Notes
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[1]
Pour introduire, dans la perspective qui est la nôtre, à la bibliographie considérable sur la sociabilité de la république des Lettres dans l’Europe moderne, on retiendra ANNE GOLDGAR, Impolite learning. Conduct and community in the Republic of Letters, 1680-1750, New Haven, Yale University Press, 1995.
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[2]
Pour la période moderne à nouveau, voir le livre de FRANÇOISE WAQUET, Parler comme un livre. L’oralité et le savoir ( XVIe - XXe siècles), Paris, Albin Michel, 2003, qui met l’accent sur la formalité des interactions savantes.
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[3]
Les dates de la vie d’Aulu-Gelle ont donné lieu à un débat dans lequel nous n’entrons pas ici.
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[4]
L’enquête pourrait être élargie à d’autres témoins, comme Fronton et sa correspondance, le médecin Galien, Lucien de Samosate, Philostrate, biographe des rhéteurs de la « Seconde sophistique ».
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[5]
Édités et traduits par François Fuhrmann (Livres I-VI), Paris, Les Belles Lettres, 1972-1976,2 vol., et Françoise Frazier et Jean Sirinelli (Livres VII-IX), Paris, Les Belles Lettres, 1996.
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[6]
L’édition de référence reste celle de Georgius Kaibel, Athenaei Naucratitae Deipnosophistarum Libri XV, Leipzig, Teubner, 1887-1890,3 vol.; seuls les deux premiers Livres sont disponibles dans la collection Guillaume Budé (édition Alexandre M. Desrousseaux, 1956); traduction anglaise : édition Charles Gulick, collection Loeb, 1951-1961,7 vol.; traduction italienne, avec commentaire et révision du texte grec de l’édition Kaibel : Ateneo, I Deipnosofisti. I dotti a banchetto, Rome, Salerno Editrice, 2001 (4 vol.).
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[7]
Les Nuits attiques ont été éditées par René Marache (vol. I-III, 1967-1989) et par Yvette Julien (vol. IV, 1998) dans la collection Guillaume Budé.
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[8]
Il ne saurait être question de déployer ici la bibliographie plutarchéenne. Pour une introduction d’ensemble par l’un des meilleurs spécialistes français, voir JEAN SIRINELLI, Plutarque, Paris, Fayard, 2000.
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[9]
Trois ouvrages sont essentiels pour introduire à cette œuvre érudite : RENÉ MARACHE, La critique littéraire de langue latine et le développement du goût archaïsant au IIe siècle de notre ère, Rennes, Plition (Impr. des « Nouvelles de Bretagne »), 1952; LEOFRANC HOLFORD - STREVENS, Aulus Gellius. An Antonine scholar and his achievement, Oxford, Oxford University Press, 2003, édition revue; LEOFRANC HOLFORD-STREVENS et AMIEL VARDI (éd.), The worlds of Aulus Gellius, Oxford, Oxford University Press, 2005; MARIA LAURA ASTARITA, La cultura nelle « Noctes Atticae », Catane, Università di Catania, 1993. Voir aussi GRAHAM ANDERSON, « Aulus Gellius : a miscellanist and his world », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II, 34-2, pp. 1834-1862.
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[10]
Le titre même du recueil, Les Nuits attiques, évoque ce premier séjour athénien.
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[11]
Grâce à l’amitié de Fronton, qui intervient en sa faveur auprès de l’empereur Antonin le Pieux (Ad Antoninum Pium, 9).
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[12]
Il est très tentant de l’identifier au pontife mineur P[ublius] Livius Larensis, connu par l’épitaphe que lui offrit son épouse Cornelia : CIL VI 2126 (= ILS 2932). Voir HERMANN DESSAU, « Zu Athenaeus », Hermes, XXV, 1890, pp. 156-158.
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[13]
Scriptores historiae Augustae, Commode, XX, 1.
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[14]
L’existence de grandes bibliothèques privées sous l’Empire est largement attestée par les sources littéraires. Voir PAOLO FEDELI, « Biblioteche private et pubbliche a Roma e nel mondo Romano », in G. CAVALLO (éd.), Le biblioteche nel mondo antico e medievale, Bari, Laterza, 1988, pp. 31-64.
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[15]
Athénée serait-il le bibliothécaire de Larensis, chargé d’enrichir la collection et de la mettre en ordre ? Si rien ne permet de donner un fondement biographique à cette hypothèse avancée par A. M. Desrousseaux, l’auteur des Deipnosophistes témoigne incontestablement d’une grande expertise bibliographique dans l’identification et le maniement des livres grecs : voir CHRISTIAN JACOB, « Athenaeus the Librarian », in D. BRAUND et J. WILKINS (éd.), Athenaeus and his world, reading Greek culture in the Roman Empire, Exeter, University of Exeter, 2000, pp. 85-110.
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[16]
Pour une présentation d’ensemble de ce texte, voir CHRISTIAN JACOB, « Ateneo o il dedalo delle parole », Ateneo, I Deipnosofisti. I dotti a banchetto, Rome, Salerno Editrice, 2001, vol. I, pp. XI-CXVI.
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[17]
Cette indication, toutefois, participe du jeu de mimesis entre Athénée et le Banquet de Platon.
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[18]
Selon le modèle, par exemple, du cercle épicurien de Philodème à Herculanum : voir l’ouvrage classique de MARCELLO GIGANTE, La bibliothèque de Philodème et l’épicurisme romain, Paris, Les Belles Lettres, 1987, et TIZIANO DORANDI, « Pratiques “philologiques” à la bibliothèque de la “Villa dei Papiri” à Herculanum », in L. GIARD et C. JACOB (éd.), Des Alexandries I. Du livre au texte, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2001, pp. 237-248.
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[19]
Le Banquet des sept sages de Plutarque et le Banquet ou les Lapithes de Lucien offrent des exemples de pures fictions littéraires.
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[20]
Macrobe, au début du premier livre des Saturnales, admet avoir réuni dans ses banquets savants des personnages ayant vécu à des époques différentes, suivant en cela le modèle des dialogues platoniciens.
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[21]
Voir l’étude classique de JEAN-MARIE ANDRÉ, L’otium dans la vie morale et intellectuelle à Rome, des origines à l’époque augustéenne, Paris, PUF, 1966.
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[22]
C’est encore au tribunal que l’auteur entend, lors d’une action devant le préfet de la ville, un homme d’un certain âge employer un mot inusité, ce qui suscite un débat public (Nuits attiques, XI, 7).
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[23]
Essentiellement PHILOSTRATE, Vies des Sophistes, I, 8, §§ 489-492; ADELMO BARIGAZZI, Favorino di Arelate, Opere, Florence, Felice Le Monnier, 1966; MAUD W. GLEASON, Making men. Sophists and self-presentation in Ancient Rome, Princeton, Princeton University Press, 1995, en particulier le chapitre I, « Favorinus and his statue », pp. 3-20. Voir aussi STEPHEN M. BEAL, « Homo fandi dulcissimus: the role of Favorinus in the Attic Nights of Aulus Gellius », American journal of philology, 122,2001, pp. 87-106.
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[24]
Ce modèle antique inspire tout un ensemble de postures, de pratiques et de représentations dans l’Europe moderne : voir MARC FUMAROLI, EMMANUEL BURY et PHILIPPE - JOSEPH SALAZAR, Le loisir lettré à l’âge classique, Genève, Droz, 1996.
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[25]
Voir aussi Nuits attiques, X, 25, où Aulu-Gelle occupe son esprit, alors qu’il est assis sur un char, en reconstituant des listes de vocabulaire militaire et technique tiré des historiens anciens.
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[26]
Voir Ibid., XIX, 8,15, où Fronton invite ses élèves, « quand ils en auront le loisir », à faire une recherche sur l’occurrence d’un terme chez les orateurs ou les poètes anciens.
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[27]
Cet usage des Nuits attiques est évoqué dans la Praefatio, 1; voir Ibid., 11 et 23.
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[28]
Voir par exemple, Nuits attiques, XVIII, 10,1 : description des paysages de la villa d’Hérodes Atticus à Céphisia.
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[29]
Athénée suggère que les convives de Larensis, en dehors de leurs banquets, fréquentent les mêmes lieux de sociabilité cultivée : ainsi, à propos d’Ulpien de Tyr, Deipnosophistes, I, 1d-e (voir aussi XIV, 648c et XIII, 567a).
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[30]
EDWARD CHAMPLIN, Fronto and Antonine Rome, Harvard, Harvard University Press, 1980, p. 14.
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[31]
Comme l’indique R. Marache, dans sa note ad loc. Voir aussi Nuits attiques, XVI, 3 : Favorinus et son cortège visitent à nouveau un malade au milieu de ses médecins. L’occasion est trop belle pour Favorinus, qui se lance dans une discussion médicale à partir des théories d’Érasistrate.
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[32]
Voir aussi Nuits attiques, XI, 13 : lecture d’un discours chez le maître de rhétorique; Ibid., XIII, 29 : lecture des Annales de Quadrigarius chez Fronton.
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[33]
Ibid., XV, 1 : promenade dans les rues de Rome avec Antonius Julianus; Ibid., IX, 2 : Aulu-Gelle dans le cercle des élèves d’Hérodes Atticus, se promenant à Athènes.
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[34]
Ibid., IX, 15 : Aulu-Gelle accompagne Julianus et un disciple à une déclamation à Naples.
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[35]
Voir la Praefatio, 2 : « Selon que j’avais eu entre les mains un livre, grec ou latin, ou que j’avais entendu un propos digne de mémoire, je notais ce qu’il me plaisait [...]. »
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[36]
L’auteur s’inscrit ainsi dans la tradition antique des apomnémoneumata qui, sur le modèle des Mémorables de Xénophon, préservent l’enseignement de philosophes non dogmatiques en rapportant dans un cadre dialogique leurs propos ou comportements exemplaires et édifiants. L’originalité d’Aulu-Gelle est d’appliquer ce modèle aux rhéteurs et grammairiens de son temps (voir RENÉ MARACHE, « La mise en scène des “Nuits attiques”. Aulu-Gelle et la diatribe », Pallas, I, 1953, pp. 84-95).
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[37]
Sur ce genre littéraire, voir FRANCINE WILD, Naissance du genre des ana (1574-1712), Paris, Honoré Champion, 2001.
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[38]
Voir ANN MOSS, Les recueils de lieux communs. Apprendre à penser à la Renaissance, Genève, Droz, 2002.
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[39]
Par exemple, Nuits attiques, II, 2,9; XVII, 10,1.
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[40]
Par exemple, Ibid., X, 12,9 : Favorinus.
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[41]
Voir Ibid., XIV, 2,26; XVI, 3,6.
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[42]
Par exemple, Ibid., II, 2,11-12 : « Taurus fit ces développements et d’autres dans le même sens avec autant d’autorité que de charme. Mais il ne m’a pas paru hors de propos d’y joindre ce que j’ai lu chez Claudius Quadrigarius [...] »; II, 22,28 sq.; IV, 1, 20-23.
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[43]
F. WILD, Naissance du genre..., op. cit., p. 32.
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[44]
Voir Ibid., p. 162 sq., sur les deux recueils de Colomiès.
-
[45]
FRONTON, Ad amicos, I, 19, p. 182. Voir M. L. ASTARITA, La cultura..., op. cit., pp. 195-196.
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[46]
Quelques repères bibliographiques : FLORENCE DUPONT, Le plaisir et la loi. Du « Banquet » de Platon au « Satiricon », Paris, Maspéro, 1977; FRANÇOIS LISSARRAGUE, Un flot d’images. Une esthétique du banquet grec, Paris, Adam Biro, 1987; OSWYN MURRAY (éd.), Sympotica : Symposium on the symposion, Oxford, Oxford University Press, 1990; LUCIANA ROMERI, Philosophes entre mots et mets. Plutarque, Lucien, Athénée autour de la table de Platon, Grenoble, Jérôme Millon, 2002. Sur les Propos de table, voir l’introduction de François Fuhrmann et la postface de Françoise Frazier à l’édition des Belles Lettres, 1972-1996; voir aussi l’introduction de Antonio M. Scarcella à son édition de Plutarco, Conversazioni a tavola, libro primo, Naples, M. D’Auria Editore, 1998, pp. 7-133.
