Notes
-
[1]
- À propos de Matthew L. JONES, The good life in the scientific revolution. Descartes, Pascal, Leibniz, and the cultivation of virtue, Chicago, University of Chicago Press, 2006.
-
[2]
- Steven SHAPIN, A social history of truth : Civility and science in seventeenth-century England, Chicago, University of Chicago Press, 1994. Depuis ce livre, d’autres tentatives ont été menées qui ont tendance à pluraliser le modèle. Ainsi par exemple, du côté d’une histoire intellectuelle des « vérités dissonantes » située en amont de la chronologie du livre de Matthew Jones, voir Luca BIANCHI, Pour une histoire de la double vérité, Paris, J. Vrin, 2008.
-
[3]
- Barbara J. SHAPIRO, Probability and certainty in seventeenth-century England : A study of the relationships between natural science, religion, history, law, and literature, Princeton, Princeton University Press, 1983. Simon SCHAFFER, « Making certain », Social studies of science, 14-1, 1984, p. 137-152.
-
[4]
Barbara J. SHAPIRO, A culture of fact : England 1550-1720, Ithaca, Cornell University Press, 2000.
-
[5]
- Michel de CERTEAU, Le lieu de l’autre. Histoire religieuse et mystique, Paris, Gallimard/ Le Seuil, 2005, p. 162.
-
[6]
- Baruch SPINOZA, Œuvres, IV, Traité politique, Lettres, trad. et notes par C. Appuhn, Paris, GF-Flammarion, 1966, lettre VII, p. 145. Sur la correspondance de Spinoza, voir Henri LAUX, « La correspondance », in P.-F. MOREAU et C. RAMOND (dir.), Lectures de Spinoza, Paris, Ellipses, 2006, p. 203-219. Voir plus généralement Pierre-François MOREAU, Spinoza et le spinozisme, Paris, PUF, 2003. Sur les relations avec Oldenburg, voir Marie Boas HALL, Henry Oldenburg : Shaping the Royal Society, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 61-63.
-
[7]
- Dans son fameux article « Spinoza » du Dictionnaire historique et critique, Pierre Bayle le rappelle : « Lorsque Spinoza se fut tourné vers les études philosophiques, il se dégoûta bientôt des systèmes ordinaires et trouva merveilleusement son compte dans celui de Mr Descartes. Il se sentit une si forte passion de chercher la vérité, qu’il renonça en quelque façon au monde pour mieux vaquer à cette recherche. Il ne se contenta pas de s’être débarrassé de toutes sortes d’affaires, il abandonna Amsterdam, à cause que les visites de ses amis interrompaient trop ses spéculations. Il se retira à la campagne, il y médita tout à son aise, il y travailla à des microscopes et à des télescopes. » (Pierre BAYLE, Pour une histoire critique de la philosophie. Choix d’articles philosophiques du Dictionnaire historique et critique, intro. générale et prés. par J.-M. Gros, avec la coll. de J. Chomarat, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 526).
-
[8]
- Sur l’honneur, voir Catherine GOLDSTEIN, « L’honneur de l’esprit : de la République des mathématiques », in F. COSANDEY (dir.), Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien Régime, Paris, Éd. de l’EHESS, 2005, p. 191-230, et Mary TERRALL, « Gendered spaces, gendered audiences : Inside and outside the Paris Academy of Sciences », Configurations, 3-2, 1995, p. 207-232, sur la virilité. À noter que l’honneur est devenu une catégorie historiographique centrale dans l’histoire sociale anglophone.
-
[9]
- Harold FISCH, « The scientist as priest : A note on Robert Boyle’s natural theology », Isis, 44-3, 1953, p. 252-265 ; Simon SCHAFFER, « Godly men and mechanical philosophers : Souls and spirits in restoration natural philosophy », Science in Context, 1-1, 1987, p. 55-85.
-
[10]
- Steven SHAPIN, « ‘The mind is its own place’s’ : Science and solitude in seventeenth-century England », Science in Context, 4-1, 1991, p. 191-218.
-
[11]
Charles B. PAUL, Science and immortality : The eloges of the Paris Academy of Sciences (1699-1791), Berkeley, University of California Press, 1980.
-
[12]
- Voir le livre d’Antonella ROMANO, La contre-réforme mathématique. Constitution et diffusion d’une culture mathématique jésuite à la Renaissance, 1540-1640, Rome, École française de Rome, 1999 ; Peter DEAR, Discipline & experience : The mathematical way in the scientific revolution, Chicago, Chicago University Press, 1995.
-
[13]
- Fernand HALLYN, Les structures rhétoriques de la science. De Kepler à Maxwell, Paris, Le Seuil, 2004, p. 12, oppose deux approches de la rhétorique : l’approche rhétorique qui « étudie des techniques d’argumentation et de persuasion » qui revient à « observer la manière dont la science faite se présente à son public » et l’approche poétique qui « peut aussi être appelée une ‘rhétorique profonde’ explore la formation des représentations. Elle a pour objet la science en train de se faire. Elle tente notamment de découvrir dans les processus d’invention et de découverte les traces d’une activité où un imaginaire tropologique (producteur d’opérations sémantiques, telles que la métonymie et la métaphore, conduisant à des transformations conceptuelles) et narratif (producteur de récits tels que les expériences de pensée, à valeur d’exploration et d’argumentation) est à l’œuvre. La poétique ou la rhétorique profonde aborde l’énoncé en tant que texte. Elle le considère comme une structure ou une composition formelle et thématique plus ou moins cohérente, douée de ressemblances et de différences avec d’autres compositions ou structures qui n’appartiennent pas nécessairement au même champ, mais sont les traces d’un travail heuristique dont le produit s’y est déposé. »
-
[14]
- Pierre-Alain CAHNÉ, Un autre Descartes : le philosophe et son langage, Paris, J. Vrin, 1980.
-
[15]
- Jean-Pierre CAVAILLÉ, Descartes, la fable du monde, Paris, J. Vrin, 1991.
-
[16]
- Ann BLAIR, The theater of nature : Jean Bodin and Renaissance science, Princeton, Princeton University Press, 1997.
-
[17]
À noter qu’il existe aussi une épistémologie historique des mathématiques, voir David RABOUIN, Mathesis universalis. L’idée de « mathématique universelle » d’Aristote à Descartes, Paris, PUF, 2009.
-
[18]
- Pierre HADOT, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, Gallimard, 1995, p. 19.
-
[19]
- Pierre HADOT, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Études augustiniennes, 1981, p. 9.
-
[20]
- Ibid., p. 9. On se reportera aussi à Pierre HADOT, La philosophie comme manière de vivre. Entretiens avec Jeannie Carlier et Arnold I. Davidson, Paris, Albin Michel, 2001, en particulier chap. 6.
-
[21]
- Dans son chapitre « Exercices spirituels » qui définit son programme de recherche, P. HADOT, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 59-70, consacre la quatrième partie à l’apprentissage du lire comme un des lieux essentiels de la formation spirituelle.
-
[22]
- Juliusz DOMANSKI, La philosophie, théorie ou manière de vivre ? Les controverses de l’Antiquité à la Renaissance, Fribourg/Paris, Éd. universitaires/Éd. du Cerf, 1996. J. Domanski montre ainsi que Pétrarque puis Érasme rejettent l’idée d’une éthique purement théorique et descriptive et refusent de réduire les « philosophes » au détenteur de chaires universitaires.
-
[23]
- Voir les nuances que P. Hadot apporte à l’usage de la notion d’exercice spirituel, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 26.
-
[24]
- Bérangère PARMENTIER, « Arts de parler, arts de faire, arts de plaire. La publication des normes éthiques au XVIIe siècle », Littératures Classiques, 37, 1999, p. 141-154.
-
[25]
- Dans cette perspective, voir la réflexion collective menée par Christian JACOB (dir.), Lieux de savoir, t. I, Espaces et communautés ; t. II, Les mains de l’intellect, Paris, A. Michel, 2007-2010.
-
[26]
- Comme l’écrit Michel FOUCAULT, Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France, 1983-1984, éd. établie sous la dir. de F. Ewald et A. Fontana par F. Gros, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2009, p. 159 : « Le cynisme ne se contente pas de coupler ou de faire se correspondre, dans une harmonie ou une homophonie, un certain type de discours et une vie conforme aux principes énoncés dans le discours. Le cynisme lie le mode de vie et la vérité sur un mode beaucoup plus serré, beaucoup plus précis. Il fait de la forme de l’existence une condition essentielle pour le dire-vrai. Il fait de la forme de l’existence la pratique réductrice qui va laisser place au dire-vrai. Il fait enfin de la forme de l’existence une façon de rendre visible, dans les gestes, dans les corps, dans la manière de s’habiller, dans la manière de se conduire et de vivre, la vérité elle-même. En somme, le cynisme fait de la vie, de l’existence, du bios, ce qu’on pourrait appeler une aèthurgie, une manifestation de la vérité. »
-
[27]
- Heinrich NIEHUES-PRÖBSTING, « The modern reception of cynism : Diogenes in the enlightenment », in R. BRACHT BRANHAM et M.-O. GOULET-CAZÉ (dir.), The Cynics. The cynic movement in Antiquity and its legacy, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 329-365, en particulier p. 330.
-
[28]
Catherine GOLDSTEIN, Un théorème de Fermat et ses lecteurs, Paris, Presses universitaires de Vincennes, 1995.
-
[29]
- On passerait ainsi du paradigme de cérémonies des savoirs décrites dans Steven SHAPIN et Simon SCHAFFER, Léviathan et la pompe à air. Hobbes et Boyle entre science et politique, Paris, La Découverte, [1985] 1993, à celui du paradigme spectaculaire de la performance : Simon SCHAFFER, « Natural philosophy and public spectacle in the eighteenth century », History of Science, 51, 1983, p. 1-43 ; Jan GOLINSKI, Science as public culture : Chemistry and Enlightenment in Britain, 1760-1820, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
-
[30]
- Dinah RIBARD, « Réflexions sur l’écriture comme lieu de savoir dans les livres de philosophie en France au XVIIe siècle », Revue de Synthèse, 3-4, 2007, p. 395-417.
