Notes
-
[*]
Je tiens à remercier Grégory Dufaud, Catherine Gousseff, Aleksandra Majstorac-Kobiljski, Nathalie Moine et Sophie Tournon pour leurs relectures attentives et leurs précieux conseils.
-
[1]
Vassili GROSSMAN, Vie et destin, trad. par A. Berelowitch, avec la collaboration d’A. Coldefy-Faucard, Paris/Lausanne, Julliard/L’Âge d’homme, [1980] 1983, p. 596.
-
[2]
- Ibid., p. 597.
-
[3]
- Au sujet des dysfonctionnements dans les documents bureaucratiques soviétiques et sur la façon dont ils peuvent être traités par les historiens, voir Grégory DUFAUD, « Que faire des dysfonctionnements ? Quelques observations sur l’écriture de l’histoire de l’Union soviétique », A contrario, 1-17, 2012, p. 53-69.
-
[4]
- Jennifer TURPIN, Reinventing the Soviet Self : Media and Social Change in the Former Soviet Union, Westport, Praeger, 1995 ; Jeffrey BROOKS, Thank You, Comrade Stalin ! Soviet Public Culture from Revolution to Cold War, Princeton, Princeton University Press, 2000 ; Tat’jana GORJAEVA, Radio Rossii. Politi?eskij kontrol’ sovetskogo radioveš?anija v 1920- 1930-h godah, Moscou, ROSSPÈN, 2000 ; Id., « Velikaja kniga dnja... ». Radio v SSSR, Moscou, ROSSPÈN, 2007 ; Thomas C. WOLFE, Governing Soviet Journalism : The Press and the Socialist Person after Stalin, Bloomington, Indiana University Press, 2005 ; Alexandre SUMPF, Bolcheviks en campagne. Paysans et éducation politique dans la Russie des années 1920, Paris, CNRS Éditions, 2010 ; Kristin ROTH-EY, Moscow Prime Time : How the Soviet Union Built the Media Empire that Lost the Cultural Cold War, Ithaca, Cornell University Press, 2011.
-
[5]
- Sur les communications interindividuelles à distance comme lieu où le jugement critique prend forme, voir Malte GRIESSE, Communiquer, juger et agir sous Staline. La personne prise entre ses liens avec les proches et son rapport au système politico-idéologique, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2011.
-
[6]
- Sur la concurrence des usages politique et social des outils de communication pendant les premières années du régime soviétique, voir Larissa ZAKHAROVA, « ‘Le socialisme sans poste, télégraphe et machine est un mot vide de sens’. Les bolcheviks en quête d’outils de communication (1917-1923) », Revue historique, 660-4, 2011, p. 853-873.
-
[7]
- Archives de l’économie d’État de Russie (Rossijskij Gosudarstvennyj Arhiv Èkonomiki, ci-après RGAE), fonds (ci-après f.) 3527, inventaire (ci-après op. ou per.) 4, dossier (ci-après d.) 116, feuille (ci-après l.) 4.
-
[8]
- Le régime stalinien se distingue peu en cela des pays européens qui, à l’instar de la France en nationalisant les PTT, modèlent leurs réseaux sur la structure administrative et politique du pays. Catherine BERTHO (dir.), Histoire des télécommunications en France, Toulouse, Érès, 1984, p. 63-64.
-
[9]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 722, l. 1.
-
[10]
- À ce titre, les travailleurs de choc, ou stakhanovistes, par exemple, ont droit à un niveau de vie supérieur.
-
[11]
- Sheila FITZPATRICK, Le stalinisme au quotidien. La Russie soviétique dans les années 1930, Paris, Flammarion, 2002, p. 269 ; Id., Tear off the Masks ! Identity and Imposture in Twentieth-Century Russia, Princeton, Princeton University Press, 2005 ; François-Xavier NÉRARD, Cinq pour cent de vérité. La dénonciation dans l’URSS de Staline, 1928-1941, Paris, Tallandier, 2004.
-
[12]
- Le changement d’échelle est aussi dicté par la logique propre aux évolutions techniques (qui ne sont néanmoins pas spécifiques à l’URSS) : si le mérite du télégraphe est d’avoir permis les connexions à longues distances, le téléphone se développe initialement dans les villes. C. BERTHO (dir.), Histoire des télécommunications..., op. cit., p. 52.
-
[13]
Nikolaj D. PSURCEV (dir.), Razvitie svjazi v SSSR, 1917-1967, Moscou, Éditions Svjaz’, 1967, p. 50-57.
-
[14]
- RGAE, f. 3527, op. 2, d. 275, l. 163-171.
-
[15]
- N. D. PSURCEV (dir.), Razvitie svjazi v SSSR..., op. cit., p. 69.
-
[16]
- RGAE, f. 3527, op. 2, d. 275, l. 109.
-
[17]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 42, l. 407.
-
[18]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 11, l. 15.
-
[19]
- RGAE, f. 3527, op. 2, d. 275, l. 109-110.
-
[20]
- N. D. PSURCEV (dir.), Razvitie svjazi v SSSR..., op. cit., p. 79-82 et 85.
-
[21]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 41, l. 15.
-
[22]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 82, l. 232.
-
[23]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 42, l. 127-128. Les colis sont payés non seulement en fonction du poids mais aussi de la distance (l’écart va de 550 roubles pour 400 km à 5 455 roubles pour 10 000 km par livre (funt), équivalant à 409,5 grammes).
-
[24]
- Ibid., l. 260.
-
[25]
- Sur cette catégorie sociale des byvšie et sur la façon dont ils deviennent lišency (privés des droits civiques), voir Golfo ALEXOPOULOS, Stalin’s Outcasts : Aliens, Citizens, and the Soviet State, 1926-1936, Ithaca, Cornell University Press, 2002 ; Jean-Paul DEPRETTO, Pour une histoire sociale du régime soviétique, 1918-1936, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 51-66 ; Nathalie MOINE, « Peut-on être pauvre sans être un prolétaire ? La privation de droits civiques dans un quartier de Moscou au tournant des années 1920-1930 », Le Mouvement social, 196-3, 2001, p. 89-114 ; Id., « Système des passeports, marginaux et marginalisation en URSS, 1932-1953 », Communisme, 70/71, 2003, p. 87-108 ; Sofia ?UJKINA, Dvorjanskaja pamjat’ : byvšie v sovetskom gorode – Leningrad, 1920-30 gody, Saint-Pétersbourg, EUSPb Press, 2006 ; Sofia TCHOUIKINA et Monique de SAINT-MARTIN, « La noblesse russe à l’épreuve de la révolution d’Octobre. Représentations et reconversions », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 99-3, 2008, p. 104-128.
-
[26]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 42, l. 244.
-
[27]
- Sur la famine de 1921 et ses effets, voir Aleksandr IL’JUHOV, Žizn’ v èpohu peremen : material’noe položenie gorodskih žitelej v gody revoljucii i graždanskoj vojny, Moscou, ROSSPÈN, 2007, p. 166-183.
-
[28]
- Sur la liquidation de l’analphabétisme (likbez), voir A. SUMPF, Bolcheviks en campagne..., op. cit. ; Charles E. CLARK, Uprooting Otherness : The Literacy Campaign in NEP-Era Russia, Selinsgrove, Susquehanna University Press, 2000.
-
[29]
- Archives nationales de la République tatare (Nacional’nyj Arhiv Respubliki Tatarstan, ci-après NART), f. 1220, op. 1, d. 4, l. 2-4 et 47.
-
[30]
- Ibid., l. 5, 11, 14, 57 et 61.
-
[31]
- Ibid., l. 48.
-
[32]
- NART, f. 1220, op. 1, d. 59, l. 3v-4.
-
[33]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 116, l. 5.
-
[34]
- Ibid., l. 6.
-
[35]
- RGAE, f. 3527, op. 2, d. 160a, l. 29 et 63.
-
[36]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 166, l. 1 et 6.
-
[37]
- Ibid., l. 7-8.
-
[38]
- RGAE, f. 3527, op. 2, d. 160a, l. 37.
-
[39]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 166, l. 1.
-
[40]
- Si, en 1926, 51 % de la population âgée de plus de dix ans est analphabète, en 1939, 89,7 % des habitants de la RSFSR savent lire et écrire. C. E. CLARK, Uprooting Otherness..., op. cit., p. 72-73 et 109.
-
[41]
- Orlando FIGES, Les chuchoteurs. Vivre et survivre sous Staline, trad. par P.-E. Dauzat, Paris, Éd. Denoël, [2007] 2009.
-
[42]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 722, l. 8.
-
[43]
- Ibid., l. 10a.
-
[44]
- Ibid., l. 11.
-
[45]
- Ibid., l. 1.
-
[46]
- Ibid., l. 4.
-
[47]
- Sur le développement du commerce à distance en France, voir Philippe MUNCK, Manufrance, nous accusons, Paris, Éd. de La Vie ouvrière, 1993.
-
[48]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 116, l. 5 et d. 722, l. 10a. Voir n. 34.
-
[49]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 722, l. 3.
-
[50]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 711, l. 115.
-
[51]
- RGAE, f. 3527, op. 8, d. 55, l. 2.
-
[52]
- Ibid., l. 2 et 59. Pour la densité téléphonique aux États-Unis et en Europe dans l’entre-deux-guerres, voir Pascal GRISET, Les révolutions de la communication, XIXe-XXe siècle, Paris, Hachette, 1991, p. 20. Pour la veille de la Seconde Guerre mondiale, il donne les chiffres suivants : 15,8 pour les États-Unis et 2,7 pour l’ensemble du continent européen (la Suède 13,6, l’Allemagne 5,3, la Grande-Bretagne 7, la France 3,8). Catherine Bertho et Patrice Carré précisent qu’en 1938, la densité téléphonique était très inégale entre les villes françaises : 15 à Paris, 9 à Lille et à Bordeaux, 7 à Nice. « En fait, la densité téléphonique entre les deux guerres épouse assez fidèlement la carte de la France économique : l’équipement est meilleur dans la France plus riche et industrialisée du Nord et de l’Est, les postes téléphoniques sont plus rares dans la France rurale du Sud et de l’Ouest. Seules quelques zones de villégiature font exception : Nice, Biarritz, Saint-Malo – Dinard sont par exemple parmi les premières zones automatisées », Catherine BERTHO et Patrice A. CARRÉ, « Le téléphone de Clémenceau à Mistinguett, 1914-1939 », in C. BERTHO (dir.), Histoire des télécommunications..., op. cit., p. 125-146, citation p. 134.
-
[53]
- En comparaison, le nombre d’abonnés téléphoniques aux États-Unis augmente de deux fois et demi entre 1911 et 1928, tandis qu’en Europe, il triple pendant la même période. La crise de 1929 est à l’origine de la chute de 13,5 % du nombre d’abonnés aux États-Unis (jusqu’à 16,7 millions) en 1933. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis franchissent le seuil des vingt millions d’abonnés. Pascal GRISET, Les révolutions de la communication..., op. cit., p. 19-20.
-
[54]
- RGAE, f. 3527, op. 8, d. 55, l. 58.
-
[55]
- Ibid., l. 32 et 58.
-
[56]
- Les inégalités spatiales et sociales sont un trait fondamental dans le développement du modèle soviétique : on les retrouve dans le domaine du ravitaillement et plus largement de la distribution, ou encore dans le domaine du contrôle et de la répression par le biais du système des passeports. Voir Elena OSOKINA, Our Daily Bread : Socialist Distribution and the Art of Survival in Stalin’s Russia, 1927-1941, New York/Londres, M.E. Sharpe, 2001 ; Julie HESSLER, A Social History of Soviet Trade : Trade Policy, Retail Practices, and Consumption, 1917-1953, Princeton, Princeton University Press, 2004 ; Nathalie MOINE, « Le système des passeports à l’époque stalinienne. De la purge des grandes villes au morcellement du territoire, 1932-1953 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 50-1, 2003, p. 145-169.
-
[57]
- RGAE, f. 3527, op. 8, d. 55, l. 6.
-
[58]
- Ibid., l. 4-5. Sur les disparités entre les quartiers de Moscou pendant les années 1930, voir Élisabeth ESSAÏAN, « Kvartal : création d’une nouvelle forme urbaine et d’un nouvel usage d’habitat collectif », in P. VIGANÒ et P. PELLEGRINI (dir.), Comment vivre ensemble. Prototypes of Idiorrhythmical Conglomerates and Shared Spaces, Venise, Officina edizioni, 2006, p. 37-55 ; Nathalie MOINE, « Pouvoir bolchevique et classes populaires : la mesure de privation de droits civiques à Moscou au tournant des années 1930 », Cahiers de l’IHTP, 35, 1996, p. 141-159.
-
[59]
- C. BERTHO (dir.), Histoire des télécommunications..., op. cit., p. 64.
-
[60]
Sur le plan de la reconstruction de Moscou, voir Élisabeth ESSAÏAN et Valérie POZNER, « La reconstruction de Moscou, 1935-1940 », Le Moniteur architecture, 162, 2006, p. 98-103.
-
[61]
- RGAE, f. 3527, op. 8, d. 55, l. 3-4.
-
[62]
- Ibid., l. 12.
-
[63]
- Au sujet des objets actants, voir par exemple Madeleine AKRICH, Michel CALLON et Bruno LATOUR, Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Paris, École des Mines, 2006.
-
[64]
- RGAE, f. 3527, op. 8, d. 55, l. 5.
-
[65]
- Ibid., l. 6.
-
[66]
- Voir, dans les archives du parti communiste de l’URSS (Rossijskij Gosudarstvennyj Arhiv Novejšej Istorii, ci-après RGANI), certains documents sur l’écoute téléphonique des élites : f. 89, per. 18, d. 27, l. 1 ; d. 42, l. 1-17 ; d. 49, l. 1 ; d. 114, l. 1-13 ; per. 37, d. 44, l. 1-3 ; d. 42, l. 1-5 ; f. 5, op. 30, d. 412, l. 18-21.
-
[67]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 1576, l. 3.
-
[68]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 722, l. 3.
-
[69]
- Cette logique correspond aux contours généraux des rapports entre l’État prédateur et le monde rural en URSS : Lynne VIOLA, Peasant Rebels under Stalin : Collectivization and the Culture of Peasant Resistance, New York/Oxford, Oxford University Press, 1996 ; Jean LÉVESQUE, « ‘Into the Gray Zone’ : Sham Peasants and the Limits of the Kolkhoz Order in the Post-War Russian Village », in J. FÜRST (éd.), Late Stalinist Russia : Society Between Reconstruction and Reinvention, Londres, Routledge, 2006, p. 103-120.
-
[70]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 1576, l. 27-28.
-
[71]
- Ibid., l. 4-6.
-
[72]
- Ibid., l. 29.
-
[73]
- Sur les évacués et leurs liens sociaux, voir Rebecca MANLEY, To the Tashkent Station : Evacuation and Survival in the Soviet Union at War, Ithaca, Cornell University Press, 2009.
-
[74]
- RGAE, f. 3527, op. 7, d. 849, l. 38.
-
[75]
- Sur la famine de 1946-1947 en URSS, provoquée entre autres par les exportations de céréales, voir Veniamin F. ZIMA, Golod v SSSR, 1946-1947 godov : proishoždenie i posledstvija, Moscou, Institut Rossijskoj istorii RAN, 1996.
-
[76]
- RGAE, f. 3527, op. 7, d. 849, l. 1.
-
[77]
- Ibid., l. 2-3.