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[47]
La source principale sur la configuration du Musée reste STRABON, Géographie, XIII, 1,54 C 608; sur les pratiques savantes dans ce cadre, voir WILLIAM J. SLATER, « Aristophanes of Byzantium and problem-solving in the Museum », Classical quarterly, XXXII, 2,1982, pp. 336-349.
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[48]
Voir aussi Nuits attiques, XIX, 9 : banquet offert par un riche étudiant à ses maîtres et amis, le jour de son anniversaire. Aulu-Gelle décrit encore les dîners frugaux auxquels le poète Iulius Paulus conviait ses amis : un jour d’automne, on fit lecture lors du repas de l’Alceste de Laevius (Ibid., XIX, 7); au moment des vendanges, le poète Annianus invite ses amis, au nombre desquels Aulu-Gelle, pour un dîner d’huîtres, dans son domaine du pays falisque (Ibid., XX, 8).
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[49]
PLUTARQUE, Propos de table, I, 613E. Je reprends la traduction de philologoi proposée par F. Furhmann.
-
[50]
Voir aussi Nuits attiques, VII. 13 : les intimes du philosophe Taurus à Athènes contribuent aux banquets sous forme de questions préparées à l’avance, mettant en jeu des raisonnements paradoxaux, « jolis, minutieux et piquant au vif un esprit épanoui par le vin ».
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[51]
Les banquets évoqués par Aulu-Gelle traitent aussi de ce genre de questions : les effets des phases de la lune sur la taille des huîtres, les yeux des chats et les oignons (XX, 8), les effets du gel sur l’huile et le vin (XVII, 8), le nom des vents (II, 22).
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[52]
Voir par exemple III, 100b; VII, 275e; IX, 406d; XV, 671c.
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[53]
Nous nous référons ici au texte fondateur de BALDASSAR CASTIGLIONE, Le livre du courtisan (1528). Voir NORBERT ELIAS, La société de cour, Paris, Flammarion, 1985, ainsi que JACQUES REVEL, « Les usages de la civilité », in P. ARIÈS et G. DUBY (dir.), Histoire de la vie privée, 3, R. CHARTIER (dir.), De la Renaissance aux Lumières, Paris, Le Seuil, [1985] 1999, pp. 167-208. Le rôle de la civilité dans les pratiques savantes de l’Europe moderne a été mis en évidence notamment par MARIO BIAGIOLI, « Le prince et les savants. La civilité scientifique au 17e siècle », Annales HSS, 50-6,1995, pp. 1417-1453.
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[54]
Sur le caractère topique de ces dialogues, voir R. MARACHE, « La mise en scène... », art. cit., pp. 84-95.
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[55]
La signification de ce motif récurrent est discutée par AMIEL VARDI, « Gellius against the professors », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 137,2001, pp. 41-54; sur la figure des grammairiens qui se dégage des Nuits attiques, voir ROBERT A. KASTER, Guardians of language : the grammarians and society in Late Antiquity, Berkeley, University of California Press, 1988, pp. 51-60.
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[56]
De même le rhéteur Antonius Julianus est-il loué autant pour son savoir que pour son jugement critique, par lequel il pèse les vertus et décèle les défauts des textes antiques (I, 4,1).
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[57]
Voir aussi XVIII, 1 : un débat entre deux philosophes, l’un péripatéticien et l’autre stoïcien, sur le rôle de la vertu pour parvenir à la vie heureuse, est placé sous l’arbitrage de Favorinus sans parvenir à une conclusion claire. L’échange symétrique des arguments, s’il sent le procédé rhétorique, ouvre aussi un espace de réflexion pour le lecteur.
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[58]
Les trois auteurs étudiés ici sont à la source d’une riche tradition de la conversation savante et cultivée. Voir MARC FUMAROLI, « Otium, convivium, sermo : la conversation comme “lieu commun” des lettrés », in ID. et alii, Le loisir lettré..., op. cit., pp. 29-52; ID., Trois institutions littéraires, Paris, Gallimard, 1994.
1Il n’est pas de communautés savantes sans des formes de civilité qui en régulent les interactions et en mettent en scène, sur un mode ostentatoire ou problématique, les valeurs et l’autoreprésentation. Qu’il s’agisse des codes de la correspondance, des usages de la visite, des formes de la réunion, des échanges de présents et de services ou des règles de la conversation, ces rituels de sociabilité jouent un rôle central dans la production des savoirs, processus coopératif dont le déroulement et la validation sont placés sous le contrôle et le regard des acteurs directs comme des témoins secondaires, dans la diversité de leurs statuts [1]. La nature et la portée du savoir ainsi activé sont indissociables des modes de sa genèse et de sa construction négociée dans les échanges de la parole et de l’écoute, des questions et des réponses, de la voix et de l’écrit, de l’individu et de la communauté qui l’englobe. La recherche partagée, la lecture à haute voix et en commun, la conversation, le jeu des questions et réponses, la leçon magistrale ou la controverse sont autant de formes structurantes de cette oralité savante [2].
2Trois auteurs de l’époque impériale, deux Grecs et un Romain, apportent un jeu d’éclairages croisés sur la sociabilité savante de leur temps. Plutarque de Chéronée (vers 46-120 apr. J.-C.) et Athénée de Naucratis (seconde moitié du IIe - début du IIIe siècle apr. J.-C.), d’une part, et Aulu-Gelle (né entre 125 et 128, mort vers ou peu après 180) [3], de l’autre, mettent en scène les acteurs et les pratiques d’une culture lettrée où l’érudition historique et grammaticale coexiste avec la philosophie et une certaine forme de curiosité scientifique [4]. Chacun d’eux découpe dans ce paysage son champ d’intérêts propre, et le déploie dans une œuvre polymathique pour le premier, monomaniaque pour le second, composite et régie par un désordre affecté pour le dernier. Tous trois, cependant, reflètent la vie intellectuelle de leur temps et de leur lieu, qu’il s’agisse du cercle de Plutarque, mis en scène dans ses Propos de table [5], des grands lecteurs compulsifs des Deipnosophistes [6], réunis à Rome dans la domus d’un riche chevalier, ou du réseau d’amitiés et de liens intellectuels noués par Aulu-Gelle [7] depuis le temps de ses études, entre Rome et Grèce. Ces différents milieux, liés à la biographie de leurs auteurs, sont mis en scène dans les textes eux-mêmes et organisent un mode de construction, d’exposition et de validation des savoirs. En mimant la dynamique des échanges oraux et en explicitant le cadre social dans lequel ils s’inscrivent, ces textes se situent dans la tradition littéraire du dialogue philosophique, qui remonte à Platon. Ils soumettent aussi les savoirs à une forme d’exposition polyphonique où, avec les voix, se croisent non seulement les regards, les mémoires et les spécialisations intellectuelles ou professionnelles, mais aussi les modalisations, entre l’inventaire des opinions possibles, la réfutation autoritaire de l’erreur et la détermination dialectique du vrai et du faux. Ces dialogues sont ainsi un lieu de réflexivité sur la construction et la validation sociales des savoirs, comme sur la compétence et l’autorité des acteurs.
3Les Propos de table de Plutarque, les Deipnosophistes d’Athénée et les Nuits attiques d’Aulu-Gelle ne sauraient cependant être lus comme des documents trans-parents sur les acteurs et les pratiques de la vie intellectuelle des premiers siècles de notre ère. La distance, la réélaboration, les conventions, le masque et la fiction, parfois, sont constitutifs de ces ouvrages. Nos auteurs, en effet, se mettent en scène à la fois comme narrateurs, rapportant les échanges survenus dans leurs cercles respectifs, et comme membres de ces cercles, impliqués dans les dialogues comme interlocuteurs actifs ou auditeurs attentifs. Cette double position, d’inclusion agissante et d’extériorité observatrice, leur permet de décrire et de raconter tout en soulignant les codes, les enjeux et les valeurs.
Trois constellations savantes
4Plutarque s’est bâti très tôt une réputation par ses conférences et ses écrits de jeunesse, variations sur des lieux communs politico-historiques et éthiques, avant de renoncer à une carrière de sophiste pour une vie de notable influent et cultivé, partagée entre les fonctions publiques (politiques et religieuses) et l’activité intellectuelle, de l’écriture polygraphique à l’enseignement de la philosophie. Il est le pivot autour duquel se déploient et se recoupent différents cercles, familial, amical, savant, témoignant d’une vie sociale diversifiée comme d’une notoriété intellectuelle qui dépasse les frontières de sa cité natale, Chéronée de Béotie, pour s’étendre en Grèce, en Asie Mineure et à Rome même [8].
5Quels que soient le cadre et l’occasion des banquets qui fournissent les conversations des Propos de table, Plutarque est toujours au nombre sinon au centre des convives. Il constitue ainsi le point de référence de différents réseaux qui se configurent par les voyages des uns et les visites des autres, par les circonstances familiales, officielles ou académiques. Delphes, Chéronée, Athènes, Corinthe, Aidepsos en Eubée ou les Thermopyles, mais aussi Rome s’inscrivent sur la carte des banquets de Plutarque, à l’occasion de visites privées, de circonstances officielles, de fêtes religieuses ou de jeux panhelléniques, voire de fêtes de famille (IV, 3). À côté de figurants occasionnels, les Propos de table mettent en scène des acteurs récurrents : on y trouve le cercle familial proche (grand-père, père, frères, fils, neveux, beau-père), auquel se mêle le réseau académique, enseignants comme le philosophe Ammonius (III, 1-2, VIII, 3, IX), étudiants (III, 7) ou intellectuels au début de leur carrière comme Favorinus (VIII, 10). Les Romains tiennent une place importante, hommes de pouvoir et de culture dont l’amitié protectrice s’accompagne d’un véritable philhellénisme : le dédicataire du recueil est Sosius Sénécion, deux fois consul, vainqueur des Daces et passionné de philosophie. Lucius Mestrius Florus, important personnage politique, lui aussi, aida Plutarque à acquérir le droit de cité romain.
6Aulu-Gelle occupe une place centrale dans ses Nuits attiques. Dans ce savant ouvrage, les notes de lecture et les propos rapportés nourrissent la discussion d’une grande variété de problèmes grammaticaux, sémantiques, juridiques et antiquaires [9]. Le seul facteur unifiant serait le point de vue de l’auteur qui sélectionne les problèmes à discuter comme les textes à citer ou à commenter. Un certain nombre de chapitres sont mis en scène sous la forme d’un dialogue entre des grammairiens, des philosophes et des érudits, auquel Aulu-Gelle participe ou assiste simplement. À la différence de Plutarque, toutefois, Aulu-Gelle n’est pas une figure intellectuelle de premier plan. Son œuvre se réduit à cette collection de notes érudites, née d’une pratique d’écriture personnelle avant une réélaboration formelle qui la destinait à des lecteurs extérieurs. Aulu-Gelle n’est pas un professionnel du savoir, mais un homme cultivé qui a suivi des études de rhétorique et de philosophie auprès de maîtres romains et grecs, et qui, parvenu à l’âge adulte, a maintenu des relations avec certains d’entre eux. Le milieu est cohérent dans sa définition sociale et diversifié par les situations mises en scène : Rome en est le pôle principal, Athènes rappelle le temps des études [10]. Aulu-Gelle n’est pas le pivot des différents cercles évoqués. Il est en position d’élève, d’auditeur, d’ami, parfois de témoin fortuit. Dans la plupart des épisodes, le rôle principal est tenu par d’autres : Favorinus, Fronton, Sulpicius Apollinaris, Calvisius Taurus, Hérodes Atticus, dans la diversité même de leurs statuts, sont les principaux protagonistes de ce milieu intellectuel.
