Couverture de ANNA_581

Article de revue

11 Septembre. Guerre et télévision au XXIe siècle

Pages 135 à 162

Notes

  • [1]
    RICHARD W. WIGGINS, « The Effects of September 11 on the Leading Search Engine », First Monday, 7-10, octobre 2001 and<www. firstmonday. org/ issues/ issue10/ wiggins/index.html>.
  • [2]
    Sur la forme graphique, rythmique, narrative, voir WILLIAM URICCIO, « Television Conventions », Television Archive, 16 septembre 2001 <http ://tvnews3.televisionarchive. org/tvarchive/html/articlewu1.html>.
  • [3]
    L’expression est de Herbert Butterfield. Voir également CAROL GLUCK, Past Obsessions : War and Memory in the Twentieth Century, New York, Columbia University Press (à paraître).
  • [4]
    PETER GOLDING et GRAHAM MURDOCK, « Culture, Communication and Political Economy », in J. CURRAN et M. GUREVITCH (éds), Mass Media and Society, New York, St Martin’s Press, 1996, pp. 15-32.
  • [5]
    PETER DAHLGREEN, Television and the Public Sphere : Citizenship, Democracy and the Media, New York, Sage Publications, 1995, p. 29.
  • [6]
    GREG JOHNSON, « Coverage cost nears $1 billion », Los Angeles Times, 20 septembre 2001.
  • [7]
    En novembre, le câble était remonté à 53 % et les chaînes hertziennes avaient de nouveau chuté (« Terror Coverage Boosts News Media’s Images But Military Censorship Backed », The Pew Research Center for the People and the Press, 28 novembre 2001.
  • [8]
    Le trafic hebdomadaire moyen des dix plus grands sites d’information sur internet avait augmenté de près de 100 % le 25 octobre. Sur CNN.com, on comptait une moyenne de cent millions de pages ouvertes par jour (RICHARD STENGEL, « The First Internet War », Time.com, 25 octobre 2001).
  • [9]
    JACQUES DERRIDA, « The Work of Mourning », Conférence publique à l’université de Columbia, 5 octobre 2001; voir aussi ID., « La langue de l’étranger », 22 septembre 2001, Le Monde diplomatique, janvier 2002, pp. 24-27.
  • [10]
    MARGARET WEIGEL, « Terrorism and the Sublime, or why we keep watching », Television Archive, 17 septembre 2001. http ://tvnews3.televisionarchive.org/tvarchive/ html/article_mw1.html; MARK SELTZER, Serial Killers : Death and Life in America’s Wound Culture, Londres, Routledge, 1998.
  • [11]
    RICHARD DIENST, Still Life in Real Time : Theory after Television, Durham, Duke University Press, 1994, p. 64.
  • [12]
    Ibid., pp. 159-165.
  • [13]
    PAT AUFDERHEIDE, « All-too-reality TV : Challenges for TV Journalists After September 11 », Journalism, 3-1, avril 2002, pp. 7-12.
  • [14]
    Sur les soap-opéras, dans un contexte différent, voir LEO BRAUDY, « Popular Culture and Personal Time », Yale Review, 71,1982, pp. 481-498.
  • [15]
    DANIEL DAYAN et ELIHU KATZ, Media Events : The Live Broadcasting of History, Cambridge, Harvard University Press, 1992, pp. 211-213; JOHN FISKE, Media Matters : Everyday Culture and Political Change, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1992.
  • [16]
    GEOFF MAYER, « “A Stab in the Back on a Sunday Morning”: The Melodramatic Imagination and Pearl Harbor », in T. BARTA (éd.), Screening the Past : Film and the Representation of History, Westport, Praeger, 1998, pp. 83-92, ici p. 86.
  • [17]
    Voir PIERRE BOURDIEU, Sur la télévision, Paris, Liber, « Raisons d’agir », 1996.
  • [18]
    RON LEMBO, Thinking Through Television, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, pp. 100-103.
  • [19]
    La dénomination elle-même de la guerre contre le terrorisme : « Opération justice infinie », victime de semblables critiques, n’a tenu que vingt-quatre heures (entre les 19 et 20 septembre), remplacée dès le 25 par sa nouvelle appellation : « Liberté immuable » (Enduring freedom), nom officiel de la campagne en Afghanistan.
  • [20]
    L’expression est de REY CHOW, « The Fascist Longings in Our Midst », in ID., Ethics After Idealism : Theory, Culture, Ethnicity, Reading, Indianapolis, Indiana University Press, 1998, pp. 14-32, ici p. 14.
  • [21]
    SLAVOJ ŽIŽ EK, « Welcome to the Desert of the Real », courriel envoyé immédiatement après le 11 Septembre, longuement diffusé, puis révisé et enfin inclus dans l’ouvrage du même nom publié à Londres, Verso, 2002.
  • [22]
