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Article de revue

La chronique de Jacques I er, une fiction autobiographique

Auteur, auctorialité et autorité au Moyen Âge

Pages 301 à 318

Notes

  • [1]
    Texte présenté lors du séminaire de traduction et de commentaire de la Vita de Charles IV de Bohême (1316-1378) animé par Pierre Monnet et Jean-Claude Schmitt ( EHESS ). Je remercie les participants pour les suggestions apportées pendant le débat qui a suivi mon intervention. Ces suggestions ont été incluses afin d’améliorer le texte original. Je remercie aussi Martin Aurell pour la révision du texte.
  • [2]
    L’édition critique la plus complète est celle de Jordi BRUGUERA (éd.), Llibre dels fets del rei en Jaume, Barcelone, Barcino, 1991, qui sert de référence dans cet article. Le texte original de la chronique, écrit en catalan, a été traduit en latin au début du XIVe siècle par Pere Marsili. Il en existe une édition anglaise moderne : Damian J. SMITH et Helena BUFFERY (éd.), The Book of deeds of James I of Aragon : A translation of the medieval Catalan Llibre dels fets, Aldershot/Burlington, Ashgate, 2003, mais pas d’édition française à ce jour.
  • [3]
    Pour quelques réflexions générales sur le genre autobiographique et l’histoire, voir Paul J. EAKIN, « Introduction », in P. J. EAKIN (dir.), American autobiography : Retrospect and prospect, Madison, University of Wisconsin Press, 1991, p. 6; Jeremy D. POPKIN, History, historians & autobiography, Chicago, The University of Chicago Press, 2005, p. 1-32; Laura MARCUS, Auto/biographical discourses : Theory, criticism, practice, Manchester, Manchester University Press, 1994, p. 7.
  • [4]
    Philippe LEJEUNE, Le pacte autobiographique, Paris, Éd. du Seuil, 1975, p. 14.
  • [5]
    Paul ZUMTHOR, Langue, texte, énigme, Paris, Éd. du Seuil, 1975, p. 165. Voir en particulier le chapitre « Autobiographie au Moyen  ge ? », p. 165-180.
  • [6]
    Michel ZINK, La subjectivité littéraire : autour du siècle de saint Louis, Paris, PUF, 1985, p. 171-264.
  • [7]
    Georg MISCH, Geschichte der Autobiographie, Francfort-sur-le-Main, G. Schulte-Bulmke, 1949.
  • [8]
    M. ZINK, La subjectivité littéraire..., op. cit., p. 172.
  • [9]
    Colin M. MORRIS, The discovery of the individual, 1050-1200, New York, Harper & Row, 1972, p. 79-86.
  • [10]
    Jean-Claude SCHMITT, La conversion d’Hermann le Juif. Autobiographie, histoire et fiction, Paris, Le Seuil, 2003, p. 63-88. Voir aussi James AMELANG, The flight of Icarus : Artisan autobiography in early modern Europe, Stanford, Stanford University Press, 1998, p. 354, n. 8. Voir aussi l’introduction de l’ouvrage de Paul J. EAKIN, Touching the world : Reference in autobiography, Princeton, Princeton University Press, 1992.
  • [11]
    Stefano M. CINGOLANI, « Yo Ramon Muntaner. Consideracions sobre el paper de l’autobiografia en els historiadors en llengua vulgar », Estudis de llengua i literatura catalanes, XI, 1985, p. 95-125 (voir son opinion sur la dimension autobiographique de la chronique de Jacques Ier, p. 115-116), et Stefano ASPERTI, « Il re e la storia : Proposte per una nova lettura del Libre dels feyts di Jaume I », Romanistische Zeitschrift für Literatur-geschichte, 3,1984, p. 279, où l’auteur soutient la thèse de l’oralité de la chronique; voir aussi Id., « Indagini sul Llibre dels feyts di Jaume I : dell’originale all’arquetipo », Romanistisches Jahrbuch, 33,1982, p. 269-282, et Id., « La tradizione manoscritta del Llibre dels feyts », Romanica Vulgaria, 7,1984, p. 107-167; Jordi BRUGUERA, « La Crò nica de Jaume I », Arxiu de Textos Catalans Antics, 12,1993, p. 409-418.
  • [12]
    On trouvera une intéressante et déjà classique réflexion théorique à propos de ces concepts dans Marie-Dominique CHENU, « Auctor, actor, autor », Archivum Latinitatis Medii Aevi, 3,1927, p. 81-86. Aujourd’hui, seul Jaume RIERA I SANS s’oppose à cette thèse : « La personalitat eclesiàstica del redactor del Llibre dels fets », in Jaime I y su época, X Congreso de Historia de la Corona de Aragó n, vol. III, Saragosse, Institució n Fernando el Cató lico, 1979, p. 575-589.
  • [13]
    Robert I. BURNS, Muslims, Christians, and Jews in the crusader kingdom of Valencia : Societies in symbiosis, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 1984, annexe 1, « The king’s autobiography : The Islamic connection ».
  • [14]
    Robert I. BURNS, « The spiritual life of James the Conqueror, king of Aragó -Catalonia, 1208-1276 : Portrait and self-portrait », The Catholic Historical Review, LXII, 1976, p. 1-35. Sur différents aspects liés à la mémoire personnelle et collective à l’époque féodale, voir José Enrique RUIZ-DOMÈNEC, La memoria de los feudales, Barcelona, Argot, 1984.
  • [15]
    J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 187. La métaphore du roi comme seigneur des hirondelles est de Martí DE RIQUER, Histò ria de la literatura catalana, Barcelone, Ariel, 1964, vol. I, p. 419. Sur la forte charge symbolique de cet épisode, voir Stefano M. CINGOLANI, « Memò ria i estratègies comunicatives al ‘Llibre’del rei Jaume I », Revista de Catalunya, 154,2000, p. 111-141, ici p. 134-135.
  • [16]
    J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 212.
  • [17]
    Ibid., vol. II, p. 80.
  • [18]
    Ibid., vol. II, p. 79.
  • [19]
    Ibid., vol. II, p. 5.
  • [20]
    Ibid., vol. II, p. 14-15.
  • [21]
    Ibid., vol. II, p. 204.
  • [22]
    Robert I. BURNS, The crusader kingdom of Valencia : Reconstruction on a thirteenth-century frontier, Cambridge, Harvard University Press/Oxford University Press, 1967, vol. II, p. 324.
  • [23]
    On peut lire une analyse sémantico-éthymologique remarquable de ces vocables dans M.-D. CHENU, « Auctor, actor, autor », art. cit. Voir aussi Michel ZIMMERMANN (dir.), Auctor et auctoritas : invention et conformisme dans l’écriture médiévale. Actes du colloque tenu à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 14-16 juin 1999, Paris, École des chartes, 2001.
  • [24]
    J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., p. 9.
  • [25]
    Quelques chercheurs catalans ont suggéré l’existence de vers « camouflés » dans la prose de la chronique de Jacques Ier. Ces thèses ont été avancées par Manuel DE MONTOLIU, « La cançó de gesta de Jaume I, nova teoria sobre la Crò nica del Conqueridor », Butlletí Arqueolò gic, 8,1922, p. 177-186 et 9,1922, p. 209-216, et développées plus tard par Ferran SOLDEVILA, Les prosificacions en els primers capítols de la crò nica de Desclot, discours de réception à la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona, Barcelone, 1958, et par Miquel COLL I ALTENTORN, « La historiografia de Catalunya en el període primitiu », Estudis Romànics, III, 1951-1952, p. 139-196, réédité, in Miquel COLL I ALTENTORN, Historiografia, Barcelone, Curial, 1991, p. 24-42. Il convient toutefois de signaler que des critiques littéraires tels que Stefano Asperti et Stefano Cingolani ont récemment mis en doute la véracité de cette théorie, sans donner, à ce jour, des preuves décisives de leurs affirmations.
  • [26]
    « Semiotic coherence of the culture » : William H. SEWELL, « The concept(s) of culture », in V. E. BONNELL et L. HUNT (dir.), Beyond the cultural turn : New directions in the study of society and culture, Berkeley/Londres, The University of Califonia Press, 1999, p. 49-50.
  • [27]
    On en trouvera deux exemples très caractéristiques dans M. DE RIQUER, Histò ria de la literatura..., op. cit., vol. I, p. 390.
  • [28]
    J. AMELANG, The flight of Icarus..., op. cit., p. 57.
  • [29]
    Roland BARTHES, « La mort de l’auteur » (1968), Le bruissement de la langue, Paris, Éd. du Seuil, 1984, p. 61-67; Michel FOUCAULT, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » (1969), Dits et Écrits, Paris, Gallimard, 1994, t. 1.
  • [30]
    Antonio G. SOLALINDE, « Intervenció n de Alfonso X en la redacció n de sus obras », Revista de filología españ ola, II, 1915, p. 286, cité dans M. DE RIQUER, Histò ria de la literatura..., op. cit., vol. I, p. 399.
  • [31]
    La transcription de la lettre, dont l’original est écrit en catalan, figure dans Antoni RUBIÓ I LLUCH, Documents per l’histò ria de la cultura catalana mig-eval, Barcelone, Institut d’Estudis Catalans, 2000, vol. I, p. 263-264 (8 septembre 1375).
  • [32]
    Ce texte est connu sous le nom de « Quatrième grande chronique catalane » : Ferran SOLDEVILA (éd.), Les Quatre Grans Crò niques. Jaume I, y otros, Barcelone, Selecta, 1971, p. 1001-1158.
  • [33]
    A. RUBIÓ I LLUCH, Documents per l’histò ria..., op. cit., vol. I, p. 263.
  • [34]
    On trouvera une intéressante étude sur cette question dans Francisco M. GIMENO BLAY, Escribir, reinar. La experiencia gràfico-textual de Pedro IV el Ceremonioso (1336-1387), Madrid, Abada, 2006.
  • [35]
    Les versements effectués par Pierre à B. Descoll sont attestés dans Ramó n GUBERN, « Notes sobre la redacció de la crò nica de Pere el Ceremonió s », Estudis Romànics, 2, 1949-1950, p. 135-148, ici p. 142.
  • [36]
    Josep COROLEU, « Descubrimiento del verdadero autor de la crónica de Pedro el Ceremonioso », La Españ a Regional, III, 1887, p. 530-536; Gabriel LLABRÉS, « Bernardo Dezcoll es el autor de la cró nica Catalana de Pedro IV el Ceremonioso de Aragó n », Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, VII, 1902, p. 331-347.
  • [37]
    Josep MASSÓ I TORRENTS, « Historiografia de Catalunya en català, durant l’època nacional », Revue Hispanique, XV, 1906, p. 562; Antoni RUBIÓ I LLUCH, « Estudi sobre la elaboració de la Crò nica de Pere el Ceremonió s », Anuari del Institut d’Estudis Catalans, III, 1909-1910, p. 519-570; Chronique catalane de Pierre IV d’Aragon, III de Catalogne dit le Cérémonieux ou del Punvalet [par Bernat Dezcoll], éd. par A. Pagès, Toulouse/Paris, E. Privat/H. Didier, 1941; R. GUBERN, « Notes sobre... », art. cit., p. 135-148.
  • [38]
    Jocelyn N. HILLGARTH, « Introduction », in Pere III of Catalonia (Pedro IV of Aragon) Chronicle, trad. par M. Hillgarth et annoté par J. N. Hillgarth, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1980, vol. I, p. 60, qui renvoie à Colecció n de Documentos Inéditos del Archivo General de la Corona de Aragó n, Barcelone, 1847-1974, vol. XXXIII, p. 338.
  • [39]
    J. Amelang, The flight of Icarus..., op. cit., p. 249.
  • [40]
    Édition et introduction de cette œuvre in Bernat METGE, Lo Somni, éd. par S. M. Cingolani, Barcelone, Barcino, 2006, et Lola BADIA (éd.), Bernat Metge. Lo Somni, Barcelone, Barcelona Quaderns Crema, 1999.
  • [41]
    Jean-Claude Schmitt a exploré le thème du « rêve » comme figure littéraire et il propose quelques exemples très intéressants dans le chapitre « Le rêve et son interprétation », in J.-C. SCHMITT, La conversion d’Hermann le Juif..., op. cit., p. 89-142.
  • [42]
    M. ZINK, La subjectivité littéraire..., op. cit., p. 143-144.
  • [43]
    Ibid., p. 229-230.
  • [44]
    Jacques Ier rapporte la réponse du chevalier aragonais Eixemèn de Urrea au franciscain qui avait rêvé que le roi était victorieux des Sarrasins : « Et, à ce propos, Eixemèn d’Orrea dit que les visions étaient bonnes, mais que les Sarrasins devaient se présenter à nous et, selon ce qui leur serait dit, on délibérerait sur ce qu’il fallait faire. Et ce qu’ils ont dit nous a paru bien. » (J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 294). On voit très bien que le roi est plus proche du scepticisme du chevalier que des visions relatées par le franciscain. Ce passage est commenté dans M. DE RIQUER, Histò ria de la literatura..., op. cit., vol. I, p. 410-411.
  • [45]
    Le verbe que le roi utilise en catalan (escridam-los) dénote une voix forte pour exhorter les chevaliers et les barons au combat. Cette voix puissante à l’aube du jour qui se lève rend la scène très dramatique : J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 97.
  • [46]
    Sur les apparitions des saints guerriers, voir Esther DEHOUX, « ‘Con avés non, vasal al ceval blanc ?’Sur quelques apparitions des saints guerriers lors de combats, notamment dans la Chanson d’Aspremont », in L’epopea normanna e il territorio, actes du colloque de Reggio de Calabre (26-27 mai 2006), Reggio de Calabre, 2007, p. 23-114.
  • [47]
    Toute cette trépidante scène est racontée aux chapitres 84 et 85 de la chronique (J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 96-98) et commentée dans M. DE RIQUER, Histò ria de la literatura..., op. cit., vol. I, p. 411-412.
  • [48]
    « Estò rias » dans l’original : J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 97.
  • [49]
    Par exemple, sur le Retable de Sant Jordi, une œuvre de Pere Nisart commandée à l’artiste en 1468 et conservée au musée diocésain de Palma de Majorque.
  • [50]
    J.-C. SCHMITT, La conversion d’Hermann le Juif..., op. cit., p. 235.
  • [51]
    Peter DAMIAN-GRINT, The new historians of the twelfth-century Renaissance : Inventing vernacular authority, Woodbrige, Boydell Press, 1999, p. 151 sq.
  • [52]
    M. DE RIQUER, Histò ria de la literatura..., op. cit., vol. I, p. 395.
  • [53]
    Josep M. PUJOL, « ¿Cultura ecelsiàstica o competència retò rica ? El llatí, la Bíblia i el rei En Jaume », Estudis Romànics, 23,2004, p. 147-171.
  • [54]
    Vita Caroli Quarti. Die Autobiographie Karls IV, éd. par E. Hillenbrand, Stuttgart, Fleischhauer & Spohn Verlag, 1979.
  • [55]
    J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 7.
  • [56]
    Voir le chapitre « Patrons and Publishers », in J. AMELANG, The flight of Icarus..., op. cit., p. 73-79.
  • [57]
    Sur les liens matériels et formels entre les Gesta et la chronique de Jacques Ier, voir Jaume AURELL, « From genealogies to chronicles : The power of the form in medieval Catalan historiography », Viator. Medieval and Renaissance Studies, 36,2005, p. 235-264.
  • [58]
    Lucien BARRAU-DIHIGO et Josep MASSÓ I TORRENTS (éd.), Cró niques catalanes. II. Gesta Comitum Barchinonensium, Barcelone, Institut d’Estudis Catalans, 1925, p. 22.
  • [59]
    Ibid., p. 3.
  • [60]
    Lluís NICOLAU D’OLWER, « L’escola poètica de Ripoll en els segles X-XIII », Anuari de l’Institut d’Estudis Catalans, 1915-1920, p. 3-84; Ramon D’ABADAL, « La fundació del monestir de Ripoll », Analecta Montserratensia, IX, 1962, p. 25-49. Voir aussi Miquel COLL I ALENTORN, Llegendari, Barcelone, Curial, 1993, p. 56-57.
  • [61]
    José Luis VILLACAÑ AS, Jaume I el Conquistador, Madrid, Espasa, 2003, p. 21.
  • [62]
    M. ZINK, La subjectivité littéraire..., op. cit., p. 239, et P. ZUMTHOR, Langue, texte..., op. cit., p. 165-166.
  • [63]
    M. ZINK, La subjectivité littéraire..., op. cit., p. 263-265.