-
[78]
- Ibid., l. 3. L’enjeu de la réforme consiste à réduire les sommes d’argent accumulées par les Soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. Le résultat est qu’elles sont divisées par trois, passant de 43,6 à 14 milliards de roubles. Vasilij P. POPOV, Èkonomi?eskaja politika Sovetskogo gosudarstva. 1946-1953 gg., Moscou/Tambov, Éditions TGTU, 2000.
-
[79]
- RGAE, f. 3527, op. 7, d. 849, l. 9.
-
[80]
- Ibid., l. 29-30.
-
[81]
- Ibid., l. 35.
-
[82]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 2050, l. 34.
-
[83]
- Ibid., l. 196-197.
-
[84]
- Ibid., l. 24, 33 et 196.
-
[85]
- Sur les chantiers, les travailleurs libres côtoient les prisonniers du Goulag parmi lesquels les opinions critiques sont très répandues. Voir, par exemple, Nicolas WERTH, « ‘Déplacés spéciaux’ et ‘colons de travail’ dans la société stalinienne », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 54-2, 1997, p. 34-50.
-
[86]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 2050, l. 196-197.
-
[87]
- Ibid., l. 149.
-
[88]
- Ibid., l. 148.
-
[89]
- Ibid., l. 1-3, 6, 10 et 143-146.
-
[90]
- Ibid., l. 148.
-
[91]
V. ERISTOV (ingénieur en chef du Sredasgidrostroj), « Stalinskij plan pokorenija Kara-kumov – v dejstvii », Izvestija, 12 sept. 1951 ; RGAE, f. 3527, op. 4, d. 2050, l. 1-3, 6, 10 et 143-146.
-
[92]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 711, l. 2.
-
[93]
- Ibid., l. 40
-
[94]
- Ibid., l. 35, 37 et 40-41.
-
[95]
- Ibid., l. 42.
-
[96]
- Ibid., l. 41.
-
[97]
- Ibid.
-
[98]
- Ibid., l. 42.
-
[99]
- Ibid., l. 43.
-
[100]
- Ibid., l. 41.
-
[101]
- Ibid., l. 42.
-
[102]
- Ibid., l. 37.
-
[103]
- Ibid., l. 36-38.
-
[104]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 757, l. 2-3.
-
[105]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 711, l. 111v et 112v.
-
[106]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 943, l. 18.
-
[107]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 2497a, l. 53.
-
[108]
- Ibid.
-
[109]
- Ibid., l. 54.
-
[110]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 2497a, l. 55.
-
[111]
- Ibid.
-
[112]
Au sujet des techniques de pouvoir, voir Cyril LEMIEUX, Mauvaise presse. Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, Paris, Métailié, 2000, p. 445.
-
[113]
- Voir, par exemple, Ithiel de SOLA POOL (éd.), The Social Impact of the Telephone, Cambridge, MIT Press, 1977 ; Marie CARPENTER, La bataille des télécoms. Vers une France numérique, Paris, Économica, 2011.
-
[114]
- Henry M. BOETTINGER, « Our Sixth-and-a-Half Sense », in I. de SOLA POOL (éd.), The Social Impact of the Telephone, op. cit., p. 200-207, citation p. 203.
-
[115]
- Jorma AHVENAINEN, The Far Eastern Telegraphs : The History of Telegraphic Communications Between the Far East, Europe and America Before the First World War, Helsinki, Suomalainen Tiedeakatemia, 1981 ; Soli SHAHVAR, « Tribes and Telegraphs in Lower Iraq : The Muntafiq and the Baghdad-Basrah Telegraph Line of 1863-65 », Middle Eastern Studies, 39-1, 2003, p. 89-116 ; Michael RUBIN, « The Telegraph and Frontier Politics : Modernization and the Demarcation of Iran’s Borders », Comparative Studies of South Asia, Africa, and the Middle East, 18-2, 1998, p. 59-72, ici p. 59 ; Daniel R. HEADRICK, The Invisible Weapon : Telecommunications and International Politics, 1851-1945, New York, Oxford University Press, 1991.
-
[116]
- Kai ERIKSSON, « On Communication in the Modern Age : Taylorism and Beyond », Journal for Cultural Research, 11-2, 2007, p. 125-139.
1 D ans Vie et destin de Vassili Grossman, le physicien Victor Pavlovitch Strum, de retour à Moscou après son évacuation à Kazan pendant la Seconde Guerre mondiale, s’inquiète de savoir si le téléphone de son appartement fonctionne. Il se demande alors si les évacués, « rentrant à Moscou après la défaite de Napoléon, il y a un peu plus de cent ans, n’[avaie]nt eu en tête que ce genre de bêtises [1] ! » Il trouve en effet inapproprié de penser à son confort et à l’avantage de bénéficier de réseaux de communication au moment où le pays et la capitale souffrent de la guerre et des privations. Sa femme est, elle aussi, obsédée par l’idée de pouvoir téléphoner. Aussitôt le seuil de la porte franchi, elle décroche le combiné, souffle dedans et déclare, s’adressant à son mari : « Eh bien, figure-toi qu’il marche [2] ! » Pour cette famille de l’élite scientifique, le téléphone symbolise donc le retour à une certaine forme de normalité. En même temps, l’étonnement lié au bon fonctionnement de la ligne renvoie aux représentations sur la qualité des services téléphoniques : leur défectuosité et les dysfonctionnements sont inscrits dans l’expérience quotidienne des usagers [3].
2 L’anecdote, révélatrice dans son ambiguïté, dévoile l’interrogation centrale de cet article qui montre comment les outils de communication interpersonnels, à savoir la poste, le télégraphe et le téléphone, structurent le territoire et la société soviétiques sous Staline. Si les supports de propagande et les technologies de l’information en URSS ont fait l’objet de nombreuses études, l’ampleur des communications à distance entre les Soviétiques n’a pas encore été véritablement examinée [4]. Évaluer l’accessibilité de la poste et du téléphone peut pourtant renseigner sur les hiérarchies sociales et spatiales, sur les possibilités de sociabilité à distance et, donc, sur le modèle de société que le pouvoir cherche à mettre en place. Le collectivisme, trait associé à la société soviétique, est indissociable des échanges publics ; le rôle des communications interindividuelles par des moyens de communication ne va en revanche pas de soi. Ce type d’échanges, qui échappe au collectif, peut sembler suspect aux yeux du régime en ce qu’il porte en lui un potentiel de jugement critique [5]. L’intensification des échanges entre les individus complique les procédures de contrôle (la censure postale et l’écoute téléphonique), car elle exige de mobiliser de plus en plus de personnels et de moyens techniques, et alors que les différentes formes d’échanges impliquent une variété des formes de contrôle. La police politique a une prise sur l’intensité des communications épistolaires, car elle peut retarder le courrier, ce qui entraîne des ruptures temporelles dans les échanges. En revanche, elle ne peut pas avoir le même impact sur les communications téléphoniques qui permettent des échanges simultanés, répétés et avec un plus fort potentiel subversif.
3 Les bolcheviks sont donc confrontés à un dilemme : étendre les réseaux de communication ou accroître l’emprise sur la population. Deux usages, social et politique, entrent en concurrence [6]. D’un côté, la direction de l’URSS a besoin de la poste, du télégraphe, du téléphone et de la radio à des fins de gouvernement, afin de transmettre les ordres à travers le pays et permettre l’éducation politique de la population. En 1924, le XIIIe congrès du Parti communiste de l’URSS demande de « distribuer deux millions de journaux dans les villages, soit au moins un journal pour dix foyers paysans [7] ». La poste devient donc le relais principal de transmission du discours officiel dans les centaines de milliers de villages dispersés sur le territoire soviétique.
4 L’organisation des réseaux postaux et téléphoniques répond à la volonté de contrôler les périphéries d’un territoire immense qui s’étend sur deux continents. À l’issue de la guerre civile, la centralisation du pouvoir est une condition de sa consolidation. Le premier objectif est de relier la capitale et les centres des provinces par des voies de communication selon un schéma radial. La construction d’un réseau maillé qui relierait les régions entre elles n’est toujours pas à l’ordre du jour sous Staline, pour des raisons politiques, mais aussi à cause du faible potentiel des moyens techniques à la disposition des dirigeants [8]. Afin de contrôler les périphéries, il faut certes davantage d’instruments de communication, cependant la multiplication des lignes et la grande disponibilité de ces instruments, surtout du téléphone qui ne laisse pas de traces écrites, peuvent contribuer à une certaine prise de distance, voire à une autonomisation, des dirigeants locaux vis-à-vis du centre. Il faut donc répartir les lignes de télécommunication d’une façon qui permette le contrôle efficace des périphéries en évitant autant que possible toute velléité d’émancipation.
5 D’un autre côté, le développement du réseau postal signifie la croissance des communications interindividuelles à distance et, ce faisant, la contraction de l’espace-temps. Une ordonnance de 1933 sur « Les fondements de la reconstruction de l’économie postale (po?tovoe hozjajstvo) en URSS » le stipule explicitement [9]. La demande en communication, notamment en privé, est reconnue. Ce projet de modernisation laisse supposer que les communications sont non seulement fonctionnelles mais aussi relationnelles, répondant aux besoins de sociabilité interindividuelle. Cette articulation entre contrôle et croissance des communications a pour résultat que les possibilités qu’ont les individus de communiquer à distance sont aussi déterminées par les hiérarchies sociales. Si l’État issu de la révolution d’Octobre aspire à construire une société égalitaire, il développe en réalité une politique systématique de discriminations sociales justifiées par la lutte des classes puis par le degré d’implication dans le travail « socialement utile [10] ». Cette tension entre l’idéal égalitaire et la mise en place des privilèges est au cœur des politiques dans le domaine des communications. Dans le secteur des services postaux, les dirigeants adoptent très vite un système de tarifs préférentiels pour les catégories sociales au nom desquelles la révolution est menée. En revanche, les nouvelles technologies ne peuvent être généralisées avant la fin du stalinisme, du fait de leur rareté. Face à la pénurie de l’outil technique, l’accès au téléphone est réservé aux élites. Le téléphone se transforme ainsi rapidement en un marqueur de prestige social.
6 Selon les échelles, les hiérarchies sociales et spatiales se contredisent ou se complètent. À l’échelle nationale, les élites des régions éloignées sont discriminées dans leur accès aux outils de communication modernes du fait des hiérarchies spatiales en vigueur. À l’échelle d’une ville comme celle de Moscou, la tendance est à la ségrégation : les autorités préfèrent loger les représentants des élites dans les quartiers qui doivent être reliés aux réseaux téléphoniques. La volonté politique tend donc à conjuguer les hiérarchies sociales et spatiales dans l’espace urbain, à « spatialiser » les privilèges. Les tensions entre ces hiérarchies, mais aussi entre la volonté de créer une société qui communique et les tentatives pour freiner le développement des conditions d’une dynamique sociale fondée sur une communication libre, sont à l’origine de multiples plaintes de la part des usagers. Lors du lancement de la campagne d’autocritique en 1928, le régime stalinien met en place un mécanisme qui fournit aux individus la possibilité de remettre en cause les hiérarchies sociales et spatiales. L’État encourage les dénonciations et les plaintes des citoyens au sujet des dysfonctionnements, en postulant que les critiques « d’en bas » aident le pays à avancer sur le chemin de la construction du socialisme et à façonner la société des égaux. L’institutionnalisation des procédures de plainte représente une tentative pour établir une culture politique fondée sur les droits collectifs des usagers, sur les procédures codifiées garanties par l’État médiateur. Les plaintes sont « un moyen d’exercer une double surveillance » : elles permettent aux individus d’effectuer un contrôle encadré sur les fonctionnaires et au régime de disposer d’informations sur ce que pensent les citoyens [11] ; elles donnent l’impression aux usagers qu’ils ont le droit de remettre en cause les politiques de l’État, y compris dans le domaine du service public des communications. Par le dépôt de plaintes à l’encontre du mauvais fonctionnement des services de communication ou des difficultés pour y accéder (par exemple, disposer d’une ligne téléphonique à domicile), les usagers expriment leur vision de la justice sociale et, plus généralement, de ce que doit être le socialisme au quotidien. Même si l’efficacité de l’institution des plaintes reste limitée, les dysfonctionnements révélés tendent à relativiser les statuts sociaux et les positions spatiales privilégiés.
7 Le parcours qui sera suivi est construit de façon à intégrer les développements des réseaux de communication à la chronologie de l’histoire politique et sociale. Jusqu’au début des années 1930, le téléphone occupe une position marginale. Sa rareté explique que l’essentiel des mesures dans le domaine des communications porte sur les réseaux postaux et télégraphiques. Ce n’est qu’en 1932 que le Commissariat à la poste et au télégraphe se transforme en Commissariat aux communications, signifiant la reconnaissance des réseaux téléphoniques. En contournant les campagnes, le téléphone intervient dans le compartimentage de l’espace et donc des sociétés urbaines ; il exacerbe les inégalités entre la ville et le village et à l’intérieur des villes. L’analyse se déplacera graduellement de la poste vers le téléphone et s’appuiera sur des variations d’échelles : le passage du macro au micro, de l’échelle nationale à l’espace urbain, permettra de comprendre les confrontations et les convergences entre les hiérarchies sociales et spatiales [12].
8 On montrera in fine l’évolution de la poste, en tant qu’instrument d’adhésion des masses, vers les services de communication, en tant qu’outils de la hiérarchisation de la société et du territoire. La Seconde Guerre mondiale a d’importantes conséquences sur les hiérarchies sociales et spatiales dans l’accès aux instruments de communication, établies dans l’entre-deux-guerres, qui sont brouillées par les destructions, les évacuations et les déplacements des réseaux de communication de l’Ouest à l’Est. Les politiques d’après-guerre tendent à restaurer la configuration radiale du réseau, calquée sur la division administrative du pays, ce qui a pour résultat de rétablir la discrimination dans l’accès aux outils de communication, notamment pour les travailleurs des grands chantiers. L’examen de la réception sociale des politiques à travers les plaintes et l’expression par les usagers du mécontentement permettront de percevoir les limites de la réussite du pouvoir dans l’imposition d’un système hiérarchique.
La construction d’une société nouvelle
9 Le déroulement des événements lors de la révolution d’Octobre en 1917 dépend de l’efficacité des actions mises en œuvre et, en grande partie, de la qualité des communications qui en permettent la coordination : en préparant le coup d’État, Lénine ordonne de couper les lignes téléphoniques du Palais d’hiver à Petrograd, où se trouve le gouvernement provisoire, et d’occuper le bureau central des télégraphes et des téléphones. Puis la conquête des territoires lors de la guerre civile s’accompagne de la récupération des lignes de télégraphe, de téléphone et des bureaux de poste, de l’évaluation du potentiel des réseaux et de la demande sociale en communication. Les dirigeants bolcheviks perçoivent clairement l’importance des outils de communication pour la construction de la société socialiste et la reconfiguration des rapports sociaux.
10 Les mesures prises dans le domaine de la poste, du téléphone et du télégraphe reflètent l’évolution des orientations politiques du régime. La période du communisme de guerre (1917-1921) est marquée par la volonté de créer une société qui communique à distance grâce à la poste, tandis que le téléphone et le télégraphe sont réservés aux usages administratifs. La nouvelle politique économique (NEP) sonne le glas de ce dispositif et instaure un système de privilèges et de discriminations dans l’accès aux outils de communication, pour favoriser les échanges à distance des soldats de l’Armée rouge et de leurs familles, des ouvriers et des employés des institutions soviétiques, et restreindre les communications des « ennemis de classe ». Le milieu rural et les régions à faible densité démographique, éloignées du centre, se trouvent exclus pour diverses raisons : des lignes et des services insuffisants, de maigres ressources familiales et un taux élevé d’analphabétisme. Le lancement de l’offensive socialiste en 1928 pérennise les inégalités d’accès aux outils de communication, tandis que la demande augmente sensiblement. Les projets de développement des réseaux de communication cherchent avant tout à offrir l’accès au téléphone et au télégraphe aux utilisateurs actifs de la poste, ce qui renforce davantage l’exclusion des régions et des communautés où les rapports sociaux sont étroits et locaux. Dans la hiérarchie spatiale, Moscou occupe la première place du point de vue de la concentration des équipements téléphoniques et du croisement des lignes.