    DAVID SHAW, « Foreign News Shrinks in Era of Globalization », Los Angeles Times, 27 septembre 2001; STEPHEN HESS, International News and Foreign Correspondents, Washington, Brokings Institution, 1996; MOHAMMED EL-NAWAWY et ADEL ISKANDAR, Al-Jazeera : How the Free Arab News Network Scooped the World and Changed the Middle East, Cambridge, Westview Press, 2002, p. 24.
  • [23]
    Les chaînes PBS et CNN ont atteint chacune des taux de 77 % de sujets « soutenant les positions officielles sans équivoque », alors que ce pourcentage n’était que de 56 % sur Fox News. « Return to Normalcy ? How the Media Have Covered the War on Terrorism », The Project for Excellence in Journalism, 28 janvier 2002 and<http :// www. journalism. org/ publ_research.normalcyplain.html>.
  • [24]
    HOWARD KURTZ, « Reporters Are Told to Remind Viewers Why US is Bombing », The Washington Post, 31 octobre 2001.
  • [25]
    Alex Arriaga, dans « Dissent Against America’s war on Terrorism : Too Much or Too Little Media Attention ? », A Brookings/Harvard Forum, 27 février 2002 <http :// www. brook. edu/ dybdocroot/ gs/ projects/ press/ 022702. htm>.
  • [26]
    DOUGLAS KELLNER, « Reading the Gulf War : Production/text/reception », in Media Culture : Cultural Studies, Identity and Politics between the Modern and the Post-modern, Londres, Routledge, 1995, p. 201.
  • [27]
    Robert Siegel, dans « Dissent Against America’s War on Terrorim », op. cit.
  • [28]
    MICHAEL ARLEN, Living Room War, New York, Viking, 1969.
  • [29]
    PAUL FUSSEL, Wartime : Understanding and Behavior in the Second World War, New York, Oxford University Press, 1989.
  • [30]
    PAUL VIRILIO, Guerre et cinéma, Paris, Éditions de l’Étoile, 1984.
  • [31]
    Katie Couric sur NBC dans « Today Show », cité dans « The CNN Effect : How 24 Hour News Coverage Affects Governement Decisions and Public Opinion », A Brookings/Harvard Forum : Press Coverage and The War on Terrorism, 23 janvier 2002.
  • [32]
    Pour des statistiques montrant comment le temps alloué à chaque sujet a évolué dans les trois journaux télévisés de nuit, voir « Tyndall report on Aftermath of September 11 », The Tyndall Report, 10 mai 2002 <www. tyndallreport. com>.
  • [33]
    MARC HEROLD, « A Dossier on Civilian Victims of United States’Aerial Bombing of Afghanistan : A Comprehensive Accounting (revised) », mars 2002 <www. cursor. org>.
  • [34]
    Robert Elegant, Marshall McLuhan et d’autres ont fait de telles déclarations. PETER BRAESTRUP, Big Story : How the American Press and Television Reported and Interpreted the Crisis of Tet 1968 in Vietnam and Washington, Boulder, Westview Press, 1977.
  • [35]
    « Vietnam on Television », Museum of Broadcast Communications, and<www. museum. tv>. La remarque à propos de Cronkite est de David Halberstam.
  • [36]
    JOSTEIN GRIPSRUD (éd.), Television and Common Knowledge, Londres, Routledge, 1999, p. 2.
  • [37]
    R. Siegel, dans « Dissent against America’s War on Terrorism », op. cit.
  • [38]
    L’exposition, longuement préparée, a déclenché une violente opposition politique car elle montrait des victimes japonaises des bombardements nucléaires et évoquait la course aux armements de l’après-guerre. La controverse a abouti à limiter l’exposition au seul largage de la bombe et à ses conséquences sur la fin de la guerre.
  • [39]
    Voir MICHAEL J. HOGAN (éd.), Hiroshima in History and Memory, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
  • [40]
    DIANE WERTS, « From Class to Crass », Newsday (Long Island, New York), 17 novembre 1996; NEAL JUSTIN, « Peril vs Meryl », Star Tribune (Minneapolis), 16 février 1997.
  • [41]
    Richard Minear, cité dans PAUL BOYER, « Exotic Resonances : Hiroshima in American Memory », in M. J. HOGAN (éd.), Hiroshima..., op. cit., p. 166.
  • [42]
    ROY GUTMAN et DAVID RIEFF (éds), Crimes of War : What the Public Should Know, New York, W. W. Norton, 1998, p. 10.
  • [43]
    MICHAEL IGNATIEFF, The Warrior’s Honor : Ethnic War and the Modern Conscience, New York, Henry Holt, 1998, pp. 10-13.
  • [44]
    JEFFREY SHANDLER, While America Watches : Televising the Holocaust, New York, Oxford University Press, 1999.
  • [45]
    Voir « Timely Reminder that We’re at War », Chicago Sun-Times, 12 mars 2002; « Six Months », Star Tribune (Minneapolis), 12 mars 2002; « 9/11 », Newsday (Long Island, New York), 11 mars 2002.
  • [46]
    D. KELLNER, « Reading the Gulf War... », art. cit., p. 1.