7Athénée est sans doute la figure la plus énigmatique. Originaire de Naucratis en Égypte, qu’il dit avoir quittée il y a longtemps, il s’est établi à Rome. Ce cheminement est partagé par d’autres lettrés grecs originaires d’Égypte. Si certains, comme Appien d’Alexandrie, ont réussi à s’approcher de la cour impériale [11], Athénée, lui, appartient à la clientèle d’un riche Romain de l’ordre équestre, Larensis. Celui-ci est présenté comme un expert en matières religieuses, chargé par Marc Aurèle de superviser les temples et les sacrifices. Il a une connaissance approfondie de tous les rituels traditionnels, romains et grecs. Il est aussi un spécialiste des lois, et a étudié les décrets de l’Assemblée et du Sénat (Deipnosophistes, I, 2c) [12]. Il est fait mention de sa fonction de procurateur dans la province impériale de Moésie (IX, 398e), une charge de gouverneur réservée à l’ordre équestre et comportant des attributions financières et juridiques. Peut-être s’agit-il du même personnage que le Livius Laurensis qui fut procurator patrimonii à la fin du règne de Commode et contribua à l’organisation de ses funérailles sur l’ordre de Pertinax [13]. Ce chevalier romain consacre ses loisirs (son otium) à la culture, sous la forme d’une bibliothèque de livres grecs [14] et d’un cercle lettré dont il est l’hôte généreux et respecté. Les intérêts intellectuels de Larensis rejoignent en effet ceux de ses invités : la culture, la littérature et la langue grecques, que tous les deipnosophistes mettent en jeu et en miroir dans leurs réunions en suivant le scénario traditionnel du sumposion. On ne peut qu’imaginer les circonstances de cette association entre un riche Romain, bibliophile et philhellène, et un lettré grec venu d’Égypte, formé à l’école de la polymathie alexandrine, qui a préféré les voies de l’érudition grammaticale et antiquaire à celles de la rhétorique ou de la philosophie, pourtant susceptibles de lui valoir une carrière sophistique ou une chaire universitaire à Rome ou à Athènes [15].
8Alors qu’Aulu-Gelle situe les interactions savantes dans des cadres très divers, Athénée ne met en scène qu’un banquet, cette réunion codifiée où un dîner (deîpnon) précède le temps voué à la consommation du vin et à la conversation (sumposion). Là où Plutarque déploie ses Propos de table sur un grand nombre de banquets privés ou officiels qui se succèdent sur une durée de plus de vingt ans, Athénée s’en tient au récit d’une réunion unique, reconstituée à partir de souvenirs de banquets successifs : les deipnosophistes sont présentés comme un cercle de lettrés qui se réunissent régulièrement chez leur hôte romain [16]. Ces réunions étaient de notoriété publique et suscitaient la curiosité de ceux qui ne pouvaient y assister : le texte se présente comme un récit a posteriori fait par Athénée, témoin direct, à son ami Timocrate (I, 2a) [17]. Ce n’est pas un cercle d’enseignement, avec des disciples réunis autour d’un maître, ni une école philosophique, soudée autour d’un corps doctrinal à préserver [18]. Ce n’est pas non plus un cercle lié à la cour impériale. Ces réunions prennent place dans l’espace privé d’une domus. Elles associent Grecs et Romains qui, au-delà de la diversité de leurs statuts, partagent un même intérêt pour l’hellénisme, son lexique, sa bibliothèque, ses traditions et ses usages. Les origines des convives grecs sont des plus diverses : Alexandrie, Naucratis, Ptolémaïs, Éphèse, Nicomédie, Pergame, Elis, Thessalie, Elée, Nicée, Tyr. L’origine des patronymes romains n’est pas spécifiée. On y trouve les praticiens d’un art (médecins, musiciens), des philosophes, des grammairiens qui enseignent probablement leur savoir. La dissymétrie sociale et économique entre le patron romain et ses invités est traduite dans le langage euphémique de la générosité et de la munificence.
9Athénée s’inspire-t-il d’un cercle réel auquel il dédierait un mémorial littéraire et érudit ? L’éloge initial de Larensis rend plausible cette hypothèse. Une difficulté surgit en revanche si l’on tente la prosopographie des membres de ce cercle. Alors que les milieux savants de Plutarque et d’Aulu-Gelle réunissent des figures connues et datées, Athénée met en scène des personnages qui semblent masqués, entre réalité et fiction. Si on trouve parmi eux un médecin nommé Galien, auteur d’une œuvre considérable, qui a toutes les chances d’être le Galien que nous connaissons par ailleurs, bien établi à Rome, le personnage d’Ulpien de Tyr, lexicographe obsessionnel, cadre mal avec le grand juriste de la fin du IIe siècle. S’agirait-il de son père ? D’autres noms évoquent de grandes figures intellectuelles du passé – proche ou lointain –, Démocrite, Varus (qui fait penser à Varron), Arrien, Plutarque (non pas de Chéronée, mais d’Alexandrie), Masurius (qui évoque le grammairien Masurius Sabinus, de la première moitié du Ier siècle). Certains noms suscitent davantage de perplexité : Philadelphe de Ptolémaïs ou Aemilien l’Africain font penser à Ptolémée Philadelphe ou à Scipion l’Africain. Les médecins Daphnos d’Éphèse et Rufinus de Nicée semblent renvoyer à un seul et même personnage, Rufus d’Éphèse, un praticien en activité sous le règne de Trajan (98-117 apr. J.-C.). Ces noms résultent-ils des hasards de l’homonymie ou sont-ils les indices d’une fiction [19] ? Ou encore des surnoms ludiques dont s’affubleraient les membres du cercle ? Les bibliothèques romaines s’ornaient de portraits des grands noms de la pensée et de la littérature : bustes, statues ou tableaux. Aux orateurs et aux poètes, les invités de Larensis ont peut-être préféré l’inspiration tutélaire de grandes figures érudites, dont les noms inscriraient leurs réunions dans une forme d’utopie [20]. Cynulque, le vibrionnant cynique, est bien affublé d’un surnom, et Athénée, en nous révélant son nom véritable – Théodore –, donne peut-être la clé d’un jeu de société où les membres du cercle de Larensis avaient leur identité masquée (XV, 692b, voir aussi IV, 160d).
Temps et lieux de l’otium cultivé
10Les situations mises en scène par Aulu-Gelle se distribuent en deux grands ensembles : les années d’études, puis l’âge adulte, où, à côté des activités du citoyen ou du magistrat (negotium), s’ouvre le temps du loisir cultivé, l’otium [21]. Ces deux pôles définissent un arc temporel parcouru par la mémoire, mais aussi des positions différentes par rapport aux maîtres, de l’étudiant débutant au familiaris.
11Aulu-Gelle, devenu adulte, réserve l’activité intellectuelle au temps libre que lui laissent ses fonctions publiques, la gestion de son patrimoine et l’éducation de ses enfants (Praefatio, 23). Le temps dévolu à ces activités, le negotium, n’interdit cependant pas les discussions savantes. Loin d’être un loisir frivole, la culture apporte une aide utile au citoyen dans ses charges publiques. Nommé « juge extraordinaire » et chargé de prononcer un jugement intra kalendas, Aulu-Gelle s’enquiert auprès de son maître, le grammairien Sulpicius Apollinaris, du sens exact de cette expression : le jour des calendes est-il ou non inclus dans ce délai (Nuits attiques, XII, 13) ? Apollinaris lui répond devant un cercle de nombreux auditeurs : la grammaire éclaire un point de droit [22]. Tout juste nommé au nombre des juges en charge des « jugements privés » et passant du monde des exercices rhétoriques à celui des procès réels, Aulu-Gelle commence par réunir ces « maîtres muets » que sont les livres de droit, grecs ou latins, pour apprendre les subtilités de la procédure. Mais confronté à un cas où les livres ne permettaient pas de trancher entre les arguments en présence, Aulu-Gelle ajourne l’audience, quitte le tribunal et va consulter son maître, le philosophe Favorinus (XIV, 2). L’épisode se situe à une période de transition, entre les activités de l’étudiant, fréquentant un philosophe de renom, et celles du magistrat confronté à des responsabilités nouvelles. Authentique ou fictive, l’anecdote est éclairante sur les rapports entre maîtres et élèves, comme sur l’autorité de Favorinus, qu’Aulu-Gelle choisit de présenter comme un philosophe et non comme le rhéteur à la voix chantante, l’hermaphrodite au parfum de scandale que d’autres sources nous dépeignent [23].
12L’otium ne désigne pas l’inactivité, mais le temps consacré à l’étude (studium) ou à la culture dans la vie d’un citoyen (XIII, 2,1), ou, plus généralement, le temps du loisir en marge des tâches imposées [24]. Un lettré, mis en difficulté dans une conversation savante nouée chez un libraire, peut se tirer d’affaire en prétextant un negotium, qui met fin au moment d’otium (XVIII, 4,9). Quand Aulu-Gelle était plus jeune, le temps libre laissé par les maîtres et leurs cours était consacré à fréquenter d’autres maîtres, comme le célèbre Fronton, en auditeur libre et pour le plaisir, hors de toute obligation (XIX, 8,1). À l’intérieur même du temps de l’étude, se reproduit ainsi le partage entre negotium et otium.
13L’otium peut être le temps d’une sociabilité cultivée, celle par exemple des auditeurs d’une lecture publique des Annales d’Ennius, un jour férié, qui s’engagent dans une discussion sur le sens d’un mot (XVI, 10). Il est aussi celui de la lecture ou de la réflexion solitaire. Ainsi, lorsque les affaires lui en laissent le loisir, Aulu-Gelle aime-t-il se promener et fixer son attention sur des questions de détail, en réalité de grande importance pour l’étude des classiques et la connaissance de la langue latine, comme par exemple les sens divers de certaines particules de la langue latine (XI, 3.1) [25]. C’est dans le temps de l’otium, également, qu’Aulu-Gelle se plonge dans des livres de médecine pour s’instruire sur les veines et les artères (XVIII, 10,8), ou qu’il projette de rechercher dans un livre tel passage évoqué de mémoire (VI, 16,3; XVII, 13,11) [26].
14Entre otium et negotium, Aulu-Gelle prône une conception de la culture qui n’est pas celle du spécialiste, coupé de la vie active et publique et voué à l’accumulation de savoirs inutiles. La mise en scène du temps dévolu à l’activité savante dessine en effet en creux le portrait d’Aulu-Gelle et de ses lecteurs supposés : ni professionnels du savoir ni absorbés par les negotia au point de ne pas avoir d’otium du tout, ils se consacrent à la culture en marge de leur vie active, sur le mode de la distraction et du divertissement (ludere). La forme fragmentée au principe des Nuits attiques correspond à une pratique d’écriture discontinue, réservée, comme son titre l’indique, au temps solitaire et tranquille de la veille nocturne. Elle se prête à une accumulation lente, dont Aulu-Gelle, du reste, n’envisage pas le terme, puisqu’il annonce dans la préface son intention de poursuivre son œuvre au-delà des vingt livres existants (Praefatio, 22-24). Cette écriture vouée au plaisir de la remémoration des choses lues ou entendues est indissociable d’un style de vie. De même, le format de chapitres brefs, dévolus à un sujet bien identifié que l’on peut repérer par une table initiale, est approprié à une forme de lecture et de curiosité marquée par la brièveté et la recherche d’efficacité et de renouvellement perpétuel [27]. Le plaisir, la culture, l’utilité sont les effets recherchés : il s’agit moins d’instruire des ignorants que de compléter des savoirs acquis ou d’ouvrir les voies d’une recherche personnelle, entre livres et maîtres.
Formes de la sociabilité savante
15Trois grands modèles organisent la sociabilité savante des Nuits attiques : la rencontre, la visite, la fréquentation. La première, impromptue, survient dans des espaces publics, qu’il s’agisse du forum, des rues ou du Palatin, ou dans des lieux de sociabilité savante, bibliothèques et échoppes de libraires; elle associe des protagonistes différents par leur milieu et leurs compétences. La deuxième s’inscrit dans une relation sociale déjà établie; elle obéit à différents rituels selon les circonstances, formelles ou simplement amicales. La troisième, enfin, suppose une connivence fondée sur un attachement personnel autant qu’intellectuel : tel est le lien qui unit les disciples à leur maître. Les mêmes protagonistes peuvent intervenir dans ces différents cadres, qui mettent en valeur des aspects différents de leur personnalité.
16Les situations d’interaction savante s’inscrivent presque exclusivement dans un contexte urbain ou résidentiel. Si Aulu-Gelle évoque des lieux de villégiature à la campagne [28], les espaces publics de Rome constituent l’un des cadres habituels des rencontres. Ces espaces ouverts s’opposent globalement aux lieux clos de l’école et des bibliothèques, de même qu’une carrière de citoyen succède aux études de jeunesse (Nuits attiques, XIII, 13). Certaines grandes figures, comme le rhéteur-philosophe Favorinus d’Arles, se déplacent dans la Ville entourées de leur cortège d’élèves et de familiers. Attendant qu’un consul de ses amis ait fini de siéger au tribunal, dans le forum de Trajan, Favorinus interroge ses compagnons sur le sens de l’inscription ex manubiis qui se lit au sommet du bâtiment (XIII, 25). Un dialogue s’engage alors avec un personnage qui avait déjà une grande réputation de savoir, en présence d’Aulu-Gelle.