-
[31]
- Dinah RIBARD, « Philosophie et non-philosophie : Fontenelle et Descartes », Revue Fontenelle, 2, 2004, p. 55-68.
-
[32]
- P. HADOT, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, op. cit., p. 17-18.
-
[33]
- C’est aujourd’hui l’orientation choisie par une histoire anglophone de la philosophie qui s’interroge sur les modes de transmission et les effets de réinvention des traditions antiques, voir par exemple Sarah HUTTON, « Introduction », in D. HEDLEY et S. HUTTON (dir.), Platonism at the origins of modernity : Studies on platonism and early modern philosophy, Dordrecht, Springer, 2008, p. 1.
-
[34]
- ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, trad. et éd. de R. Bodéüs, Paris, Flammarion, 2004, sixième partie, « Les vertus intellectuelles », p. 289-344.
-
[35]
Charles ADAM et Paul TANNERY (éd.), Œuvres de Descartes, Paris, J. Vrin, 1996, vol. VIII-B, 26, p. 2-7.
-
[36]
- Sur la générosité, voir Denis KAMBOUCHNER, Descartes et la philosophie morale, Paris, Hermann, 2008, chap. IV.
-
[37]
- Christian LAZZERI, « Pascal et le bonheur inaccessible », in A. CAILLÉ, M. SENELLART et C. LAZZERI (dir.), Histoire raisonnée de la philosophie morale et politique. Le bonheur et l’utile, Paris, Flammarion, [2001] 2007, t. 1, p. 401-414, ici p. 409.
-
[38]
- M. JONES, The good life in the scientific revolution..., op. cit., chap. 4.
-
[39]
- Ibid., p. 169.
-
[40]
Steven SHAPIN, The scientific life : A moral history of a late modern vocation, Chicago, University of Chicago Press, 2008.
-
[41]
- Voir Dominique PESTRE, Sciences, argent et politique : essai d’interprétation, Paris, INRA Éditions, 2003.
-
[42]
- Sur la tension entre cet absolutisme et le régime de la curiosité, voir l’interprétation d’Hans BLUMENBERG, La légitimité des Temps modernes, Paris, Gallimard, [1988] 1999. Sur ce texte, voir le commentaire éclairant de Jean-Claude MONOD, La querelle de la sécularisation. Théologie politique et philosophies de l’histoire de Hegel à Blumenberg, Paris, J. Vrin, 2002.
-
[43]
M. de CERTEAU, « Politique et mystique. René d’Argenson (1596-1651) », Le lieu de l’autre..., op. cit., p. 265-300, sur la « philosophie surnaturelle » du magistrat, p. 269-276.
-
[44]
- Ibid., p. 239-248.
-
[45]
- Lorraine DASTON, « The moral economy of science », Osiris, 10, 1995, p. 2-24.
-
[46]
- Theodore PORTER, « Objectivity as standardization : The rhetoric of impersonality in measurement, statistics, and cost-benefit analysis », Annales of Scholarship, 9, 1992, p. 19-59 ; Simon SCHAFFER, « Astronomers mark time : Discipline and the personal equation », Science in Context, 2-1, 1988, p. 115-145.
-
[47]
- L. DASTON, « The moral economy of science », art. cit., p. 4 : « Ici le terme économie a aussi une connotation démodée : il se réfère non pas à l’argent, aux marchés, au travail, à la production ou à la distribution des ressources matérielles, mais plutôt à un système organisé qui affiche certaines régularités qui sont explicables mais pas toujours prévisibles dans leurs détails. »
-
[48]
- Ibid., p. 3 : « On peut l’affirmer plus fortement et plus spécifiquement : certaines formes d’empirisme, de quantification, d’objectivité elles-mêmes ne sont pas simplement compatibles avec une économie morale : elles requièrent des économies morales. »
-
[49]
- Ibid., p. 6.
-
[50]
- Voir C. GOLDSTEIN, « L’honneur de l’esprit... », art. cit.
-
[51]
- Donald MACKENZIE, Mechanizing proof : Computing, risk, and trust, Cambridge, MIT Press, 2001, p. 10-11.
-
[52]
- Ibid., p. 11.
-
[53]
- On peut reprendre ici la définition proposée par Lorraine DASTON, « Une histoire de l’objectivité scientifique », in J.-F. BRAUNSTEIN (dir.), L’histoire des sciences. Méthode, styles et controverses, Paris, J. Vrin, 2008, p. 367 : « Ce que j’entends par épistémologie historique est l’histoire des catégories qui structurent notre pensée, qui modèlent notre conception de l’argumentation et de la preuve, qui organisent nos pratiques, qui certifient nos formes d’explication et qui dotent chacune de ces activités d’une signification symbolique et d’une valeur affective. Cette épistémologie historique peut (et en fait, elle le doit) renvoyer à l’histoire des idées et des pratiques, tout autant qu’à l’histoire des significations et des valeurs qui constituent les économies morales des sciences. »
-
[54]
- Susan JAMES, Passion and action : The emotions in seventeenth-century philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1997 ; Jacques ROUX, Florian CHARVOLIN et Aurélie DUMAIN, « Les ‘passions cognitives’ ou la dimension rebelle du connaître en régime de passion. Premiers résultats d’un programme en cours », Revue d’anthropologie des connaissances, 3-3, 2009, p. 369-385.
-
[55]
- René DESCARTES, « Les passions de l’âme », Œuvres philosophiques, vol. III, 1643-1650, Paris, Bordas, 1989, p. 1010 (art. 75). Voir Denis KAMBOUCHNER, L’homme des passions. Commentaires sur Descartes, Paris, Albin Michel, 1995, t. I, p. 237-240.
-
[56]
- Sur le régime de l’attention, voir Lorraine DASTON, « Attention and the values of nature in the Enlightenment », in L. DASTON and F. VIDAL (dir.), The moral authority of nature, Chicago, University of Chicago Press, 2004, p. 100-126. L. Daston écrit : « J’affirme que la valorisation de la nature fut construite à partir de modes hautement élaborés d’attention, d’observation et de description appliqués aux objets naturels », p. 101.
-
[57]
- R. DESCARTES, « Les passions de l’âme », op. cit., p. 1011 (art. 385).
-
[58]
- P. HADOT, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 31.
-
[59]
- L. DASTON, « Attention and the values of nature in the Enlightenment », art. cit., p. 102.
-
[60]
- Lorraine DASTON et Peter GALISON, Objectivity, New York, Zone Books, 2007.
-
[61]
- Jean-Charles DARMON et Françoise WAQUET (dir.), L’amitié et les sciences : de Descartes à Lévi-Strauss, Paris, Hermann, 2010.
-
[62]
- Sur ce point, le récent livre de Nicholas DEW, Orientalism in Louis XIV’s France, Oxford, Oxford University Press, 2009, tente de situer au sein des réseaux de l’orientalisme baroque le rôle joué par les libertins comme François Bernier, voir chap. III.
-
[63]
- Pour reprendre les termes de Gaston BACHELARD, Essai sur la connaissance approchée, Paris, J. Vrin, [1928] 1987, p. 13.
-
[64]
- Michel de CERTEAU, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975.
-
[65]
- Si l’on excepte Catherine BRICE et Antonella ROMANO (dir.), Sciences et religions de Copernic à Galilée, 1540-1610, Rome, École française de Rome, 1999.
-
[66]
- Sur cette tension entre religion et confession, voir Philippe BÜTTGEN et Christophe DUHAMELLE (dir.), Religion ou confession. Un bilan franco-allemand sur l’époque moderne, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Éd. de la MSH, 2010.
-
[67]
- Ce courant est particulièrement fort en Italie avec les travaux de Romano Madera. Voir Romano MADERA et Luigi Vero TARCA, La filosofia come stile di vita. Introduzione alle pratiche filosofiche, Milan, Bruno Mondadori, 2003.
-
[68]
- Sandro MANCINI, « Montaigne e il mestiere di vivere », in G. ACHENBACH et C. BRENTARI (dir.), Pratiche filosofiche e cura di sé, Milan, Bruno Mondadori, 2006, p. 61-66.
-
[69]
- Les études sur la dédisciplinarisation de la philosophie à l’âge classique achoppent sur cette question de la diffusion de la philosophie dans la société, toujours comprise en termes d’une « vulgarisation », d’une « divulgation » d’un corpus philosophique scolaire sans s’attacher à décrire une pluralité des modes de présence.
-
[70]
- Jean-Claude PERROT, Une histoire intellectuelle de l’économie politique, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Éd. de l’EHESS, 1992.
-
[71]
- D’un côté, selon M. de CERTEAU, L’écriture de l’histoire..., op. cit., p. 156, « une éthique autonome se constitue qui a pour cadre de référence l’ordre social, ou la conscience », de l’autre le développement d’une théologie positive et d’une « herméneutique cléricale » qui fait retour aux origines du christianisme : « Une science des mœurs juge désormais l’idéologie religieuse et ses effets, là où une ‘science de la foi’ classait les comportements dans une sous-section intitulée ‘théologie morale’ et hiérarchisant les conduites selon les codes de la doctrine. »
-
[72]
- Jean-Robert ARMOGATHE, La nature du monde. Science et exégèse au XVIIe siècle, Paris, PUF, 2007.
-
[73]
- De nombreux travaux ont porté sur une réévaluation de ces relations entre mystique et science autour de Joseph Priestley, comme ceux de John Christie par exemple. Voir les articles classiques de Simon SCHAFFER, « Priestley and the politics of spirit », in R.G. W. ANDERSON et C. J. LAWRENCE (dir.), Science, medicine and dissent : Joseph Priestley, Londres, Wellcome Institute/Science Museum, 1987, p. 39-53 ; Id., « Measuring virtue : Eudiometry, enlightenment and pneumatic medicine », in R. K. FRENCH et A. R. CUNNINGHAM (dir.), The medical enlightenment of the eighteenth century, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 281-318.