De la gratuité des services postaux à l’apparition des privilèges
11 L’ambition des bolcheviks de disposer d’instruments de communication organisés selon un schéma radial est formulée avant qu’ils puissent se faire une idée de l’état dans lequel ils se trouvent et de leur quantité. Les décisions politiques relatives à l’institutionnalisation des services de communication sont infléchies au fur et à mesure de l’évolution des moyens techniques. Le 16 avril 1918, le commissaire à la poste et au télégraphe, Vadim Podbelski, et le président du gouvernement, Lénine, adoptent un décret sur « L’organisation de la direction des institutions des postes et des télégraphes de la république soviétique », qui réclame leur centralisation en vue d’une meilleure gestion, notamment avec la nomination d’un commissaire à la tête des quelque cinquante unités de postes et de télégraphes (po?tovo-telegrafnyj okrug). À l’été 1918, ces unités sont abolies et, à leur place, les comités exécutifs des Soviets des provinces ouvrent des départements de communication. Toutes les agences se trouvant sur le territoire d’une province sont rattachées au département de communication de leur province [13]. Dès le début, les services de communication sont donc étroitement intégrés à la structure administrative de l’État.
12 Désireux de construire un système de communication centralisé, les bolcheviks sont cependant confrontés à la réduction et à l’absence de dispositifs de communication dans certaines régions. La suppression des zemstvos, les institutions locales de self-government, entraîne en effet la disparition de la communication qu’ils assuraient dans les provinces. Des agences rurales de poste, dépourvues de moyen de transport, sont fermées. La conjoncture liée à la guerre civile empêche donc la mise en place d’une politique publique cohérente. D’autres bureaux de poste sont clos par les propriétaires des bâtiments qui les hébergeaient. Le nombre d’agences diminue de plus de moitié entre 1916 et 1919, passant de 14 000 à 6 000. En 1919, le Commissariat à la poste et au télégraphe mène une enquête sur le réseau. À sa demande d’informations sur l’état et l’étendue des itinéraires postaux, il reçoit de multiples télégrammes lui apprenant que certains itinéraires n’existent plus : c’est le cas dans les provinces de Gomel, de Toula, de Vitebsk, d’Iaroslavl et de Moscou. En 1919, le nombre de kilomètres des itinéraires postaux est divisé par trois par rapport à 1916 [14].
13 C’est dans ce contexte de guerre civile que les bolcheviks cherchent à gagner les faveurs de la population. Les répressions dans le cadre de la Terreur rouge s’accompagnent de mesures populistes. Malgré la dégradation du réseau postal, les bolcheviks annoncent la gratuité de l’envoi des lettres simples pesant moins de quinze grammes à partir du 1er janvier 1919. Cette invitation à communiquer à distance est vue comme un moyen de nourrir la loyauté politique de la population et de prévenir le mécontentement dans l’armée. La communication par courrier entre les soldats et leurs proches est considérée comme une garantie du maintien de l’ordre :
Prolétaires de la ville, du front et du village, profitez largement du droit conquis grâce à la révolution d’Octobre ! Partageons intensément nos pensées révolutionnaires entre la ville, le front et la campagne ! La correspondance renforce l’union du prolétariat des villes, du front et des pauvres des villages, contribue à l’organisation des forces révolutionnaires et socialistes de la Russie [15].
15 Afin de mettre en œuvre cette mesure, les dirigeants doivent trouver des moyens pour assurer l’acheminement du courrier malgré la guerre et l’endommagement des réseaux de communication. Le centre essaie d’intéresser les régions à la distribution du courrier au niveau local. Le principe d’échanges de services donne corps au système de privilèges. L’objectif d’ouvrir de nouveaux bureaux de poste et de télégraphe va de pair avec l’idée d’organiser un système de commissionnaires de poste devant assurer la transmission du courrier et des transferts d’argent jusqu’aux villages dépourvus d’agence, ainsi que la collecte des lettres et leur dépôt dans les bureaux de poste. La faible densité du réseau conduit ainsi les autorités à adopter une approche individualisée des usagers que la massification de l’usage des outils de communication peut entraver. Sachant que le réseau doit se développer, la poste se veut un service de proximité et il est prévu que les commissionnaires se déplacent à pied et éventuellement à cheval [16]. Les chevaux peuvent appartenir aux bureaux de poste. En 1919-1920, il est aussi possible de « conclure des contrats avec des artels et des agents individuels pour transporter le courrier [17] ». Par la suite, en 1924, le Commissariat à la poste et au télégraphe conclut des accords avec les comités exécutifs des Soviets locaux pour que ces derniers mettent à la disposition des postes des moyens de transport (essentiellement des chevaux) en obtenant en échange le droit d’envoyer leur correspondance gratuitement [18].
16 La reconstruction du réseau postal permet d’évaluer l’importance des pratiques de communication à distance à l’échelle du pays. Après avoir annoncé la mesure sur l’envoi gratuit des lettres, les autorités tentent de mesurer sa réception par la population. Les directions des postes de province sont chargées de mettre en place le système des commissionnaires. Elles doivent en même temps fournir au pouvoir central des informations sur leurs bureaux, le nombre de villages desservis par chaque bureau, les distances entre les bureaux et les villages et, enfin, les distances entre les villages qui se trouvent dans la même direction (avec l’idée de pouvoir les desservir avec le même commissionnaire). Les directions des postes de province sont également censées avoir une idée des volumes de correspondance envoyée et reçue par chaque village et du nombre de commissionnaires nécessaire à leur traitement, avec une estimation de leur rémunération [19]. Le gouvernement essaie donc de prendre en compte la demande réelle en communication afin de la satisfaire.
17 Cette tentative de rapprocher la poste des usagers s’accompagne de l’appropriation par le pouvoir des technologies modernes de communication à des fins de gouvernement et de contrôle. Le projet de rendre les communications interindividuelles plus fréquentes n’envisage alors pas d’autres formes d’échanges que les pratiques épistolaires. La contraction de l’espace-temps est donc inégale entre les pratiques de sociabilité à distance par rapport aux communications entre les instances de l’appareil administratif. Dans le contexte du communisme de guerre, le téléphone et le télégraphe ne peuvent avoir qu’un rôle fonctionnel (et non pas relationnel), réduit à des situations d’urgence et aux événements exceptionnels. Le 1er avril 1920, les échanges privés par télégraphe sont restreints au seul droit d’informer les proches des maladies, des décès et de la recherche de membres de la famille. Les mêmes restrictions sont appliquées à l’usage du téléphone par les particuliers : par un décret du 6 mai 1920, ceux-ci peuvent être dépossédés du téléphone au profit des dirigeants et des institutions d’État et du parti. L’usage privé du téléphone est limité aux appareils publics gratuits dont les appels sont pris uniquement si les lignes ne sont pas déjà occupées par les institutions. Le nombre d’abonnés dans le pays passe de 232 337 en 1917 à 126 870 en 1921 [20]. En 1922, quand l’Association des téléphones (ob’’edinenie telefonnyh predprijatij) est créée au sein du Commissariat à la poste et au télégraphe, son but est défini comme « la satisfaction des besoins de l’État, autrement dit des villes, des lieux d’habitation et des régions industrielles en communications téléphoniques [21] ». Les besoins de la population n’y figurent pas explicitement, les efforts sont dirigés vers la mise en connexion rapide de l’appareil administratif.
18 Avec la fin de la guerre civile et le lancement de la NEP, le retour aux services payants de la poste pour des personnes privées a lieu le 28 juillet 1921, quand une ordonnance spécifique est adoptée. La gratuité de l’époque du communisme de guerre cède face à la logique de profit économique de la NEP. Ce retournement change la façon dont les pratiques de communication à distance sont envisagées. À partir du 2 juin 1922, les restrictions de l’usage du télégraphe et du téléphone par des particuliers sont levées [22]. Le retour au service payant modifie la hiérarchie des usagers. Les premiers groupes de privilégiés sont clairement désignés. Une circulaire d’août 1921 du Commissariat à la poste et au télégraphe précise que les soldats de l’Armée rouge, les ouvriers et les employés des institutions soviétiques et des entreprises nationalisées ont le droit d’envoyer jusqu’à deux colis par mois, pesant au total moins d’un poud (16,38 kg), ayant à leur charge la moitié du prix, sachant que la seconde moitié doit être payée par l’institution ou l’unité militaire où l’individu fait son service [23]. L’ordonnance est peu de temps après rectifiée par une nouvelle ordonnance qui offre aux soldats de l’Armée rouge et à leur famille la possibilité d’envoyer gratuitement un colis par mois à la condition que son poids ne dépasse pas vingt livres (8,19 kg), des lettres simples de moins de quinze grammes et des cartes postales [24]. Le droit aux communications et à l’entraide à distance est soumis à des critères sociaux : les individus socialement utiles, classés dans les bonnes catégories, sont susceptibles d’entretenir des rapports sociaux étendus géographiquement par le biais de l’envoi de produits de consommation. En revanche, les individus définis comme « ci-devant » (byvšie) ou « socialement étrangers », associés à l’ancien régime, sont discriminés [25]. Les autorités cherchent visiblement à isoler les personnes indésirables, en restreignant leurs réseaux de sociabilité et d’entraide à distance. Une exception est faite pour les régions qui souffrent le plus de la famine en 1921. Pour y faciliter l’expédition de produits alimentaires, le gouvernement autorise le 11 août l’envoi gratuit de colis alimentaires dont le poids ne dépasse pas un poud [26].
19 Dans ces régions fortement touchées par la famine, à l’instar de la région Volga-Kama [27], l’accessibilité des services postaux n’entraîne pas forcément la croissance des pratiques de communication à distance. Les tentatives des dirigeants pour encourager les échanges entre les « prolétaires de la ville, du front et du village » par le biais des tarifs réduits échouent dans certaines localités pour des raisons tant structurelles que contingentes. Les hiérarchies sociales désirées se heurtent aux hiérarchies spatiales sur lesquelles le gouvernement a peu de prise. Le chef de la direction des communications de la région Volga-Kama affirme, dans un rapport sur les activités de l’année 1922-1923, que la confiance de la population à l’égard de la poste est ruinée. Il explique le peu de popularité des services de la poste auprès des usagers par le profil essentiellement agricole de la région, par le « niveau culturel très bas » (30 % de la population de la région âgée de quatorze à quarante ans est analphabète en 1923 [28]) et par les conséquences de la famine de 1921 :
La grande partie de la population faisait de l’agriculture extensive, destinée uniquement à la consommation, et n’a rien donné au marché ou à l’industrie. Privée des réserves et étant très pauvre, elle était vouée à mourir à cause de la famine et de la mauvaise alimentation [29].
21 Aussi, en 1923, 68,1 % des bureaux de poste dans la région Volga-Kama sont « désespérément déficitaires », selon l’administration. Le courrier privé représente 58 % des flux de la correspondance en 1922-1923 et 69,4 % en 1923-1924, et les échanges télégraphiques personnels 41 % en 1922-1923 et 67,1 % en 1923-1924 [30]. De plus, le réseau se révèle rudimentaire : en 1923-1924, seuls 8 % des 10470 villages sont desservis par la poste fixe et 5,5 % par la poste ambulante. Des bureaux sont fermés, faute d’activités [31]. La région Volga-Kama ne communique que très peu à distance au début des années 1920 et les réseaux de sociabilité y sont très étroits. La situation s’améliore un peu vers le milieu des années 1920. En 1925, 41,2 % des localités et 47 % de la population ont accès à la poste grâce à l’introduction du système des commissionnaires ruraux (sel’skih pis’monoscev), bien que les premières expériences soient ratées puisque ceux-ci, devant parcourir à pied des itinéraires de trente-cinq kilomètres par jour, cherchent à les réduire par tous les moyens et évitent de passer par tous les villages ou y envoient des passeurs occasionnels. L’année d’après, les proportions sont respectivement de 66,3 % et de 83,4 %. La correspondance envoyée des villages ne pèse toutefois que pour 19,1 % du courrier de la région [32].
L’Union soviétique au début des années 1950
Mer de OCÉAN GLACIAL ARCTIQUE Mer de
Barents Sibérie Orientale
Mer Baltique
Mer de
LETTONIE
Laptev
ESTONIE CARÉLIE-
LITUANIE Leningrad FINNOISEMKearrade
MinskVitebsk NovgorodB Méerrindeg
Velikié Louki
BIÉLORUSSIE
e
i
r
p
n
D
Gomel
Moscou RÉPUBLIQUE
Kiev
UKRAINE Toula MouromAUTONOME IAKOUTE
Kharkov Gorki
MelitopolVorochhilovgrad Kazan R. S. FF. SS. RR. d’OkMherotsk
K
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m
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g
l
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V
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suRr-olset-oDv-onV StolSaligaronagtroavd Sverdlovsk
D
o
n
Tsimliansk
Tobolsk
Tbilissi
RÉPUBLIQUE
Makhatchkala Kemerovo AUTONOME Khabarovsk
AZERBAÏDJAN BOURIATE
Tchita
Mer d’Aral Irkoutsk
Bakou
40° N
60° N
Mer Noukous KAZAKHSTAN
Caspienne
Kounia-Ourguentch
Vladivostok
Tachaouz
Ourgentch
TURKMÉNISTAN
Achkhabad Alma-Ata MONGOLIE CHINE
Tachkent
OUZBEKISTAN
IRAN Limites des Républiques
Stalinabad fédérales
Limites des régions
AFGHANISTAN de la RSFSR
100° E 120° E 2 000 km
60° E 80° E
© A. Varet Vitu CNRS UMR 8556
L’Union soviétique au début des années 1950
22 À l’échelle de l’Union soviétique, la réticence ou l’impossibilité des villages à communiquer à distance sont encore plus fortes. En 1924, bien que 80 % de la population soit rurale, on compte un courrier reçu ou envoyé pour huit habitants ruraux par mois [33]. En septembre 1924, seule 8,8 % de la correspondance part des villages, le reste étant envoyé des villes [34]. De la même façon, les citadins recourent au télégraphe bien plus souvent que les villageois. En 1924-1925, 91,6 % des télégrammes (soit 120 480 000 missives) acheminés sur le territoire de l’URSS proviennent des citadins [35]. Les campagnes, qui échappent aux flux des échanges, participent donc à la mise en place de hiérarchies sociales et spatiales différentes de celles attendues par le pouvoir.