17D’autres occasions sont plus formelles. Ainsi, se mêlant à la foule qui, à l’aube, dans le vestibule du Palatin, attend le moment de saluer l’empereur à son lever, on peut voir les grands maîtres du moment, entourés de leurs disciples. Le choix de ce cadre particulier est significatif : le dialogue lettré est situé dans une manifestation qui engage le populus romanus et son princeps. La salutatio est une pratique de cour, qui implique les élites de la société romaine (sénateurs et chevaliers). C’est le moment pour des grammairiens de second rang de tenter de se faire remarquer, tel ce personnage qui entreprend de disserter sur les genres et les cas des noms en présence de Favorinus et de sa suite (IV, 1). On retrouve Favorinus dans les mêmes circonstances, engageant une conversation avec Sextus Caecilius, un spécialiste de l’interprétation des lois, en présence d’une assistance nombreuse où figure Aulu-Gelle lui-même (XX, 1). L’échange porte sur l’interprétation des lois des Douze Tables et s’interrompt lorsque César reçoit l’assistance pour la salutatio. De même, c’est encore dans le vestibule du Palatin que se tiennent Fronton, Festus Postumius et Sulpicius Apollinaris : ils engagent un débat sur la latinité d’un mot et Aulu-Gelle tend l’oreille pour capter la conversation (XIX, 13). En s’inscrivant au cœur de l’espace public romain, ces différentes scènes soulignent les enjeux politiques du savoir grammatical et antiquaire des Nuits attiques. Rome, ses inscriptions, ses monuments et ses institutions s’offrent au décryptage et à l’interprétation, et le citoyen comme le magistrat sont ici concernés par le savoir utile de l’érudit.
18La boutique du libraire se prête elle aussi à des rencontres fortuites entre lettrés. C’est un lieu où l’on s’attarde, entre amis, entre lecteurs et poètes, et où l’on peut observer le manège de tel acheteur qui se fait accompagner d’un grammairien réputé pour expertiser un livre ancien et apprécier la qualité d’un texte (V, 4), ou encore d’un lettré fanfaron qui se targue d’être le meilleur interprète des Satires Ménippées de Varron (XIII, 31). Aulu-Gelle rapporte aussi un souvenir de jeunesse où, alors qu’il se trouvait chez des libraires du quartier des Sandales, il vit son maître Sulpicius Apollinaris remettre à sa place un lettré qui se prétendait expert dans l’interprétation de Salluste (XVIII, 4). Les bibliothèques publiques impériales sont un autre lieu de cette sociabilité savante. On vient s’y asseoir entre amis, et on prend plaisir à lire des textes rares et à en discuter : par exemple, lorsque, dans la bibliothèque Trajane, on apporte à Aulu-Gelle et à ses amis un livre qu’ils n’ont pas demandé, les édits des préteurs anciens (XI, 17), où lorsque, dans la bibliothèque du palais de Tibère, on remet un livre attribué à Caton Nepos à Aulu-Gelle et Sulpicius Apollinaris, assis avec leur cercle d’amis (XIII, 20). On se met à rechercher ensemble qui était cet auteur, et un adulescens lettré prend la parole pour formuler ses propres hypothèses [29].
19Les maîtres fréquentés par Aulu-Gelle, à Rome ou à Athènes, aimaient aussi à recevoir leurs amis loin de la ville, dans une villégiature propice au loisir cultivé. Au plus fort de l’été, Favorinus se retire à Antium dans la villa de son hôte, et, par une mise en abyme de cette hospitalité, c’est là qu’il reçoit ses propres amis venus de Rome, parmi lesquels se trouve Aulu-Gelle, pour une réunion savante où il disserte sur la poésie de Virgile et de Pindare (XII, 10). De même, Hérodes Atticus, après son consulat, reçoit dans sa somptueuse villa de Céphisia des étudiants romains, au nombre desquels Aulu-Gelle et le sénateur Servilianus (I, 2). Un motif récurrent est celui de la visite à un ami malade. Favorinus se rend ainsi au chevet du consulaire Marcus Fronton, immobilisé chez lui par une attaque de goutte, et il demande à Aulu-Gelle de l’accompagner. Les deux visiteurs trouvent le malade entouré d’un cercle savant bien fourni, et la discussion porte sur les noms de couleurs en latin. Favorinus s’y engage (II, 26). On retrouve Fronton, allongé sur un lit de repos et toujours immobilisé par la goutte, entouré de ses amis, « connus pour leur science, leur naissance ou leur fortune », donnant des instructions à des ouvriers chargés de lui construire des bains : c’est Aulu-Gelle, accompagné de son ami Celsinus Iulius, qui assiste à son domicile à une discussion sur le sens du mot praeterpropter (approximativement), prononcé à l’évocation du devis des travaux (XIX, 10). La qualification de ce cercle amical est intéressante, puisqu’elle implique une élite intellectuelle, sociale et économique. Il est significatif que, dans ces deux épisodes, Aulu-Gelle soit introduit par son maître, dans un cas, et par un ami africain, dans l’autre, peut-être originaire de la même cité que Fronton [30].
20Lorsqu’on annonce à Favorinus que la femme de l’un de ses disciples vient d’accoucher, il invite tous ceux qui se trouvaient présents, Aulu-Gelle compris, à le suivre : « Allons voir l’accouchée et féliciter le père ! » (XII, 1). Le maître et sa troupe entrent en même temps dans la maison de l’heureux père, de rang sénatorial. Cette visite donne l’occasion au philosophe d’improviser en grec une dissertatio : les femmes doivent-elles allaiter leurs enfants ? Improviser ? L’argumentation reprend en fait celle du traité de Plutarque, le Tittheutikos [31]. Aulu-Gelle a-t-il mis en scène de simples notes de lecture, en attribuant le développement de Plutarque à son maître ? Ou Favorinus bâtit-il son discours à partir d’une lecture récente de Plutarque ? Dans la villa d’Hérodes Atticus à Céphisia, Aulu-Gelle, alité, reçoit lui-même la visite du philosophe Calvisius Taurus, venu d’Athènes avec quelques disciples. Le médecin grec présent expose le cas à Taurus et lui annonce que le malade va déjà mieux, comme il pourra s’en rendre compte s’il tâte sa veine, ce qui choque les disciples de Taurus, sceptiques sur la compétence d’un médecin qui confond la veine et l’artère (XVIII, 10). La mise en scène a du moins l’effet indirect de nous renseigner sur le statut d’Aulu-Gelle qui, fort peut-être des recommandations de ses maîtres romains, bénéficie de l’hospitalité d’Hérodes Atticus.
21Le même Taurus intervient dans une scène qui est sans doute la plus suggestive de toutes. Le gouverneur de la province de Crète, de rang sénatorial, lui rend visite avec son père. Taurus vient de renvoyer ses élèves et, assis devant sa chambre, converse avec Aulu-Gelle. Il se lève tranquillement pour saluer son visiteur et se rassied, tandis qu’on apporte une chaise et qu’on va en chercher une seconde. Taurus invite le père du gouverneur à s’asseoir, mais celui-ci propose de laisser le siège à son fils, magistrat du peuple romain. Taurus invite à nouveau le père à s’asseoir tout en proposant d’ouvrir la discussion sur cette question de préséance. Certes, la mise en scène introduit une discussion d’école, mais elle éclaire aussi les codes de sociabilité à l’œuvre dans cette visite d’un personnage important de l’administration impériale au domicile privé d’un philosophe : reposant sur la distinction du privé et du public, la position de Taurus éclaire l’indépendance relative du maître à l’égard des puissants (II, 2).
22Le motif de la visite, s’il correspond à une réalité de la vie sociale du milieu auquel appartient Aulu-Gelle, remplit aussi un rôle précis dans le texte : ce schéma narratif, en effet, élargit le champ des rencontres sans les soumettre à une imprédictibilité totale. Il permet de positionner les différents acteurs dans leur statut social : il y a les visiteurs et ceux qui reçoivent chez eux et mettent en représentation leur richesse comme leur réseau relationnel. Il y a ceux qui reçoivent à Rome ou dans une maison de campagne, ou encore à Athènes. Il y a ceux aussi qui reçoivent dans une domus qui n’est pas la leur, exhibant ainsi leurs riches amitiés et protections. Il y a les figurants, médecins ou ouvriers, qui fournissent l’occasion d’une conversation où l’hôte comme le visiteur peuvent briller, en tout cas révéler un aspect inattendu de leur talent, comme par exemple un intérêt, voire une compétence dans le domaine médical. Il y un jeu subtil où un maître en vue rend visite à son disciple, qui reste anonyme, mais où le rang sénatorial de ce dernier suggère les bénéfices que les représentants des deux élites, intellectuelle et sociale, trouvaient à se fréquenter. Le positionnement d’Aulu-Gelle lui-même n’est pas indifférent : il accompagne, il est introduit dans un cercle romain important et bénéficie de l’hospitalité d’Hérodes Atticus, il reste auprès du maître lorsque les autres élèves sont partis, il est invité en diverses occasions et en divers lieux. Mais il ne tient pas salon lui-même : il ne reçoit pas chez lui. C’est moins une question d’âge ou de statut que de fortune et de standing.
23Avec la fréquentation d’un maître par ses étudiants, le lien social s’inscrit dans une relation différente, où se mêlent la dépendance intellectuelle, une forme de familiarité et un rapport économique où l’élève devait rémunérer le maître. Les cours prenaient souvent la forme de la lecture collective d’un texte, suivie de jugements critiques ou de questions formulés par le maître ou ses auditeurs. Tel est le cas, par exemple, des leçons du rhéteur Antonius Julianus, dont Aulu-Gelle rapporte un commentaire pénétrant sur un passage du Pro Plancio de Cicéron (I, 4) [32]. C’est en fréquentant le maître que l’on peut acquérir, par l’exemple, une sûreté de jugement et le sens de la pertinence. Lors d’une lecture du Banquet de Platon, le philosophe Taurus s’adresse à Aulu-Gelle, tout nouveau dans son école, sur un ton familier : « Hé toi, le petit rhéteur ! », pour attirer son attention sur un enthymème particulièrement travaillé avant de lui rappeler que le platonisme ne saurait se réduire à la beauté des sons et des mots (XVII, 20).
24Favorinus était un maître charismatique entouré à longueur de journée d’une suite d’élèves qui ne le quittaient pas d’une semelle. « Où qu’il allât, nous l’accompagnions comme tout simplement attachés à ses paroles, tant il nous charmait par ses propos si plaisants en toutes circonstances » (XVI, 3,1). La simple promenade aux côtés du maître pouvait devenir une séance de travail. Par exemple, à la fin de l’hiver, Favorinus et son groupe se promènent sur une place. L’un des étudiants a en main le Catilina de Salluste, ce qui n’échappe pas au maître qui lui demande d’en faire lecture. Un passage sur la cupidité, qui effémine l’âme et le corps de l’homme, conduit Favorinus à interrompre la lecture : comment la cupidité peut-elle efféminer le corps ?, se demande-t-il en regardant Aulu-Gelle. Ce dernier, fort embarrassé, s’en sort en soulignant la pertinence de la question, mais sans lui apporter de réponse, ce que deux autres disciples, un vieux routier des lettres (in litteris ueterator) et un homme assez savant, vont essayer de faire (III, 1) [33].
