. Julião Felix de Souza était donc l’héritier du titre et jouissait en principe de la confiance du roi, mais ses liens étroits avec les Portugais le faisaient parfois considérer par les autorités portugaises « comme un fonctionnaire portugais » (ANOM FM/SG/AFR/VI/67b, télégramme du secrétaire général du gouvernement de São Tomé au ministre de la Marine à Lisbonne, 21 novembre 1887, pièce LXXXIX des documents publiés au Diário do Governo les 8 et 9 mai 1888). Les documents portugais orthographient ce titre « xaxa ».
  • [82]
    Lettre du major Curado, gouverneur d’Ajuda, au gouverneur de San Thomé, le 13 octobre 1886, pièce XLVI des documents publiés au Diário do Governo, résumée par Billot.
  • [83]
    Ibid.
  • [84]
    Ibid.
  • [85]
    Pièce XXIX des documents publiés au Diário do Governo.
  • [86]
    Le voyage de Nolim (orthographié aussi Rolin dans d’autres sources) donna lieu à un rapport envoyé le 9 juin 1887, qui ne parvint à San Thomé qu’en octobre. Une longue lettre de Billot au ministre des Affaires étrangères, datée du 18 mai 1888, en cite de larges extraits et résume les conclusions auxquelles cet officier était parvenu à l’issue de cette mission, mais ne donne pas la traduction des documents publiés au Diário do Governo et des pièces afférentes, à l’exception de la lettre de Gléglé.
  • [87]
    Rapport de Nolim, gouverneur d’Ajuda, sur son voyage à Abomey, le 9 juin 1887, cité dans une lettre de Billot, ministre de France à Lisbonne à R. Goblet, ministre des Affaires étrangères, le 18 mai 1888.
  • [88]
    Lettre de Gléglé, roi du Dahomey, à Dom Luiz Ier, roi du Portugal, datée du 16 juillet 1887.
  • [89]
    Ibid.
  • [90]
    Ibid.
  • [91]
    Cette disgrâce peut aussi s’expliquer par des rivalités entre familles de commerçants brésiliens de Ouidah et par les détournements de fonds dont se serait rendu coupable Felix de Souza dans les transactions financières liées au traité. Voir Robin LAW, Ouidah : The Social History of a West African Slaving « Port », 1727-1892, Oxford/Athènes, Ohio University Press/James Currey, 2002, et Joseph Adrien DJIVO, « Le roi Glélé et les Européens. L’échec du protectorat portugais sur le Danhomé (1885-1887) », Cahiers du Centre de recherches africaines, 8, 1994, p. 269-284.
  • [92]
    Rapport du gouverneur de San Thomé au ministre de la Marine et des Colonies à Lisbonne, cité par Billot, sans date (octobre 1887).
  • [93]
    Joseph Adrien Djivo suggère que la délégation de signature de Gléglé à son fils et au chacha a pu relever d’une ruse du souverain du Dahomey pour se ménager la possibilité de dénoncer le traité, voire d’un principe de gouvernement lui permettant de ne pas engager sa responsabilité : J. A. DJIVO, « Le roi Glélé et les Européens... », art. cit., p. 275-276.
  • [94]
    Traité du 20 mai 1858, reproduit dans Annales sénégalaises, op. cit., p. 397-399.
  • [95]
    Y. SAINT-MARTIN, Le Sénégal sous le Second Empire..., op. cit., p. 336.
  • [96]
    « Layered sovereignty » : Jane BURBANK et Frederick COOPER, Empires. De la Chine ancienne à nos jours, trad. par C. Jeanmougin, Paris, Payot, [2010] 2011.
  • [97]
    François ZUCARELLI, « De la chefferie traditionnelle au canton : évolution du canton colonial au Sénégal, 1855-1960 », Cahiers d’études africaines, 13-50, 1973, p. 213-238.
  • [98]
    J. BURBANK et F. COOPER, Empires..., op. cit.
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