1L’autobiographie est un genre inhabituel au Moyen  ge, et les textes écrits à la première personne sont rares dans l’Occident médiéval [1]. De plus, ceux que l’on rencontre ne peuvent pas être tous considérés comme strictement autobiographiques. Cela étant, la littérature historique catalane médiévale a conservé un texte qui a valeur d’exception, tant par sa forme littéraire que par son contenu historique : le Llibre dels fets del rei en Jaume (Livre des faits du roi Jacques), une chronique du roi Jacques Ier (1208-1276), qui fut roi d’Aragon et comte de Barcelone de 1213 à 1276. Ce texte semble avoir été rédigé ou dicté par le roi à deux époques différentes : vers le milieu (autour de 1244) et à la fin de son règne (autour de 1274). Pour autant, cette division dans le temps de la rédaction n’entame pas l’unité de la chronique assurée par la continuité de l’auteur, la cohérence du style littéraire et l’ensemble thématique. Le Llibre dels fets est un long texte en prose, fortement teinté d’oralité, écrit en contexte de cour et en catalan. Le thème principal en est la vie du roi Jacques Ier et ses conquêtes militaires, et le souverain parle généralement de lui à la première personne du pluriel, sauf en quelques endroits où il utilise la première personne du singulier, notamment dans les dialogues directs [2].

2Jacques Ier retrace les principaux événements qu’il a vécus pendant son règne, depuis sa conception jusqu’à sa mort. La chronique comprend 566 chapitres, ce qui illustre l’étendue et la minutie de ce récit. Les premiers chapitres sont consacrés à la dynastie à laquelle il appartient et au récit de son enfance : origines de ses ancêtres; promesse de mariage de ses parents, Pierre le Catholique et Marie, fille du prestigieux Guillaume de Montpellier; circonstances ayant entouré sa conception et sa naissance; détails sur le choix de son prénom, en l’honneur de l’apôtre Jacques; mort de son père, Pierre, au cours de la bataille de Muret (1213), en pleine croisade des Albigeois; éducation du roi à la cour de Carcassonne jusqu’à l’âge de six ans et formation, pendant son adolescence, chez les maîtres templiers de Monzó n (Aragon). Les chapitres suivants traitent de sa jeunesse et des difficiles premières années de son règne, lorsque les nobles catalans et aragonais, profitant de son jeune âge, avaient pris de plus en plus de pouvoir; cérémonie au cours de laquelle il fut armé chevalier et son mariage avec Leonor, fille du roi de Castille. La troisième partie, la plus longue, est l’histoire détaillée de ses innombrables victoires sur les musulmans, émaillée du récit de quelques événements de politique intérieure ou d’ordre personnel et domestique : ses discours aux Cortes de Barcelone, de Lérida et de Saragosse; ses réunions secrètes avec les nobles; les pactes conclus avec la noblesse et le clergé; la manière toute chevaleresque dont il traite les soldats qui l’accompagnent au combat; le comportement du roi et des troupes avant et après la bataille; son émotion lorsqu’il apprend la mort de l’un de ses chevaliers; la soirée qu’il passe avec sa femme à la veille d’une bataille; la profonde blessure provoquée par une flèche qui vient se ficher dans son front, la tuméfaction de son visage et la cécité qu’elle entraîne, et son retour au combat cinq jours plus tard; les fréquents et émouvants éloges qu’il adresse à ses troupes, honorant leur courage; les pactes qu’il signe avec les Sarrasins après ses différentes conquêtes; le contenu des confessions sacramentelles qu’il fait à Arnau de Segarra, de l’ordre des Prédicateurs, et au pape; les préparatifs, avec le roi de Castille, le maître de l’ordre des chevaliers de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem et le pape, d’une croisade en Terre sainte qui finalement n’aura pas lieu; et, parmi d’autres récits d’une forte intensité, la tempête qui sévit lors d’un voyage à Majorque et son sauvetage miraculeux. Dans les derniers chapitres, la chronique évoque la maladie qui va l’emporter, les conseils qu’il donne à son fils Pierre le Grand, ses dernières dispositions et son renoncement à toutes ses possessions lorsqu’il prend l’habit de Cîteaux. Les quatre dernières lignes, les seules de la chronique à être écrites à la troisième personne, racontent brièvement sa mort.