1Les historiens ont la tâche facile lorsqu’ils travaillent sur le passé car, en dépit du caractère aléatoire des interprétations, le passé est révolu, même s’il est encore vivant dans les mémoires. Il est plus difficile, en revanche, d’écrire l’histoire du présent, au sens strict du terme, c’est-à-dire pendant que les événements se déroulent. C’est ce que je me propose de faire ici. Un peu à la façon de Thucydide qui entreprit de rapporter la guerre du Péloponnèse comme lui et d’autres l’avaient « vue », mon analyse se présente sous la forme d’une histoire-témoignage de la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis au début du XXIe siècle. Alors que Thucydide s’appuyait sur sa propre perception et celle de ceux qui lui communiquaient (oralement) ce qu’ils voyaient, je m’appuierai sur les médias audio-visuels, c’est-à-dire sur les principaux agents de perception et de transmission orale de notre époque. Et, à l’instar des historiens grecs qui privilégiaient la vue à l’ouïe, je porterai mon attention sur la télévision, qui est à la fois le moyen de communication le plus répandu et le plus visuel aujourd’hui. Par le truchement de l’œil télévisuel, nous sommes en effet des témoins oculaires. On nous rapporte ce que d’autres ont vu à travers des reportages télévisés qui constituent en eux-mêmes les premiers récits de la guerre. C’est là que le travail de l’historien contemporain commence, déjà affecté par la pluralité de points de vue partiaux.

2À cette pluralité s’ajoute ma propre position. Tandis que je me lance dans un essai d’ethnographie des médias pour analyser la construction des récits de la guerre contre le terrorisme à la télévision, ma réflexion ne peut pas ne pas être affectée par le fait que je réside à New York. Ce que d’autres ont seulement vu sur des écrans, nous l’avons vécu de plein fouet : nous l’avons vu de nos yeux, nous avons respiré l’air nocif, nous avons senti que c’était New York et non l’Amérique qui avait été attaquée, ce sont les New-Yorkais et leur maire qui ont fait face à la crise et pas les Américains et leur président. Le fait que tant de commentaires qui ont suivi les attentats n’aient fait aucune distinction entre New York et l’Amérique fut irritant, comme si nous nous étions tous transformés instantanément en de stupides patriotes agitant leurs drapeaux. Thucydide écrivait pour Athènes, il prenait fait et cause pour sa ville, c’est ce que j’ai fait pour la mienne.

3Mais cela ne m’a pas empêchée d’être prisonnière de la télévision américaine, puisque je n’ai été abreuvée que des médias nationaux. Exception faite des journaux en ligne européens ou japonais, je n’ai jamais eu d’accès direct à une autre couverture télévisée des événements, que ce soit celles de la BBC ou de Al-Jazira. En cela, ma position d’ethnographe ne différait pas de celle de la plupart des téléspectateurs, étant donné que les télévisions restent étroitement focalisées sur leur propre nation et qu’elles interprètent les informations à partir d’un cadre vernaculaire. Comme le dirait n’importe quel critique de CNN à l’étranger, la portée mondiale de la transmission par satellite ne réduit en rien l’angle farouchement national qu’adoptent la plupart des journaux télévisés.