23 Les autorités considèrent que le processus de reconstruction du réseau postal est achevé vers 1926-1927, car le nombre de bureaux de poste et la longueur des itinéraires dépassent enfin les chiffres de 1913 [36]. Il a fallu dix ans aux bolcheviks pour gagner ce jeu de concurrence avec le régime tsariste, en référence auquel ils construisent leur légitimité. En même temps, seule 82,7 % de la population de l’URSS a accès aux services de la poste dans quelque 230548 localités, ce qui représente 51,6 % des lieux d’habitation. La poste reste inaccessible à la seconde moitié des lieux d’habitation, ce qui donne une idée de l’importance des communications à distance en URSS à la fin des années 1920. Dans la perspective comparative entre les régions et les républiques, c’est la république kazakhe qui est la plus coupée des réseaux de communication : seule 38,5 % de sa population a accès aux services de la poste. Ce pourcentage pour toutes les républiques centrasiatiques prises ensemble est de 59,7 %. Pratiquement le même niveau d’accès à la poste (54 % de la population) se retrouve en Sibérie orientale et en République autonome iakoute. Ces inégalités d’accès s’expliquent avant tout par la faible densité de la population et par le mauvais état des routes [37]. Le territoire du pays se trouve donc hiérarchisé par les moyens techniques de communication. Ces inégalités sont issues de la domination économique et politique du centre sur les territoires périphériques dans le cadre de l’empire russe et de l’URSS, où les communications gouvernementales entre le centre et les régions priment sur les impératifs de mise en communication des individus, mais où les disparités sont aussi liées à l’incapacité des autorités à assurer la densité égale des réseaux sur l’ensemble du territoire et à la faible demande des outils de communication dans le milieu rural.
Le renforcement des inégalités pendant la période de construction forcée du socialisme
24 Une fois la période de reconstruction achevée, les autorités ambitionnent de développer les réseaux de communication. Les plans de la construction des réseaux ne font aucune référence, même implicite, au danger que d’intenses communications interindividuelles peuvent représenter pour le régime. Ces plans sont élaborés à partir d’une logique économique qui prend en compte les pratiques réelles de communication à distance. Les télécommunications ne sont plus cantonnées aux usages de l’appareil du pouvoir : en 1926, l’usine léningradoise Aurore rouge conclut un accord d’aide technique avec la compagnie suédoise Ericsson pour démarrer la production de centraux téléphoniques de taille critique. Afin de décider de leur distribution sur le territoire, d’un côté, dès 1927, le Commissariat calcule les profits issus de l’exploitation des lignes télégraphiques pour définir les tracés des nouvelles lignes téléphoniques [38] ; d’un autre côté, il repère les axes principaux de flux de correspondance écrite pour les doubler de lignes télégraphiques et téléphoniques [39]. Le calcul du profit potentiel est fondé sur la prise en compte de l’usage effectif des outils de communication. Cette manière de penser l’évolution des réseaux tend à enraciner les inégalités sociales et spatiales existantes. Cette vision techniciste de la société et de l’État postule que toute nouvelle technologie sera acceptée sans réserve par les individus, rendant les anciens outils obsolètes. Autrement dit, ces calculs partent de l’idée que les individus qui communiquent par la poste échangeront ce mode de communication « archaïque » contre les nouveaux outils modernes de communication : le téléphone et le télégraphe. Les réticences face à l’usage de ces outils, liées à la crainte du contrôle, ne sont de fait pas du tout prises en compte.
25 La demande sociale en moyens techniques de communication à distance ne fait pas non plus apparaître de telles réticences, à tel point que, dans les années 1930, la demande en communication déborde les capacités du système à la prendre en compte et à la gérer. La croissance de la demande est liée aux succès de la lutte contre l’analphabétisme et à l’éclatement des familles, un phénomène courant à partir de la fin des années 1920 et du début des années 1930 [40]. La collectivisation de l’agriculture et l’industrialisation à marche forcée, lancées par Staline parvenu au sommet du pouvoir, provoquent un fort exode rural et s’accompagnent de déportations. L’augmentation de la distance spatiale entre les individus renforce l’importance des moyens de communication, même si les individus stigmatisés comme koulaks, qui fuient la collectivisation ou qui sont déportés, choisissent de se faire oublier ou contournent la poste officielle en transmettant leurs lettres à l’aide de passeurs [41]. La famine de 1933 a pu avoir les mêmes effets restrictifs sur les pratiques de communication à distance que ce qui a été observé avec la famine de 1921, mais le Commissariat aux communications décide de ne pas produire de statistiques pour 1933-1934, dissimulant ainsi les effets de la famine sur les communications à distance. Une commission chargée de l’élaboration du schéma général de la reconstruction du système postal en 1934 utilise les données sur les flux de la correspondance de 1931 et 1932 pour établir le plan pour l’année 1937 [42].
26 Ce schéma prévoit entre autres une augmentation de plus de 195 % des envois de paquets au contenu essentiellement « éducatif » : les responsables du secteur des communications considèrent qu’en 1937, les Soviétiques vont apprendre par correspondance, ce qui entraînera la croissance des flux des manuels et des livres par la poste [43]. Cette croissance de 196,4 % prévue pour les colis est justifiée par l’envoi de produits de consommation durable (des postes de radio, des machines à coudre, des montres, etc.) à destination des « travailleurs du village », au motif que l’offre ne serait pas suffisante dans les magasins ruraux. D’après ces prévisions, les individus doivent se servir de la poste pour satisfaire leurs besoins culturels et non pas pour recevoir des colis alimentaires qui aident à lutter contre la pénurie des biens de consommation. Au lendemain de la famine de 1933, le Commissariat considère que les flux de colis alimentaires seront en baisse en 1937 par rapport à 1932 [44].
27 Au 1er janvier 1933, le pays compte 5 257 bureaux de poste, 39356 agences postales et 103131 facteurs ruraux [45]. L’ampleur des communications à distance peut être relativisée en la comparant à l’usage des services postaux dans les pays occidentaux (tableau 1).
Territoire et population desservis par un bureau de poste en 1932
Pays | Territoire (km2) | Population | Densité de la population (habitants/km2) |
Allemagne Angleterre France États-Unis URSS |
11 17 31 163 476 |
1536 2002 2337 2550 3704 |
117 187 76 16 7 |
Territoire et population desservis par un bureau de poste en 1932
28 La faible densité de la population de l’Union soviétique explique la rareté des bureaux de poste sur son territoire. Le nombre d’usagers par bureau de poste soviétique dépasse largement la moyenne européenne et même américaine, et indique les faiblesses du réseau qui doit couvrir un territoire de quelque 22,5 millions de km2 [46]. En même temps, par rapport à la densité de la population, l’accès aux services postaux en URSS diffère très peu de celui constaté aux États-Unis. Or les pratiques de communication à distance sont bien moins courantes en Union soviétique en comparaison avec l’Europe et les États-Unis (tableau 2). Cet écart peut s’expliquer en partie par des différences de système économique : le commerce à distance développé dans les pays occidentaux étant pratiquement inexistant en URSS [47].
Le nombre d’envois postaux par individu en 1932
Pays | Nombre d’envois (lettres, cartes postales, lettres recommandées, paquets et presse) |
États-Unis France Angleterre Allemagne URSS |
198 153 137 111 38 |
Le nombre d’envois postaux par individu en 1932
29 L’Union soviétique du début des années 1930 se présente comme une société aux réseaux de sociabilité étroits et fermés, mais qui tendent de plus en plus à s’ouvrir (en comparaison avec 1924, on compte 0,67 courrier reçu ou envoyé par habitant rural par mois [48]). Un rapport du Commissariat aux communications de 1933 explique cette tendance par « une augmentation du niveau de la culture des travailleurs de l’Union », c’est-à-dire par la croissance du taux d’alphabétisation. Elle se traduit par des flux considérables de correspondance que la poste doit apprendre à gérer [49].
30 La massification de l’usage de la poste est à l’origine d’une prise de conscience des problèmes de localisation géographique des usagers. Par leurs échanges épistolaires, les individus participent à l’organisation, à la structuration et à la gestion de l’espace urbain. En octobre 1937, le commissaire adjoint aux communications, Vladimir Romanovski, signale au présidium du Soviet de Moscou que plusieurs rues portent les mêmes noms dans la capitale : les rues Lesnaïa, Vorovskogo, Nikolaevskaïa, Ogorodnaïa et Tserkovny proezd sont en double ; la rue Leninskikh slobod se trouve dans trois quartiers différents. De la même façon, plusieurs immeubles d’une même rue portent des numéros identiques. Pour distribuer le courrier, le Commissariat demande donc aux autorités moscovites de procéder à des changements de nom et à l’attribution correcte des numéros [50].
31 La demande croissante en communication provoque une pénurie en termes d’accès aux nouvelles technologies, notamment au téléphone. Elle est à l’origine d’inégalités visibles à travers la façon dont se distribue l’accès à ces technologies. En 1926-1927, l’essentiel des lignes urbaines se trouve dans les grandes villes : à Moscou (48 000 abonnés), à Leningrad (41 000), à Kharkov et Kiev (presque 5 000 dans chacune), à Bakou (4 600) et à Rostov-sur-le-Don (3 600). En tout, les abonnés de ces villes représentent 51,5 % des abonnés du pays. Les hiérarchies spatiales dans l’accès aux outils de communication restent déterminées avant tout par le schéma radial du réseau : toutes les lignes se croisent dans la capitale qui a, de fait, un accès privilégié aux communications à distance. En outre, Moscou profite plus que les autres villes des nouveaux équipements : quinze centraux téléphoniques pour plus de 120000 numéros sont installés dans la capitale au cours des années 1930 [51]. La densité téléphonique au centre de Moscou en 1940 est de 5 % (cinq téléphones pour cent habitants), tandis que la densité moyenne dans les villes de l’URSS est de 2,2 % (en comparaison avec les 15,37 % des villes américaines) [52]. En vingt-trois ans de régime soviétique, la quantité des téléphones urbains croît de 3,9 fois, de 265 000 à 1 052 000 abonnés [53]. Cette croissance touche avant tout les grandes villes, telles Kiev, Kharkov, Gorki, Moscou, Leningrad ou Tbilissi. Dans le même temps, en mai 1941, plus de 120 centres de districts (raïon, la plus petite unité administrative) n’ont pas de téléphone du tout [54].
32 Les inégalités d’accès au téléphone font partie intégrante du raisonnement des responsables du secteur des communications. Les projets élaborés en 1940 pour faire évoluer le réseau prévoient de préserver les hiérarchies : la densité téléphonique souhaitée pour Moscou est de 25 %, pour Leningrad de 20 %, pour Kiev, Bakou, Tbilissi, Tachkent, Kharkov, Sverdlovsk et Gorki de 16 % (ce sont des villes où les réseaux ont été étendus et densifiés pendant la période de l’entre-deux-guerres), pour Minsk, Erevan, Alma-Ata, Achkhabad, Frounze, Rostov-sur-le-Don et d’autres villes de la même importance 14 %, tandis que pour les villes comme Novgorod, Velikié Louki, Tobolsk ou encore Mourom, on pense que six téléphones pour cent habitants suffiraient [55]. Les contours initiaux du projet des réseaux de communication soviétiques se trouvent déjà modifiés par les prévisions inégales et hiérarchisées du développement des dispositifs techniques sur le territoire. Finalement, ce sont les pratiques réelles d’usage des instruments de communication et non la demande effective qui servent de fondement aux plans de construction des lignes. Les plans ne visent pas la parité en termes d’accès aux techniques modernes, mais ils conservent, voire renforcent, les inégalités spatiales [56].
Des services de communication discriminants
33 Les outils de communication sont considérés comme une forme de gratification des individus par le pouvoir. Offrir à un citoyen l’accès à une ligne téléphonique est une manière de lui signifier le statut social qui lui est reconnu. Priver des communautés entières d’un accès aux communications, y compris la poste, est à l’inverse une forme de déconsidération. La capitale soviétique concentre les tensions et les luttes symboliques qui traversent les politiques publiques d’allocation des lignes téléphoniques, où la tendance à la concentration des privilégiés dans les mêmes quartiers est contestée par la logique urbanistique qui ne prend pas en compte les configurations des réseaux téléphoniques. Dans les campagnes collectivisées, le statut social – inférieur – des kolkhoziens est signifié à travers l’instauration de la corvée postale dont les kolkhozes sont chargés. Ces spécificités du service public des communications orientent les dynamiques des échanges et déterminent les différences des rapports sociaux en ville et à la campagne.
La convergence des hiérarchies sociales et spatiales au sein de l’espace urbain
34 Au sein de l’espace urbain, les politiques de distribution des lignes téléphoniques reproduisent à l’échelle locale les hiérarchies sociales et spatiales du niveau national. Le rythme lent du développement des réseaux téléphoniques fait du téléphone un objet rare et fortement demandé. En 1940, les centraux téléphoniques de Moscou n’ont plus de ports disponibles, tandis que la demande sociale insatisfaite s’élève entre 200 000 à 250 000 téléphones [57]. Le pouvoir alloue les téléphones avant tout en fonction de l’« utilité sociale » et du statut professionnel des demandeurs : si la personne occupe un poste à haute responsabilité, elle doit, selon la logique de l’époque, être joignable à tout moment, y compris pendant les heures de repos. Les lignes téléphoniques sont attribuées prioritairement aux dirigeants et aux élites. En même temps, les procédés d’urbanisme n’incluent pas toujours la logique de l’allocation des téléphones selon des critères sociaux, ce qui complexifie l’articulation que nous cherchons à décrire.
35 Les inégalités spatiales sont perceptibles au sein même de la capitale. Initialement, la téléphonie est concentrée en centre-ville, tandis que le plan de la reconstruction prévoit l’aménagement des quartiers périphériques et impose le développement des lignes téléphoniques dans ces quartiers. L’héritage de l’ancienne dynamique de construction du réseau fait qu’en 1940, 55 % des appareils téléphoniques se trouvent à l’intérieur de la ceinture des jardins, 30 % entre les limites de la ceinture des jardins et du rempart Kamer-Kollejski et seuls 15 % à l’extérieur de ce rempart. Ainsi, la densité téléphonique varie au sein de Moscou : 5 % dans la ceinture des boulevards, 3 % dans la ceinture des jardins, 1,4 % à l’intérieur du rempart Kamer-Kollejski et juste 0,4 % à l’extérieur du rempart dans les limites de la route circulaire. Certains arrondissements sont moins bien raccordés que d’autres : ceux de Stalinski et de Sokolnitcheski n’ont que 1,7 téléphone pour 100 habitants (figure 1) [58]. La difficulté du téléphone à franchir les limites du centre-ville s’observe aussi dans certaines villes européennes, notamment à Paris où la banlieue reste « très longtemps mal liée au réseau car le cœur de celui-ci s’est constitué dans Paris intra-muros [59] ».
Rostokinski
Sokolnitcheski
Dzerjinski
Kamer-Kollejski
Leningradski
Jeleznodorojny Stalinski
Kominternovski
Sverdlovski Baoumanski
o
u
b
Sovetski Kouibychevski
l
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e
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e
d
Krasnopresnenski Krasnogvardeiski
Cein
t
u
r
e
Molotovski
Pervomaïski
Kievski
Ceinture d
Kirovski
es
j
s
Frounzenskiardi Taganski
n
Nombre de postes téléphoniques
pour 100 habitants
a
v
o
16,1
M
K
s
o
11,4-13,5
Leninski Proletarski 5,6-7,6
4,2-4,9
3,3-3,7
N Moskvoretski1,7-2,5
Limites
des arrondissements
Ceinture des boulevards
et des jardins
3 kmRempart
© A. Varet Vitu CNRS UMR 8556 Source : d’après RGAE, f. 3527, op. 8, d. 55, l. 29.
36 Depuis l’adoption du plan général de reconstruction de Moscou de 1935 et jusqu’en 1940, près de 500 nouveaux immeubles d’habitation sont construits le long des chaussées Mojaïskoé et Leningradskoé, de la rue Gorki, de Sadovoé koltso (la ceinture des jardins), de la rue Gontcharnaïa, des quais Kotelnitcheskaïa et Frounzenskaïa [60]. Les appartements sont mis à la disposition des hauts fonctionnaires, des stakhanovistes et des militaires hauts gradés. D’un grand confort, ces logements ne sont toutefois pas toujours raccordés aux réseaux téléphoniques : sur les 33000 appartements construits entre 1936 et 1940, seuls 13000 ont le téléphone. Les ingénieurs des télécoms considèrent cette situation comme scandaleuse et attirent l’attention des autorités et des experts en urbanisme sur ce problème [61]. Ils demandent à ce que le plan de reconstruction de Moscou prenne en compte les reconfigurations du réseau téléphonique [62].