3La nature exceptionnelle de ce récit et le peu de diffusion qu’il a connu au sein de la communauté scientifique internationale nous conduisent à reconsidérer ce texte du point de vue des fondements méthodologiques modernes, en particulier ceux que l’on applique au genre autobiographique et plus précisément du point de vue des concepts d’auteur, d’auctorialité, d’auctor et d’autorité. Les débats portant sur la dimension autobiographique de la chronique de Jacques Ier contribuent à pénétrer plus avant dans ce qui me semble être la question la plus importante et la plus originale du texte : la dimension du roi rédacteur de la chronique en tant qu’auctor qui confère l’« autorité » au texte, et en tant qu’« auteur » au sens contemporain du terme, lequel, en raison de l’auctorialité collective du texte, doit se dissimuler derrière une fiction historiographique. En effet, mon intention est de démontrer que le roi en est l’auctor, le garant, au sens médiéval, mais qu’il n’en est pas l’« auteur » au sens contemporain, puisque ce texte a été mis en forme par un ou plusieurs scribes et qu’il intègre des textes plus anciens afin de doter celui-ci d’une plus grande autorité. Cela n’est pas exceptionnel – les lettres des princes du XIIIe siècle sont l’objet du même travail de fusion entre une dictée du souverain, l’écriture littéraire d’un notaire qui joue un rôle décisif et un canevas de citations et de réminiscences littéraires plus anciennes, le tout rédigé à la première personne du pluriel. Mais la chronique de Jacques Ier est très intéressante et tout à fait exemplaire, car le roi ne craint pas d’apparaître comme un « autobiographe », un auteur qui écrit à la première personne et assume par conséquent son auctorialité, alors qu’il s’agit d’un texte relevant à l’évidence d’une auctorialité multiple.

La chronique de Jacques Ier, une fiction autobiographique

4Lorsqu’on se plonge dans l’analyse de la chronique de Jacques Ier, la première question est : s’agit-il d’une « véritable » autobiographie [3] ? Il est évident que, « formellement », la chronique est un artefact autobiographique : il s’agit d’un récit dans lequel l’auteur, le narrateur, le personnage principal et le thème principal sont en parfaite coïncidence. Mais du point de vue de sa genèse matérielle, l’auctorialité de Jacques Ier se dilue, et on peut considérer son récit comme une fiction, voire comme une imposture autobiographique. En fait, historiens et critiques littéraires ont toujours fait preuve de scepticisme quant à l’existence de l’autobiographie au Moyen  ge. Il est certain que celle-ci n’est pas un « genre naturel » à cette époque, et ce pour trois raisons : d’une part, dans les chroniques médiévales, histoire et fiction apparaissent simultanément, or le pacte autobiographique exclut la fiction et repose sur un pacte de vraisemblance; d’autre part, les textes historiques médiévaux tendent à raconter un passé lointain, or l’autobiographie ne remonte au maximum qu’au temps d’une vie; enfin, il a été démontré que les chroniques médiévales sont le plus souvent le résultat d’une écriture collective.

5Philippe Lejeune, l’auteur qui a poussé le plus avant la recherche sur la spécificité du genre autobiographique, soutient qu’il n’existe pas d’autobiographie proprement dite avant le siècle des Lumières. Il définit le genre comme un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité [4] ». Si l’on ne peut pas vraiment parler d’autobiographie avant le XVIIIe siècle, c’est qu’aucun auteur ne centre son récit sur sa « personnalité », exception faite des « autobiographies spirituelles » (saint Augustin, sainte Thérèse) qui seraient à ranger dans un genre spécifique. Paul Zumthor soutient quant à lui qu’il n’y a pas d’autobiographie en langue vernaculaire au Moyen  ge. Les seules véritables autobiographies sont latines et recèlent une forte composante de spiritualité et de conversion; les exemples les plus caractéristiques en sont les Confessions de saint Augustin et l’Historia Calamitatum de Pierre Abélard [5]. Dans la même optique, Michel Zink est encore plus restrictif : pour lui, l’autobiographe médiéval remplace sa vie par une vie exemplaire servant de modèle à imiter, il se cache derrière son propre récit, transformant les chroniques en mémoires ou en journal, ce qui est insuffisant pour donner une forme définitive à l’autobiographie comme genre [6]. M. Zink s’oppose ainsi à l’excessive générosité dont fait preuve Georg Misch qui, dans sa célèbre encyclopédie, considère que tout texte écrit à la première personne devient une autobiographie [7]. Il ne suffit pas qu’une œuvre contienne des informations autobiographiques pour que l’on puisse la ranger dans ce genre : l’autobiographe doit présenter « non seulement un récit systématique de sa propre vie, mais encore un récit conduit dans la perspective de sa propre vie, dans lequel le monde apparaît à travers le double regard qu’il a porté sur lui au cours de son existence et qu’il porte sur ce regard même au moment où il écrit [8] ».

6Dans son étude sur l’émergence de l’individu aux XIe et XIIe siècles, Colin Morris défend l’existence au Moyen  ge d’autobiographies qui illustrent la redécouverte de « l’individu », mais en réalité il s’agit plutôt d’autobiographies « collectives », au sens où le « je » de l’auteur représente une collectivité plutôt qu’un « je » personnel. Ces textes, en particulier le De Vita Sua de Guibert de Nogent et l’Historia Calamitatum de P. Abélard, reposent sur la pénitence et l’examen de conscience personnel. Plutôt que de récits autobiographiques proprement dits, il s’agit là de « confessions » au double sens de reconnaissance des péchés de l’auteur et de reconnaissance du jugement de Dieu [9]. C’est Jean-Claude Schmitt, dans sa récente étude sur l’autobiographie d’Hermann le Juif, qui se rapproche le plus d’une reconnaissance explicite de l’existence de l’autobiographie au Moyen  ge, mais il opte finalement pour une solution intermédiaire : il concentre sa recherche sur le genre qu’il qualifie lui-même d’« autobiographie de conversion », dont les points de départ et d’arrivée – ainsi que les points culminants – sont les Confessions de saint Augustin et la Vie de sainte Thérèse. L’autobiographie d’Hermann le Juif entre parfaitement dans cette catégorie [10].

7On peut dès lors comprendre que la plupart des médiévistes aient conclu qu’il n’y a pas, à proprement parler, d’autobiographie au Moyen  ge. L’autobiographie n’est pas simplement « parler d’autrui à la première personne », mais plutôt « parler de et avec soi-même ». Sinon, il s’agit simplement de passages qui apportent une information autobiographique, aussi bien lorsque l’auteur parle de son œuvre d’un point de vue intellectuel (préfaces), que lorsqu’il parle de son rapport avec autrui (lettres) ou avec Dieu (confessio). En somme, ces médiévistes entendent montrer que l’émergence de la « forme autobiographique » au XIIe siècle ne traduit pas encore le véritable fondement du genre autobiographique tel que le connaît et tel que l’a abondamment pratiqué la littérature contemporaine.

8En ce sens, il semble que la chronique de Jacques Ier ne puisse être considérée comme une autobiographie au sens contemporain du terme. Il s’agirait plutôt d’une fiction autobiographique dans laquelle l’auteur (le roi) assume artificiellement, grâce à son autorité, la paternité d’un texte qui est le fruit d’un travail collectif [11]. Il existe certes, dans la chronique, des passages « intimes » dont la teneur ne peut être connue que du seul roi : il se montre tel qu’il est et ne cherche pas particulièrement à cacher ses défauts, ses erreurs ou ses faiblesses. Mais ces épisodes sont l’exception : ce qui abonde, ce sont les récits des épisodes militaires, récits dans lesquels l’intervention de rédacteurs de la chancellerie est évidente.

Auctorialité et autorité dans la chronique de Jacques Ier

9Les historiens et les critiques littéraires qui ont analysé la chronique de Jacques Ier sont quasiment unanimes pour reconnaître que le roi en est bien la source, même si matériellement il a pu être écrit par des scribes de son entourage [12]. Robert Burns a montré l’influence de l’historiographie islamique sur la rédaction de la chronique et insisté sur sa forme proprement autobiographique [13], en analysant la personnalité et la spiritualité du roi sur la base de ses mémoires [14].

10De nombreux détails le confirment, aussi bien dans les faits racontés que dans le point de vue que révèlent certains passages, surtout lorsqu’il est fait référence à des détails de la vie quotidienne et domestique, par exemple lorsque Jacques Ier parle du jour où il ordonna d’attendre, avant de lever le camp, que l’hirondelle nichant sous sa tente eût quitté l’endroit avec ses oisillons : le roi accueille ces oiseaux comme s’ils étaient ses vassaux [15]. C’est aussi la scène où il prend son repas en compagnie de son épouse pendant l’intense campagne de la conquête du château d’Almenara [16]. Le roi raconte de même qu’en voyant les corps de chevaliers morts au combat, « au moment de les enterrer, nous nous sommes mis à pleurer, à gémir et à crier [17] »; ou encore, lorsqu’épuisé par une longue journée de combat, il se met à « regarder les étoiles du ciel [18] ».