25On peut donc fréquenter les maîtres en dehors des situations formelles d’enseignement. Par exemple, à Pouzzoles, Aulu-Gelle se retrouve auprès du rhéteur Antonius Julianus avec d’autres jeunes gens de ses intimes : ce n’est pas le temps de l’étude, mais celui des fêtes d’été, consacrées aux jeux littéraires et aux plaisirs honnêtes et pudiques (XVIII, 5). C’est ainsi que le groupe de familiares va écouter une lecture publique des Annales d’Ennius donnée au théâtre. Sur le chemin du retour, le maître engage la conversation sur un vers d’Ennius qui a été lu dans une leçon erronée. Mêlant érudition et affabilité, Julianus donne un cours de critique textuelle à ses auditeurs [34]. Quant au « salon littéraire » de Fronton à Rome, c’était un lieu où Aulu-Gelle, tout jeune homme et avant son départ pour la Grèce, se rendait lorsque les maîtres et les cours lui en donnaient le loisir (XIX, 8). Suivre les conversations qui s’y tenaient rendait les jeunes auditeurs « plus cultivés et plus savants ». Étudier auprès d’un maître, c’était le suivre où qu’il allât, et on trouve ainsi Aulu-Gelle en route vers Delphes, accompagnant le philosophe Taurus qui allait assister aux Jeux pythiques. En chemin, toutefois, il apprend qu’un ami, un philosophe stoïcien, est alité, tourmenté par la fièvre et la douleur. Aulu-Gelle accompagne son maître auprès du malade et, sortant de la maison, Taurus attire l’attention de ses disciples sur le combat du philosophe contre la douleur. Un élève interroge le maître sur la conception stoïcienne de la douleur, contredite par le triste spectacle du malade, et cela conduit Taurus à improviser une longue explication, avant que tous ne remontent dans leurs voitures pour continuer le voyage (XIII, 5). Ce que privilégie Aulu-Gelle dans ces souvenirs d’études, ce sont les échanges inscrits dans la familiarité d’une fréquentation : non point la formalité de la leçon, mais l’impromptu de la conversation.
Une écriture du mémorable
26L’écriture des Nuits attiques vise à préserver de l’oubli des choses lues et entendues [35]. L’auteur dresse ainsi le portrait de ses maîtres, en préservant leurs propos mémorables, leurs bons mots, leur sens de la répartie, qui apportent des éclairages inattendus sur leur personnalité et leurs talents [36]. L’œuvre d’Aulu-Gelle préfigure ainsi un genre littéraire promis à une belle fortune dans la tradition européenne, de la fin du XVIe au début du XVIIIe siècle, le genre des ana, qui préservait la mémoire des grandes figures du monde savant sous la forme de propos rapportés par des témoins directs, puis réorganisés le cas échéant par un éditeur en vue de la publication [37]. Ces ouvrages relevaient d’une forme d’écriture privée qui n’est pas sans rapport avec les cahiers de notes ou de lieux communs qui jalonnent les années d’études, et parfois la vie entière d’une personne cultivée [38]. Mais on y consignait des choses entendues, non des choses lues. Ces écrits n’étaient pas destinés, à l’origine du genre, à une diffusion large. La publication fondatrice des Scaligerana en 1666 et son succès ont nourri une forme de curiosité partagée pour les grands savants, pour leur caractère et leur esprit. Cette écriture discontinue apporte un éclairage familier, différent de celui des œuvres publiées par ces auteurs : elle préserve un contenu intéressant par lui-même et le caractère d’une personnalité, dans un cadre de sociabilité informelle et privée.
27Comme les rédacteurs d’ana, Aulu-Gelle se place en position de disciple admiratif et fidèle, en position de témoin privilégié parfois. Il peut rapporter les propos de ses maîtres en en reconstituant le sens de mémoire [39], ou bien en citant littéralement un texte écrit [40]. Si les propos oraux sont reconstitués de mémoire, il peut aussi aller rechercher précisément les textes évoqués lors de l’entretien pour en donner une citation littérale [41]. Comme les rédacteurs d’ana, il accompagne à l’occasion les propos rapportés de ses propres observations, et il enrichit les développements savants de citations ou de commentaires additionnels [42]. Il se positionne ainsi lui-même comme homme de savoir. Son propos n’est pas de refléter, dans leur intégrité et leur systématicité, l’œuvre de ses maîtres ni l’évolution de leur pensée, mais de réunir à leur propos « un savoir pointilliste et diffus [43] », fondé sur la fréquentation directe et l’expérience personnelle. Ceci revient à considérer que, pour découvrir l’enseignement d’un maître, l’œuvre écrite n’est pas la seule source, ni la meilleure : les conversations informelles, les bons mots saisis par hasard ont aussi un rôle à jouer. Les bribes de conversation transcrites par un auditeur privilégié offrent un cadre d’exposition pour des formes de savoir ponctuelles et fragmentées. Les propos rapportés de Favorinus, Fronton, Taurus, comme plus tard ceux de Scaliger, sont en effet des notices érudites, où la philologie, la grammaire, la polymathie antiquaire et les sciences naturelles tiennent une place privilégiée.
28La présentation de ces grandes figures intellectuelles reste assujettie à un point de vue personnel : le témoin offre une voie d’accès privilégiée à la personnalité intime d’un maître. Et le genre implique aussi une forme de pragmatique spécifique où, par le biais de cette écriture particulière, le lecteur devient à son tour le confident de ces propos et peut en retirer une forme de savoir et d’expérience. Mais là où les ana sont en général des ouvrages consacrés à une figure unique, qui en est le point focal, les Nuits attiques offrent des memorabilia sur plusieurs personnages, préfigurant ainsi certains recueils modernes dont l’unité résulte du rédacteur, qui a interrogé un grand nombre d’interlocuteurs [44]. De plus, dans l’ouvrage d’Aulu-Gelle, les memorabilia ne sont qu’une forme parmi d’autres et non le principe de composition unique. Les ana sont souvent publiés par d’autres personnes que leurs rédacteurs. Aulu-Gelle reste maître de la publication de son ouvrage. Souvent, la publication des ana intervient après la mort du héros principal : les recueils prennent ainsi la forme d’un hommage posthume. Les Nuits attiques ont été mises en circulation du vivant des grands protagonistes qui y sont mis en scène, ce qui, du reste, ne fut pas sans poser quelques difficultés : ainsi Fronton manifeste-t-il, dans une lettre, sa désapprobation à l’égard d’Aulu-Gelle qui lui attribue des vues qu’il n’assume pas véritablement [45].
Convivialités savantes : l’art des propos de table
29Le banquet est depuis la période classique le cadre privilégié du divertissement cultivé et il obéit à un scénario et à des codes de comportement qui ont été constitués en tradition et volontiers mis en représentation, sur l’imagerie des vases comme dans la littérature spécifique qui se développe autour de ce moment de la vie sociale, qu’il s’agisse de la poésie symposiaque ou des banquets littéraires, dont le dialogue de Platon constitue le modèle de référence [46].
30Lors du sumposion, sous le signe de Dionysos et de ses pouvoirs libérateurs, les effets du vin étaient tempérés par le dosage de l’eau, mais aussi par la conversation et différents jeux de société, tous placés sous la direction d’un symposiarque. Chants et récitations de poèmes coexistaient avec les jeux d’énigmes et d’adresse, la musique et la séduction érotique. La parole comme les coupes circulaient parmi les buveurs, et dans ce moment de réciprocité, les conversations philosophiques et savantes ont trouvé leur place. Le Musée d’Alexandrie offrait d’ailleurs à ses membres un lieu pour prendre les repas en commun, et il ne fait aucun doute que les sumposia qui s’y déroulaient s’accompagnaient de conversations savantes [47].
31Aux premiers siècles de l’Empire, le sumposion reste un cadre privilégié pour les échanges savants. Aulu-Gelle témoigne de cette sociabilité conviviale dans différents milieux. Les banquets mensuels de jeunes gens auxquels il participe à Athènes, au temps de ses études, après le repas proprement dit, sont dévolus aux propos « utiles et agréables » (Nuits attiques, XV, 2) : si tel participant pouvait, en réclamant le silence, se lancer dans un long discours, en d’autres banquets, comme lors de la fête des Saturnales à Athènes, les étudiants romains, pour le plaisir et la détente de l’esprit, privilégiaient les agréments de la conversation et s’amusaient à se poser questions et énigmes, dont le prix était un livre d’un auteur ancien, grec ou latin (XVIII, 2). C’est aussi à Athènes qu’ont lieu les dîners auxquels le philosophe Taurus invite ses disciples (VII, 13; XVII, 8) : repas végétariens, dont on ne sait s’ils sont suivis d’un sumposion. À Rome, Favorinus réunissait ses familiares dans des banquets où on lisait un poème lyrique ou un livre d’histoire, en grec et parfois en latin (II, 22 et III, 19). La lecture introduisait une recherche menée en commun sur un problème posé par le texte, par exemple l’identification du vent Iapyx dans un poème latin [48].
32Tous ces banquets ne suivent pas les règles traditionnelles du sumposion grec, et Favorinus, pressé par ses disciples de disserter sur les noms des vents, après une lecture poétique, s’excuse d’avoir parlé seul devant de nombreux convives silencieux, comme s’il donnait une conférence d’apparat (II, 22,25-26). Le propre du banquet est en effet de permettre un type d’interaction intellectuelle différent de ce qui se produit dans un cours ou une performance sophistique. Différences qui tiennent à deux facteurs : la dimension collective du cercle de convivialité, d’une part, le vin et ses effets sur la parole et la pensée, d’autre part.
33Les banquets d’Athénée offrent la version experte d’une pratique culturelle dont les Propos de table de Plutarque reflètent des aspects plus détendus. Dans un cas, un cercle d’érudition, qui consacre tout le temps de la réunion à ses entretiens, même celui du dîner, prélude que les banquets littéraires, fidèles au modèle platonicien, passent en principe sous silence; dans l’autre, un cercle plus diversifié par ses compétences et ses intérêts, qui, après le repas, s’adonne paisiblement à la conversation sur un sujet déterminé.
34Le symposiarque propose le sujet à traiter et veille à la circulation de la parole entre les convives. Il doit préserver le bon déroulement de la réunion dans sa formalité comme dans son esprit. Il faut éviter que des convives n’accaparent la parole en s’exerçant à la déclamation, voire en donnant lecture de leurs propres ouvrages. Le sumposion ne doit pas se transformer en assemblée populaire ni en scène de théâtre ou en école de sophistes (Propos de table, I, 4,3,620B). Chez Plutarque, le banquet académique offert par Ammonius lors de la fête des Muses à Athènes n’échappe pas à ces dévoiements (IX). Les deipnosophistes d’Athénée les illustrent parfois largement. Un banquet réussi repose sur une atmosphère de cordialité et d’harmonie (II, 10,1 643B; IV, 660 A-B) : chacun doit contribuer à la conversation, avec un langage et dans un esprit appropriés, en évitant de froisser les susceptibilités ou de perturber la réunion par une polémique ou des débats trop techniques. Comme pour le mélange du vin, tout est question de dosage, entre le sérieux et le plaisant. Un sumposion réussi suppose donc une grande attention dans la disposition des convives. Certes, il faut que tous soient des hommes cultivés et des philologoi, des « amateurs de discours [49] », mais on pourra glisser parmi eux quelques profanes, de même que des consonnes sont nécessaires aux voyelles pour produire un langage articulé (I, 1,3,613E). Si le voisinage du savant et du néophyte, ou du professeur et de l’étudiant instaure une dissymétrie qui peut être un moteur conversationnel (I, 2,6,618E), un banquet d’érudits peut compromettre le bon déroulement des interactions, sauf lorsqu’un habile panachage des spécialités garantit la diversité des points de vue et la complémentarité des savoirs.