37 Le manque de coopération entre les spécialistes en téléphonie et les experts en urbanisme brouille la perception des lieux de prestige dans la capitale soviétique. Le téléphone en tant qu’actant entrave le projet de ségrégation de la capitale [63]. Si la logique urbanistique cherche à décentrer les quartiers prestigieux grâce à l’aménagement des artères périphériques, les lignes téléphoniques ont une action centripète : en 1940, quatre nouveaux immeubles de la chaussée Mojaïskoé ont 13 téléphones pour 870 appartements, tandis que l’ancien immeuble no 51 de la rue Arbat a 177 téléphones et que l’immeuble no 15 de la rue Sivtsev vrajek compte 150 téléphones. Ces immeubles du centre-ville, qui abritent des dizaines d’appartements communautaires, se trouvent ainsi mieux équipés en téléphones que les nouveaux logements élitistes excentrés. Certains d’entre eux en sont complètement privés : l’immeuble no 1/8 de la chaussée Dmitrovskoé (150 appartements), le no 92/96 chaussée Leningradskoé (120 appartements), le no 1/3 rue Dragomilovskaïa, etc. [64]. Les ingénieurs des télécoms le dénoncent, voulant préserver une cohérence dans l’élitisme des quartiers sur le plan du logement et de l’équipement téléphonique :
Prenez, par exemple, des beaux immeubles de la rue Gorki, bâtiments V et G. Ils ont été conçus, construits et inaugurés sans être raccordés au réseau téléphonique. C’est pourquoi les fonctionnaires les plus importants qui y emménagent sont privés d’une connexion opérationnelle avec leurs entreprises et n’ont pas le confort élémentaire [65].
39 Les ingénieurs des télécoms brandissent la fonction utilitaire du téléphone – les hauts fonctionnaires ont besoin d’être joignables en permanence – afin de justifier leur vision élitiste de la distribution des ressources. Mais ils font apparaître le téléphone comme une technologie de sociabilité, faisant partie intrinsèque du confort matériel. Cette vision correspond par ailleurs au souci de surveillance des élites grâce aux nouvelles technologies : l’écoute téléphonique, opération coûteuse en matériaux et en ressources humaines, concerne essentiellement les personnalités haut placées [66].
La discrimination des kolkhoziens dans l’accès aux réseaux de communication
40 Alors que les villes évaluent leur accès aux outils de communication en termes de densité téléphonique, les villages utilisent un autre critère : la disponibilité de la poste. Pendant les années 1930 et surtout à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement relègue au second plan le projet d’intensification des flux postaux dans les campagnes. Après avoir subi la collectivisation, les paysans sont pratiquement considérés comme des citoyens de rang inférieur. Les slogans sur les « échanges de pensées révolutionnaires » entre la ville et la campagne appartiennent au passé. L’État se décharge de ses obligations vis-à-vis des kolkhoziens : même un service public tel que la poste ne les concerne plus véritablement. Les projets idéalistes de la poste qui pénètre le pays jusqu’à atteindre ses coins les plus reculés sont abandonnés au profit d’une approche pragmatique qui s’appuie sur les pratiques réelles de communication. Sous l’effet de convergence des hiérarchies spatiales et sociales, les kolkhozes se transforment en enclaves où la sociabilité à distance est limitée.
41 Le 9 juillet 1931 et le 17 janvier 1932, le gouvernement publie deux ordonnances qui visent à améliorer l’accès des kolkhoziens et des habitants des zones rurales aux services postaux. Il compte y parvenir par deux moyens : d’une part, plus de 40 000 succursales et agences doivent compléter le réseau des bureaux de poste qui se trouvent essentiellement dans les centres des raïon ; d’autre part, les directions des kolkhozes sont chargées de désigner un kolkhozien pour distribuer le courrier pour un ou deux kolkhozes. Ces facteurs kolkhoziens sont payés par les kolkhozes à hauteur de 0,75 % d’un trudo-den’ (journée de travail servant d’unité de rémunération) pour une journée de travail complète. Les kolkhozes fournissent également des chevaux pour le transport du courrier [67]. En janvier 1933, 76,6 % de la population soviétique reçoit sa correspondance grâce au transport à cheval [68].
42 La direction du pays remplace donc l’ancien système des commissionnaires des postes, qui étaient rémunérés par les directions des postes, par les facteurs kolkhoziens et charge les kolkhozes de les rémunérer. La logique qui sous-tend cette décision est simple : le Commissariat aux communications n’a pas assez de moyens pour proposer des services postaux sur l’ensemble du territoire et satisfaire entièrement la demande [69]. Si les paysans veulent communiquer, c’est à la direction des kolkhozes d’assurer le service nécessaire. Ainsi, une partie des fonctions dont le Commissariat avait naguère le monopole est déléguée aux institutions de production agricole. Bien que l’ordonnance prévoie la mobilisation des kolkhoziens à l’intérieur des raïon, en réalité, facteurs et chevaux kolkhoziens parcourent également les itinéraires postaux entre les raïon [70].
43 Ce nouveau système de distribution du courrier est perturbé par l’adoption, en 1946, d’un dispositif du Conseil des ministres de l’URSS (le nouveau nom donné au Conseil des commissaires du peuple la même année) et du Comité du parti « Sur les mesures de la liquidation des violations du statut de l’artel agricole dans les kolkhozes ». À cause de ce dispositif, couplé aux interventions des représentants des pouvoirs locaux qui interdisent d’employer les kolkhoziens aux services postaux, des kolkhozes arrêtent de les charger du transport de courrier. Les habitants des zones rurales sont alors obligés de se déplacer à pied jusqu’aux bureaux de poste qui se trouvent parfois à plus de vingt kilomètres. Pour remplacer les facteurs kolkhoziens, le ministère aurait dû engager 210 000 agents avec une masse salariale de 759 millions de roubles, auxquels s’ajoutent 59 000 chevaux avec les dépenses de fourrage. Puisque ces dépenses semblent insurmontables dans le contexte de l’immédiat après-guerre, Staline signe en novembre 1946 une nouvelle ordonnance qui confirme le droit des kolkhozes de charger un de leurs membres du transport du courrier. Le ministère doit toutefois étendre son réseau et remplacer petit à petit les chevaux des kolkhozes par des automobiles [71].
44 Au 1er juillet 1947, la longueur générale des routes postales sur lesquelles le courrier est transmis est de 699 600 kilomètres, dont 534 800 kilomètres, soit la plus grande partie, sont desservis par les transports kolkhoziens. Après une série de vérifications effectuées par des représentants du Conseil pour les affaires des kolkhozes et par des organes locaux de communication, le ministre des Communications (les commissariats ont repris le nom de ministères), Konstantin Sergeïtchouk, juge qu’il est possible de réduire à 15 % le nombre de chevaux kolkhoziens mobilisés aux services postaux et à 20 % le nombre de facteurs kolkhoziens. Cette réduction programmée pour le 1er décembre 1947 concerne essentiellement les itinéraires entre les raïon. La proposition sert à Sergeïtchouk à réclamer au Conseil des ministres des camions [72]. Mais elle peut aussi être interprétée comme une prise en compte de la demande réelle en communication, inférieure par rapport aux estimations d’avant-guerre. Une telle lecture de la suggestion du ministre amène à la conclusion d’une baisse des communications à distance dans l’immédiat après-guerre. Cette baisse peut être expliquée par les pertes humaines et les mouvements de population liés à l’évacuation et au déplacement de la ligne du front. Les individus ont des difficultés pour localiser leurs proches sur le territoire. Les liens sociaux déjà distendus se trouvent donc rompus par la guerre [73].
Des hiérarchies brouillées
45 Les hiérarchies sociales et spatiales dans l’accès aux outils de communication ne sont toutefois pas immuables : elles sont sujettes à des reconfigurations sous l’impact des facteurs techniques, politiques et conjoncturels. Les projets de reconstruction des réseaux endommagés lors du second conflit mondial font apparaître la volonté politique de revenir au réseau radial, et donc aux hiérarchies spatiales d’avant-guerre. La prégnance de la logique centralisatrice brouille partiellement les hiérarchies sociales dans les régions périphériques, car la pénurie des outils techniques de communication diminue leur rôle de marqueur des inégalités dans les communautés régionales. Les contradictions entre, d’un côté, le discours sur la portée sociale du progrès technique et, de l’autre, les pratiques d’aménagement des réseaux et d’attribution des lignes conduisent à la contestation des politiques publiques de la part des usagers. Les dysfonctionnements des services et des outils concernent l’ensemble des usagers et remettent en cause les hiérarchies que les autorités cherchent à préserver ou à reconstituer.
L’impact de la Seconde Guerre mondiale sur les communications
46 Avec la Seconde Guerre mondiale, les réseaux deviennent plus denses dans les régions orientales vers lesquelles s’effectue l’évacuation des entreprises et de la population (tableau 3). Les régions occidentales qui subissent l’occupation voient la destruction de leurs systèmes de communication [74]. En conséquence du déplacement des réseaux d’ouest en est pendant la guerre, les politiques et les prévisions dans le domaine des communications sont perturbées. En 1948, les dirigeants du secteur des communications se rendent compte que le plan des flux de la correspondance, des transferts d’argent et de la presse périodique n’est pas rempli. L’irréalisme du plan indique la difficulté des dirigeants à prendre en compte la mortalité causée par la guerre et la famine de 1946 [75]. Le taux d’exécution du plan est de 94,5 % pour les lettres, de 99 % pour les transferts d’argent et de 93,4 % pour la presse. Seul le flux des colis dépasse le plan, il atteint 118,2 % [76]. Ces chiffres montrent clairement que la poste sert alors pour l’entraide : le maintien des liens sociaux à distance se fait par le biais des produits de consommation et par celui des transferts d’argent plus que par les lettres. La famine de 1946-1947 a donc un effet sur les formes de sociabilité comparable à celle de 1921.
La répartition des agences de communication postale dans les républiques fédérales en 1940 et en 1948
1940 1948 | |
République Au total en URSS RSFSR Ouzbek Kazakh Kirghize Tadjik Turkmène Géorgie Azerbaïdjan Arménie Ukraine Moldavie Biélorusse Lituanie Lettonie Estonie Carélo-Finnoise |
Nbrede Nbrede Nbrede Nbre Nbre Nbre citadins ruraux soviets Territoire Nbre Dont dans Nbre de de soviets d’agences d’agences en milliers en milliers ruraux en km2 d’agences les zones soviets ruraux dans les par agence par agence par agencepar agence rurales ruraux par agence villes 51244 8,7 2,8 1,5 430 51486 44332 74685 1,7 7154 32008 9 2,5 1,4 515 32731 28483 41046 1,4 4248 730 9 8,4 2,4 560 761 579 1461 2,5 182 2264 7,3 2,2 1,3 1203 2454 2140 2673 1,2 314 352 6 3,8 1,7 567 376 312 575 1,8 64 263 6,6 5,4 2,1 538 280 232 473 2 48 246 5 5,1 2,6 1979 282 185 369 2 97 648 8,8 4,5 2 104 714 560 1121 2 154 521 8,5 5,2 2,8 163 563 404 1146 2,8 159 241 9,1 4,4 3,3 121 260 215 713 3,3 45 8023 8,7 3,5 1,9 67 7403 6137 16394 2,7 1266 287 – – 0,8 119 391 353 1236 3,5 38 2293 7 2,9 1 80 2119 1854 2520 1,3 265 713 – – – 87 780 692 2772 4 88 1573 – – – 42 1428 1331 1306 1 97 690 – – – 69 637 585 637 1 52 392 – – 0,6 529 307 270 243 0,9 37 |
47 En même temps, ces tactiques d’entraide en contexte de famine sont quantitativement plus faibles que l’envoi de colis en temps de paix. Si les échanges de lettres en 1948 représentent 72,3 % du nombre de lettres envoyées en 1940 et 91,2 % des flux de lettres de 1947 (la baisse est entre autres liée à l’augmentation des tarifs pour la correspondance écrite), pour les colis, ces pourcentages sont respectivement de 68,7 et 162,2, tandis que pour les transferts d’argent, ils sont de 175,2 et 106 [77]. Autrement dit, les individus s’entraident plus avec de l’argent en 1947 et avec des produits de consommation en 1948. La diminution des transferts d’argent entre 1947 et 1948 s’explique par la réforme monétaire qui a pour effet de diminuer le pouvoir d’achat de la population [78].
48 Cette transformation de la demande de communication à distance s’accompagne de l’ouverture de nouvelles lignes aériennes pour le transport du courrier. Le pouvoir tente de restaurer de cette manière la configuration radiale du réseau d’avant-guerre. En 1948, les avions transportent la correspondance de Moscou vers de nouvelles destinations : Vladivostok, Tchita, Kemerovo, Molotov, Fergana, Makhatchkala et Vorochilovgrad, qui s’ajoutent aux anciennes destinations ouvertes dans les années 1920 (Khabarovsk, Irkoutsk, Alma-Ata, Frounze, Stalinabad, Achkhabad, Saratov) [79]. L’envoi du courrier par avion fait l’objet d’une publicité auprès des usagers sous forme d’affiches intitulées « Connaissez-vous les nouveaux services de la poste ? » et « Envoyez le courrier par avion » [80]. Les autorités font la promotion des moyens rapides de communication à distance et encouragent les individus à maintenir des réseaux de sociabilité étendus. Leur logique est avant tout économique : puisque le plan de circulation du courrier n’est pas accompli, la poste ne fait pas assez de recettes [81]. Il lui faut donc trouver des possibilités d’augmenter les profits.
49 Puisque les flux de correspondance suivent un schéma radial, la sociabilité à distance avec les habitants de la capitale se trouve grandement facilitée par rapport aux régions périphériques. La vitesse des communications n’est donc pas corrélée à la proximité géographique. La vie quotidienne des Soviétiques est soumise à cette centralisation : étant donné que les produits de consommation sont concentrés dans les magasins de la capitale, le schéma radial des réseaux de communication permet de les distribuer sous forme de colis à travers le pays.
Les effets du schéma radial des communications
50 Les destructions de guerre puis la restauration du schéma radial des communications se font sentir dans les régions reculées et périphériques. Les individus mobilisés sur les grands chantiers staliniens se trouvent de fait discriminés dans leur accès aux outils de communication, surtout dans les régions faiblement peuplées où les infrastructures élémentaires manquent. Ceux qui travaillent à Kakhovka et Melitopol en Ukraine sont privilégiés, car ils profitent des raccords télégraphiques et téléphoniques de leurs chantiers avec Kiev et d’autres villes [82]. En revanche, en 1951, aucun bureau de poste sur le canal Volga-Don n’offre de communications téléphoniques interurbaines ni de connexions à l’intérieur des villages. Un seul bureau propose les services du télégraphe, mais celui-ci fonctionne de façon intermittente, avec des interruptions de plusieurs heures [83]. Cette absence d’outils de communication rapide, utiles en cas d’urgence, impose une sociabilité très étroite. Le déplacement sur les chantiers peut induire une réadaptation des individus aux nouvelles configurations sociales et aux nouveaux types de solidarité.