11La personnalité de l’auteur se dégage également des commentaires sur sa vie spirituelle la plus intime : « Comme notre seigneur Jésus-Christ, qui sait toutes choses, savait que notre vie serait aussi longue, que nous ferions tant de bonnes œuvres avec la foi qui est la nôtre, par grâce et par faveur, malgré les péchés par nous commis, mortels ou véniels, il ne veut pas que nous en ayons honte [19]. » La présence de tournures aragonaises semble également révéler l’intervention du roi, car il avait passé une bonne partie de son enfance en Aragon, envoyé à Monzón pour y être formé par le templier Guillem de Montredon [20]. De plus, qui d’autre que lui aurait pu décrire avec une telle précision et autant de détails cette nuit de janvier, glaciale, où il transpirait pourtant « comme s’il était dans son bain », où il s’est réveillé plus de cent fois, ne se rendormant qu’accablé par « la fatigue de l’état de veille » et se réveillant à nouveau « entre minuit et l’aube » ? Le lecteur en conclut que ce ne sont pas les angoisses de l’amour comme celles d’Énée, de Chrétien de Troyes et des troubadours qui empêchent le roi de dormir, mais les affaires du royaume [21].

12Tous ces exemples montrent que l’ouvrage dépasse la chronique historique pour pénétrer dans le domaine des mémoires personnels. R. Burns conclut : « L’autobiographie du roi Jacques Ier est un document si peu habituel au Moyen  ge que des doutes sur son authenticité surgissent naturellement. On a assisté à une longue controverse à ce sujet, mais le lecteur peut finalement accepter ce document comme un document essentiellement authentique. Il est clair que le roi Jacques ne l’a pas écrit entièrement, il semblerait plutôt qu’il l’ait dicté en grande partie à une personne de confiance, qui l’a ensuite présenté sous une forme plus soignée [22]. » Il s’agirait d’un procédé de tradition orale, ce qui expliquerait aussi l’incorrection grammaticale de certains passages. Le roi en serait bien l’inspirateur, mais non le scripteur matériel. À cet égard, il est très significatif que R. Burns parle à deux reprises de « l’authenticité » de la chronique. C’est le roi qui, du fait de son « auctorialité », dote la chronique « d’authenticité ». La personne du roi remplit à la fois la fonction d’auctor en tant que source d’« autorité » et celle d’« auteur », car c’est lui qui, en fin de compte, « signe » le texte. Pour Marie-Dominique Chenu, le concept médiéval d’auctor fait référence à une auctoritas dans laquelle se confondent l’idée d’« auteur » (celui qui prend l’initiative de l’acte d’écrire) et l’idée d’autorité, de dignité; en revanche, le concept d’« auteur » renvoie simplement à celui qui confère son « authenticité » au texte : dans ce cas, « autorité » et « authenticité » ne sont évidemment pas synonymes [23].

13Il est alors particulièrement important d’examiner les sources et les phases de l’élaboration textuelle de la chronique. Les sources utilisées par le roi et ses collaborateurs sont tout d’abord les ressources de sa mémoire et des récits antérieurs écrits en vers. La plus importante est la mémoire du roi. En témoigne le fait que, si l’on a pu dater avec quelque certitude la rédaction de la chronique (1244 et 1274), c’est précisément parce que les événements qui prennent place juste avant ces dates (1228-1240 et 1265-1274) sont les plus détaillés dans le récit. Ils sont racontés avec une grande précision parce qu’ils sont encore frais dans la mémoire du roi. La description des autres, plus éloignés dans le temps, se caractérise par un certain flou et quelques confusions. Du reste, le roi lui-même ne voit aucun inconvénient à reconnaître à l’occasion qu’il « ne se rappelle pas » tel ou tel détail et donc qu’il ne peut pas le consigner dans la chronique; le nom du père d’une dame, Agnès, par exemple, lui échappe [24]. Cependant, même si la source principale est la mémoire du roi, le travail concret d’écriture de ses souvenirs a dû être effectué par ses collaborateurs.

14La deuxième source utilisée par le roi, les récits en vers, est peut-être la moins importante en quantité, mais elle est très révélatrice de l’influence des troubadours sur la chronique de Jacques Ier et elle constitue une preuve supplémentaire de la « fiction autobiographique » de la chronique, puisqu’il est évident que ces passages n’ont pas été directement inspirés par Jacques Ier. Les érudits catalans Manuel de Montoliu et Ferran Soldevila souscrivent à la « théorie de la mise en prose » qui rend compte de l’éventuelle origine rimée de certains passages de la chronique, qui proviendraient de récits légendaires de tradition orale [25]. Ce phénomène n’était pas exceptionnel car les chroniques rimées et les récits épiques, fourmillant de légendes et de fictions, furent repris et adaptés dans les textes historiques en prose vernaculaire au cours de la première moitié du XIIIe siècle. La prose était plus conforme aux exigences du nouveau contexte historique et des nouvelles motivations politiques et culturelles, ce que William Sewell désigne comme la « cohérence sémiotique de la culture [26] ». Phénomène typique de l’Europe du XIIIe siècle, la mise en prose des textes historiques se fait parallèlement à celle des textes littéraires, au préalable écrits en vers ou transmis oralement. Dans le Llibre dels fets, les conquêtes de Majorque et de Valence sont ainsi en partie racontées par la mise en prose de chansons antérieures qui retraçaient ces glorieuses campagnes sous une forme poétique [27].

15Le roi aurait naturellement été aidé par quelques scribes de la cour pour la rédaction de sa chronique, ce qui rappelle la théorie de James Amelang sur l’auteur collectif : pour lui, l’auteur de l’autobiographie de l’artisan barcelonais qu’il a étudiée n’est pas une voix solitaire, car on y dénote de nombreuses traces de la participation d’autres personnes à la rédaction du texte [28]. Les textes historiques du Moyen  ge étaient couramment rédigés par plusieurs personnes en particulier dans un contexte de cour. De la même manière, Jacques Ier est un auteur, un garant, au sens le plus « médiéval » du terme, mais non dans le sens contemporain illustré par Roland Barthes et par Michel Foucault [29]. Cela apparaît clairement dans le fait que la forme grammaticale la plus courante dans les chroniques autobiographiques médiévales est la première personne du pluriel, tandis que les auteurs contemporains emploient la première personne du singulier. La meilleure explication de ce phénomène vient probablement du gendre de Jacques Ier, Alphonse X le Sage, roi de Castille, qui nous dit, dans sa belle langue castillane : « [...] nous disons souvent : le roi fait un livre, non parce qu’il l’écrit de ses propres mains, mais parce qu’il en compose les sujets, les corrige et les nuance et les redresse et montre la manière de les faire, et on les écrit ainsi sous ses ordres et nous disons donc que le roi fait le livre. De même, quand nous disons ‘le roi fait un palais’(ou un autre ouvrage), ce n’est pas parce qu’il le fait avec ses propres mains, mais parce qu’il a ordonné qu’on le construise et qu’il a donné tout le nécessaire pour le faire [30]. » En effet, par ces mots imagés, le roi de Castille fait honneur à son surnom de « Sage » et il donne l’une des clés qui nous permettent de mieux comprendre le sens du terme « auctorialité » lorsqu’il s’agit des récits chronistiques du Moyen  ge, employant justement le même terme (livre en français, libro en espagnol, llibre en catalan) que celui qui figure comme titre de la chronique de Jacques Ier.

16Nous possédons un autre document qui illustre les différentes phases de la construction textuelle d’une chronique commandée ou signée par un roi. Il s’agit de la lettre envoyée en 1375 par Pierre le Cérémonieux, roi d’Aragon et arrièrepetitfils de Jacques Ier, à Bernat Descoll qui exerçait à l’époque les fonctions de rédacteur principal de la chronique du roi [31]. Pierre le Cérémonieux a en effet rédigé une chronique, elle aussi autobiographique, au cours de la seconde moitié du XIVe siècle. Elle s’inspire du texte de Jacques Ier, que Pierre le Cérémonieux considérait comme un héros et comme le principal modèle de la dynastie aragonaise, et dont il relisait fréquemment la chronique [32].