-
[74]
- Jessica RISKIN, Science in the age of sensibility : The sentimental empiricists of the French Enlightenment, Chicago, University of Chicago Press, 2002.
1Dans quelle mesure les savants ont-ils utilisé les sciences pour poursuivre une vie bonne au XVIIe siècle ? Comment articuler révolution scientifique et questionnement éthique ? Ce sont les questions en apparence modestes que formule l’historien des sciences Matthew Jones dans son ouvrage The good life in the scientific revolution [1]. Remarquable, le projet l’est à un double titre. Il s’inscrit d’abord dans le prolongement des recherches sur une histoire sociale de la vérité [2] qui a encouragé de nombreux historiens depuis deux décennies à déchiffrer les normes morales qui garantissent l’usage et la production des énoncés scientifiques. La civilité, la politesse, l’honneur ont donné lieu à des recherches précises qui ont permis de souligner le contexte culturel et social qui entoure les pratiques de l’innovation scientifique à l’âge classique. Remarquable ensuite parce que M. Jones approfondit ces interrogations en se demandant comment la pratique mathématique est considérée comme une mise en jeu, et non comme le reflet, de ces normes morales.
2 Alors que les nouveaux programmes de la recherche en histoire des sciences ont choisi de s’intéresser plutôt à la compréhension de la globalisation des sciences entamée au seuil de la modernité, M. Jones au contraire privilégie un voyage tout intérieur. Ce détour par le for interne pour déchiffrer la pratique scientifique est pourtant loin d’être anachronique ou décalé par rapport à l’actualité historiographique, mais vise à rappeler que la révolution scientifique s’est organisée autour de deux mouvements en apparence opposés. D’une part, une dynamique externe où il s’est agi de fonder l’autorité morale des sciences modernes sur un discours unitaire et dépassionné en important l’outillage conceptuel du droit [3] et des pratiques partagées et réglementées qui séparent les sciences de la morale et de la politique. Ce processus s’est incarné dans l’institutionnalisation des sciences modernes, en particulier dans leur académisation. De l’autre, un mouvement interne qui a consisté à renforcer une logique de l’intériorité, à laisser s’exprimer une voix personnelle, à encourager une autre forme d’incorporation des savoirs qui s’accommode de la réflexion morale si centrale au milieu du XVIIe siècle. La « culture du fait » selon la belle expression de Barbara Shapiro se veut à l’articulation des deux sphères. Individuelle, elle se nourrit de la curiosité, de la fièvre de l’accumulation des expérimentations comme des raretés naturelles. Collective, elle se plie désormais à la discipline du théâtre de la preuve [4].
3 Comme le note M. Jones dès l’introduction, les exercices spirituels d’Ignace de Loyola ont joué un rôle de médiation entre la tradition antique et l’époque moderne. Or, pour paraphraser Michel de Certeau, sur lequel nous nous appuierons tout au long de cette note de lecture, évoquant la démarche des jésuites, « une logique de l’intériorité fait contrepoids à celle de la dissémination [5] ». L’apostolat intellectuel et spirituel se déploie entre l’univers de la mission ou du collège et celui de la retraite. Les savoirs confectionnés au proche, en Europe, ne s’opposent pas à ceux produits au lointain. De même, un régime de la publicité chère à la nouvelle culture expérimentale s’accompagne d’un régime de la proximité et du retrait que met en scène par exemple le dialogue entre Henry Oldenburg, secrétaire de la Royal Society, et Baruch Spinoza à propos de la publication des écrits philosophiques de ce dernier : « Je suis entièrement d’avis que vous ne priviez pas les hommes d’étude des écrits qu’avec votre science et votre pénétration d’esprit vous avez composés, tant sur la philosophie que sur la théologie, et que vous les publiiez, quelques grognements que fassent entendre les théologastres. Votre République est très libre, on y philosophe très librement et cependant votre prudence vous engage à ne publier vos idées qu’avec la plus grande modération et à vous remettre au destin pour le reste. Bannissez donc, mon excellent ami, toute crainte d’irriter les homuncules de notre temps ; assez longtemps on a rendu des hommages à l’ignorance et à l’ineptie. Il est temps d’aller à toutes voiles vers la vraie science et de scruter les secrets de la nature plus avant qu’on ne l’a fait jusqu’ici. Vos méditations pourront, je pense, être imprimées sans danger chez vous et il n’est pas à craindre que rien en elles puisse choquer les Sages. Si vous les avez pour défenseurs et protecteurs, qu’avez-vous à redouter d’un vil ignorant ? Je ne vous tiendrai pas quitte, ami honoré, avant que vous ayez cédé à ma prière et, autant que vos pensées, de si grande importance, restent comme condamnées à un silence éternel [6]. » Si l’intervention d’Oldenburg déplace les enjeux du débat à l’occasion de la mise en place des grandes académies européennes, c’est pour mieux défendre les pratiques de la circulation, de la discussion publique contre la censure. Cette discussion invite à débattre d’une posture morale très forte dans les mondes intellectuels du XVIIe siècle, qui associe les vertus de l’étude à celle du silence, du retrait. Pour discréditer cette position, Oldenburg a soin de la confondre avec une pratique de la dissimulation [7]. Car dans le cas de Spinoza, Oldenburg doit combattre un isolement qui n’est pas seulement contraint mais souvent volontaire : le thème de la censure y est ainsi habilement retourné. Cette anecdote liminale montre la complexité des arguments souvent mis en œuvre pour situer les enjeux de la question morale qui échappe à une interprétation souvent binaire de la publicité des sciences. Du point de vue d’une histoire sociale, la révolution scientifique naissante a longtemps été dépeinte comme le triomphe de la figure héroïque de l’académicien sur la figure solitaire et grave du savant de cabinet et de laboratoire en des termes sociologiques parfois vagues et englobants, qui oscillent entre le monde des vertus militaires (honneur, virilité [8]) et le monde clérical (retrait, renoncement, etc. [9]), tandis que le siècle des Lumières célébrerait avec le marquis de Condorcet et Franz-Anton Mesmer les valeurs civiques ou mondaines de la politesse [10]. Les éloges de savants ont souvent servi de sources pour justifier ces représentations [11].
4 En essayant de mieux situer le point d’articulation entre ressources morales et univers scientifique, le livre de M. Jones invite les historiens à interroger au contraire cette logique de « fortification de l’intériorité » des pratiques scientifiques. L’activité scientifique se nourrit en effet d’un réservoir de normes qui ne lui sont pas extérieures, mais qui sont mises à l’épreuve activement dans le cours du travail intellectuel. Si le repositionnement de la question morale pour le savant du XVIIe siècle est une manière de mettre à distance les questions religieuses et métaphysiques dans la pratique scientifique, il s’agit bien de maintenir, dans l’enquête sur la nature, un horizon éthique.
La morale pratique des mathématiques : trois itinéraires
5 Pour revisiter le programme d’une histoire sociale de la vérité, M. Jones reconstitue trois itinéraires. En se plongeant d’abord dans la Géométrie de René Descartes publiée en 1637, il entend décrire un art de raisonner, trop souvent analysé comme relevant de la seule histoire de la logique. M. Jones montre, au ras des pratiques mathématiques et des tâches distinctes du mathématicien, la mise en place d’une méthode plus générale qui vise à résoudre les problèmes philosophiques dans leur ensemble et leur complexité. La géométrisation ou la mathématisation n’est pas le fruit du hasard ou d’une solution par défaut, elle offre un répertoire de règles, de procédures et d’opérations « claires et distinctes » qui vont exercer une véritable fascination sur les contemporains de Descartes, puis sur ses lecteurs, du Père Lamy à Jean-Jacques Rousseau. Elle apparaît en effet comme une « pédagogie mathématique » selon la belle expression de M. Jones. C’est la raison pour laquelle elle a tant séduit les jésuites [12]. Au-delà de la méthode d’investigation scientifique, la géométrie permet de cultiver l’esprit, de l’exercer, de l’entraîner, de le mettre à l’épreuve. M. Jones a soin de nous rappeler le vocabulaire qui entoure la justification d’une telle méthode chez Descartes. Les notions de « persévérance », « ferme résolution » montrent bien comment le lexique scientifique lui-même est compatible avec la philosophie morale de son temps. À une époque de traductions françaises et de nouvelles éditions de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote (p. 103), l’entreprise scientifique peut édifier les princesses comme les honnêtes hommes. Le second chapitre du livre complète cette perspective en rouvrant le dossier des rapports entre science et rhétorique de la preuve, mais il déplace l’attention de la civilité, de la théâtralité de l’expérience qui en fait une scène sociale et publique, à une analyse des structures rhétoriques du discours scientifique. On retrouve ici une idée chère à Fernand Hallyn (malheureusement oublié dans l’ouvrage), à savoir que l’usage de la rhétorique n’est pas uniquement une question de communication (p. 57), mais renvoie aussi aux conceptions classiques de l’invention. La rhétorique n’est pas une sophistique, mais illustre bien une volonté de savoir [13]. La beauté du style n’est donc pas indifférente au projet de connaissance, ce qui rapproche Descartes d’autres « savoirs poétiques » (p. 58) comme la musique ou la poésie. Ici, on aurait bien aimé que M. Jones discute les analyses de Pierre-Alain Cahné sur le langage cartésien [14], ou celles de Jean-Pierre Cavaillé sur la fable du monde [15] et sur la métaphore théâtrale (même si elle ne concerne par les mathématiques cartésiennes) qui reste centrale dans les savoirs de la Renaissance tardive, comme l’avait montré Ann Blair sur Jean Bodin [16]. M. Jones y voit un rapprochement entre la pratique cartésienne et la pédagogie rhétorique jésuite, en particulier celle de Nicolas Caussin.