51 Le pouvoir central semble se préoccuper du problème de connexion des constructeurs. Le 14 mai 1951, une ordonnance stipule les moyens pour améliorer les services de communication sur les grands chantiers : le canal Volga-Don, la station hydroélectrique de Stalingrad, le centre hydraulique de Tsimliansk à quelque 280 kilomètres à l’est de Rostov-sur-le-Don, ou le canal au Turkménistan. Le motif principal de l’ordonnance consiste à diffuser la presse parmi les constructeurs [84]. Cette insistance peut être interprétée comme un moyen de prévenir l’apparition de communautés closes, coupées du pays et inaccessibles au contrôle, propices à la formation d’opinions critiques [85]. Le problème de la distribution des lettres (qui mettent huit jours pour aller de Rostov à Tsimliansk) ne vient qu’après. Il apparaît que, dans plusieurs villages de chantier, aucune boîte aux lettres n’existe et les constructeurs sont obligés de se déplacer à pied jusqu’aux bureaux de poste situés à une dizaine de kilomètres, voire davantage, de leurs villages. Dans certains bureaux, les enveloppes, les timbres, les cartes postales et le papier manquent, parfois pendant un trimestre [86].
52 Dans un autre registre, les impératifs d’aménagement des moyens de communication sur les chantiers sont d’ordre économique : il faut disposer de lignes téléphoniques et télégraphiques interurbaines pour mieux gérer l’avancement des travaux. Les individus sont tributaires des réseaux de communication soumis aux besoins de l’industrie. De fait, les usages économiques et sociaux des médiateurs de communication sont complètement entremêlés dans les rapports, comme celui de la commission qui examine, fin octobre 1951, l’état des services de communication du grand canal turkmène. Le mélange des registres apparaît jusque dans le choix de l’installation de l’équipement téléphonique : si tous les constructeurs n’ont pas forcément accès à la poste, le directeur de la brigade géologique a un téléphone dans son appartement, qu’il doit utiliser entre autres pour des échanges professionnels [87]. Ainsi, les instances du pouvoir cherchent à reproduire les hiérarchies sociales dans les provinces, et même dans les endroits peu habités, sur le modèle de Moscou, l’idéologie élitiste découlant en quelque sorte de la pénurie.
53 Le réseau radial montre clairement ses inconvénients pour la gestion économique au sein d’une région et pour les communications interindividuelles. Les rapports sociaux qui suivent les lignes centre-périphérie sont davantage facilités que les liens au sein d’une même région. En 1951, quatre nouveaux bureaux de poste sont aménagés tout le long du canal. Le courrier est expédié en avion, via Tachkent et Achkhabad, y compris quand il s’agit d’envois pour différentes localités qui ne sont pas connectées entre elles. Les lettres mettent alors entre dix-huit et vingt jours pour atteindre leur destination [88].
54 Quand les capacités techniques ou la volonté politique sont limitées, des territoires se trouvent exclus, totalement ou partiellement, de la couverture en communication. Sur certains points de la construction du canal, à Ourgentch par exemple, il n’existe aucune agence de communication. Après quelques mois de travaux, la direction du chantier est déplacée de Noukous vers une ville nouvelle, Takhia-Tach, située à vingt kilomètres. Un baraquement avec deux appartements comprenant en tout huit pièces est aménagé pour abriter le bureau de communication. Huit employés logent sur place. Cependant, à Takhia-Tach, les rues n’ont pas de noms et les immeubles ne sont pas numérotés. La distribution du courrier ne pouvant être effectuée, tous les envois sont considérés comme poste restante et remis aux destinataires lors de leur passage dans le bureau [89].
55 La situation des constructeurs du canal est comparable à la position dans laquelle se retrouvent les kolkhoziens chargés d’assurer les services postaux par leurs propres moyens. Des lignes téléphoniques manquent entre, d’un côté, le lieu de la direction des travaux (Takhia-Tach) et, de l’autre, Tachaouz et Kounia-Ourgentch, et en général les parties occidentales du canal. À Khodjeili, le courrier personnel n’a pas été distribué pendant vingt-sept jours et 1 889 colis n’ont pas été traités pendant une semaine. Là où les services publics sont peu développés, les agences locales et la population mettent en place leurs propres tactiques : sur certaines routes postales, le courrier est transmis par des personnes privées sans qu’il y ait eu de contrat signé avec la poste. Les contrats avec les facteurs kolkhoziens ne sont pas non plus signés. Dans d’autres cas, les facteurs se déplacent sur des ânes qui leur appartiennent [90].
56 Les travailleurs semblent s’accoutumer de l’offre limitée des services de communication : les communautés tendent à se replier sur elles-mêmes, à négliger les liens sociaux distendus sous l’effet de la mobilité. À Noukous, la salle d’accueil des clients fait dix mètres carrés. Elle n’est pas éclairée et manque de meubles. Les connexions téléphoniques avec Moscou sont difficiles et de mauvaise qualité [91]. Tout cela permet d’appréhender l’isolement des constructeurs avec le reste du pays et leurs difficultés à maintenir des rapports sociaux à distance. En même temps, un bus mis à la disposition du canal pour organiser une poste ambulante n’est pas utilisé, parce que du point de vue de la direction locale des communications, il n’est pas nécessaire. Même si certaines ordonnances montrent le souci du gouvernement d’inclure les travailleurs des chantiers dans les réseaux de communication, celui-ci est loin de constituer la priorité du pouvoir central.
L’égalité de tous face aux dysfonctionnements
57 Les inégalités d’accès aux services de communication ne sont pas toujours tolérées. Le Commissariat aux communications et la Commission de contrôle du parti organisent régulièrement des inspections pour vérifier l’« état de la culture dans les bureaux de poste » et apprécier « dans quelle mesure les services des communications satisfont les larges masses de travailleurs » [92]. Ces inspections semblent vouloir remettre en cause les hiérarchies spatiales en termes d’accès aux moyens de communication : elles concernent plusieurs régions et le rapport final en dresse un tableau comparatif. De fait, les régions où les services publics se présentent comme les plus défectueux doivent devenir des zones d’intervention privilégiées pour les autorités. Les usagers sont également encouragés à dénoncer les dysfonctionnements de la poste, du téléphone et du télégraphe auprès du bureau des plaintes. Le traitement, par les fonctionnaires du Commissariat, des signaux arrivés dans ce bureau doit aussi permettre d’établir un jugement général sur la situation et d’éliminer les défauts les plus graves, en nivelant partiellement les hiérarchies.
58 Pendant les huit premiers mois de 1936, le bureau central des plaintes reçoit 343 plaintes au sujet des communications téléphoniques et 5592 missives au sujet des dysfonctionnements de la poste en URSS, dont la moitié au sujet de la disparition de transferts d’argent. Au 1er septembre, 21,5 % de plaintes ne sont pas résolues [93]. On constate une certaine résistance du système à ces tentatives de niveler la hiérarchie, qui ressort du fonctionnement même des bureaux des plaintes. Ceux-ci donnent des réponses avec beaucoup de retard, de trois à quatre mois à Moscou et de cinq mois à deux ans en province, de façon négligée, sous forme de lettres courtes rédigées en langue de bois. Même quand les bureaux des plaintes font du zèle, ce sont les bureaux de poste qui ne réagissent pas à leurs investigations. Par exemple, en 1937, le chef des communications d’Azerbaïdjan et le directeur du bureau central des postes de Bakou ne répondent pas pendant un mois aux multiples télégrammes du bureau central des plaintes au sujet de la disparition d’un colis de haute valeur envoyé de Moscou à Bakou et refusent donc de s’engager dans le suivi de l’affaire. La même chose se passe à la direction des communications de Sibérie orientale où le chef ne réagit pas aux plaintes de plusieurs usagers, ou encore à Karaganda, au Kazakhstan, où le directeur refuse d’assumer la responsabilité matérielle des services de communication pour des vols du contenu des colis [94].
59 Le service organisé pour lutter contre les imperfections dans le fonctionnement des communications souffre des mêmes défauts bureaucratiques. Quand, en janvier 1936, un individu dépose une réclamation au bureau central des plaintes au sujet de la disparition de son transfert d’argent, il reçoit une réponse négative sous prétexte de l’absence de preuves de ce transfert. Le dossier est classé, mais il s’avère par la suite que les reçus du transfert se trouvaient entre les mains du voisin de bureau du fonctionnaire qui a rédigé la réponse négative. Sur les 150 dossiers classés vérifiés dans les archives, 47 ne sont pas menés à terme. Les usagers ont beau fournir des quittances, des reçus, des numéros de leurs envois : si une affaire est traitée par plusieurs fonctionnaires, chacun réclame les mêmes preuves à l’usager [95].
60 La plainte comme instrument de mobilisation politique des usagers, d’implication dans la construction du socialisme, se révèle dans de nombreux cas sans effet pour les usagers. L’institution sert à créer une apparence de participation des membres de la société à la politique et à donner au pouvoir une idée du fonctionnement des services publics. Cependant, la collecte des informations n’entraîne pas forcément des mesures pour rétablir la justice réclamée par les individus. L’institution résiste à la tendance à faire des droits des usagers un moteur de son évolution : elle essaie de nier le problème et de déplacer la faute sur les usagers. En juillet 1935, un certain Arbouzov s’adresse au bureau central des plaintes avec une demande de remboursement pour un colis disparu, envoyé d’Omsk à Vagaï dans la région de Tioumen en novembre 1934. Huit rappels ne suffisent pas pour que le problème soit résolu. Même les employés des services de communication ne sont pas épargnés par les failles dans le fonctionnement de la poste. Ainsi, lors de son congé à Moscou en juillet 1935, le directeur d’un bureau de poste de province effectue un transfert de 1 050 roubles de la caisse d’État à destination de son bureau. À son retour, il apprend que l’argent n’est pas arrivé. Personne ne réagit à ses réclamations. La somme est donc décomptée de son salaire. En octobre 1935, il s’adresse au bureau central des plaintes. Il écrit cinq courriers consécutifs et son bureau de poste envoie dix-sept requêtes sans résultat. Parfois, la situation frôle l’absurde : un télégramme de service expédié de Tioumen à l’adresse de la direction des communications d’Omsk n’arrive pas à destination et est retourné au point de départ avec mention : « N’a pas été livré faute de destinataire. » Autrement dit, les facteurs n’ont pas pu localiser leur organe de direction à Omsk [96].
61 En réalité, les individus se retrouvent égaux face aux dysfonctionnements du système : les hiérarchies initiales, visibles au niveau de l’accès aux moyens de communication, sont nivelées non pas à cause de la révélation et de la correction des défauts, mais à cause des failles des services. En mai 1935, un individu envoie un colis de la région de Kalinine à Omsk, mais il est remis à un homonyme du destinataire. L’investigation dure un an et demi et le dossier gonfle jusqu’à contenir 140 pages. Certains cas paraissent dramatiques, à l’instar de ce qui se passe avec un certain Martiouchov, destinataire de deux transferts de 400 et 200 roubles effectués en mars 1934. L’argent est perdu, l’enquête dure deux ans et, pendant cette période, le destinataire décède [97].
62 Les groupes privilégiés sous la NEP par le biais des tarifs postaux préférentiels perdent leurs avantages sous Staline à la suite de la massification de l’usage de la poste et des abus et des désordres que celle-ci provoque. Quand un soldat de l’Armée rouge se plaint de la perte d’un transfert envoyé de Tambov vers la Bouriatie, le bureau des plaintes refuse d’enquêter sur l’affaire, faute de reçu [98]. La Commission de contrôle proteste contre la tendance à traiter les plaintes des soldats et des officiers de la même façon que les autres. Elle cherche donc à restaurer les anciens privilèges [99]. D’après les résultats des inspections, les problèmes ne sont pas spécifiques aux régions périphériques, mais sont aussi fréquents par exemple à Koursk, à Voronej et même à Moscou [100].
63 Si, jusqu’au milieu des années 1930, les services ne cherchent pas à identifier les coupables et les responsables des pertes, en se contentant dans le meilleur des cas de rembourser les usagers [101], l’institution des plaintes acquiert une importance particulière aux yeux des dirigeants dans la seconde moitié de la décennie : les informations envoyées par les usagers constituent des prétextes aux répressions. En 1936, le IIIe Plénum de la Commission de contrôle adopte une résolution « Sur l’examen des plaintes des travailleurs », dans laquelle est proclamée la lutte contre l’inefficacité des bureaux des plaintes [102]. Elle sert de justification pour les répressions qui touchent le secteur des communications et qui se font au nom de l’égalité de tous face aux services publics. Cependant, cherchant à éliminer les dysfonctionnements qui brouillent les hiérarchies sociales et spatiales, cette intervention politique violente contribue également à rétablir les inégalités. Elle permet d’introduire, en 1936-1937, des normes de traitement des plaintes qui varient en fonction de l’échelle de l’affaire (trois jours à l’intérieur d’un raïon et d’une région, dix jours à l’échelle d’un kraj – la plus grande unité administrative à l’intérieur des républiques – et quarante-cinq jours « pour la correspondance envoyée dans les coins très éloignés de l’URSS [103] »). Le but proclamé de cette normalisation est de restaurer la confiance des travailleurs qui « confient leurs économies, leur correspondance avec les proches », à la poste. Les services publics doivent donc signifier leur engagement en tant qu’intermédiaires dans les relations sociales, dans le maintien des liens entre les proches [104].
64 La campagne dirigée contre le sabotage du système des communications se fait aussi au nom de la dénonciation des inégalités dans l’accès au téléphone. En 1937, pendant la Grande Terreur, le soupçon paranoïaque qui consiste à découvrir les « nuisances des ennemis » touche tous les secteurs. Les dirigeants des services téléphoniques de Leningrad sont accusés d’avoir distribué de façon déséquilibrée les centraux téléphoniques à travers la ville : les quartiers densément peuplés auraient reçu des centraux destinés à un faible nombre d’abonnés, tandis que les quartiers déjà équipés en lignes téléphoniques auraient profité des grands centraux supplémentaires. En conséquence, le plan de développement du réseau téléphonique existant à Leningrad est reconnu comme étant l’œuvre de saboteurs. Il est proposé à la nouvelle direction d’élaborer un plan alternatif qui veillerait à ne pas reproduire les hiérarchies spatiales [105]. Ce genre d’accusations sert à renouveler les cadres mais, comme le montre l’exemple de Moscou, la logique élitiste d’attribution des téléphones règne toujours dans le milieu des experts en 1940.
65 Le 27 juillet 1938, le gouvernement de l’URSS stipule le renforcement de la lutte contre les effets du sabotage dans le secteur des communications. Dans le sillage de cette ordonnance, l’idée est avancée de changer le schéma du réseau afin d’offrir un meilleur accès aux communications aux territoires frontaliers, aux régions nationales et aux zones rurales. Les anciens responsables du secteur des communications sont accusés d’avoir fermé 5000 agences postales malgré les lacunes du réseau et les difficultés d’accès dans certaines provinces. En 1939, la nouvelle direction prévoit d’ouvrir 400 bureaux de poste et, dans les zones rurales, 1350 agences de communication [106]. Les plaintes continuent pourtant de s’accumuler pendant les années 1940 et au début des années 1950 (tableau 4).