4C’est donc à partir de ma propre position que j’analyserai d’abord « l’événement médiatique » du 11 Septembre, en portant une attention particulière à la mise en récit instantanée de la « guerre » sur un mode qui nous est devenu familier depuis le XXe siècle. Ensuite, j’aborderai le problème de la construction de la « guerre contre le terrorisme », qui est le premier conflit que les États-Unis ont connu au XXIe siècle dans lequel le récit héroïco-simpliste prévisible s’est accompagné d’une disparition des images télévisées des combats. Je quitterai alors le présent ethnographique pour le futur historique et envisagerai comment cette « guerre contre le terrorisme » – que l’on raconte désormais invariablement comme si elle faisait déjà partie de l’histoire – pourrait, dans les prochaines années, être re-médiatisée dans notre mémoire. Je fonderai cette hypothèse sur le rôle que la télévision a joué dans la guerre et dans la mémoire au XXe siècle. Pour finir, je commenterai les problèmes qui apparaissent dans la relation entre guerre et médias.

Voir, c’est croire

5Pendant les vingt-quatre heures qui ont suivi les attentats du 11 Septembre, la télévision a été le média privilégié pour tout un chacun. À l’heure des flashs spéciaux, alors que personne ne savait réellement ce qui s’était passé, des images et des informations brutes emplissaient les écrans parce qu’il n’y avait pas encore de « récit », pas plus que de contrôle des faits. Soudain, la télévision, dont l’accès ne comporte pas de limites, dominait internet, dont les sites étaient complètement saturés. Google, le premier moteur de recherche, a reçu immédiatement six mille appels par minute d’internautes qui voulaient se connecter à CNN et fut vite obligé de leur conseiller d’allumer la télévision ou la radio « pour les informations les plus récentes ». Seuls les médias télévisés pouvaient fournir des informations de dernière minute en temps réel [1]. La télévision a été plébiscitée pour son « objectivité » et « son sens des responsabilités » face aux événements durant les premiers jours de reportage brut, ce qui laisse à penser que les attentes des téléspectateurs et des critiques étaient curieusement surannées : « Simplement les faits et les images, c’est tout. »

6Les icônes visuelles sont apparues en l’espace de quelques minutes : la séquence dramatique de l’avion s’encastrant dans la seconde tour et l’effondrement – « incroyable mais vrai » – des deux gratte-ciel dans un nuage noir de poussières et de débris. Ces deux icônes ont commencé par être des formes graphiques, mais elles sont vite devenues des formes rythmiques tant elles étaient répétées (jusqu’à trente fois par heure), comme si elles étaient l’image de fond de la télévision, l’équivalent d’un fond d’écran d’ordinateur dénué d’affect [2]. Puis, au bout d’à peine une heure, des formes de récits sont apparues. L’analogie avec Pearl Harbor fut établie, comparaison spontanée qui a été formulée par de multiples sources : l’homme de la rue, des adolescents, des actrices, le présentateur de télé, Henry Kissinger – et tout cela alors que George W. Bush parlait encore d’« apparents attentats terroristes ». L’omniprésence spontanée de la référence à Pearl Harbor n’avait absolument rien à voir avec le Japon ou même avec la Seconde Guerre mondiale. Cette métaphore suggérait en fait que l’Amérique avait une nouvelle fois « perdu son innocence », mais qu’elle réussirait encore à réagir et à triompher dans une guerre du bien contre le mal.

7Ce que j’appelle le « récit héroïque » était donc déjà en place à 10 h 35 du matin, quelques minutes seulement après l’effondrement de la seconde tour. En référence aux premiers récits de guerre à l’origine des images de la Seconde Guerre mondiale forgées par la mémoire collective des différents pays, un récit héroïque émerge soit pendant, soit immédiatement après un événement dramatique ou traumatisant. Ce récit n’est héroïque que dans la mesure où l’événement a une dimension ample, les agresseurs et les victimes étant clairement identifiables et la trame narrative ne souffrant aucune ambiguïté ou ambivalence [3]. À la télévision, le récit a évolué en fonction des titres que l’on pouvait voir à l’écran sur chaque chaîne. Les premiers « Attentats contre l’Amérique » et autres « Jour de terreur » se sont vite mués en « Guerre contre l’Amérique », reprenant dans un premier temps les gros titres des journaux étrangers; puis ce sont les mots du président Bush, le 14 septembre, qui ont été utilisés et, dès lors, on put lire sur CNN : « La Nouvelle guerre de l’Amérique ». (Il y eut un moment pendant lequel des personnalités officielles ont évoqué une attaque plus générale « contre la civilisation », mais les événements ont été à nouveau rapidement nationalisés pour permettre aux États-Unis d’occuper seuls l’affiche.)