35Les conversations des banquets de Plutarque et d’Athénée sont régies par la recherche (zétésis) partagée des solutions à une question proposée à l’examen de tous (le proballein, constitutif du probléma). La question peut revêtir différentes formes, être sérieuse ou ludique, érudite ou paradoxale, appeler une réponse brève ou ouvrir un débat reposant sur des solutions alternatives [50]. L’ouverture de ce chapitre des Propos de table est à cet égard typique : « Florus s’étonnait qu’Aristote, après avoir écrit dans son ouvrage Sur l’ivresse que les vieillards succombaient le plus facilement à l’ivresse et les femmes le plus difficilement, n’en eût pas cherché la raison, lui qui n’omettait jamais rien de ce genre; il proposa donc aux convives – c’était un banquet d’amis – d’en discuter ensemble » (III, 3,1,650A). Délimiter le champ de la conversation par le cadre d’un problème, c’est permettre une parole de banquet contrôlée qui ne risque pas de dévoiler les secrets ou les défauts des uns ou des autres, et par conséquent de compromettre l’amitié entre les convives (III, préface, 645A-C). Chez Plutarque, il s’agit d’un exercice intellectuel, qui doit entretenir l’agilité d’esprit des buveurs sans leur imposer d’effort trop violent. Les problèmes doivent être à l’esprit ce que les mouvements de danse sont au corps du buveur : un exercice mesuré et pour ainsi dire hygiénique. Le maniement des armes ou le lancer du disque ne procurera aucun plaisir au buveur, voire lui causera quelques dommages. Il en va de même pour les questions trop subtiles ou polémiques (I, 1,5,614D-615A). Un double souci anime Plutarque : la modération de l’exercice intellectuel et la participation de tous les convives. Il en va des problèmes comme des plaisanteries : rester dans la bienséance est une marque de savoir-vivre, d’homilétiké (II, 1,1,629E-F). Se voir poser des questions auxquelles on ne sait pas répondre ne procure aucun plaisir, pas plus que celles auxquelles on répond par hasard ou par conjecture. Les meilleures questions sont celles auxquelles on répond facilement et en se faisant valoir : il faut donc questionner un convive dans son champ de compétence, surtout s’il est rare, comme l’astronomie ou la dialectique (II, 1,2,630 A-B). Les Propos de table explicitent les règles du genre : les conversations intellectuelles qui se tiennent en buvant du vin ne sont pas une fin en elles-mêmes. Elles ont un rôle instrumental dans la construction d’une expérience communautaire, d’un lien social qui se noue dans le partage des plaisirs physiques, sensoriels (chant et musique) et intellectuels (I, 10,1,643B). Les questions débattues après le repas sont la nourriture de l’âme (V, préface, 673A).
36Si les conversations de banquet peuvent porter sur les sujets les plus divers, elles s’organisent cependant en deux grandes catégories : les propos se rapportant à la table et aux banquets (sumpotika), les propos de table au sens propre (sumposiaka), qui couvrent différents champs de savoir – littéraire, historique, philosophique, médical, scientifique (II, préface, 629D). Dans ce dernier cas, les questions rappellent certains Problèmes aristotéliciens : « Pourquoi les personnes âgées lisent mieux les lettres de loin ? » (I, 8); ou « Lequel, de la poule ou de l’œuf, a existé le premier ? » (II, 3) [51]. La première catégorie participe de la réflexivité qui caractérise le sumposion grec, dont le bon déroulement suppose l’attention de tous les participants sur le respect des règles, sur les manières de dire et de boire. Chacun est placé sous le regard de tous, dans son discours comme dans son comportement, et le rappel des normes et des usages, sous la forme de questions littéraires, philosophiques ou historiques, participe du même effet prescriptif ou étiologique.
37Les banquets d’Athénée, quant à eux, réunissent des joueurs experts qui se plaisent aux questions difficiles, aux discussions techniques et au maniement des mots rares. Il s’agit toujours de faire circuler la parole comme les coupes de vin (I, 1f-2a) et chacun apporte sa « contribution » à la réunion, qu’il s’agisse des derniers livres trouvés chez les libraires ou de la participation active au jeu des questions et réponses, sanctionné par des récompenses et des gages [52]. La zétésis est en effet à la fois un moteur de l’interaction et une technique intellectuelle. Elle donne le tempo de la conversation : c’est à qui répondra le plus vite, et il ne doit pas y avoir de temps de latence entre le moment où l’on pose la question et celui où commence à défiler la séquence des réponses (par exemple III, 119b; III, 125b). Ulpien est passé maître dans l’art de poser des questions sur tout et n’importe quoi, de saisir au vol les mots et de leur conférer une étrangeté problématique. « Qui ? Pourquoi ? Où ? Qu’est-ce que ? » : ces différents opérateurs interrogatifs invitent les convives à fouiller dans leur mémoire et à répondre le plus souvent sous forme de citations dûment authentifiées par une référence bibliographique. Les banquets de Plutarque se prêtaient à la discussion de problèmes variés appelant différentes solutions : l’accent était mis sur le plaisir partagé d’un exercice intellectuel portant sur une question particulière, éveillant la curiosité de tous et la sagacité de certains. Mais l’enjeu n’était pas de produire un savoir, encore moins de l’articuler d’un banquet à l’autre. Les invités de Larensis, s’ils prennent plaisir au jeu et à sa performativité propre (répondre à tout prix et exhiber sa culture et sa mémoire), sont engagés dans un processus intellectuel plus cohérent et systématique, en partie parce qu’il se déploie sur un banquet couvrant les quinze livres de l’œuvre, mais aussi parce que leur cercle est plus homogène que celui des sumposia de Plutarque. Il n’y a pas d’amateurs ni de notables cultivés, uniquement des érudits qui, au-delà de leurs spécialités professionnelles, partagent la même bibliothèque et les mêmes techniques intellectuelles. La bibliographie savante d’Alexandrie et de Pergame, la lexicographie, la grammaire, la philologie, l’histoire littéraire et l’histoire tout court sont autant de savoirs maîtrisés par tous. À l’immensité des lectures des auteurs classiques, capitalisées sous forme de recueils d’extraits et de citations mémorisées, s’ajoute la maîtrise de la littérature savante secondaire – commentaires, lexiques, monographies, compilations antérieures –, qui permet de multiplier les points de vue sur les textes, leurs mots et leurs contenus. Si la forme « simple » de la zétésis athénéenne consiste à produire des attestations littéraires à l’emploi d’un mot, au sens d’une notion ou à l’éclairage d’un objet ou d’un fait culturel, des formes plus complexes s’attachent à l’interprétation d’un texte ou à la discussion d’un problème controversé.
38Ces conversations s’inscrivent dans un cadre d’interaction particulier : les partenaires, tous masculins, sont allongés sur des lits de banquet, dans un dispositif spatial où ils peuvent se voir et s’adresser la parole directement. Ils sont aussi sous l’emprise du vin : comme le rappelle Plutarque, l’exercice de la zétésis tempère les effets de l’ivresse tout en profitant de ses pouvoirs, qui donnent « plus d’ardeur aux recherches et plus de hardiesse aux explications » (VII, 1,700E; voir aussi VIII, préface, 717A).
Civilité et pratiques intellectuelles
39Pour Aulu-Gelle, Plutarque et Athénée, la civilité ne prend pas la forme d’un ensemble de codes de comportement et de présentation de soi liés à un milieu de cour, dont le souverain serait à la fois le metteur en scène, le spectateur et l’arbitre [53]. S’il s’agit bien de préserver ou de promouvoir des statuts individuels sous le regard de tous, dans un espace d’action en même temps que d’observation mutuelle, l’enjeu n’est pas de conquérir une faveur auprès d’un souverain dispensateur de toutes les gratifications, encore qu’il s’agisse bien de crédit symbolique, où l’on peut gagner ou ruiner une réputation de culture et d’érudition, et mettre en jeu son appartenance au groupe.
40Chez Athénée, l’enjeu n’est pas de prouver une compétence, mais de mériter, par son savoir et son esprit, l’hospitalité généreuse de Larensis. De fait, tous les deipnosophistes en sont dignes, et les conversations du banquet n’en excluent aucun. On est plutôt dans le registre de la surenchère et de la performance épidictique, où l’on doit briller par ses lectures, sa mémoire, son savoir, son inventivité pour mériter les applaudissements des autres convives (XI, 503f). Dans les milieux mis en scène par Aulu-Gelle et Plutarque, les formes de sociabilité sont plus variées, entre espace privé et public, entre Grèce et Rome. Les interlocuteurs relèvent souvent de statuts dissymétriques, maître et élève, grande figure intellectuelle et personnage secondaire, véritable érudit et faux savant. La dimension politique est aussi davantage accentuée.
41Si le banquet se prête à l’harmonie et à l’amitié, et vise à renforcer la cohésion d’un cercle, d’autres modes d’interaction savante problématisent l’appartenance à la communauté. Un motif récurrent chez Aulu-Gelle est celui du faux savant ou du novice présomptueux qui joue son crédit en s’adressant publiquement à un maître reconnu. Il peut s’agir d’un jeune lettré trop sûr de lui, comme l’adulescens qui s’adresse à Sulpicius Apollinaris et à ses amis, dans la bibliothèque du palais de Tibère, en croyant pouvoir identifier le Marcus Caton Nepos, auteur d’un livre que l’on vient d’apporter : la réponse d’Apollinaris, teintée d’une légère ironie, reste néanmoins mesurée et bienveillante (XIII, 20). De même Favorinus reprend-il un autre adulescens qui abuse de mots rares et archaïques dans les conversations de tous les jours (I, 10) : le reproche porte moins sur une curiosité intellectuelle, par ailleurs prônée par Fronton et Aulu-Gelle, que sur une posture affectée dans son excès même. Dans d’autres cas, l’insolence de l’interpellation et le ridicule des prétentions discréditent le personnage, qui reste anonyme face à son interlocuteur célèbre. La confrontation peut alors donner lieu à un dialogue socratique où, par un jeu de questions et réponses, le présomptueux est conduit à admettre peu à peu son ignorance, laissant le maître exposer la réponse correcte [54]. À cet égard, on trouve une scène emblématique au début du livre IV des Nuits attiques : parmi la foule qui attend la salutation impériale, un grammairien anonyme disserte sur les genres et les cas des noms dans un cercle de savants (in circulo doctorum hominum). L’inconnu débite des balivernes d’école sur le ton d’une savante dissertation, les sourcils levés, la voix et le visage empreints de gravité comme s’il interprétait les oracles de la Sibylle (IV, 1). Son discours bavard au point d’en être insupportable est interrompu par Favorinus qui, calmement, après l’avoir qualifié de magister, lui pose une première question et engage un dialogue qui le réduit au silence et aux hésitations, puis à adopter une voix douce et modeste. Cette figure de l’ostentator, récurrente dans l’œuvre d’Aulu-Gelle, dessine le portrait du tard ou du mal instruit, imbu d’une culture scolaire et pédante, ou encore de prétentions au savoir qui sont vite démasquées par des exercices élémentaires, mais impitoyables, comme la lecture à haute voix d’un texte (XIII, 31).
42Aulu-Gelle peut du reste se mettre lui-même en scène dans un tel échange, par exemple lorsqu’il interroge un professeur de grammaire réputé à Rome sur le sens de l’adjectif obnoxius, non pas, dit-il, pour le mettre à l’épreuve ou dans l’embarras, mais pour trouver une réponse à une question qu’il se pose réellement (VI, 17). Alors que le maître répond avec arrogance, son interlocuteur lui objecte une série de contre-exemples puisés aux meilleurs auteurs : Plaute, Salluste, Virgile, Ennius. Mis en difficulté, le grammairien se dérobe, en prétextant une obligation et en promettant une réponse lorsqu’il aura un moment d’otium.
43On peut penser qu’il s’agit pour Aulu-Gelle de mettre ainsi en scène les débats de fond qui animent le savoir grammatical de son temps : qu’est-ce que la latinité ? Où tracer la frontière entre la quête des règles explicites et rationnelles, et l’autorité des auteurs anciens, qui fonde un usage et atteste la correction d’un terme, même si on ne peut l’expliquer ? On a pu aussi interpréter ces scènes conflictuelles comme l’indice d’un clivage socio-professionnel, où s’énoncerait une critique contre les professeurs de grammaire [55]. Le débat, cependant, porte davantage sur les critères de la maîtrise et de la connaissance de la littérature latine, sur la familiarité avec les usages linguistiques de ses auteurs les plus anciens. La critique vise les détenteurs d’un savoir technique dépourvus d’une culture plus large, que seule la lecture des textes peut véritablement nourrir. L’autorité d’un professeur de grammaire est inférieure à celle d’un lettré qui s’appuie sur une connaissance approfondie des auteurs du passé. Car il n’est pas seulement question d’érudition, mais aussi de jugement critique permettant d’apprécier à leur juste valeur la langue des auteurs anciens. Tel est l’un des bénéfices retirés de la fréquentation de maîtres au jugement sûr, comme en témoigne la scène de la lecture d’un livre des Annales de Claudius Quadrigarius où un auditeur, pourtant savant, se révèle incapable d’apprécier à sa juste valeur l’emploi de mortales à la place d’homines. Le cercle des disciples écoute l’explication de Fronton « non seulement avec approbation, mais aussi avec admiration » (XIII, 29; voir aussi XIX, 8,1). La fréquentation d’un tel maître permet d’apprendre par l’exemple ce qui ne s’enseigne pas dans un cours magistral : le sens des nuances de la langue, une méthode pour peser les mots avec subtilité [56].