Plaintes contre les services publics de communication (en milliers) de 1940 à 1952
Année | Nombre de plaintes Dont contre la poste |
1940 1945 1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952 |
998,8 776,7 691,1 653,4 583,8 544,4 427,9 394,8 338,2 311,8 226,9 190 177,3 129,3 161,8 112,9 173 119,2 |
Plaintes contre les services publics de communication (en milliers) de 1940 à 1952
66 Contrairement aux époques précédentes, les usagers se plaignent au début de l’année 1953 non seulement de la perte de lettres, de colis et d’argent, mais aussi de l’ouverture de leur correspondance [107]. L’engagement proclamé par les services de communication à la fin des années 1930 est pris au sérieux par les usagers. Ils osent ainsi contester l’abolition des privilèges en termes d’accès au téléphone au sein d’un appartement communautaire, avec le dépôt d’une plainte au sujet du déplacement « illégal » de l’appareil d’une chambre vers le couloir pour un usage collectif [108]. Le téléphone utilisé collectivement agit ici contre la politique d’attribution des privilèges que son ancien propriétaire aspire à restaurer. Les possesseurs d’un téléphone le considèrent comme un véritable symbole de distinction sociale, accordé pour des « mérites spécifiques ». Les plaintes au sujet du refus des télécoms d’installer un téléphone au domicile se situent dans la même logique [109]. La perception de soi des demandeurs dans la hiérarchie sociale entre en contradiction avec leur perception par les responsables du secteur téléphonique et avec les dispositifs techniques.
67 C’est le cas d’un certain Melamedov, un Moscovite qui demande, en 1949, que soit installé un téléphone chez lui. Sa demande n’est pas satisfaite en raison des capacités techniques limitées de la station. Mais quand le réseau est agrandi, la direction des téléphones, qui a oublié sa demande, attribue les téléphones aux personnes habitant le même immeuble et ayant déposé des demandes après lui. Melamedov envoie plusieurs plaintes aux services téléphoniques, essuyant chaque fois un refus. Finalement, la direction des téléphones lui propose de payer 670 roubles pour tirer un câble supplémentaire vers son appartement. Mais Melamedov ne baisse pas les bras et continue à se plaindre, cette fois contre le fait de devoir payer une telle somme à titre individuel, tandis que le câble pourrait servir à installer plusieurs téléphones dans le même immeuble. Il obtient gain de cause et ne paie qu’un cinquième de la somme totale [110]. Melamedov décide de contester les injustices commises à son égard et y parvient malgré la résistance des techniques et des hommes. Même l’argument des capacités limitées du réseau téléphonique n’a pas d’effet sur lui. Il est significatif que le rapport du bureau central des plaintes sur cette affaire ne mentionne pas le statut socioprofessionnel de Melamedov, visiblement afin de ne pas contredire la logique de distribution des téléphones selon les critères sociaux.
68 Une telle insistance ne permet cependant pas toujours de briser la logique institutionnelle du raccordement au réseau téléphonique. Un certain Sokolov harcèle la direction des téléphones de l’arrondissement Miousski de Moscou pendant sept ans, sans succès. Au début de l’année 1953, il finit par écrire à la direction centrale des téléphones de Moscou qui ne trouve pas de meilleure idée que de transmettre sa réclamation à la direction des téléphones de son arrondissement : c’est-à-dire l’arrondissement Miousski qui a ignoré ses demandes pendant sept ans [111]. Ainsi, faute de conflits interinstitutionnels, les règles de fonctionnement de la pyramide bureaucratique se révèlent un moyen efficace pour maintenir les asymétries sociales. L’institution arbitre, le bureau des plaintes du ministère des Communications, qui est censé agir pour protéger les droits des usagers, se montre désemparée face aux limites technologiques des centraux téléphoniques. Son intervention se limite à un avertissement adressé à la direction centrale des téléphones de Moscou qui explique qu’il n’est pas correct de transmettre la plainte au sujet des actions d’une instance à cette même instance. Mais ce n’est pas cela qui fait qu’un téléphone apparaît dans l’appartement de Sokolov. La lettre que le bureau des plaintes du ministère des Communications lui envoie peut être vue comme un exemple parfait d’une technique de pouvoir comme technique de frustration [112]. Elle désapprouve les actions des institutions ciblées dans les plaintes de Sokolov et lui donne ainsi de l’espoir, mais en même temps elle ne change pas immédiatement la situation. L’intérêt est que Sokolov cesse de déposer des réclamations. Les interactions institutionnelles donnent naissance à des mécanismes qui rendent en partie caduque la participation des individus à l’élimination de ce qu’ils considèrent comme des dysfonctionnements.
69 Dans l’historiographie occidentale, le téléphone est souvent considéré comme un outil de démocratisation [113]. Cette vision suppose en creux que les régimes dictatoriaux et autoritaires se refusent à développer le système téléphonique du fait de leurs craintes que son usage social puisse miner le pouvoir, car contrairement au télégraphe qui est associé aux relations hiérarchiques et à la transmission des ordres, le téléphone sous-entend l’idée d’égalité des communicants, un processus d’échanges bilatéraux et non pas des transmissions dans un sens unique. Ainsi, dans un article sans références, Henry Boettinger affirme que la liberté d’expression assurée par le téléphone a poussé Staline à imposer son veto au plan de Trotski de développement d’un système téléphonique moderne en Russie peu de temps après la révolution. Si on en croit les paroles de Trotski rapportées dans le texte de H. Boettinger, Staline aurait considéré que : « Cela va miner notre travail. On ne peut pas imaginer un instrument plus dangereux de contre-révolution et de conspiration [114]. » Pourtant, les écrits de Trotski ne comportent pas trace d’une telle conversation.
70 En réalité, le perfectionnement des outils de communication est étroitement lié à l’histoire du contrôle et de la domination. Depuis le XIXe siècle, les empires continentaux et d’outre-mer utilisent les innovations techniques dans le domaine des communications pour mieux administrer leurs territoires [115]. Avec l’usage du télégraphe puis du téléphone, les notions de progrès technique et d’efficacité des modes de gouvernement à distance se trouvent entremêlées. Dès le début du XXe siècle, l’usage de nouvelles techniques de communication pour les besoins de la société est encouragé : la communication construit et organise la communauté, elle est la condition même de son existence, tandis que le contrôle des moyens de communication rend la société gouvernable [116]. Quand un régime autoritaire s’empare du progrès technique, l’aspiration au contrôle du territoire et des communications est poussée à l’extrême, tandis que les innovations technologiques autorisent l’arbitraire dans les pratiques du pouvoir, si ce n’est les répressions.
71 Staline n’a donc aucune raison de s’opposer aux projets de développement des réseaux téléphoniques en URSS. Plus généralement, dans les discours, les services de communication sont présentés comme une preuve de supériorité du socialisme par rapport au capitalisme en ce qu’ils garantissent l’accès impartial aux communications à tous les citoyens. Les dirigeants soviétiques se servent en effet des inégalités affichées dans l’accès au téléphone dans les pays capitalistes, qui s’expliquent par le coût élevé des services, comme aux États-Unis, ou par le faible développement des technologies et des réseaux, comme en France. Cependant, la notion de service public définie dans le contexte occidental se trouve difficilement applicable en Union soviétique stalinienne, car des valeurs et des garanties comme la continuité et la régularité du service n’y sont pas respectées.
72 Même si les dirigeants soviétiques affichent leur souhait d’introduire la poste dans les campagnes profondes et de vaincre l’espace et le temps sur l’ensemble du territoire grâce aux nouvelles technologies, ils éprouvent des difficultés à mesurer la demande réelle en communication. Dans les villes, le problème est moindre, car les administrations des téléphones récoltent les inscriptions sur les listes d’attente qui permettent d’évaluer le nombre de demandes insatisfaites en lignes téléphoniques. En revanche, les responsables du secteur des communications ont moins d’instruments pour mesurer la demande en outils de communication dans les campagnes. Les expériences décevantes de la période de la NEP, quand les nouveaux bureaux de poste ouverts dans les provinces avaient très peu d’usagers et devinrent déficitaires, poussent les autorités à agir avec plus de prudence.
73 À partir de 1927, les projets de développement des réseaux de communication s’appuient essentiellement sur les pratiques réelles d’usage de ces outils par la population. Ces pratiques, à leur tour, se fondent sur l’accès aux services de la poste, du téléphone et du télégraphe, qui varie en fonction des régions, entre les villes et la campagne, entre le centre et la périphérie et au sein des villes. L’analyse des flux réels de correspondance devient un critère pragmatique qui guide les décisions de tirer les lignes télégraphiques et téléphoniques avant tout là où les échanges de courrier par la poste sont importants. C’est ainsi que les hiérarchies spatiales en termes d’accès aux outils de communication, apparues au début de la période soviétique, se retrouvent renforcées sous Staline.
74 Les outils de communication hiérarchisent le territoire et la société soviétique : le téléphone est confiné essentiellement aux grandes villes, tandis que la poste peine à atteindre les campagnes. Le manque de ressources et la crainte du déficit dans le fonctionnement des bureaux de poste sont à l’origine de la décision de confier la corvée postale aux kolkhozes. L’État se décharge ainsi du problème de devoir satisfaire le besoin de communiquer d’un pan énorme de la société composé des ruraux. Lors de sa mise en œuvre, le projet soviétique d’une société qui communique se révèle donc profondément inégalitaire, centré essentiellement sur les villes.
75 La guerre apporte des modifications dans ce projet, en déplaçant les réseaux de l’Ouest à l’Est. Cependant, le schéma général des réseaux reste radial, ce qui facilite et favorise les communications entre la capitale et les provinces. Certains sites des grands chantiers staliniens souffrent du manque d’infrastructure et de services publics de communication. La construction des réseaux de sociabilité à distance y suit l’aménagement des lignes et des routes à des fins de gestion économique des chantiers. Si les autorités aspirent à ce que la poste devienne une courroie de transmission des produits « culturels » et de la presse, en levant ainsi la contradiction entre l’impératif du collectivisme et les communications interindividuelles médiatisées, les Soviétiques l’utilisent essentiellement pour s’envoyer des colis alimentaires dans un contexte de pénurie.
76 Les pratiques d’attribution des lignes téléphoniques en fonction des critères sociaux dans les villes trahissent la logique élitiste des responsables du secteur des communications. De leur point de vue, le téléphone associé à un confort matériel et à une qualité de vie supérieure à la moyenne doit avoir sa place dans les logements des élites plutôt que dans des appartements communautaires. Néanmoins, comme les procédés d’urbanisme ne permettent pas toujours de raccorder les nouveaux quartiers prestigieux aux stations téléphoniques, l’accès réel au téléphone ne correspond pas forcément à la stratification sociale. Par ailleurs, les appareils placés dans les couloirs des appartements communautaires posent peu de problèmes pour le dilemme entre le collectivisme et les communications privées à distance à cause du caractère semi-public de ces logements.
77 Ainsi, les contours du projet officiel de vaincre le temps et l’espace grâce aux technologies de communication accessibles à tous correspondent peu aux pratiques de la mise à disposition de ces technologies aux usagers. Le fonctionnement du bureau central des plaintes du Commissariat aux communications incarne cette contradiction entre la réparation des injustices et l’élitisme réel. Cette institution créée pour repérer les failles du système des communications et contribuer au nivellement des hiérarchies se trouve tantôt impuissante face à ces dysfonctionnements, tantôt partisane de la logique élitiste. Même si les individus disposent d’une certaine marge de manœuvre et arrivent à se servir de ce cadre institutionnel pour obtenir gain de cause selon leur conception de la justice sociale, les communications à distance en URSS stalinienne demeurent une pratique périlleuse, tributaire des dimensions territoriales du pays, du faible développement technologique et des dysfonctionnements bureaucratiques. C’est finalement l’un des enjeux de l’époque khrouchtchévienne, avec ses réformes concernant le découpage du pays en régions économiques et le refus de la centralisation, qui apporte des changements dans l’organisation des réseaux de communication et donc dans les pratiques de communication : le téléphone apparaît enfin dans les campagnes et les régions périphériques sont désormais mieux intégrées dans les réseaux de communication, ce qui constitue l’un des marqueurs tangibles du changement d’ère.
Notes
-
[*]
Je tiens à remercier Grégory Dufaud, Catherine Gousseff, Aleksandra Majstorac-Kobiljski, Nathalie Moine et Sophie Tournon pour leurs relectures attentives et leurs précieux conseils.
-
[1]
Vassili GROSSMAN, Vie et destin, trad. par A. Berelowitch, avec la collaboration d’A. Coldefy-Faucard, Paris/Lausanne, Julliard/L’Âge d’homme, [1980] 1983, p. 596.
-
[2]
- Ibid., p. 597.
-
[3]
- Au sujet des dysfonctionnements dans les documents bureaucratiques soviétiques et sur la façon dont ils peuvent être traités par les historiens, voir Grégory DUFAUD, « Que faire des dysfonctionnements ? Quelques observations sur l’écriture de l’histoire de l’Union soviétique », A contrario, 1-17, 2012, p. 53-69.
-
[4]
- Jennifer TURPIN, Reinventing the Soviet Self : Media and Social Change in the Former Soviet Union, Westport, Praeger, 1995 ; Jeffrey BROOKS, Thank You, Comrade Stalin ! Soviet Public Culture from Revolution to Cold War, Princeton, Princeton University Press, 2000 ; Tat’jana GORJAEVA, Radio Rossii. Politi?eskij kontrol’ sovetskogo radioveš?anija v 1920- 1930-h godah, Moscou, ROSSPÈN, 2000 ; Id., « Velikaja kniga dnja... ». Radio v SSSR, Moscou, ROSSPÈN, 2007 ; Thomas C. WOLFE, Governing Soviet Journalism : The Press and the Socialist Person after Stalin, Bloomington, Indiana University Press, 2005 ; Alexandre SUMPF, Bolcheviks en campagne. Paysans et éducation politique dans la Russie des années 1920, Paris, CNRS Éditions, 2010 ; Kristin ROTH-EY, Moscow Prime Time : How the Soviet Union Built the Media Empire that Lost the Cultural Cold War, Ithaca, Cornell University Press, 2011.
-
[5]
- Sur les communications interindividuelles à distance comme lieu où le jugement critique prend forme, voir Malte GRIESSE, Communiquer, juger et agir sous Staline. La personne prise entre ses liens avec les proches et son rapport au système politico-idéologique, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2011.
-
[6]
- Sur la concurrence des usages politique et social des outils de communication pendant les premières années du régime soviétique, voir Larissa ZAKHAROVA, « ‘Le socialisme sans poste, télégraphe et machine est un mot vide de sens’. Les bolcheviks en quête d’outils de communication (1917-1923) », Revue historique, 660-4, 2011, p. 853-873.
-
[7]
- Archives de l’économie d’État de Russie (Rossijskij Gosudarstvennyj Arhiv Èkonomiki, ci-après RGAE), fonds (ci-après f.) 3527, inventaire (ci-après op. ou per.) 4, dossier (ci-après d.) 116, feuille (ci-après l.) 4.
-
[8]
- Le régime stalinien se distingue peu en cela des pays européens qui, à l’instar de la France en nationalisant les PTT, modèlent leurs réseaux sur la structure administrative et politique du pays. Catherine BERTHO (dir.), Histoire des télécommunications en France, Toulouse, Érès, 1984, p. 63-64.
-
[9]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 722, l. 1.
-
[10]
- À ce titre, les travailleurs de choc, ou stakhanovistes, par exemple, ont droit à un niveau de vie supérieur.
-
[11]
- Sheila FITZPATRICK, Le stalinisme au quotidien. La Russie soviétique dans les années 1930, Paris, Flammarion, 2002, p. 269 ; Id., Tear off the Masks ! Identity and Imposture in Twentieth-Century Russia, Princeton, Princeton University Press, 2005 ; François-Xavier NÉRARD, Cinq pour cent de vérité. La dénonciation dans l’URSS de Staline, 1928-1941, Paris, Tallandier, 2004.
-
[12]
- Le changement d’échelle est aussi dicté par la logique propre aux évolutions techniques (qui ne sont néanmoins pas spécifiques à l’URSS) : si le mérite du télégraphe est d’avoir permis les connexions à longues distances, le téléphone se développe initialement dans les villes. C. BERTHO (dir.), Histoire des télécommunications..., op. cit., p. 52.