17Le début de cette lettre fait référence à une précédente missive envoyée par B. Descoll, qui n’est malheureusement pas parvenue jusqu’à nous, et par laquelle il devait demander au roi de nouvelles indications pour la suite de la chronique, dont la rédaction avait été interrompue des années auparavant à cause de la guerre déclarée entre l’Aragon et la Castille. Dans sa réponse, le roi donne des instructions pour chacun des chapitres de la chronique, dont seule la structure générale semble être décidée. Il commence par approuver les trois premiers chapitres de la première version, mais il demande au rédacteur d’y ajouter tous les détails possibles [33]. Concernant le quatrième chapitre, qui se réfère aux Unions – une douloureuse rébellion particulièrement violente dans Valence et quelques villes d’Aragon –, le roi demande que soient consignés les faits « au jour le jour » en mettant l’accent sur les actions menées contre les chefs de la rébellion. Suit une remarque très intéressante pour la connaissance du processus de construction des chroniques médiévales : si B. Descoll n’est pas à même de certifier ce qui s’est produit au vu des livres du scrivà de ració, le fonctionnaire chargé de noter tous les événements se rapportant à la Couronne, il devra laisser un espace en attendant de faire appel à la mémoire du roi. Il serait passionnant de pouvoir consulter le texte original, où devaient apparaître en alternance l’écriture de B. Descoll et celle du roi Pierre, mais, malheureusement, il n’a pas été conservé [34]. À propos du cinquième chapitre, qui traite de l’alliance avec Venise et d’autres questions de politique extérieure, le roi se déclare satisfait de ce qui a été écrit jusque-là, mais il demande que les faits soient relatés plus en détail et que soient notamment transcrits les noms des personnes ayant pris part avec lui à la conquête de la Sardaigne et à d’autres campagnes en Méditerranée. Quant au sixième chapitre, qui fait référence à la violente guerre avec la Castille – communément appelée « guerre des deux Pierre » –, le roi souhaite qu’il soit le plus long. Il demande qu’une chronique du conflit soit rédigée chaque jour, et que l’on y consigne tous les détails possibles. Le roi indique que certaines campagnes devront être racontées de façon très détaillée (les batailles de Magallo, Terrer, Fariza, Losa, Valence, Murvedre), ainsi que la mort de Ferdinand et celle du chevalier Bernat de Cabrera et d’autres sujets complémentaires, notamment les interventions diplomatiques. En revanche, les luttes intestines de la Castille ne devront pas être rapportées au jour le jour, mais simplement résumées : « no cal fer per jornades, sino en summa ». Dans le chapitre suivant, qui traite de la rébellion du juge d’Arborea, le roi désire que l’on mentionne tous les faits « y compris ceux qui pourraient nuire à notre réputation »; mais il demande aussi à B. Descoll de laisser un blanc que lui-même remplira au terme de la bataille, pour consigner sa victoire. On retrouve ici le système de construction du texte : une première version écrite par B. Descoll, avec des espaces qui seront remplis par le roi. Pour la fin de la chronique, le roi laisse aux rédacteurs une plus grande liberté dans le choix des événements racontés et l’étendue de leur récit, mais il ne veut pas que l’on fasse référence aux campagnes de l’année en cours (1375), car il n’en sortira rien de bon. Comme dernière recommandation, le roi demande à B. Descoll de l’application et de l’efficacité dans son travail, car c’est le plus grand service qu’il pourra lui rendre. Quelques années plus tard, ce travail sera généreusement récompensé, comme en témoigne l’importance des versements reçus par le rédacteur [35]. De façon somme toute logique, des érudits du XIXe siècle ont voulu voir en B. Descoll « l’auteur » de la chronique [36], mais la critique moderne a rétabli Pierre comme le véritable « auteur », précisément parce qu’elle a fait la distinction entre auctor et « auteur » que je défends dans cet article [37].

18Je voudrais souligner tout le potentiel de la chronique de Pierre le Cérémonieux, ainsi que l’analogie avec la méthode employée par Jacques Ier pour la rédaction de sa chronique un siècle auparavant. Jocelyn Hillgarth nous a fourni un autre intéressant témoignage sur la fixation de la mémoire dans la cour aragonaise. En 1364, le greffier, qui prend note du procès intenté contre le fonctionnaire royal B. de Cabrera, est incapable de se rappeler de tous les faits et de tous les mots qui ont rempli les journées du procès. Le greffier reconnaît que, certains jours, il lui arrivait de se méfier de sa mémoire et qu’il en parlait fréquemment avec le roi Pierre en présence de personnes qui avaient assisté aux séances de la cour. Le greffier préparait un texte, y ajoutait les nombreuses corrections suggérées par le roi et le lui lisait ensuite, mot à mot, pour que le roi confirme que ce qui était écrit correspondait exactement à ce qu’il avait dit lors du procès [38].

19Une question concernant l’auctorialité de la chronique retient toutefois encore l’attention. Jacques Ier sélectionne les événements de sa vie, et il utilise deux types de « je » : un « je » purement autobiographique (bien que conditionné par l’aide matérielle de ses scribes), empreint de forte subjectivité, et un « je » « étatique » en quelque sorte, le « je » de la majesté royale, puisque c’est le roi qui parle. Si l’on pense, avec Ernst Kantorowicz, que le roi a deux corps, on pourrait imaginer rencontrer deux types d’expression dont une seule est vraiment autobiographique – et celle-ci, elle aussi, diluée par l’effet de la multi-auctorialité entre le roi et les scribes.

20Ces conclusions peuvent s’appliquer à la chronique de Jacques Ier, mais avec la particularité que, dans ce cas, l’auctorialité émane bien du pouvoir constitué. Autrement dit, la dilution évidente de « l’auctorialité » du roi, qui partage avec ses scribes l’écriture effective de la chronique, est compensée par sa naturelle « autorité » de roi. Elle n’a donc pas besoin de se diluer dans un contexte ou une autorité externe censée conditionner son écriture. J. Amelang relève dans l’autobiographie de son artisan une succession de paradoxes : auto-récit qui ne parle pas de soi, écriture personnelle qui est impersonnelle, et autobiographie qui ne parvient pas à être « autobiographique » [39]. Rien de tout cela ne peut être dit à propos de Jacques Ier : il parle de lui-même dans son auto-récit, son écriture devient entièrement personnelle et son autobiographie est véritablement autobiographique. Cela nous renvoie finalement au cœur de la véritable auctorialité : qui parle à travers le narrateur et le personnage principal.

Le « rêve » comme atténuation de l’auctorialité

21La réponse est univoque pour ce qui concerne le Llibre dels fets : le roi se trouve derrière le narrateur et derrière le personnage. En témoigne clairement le fait que Jacques Ier n’a pas besoin de recourir à un « rêve » pour exposer ses idées. Le rêve est l’un des procédés qui caractérisent le plus le récit médiéval. La littérature catalane en fournit un exemple remarquable dans Lo Somni (Le rêve) de Bernat Metge (fin du XIVe siècle). L’auteur, un courtisan qui avait eu de hautes responsabilités au sein du gouvernement, entend justifier l’action du roi défunt : ce dernier lui apparaît en rêve et, dans un long dialogue avec l’auteur, lui expose sa politique. Grâce à ces informations, B. Metge peut désormais prendre la défense de la politique royale, à l’époque mise en cause par la société barcelonaise [40].

22Tous les auteurs qui se sont penchés sur la question en arrivent à la conclusion que le rêve est comme un « masque » pour l’auteur médiéval [41], dont n’a pas besoin Jacques Ier pour écrire sa chronique. La présence des rêves dans les récits, qu’ils soient autobiographiques ou non, atténue de ce fait la force de l’auteur, sans en atténuer l’autorité. L’auteur se réfugie derrière une image qui reflète plus ou moins exactement la sienne, mais qui ne l’est jamais véritablement. Concernant les récits réputés autobiographiques, comme celui de B. Metge, le rêve possède la virtualité de rendre présente une réalité, mais en même temps de lui faire perdre une partie de sa vraisemblance.

23Au fond, le rêve n’est qu’un moyen pour exposer une réalité à travers une allégorie. Le rêve permettait l’affirmation d’une expérience subjective, il était alors la représentation imaginée ou indirecte d’une signification qui ne pouvait être révélée que par le déchiffrement [42]. M. Zink en donne un exemple très caractéristique. Dans l’une des chroniques de croisés du début du XIIIe siècle, l’un des chevaliers, Joinville, ressent le besoin de se justifier de ne pas avoir accompagné le roi à la croisade; il a alors recours au rêve pour raconter cet épisode [43].

24Jacques Ier intercale aussi des rêves dans sa chronique, mais ils n’interfèrent pas dans son identité comme auteur de la chronique. Ces rêves ne sont pas les siens, mais ceux d’autres personnages. Plus significatif encore, le roi lui-même les traite avec un certain scepticisme non dénué d’une touche d’ironie, voire d’humour. Lorsqu’un franciscain de sa suite a des visions sur la prochaine bataille, elles se superposent immédiatement à celles d’un chevalier qui déclare que, certes, « les visions sont bonnes », mais que la supériorité du roi sur les Sarrasins doit être confirmée par les faits [44].

25Un autre passage montre à quel point le roi se méfie du rêve et de l’exaltation. La scène se déroule à l’aube du jour prévu pour l’assaut de Majorque. Au petit matin, on avait célébré des messes et tous avaient reçu le corps du Christ; les chevaliers et les barons s’étaient armés; le jour se levait peu à peu. C’est alors que le roi s’approche des fantassins, qui se trouvent devant les chevaliers, et, dans une attitude d’autorité royale mais aussi d’humanité, il les exhorte de sa voix puissante en ces termes : « Allons, barons, en avant marche au nom de notre seigneur Dieu ! » Malgré cet ordre pressant, personne ne bouge, aucun chevalier, aucun baron, précise le roi. Jacques Ier ressent une forte angoisse; pour la première fois dans la chronique, on ne suit pas ses ordres. Il s’adresse alors à la Vierge : la seule raison pour laquelle ils sont là est de prendre la terre aux Sarrasins pour que l’on puisse y célébrer le sacrifice de son Fils – la messe –, il faut donc qu’Elle intervienne auprès de son Fils pour qu’il leur accorde la gloire de la victoire. Puis il exhorte à nouveau les barons et les chevaliers [45] : « Allons, barons, au nom de Dieu, pourquoi hésiter ? » Il renouvelle trois fois cette incitation et ce n’est qu’à la troisième que les barons se décident à avancer « pas à pas ». Les soldats se mettent alors à crier : « Santa Maria ! Santa Maria ! », de plus en plus fort à mesure qu’ils répètent l’invocation. Ce n’est que lorsque les chevaliers commencent à s’ébranler que les soldats cessent de crier. Cinq cents fantassins entrent dans la ville et sont durement attaqués par les Sarrasins. Le roi raconte alors, atterré, que ces soldats ont été attaqués si violemment qu’ils seraient tous morts si les chevaliers n’étaient pas arrivés. C’est à ce moment-là que, selon ce que racontent les Sarrasins au roi après la bataille, ils voient arriver en tête de toute la cavalerie catalano-aragonaise un cheval blanc aux armes blanches. Le roi note que « selon sa croyance » il s’agit de saint Georges, car il a entendu raconter de nombreuses histoires où chrétiens et Sarrasins ont vu le saint dans des batailles [46]. Mais il ne s’attarde pas sur ce récit et poursuit en expliquant que les chrétiens sont entrés dans la ville, non grâce à ces visions mais grâce à leur courage dans le combat contre les Sarrasins qui s’enfuient épouvantés [47].