6 Avec Blaise Pascal, M. Jones prolonge ces discussions sur le terrain de l’honnêteté et de la conversation. Il montre comment les mathématiques aident à produire de bons jugements et à finir les disputes. Prenant appui sur les controverses sur le vide ou sur la machine à calculer, M. Jones montre comment les pratiques des mathématiques sont enracinées dans les formes de sociabilité des années 1640. La dispute mathématique doit être élevée au niveau d’un art de la conversation et de la persuasion selon Pascal (p. 93). L’analyse des discussions du cercle de Jacques Le Pailleur souligne que l’art de la conversation est constitutif de l’exercice des mathématiques. L’absence de cette compétence sociale fera dire du mathématicien Gilles Personne de Roberval qu’il est un « géomètre tout court ». Cette réflexion sur la conversation débouche sur un chapitre, central dans la démonstration, sur « l’anthropologie des disproportions » qui permet de réinterroger le lien entre la pratique mathématique de Pascal et son augustinisme.
7 La réflexion sur les pratiques se poursuit avec Gottfried Wilhelm Leibniz qui entend répondre aux interrogations métaphysiques, scientifiques et éthiques en proposant tout un ensemble de techniques de perspectives qu’il tire de sa démonstration de la quadrature du cercle. Dans les années 1670-1680, Leibniz veut donner aux jeux d’optique qui font partie de la science amusante de l’honnête homme un rôle central pour comprendre les lois cachées de la nature. La perspective devient l’élément paradigmatique pour construire la science en général (p. 189). Il se propose ainsi de développer des techniques optiques qui pourront aider les « habiles gens » à se représenter un objet dans sa totalité. Il s’agit ici de rendre les choses de la nature plus visibles. Cette insistance sur la matérialité pousse M. Jones à décrire l’ensemble des projets écrits par Leibniz dans cette période qui portent sur des techniques de notations et de lecture et qui viennent compléter la panoplie des exercices déjà élaborés par la tradition.
L’ombre portée de Pierre Hadot : vertus scientifiques et exercices spirituels
8 En choisissant les mathématiques, M. Jones entend pointer une étrangeté des sciences à l’âge classique. Après les travaux d’histoire sociale de Catherine Goldstein, Giovanna Cifolleti et Antonella Romano sur des terrains différents au tournant des XVIe et XVIIe siècles, il montre que la pratique des mathématiques est un bon site d’observation pour penser la complexité des sciences modernes [17]. Marqué par les sciences studies, M. Jones en élargit la boîte à outils en y faisant travailler d’autres emprunts. Ainsi, il nous invite à prendre au sérieux les travaux de l’historien de la philosophie antique, Pierre Hadot, dont l’œuvre est encore peu exploitée par les historiens des sciences de l’époque moderne. Relisons la leçon de méthode de P. Hadot sur la philosophie :
Cette activité théorique doit être située dans une perspective différente de celle qui correspond à la représentation courante que l’on se fait de la philosophie. Tout d’abord, au moins depuis Socrate, l’option pour un mode de vie ne se situe pas à la fin du processus de l’activité philosophique, comme une sorte d’appendice accessoire, mais bien au contraire, à l’origine, dans une complexe interaction entre la réaction critique à d’autres attitudes existentielles, la vision globale d’une certaine manière de vivre et de voir le monde, et la décision volontaire elle-même ; et cette option détermine ainsi, jusqu’à un certain point la doctrine elle-même et le mode d’enseignement de cette doctrine. Le discours philosophique prend donc son origine dans un choix de vie et une option existentielle et non l’inverse [18] .
10 P. Hadot se propose de lire le travail scientifique comme un exercice spirituel et non plus seulement comme une « construction de système », un « discours sur des discours » refermés sur l’univers des spécialistes et des institutions de savoir [19] : « Nous croyons que, comme beaucoup d’œuvres modernes, elles sont destinées à communiquer des informations concernant un contenu conceptuel donné et que nous pouvons aussi en tirer directement des renseignements clairs sur la pensée et la psychologie de leur auteur. Mais en fait, elles sont très souvent des exercices spirituels que l’auteur pratique lui-même et fait pratiquer à son lecteur [20]. » Trois écarts fécondent cette approche : un écart par rapport à l’étude des seuls discours ; un écart par rapport à la centralité de l’institution scolaire ou savante ; un écart par rapport à la fétichisation de l’auteur. En contrepoint, se dessinait une attention nouvelle aux pratiques, à la « sagesse » (état de libération totale des passions), aux lecteurs [21]. Mais, loin de substituer de manière schématique une définition de la philosophie à l’autre, P. Hadot montrait qu’elles constituaient deux pôles du travail intellectuel, pôles jamais véritablement acceptés et qui ont entraîné de vives controverses de l’Antiquité à la Renaissance car ils mettaient en cause l’idée même de l’autonomie des savoirs philosophiques [22]. En prenant au sérieux la pratique scientifique comme pratique, M. Jones est sensible à ces injonctions méthodologiques et n’entend pas limiter le travail mathématique à un pur exercice de pensée, il souhaite en montrer la part éthique, le rôle joué par l’imagination et la sensibilité qui dépassent le simple cadre d’exercices intellectuels et « correspondent à une transformation de la vision du monde et à une métamorphose de la personnalité [23] ». M. Jones réimporte ainsi dans le monde de l’histoire des sciences l’analyse des « arts de faire » entre 1630 et 1670, à une époque où ils se codifient et se diffusent par l’imprimé [24]. « Faire science » et « faire de la science » vont devenir de plus en plus synonymes [25]. La recherche de la vérité mathématique s’apparente à une quête morale, à un itinéraire d’apprentissage, à une mise en pratique des règles de bien penser et de bien vivre, à une réalisation de soi. Pour autant, cette proposition trouve aussi ses limites dans le cadre de l’espace des possibles du travail intellectuel du milieu du XVIIe siècle. Exercice spirituel, les mathématiques restent en retrait des scènes publiques et s’écartent d’autres modes de vie, d’autres traditions intellectuelles comme le cynisme qui lie savoirs et vérité dans un rôle d’épreuve et de scandale [26], modèle qui sera d’ailleurs discuté par les libertins érudits et repris à la fin du siècle par Pierre Bayle [27].
11 Il ne s’agit pas ainsi pour M. Jones d’indexer ces pratiques scientifiques à une norme extérieure des pratiques sociales, mais plutôt de retrouver au plus près des textes cet horizon pédagogique et moral des sciences à l’âge classique. Il s’attache à montrer les points de tangence avec l’univers mathématique. L’un des succès des mathématiques serait ainsi à trouver dans la forme socio-philosophique de l’exercice, comprise à la fois comme jeu, méthode et discipline. L’exercice mathématique devient en effet avec Descartes le paradigme du geste philosophique artisanal [28]. L’enquête consiste ainsi à internaliser la question morale là où S. Shapin avait plutôt cherché à l’externaliser en la rendant comparable à d’autres univers sociaux, en se portant d’abord sur l’analyse des protocoles d’étiquette, de codes, de manières qui entourent la civilité de la preuve dans l’expérience. L’histoire sociale des sciences nous invitait par là à lire l’émergence de la science moderne à travers une contextualisation sociale et culturelle de ses pratiques où dominait la question de la publicité des énoncés et de leurs discussions collectives [29]. Un énoncé expérimental avait besoin pour convaincre et être validé d’avoir une bonne forme littéraire, de respecter les normes sociales et culturelles d’un lieu et d’une société. Cette culture expérimentale articulait la notion de crédibilité intellectuelle avec celle de crédit social. L’éthique y avait une place particulière. La production scientifique obéissait dans ce théâtre de la preuve à une mise en forme morale, à un respect de codes qui lui étaient extérieurs. Or, pour M. Jones, la science classique est héritière de traditions antiques. Elle est travaillée de l’intérieur par un impératif moral qui lui donne non seulement une forme mais un contenu, voire une justification supérieure. M. Jones fait ainsi de la pratique des mathématiques un exercice d’ascèse, d’autant plus fort qu’elle est pratiquée par des amateurs de sciences dont les horizons professionnels sont divers et les motivations variées. Il dépasse les accusations de réductionnisme ou de sociologisme souvent avancées par les philosophes pour stigmatiser toute approche sociale de la « révolution scientifique ». De ces débats, M. Jones retient la nécessité d’aller plus loin au contraire dans la description des pratiques scientifiques. La morale ne régit pas le savant dans ses pratiques externes seulement quand il s’agit de publier ou de faire connaître et accepter son travail, elle se loge au cœur même de la pratique et de l’innovation.
12 Cette interrogation morale ouvre le paysage de l’histoire des sciences sur une seconde perspective encouragée par P. Hadot : celle d’un regard dédisciplinarisé sur les sciences. À la manière des travaux de Dinah Ribard sur les lieux philosophiques [30], le livre entreprend de redessiner ainsi les frontières entre philosophie de la nature et non-philosophie à l’âge classique [31]. Mais là, plutôt que de montrer cette tension en analysant les lieux de savoirs ou les « professions intellectuelles » où se jouent des logiques de reconnaissance institutionnelle ou corporative, M. Jones nous propose de redonner toute son importance à la « passion » scientifique, sans gratifications apparentes et sans postes en vue. En choisissant Descartes, Pascal et Leibniz, M. Jones entérine une vision institutionnalisée des sciences. À l’histoire disciplinaire des sciences, il oppose une attention précise aux processus variés de « disciplinarisation » de la pratique scientifique. La discipline n’est pas une hiérarchisation, une mise en ordre des savoirs, elle est avant tout accoutumance (habituation), aptitude et persévérance dans la formation. Avec ces trois auteurs, l’entreprise de rénovation scientifique apparaît comme éminemment individuelle et vise l’intériorisation de normes éthiques. Les valeurs d’honnêteté chez Pascal ou de charité chez Leibniz sont mises en œuvre dans la pratique quotidienne des sciences. L’option existentielle qu’autorise la pratique des mathématiques correspond à « un changement total de vie, une conversion de tout l’être, finalement à un certain désir d’être et de vivre d’une certaine manière [32] ».