8Le besoin de récit dans une telle situation se fait pressant et il n’est pas du tout limité aux médias. « Qu’est ce qui s’est passé ? » : les gens veulent savoir, leur besoin de codification narrative est lié non seulement à leur inquiétude, voire leur anxiété, mais aussi à leur besoin d’action, de vengeance. Un tel récit est toujours simple et persuasif, presque indéniable : c’est un récit héroïque. Dans ce cas précis, l’histoire de l’Amérique en guerre contre le mal est étayée par des preuves visuelles irréfutables, disponibles à travers le témoignage des médias. Comme Thucydide aurait pu le dire, nous savions parce que nous avions vu.

9Il y avait d’autres scénarios possibles et il est intéressant de remarquer les conséquences de leur occultation. Les événements du 11 Septembre auraient pu être considérés notamment comme un acte criminel, à l’image de certains actes terroristes antérieurs, par exemple l’attentat à la bombe de 1993 contre le même World Trade Center; certains des auteurs de cet attentat ont en effet été inculpés par un tribunal fédéral américain à New York. Par ailleurs, parmi les accusés appelés en 2001 à répondre des attentats de 1998 contre les ambassades américaines en Afrique devant le même tribunal new-yorkais, on comptait un certain Oussama Ben Laden qui, bien entendu, n’avait pas été arrêté. Les attaques du 11 Septembre auraient aussi pu être définies comme des crimes contre l’humanité, compte tenu du fait qu’il s’agissait de civils tués au hasard. Bien que cette hypothèse eût peu de chance de se concrétiser au vu des réticences du gouvernement Bush à l’égard du Tribunal international, la possibilité de traiter les attentats comme des crimes violents qui devaient être jugés dans le cadre du système pénal américain n’aurait pas été une première. Pourtant ce récit-là aussi n’avait aucune chance. À peine les attentats étaient-ils devenus une « guerre » que toute idée de poursuite en justice devenait caduque. La seule réponse appropriée était des représailles militaires. Et tel fut le cas.

10La télévision n’est pas responsable de ce résultat narratif, qui était surdéterminé. Mais elle a joué un rôle important dans la mesure où elle a assuré la transmission à la fois de la connaissance visuelle et du récit héroïque. De plus, elle a tenu ce rôle en accord avec les principes de sa structure industrielle et des pratiques sociales d’écoute. Pour les chercheurs qui étudient l’économie politique de la télévision commerciale, la production d’images médiatiques et leur consommation par des téléspectateurs requièrent chacune une attention spéciale [4]. Au niveau de la production, la télévision américaine est entièrement commerciale; elle est une industrie de la culture de masse dans une économie capitaliste. Il n’y a pas de chaînes d’État du type de la NHK au Japon, de la BBC en Angleterre ou de la société de programmes France Télévision en France. Même les chaînes qui se disent « publiques » ne sont pas immunisées contre les impératifs commerciaux. Elles doivent livrer leurs produits – les téléspectateurs – à leurs clients, c’est-à-dire les annonceurs ou les assureurs. D’où l’importance de la « fonction emphatique » de la communication télévisuelle : ces présentateurs qui implorent le téléspectateur de « rester avec nous » ! C’est l’audience et non la programmation qui compte pour le résultat financier [5].