26La lecture de ce passage pourrait donner à penser que la superstition sarrasine est palliée par une circonspection calculée, réduite à une légère et quelque peu ironique observation personnelle du roi. Il est intéressant de noter que le roi ne peut pas affirmer quelque chose qu’il n’a pas vu, l’arrivée du cheval blanc aux armes toutes blanches, et qu’il se contente de faire appel au témoignage des Sarrasins et, surtout, aux « histoires [48] » qu’il a entendu raconter. Dans l’iconographie catalane des siècles suivants, surtout celle du XVe siècle, la conquête de Majorque sera immortalisée par l’image de saint Georges à cheval accompagnant Jacques Ier[49].

Le procès d’élaboration de la chronique et la dilution de l’autorité

27Tout cela nous renvoie une nouvelle fois au fait que Jacques Ier donne autorité au texte, mais n’en est pas l’auteur au sens contemporain. En effet, Jacques Ier n’a pas besoin d’invoquer d’autres « autorités » – réellement ou sous forme de rêves ou visions – pour rendre crédible son discours. Contrairement à l’autobiographie d’Hermann le Juif et à tant d’autres textes historiques du Moyen  ge, le roi ne cite aucune autorité. J.-C. Schmitt précise que « l’‘auteur’médiéval est d’abord celui qui use d’‘autorité’(dans ses citations) et possède l’‘autorité’requise pour pouvoir affirmer quelque chose. Son œuvre ne saurait jamais être strictement individuelle : par les textes de la Bible ou des Pères de l’Église qui s’y croisent et lui donnent sa légitimité, par les voix d’une ‘communauté textuelle’à laquelle participe celui ou ceux qui la composent, l’œuvre est, dans sa genèse et sa nature, profondément collective [50] ».

28S’il n’y a pas, dans la chronique de Jacques Ier, d’intermédiaire au sens d’un quelconque commanditaire, il n’y en a pas non plus du point de vue de ce que Peter Damian-Grint nomme à juste titre « authorising interjections [51] », autrement dit les autorités citées par les auteurs médiévaux, des citations qui ont le même crédit que nos références en notes de bas de page introduites par la critique scientifique moderne. Cela ne veut pas dire que le Llibre dels fets n’a pas recours à des sources telles que les chansons de geste ou la Bible. Les premières sont révélées par la « théorie des mises en prose » et par une grande tradition épique de jongleurs catalans qui a indéniablement existé mais dont nous n’avons conservé aucun exemplaire [52]. Quant aux citations bibliques, elles témoignent de la religiosité réelle et intime du roi, qui les intègre dans les passages les plus intenses de son texte. La chronique s’ouvre sur le passage où l’apôtre saint Jacques exhorte à vivre la foi par les œuvres (Jacques, 2,17-26); plus loin, référence est faite à la sagesse de Salomon, qui conseille d’accueillir docilement les réprimandes du père (Proverbes, 13,24) et à la phrase évangélique qui parle de la nécessaire abnégation pour suivre Jésus-Christ (Matthieu, 16,24) [53].

29Le roi et son entourage ont effacé les traces de l’écriture collective, ils ont tenté de faire correspondre a posteriori l’auctor et l’auteur au sens moderne.

30Jacques Ier ressort avec une intensité maximale dans chacune des phrases de sa chronique. Son autobiographie est créative et originale, non seulement parce qu’il n’existe quasiment pas de précédents ayant pu lui servir de modèles, mais aussi parce qu’elle a engendré des modèles qui seront plus tard imités, comme le montrent la chronique de Ramon Muntaner et celle de Pierre le Cérémonieux. En fait, il existe bien une autre chronique autobiographique d’un roi, celle de Charles IV de Bohême. Mais, sous réserve des résultats de l’étude détaillée de cette œuvre que mènent actuellement J.-C. Schmitt et Pierre Monnet, elle ne semble pas posséder toutes les caractéristiques spécifiques de l’autobiographie [54]. Quoi qu’il en soit, il sera intéressant de comparer ce texte avec la chronique de Jacques Ier, lorsque nous pourrons nous appuyer sur des études plus approfondies du seul point de vue autobiographique, études qui n’existent pas encore aujourd’hui.

31Jacques Ier semble chercher à conforter et justifier ses décisions et ses engagements en utilisant un genre, l’autobiographie, qui exalte au maximum l’auctorialité individuelle. Le roi n’écrit pas pour lui-même, comme il le ferait dans un exercice d’auto-justification ou de recherche de sa propre identité – ce dernier trait est, en revanche, caractéristique des autobiographies contemporaines – mais pour affermir la monarchie en tant qu’institution, pour la suprématie de la fonction « publique ». Il le déclare explicitement en avant-propos de son texte : « Et pour que les hommes connaissent et sachent [...] ce que nous avons fait avec l’aide du Seigneur tout-puissant, [...] nous laissons ce livre pour mémoire. Et ceux qui voudront entendre les grâces que Notre Seigneur nous a faites et pour donner l’exemple à tous les autres hommes du monde, qu’ils fassent ce que nous avons fait [55]. »

32Un autre facteur rehausse l’instance auctorielle de Jacques Ier : il n’a pas eu besoin de protecteurs qui fassent l’éloge de son récit. C’est le roi qui fait l’éloge du récit qu’il signe. Il n’y a donc aucun protecteur prêt à s’immiscer entre l’auteur et ses destinataires, comme cela se produit au Moyen  ge pour toute création artistique et littéraire possédant un minimum de qualité. Les commanditaires sont toujours des intermédiaires. Placés littéralement entre l’auteur et les lecteurs, ils interviennent en tant que médiateurs des agents culturels qui se situent à un niveau social ou économique inférieur, comme le montrent les nombreuses autobiographies portant sur l’activité artisanale, parues dans l’Europe moderne [56].

33Il est intéressant de comparer la chronique avec l’un des textes historiques fondateurs de l’historiographie catalane médiévale : les Gesta Comitum Barchinonensium (vers 1180) [57]. L’avant-propos des Gesta expose clairement les objectifs de l’ouvrage : « Ce livre dit la vérité sur le premier comte de Barcelone et sur tous ceux qui sont venus après lui, ainsi que sur l’ordonnancement de tous les comtés qui existent en Catalogne, les noms et les dates de tous ceux qui les ont eus les uns après les autres, sur le royaume d’Aragon, comment il vint et comment il fut réuni avec le comté de Barcelone, et sur les hauts faits grands et nobles réalisés par les rois d’Aragon et les comtes de Barcelone en leur temps [58]. » Pour atteindre ces objectifs, les Gesta se fondent sur le « récit des Anciens » et sur les écrits des chartes, c’est-à-dire sur la légende d’une part, soit la tradition orale, et d’autre part sur les documents et les livres, soit la tradition écrite. S’agissant de la tradition orale, le chroniqueur déclare explicitement qu’il s’est appuyé sur le « récit des Anciens » pour rédiger son texte : Antiquorum nobis relatione compertum est quod miles quidam fuerit nomine Guifredus[59]; quant à la tradition écrite, elle émerge naturellement du contexte monastique du monastère de Ripoll, dont les moines connaissaient très bien les techniques de compilation de documents [60]. Jacques Ier n’a pas besoin de s’en remettre à ces « autorités » de la tradition, d’emblée il justifie son propre récit en se fiant simplement à sa mémoire.

34Enfin, l’auctorialité est exaltée par la personnalité même qui se dégage de la forte composante autobiographique du Llibre dels fets. José Luis Villacañ as a mis en parallèle la chronique de Jacques Ier et le portrait quelque peu impersonnel du roi de Castille qui apparaît à la lecture de l’Estoria de Espanna. Selon ce chercheur, la différence entre les deux récits réside dans le fait que « le texte autobiographique de Jacques Ier dénote un sens poussé de l’individuel, une personnification du portrait qui dilue la norme idéale dans un naturalisme beaucoup plus tributaire du réalisme du récit [61] ». La trépidante action du Llibre dels fets, qui ne faiblit à aucun moment du récit, et ce portrait passionnant du roi, qui ressort d’un récit souvent introspectif, montrent clairement que le poids du réalisme dans la chronique dépasse de loin celui de l’idéalisation.

35Le genre du Llibre dels fets pourrait donc se définir comme une « fiction », ou du moins une « quasi-fiction », autobiographique. En effet, le roi, entouré d’une équipe d’intellectuels, n’est pas l’auteur unique, mettant par écrit son propre vécu, mais sa personnalité se dissout dans l’auctorialité collective. À proprement parler, les seules autobiographies médiévales sont spirituelles comme le De Vita Sua de G. de Nogent et l’Historia Calamitatum de P. Abélard souvent considérées comme les seules véritables autobiographies de toute la période médiévale [62]. La chronique de Jacques Ier peut être qualifiée d’autobiographique, à condition de ne pas oublier qu’elle ne l’est que d’un point de vue « formel » – écrite à la première personne, auteur, narrateur et personnage principal ne faisant qu’un –, et non d’un point de vue « matériel ». Le roi n’est « auteur » que dans la mesure où il est l’inspirateur et le garant (c’est-à-dire à proprement parler l’auctor), mais il n’est pas « auteur » au sens contemporain du terme.

36De ce point de vue, les débats sur la construction textuelle de la chronique et la diversité des sources revêtent une importance toute particulière – la mémoire du roi, le concours des chevaliers qui l’ont accompagné sur le champ de bataille, les documents de la chancellerie et des textes légendaires anciens. La disparition de Jacques Ier en tant qu’« auteur » est cependant compatible avec le fait que c’est lui qui dote le texte d’« autorité », puisque sa prééminence en tant que roi est suffisante pour doter la chronique de crédibilité et de légitimité et, en définitive, d’authenticité. C’est dans ce contexte que prend tout son sens la distinction classique, signalée par M.-D. Chenu dans son étude pionnière au début du siècle dernier, entre l’auctor qui confère son autorité au texte et l’« auteur » se comportant comme l’agent qui a pris l’initiative de la création littéraire.