-
[13]
Nikolaj D. PSURCEV (dir.), Razvitie svjazi v SSSR, 1917-1967, Moscou, Éditions Svjaz’, 1967, p. 50-57.
-
[14]
- RGAE, f. 3527, op. 2, d. 275, l. 163-171.
-
[15]
- N. D. PSURCEV (dir.), Razvitie svjazi v SSSR..., op. cit., p. 69.
-
[16]
- RGAE, f. 3527, op. 2, d. 275, l. 109.
-
[17]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 42, l. 407.
-
[18]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 11, l. 15.
-
[19]
- RGAE, f. 3527, op. 2, d. 275, l. 109-110.
-
[20]
- N. D. PSURCEV (dir.), Razvitie svjazi v SSSR..., op. cit., p. 79-82 et 85.
-
[21]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 41, l. 15.
-
[22]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 82, l. 232.
-
[23]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 42, l. 127-128. Les colis sont payés non seulement en fonction du poids mais aussi de la distance (l’écart va de 550 roubles pour 400 km à 5 455 roubles pour 10 000 km par livre (funt), équivalant à 409,5 grammes).
-
[24]
- Ibid., l. 260.
-
[25]
- Sur cette catégorie sociale des byvšie et sur la façon dont ils deviennent lišency (privés des droits civiques), voir Golfo ALEXOPOULOS, Stalin’s Outcasts : Aliens, Citizens, and the Soviet State, 1926-1936, Ithaca, Cornell University Press, 2002 ; Jean-Paul DEPRETTO, Pour une histoire sociale du régime soviétique, 1918-1936, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 51-66 ; Nathalie MOINE, « Peut-on être pauvre sans être un prolétaire ? La privation de droits civiques dans un quartier de Moscou au tournant des années 1920-1930 », Le Mouvement social, 196-3, 2001, p. 89-114 ; Id., « Système des passeports, marginaux et marginalisation en URSS, 1932-1953 », Communisme, 70/71, 2003, p. 87-108 ; Sofia ?UJKINA, Dvorjanskaja pamjat’ : byvšie v sovetskom gorode – Leningrad, 1920-30 gody, Saint-Pétersbourg, EUSPb Press, 2006 ; Sofia TCHOUIKINA et Monique de SAINT-MARTIN, « La noblesse russe à l’épreuve de la révolution d’Octobre. Représentations et reconversions », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 99-3, 2008, p. 104-128.
-
[26]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 42, l. 244.
-
[27]
- Sur la famine de 1921 et ses effets, voir Aleksandr IL’JUHOV, Žizn’ v èpohu peremen : material’noe položenie gorodskih žitelej v gody revoljucii i graždanskoj vojny, Moscou, ROSSPÈN, 2007, p. 166-183.
-
[28]
- Sur la liquidation de l’analphabétisme (likbez), voir A. SUMPF, Bolcheviks en campagne..., op. cit. ; Charles E. CLARK, Uprooting Otherness : The Literacy Campaign in NEP-Era Russia, Selinsgrove, Susquehanna University Press, 2000.
-
[29]
- Archives nationales de la République tatare (Nacional’nyj Arhiv Respubliki Tatarstan, ci-après NART), f. 1220, op. 1, d. 4, l. 2-4 et 47.
-
[30]
- Ibid., l. 5, 11, 14, 57 et 61.
-
[31]
- Ibid., l. 48.
-
[32]
- NART, f. 1220, op. 1, d. 59, l. 3v-4.
-
[33]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 116, l. 5.
-
[34]
- Ibid., l. 6.
-
[35]
- RGAE, f. 3527, op. 2, d. 160a, l. 29 et 63.
-
[36]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 166, l. 1 et 6.
-
[37]
- Ibid., l. 7-8.
-
[38]
- RGAE, f. 3527, op. 2, d. 160a, l. 37.
-
[39]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 166, l. 1.
-
[40]
- Si, en 1926, 51 % de la population âgée de plus de dix ans est analphabète, en 1939, 89,7 % des habitants de la RSFSR savent lire et écrire. C. E. CLARK, Uprooting Otherness..., op. cit., p. 72-73 et 109.
-
[41]
- Orlando FIGES, Les chuchoteurs. Vivre et survivre sous Staline, trad. par P.-E. Dauzat, Paris, Éd. Denoël, [2007] 2009.
-
[42]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 722, l. 8.
-
[43]
- Ibid., l. 10a.
-
[44]
- Ibid., l. 11.
-
[45]
- Ibid., l. 1.
-
[46]
- Ibid., l. 4.
-
[47]
- Sur le développement du commerce à distance en France, voir Philippe MUNCK, Manufrance, nous accusons, Paris, Éd. de La Vie ouvrière, 1993.
-
[48]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 116, l. 5 et d. 722, l. 10a. Voir n. 34.
-
[49]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 722, l. 3.
-
[50]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 711, l. 115.
-
[51]
- RGAE, f. 3527, op. 8, d. 55, l. 2.
-
[52]
- Ibid., l. 2 et 59. Pour la densité téléphonique aux États-Unis et en Europe dans l’entre-deux-guerres, voir Pascal GRISET, Les révolutions de la communication, XIXe-XXe siècle, Paris, Hachette, 1991, p. 20. Pour la veille de la Seconde Guerre mondiale, il donne les chiffres suivants : 15,8 pour les États-Unis et 2,7 pour l’ensemble du continent européen (la Suède 13,6, l’Allemagne 5,3, la Grande-Bretagne 7, la France 3,8). Catherine Bertho et Patrice Carré précisent qu’en 1938, la densité téléphonique était très inégale entre les villes françaises : 15 à Paris, 9 à Lille et à Bordeaux, 7 à Nice. « En fait, la densité téléphonique entre les deux guerres épouse assez fidèlement la carte de la France économique : l’équipement est meilleur dans la France plus riche et industrialisée du Nord et de l’Est, les postes téléphoniques sont plus rares dans la France rurale du Sud et de l’Ouest. Seules quelques zones de villégiature font exception : Nice, Biarritz, Saint-Malo – Dinard sont par exemple parmi les premières zones automatisées », Catherine BERTHO et Patrice A. CARRÉ, « Le téléphone de Clémenceau à Mistinguett, 1914-1939 », in C. BERTHO (dir.), Histoire des télécommunications..., op. cit., p. 125-146, citation p. 134.
-
[53]
- En comparaison, le nombre d’abonnés téléphoniques aux États-Unis augmente de deux fois et demi entre 1911 et 1928, tandis qu’en Europe, il triple pendant la même période. La crise de 1929 est à l’origine de la chute de 13,5 % du nombre d’abonnés aux États-Unis (jusqu’à 16,7 millions) en 1933. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis franchissent le seuil des vingt millions d’abonnés. Pascal GRISET, Les révolutions de la communication..., op. cit., p. 19-20.
-
[54]
- RGAE, f. 3527, op. 8, d. 55, l. 58.
-
[55]
- Ibid., l. 32 et 58.
-
[56]
- Les inégalités spatiales et sociales sont un trait fondamental dans le développement du modèle soviétique : on les retrouve dans le domaine du ravitaillement et plus largement de la distribution, ou encore dans le domaine du contrôle et de la répression par le biais du système des passeports. Voir Elena OSOKINA, Our Daily Bread : Socialist Distribution and the Art of Survival in Stalin’s Russia, 1927-1941, New York/Londres, M.E. Sharpe, 2001 ; Julie HESSLER, A Social History of Soviet Trade : Trade Policy, Retail Practices, and Consumption, 1917-1953, Princeton, Princeton University Press, 2004 ; Nathalie MOINE, « Le système des passeports à l’époque stalinienne. De la purge des grandes villes au morcellement du territoire, 1932-1953 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 50-1, 2003, p. 145-169.
-
[57]
- RGAE, f. 3527, op. 8, d. 55, l. 6.
-
[58]
- Ibid., l. 4-5. Sur les disparités entre les quartiers de Moscou pendant les années 1930, voir Élisabeth ESSAÏAN, « Kvartal : création d’une nouvelle forme urbaine et d’un nouvel usage d’habitat collectif », in P. VIGANÒ et P. PELLEGRINI (dir.), Comment vivre ensemble. Prototypes of Idiorrhythmical Conglomerates and Shared Spaces, Venise, Officina edizioni, 2006, p. 37-55 ; Nathalie MOINE, « Pouvoir bolchevique et classes populaires : la mesure de privation de droits civiques à Moscou au tournant des années 1930 », Cahiers de l’IHTP, 35, 1996, p. 141-159.
-
[59]
- C. BERTHO (dir.), Histoire des télécommunications..., op. cit., p. 64.
-
[60]
Sur le plan de la reconstruction de Moscou, voir Élisabeth ESSAÏAN et Valérie POZNER, « La reconstruction de Moscou, 1935-1940 », Le Moniteur architecture, 162, 2006, p. 98-103.
-
[61]
- RGAE, f. 3527, op. 8, d. 55, l. 3-4.
-
[62]
- Ibid., l. 12.
-
[63]
- Au sujet des objets actants, voir par exemple Madeleine AKRICH, Michel CALLON et Bruno LATOUR, Sociologie de la traduction. Textes fondateurs, Paris, École des Mines, 2006.
-
[64]
- RGAE, f. 3527, op. 8, d. 55, l. 5.
-
[65]
- Ibid., l. 6.
-
[66]
- Voir, dans les archives du parti communiste de l’URSS (Rossijskij Gosudarstvennyj Arhiv Novejšej Istorii, ci-après RGANI), certains documents sur l’écoute téléphonique des élites : f. 89, per. 18, d. 27, l. 1 ; d. 42, l. 1-17 ; d. 49, l. 1 ; d. 114, l. 1-13 ; per. 37, d. 44, l. 1-3 ; d. 42, l. 1-5 ; f. 5, op. 30, d. 412, l. 18-21.
-
[67]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 1576, l. 3.
-
[68]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 722, l. 3.
-
[69]
- Cette logique correspond aux contours généraux des rapports entre l’État prédateur et le monde rural en URSS : Lynne VIOLA, Peasant Rebels under Stalin : Collectivization and the Culture of Peasant Resistance, New York/Oxford, Oxford University Press, 1996 ; Jean LÉVESQUE, « ‘Into the Gray Zone’ : Sham Peasants and the Limits of the Kolkhoz Order in the Post-War Russian Village », in J. FÜRST (éd.), Late Stalinist Russia : Society Between Reconstruction and Reinvention, Londres, Routledge, 2006, p. 103-120.
-
[70]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 1576, l. 27-28.
-
[71]
- Ibid., l. 4-6.
-
[72]
- Ibid., l. 29.
-
[73]
- Sur les évacués et leurs liens sociaux, voir Rebecca MANLEY, To the Tashkent Station : Evacuation and Survival in the Soviet Union at War, Ithaca, Cornell University Press, 2009.
-
[74]
- RGAE, f. 3527, op. 7, d. 849, l. 38.
-
[75]
- Sur la famine de 1946-1947 en URSS, provoquée entre autres par les exportations de céréales, voir Veniamin F. ZIMA, Golod v SSSR, 1946-1947 godov : proishoždenie i posledstvija, Moscou, Institut Rossijskoj istorii RAN, 1996.
-
[76]
- RGAE, f. 3527, op. 7, d. 849, l. 1.
-
[77]
- Ibid., l. 2-3.
-
[78]
- Ibid., l. 3. L’enjeu de la réforme consiste à réduire les sommes d’argent accumulées par les Soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. Le résultat est qu’elles sont divisées par trois, passant de 43,6 à 14 milliards de roubles. Vasilij P. POPOV, Èkonomi?eskaja politika Sovetskogo gosudarstva. 1946-1953 gg., Moscou/Tambov, Éditions TGTU, 2000.
-
[79]
- RGAE, f. 3527, op. 7, d. 849, l. 9.
-
[80]
- Ibid., l. 29-30.
-
[81]
- Ibid., l. 35.
-
[82]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 2050, l. 34.
-
[83]
- Ibid., l. 196-197.
-
[84]
- Ibid., l. 24, 33 et 196.
-
[85]
- Sur les chantiers, les travailleurs libres côtoient les prisonniers du Goulag parmi lesquels les opinions critiques sont très répandues. Voir, par exemple, Nicolas WERTH, « ‘Déplacés spéciaux’ et ‘colons de travail’ dans la société stalinienne », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 54-2, 1997, p. 34-50.
-
[86]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 2050, l. 196-197.
-
[87]
- Ibid., l. 149.
-
[88]
- Ibid., l. 148.
-
[89]
- Ibid., l. 1-3, 6, 10 et 143-146.
-
[90]
- Ibid., l. 148.
-
[91]
V. ERISTOV (ingénieur en chef du Sredasgidrostroj), « Stalinskij plan pokorenija Kara-kumov – v dejstvii », Izvestija, 12 sept. 1951 ; RGAE, f. 3527, op. 4, d. 2050, l. 1-3, 6, 10 et 143-146.
-
[92]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 711, l. 2.
-
[93]
- Ibid., l. 40
-
[94]
- Ibid., l. 35, 37 et 40-41.
-
[95]
- Ibid., l. 42.
-
[96]
- Ibid., l. 41.
-
[97]
- Ibid.
-
[98]
- Ibid., l. 42.
-
[99]
- Ibid., l. 43.
-
[100]
- Ibid., l. 41.
-
[101]
- Ibid., l. 42.
-
[102]
- Ibid., l. 37.
-
[103]
- Ibid., l. 36-38.
-
[104]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 757, l. 2-3.
-
[105]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 711, l. 111v et 112v.
-
[106]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 943, l. 18.
-
[107]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 2497a, l. 53.
-
[108]
- Ibid.
-
[109]
- Ibid., l. 54.
-
[110]
- RGAE, f. 3527, op. 4, d. 2497a, l. 55.
-
[111]
- Ibid.
-
[112]
Au sujet des techniques de pouvoir, voir Cyril LEMIEUX, Mauvaise presse. Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, Paris, Métailié, 2000, p. 445.
-
[113]
- Voir, par exemple, Ithiel de SOLA POOL (éd.), The Social Impact of the Telephone, Cambridge, MIT Press, 1977 ; Marie CARPENTER, La bataille des télécoms. Vers une France numérique, Paris, Économica, 2011.
-
[114]
- Henry M. BOETTINGER, « Our Sixth-and-a-Half Sense », in I. de SOLA POOL (éd.), The Social Impact of the Telephone, op. cit., p. 200-207, citation p. 203.
-
[115]
- Jorma AHVENAINEN, The Far Eastern Telegraphs : The History of Telegraphic Communications Between the Far East, Europe and America Before the First World War, Helsinki, Suomalainen Tiedeakatemia, 1981 ; Soli SHAHVAR, « Tribes and Telegraphs in Lower Iraq : The Muntafiq and the Baghdad-Basrah Telegraph Line of 1863-65 », Middle Eastern Studies, 39-1, 2003, p. 89-116 ; Michael RUBIN, « The Telegraph and Frontier Politics : Modernization and the Demarcation of Iran’s Borders », Comparative Studies of South Asia, Africa, and the Middle East, 18-2, 1998, p. 59-72, ici p. 59 ; Daniel R. HEADRICK, The Invisible Weapon : Telecommunications and International Politics, 1851-1945, New York, Oxford University Press, 1991.
-
[116]
- Kai ERIKSSON, « On Communication in the Modern Age : Taylorism and Beyond », Journal for Cultural Research, 11-2, 2007, p. 125-139.