11Face à la crise nationale, le petit écran a suspendu toute publicité durant les deux premiers jours qui ont suivi l’événement, moyennant une perte de revenus estimée à un milliard de dollars [6]. Ce sacrifice financier n’a en rien diminué la compétition pour gagner des téléspectateurs. Celle-ci est même plutôt devenue plus féroce qu’avant, puisque toutes les chaînes rivalisaient pour retenir l’audience en annonçant des « reportages exclusifs » de ce qui était, par essence, la même séquence de la même histoire. Il reste à noter un phénomène digne d’intérêt, à savoir la prépondérance (momentanée) des trois réseaux principaux de télévision, qui représentait un retour aux années d’avant la prolifération des chaînes câblées et des chaînes par satellites. 90 % des Américains se sont en effet tournés vers le petit écran pour obtenir des informations sur les attentats, et le câble est resté la source d’information principale pour 45 % d’entre eux [7]. Mais alors que la guerre du Golfe avait été virtuellement accaparée par la chaîne câblée CNN, ce sont les réseaux nationaux (les chaînes « gratuites ») qui, le 11 Septembre, ont attiré la masse des téléspectateurs. Parmi ceux-ci, certains ont pu affirmer qu’ils avaient voulu trouver les trois présentateurs traditionnels, Blancs, d’âge mûr, calmes et rassurants face à la tragédie nationale. Cela suggère deux remarques quant au rapport entre la télévision et la terreur. D’abord, de la même façon que le public attendait des faits et de l’« objectivité » dans les flashs d’information, il cherchait aussi à être réconforté par une figure en qui il avait « confiance » et qui avait à la fois de l’autorité et, dans le langage des dirigeants de la télévision, de la « gravité ». En un mot, il s’agissait de « l’effet Walter Cronkite », la figure rassurante du présentateur du journal du soir sur CBS dans les années 1960 et 1970. Ensuite, les taux d’audience ont entraîné une amplification du message puisque un très grand nombre d’Américains se sont retrouvés dans la même sphère d’information et d’émotion, comme il y a quelques dizaines d’années, avant que les téléspectateurs ne s’éparpillent vers des centaines de chaînes et de sources d’information possibles. En un mot, il s’agissait de l’effet « communautés imaginées », qui saturait les ondes de patriotisme national. Étant donné que la télévision américaine est totalement commerciale, chaque chaîne, câblée ou non, était en concurrence avec les autres pour la plus grande part d’audience, mais ceci moins en cultivant la différence qu’en recherchant une convergence de contenus. L’intégration verticale de la propriété des chaînes (les empires médiatiques) y est pour quelque chose, puisque les programmes sont annoncés sur les différentes chaînes possédées par le même conglomérat. Mais c’est surtout cette atmosphère de crise nationale qui a produit cette convergence, à tel point que les chaînes spécialisées dans le sport et même la météo relataient également l’événement. Le caractère identique et répétitif des contenus a conduit de nombreuses personnes à se tourner vers internet, qui a vite retrouvé sa position de source privilégiée pour l’information [8].

12Mais le phénomène le plus remarquable, en ce qui concerne l’économie politique de la télévision dans les jours qui ont suivi le 11 Septembre, a été la combinaison d’une diffusion compulsive par les directeurs de programme et d’une consommation obsessionnelle d’images par les téléspectateurs. Certains ont confessé être restés comme « scotchés devant leur poste », regardant en boucle les mêmes images d’horreur, sans être vraiment conscients de ce qu’ils faisaient. Jacques Derrida (qui était alors aux États-Unis) a reconnu qu’il n’arrivait pas à éteindre son téléviseur, et cette expérience vécue à travers les médias a sans aucun doute affecté sa réaction face aux événements, qui aurait pu être tout autre s’il s’était trouvé à Paris [9]. Outre la fascination pour l’inimaginable image – et celle-ci l’était bien –, voire le lien (malsain) entre terrorisme et sublime, peut-être l’attirance pour l’épouvantable grandeur de l’événement est-elle un exemple de ce que Mark Seltzer a appelé « la sphère publique pathologique », dans laquelle le spectacle des catastrophes et de la mort non seulement nous attire mais nous rapproche aussi les uns des autres, dans un acte social d’identification aux victimes [10]. Rien de neuf dans tout cela, bien sûr, même si l’impact du traumatisme télévisuel sur une nation fascinée par les images vidéo de mort violente en masse donne à réfléchir.