37La chronique de Jacques Ier est, à cet égard, un exemple significatif d’une certaine distance prise par rapport aux « autorités » – sous forme de tradition orale ou écrite –, qui étaient des références externes obligatoires dans la littérature historique latine. Le contraste avec les Gesta Comitum Barchinonensium est très significatif : Jacques Ier se pose en autorité per se et il n’a pas besoin de renforcer cette autorité par un élément extérieur, il lui suffit de mettre sa mémoire par écrit.

38La critique traditionnelle a rattaché la chronique de Jacques Ier aux grandes chroniques françaises et à la tradition historiographique catalane des Gesta Comitum Barchinonensium; compte tenu des réserves mentionnées ci-dessus, il est plus juste d’évoquer l’influence de la littérature historique rétrospective à rapprocher des témoignages autobiographiques sur les Croisades qui se répandent dans la France du début du XIIIe siècle et qui sont, plus que des « histoires-généalogiques », des « mémoires-témoignages ». La chronique de Jacques Ier est un exemple extraordinaire de l’apparition de la littérature du « je », contemporaine de celle des littératures vernaculaires. Cela apparaît nettement dans les littératures française et anglonormande du début du XIIIe siècle – en particulier dans les mémoires des Croisades – pour se répandre ensuite dans la péninsule Ibérique à travers la Catalogne. Comme le souligne M. Zink, « la mutation dans la conception du moi littéraire n’est pas un trait du Moyen  ge finissant, mais elle est contemporaine de la diffusion des œuvres les plus anciennes de la littérature française, ou du moins de leur diffusion telle que nous la connaissons, puisqu’il n’existe presque pas de manuscrits littéraires en langue vulgaire antérieurs au XIIIe siècle [63] ».

39Toutefois, j’ai voulu démontrer ici que l’émergence du « je » dont parlent P. Zumthor, M. Zink et C. Morris est encore très ténue, si nous nous appuyons sur l’idée de l’« auteur » au sens le plus contemporain du terme, et qu’elle repose toujours sur le phénomène de l’« auctorialité collective » tout à fait caractéristique des chroniques médiévales. Ce qui ressort clairement de la chronique de Jacques Ier, c’est la présence d’un auctor qui confère de l’autorité au texte mais qui, en même temps et paradoxalement, perd de sa force en tant qu’« auteur ». D’ailleurs, cette chronique surgie de la mémoire individuelle est devenue une féconde source de mémoire collective pour les Aragonais, les Catalans, les Valenciens et les Majorquins, qui trouvent dans ces textes les origines de leur histoire. L’auctorialité individuelle s’est diluée dans l’auctorialité collective, tout comme la mémoire d’un roi est devenue, au fil des siècles, celle de tout un peuple.