Des philosophies morales à l’épreuve des mathématiques
13 En prenant au sérieux la philosophie morale des mathématiciens, M. Jones nous introduit non seulement à l’analyse de la pratique mathématique de chacun des auteurs étudiés, mais a soin de situer sa problématique au sein de chaque philosophie morale. Car loin de se réduire à un socle aristotélicien ou stoïcien stable, la réflexion de ces philosophes de la nature n’est pas une simple reprise, mais bien une redéfinition de la morale à partir de leur conception de l’art de raisonner. L’invocation d’une tradition intellectuelle ininterrompue ou retrouvée ne fonctionne pas comme une clef explicative anhistorique [33]. Ils ne s’en tiennent pas aux vertus intellectuelles définies dans l’Éthique à Nicomaque [34], ou à un alignement des règles morales anciennes sur les règles de pensée du XVIIe siècle. À travers l’étude de ces trois auteurs, on suit ainsi trois mises à l’épreuve différentes d’une philosophie morale par les mathématiques.
14 C’est par une interrogation sur la « pratique » que Descartes entend subvertir la philosophie scolastique : « La philosophie que je recherche, ainsi que tous ceux qui se sont dévoués à son étude, n’est rien d’autre que la connaissance de ces vérités qu’on peut découvrir par la lumière naturelle, et qui peuvent être utiles au genre humain : en sorte qu’aucune étude ne peut être honnête, plus digne de l’homme, ni plus utile en cette vie », écrit-il dans son Épître à Voetius en 1643 [35]. La réforme intellectuelle, comme chez Francis Bacon, est une manière d’explorer le « royaume de l’homme », de penser ensemble discours de la méthode et traité des passions. L’exacte connaissance des passions peut seule permettre d’accéder à une « béatitude universelle » par les chemins de l’ascèse individuelle. Contre la philosophie litigieuse des scolastiques, Descartes défend un principe de générosité, une « action généreuse » pour paraphraser Aristote [36]. On y retrouve les accents d’une morale stoïcienne. En revanche, pour Pascal, comme le montre subtilement M. Jones, l’horizon moral est tout autre et la question du bonheur est pensée comme inaccessible et manifeste avant tout un échec moral de la raison. Pascal montre les limites de l’instrument mathématique, de la connaissance scientifique. Il pointe les difficultés à tenir ensemble entendement et volonté, comme c’en était l’usage à l’âge classique. Comme l’écrit Christian Lazzeri, « dans le domaine de la connaissance scientifique, la volonté et l’entendement ne peuvent que converger. Mais qu’en est-il hors de ce domaine [37] ? » La certitude du bien et du juste se pose dans les mêmes termes que dans le cadre de l’investigation scientifique. L’anthropologie que défend Pascal ne peut se rapporter à un fondement « naturel », mais bien à un fondement théologique, à la double nature de l’homme marquée par le péché originel [38]. Pour Leibniz enfin, le concept pivot n’est pas celui de la générosité, mais celui de la charité. On est confronté à un autre univers philosophique et moral, celui d’une philosophie chrétienne qui revivifie les fondements métaphysiques en y introduisant une exigence d’ordre et de méthode [39].
Un retour de la morale en histoire des sciences ?
15 Dans quelle mesure ce livre illustre-t-il un retour du thème de la morale en histoire des sciences depuis une vingtaine d’années ? On le sait, cette démarche avait été disqualifiée par une épistémologie classique qui opposait fait et valeur dans l’étude de la rationalité scientifique. L’approche de M. Jones témoigne d’un renouveau des études sur les mathématiques et les sciences formelles dans une optique plus sociale, mais il s’inscrit aussi dans un mouvement plus vaste de réflexion sur l’articulation entre questions morales et problématisation scientifique.
16 Le dernier livre de S. Shapin [40] conforte cette prise en compte dans l’analyse des technosciences contemporaines. L’ouvrage, écrit dans une perspective plus weberienne et mertonienne, explore la question de la vocation ou celle de l’engagement moral du scientifique. Il revient à partir d’un questionnaire sociologique classique sur la question de l’intérêt, et cherche donc à sonder les motifs et les registres de justification de l’action scientifique, à remettre en cause la légitimité et la topique du désintéressement dans un contexte de forte dépendance politique et économique de la science moderne [41]. Longtemps écartée par les historiens et les sociologues des sciences au profit d’une morale collective et universelle, la question éthique peut aider, selon S. Shapin, à mieux comprendre la dimension charismatique du savant. Cette interprétation, qui se fait cependant toujours au nom d’un point de vue désintéressé sur les sciences, entend révéler les opérations d’arrière-plan, les intérêts qui œuvrent en coulisse, et défendre une science pure détachée des intérêts économiques comme elle l’aurait été de la morale et de la religion quelques siècles auparavant.
17 M. Jones situe la question morale sur un tout autre plan méthodologique. Le choix de cette configuration intellectuelle (Descartes, Pascal et Leibniz) nous ouvre sur la complexité de ces interrogations morales dans un moment de crise et de tensions sans chercher pour autant à démoraliser l’activité scientifique. Plutôt que de rapporter des engagements moraux, des régimes de justification à des ordres de grandeur qui seraient extérieurs et stables, M. Jones préfère comprendre la morale pratique et individuelle qui informe la production des faits scientifiques en s’appuyant sur des conceptions morales en pleine recomposition. Il met en évidence un contexte historique bien précis. Pas plus que les sciences mathématiques, les valeurs morales ne sont stables et préétablies. Là où le droit avait fourni les points d’appui essentiel à une refondation de l’autorité de la preuve scientifique, la morale ouvre un champ d’application pour les règles de la pratique mathématique. Elles se fortifient l’une l’autre entre 1620 et 1670, à un moment de relative faiblesse des institutions royales en quête de formulations plus absolutistes de savoirs, avant l’instauration des grandes académies et dans le contexte de l’affaire Galilée, de la lutte contre le libertinage érudit et de la guerre de Trente Ans [42]. L’autorité morale de la philosophie naturelle est moins assurée par le patronage de l’Église ou celui des grandes cours européennes, elle se loge dans un repli sur soi, dans une intériorité qu’il s’agit de légitimer. Ce faisant, M. Jones rend mieux compte des influences mutuelles entre philosophie morale et philosophie naturelle sans projeter un questionnaire qui reconstruirait de manière rétrospective une généalogie de la vocation scientifique et du discours du désintéressement (ou de l’intéressement). Non pas que les savants du XVIIe siècle se tiennent à l’écart des codes et des valeurs sociales comme l’a bien montré l’histoire sociale et culturelle des sciences, mais parce que cette économie morale dont il est question n’est pas celle des sociétés industrielles ou postindustrielles. En redonnant leur place aux principes de générosité, de charité ou de bonheur, M. Jones réussit donc son pari de comprendre finement de l’intérieur la mise en jeu morale des pratiques scientifiques, comme jadis M. de Certeau l’avait fait avec la « philosophie surnaturelle » du maître des requêtes d’Argenson [43]. Par là même, il repère des opérations de traduction non seulement des contenus, mais aussi des formes de la philosophie morale vers la philosophie naturelle, et vice-versa. M. Jones croise ainsi l’analyse des exercices mathématiques et des dispositifs sociaux et pédagogiques. La révolution scientifique s’affirme comme pouvant associer travail philosophique et mode existentiel, science et éthique, et ainsi s’assurer un pouvoir de séduction sur les élites de l’Ancien Régime formées au collège et désireuses de poursuivre un parcours d’édification intellectuelle dans la science des nombres ou la géométrie. La pratique de la science se fait alors disposition morale. À la manière des exercices spirituels jésuites, les mathématiques sont pour ces amateurs de science à la fois, pour paraphraser encore M. de Certeau, « une manière de procéder », « un espace pour le désir » et une « volonté » [44].
18 Avec le projet de M. Jones, il ne s’agit plus de confronter des systèmes de pensée, des contenus qui seraient clos ou établis, mais bien de montrer que des points de passage existent qui sont plutôt d’ordre analogique ou morphologique. Son enquête s’apparente ainsi aux travaux de Lorraine Daston fondés sur la notion d’« économie morale des sciences » à l’âge classique [45], de Theodore Porter sur les statistiques ou de Simon Schaffer sur l’astronomie [46]. Par économie morale, L. Daston entend désigner un système de régularité dans l’organisation des activités scientifiques où la morale compte [47]. Elle s’écartait à la fois de l’usage imposé par Edward P. Thompson dans l’historiographie, mais aussi d’une psychologie individuelle et d’une quête des intentions et des « motivations » des hommes de sciences [48], en d’autres termes : « the moral economy of science is more about self-discipline than coercion [49] ». L. Daston proposait ainsi de se détourner résolument du modèle mertonien d’un éthos des sciences déduit de l’observation des institutions scientifiques. En repliant l’observation morale sur l’échelon individuel, M. Jones déplace aussi la perspective mertonienne. Il ne décrit pas exactement le même espace social que ceux que décrivaient Peter Dear autour du collège jésuite, Steven Shapin et Simon Schaffer autour de la Royal Society ou du laboratoire de Boyle, ou encore Mario Biagioli autour de la cour florentine, pour ne citer que des exemples canoniques. Le changement d’échelle de l’analyse, de l’institution académique vers l’individualité, se présente certes comme une délocalisation (on passerait de l’assemblée, de l’académie au cabinet), mais peut être aussi vu comme une dé-socialisation. L’effort collectif dont il est question ici ne se présente pas nécessairement comme une science publique, même si M. Jones repère la circulation des savoirs mathématiques au sein de cercles de sociabilité, même s’il analyse autour de Pascal ou de Leibniz la possibilité d’une diffusion de la méthode vers les pratiques mondaines. Il ne se limite pas pour autant à débusquer l’intentionnalité, les intérêts cachés du travail scientifique. Les mathématiques du milieu du XVIIe siècle sont prises dans les mailles d’un réseau social limité mais homogène tenu par des pratiques communes et par des codes de civilité partagés [50]. L’éthique scientifique n’est pas la somme des intérêts individuels. Cette critique avancée par M. Jones rejoint la position de Donald Mackenzie qui a nuancé et discuté l’approche de S. Shapin en la comparant à une histoire des vérités mathématiques [51]. Il propose quant à lui de faire une sociologie historique de la preuve mathématique, ce faisant il oppose deux modèles : celui, inductif, des expérimentations qui nécessiterait une sociabilité choisie, celui, déductif, des savoirs mathématiques « in which the individual is self-sufficient [52] ». Il cherche donc à suivre les processus sociaux spécifiques utilisés par les communautés mathématiques, il déplace l’attention sur les pratiques de vérification plutôt que de réplication.