44Entre les Nuits attiques et les banquets de Plutarque et Athénée, les modes de sociabilité ont donc une incidence sur les formes d’établissement du savoir et ses usages. Aulu-Gelle met souvent en scène des personnages faisant autorité et référence : ce statut peut être interrogé. Ces personnages sont consultés sur des matières faisant débat : interprétation d’un texte, sens d’un mot, origine d’un usage, définition d’une norme grammaticale ou stylistique, mais aussi questions éthiques, qu’il s’agisse de l’attitude du sage face à la peur (XIX, 1) ou à la douleur (XII, 5). Si débat il y a, la clé en est fournie sur le mode d’une parole autorisée, qui vient clarifier l’autorité des textes, soit en tranchant entre des interprétations contradictoires, soit en invoquant des sources nouvelles. Ces dialogues savants, toutefois, ne se limitent pas à des jeux éristiques où l’un doit nécessairement l’emporter sur l’autre. Exemplaire à cet égard est l’échange entre Fronton et Favorinus sur la richesse respective du latin et du grec dans l’expression des couleurs (II, 26). Lorsque Favorinus avance d’emblée la thèse d’une plus grande richesse expressive de la langue grecque, en évoquant les ressources de cette dernière pour désigner la couleur rouge face aux seuls russus, ruber et rufus du latin, Fronton a beau jeu de lui opposer sept termes latins complémentaires, dûment attestés par des citations prises aux meilleurs auteurs. Favorinus a-t-il fait preuve de sa méconnaissance du latin ? Ou au contraire est-t-il entré dans un jeu convenu avec Fronton, offrant à ce dernier l’occasion d’un développement brillant ? Les échanges d’amabilité et de compliments entre les deux maîtres, dont l’un reçoit la visite de l’autre, suggèrent une forte connivence, ainsi que la conviction que même les plus savants peuvent apprendre de leurs pairs. C’est au final le lecteur qui en retire le plus grand bénéfice [57].
45Dans les banquets littéraires, la conversation s’inscrit dans un cercle de convivialité, où les acteurs se partagent le temps de la parole et de l’écoute. La formulation des questions, les modalités de leur discussion, les étapes de leur résolution dans un pluriel de solutions également acceptables sont régies par des règles où les uns et les autres témoignent de leur savoir-vivre. Plus que les réponses mêmes, ce sont les manières de poser les bons problèmes qui importent, ainsi que les procédures argumentatives mises en œuvre et l’inventivité étiologique. Chez Athénée, les conversations portent sur le banquet, suivent son déroulement, de l’apéritif à la libation finale, interrogent toutes ses composantes et passent des choses aux mots, des mots aux textes, reliant le monde des gestes et des objets, des saveurs et des valeurs à celui de la bibliothèque. La conversation participe d’un travail d’anamnèse collective, où il s’agit moins d’apprendre les uns des autres que de se souvenir ensemble, de raviver la mémoire de ce que l’on sait déjà. Les dynamiques de l’interaction importent autant que les contenus qui s’y trouvent déployés : jeux de questions et réponses, aptitude à enchaîner des citations, à traverser des champs de savoir et des genres littéraires, autant de gestes et de mouvements placés sous le contrôle de tous.
46Si les banquets d’Athénée et de Plutarque perpétuent, sur le mode de l’idéalisation ou de l’hyperbole, les jeux intellectuels et littéraires des sumposia attiques, s’attachant à en suivre scrupuleusement le déroulement, ils s’en distinguent aussi sur un double plan. Le premier tient à la distance temporelle. Les convives d’Athénée, plus sans doute que ceux de Plutarque, sont engagés dans un effort d’archéologie et de reconstruction, qui, à partir des textes et des mots, tente de recréer un univers de savoirs, de valeurs, de pratiques et de realia en voie de fossilisation, sinon de disparition. Seul le cercle savant permet de retrouver les normes, le sens, les usages, en croisant les lectures et les mémoires de chacun, alors que peu à peu l’ordre bibliographique se lézarde sous l’effet du temps.
47Mais cet effort volontariste comporte une seconde dimension : le rapport entre Grecs et Romains. La dédicace des Propos de table à Sosius Sénécion prend ici tout son sens. C’est à sa demande que Plutarque réunit les discussions « qui ont pu avoir lieu tant chez vous autres à Rome que chez nous en Grèce, quand les tables étaient dressées et quand les coupes circulaient » (préface, Livre I). Et les livres successifs de l’ouvrage sont envoyés de Chéronée à leur destinataire romain. De même, les banquets d’Athénée, dans la domus de Larensis, associent-ils Grecs et Romains. Les jeux de l’hospitalité, de l’amitié, de la dépendance politique ou économique sous-tendent ces réunions où Grecs et Romains activent un lien symbolique reposant sur des références culturelles, des positions philosophiques, des lectures et une bibliothèque partagées, un art de vivre nourri de cette mémoire artificiellement entretenue. Dans cet effort commun, les uns et les autres utilisent le détour par le passé, ses autorités intellectuelles et ses valeurs, pour donner un sens aux questions du présent : la connivence culturelle fonde un champ de problématisation et d’interprétation, où sont posées les questions de l’identité et des origines, de l’histoire et du pouvoir, du sens et des normes.
48À la position d’autorité de qui écrit et impose un texte savant à ses lecteurs, nos trois auteurs ont préféré faire du savoir un enjeu partagé, un objet construit dans l’interaction, le processus et le résultat d’une négociation. Si la forme du dialogue permet la diffraction des points de vue, la confrontation dialectique des positions ou tout simplement le partage ludique et convivial des références culturelles, on peut in fine revenir sur cet art de la conversation qui est au principe de ces différentes formes de sociabilité savante, dans les rues comme dans les salons de Rome, dans les bibliothèques comme dans les salles de banquets [58]. Ces différents cadres constituent le théâtre de l’otium lettré, recoupant parfois les lieux d’enseignement, se situant le plus souvent à leurs marges : le modèle dominant n’est pas celui de la retraite studieuse, voire bucolique, dans des lieux d’intimité se prêtant au recueillement méditatif, mais d’un moment de loisir partagé, soustrait au temps des affaires, soumis à la formalité d’échanges qui mêlent le plaisir et le savoir, le plaisant et le sérieux. Nous voyons se préfigurer ici la sociabilité savante des salons, voire des premières académies européennes, plus que celle des studiolos et des cabinets. La conversation se pratique entre pairs, sans se limiter à un milieu étroitement défini, comme les cours de l’Europe moderne. Magistrats et professeurs, lettrés et étudiants se fréquentent dans ces cercles, exclusivement masculins, urbains, composés d’hommes libres, appartenant aux élites sociales et politiques comme aux milieux savants. Femmes et esclaves, négociants, artisans et entrepreneurs en sont absents.
49La conversation mobilise davantage que l’érudition et les techniques rhétoriques apprises à l’école. Elle s’écarte de l’éloquence publique, celle du forum ou de l’exhibition sophistique, pour se nourrir de la variété des occasions relevant de la vie privée et sociale – visites, rencontres, hasards, banquets – comme de la connivence des participants, dans la hiérarchie de leurs statuts, des protagonistes aux auditeurs silencieux. La formalité des échanges importe autant, davantage peut-être que leurs contenus savants : sens de la répartie, vivacité des traits d’esprit, élégance et correction de l’expression, ironie, habileté du joueur qui marque des coups, sens dialectique de la contradiction et du paradoxe, don d’improvisation, richesse de l’invention nourrie de la mémoire des livres, qui produit variété et nouveauté à partir de ce que tout le monde connaît déjà. De la culture générale des uns à l’érudition obsessionnelle des autres, il y a une différence de degré, mais une continuité frappante dans les modalités de l’interaction des mémoires et des savoirs. L’esprit d’à-propos est le moteur de ce processus partagé de mobilisation savante, où les mots et les références, les choses et les normes imprègnent les mémoires, les manières de parler et de se comporter en société. En simulant dans l’écriture la dynamique de ces échanges, nos sources s’attachent à la forme, à la mise en scène, à la théâtralisation ludique des savoirs autant qu’à leurs contenus. Elles reflètent sans les expliciter des codes d’interaction où la culture partagée tient lieu de signe de reconnaissance et de distinction. L’exemplarité est essentielle, tant celle des talents individuels que des dynamiques collectives soudées par l’amitié et la connivence savante. La culture des élites lettrées de l’Empire cimente ainsi la cohésion symbolique et sociale du cercle et exclut ceux qui, par défaut ou par excès, n’en maîtrisent ni les règles ni les pratiques.
Notes
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[1]
Pour introduire, dans la perspective qui est la nôtre, à la bibliographie considérable sur la sociabilité de la république des Lettres dans l’Europe moderne, on retiendra ANNE GOLDGAR, Impolite learning. Conduct and community in the Republic of Letters, 1680-1750, New Haven, Yale University Press, 1995.
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[2]
Pour la période moderne à nouveau, voir le livre de FRANÇOISE WAQUET, Parler comme un livre. L’oralité et le savoir ( XVIe - XXe siècles), Paris, Albin Michel, 2003, qui met l’accent sur la formalité des interactions savantes.
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[3]
Les dates de la vie d’Aulu-Gelle ont donné lieu à un débat dans lequel nous n’entrons pas ici.
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[4]
L’enquête pourrait être élargie à d’autres témoins, comme Fronton et sa correspondance, le médecin Galien, Lucien de Samosate, Philostrate, biographe des rhéteurs de la « Seconde sophistique ».
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[5]
Édités et traduits par François Fuhrmann (Livres I-VI), Paris, Les Belles Lettres, 1972-1976,2 vol., et Françoise Frazier et Jean Sirinelli (Livres VII-IX), Paris, Les Belles Lettres, 1996.
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[6]
L’édition de référence reste celle de Georgius Kaibel, Athenaei Naucratitae Deipnosophistarum Libri XV, Leipzig, Teubner, 1887-1890,3 vol.; seuls les deux premiers Livres sont disponibles dans la collection Guillaume Budé (édition Alexandre M. Desrousseaux, 1956); traduction anglaise : édition Charles Gulick, collection Loeb, 1951-1961,7 vol.; traduction italienne, avec commentaire et révision du texte grec de l’édition Kaibel : Ateneo, I Deipnosofisti. I dotti a banchetto, Rome, Salerno Editrice, 2001 (4 vol.).
-
[7]
Les Nuits attiques ont été éditées par René Marache (vol. I-III, 1967-1989) et par Yvette Julien (vol. IV, 1998) dans la collection Guillaume Budé.
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[8]
Il ne saurait être question de déployer ici la bibliographie plutarchéenne. Pour une introduction d’ensemble par l’un des meilleurs spécialistes français, voir JEAN SIRINELLI, Plutarque, Paris, Fayard, 2000.
-
[9]
Trois ouvrages sont essentiels pour introduire à cette œuvre érudite : RENÉ MARACHE, La critique littéraire de langue latine et le développement du goût archaïsant au IIe siècle de notre ère, Rennes, Plition (Impr. des « Nouvelles de Bretagne »), 1952; LEOFRANC HOLFORD - STREVENS, Aulus Gellius. An Antonine scholar and his achievement, Oxford, Oxford University Press, 2003, édition revue; LEOFRANC HOLFORD-STREVENS et AMIEL VARDI (éd.), The worlds of Aulus Gellius, Oxford, Oxford University Press, 2005; MARIA LAURA ASTARITA, La cultura nelle « Noctes Atticae », Catane, Università di Catania, 1993. Voir aussi GRAHAM ANDERSON, « Aulus Gellius : a miscellanist and his world », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II, 34-2, pp. 1834-1862.
-
[10]
Le titre même du recueil, Les Nuits attiques, évoque ce premier séjour athénien.
-
[11]
Grâce à l’amitié de Fronton, qui intervient en sa faveur auprès de l’empereur Antonin le Pieux (Ad Antoninum Pium, 9).
-
[12]
Il est très tentant de l’identifier au pontife mineur P[ublius] Livius Larensis, connu par l’épitaphe que lui offrit son épouse Cornelia : CIL VI 2126 (= ILS 2932). Voir HERMANN DESSAU, « Zu Athenaeus », Hermes, XXV, 1890, pp. 156-158.
-
[13]
Scriptores historiae Augustae, Commode, XX, 1.