Date de mise en ligne : 01/05/2008

Notes

  • [1]
    Texte présenté lors du séminaire de traduction et de commentaire de la Vita de Charles IV de Bohême (1316-1378) animé par Pierre Monnet et Jean-Claude Schmitt ( EHESS ). Je remercie les participants pour les suggestions apportées pendant le débat qui a suivi mon intervention. Ces suggestions ont été incluses afin d’améliorer le texte original. Je remercie aussi Martin Aurell pour la révision du texte.
  • [2]
    L’édition critique la plus complète est celle de Jordi BRUGUERA (éd.), Llibre dels fets del rei en Jaume, Barcelone, Barcino, 1991, qui sert de référence dans cet article. Le texte original de la chronique, écrit en catalan, a été traduit en latin au début du XIVe siècle par Pere Marsili. Il en existe une édition anglaise moderne : Damian J. SMITH et Helena BUFFERY (éd.), The Book of deeds of James I of Aragon : A translation of the medieval Catalan Llibre dels fets, Aldershot/Burlington, Ashgate, 2003, mais pas d’édition française à ce jour.
  • [3]
    Pour quelques réflexions générales sur le genre autobiographique et l’histoire, voir Paul J. EAKIN, « Introduction », in P. J. EAKIN (dir.), American autobiography : Retrospect and prospect, Madison, University of Wisconsin Press, 1991, p. 6; Jeremy D. POPKIN, History, historians & autobiography, Chicago, The University of Chicago Press, 2005, p. 1-32; Laura MARCUS, Auto/biographical discourses : Theory, criticism, practice, Manchester, Manchester University Press, 1994, p. 7.
  • [4]
    Philippe LEJEUNE, Le pacte autobiographique, Paris, Éd. du Seuil, 1975, p. 14.
  • [5]
    Paul ZUMTHOR, Langue, texte, énigme, Paris, Éd. du Seuil, 1975, p. 165. Voir en particulier le chapitre « Autobiographie au Moyen  ge ? », p. 165-180.
  • [6]
    Michel ZINK, La subjectivité littéraire : autour du siècle de saint Louis, Paris, PUF, 1985, p. 171-264.
  • [7]
    Georg MISCH, Geschichte der Autobiographie, Francfort-sur-le-Main, G. Schulte-Bulmke, 1949.
  • [8]
    M. ZINK, La subjectivité littéraire..., op. cit., p. 172.
  • [9]
    Colin M. MORRIS, The discovery of the individual, 1050-1200, New York, Harper & Row, 1972, p. 79-86.
  • [10]
    Jean-Claude SCHMITT, La conversion d’Hermann le Juif. Autobiographie, histoire et fiction, Paris, Le Seuil, 2003, p. 63-88. Voir aussi James AMELANG, The flight of Icarus : Artisan autobiography in early modern Europe, Stanford, Stanford University Press, 1998, p. 354, n. 8. Voir aussi l’introduction de l’ouvrage de Paul J. EAKIN, Touching the world : Reference in autobiography, Princeton, Princeton University Press, 1992.
  • [11]
    Stefano M. CINGOLANI, « Yo Ramon Muntaner. Consideracions sobre el paper de l’autobiografia en els historiadors en llengua vulgar », Estudis de llengua i literatura catalanes, XI, 1985, p. 95-125 (voir son opinion sur la dimension autobiographique de la chronique de Jacques Ier, p. 115-116), et Stefano ASPERTI, « Il re e la storia : Proposte per una nova lettura del Libre dels feyts di Jaume I », Romanistische Zeitschrift für Literatur-geschichte, 3,1984, p. 279, où l’auteur soutient la thèse de l’oralité de la chronique; voir aussi Id., « Indagini sul Llibre dels feyts di Jaume I : dell’originale all’arquetipo », Romanistisches Jahrbuch, 33,1982, p. 269-282, et Id., « La tradizione manoscritta del Llibre dels feyts », Romanica Vulgaria, 7,1984, p. 107-167; Jordi BRUGUERA, « La Crò nica de Jaume I », Arxiu de Textos Catalans Antics, 12,1993, p. 409-418.
  • [12]
    On trouvera une intéressante et déjà classique réflexion théorique à propos de ces concepts dans Marie-Dominique CHENU, « Auctor, actor, autor », Archivum Latinitatis Medii Aevi, 3,1927, p. 81-86. Aujourd’hui, seul Jaume RIERA I SANS s’oppose à cette thèse : « La personalitat eclesiàstica del redactor del Llibre dels fets », in Jaime I y su época, X Congreso de Historia de la Corona de Aragó n, vol. III, Saragosse, Institució n Fernando el Cató lico, 1979, p. 575-589.
  • [13]
    Robert I. BURNS, Muslims, Christians, and Jews in the crusader kingdom of Valencia : Societies in symbiosis, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 1984, annexe 1, « The king’s autobiography : The Islamic connection ».
  • [14]
    Robert I. BURNS, « The spiritual life of James the Conqueror, king of Aragó -Catalonia, 1208-1276 : Portrait and self-portrait », The Catholic Historical Review, LXII, 1976, p. 1-35. Sur différents aspects liés à la mémoire personnelle et collective à l’époque féodale, voir José Enrique RUIZ-DOMÈNEC, La memoria de los feudales, Barcelona, Argot, 1984.
  • [15]
    J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 187. La métaphore du roi comme seigneur des hirondelles est de Martí DE RIQUER, Histò ria de la literatura catalana, Barcelone, Ariel, 1964, vol. I, p. 419. Sur la forte charge symbolique de cet épisode, voir Stefano M. CINGOLANI, « Memò ria i estratègies comunicatives al ‘Llibre’del rei Jaume I », Revista de Catalunya, 154,2000, p. 111-141, ici p. 134-135.
  • [16]
    J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 212.
  • [17]
    Ibid., vol. II, p. 80.
  • [18]
    Ibid., vol. II, p. 79.
  • [19]
    Ibid., vol. II, p. 5.
  • [20]
    Ibid., vol. II, p. 14-15.
  • [21]
    Ibid., vol. II, p. 204.
  • [22]
    Robert I. BURNS, The crusader kingdom of Valencia : Reconstruction on a thirteenth-century frontier, Cambridge, Harvard University Press/Oxford University Press, 1967, vol. II, p. 324.
  • [23]
    On peut lire une analyse sémantico-éthymologique remarquable de ces vocables dans M.-D. CHENU, « Auctor, actor, autor », art. cit. Voir aussi Michel ZIMMERMANN (dir.), Auctor et auctoritas : invention et conformisme dans l’écriture médiévale. Actes du colloque tenu à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 14-16 juin 1999, Paris, École des chartes, 2001.
  • [24]
    J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., p. 9.
  • [25]
    Quelques chercheurs catalans ont suggéré l’existence de vers « camouflés » dans la prose de la chronique de Jacques Ier. Ces thèses ont été avancées par Manuel DE MONTOLIU, « La cançó de gesta de Jaume I, nova teoria sobre la Crò nica del Conqueridor », Butlletí Arqueolò gic, 8,1922, p. 177-186 et 9,1922, p. 209-216, et développées plus tard par Ferran SOLDEVILA, Les prosificacions en els primers capítols de la crò nica de Desclot, discours de réception à la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona, Barcelone, 1958, et par Miquel COLL I ALTENTORN, « La historiografia de Catalunya en el període primitiu », Estudis Romànics, III, 1951-1952, p. 139-196, réédité, in Miquel COLL I ALTENTORN, Historiografia, Barcelone, Curial, 1991, p. 24-42. Il convient toutefois de signaler que des critiques littéraires tels que Stefano Asperti et Stefano Cingolani ont récemment mis en doute la véracité de cette théorie, sans donner, à ce jour, des preuves décisives de leurs affirmations.
  • [26]
    « Semiotic coherence of the culture » : William H. SEWELL, « The concept(s) of culture », in V. E. BONNELL et L. HUNT (dir.), Beyond the cultural turn : New directions in the study of society and culture, Berkeley/Londres, The University of Califonia Press, 1999, p. 49-50.
  • [27]
    On en trouvera deux exemples très caractéristiques dans M. DE RIQUER, Histò ria de la literatura..., op. cit., vol. I, p. 390.
  • [28]
    J. AMELANG, The flight of Icarus..., op. cit., p. 57.
  • [29]
    Roland BARTHES, « La mort de l’auteur » (1968), Le bruissement de la langue, Paris, Éd. du Seuil, 1984, p. 61-67; Michel FOUCAULT, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » (1969), Dits et Écrits, Paris, Gallimard, 1994, t. 1.
  • [30]
    Antonio G. SOLALINDE, « Intervenció n de Alfonso X en la redacció n de sus obras », Revista de filología españ ola, II, 1915, p. 286, cité dans M. DE RIQUER, Histò ria de la literatura..., op. cit., vol. I, p. 399.
  • [31]
    La transcription de la lettre, dont l’original est écrit en catalan, figure dans Antoni RUBIÓ I LLUCH, Documents per l’histò ria de la cultura catalana mig-eval, Barcelone, Institut d’Estudis Catalans, 2000, vol. I, p. 263-264 (8 septembre 1375).
  • [32]
    Ce texte est connu sous le nom de « Quatrième grande chronique catalane » : Ferran SOLDEVILA (éd.), Les Quatre Grans Crò niques. Jaume I, y otros, Barcelone, Selecta, 1971, p. 1001-1158.
  • [33]
    A. RUBIÓ I LLUCH, Documents per l’histò ria..., op. cit., vol. I, p. 263.
  • [34]
    On trouvera une intéressante étude sur cette question dans Francisco M. GIMENO BLAY, Escribir, reinar. La experiencia gràfico-textual de Pedro IV el Ceremonioso (1336-1387), Madrid, Abada, 2006.
  • [35]
    Les versements effectués par Pierre à B. Descoll sont attestés dans Ramó n GUBERN, « Notes sobre la redacció de la crò nica de Pere el Ceremonió s », Estudis Romànics, 2, 1949-1950, p. 135-148, ici p. 142.
  • [36]
    Josep COROLEU, « Descubrimiento del verdadero autor de la crónica de Pedro el Ceremonioso », La Españ a Regional, III, 1887, p. 530-536; Gabriel LLABRÉS, « Bernardo Dezcoll es el autor de la cró nica Catalana de Pedro IV el Ceremonioso de Aragó n », Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, VII, 1902, p. 331-347.
  • [37]
    Josep MASSÓ I TORRENTS, « Historiografia de Catalunya en català, durant l’època nacional », Revue Hispanique, XV, 1906, p. 562; Antoni RUBIÓ I LLUCH, « Estudi sobre la elaboració de la Crò nica de Pere el Ceremonió s », Anuari del Institut d’Estudis Catalans, III, 1909-1910, p. 519-570; Chronique catalane de Pierre IV d’Aragon, III de Catalogne dit le Cérémonieux ou del Punvalet [par Bernat Dezcoll], éd. par A. Pagès, Toulouse/Paris, E. Privat/H. Didier, 1941; R. GUBERN, « Notes sobre... », art. cit., p. 135-148.
  • [38]
    Jocelyn N. HILLGARTH, « Introduction », in Pere III of Catalonia (Pedro IV of Aragon) Chronicle, trad. par M. Hillgarth et annoté par J. N. Hillgarth, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1980, vol. I, p. 60, qui renvoie à Colecció n de Documentos Inéditos del Archivo General de la Corona de Aragó n, Barcelone, 1847-1974, vol. XXXIII, p. 338.
  • [39]
    J. Amelang, The flight of Icarus..., op. cit., p. 249.
  • [40]
    Édition et introduction de cette œuvre in Bernat METGE, Lo Somni, éd. par S. M. Cingolani, Barcelone, Barcino, 2006, et Lola BADIA (éd.), Bernat Metge. Lo Somni, Barcelone, Barcelona Quaderns Crema, 1999.
  • [41]
    Jean-Claude Schmitt a exploré le thème du « rêve » comme figure littéraire et il propose quelques exemples très intéressants dans le chapitre « Le rêve et son interprétation », in J.-C. SCHMITT, La conversion d’Hermann le Juif..., op. cit., p. 89-142.
  • [42]
    M. ZINK, La subjectivité littéraire..., op. cit., p. 143-144.
  • [43]
    Ibid., p. 229-230.
  • [44]
    Jacques Ier rapporte la réponse du chevalier aragonais Eixemèn de Urrea au franciscain qui avait rêvé que le roi était victorieux des Sarrasins : « Et, à ce propos, Eixemèn d’Orrea dit que les visions étaient bonnes, mais que les Sarrasins devaient se présenter à nous et, selon ce qui leur serait dit, on délibérerait sur ce qu’il fallait faire. Et ce qu’ils ont dit nous a paru bien. » (J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 294). On voit très bien que le roi est plus proche du scepticisme du chevalier que des visions relatées par le franciscain. Ce passage est commenté dans M. DE RIQUER, Histò ria de la literatura..., op. cit., vol. I, p. 410-411.
  • [45]
    Le verbe que le roi utilise en catalan (escridam-los) dénote une voix forte pour exhorter les chevaliers et les barons au combat. Cette voix puissante à l’aube du jour qui se lève rend la scène très dramatique : J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 97.
  • [46]
    Sur les apparitions des saints guerriers, voir Esther DEHOUX, « ‘Con avés non, vasal al ceval blanc ?’Sur quelques apparitions des saints guerriers lors de combats, notamment dans la Chanson d’Aspremont », in L’epopea normanna e il territorio, actes du colloque de Reggio de Calabre (26-27 mai 2006), Reggio de Calabre, 2007, p. 23-114.
  • [47]
    Toute cette trépidante scène est racontée aux chapitres 84 et 85 de la chronique (J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 96-98) et commentée dans M. DE RIQUER, Histò ria de la literatura..., op. cit., vol. I, p. 411-412.
  • [48]
    « Estò rias » dans l’original : J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 97.
  • [49]
    Par exemple, sur le Retable de Sant Jordi, une œuvre de Pere Nisart commandée à l’artiste en 1468 et conservée au musée diocésain de Palma de Majorque.
  • [50]
    J.-C. SCHMITT, La conversion d’Hermann le Juif..., op. cit., p. 235.
  • [51]
    Peter DAMIAN-GRINT, The new historians of the twelfth-century Renaissance : Inventing vernacular authority, Woodbrige, Boydell Press, 1999, p. 151 sq.
  • [52]
    M. DE RIQUER, Histò ria de la literatura..., op. cit., vol. I, p. 395.
  • [53]
    Josep M. PUJOL, « ¿Cultura ecelsiàstica o competència retò rica ? El llatí, la Bíblia i el rei En Jaume », Estudis Romànics, 23,2004, p. 147-171.
  • [54]
    Vita Caroli Quarti. Die Autobiographie Karls IV, éd. par E. Hillenbrand, Stuttgart, Fleischhauer & Spohn Verlag, 1979.
  • [55]
    J. BRUGUERA (ed.), Llibre dels fets..., op. cit., vol. II, p. 7.
  • [56]
    Voir le chapitre « Patrons and Publishers », in J. AMELANG, The flight of Icarus..., op. cit., p. 73-79.
  • [57]
    Sur les liens matériels et formels entre les Gesta et la chronique de Jacques Ier, voir Jaume AURELL, « From genealogies to chronicles : The power of the form in medieval Catalan historiography », Viator. Medieval and Renaissance Studies, 36,2005, p. 235-264.
  • [58]
    Lucien BARRAU-DIHIGO et Josep MASSÓ I TORRENTS (éd.), Cró niques catalanes. II. Gesta Comitum Barchinonensium, Barcelone, Institut d’Estudis Catalans, 1925, p. 22.
  • [59]
    Ibid., p. 3.
  • [60]
    Lluís NICOLAU D’OLWER, « L’escola poètica de Ripoll en els segles X-XIII », Anuari de l’Institut d’Estudis Catalans, 1915-1920, p. 3-84; Ramon D’ABADAL, « La fundació del monestir de Ripoll », Analecta Montserratensia, IX, 1962, p. 25-49. Voir aussi Miquel COLL I ALENTORN, Llegendari, Barcelone, Curial, 1993, p. 56-57.
  • [61]
    José Luis VILLACAÑ AS, Jaume I el Conquistador, Madrid, Espasa, 2003, p. 21.
  • [62]
    M. ZINK, La subjectivité littéraire..., op. cit., p. 239, et P. ZUMTHOR, Langue, texte..., op. cit., p. 165-166.
  • [63]
    M. ZINK, La subjectivité littéraire..., op. cit., p. 263-265.

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