L’éthique de la vérité : réévaluer la part cognitive des passions scientifiques
19 À l’arrière-plan de sa démonstration sur l’éthique des mathématiciens, on retrouve ainsi un chantier actuel de l’épistémologie historique [53] qui entend prendre au sérieux les conditions d’exercice de la passion scientifique au XVIIe siècle [54]. À relire le Traité des passions de Descartes, on ne peut en effet qu’être surpris par l’enjeu qui consiste à décrire et à détailler les vertus heuristiques de cette forme de passion : admiration, observation, attention, etc. De nombreux développements chez Descartes concernent cette relation entre valeurs morales et travail intellectuel, qu’il s’agisse de la troisième partie sur les « passions particulières » telles que la reconnaissance, la gloire, la générosité, l’estime ou le mépris qui nourrissent une grammaire de la reconnaissance intellectuelle, mais aussi de la seconde partie, autour des « passions primitives » : l’admiration (art. 53, art. 70-72), l’attention, l’étonnement (art. 73). L’admiration par exemple est particulièrement dotée de vertus cognitives : « encore qu’une chose qui nous était inconnue se présente de nouveau à notre entendement ou à nos sens, nous ne la retenons point pour cela en notre mémoire, si ce n’est que l’idée que nous en avons soit fortifiée en notre cerveau par quelque passion, ou bien aussi par l’application de notre entendement, que notre volonté détermine à une attention et réflexion particulière [55] ». Ces passions scientifiques permettent de valoriser le travail amateur des curieux [56]. Admirer, être attentionné, s’étonner, sont des états qui dans une certaine mesure (sans excès) nous « disposent à l’acquisition des sciences » écrit Descartes [57]. On retrouve là encore certaines remarques de P. Hadot sur les stoïciens : « L’attention (prosochè) est l’attitude spirituelle fondamentale du Stoïcien. C’est une vigilance et une présence d’esprit continuelles, une conscience de soi toujours éveillée, une tension constante de l’esprit [58]. » L. Daston a pu ainsi repérer chez le naturaliste du XVIIIe siècle Charles Bonnet un véritable culte de l’attention que l’on retrouve dans les prescriptions, les discours d’escorte de ses traités d’histoire naturelle : « Dans le travail des naturalistes des Lumières comme Charles Bonnet et Adam Schirarch, les aspects normatifs de la nature sont fondus ensemble, l’utile dans le beau, l’oral dans le sublime, le sacré dans le plaisant [59]. » Domaine scientifique, domaine esthétique et normes sociales et morales se croisent pour justifier et pour stimuler l’enquête sur la nature. Plus récemment encore, Lorraine Daston et Peter Galison viennent explorer la même voie dans leur essai roboratif sur l’histoire de l’objectivité, où ils montrent que l’idée d’objectivité s’impose progressivement comme un point de vue de nulle part, contre les logiques partisanes, d’attachement local, de crédit social qui avaient longtemps assuré la crédibilité des sciences modernes [60]. Le modèle parfaitement analysé pour les mathématiques par M. Jones offre ainsi un modèle régional qui aurait sa place aux côtés d’autres régimes épistémologiques qui continuent à faire valoir leur efficacité et leur réputation jusqu’au XVIIIe siècle : le paradigme de l’échange privé et amical [61] ; le paradigme du secret et de la dissimulation qui organise la circulation clandestine [62], etc. L’histoire de la révolution scientifique consisterait donc à déployer ces différents régimes de pratiques, à les localiser, plutôt que de les « vectoriser », de les aligner le long d’un continuum. De même à l’échelon individuel, la recherche de la vérité n’apparaît pas comme un « acte plein », mais comme un effort de connaissance inachevé et sans fin [63], proche d’une quête spirituelle.
Déplacer la frontière entre science et religion
20 Que reste-t-il des modes de questionnement proprement religieux ou spirituels dans la pensée scientifique et mathématique au XVIIe siècle ? Sans doute peu de chose si l’on réduit l’analyse à des questions de contenu théologique ou doctrinal. Pourtant la dimension apparaît partout dans les controverses, dans les justifications et dans les formes de publication. La dimension métaphysique ne disparaît pas de l’investigation scientifique, mais elle y est de plus en plus contingentée. Se joue ici ce que M. de Certeau appelait la « formalité des pratiques » pour désigner le passage des pratiques religieuses de la Contre-Réforme à une éthique des pratiques chère aux Lumières [64]. Cette proposition a été très peu entendue par les historiens des sciences [65]. Certes, le champ de recherche sur les relations entre sciences et religion a été ouvert depuis longtemps et a été largement revigoré depuis vingt ans, mais le déplacement historiographique a souvent contribué à une re-confessionalisation du champ des pratiques scientifiques dans une perspective mertonienne sans s’intéresser à cette reconfiguration du champ religieux autour des pratiques [66]. En reconnaissant une vertu thérapeutique des passions, en se recentrant sur la conduite de la vie, savants et hommes d’Église ont pourtant réfléchi à faire de la « pratique » un lieu de transformation des manières de voir et d’être des individus. En sécularisant l’éthique, en la détachant de la pratique religieuse, les pratiques scientifiques peuvent tirer partie des effets de croyance propres aux savoirs dogmatiques (théologie, droit, médecine), tout en tenant le discours scientifique à bonne distance des engagements religieux. En contrechamp du grand récit de la révolution scientifique structuré par les processus d’académisation des pratiques scientifiques, de localisation des activités savantes, de reconnaissance publique et disputée des énoncés scientifiques, d’accumulation des données et des artefacts, M. Jones décrit un autre modèle de pratiques scientifiques. Cette « économie morale des sciences » est sans doute minoritaire, mais plus proche d’autres univers de pratiques comme celui des pratiques religieuses, des pratiques artisanales, voire des pratiques éducatives de l’Ancien Régime. Elle rend intelligible une présence sociale des mathématiques dans les sociétés anciennes au-delà de tout processus de professionnalisation. Le positionnement historiographique de M. Jones autorise aussi à penser le développement des savoirs mathématiques du côté d’une culture de l’amateur.
21 Les visées de l’ouvrage de M. Jones portent ainsi loin. Engager cette réflexion nécessite comme on l’a vu de s’affranchir d’une généalogie des mathématiques comme forme disciplinaire et scolaire, pour s’interroger sur l’importance relative de cette pratique sociale et culturelle nouvelle dans les sociétés de l’époque moderne. Le regain actuel d’une réflexion sur la pratique philosophique nous convie à envisager les mathématiques comme une activité culturelle ordinaire [67]. Ce type d’investigation permet de restaurer une place familière des sciences dans la vie sociale, comme exercice ou art de faire, comme mode de vie (spirituel, sceptique, etc.), ou encore comme souci de soi. Elle rend justice à la proximité souvent repérée entre philosophie et méditation, philosophie et style de vie (le libertinage est un exemple frappant de cette confusion) [68], mais aussi rend visible et légitime une « présence sociale » au-delà du contexte scolaire [69]. Cette entreprise peut aussi faire écho, pour le lecteur français, au cadre interprétatif utilisé par Jean-Claude Perrot pour scruter l’émergence de l’économie politique comme savoir social dans la proximité de la culture janséniste [70]. Dans le contexte du XVIIe siècle, le livre autorise ainsi à redessiner un champ de recherche autour de science et éthique, moins directement lié à l’analyse des pratiques de civilité, de l’honneur ou de la réputation, ou à celle de l’histoire des religions, mais qui tient compte des effets de connaissance produits par cette inscription morale des savoirs. L’autonomisation des pratiques scientifiques serait soudain possible par l’intégration et le respect des normes morales et sociales alors que le « religieux » devient objet d’étude et se sécularise [71]. Comme l’a bien montré l’historiographie récente, il y a des attitudes différentes entre monde catholique et monde protestant, il y a une longue tradition du physico-théologique qui permet une alliance entre religion et science. En retravaillant sur ce champ du physico-théologique, plusieurs historiens ont montré les voies de frayage et d’accommodement complexe [72]. Le refus du corps et du langage ecclésiastique autorise, dans l’Angleterre des Rational dissenters et des sectes, une nouvelle pratique scientifique qui peut se référer à une tradition spirituelle comme le font John Wesley et Joseph Priestley [73]. De même, l’exacerbation de la sensibilité, l’émergence du sentimentalisme vont offrir dans la seconde moitié du XVIIIe siècle d’autres modèles éthiques à la pratique scientifique [74]. En prenant au sérieux la dimension morale dans la fabrique des sciences « modernes », l’analyse de M. Jones brouille ainsi un clivage trop englobant entre sciences et religion, tout en prenant au sérieux les ressorts d’une nouvelle « croyance » scientifique. Elle montre combien, en termes d’efficacité, de procédures, de pratiques, les sciences « modernes » furent ressourcées par la spiritualité et les philosophies morales de l’âge classique. Elle conforte, dans l’analyse sociale des sciences, le thème de la « formalité des pratiques » plutôt que l’étude des seuls contenus. Elle rappelle enfin l’importance au seuil des Lumières d’une pratique générale de la traduction des savoirs rendue possible par le maintien d’une architecture d’ensemble.
Mise en ligne 19/02/2012
Notes
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[1]
- À propos de Matthew L. JONES, The good life in the scientific revolution. Descartes, Pascal, Leibniz, and the cultivation of virtue, Chicago, University of Chicago Press, 2006.