-
[14]
L’existence de grandes bibliothèques privées sous l’Empire est largement attestée par les sources littéraires. Voir PAOLO FEDELI, « Biblioteche private et pubbliche a Roma e nel mondo Romano », in G. CAVALLO (éd.), Le biblioteche nel mondo antico e medievale, Bari, Laterza, 1988, pp. 31-64.
-
[15]
Athénée serait-il le bibliothécaire de Larensis, chargé d’enrichir la collection et de la mettre en ordre ? Si rien ne permet de donner un fondement biographique à cette hypothèse avancée par A. M. Desrousseaux, l’auteur des Deipnosophistes témoigne incontestablement d’une grande expertise bibliographique dans l’identification et le maniement des livres grecs : voir CHRISTIAN JACOB, « Athenaeus the Librarian », in D. BRAUND et J. WILKINS (éd.), Athenaeus and his world, reading Greek culture in the Roman Empire, Exeter, University of Exeter, 2000, pp. 85-110.
-
[16]
Pour une présentation d’ensemble de ce texte, voir CHRISTIAN JACOB, « Ateneo o il dedalo delle parole », Ateneo, I Deipnosofisti. I dotti a banchetto, Rome, Salerno Editrice, 2001, vol. I, pp. XI-CXVI.
-
[17]
Cette indication, toutefois, participe du jeu de mimesis entre Athénée et le Banquet de Platon.
-
[18]
Selon le modèle, par exemple, du cercle épicurien de Philodème à Herculanum : voir l’ouvrage classique de MARCELLO GIGANTE, La bibliothèque de Philodème et l’épicurisme romain, Paris, Les Belles Lettres, 1987, et TIZIANO DORANDI, « Pratiques “philologiques” à la bibliothèque de la “Villa dei Papiri” à Herculanum », in L. GIARD et C. JACOB (éd.), Des Alexandries I. Du livre au texte, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2001, pp. 237-248.
-
[19]
Le Banquet des sept sages de Plutarque et le Banquet ou les Lapithes de Lucien offrent des exemples de pures fictions littéraires.
-
[20]
Macrobe, au début du premier livre des Saturnales, admet avoir réuni dans ses banquets savants des personnages ayant vécu à des époques différentes, suivant en cela le modèle des dialogues platoniciens.
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[21]
Voir l’étude classique de JEAN-MARIE ANDRÉ, L’otium dans la vie morale et intellectuelle à Rome, des origines à l’époque augustéenne, Paris, PUF, 1966.
-
[22]
C’est encore au tribunal que l’auteur entend, lors d’une action devant le préfet de la ville, un homme d’un certain âge employer un mot inusité, ce qui suscite un débat public (Nuits attiques, XI, 7).
-
[23]
Essentiellement PHILOSTRATE, Vies des Sophistes, I, 8, §§ 489-492; ADELMO BARIGAZZI, Favorino di Arelate, Opere, Florence, Felice Le Monnier, 1966; MAUD W. GLEASON, Making men. Sophists and self-presentation in Ancient Rome, Princeton, Princeton University Press, 1995, en particulier le chapitre I, « Favorinus and his statue », pp. 3-20. Voir aussi STEPHEN M. BEAL, « Homo fandi dulcissimus: the role of Favorinus in the Attic Nights of Aulus Gellius », American journal of philology, 122,2001, pp. 87-106.
-
[24]
Ce modèle antique inspire tout un ensemble de postures, de pratiques et de représentations dans l’Europe moderne : voir MARC FUMAROLI, EMMANUEL BURY et PHILIPPE - JOSEPH SALAZAR, Le loisir lettré à l’âge classique, Genève, Droz, 1996.
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[25]
Voir aussi Nuits attiques, X, 25, où Aulu-Gelle occupe son esprit, alors qu’il est assis sur un char, en reconstituant des listes de vocabulaire militaire et technique tiré des historiens anciens.
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[26]
Voir Ibid., XIX, 8,15, où Fronton invite ses élèves, « quand ils en auront le loisir », à faire une recherche sur l’occurrence d’un terme chez les orateurs ou les poètes anciens.
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[27]
Cet usage des Nuits attiques est évoqué dans la Praefatio, 1; voir Ibid., 11 et 23.
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[28]
Voir par exemple, Nuits attiques, XVIII, 10,1 : description des paysages de la villa d’Hérodes Atticus à Céphisia.
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[29]
Athénée suggère que les convives de Larensis, en dehors de leurs banquets, fréquentent les mêmes lieux de sociabilité cultivée : ainsi, à propos d’Ulpien de Tyr, Deipnosophistes, I, 1d-e (voir aussi XIV, 648c et XIII, 567a).
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[30]
EDWARD CHAMPLIN, Fronto and Antonine Rome, Harvard, Harvard University Press, 1980, p. 14.
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[31]
Comme l’indique R. Marache, dans sa note ad loc. Voir aussi Nuits attiques, XVI, 3 : Favorinus et son cortège visitent à nouveau un malade au milieu de ses médecins. L’occasion est trop belle pour Favorinus, qui se lance dans une discussion médicale à partir des théories d’Érasistrate.
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[32]
Voir aussi Nuits attiques, XI, 13 : lecture d’un discours chez le maître de rhétorique; Ibid., XIII, 29 : lecture des Annales de Quadrigarius chez Fronton.
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[33]
Ibid., XV, 1 : promenade dans les rues de Rome avec Antonius Julianus; Ibid., IX, 2 : Aulu-Gelle dans le cercle des élèves d’Hérodes Atticus, se promenant à Athènes.
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[34]
Ibid., IX, 15 : Aulu-Gelle accompagne Julianus et un disciple à une déclamation à Naples.
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[35]
Voir la Praefatio, 2 : « Selon que j’avais eu entre les mains un livre, grec ou latin, ou que j’avais entendu un propos digne de mémoire, je notais ce qu’il me plaisait [...]. »
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[36]
L’auteur s’inscrit ainsi dans la tradition antique des apomnémoneumata qui, sur le modèle des Mémorables de Xénophon, préservent l’enseignement de philosophes non dogmatiques en rapportant dans un cadre dialogique leurs propos ou comportements exemplaires et édifiants. L’originalité d’Aulu-Gelle est d’appliquer ce modèle aux rhéteurs et grammairiens de son temps (voir RENÉ MARACHE, « La mise en scène des “Nuits attiques”. Aulu-Gelle et la diatribe », Pallas, I, 1953, pp. 84-95).
-
[37]
Sur ce genre littéraire, voir FRANCINE WILD, Naissance du genre des ana (1574-1712), Paris, Honoré Champion, 2001.
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[38]
Voir ANN MOSS, Les recueils de lieux communs. Apprendre à penser à la Renaissance, Genève, Droz, 2002.
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[39]
Par exemple, Nuits attiques, II, 2,9; XVII, 10,1.
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[40]
Par exemple, Ibid., X, 12,9 : Favorinus.
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[41]
Voir Ibid., XIV, 2,26; XVI, 3,6.
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[42]
Par exemple, Ibid., II, 2,11-12 : « Taurus fit ces développements et d’autres dans le même sens avec autant d’autorité que de charme. Mais il ne m’a pas paru hors de propos d’y joindre ce que j’ai lu chez Claudius Quadrigarius [...] »; II, 22,28 sq.; IV, 1, 20-23.
-
[43]
F. WILD, Naissance du genre..., op. cit., p. 32.
-
[44]
Voir Ibid., p. 162 sq., sur les deux recueils de Colomiès.
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[45]
FRONTON, Ad amicos, I, 19, p. 182. Voir M. L. ASTARITA, La cultura..., op. cit., pp. 195-196.
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[46]
Quelques repères bibliographiques : FLORENCE DUPONT, Le plaisir et la loi. Du « Banquet » de Platon au « Satiricon », Paris, Maspéro, 1977; FRANÇOIS LISSARRAGUE, Un flot d’images. Une esthétique du banquet grec, Paris, Adam Biro, 1987; OSWYN MURRAY (éd.), Sympotica : Symposium on the symposion, Oxford, Oxford University Press, 1990; LUCIANA ROMERI, Philosophes entre mots et mets. Plutarque, Lucien, Athénée autour de la table de Platon, Grenoble, Jérôme Millon, 2002. Sur les Propos de table, voir l’introduction de François Fuhrmann et la postface de Françoise Frazier à l’édition des Belles Lettres, 1972-1996; voir aussi l’introduction de Antonio M. Scarcella à son édition de Plutarco, Conversazioni a tavola, libro primo, Naples, M. D’Auria Editore, 1998, pp. 7-133.
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[47]
La source principale sur la configuration du Musée reste STRABON, Géographie, XIII, 1,54 C 608; sur les pratiques savantes dans ce cadre, voir WILLIAM J. SLATER, « Aristophanes of Byzantium and problem-solving in the Museum », Classical quarterly, XXXII, 2,1982, pp. 336-349.
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[48]
Voir aussi Nuits attiques, XIX, 9 : banquet offert par un riche étudiant à ses maîtres et amis, le jour de son anniversaire. Aulu-Gelle décrit encore les dîners frugaux auxquels le poète Iulius Paulus conviait ses amis : un jour d’automne, on fit lecture lors du repas de l’Alceste de Laevius (Ibid., XIX, 7); au moment des vendanges, le poète Annianus invite ses amis, au nombre desquels Aulu-Gelle, pour un dîner d’huîtres, dans son domaine du pays falisque (Ibid., XX, 8).
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[49]
PLUTARQUE, Propos de table, I, 613E. Je reprends la traduction de philologoi proposée par F. Furhmann.
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[50]
Voir aussi Nuits attiques, VII. 13 : les intimes du philosophe Taurus à Athènes contribuent aux banquets sous forme de questions préparées à l’avance, mettant en jeu des raisonnements paradoxaux, « jolis, minutieux et piquant au vif un esprit épanoui par le vin ».
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[51]
Les banquets évoqués par Aulu-Gelle traitent aussi de ce genre de questions : les effets des phases de la lune sur la taille des huîtres, les yeux des chats et les oignons (XX, 8), les effets du gel sur l’huile et le vin (XVII, 8), le nom des vents (II, 22).
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[52]
Voir par exemple III, 100b; VII, 275e; IX, 406d; XV, 671c.
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[53]
Nous nous référons ici au texte fondateur de BALDASSAR CASTIGLIONE, Le livre du courtisan (1528). Voir NORBERT ELIAS, La société de cour, Paris, Flammarion, 1985, ainsi que JACQUES REVEL, « Les usages de la civilité », in P. ARIÈS et G. DUBY (dir.), Histoire de la vie privée, 3, R. CHARTIER (dir.), De la Renaissance aux Lumières, Paris, Le Seuil, [1985] 1999, pp. 167-208. Le rôle de la civilité dans les pratiques savantes de l’Europe moderne a été mis en évidence notamment par MARIO BIAGIOLI, « Le prince et les savants. La civilité scientifique au 17e siècle », Annales HSS, 50-6,1995, pp. 1417-1453.
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[54]
Sur le caractère topique de ces dialogues, voir R. MARACHE, « La mise en scène... », art. cit., pp. 84-95.
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[55]
La signification de ce motif récurrent est discutée par AMIEL VARDI, « Gellius against the professors », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 137,2001, pp. 41-54; sur la figure des grammairiens qui se dégage des Nuits attiques, voir ROBERT A. KASTER, Guardians of language : the grammarians and society in Late Antiquity, Berkeley, University of California Press, 1988, pp. 51-60.
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[56]
De même le rhéteur Antonius Julianus est-il loué autant pour son savoir que pour son jugement critique, par lequel il pèse les vertus et décèle les défauts des textes antiques (I, 4,1).
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[57]
Voir aussi XVIII, 1 : un débat entre deux philosophes, l’un péripatéticien et l’autre stoïcien, sur le rôle de la vertu pour parvenir à la vie heureuse, est placé sous l’arbitrage de Favorinus sans parvenir à une conclusion claire. L’échange symétrique des arguments, s’il sent le procédé rhétorique, ouvre aussi un espace de réflexion pour le lecteur.
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[58]
Les trois auteurs étudiés ici sont à la source d’une riche tradition de la conversation savante et cultivée. Voir MARC FUMAROLI, « Otium, convivium, sermo : la conversation comme “lieu commun” des lettrés », in ID. et alii, Le loisir lettré..., op. cit., pp. 29-52; ID., Trois institutions littéraires, Paris, Gallimard, 1994.