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[2]
- Steven SHAPIN, A social history of truth : Civility and science in seventeenth-century England, Chicago, University of Chicago Press, 1994. Depuis ce livre, d’autres tentatives ont été menées qui ont tendance à pluraliser le modèle. Ainsi par exemple, du côté d’une histoire intellectuelle des « vérités dissonantes » située en amont de la chronologie du livre de Matthew Jones, voir Luca BIANCHI, Pour une histoire de la double vérité, Paris, J. Vrin, 2008.
-
[3]
- Barbara J. SHAPIRO, Probability and certainty in seventeenth-century England : A study of the relationships between natural science, religion, history, law, and literature, Princeton, Princeton University Press, 1983. Simon SCHAFFER, « Making certain », Social studies of science, 14-1, 1984, p. 137-152.
-
[4]
Barbara J. SHAPIRO, A culture of fact : England 1550-1720, Ithaca, Cornell University Press, 2000.
-
[5]
- Michel de CERTEAU, Le lieu de l’autre. Histoire religieuse et mystique, Paris, Gallimard/ Le Seuil, 2005, p. 162.
-
[6]
- Baruch SPINOZA, Œuvres, IV, Traité politique, Lettres, trad. et notes par C. Appuhn, Paris, GF-Flammarion, 1966, lettre VII, p. 145. Sur la correspondance de Spinoza, voir Henri LAUX, « La correspondance », in P.-F. MOREAU et C. RAMOND (dir.), Lectures de Spinoza, Paris, Ellipses, 2006, p. 203-219. Voir plus généralement Pierre-François MOREAU, Spinoza et le spinozisme, Paris, PUF, 2003. Sur les relations avec Oldenburg, voir Marie Boas HALL, Henry Oldenburg : Shaping the Royal Society, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 61-63.
-
[7]
- Dans son fameux article « Spinoza » du Dictionnaire historique et critique, Pierre Bayle le rappelle : « Lorsque Spinoza se fut tourné vers les études philosophiques, il se dégoûta bientôt des systèmes ordinaires et trouva merveilleusement son compte dans celui de Mr Descartes. Il se sentit une si forte passion de chercher la vérité, qu’il renonça en quelque façon au monde pour mieux vaquer à cette recherche. Il ne se contenta pas de s’être débarrassé de toutes sortes d’affaires, il abandonna Amsterdam, à cause que les visites de ses amis interrompaient trop ses spéculations. Il se retira à la campagne, il y médita tout à son aise, il y travailla à des microscopes et à des télescopes. » (Pierre BAYLE, Pour une histoire critique de la philosophie. Choix d’articles philosophiques du Dictionnaire historique et critique, intro. générale et prés. par J.-M. Gros, avec la coll. de J. Chomarat, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 526).
-
[8]
- Sur l’honneur, voir Catherine GOLDSTEIN, « L’honneur de l’esprit : de la République des mathématiques », in F. COSANDEY (dir.), Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien Régime, Paris, Éd. de l’EHESS, 2005, p. 191-230, et Mary TERRALL, « Gendered spaces, gendered audiences : Inside and outside the Paris Academy of Sciences », Configurations, 3-2, 1995, p. 207-232, sur la virilité. À noter que l’honneur est devenu une catégorie historiographique centrale dans l’histoire sociale anglophone.
-
[9]
- Harold FISCH, « The scientist as priest : A note on Robert Boyle’s natural theology », Isis, 44-3, 1953, p. 252-265 ; Simon SCHAFFER, « Godly men and mechanical philosophers : Souls and spirits in restoration natural philosophy », Science in Context, 1-1, 1987, p. 55-85.
-
[10]
- Steven SHAPIN, « ‘The mind is its own place’s’ : Science and solitude in seventeenth-century England », Science in Context, 4-1, 1991, p. 191-218.
-
[11]
Charles B. PAUL, Science and immortality : The eloges of the Paris Academy of Sciences (1699-1791), Berkeley, University of California Press, 1980.
-
[12]
- Voir le livre d’Antonella ROMANO, La contre-réforme mathématique. Constitution et diffusion d’une culture mathématique jésuite à la Renaissance, 1540-1640, Rome, École française de Rome, 1999 ; Peter DEAR, Discipline & experience : The mathematical way in the scientific revolution, Chicago, Chicago University Press, 1995.
-
[13]
- Fernand HALLYN, Les structures rhétoriques de la science. De Kepler à Maxwell, Paris, Le Seuil, 2004, p. 12, oppose deux approches de la rhétorique : l’approche rhétorique qui « étudie des techniques d’argumentation et de persuasion » qui revient à « observer la manière dont la science faite se présente à son public » et l’approche poétique qui « peut aussi être appelée une ‘rhétorique profonde’ explore la formation des représentations. Elle a pour objet la science en train de se faire. Elle tente notamment de découvrir dans les processus d’invention et de découverte les traces d’une activité où un imaginaire tropologique (producteur d’opérations sémantiques, telles que la métonymie et la métaphore, conduisant à des transformations conceptuelles) et narratif (producteur de récits tels que les expériences de pensée, à valeur d’exploration et d’argumentation) est à l’œuvre. La poétique ou la rhétorique profonde aborde l’énoncé en tant que texte. Elle le considère comme une structure ou une composition formelle et thématique plus ou moins cohérente, douée de ressemblances et de différences avec d’autres compositions ou structures qui n’appartiennent pas nécessairement au même champ, mais sont les traces d’un travail heuristique dont le produit s’y est déposé. »
-
[14]
- Pierre-Alain CAHNÉ, Un autre Descartes : le philosophe et son langage, Paris, J. Vrin, 1980.
-
[15]
- Jean-Pierre CAVAILLÉ, Descartes, la fable du monde, Paris, J. Vrin, 1991.
-
[16]
- Ann BLAIR, The theater of nature : Jean Bodin and Renaissance science, Princeton, Princeton University Press, 1997.
-
[17]
À noter qu’il existe aussi une épistémologie historique des mathématiques, voir David RABOUIN, Mathesis universalis. L’idée de « mathématique universelle » d’Aristote à Descartes, Paris, PUF, 2009.
-
[18]
- Pierre HADOT, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, Gallimard, 1995, p. 19.
-
[19]
- Pierre HADOT, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Études augustiniennes, 1981, p. 9.
-
[20]
- Ibid., p. 9. On se reportera aussi à Pierre HADOT, La philosophie comme manière de vivre. Entretiens avec Jeannie Carlier et Arnold I. Davidson, Paris, Albin Michel, 2001, en particulier chap. 6.
-
[21]
- Dans son chapitre « Exercices spirituels » qui définit son programme de recherche, P. HADOT, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 59-70, consacre la quatrième partie à l’apprentissage du lire comme un des lieux essentiels de la formation spirituelle.
-
[22]
- Juliusz DOMANSKI, La philosophie, théorie ou manière de vivre ? Les controverses de l’Antiquité à la Renaissance, Fribourg/Paris, Éd. universitaires/Éd. du Cerf, 1996. J. Domanski montre ainsi que Pétrarque puis Érasme rejettent l’idée d’une éthique purement théorique et descriptive et refusent de réduire les « philosophes » au détenteur de chaires universitaires.
-
[23]
- Voir les nuances que P. Hadot apporte à l’usage de la notion d’exercice spirituel, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 26.
-
[24]
- Bérangère PARMENTIER, « Arts de parler, arts de faire, arts de plaire. La publication des normes éthiques au XVIIe siècle », Littératures Classiques, 37, 1999, p. 141-154.
-
[25]
- Dans cette perspective, voir la réflexion collective menée par Christian JACOB (dir.), Lieux de savoir, t. I, Espaces et communautés ; t. II, Les mains de l’intellect, Paris, A. Michel, 2007-2010.
-
[26]
- Comme l’écrit Michel FOUCAULT, Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France, 1983-1984, éd. établie sous la dir. de F. Ewald et A. Fontana par F. Gros, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2009, p. 159 : « Le cynisme ne se contente pas de coupler ou de faire se correspondre, dans une harmonie ou une homophonie, un certain type de discours et une vie conforme aux principes énoncés dans le discours. Le cynisme lie le mode de vie et la vérité sur un mode beaucoup plus serré, beaucoup plus précis. Il fait de la forme de l’existence une condition essentielle pour le dire-vrai. Il fait de la forme de l’existence la pratique réductrice qui va laisser place au dire-vrai. Il fait enfin de la forme de l’existence une façon de rendre visible, dans les gestes, dans les corps, dans la manière de s’habiller, dans la manière de se conduire et de vivre, la vérité elle-même. En somme, le cynisme fait de la vie, de l’existence, du bios, ce qu’on pourrait appeler une aèthurgie, une manifestation de la vérité. »
-
[27]
- Heinrich NIEHUES-PRÖBSTING, « The modern reception of cynism : Diogenes in the enlightenment », in R. BRACHT BRANHAM et M.-O. GOULET-CAZÉ (dir.), The Cynics. The cynic movement in Antiquity and its legacy, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 329-365, en particulier p. 330.
-
[28]
Catherine GOLDSTEIN, Un théorème de Fermat et ses lecteurs, Paris, Presses universitaires de Vincennes, 1995.
-
[29]
- On passerait ainsi du paradigme de cérémonies des savoirs décrites dans Steven SHAPIN et Simon SCHAFFER, Léviathan et la pompe à air. Hobbes et Boyle entre science et politique, Paris, La Découverte, [1985] 1993, à celui du paradigme spectaculaire de la performance : Simon SCHAFFER, « Natural philosophy and public spectacle in the eighteenth century », History of Science, 51, 1983, p. 1-43 ; Jan GOLINSKI, Science as public culture : Chemistry and Enlightenment in Britain, 1760-1820, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
-
[30]
- Dinah RIBARD, « Réflexions sur l’écriture comme lieu de savoir dans les livres de philosophie en France au XVIIe siècle », Revue de Synthèse, 3-4, 2007, p. 395-417.
-
[31]
- Dinah RIBARD, « Philosophie et non-philosophie : Fontenelle et Descartes », Revue Fontenelle, 2, 2004, p. 55-68.
-
[32]
- P. HADOT, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, op. cit., p. 17-18.
-
[33]
- C’est aujourd’hui l’orientation choisie par une histoire anglophone de la philosophie qui s’interroge sur les modes de transmission et les effets de réinvention des traditions antiques, voir par exemple Sarah HUTTON, « Introduction », in D. HEDLEY et S. HUTTON (dir.), Platonism at the origins of modernity : Studies on platonism and early modern philosophy, Dordrecht, Springer, 2008, p. 1.
-
[34]
- ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, trad. et éd. de R. Bodéüs, Paris, Flammarion, 2004, sixième partie, « Les vertus intellectuelles », p. 289-344.
-
[35]
Charles ADAM et Paul TANNERY (éd.), Œuvres de Descartes, Paris, J. Vrin, 1996, vol. VIII-B, 26, p. 2-7.
-
[36]
- Sur la générosité, voir Denis KAMBOUCHNER, Descartes et la philosophie morale, Paris, Hermann, 2008, chap. IV.
-
[37]
- Christian LAZZERI, « Pascal et le bonheur inaccessible », in A. CAILLÉ, M. SENELLART et C. LAZZERI (dir.), Histoire raisonnée de la philosophie morale et politique. Le bonheur et l’utile, Paris, Flammarion, [2001] 2007, t. 1, p. 401-414, ici p. 409.
-
[38]
- M. JONES, The good life in the scientific revolution..., op. cit., chap. 4.
-
[39]
- Ibid., p. 169.
-
[40]
Steven SHAPIN, The scientific life : A moral history of a late modern vocation, Chicago, University of Chicago Press, 2008.
-
[41]
- Voir Dominique PESTRE, Sciences, argent et politique : essai d’interprétation, Paris, INRA Éditions, 2003.
-
[42]
- Sur la tension entre cet absolutisme et le régime de la curiosité, voir l’interprétation d’Hans BLUMENBERG, La légitimité des Temps modernes, Paris, Gallimard, [1988] 1999. Sur ce texte, voir le commentaire éclairant de Jean-Claude MONOD, La querelle de la sécularisation. Théologie politique et philosophies de l’histoire de Hegel à Blumenberg, Paris, J. Vrin, 2002.
-
[43]
M. de CERTEAU, « Politique et mystique. René d’Argenson (1596-1651) », Le lieu de l’autre..., op. cit., p. 265-300, sur la « philosophie surnaturelle » du magistrat, p. 269-276.
-
[44]
- Ibid., p. 239-248.
-
[45]
- Lorraine DASTON, « The moral economy of science », Osiris, 10, 1995, p. 2-24.
-
[46]
- Theodore PORTER, « Objectivity as standardization : The rhetoric of impersonality in measurement, statistics, and cost-benefit analysis », Annales of Scholarship, 9, 1992, p. 19-59 ; Simon SCHAFFER, « Astronomers mark time : Discipline and the personal equation », Science in Context, 2-1, 1988, p. 115-145.
-
[47]
- L. DASTON, « The moral economy of science », art. cit., p. 4 : « Ici le terme économie a aussi une connotation démodée : il se réfère non pas à l’argent, aux marchés, au travail, à la production ou à la distribution des ressources matérielles, mais plutôt à un système organisé qui affiche certaines régularités qui sont explicables mais pas toujours prévisibles dans leurs détails. »
-
[48]
- Ibid., p. 3 : « On peut l’affirmer plus fortement et plus spécifiquement : certaines formes d’empirisme, de quantification, d’objectivité elles-mêmes ne sont pas simplement compatibles avec une économie morale : elles requièrent des économies morales. »
-
[49]
- Ibid., p. 6.
-
[50]
- Voir C. GOLDSTEIN, « L’honneur de l’esprit... », art. cit.
-
[51]
- Donald MACKENZIE, Mechanizing proof : Computing, risk, and trust, Cambridge, MIT Press, 2001, p. 10-11.
-
[52]
- Ibid., p. 11.
-
[53]
- On peut reprendre ici la définition proposée par Lorraine DASTON, « Une histoire de l’objectivité scientifique », in J.-F. BRAUNSTEIN (dir.), L’histoire des sciences. Méthode, styles et controverses, Paris, J. Vrin, 2008, p. 367 : « Ce que j’entends par épistémologie historique est l’histoire des catégories qui structurent notre pensée, qui modèlent notre conception de l’argumentation et de la preuve, qui organisent nos pratiques, qui certifient nos formes d’explication et qui dotent chacune de ces activités d’une signification symbolique et d’une valeur affective. Cette épistémologie historique peut (et en fait, elle le doit) renvoyer à l’histoire des idées et des pratiques, tout autant qu’à l’histoire des significations et des valeurs qui constituent les économies morales des sciences. »
-
[54]
- Susan JAMES, Passion and action : The emotions in seventeenth-century philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1997 ; Jacques ROUX, Florian CHARVOLIN et Aurélie DUMAIN, « Les ‘passions cognitives’ ou la dimension rebelle du connaître en régime de passion. Premiers résultats d’un programme en cours », Revue d’anthropologie des connaissances, 3-3, 2009, p. 369-385.
-
[55]
- René DESCARTES, « Les passions de l’âme », Œuvres philosophiques, vol. III, 1643-1650, Paris, Bordas, 1989, p. 1010 (art. 75). Voir Denis KAMBOUCHNER, L’homme des passions. Commentaires sur Descartes, Paris, Albin Michel, 1995, t. I, p. 237-240.
-
[56]
- Sur le régime de l’attention, voir Lorraine DASTON, « Attention and the values of nature in the Enlightenment », in L. DASTON and F. VIDAL (dir.), The moral authority of nature, Chicago, University of Chicago Press, 2004, p. 100-126. L. Daston écrit : « J’affirme que la valorisation de la nature fut construite à partir de modes hautement élaborés d’attention, d’observation et de description appliqués aux objets naturels », p. 101.
-
[57]
- R. DESCARTES, « Les passions de l’âme », op. cit., p. 1011 (art. 385).
-
[58]
- P. HADOT, Exercices spirituels et philosophie antique, op. cit., p. 31.
-
[59]
- L. DASTON, « Attention and the values of nature in the Enlightenment », art. cit., p. 102.
-
[60]
- Lorraine DASTON et Peter GALISON, Objectivity, New York, Zone Books, 2007.
-
[61]
- Jean-Charles DARMON et Françoise WAQUET (dir.), L’amitié et les sciences : de Descartes à Lévi-Strauss, Paris, Hermann, 2010.
-
[62]
- Sur ce point, le récent livre de Nicholas DEW, Orientalism in Louis XIV’s France, Oxford, Oxford University Press, 2009, tente de situer au sein des réseaux de l’orientalisme baroque le rôle joué par les libertins comme François Bernier, voir chap. III.
-
[63]
- Pour reprendre les termes de Gaston BACHELARD, Essai sur la connaissance approchée, Paris, J. Vrin, [1928] 1987, p. 13.
-
[64]
- Michel de CERTEAU, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975.
-
[65]
- Si l’on excepte Catherine BRICE et Antonella ROMANO (dir.), Sciences et religions de Copernic à Galilée, 1540-1610, Rome, École française de Rome, 1999.
-
[66]
- Sur cette tension entre religion et confession, voir Philippe BÜTTGEN et Christophe DUHAMELLE (dir.), Religion ou confession. Un bilan franco-allemand sur l’époque moderne, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Éd. de la MSH, 2010.
-
[67]
- Ce courant est particulièrement fort en Italie avec les travaux de Romano Madera. Voir Romano MADERA et Luigi Vero TARCA, La filosofia come stile di vita. Introduzione alle pratiche filosofiche, Milan, Bruno Mondadori, 2003.
-
[68]
- Sandro MANCINI, « Montaigne e il mestiere di vivere », in G. ACHENBACH et C. BRENTARI (dir.), Pratiche filosofiche e cura di sé, Milan, Bruno Mondadori, 2006, p. 61-66.
-
[69]
- Les études sur la dédisciplinarisation de la philosophie à l’âge classique achoppent sur cette question de la diffusion de la philosophie dans la société, toujours comprise en termes d’une « vulgarisation », d’une « divulgation » d’un corpus philosophique scolaire sans s’attacher à décrire une pluralité des modes de présence.
-
[70]
- Jean-Claude PERROT, Une histoire intellectuelle de l’économie politique, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Éd. de l’EHESS, 1992.
-
[71]
- D’un côté, selon M. de CERTEAU, L’écriture de l’histoire..., op. cit., p. 156, « une éthique autonome se constitue qui a pour cadre de référence l’ordre social, ou la conscience », de l’autre le développement d’une théologie positive et d’une « herméneutique cléricale » qui fait retour aux origines du christianisme : « Une science des mœurs juge désormais l’idéologie religieuse et ses effets, là où une ‘science de la foi’ classait les comportements dans une sous-section intitulée ‘théologie morale’ et hiérarchisant les conduites selon les codes de la doctrine. »
-
[72]
- Jean-Robert ARMOGATHE, La nature du monde. Science et exégèse au XVIIe siècle, Paris, PUF, 2007.
-
[73]
- De nombreux travaux ont porté sur une réévaluation de ces relations entre mystique et science autour de Joseph Priestley, comme ceux de John Christie par exemple. Voir les articles classiques de Simon SCHAFFER, « Priestley and the politics of spirit », in R.G. W. ANDERSON et C. J. LAWRENCE (dir.), Science, medicine and dissent : Joseph Priestley, Londres, Wellcome Institute/Science Museum, 1987, p. 39-53 ; Id., « Measuring virtue : Eudiometry, enlightenment and pneumatic medicine », in R. K. FRENCH et A. R. CUNNINGHAM (dir.), The medical enlightenment of the eighteenth century, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 281-318.
-
[74]
- Jessica RISKIN, Science in the age of sensibility : The sentimental empiricists of the French Enlightenment, Chicago, University of Chicago Press, 2002.