13La différence principale entre les images télévisuelles et les photographies tout aussi graphiques parues dans la presse écrite réside dans le lien entre le temps et le traumatisme. La plupart des commentateurs s’accordent à dire que la télévision est le média du temps : « Les images télévisuelles ne représentent pas les choses autant qu’elles consomment du temps », écrit Richard Dienst [11]. La télé achète, vend et tue le temps; elle feint le temps « réel » et l’enregistre en « direct »; elle le découpe en instants et le dilue en longueurs avec de soi-disant descriptions réalistes. Quant à eux, les téléspectateurs zappent, coupent et recoupent le temps d’une façon qui ne peut être résumée par aucune théorie générale de la réception. En se faisant l’écho du traumatisme des attentats, la télévision a combiné ce que R. Dienst définit comme ses deux directions temporelles : « le temps figé » et « le temps automatique » [12]. Le premier est « une rafale d’instants », de temps coupé en tranches et en fragments, comme le font les spots publicitaires et les clips vidéo. Ici le temps est, pour un instant, un arrêt sur image; il ne l’était pas seulement avec les images iconiques des attentats mais également dans toutes les prises de vues non digérées, décontextualisées, sans récit, de ces gens qui fuyaient dans les rues, des secouristes qui couraient, de la fumée, des décombres, etc. Mais le temps figé de la télévision n’est pas celui des photographies. Il « bouge », et son mouvement est lié au déroulement des événements. Dans la temporalité télévisuelle du « temps automatique », le traumatisme semble continu, comme si les téléspectateurs regardaient en attendant que les événements se produisent sous leurs yeux (télévisuels). C’est cette combinaison d’instants violents et de focalisation dilatée sur une histoire sans structure narrative établie qui a rivé les téléspectateurs à leur poste et leur a donné l’impression qu’ils vivaient le traumatisme en temps réel, impression que les journaux n’auraient pu donner.

14Après deux jours de ce qu’un critique des médias a justement appelé « C’est l’Apocalypse, tout le temps », la télévision est passée de l’urgence des informations de dernière minute à un rôle pastoral, comme si elle cherchait à apaiser le public au moyen d’un « patriotisme thérapeutique » [13]. C’est alors que l’on a commencé à se focaliser sur « l’aspect humain de la tragédie » avec de nouvelles histoires emblématiques de victimes et de héros individuels : les occupants de l’appareil qui s’écrasa en Pennsylvanie, le passager qui s’est battu dans le cockpit, les dizaines de secouristes, tout particulièrement les pompiers et les policiers morts en essayant de sauver des vies dans les tours jumelles. C’était « l’histoire du peuple » – non le récit héroïque de l’Amérique en guerre contre le mal –, et cette insistance sur les victimes individuelles est typique des premières histoires de guerre, comme l’est le récit héroïque lui-même. En donnant une dimension humaine au traumatisme, en le ramenant à l’émotion et en créant ce que l’on pourrait appeler « une sphère publique thérapeutique », la télévision a soudé les téléspectateurs par cette identification empathique avec les victimes et leurs héros qui étaient des gens comme eux plutôt que des figures publiques. En termes de temporalité télévisuelle, c’était « l’heure du feuilleton ». Si poignants que les portraits d’individus pussent être, ils avaient pour effet, à l’instar de toute humanisation de ce type, de faire quasiment disparaître toute référence globale : de celle à Al-Qaïda jusqu’à la dimension internationale de l’événement [14].

15La présentation par les médias de ces histoires de gens ordinaires obéissait à ses propres normes et conventions, avec son orthodoxie et ses formes d’autocensure. Unir les Américains dans ce qu’ils avaient d’ordinaire revenait non seulement à insister sur la sainteté de la famille, du travail et de la religion, mais permettait aussi de mettre en lumière la diversité ethnique et sociale des victimes, de présenter « un échantillon de l’Amérique ». On a beaucoup parlé alors de l’innocence mythique de l’Amérique et de son sens moral, sous-entendant ainsi par contraste que les terroristes n’en avaient pas. La télévision et la presse ont aussi invoqué la morale lorsqu’elles ont décidé – après avoir été fortement critiquées – de ne plus montrer les images des corps qui tombaient des tours jumelles. De telles attentions médiatiques et les conventions concernant la couverture des événements ont permis de dresser un portrait collectif et national dans lequel les Américains voulaient se reconnaître. Il est néanmoins peu probable que ce récit héroïque ait été très différent si la télévision n’avait pas existé.

L’événement (médiatique)

16Le résultat le plus frappant du contenu des « textes médiatiques » télévisuels eux-mêmes, c’est le triomphe du récit. Dans les « enquêtes de fond » sur les attentats, la domination des mots sur les images, des histoires sur les photographies, a montré combien le besoin de récit a été largement comblé par le discours et l’écrit plutôt que par des éléments visuels. Plutôt que de télé-vision, il s’agissait de télécommunication, tant les reporters, les témoins, les commentateurs et les présentateurs monopolisaient le temps d’antenne par leur flot de paroles. À l’instar des pages d’accueil des sites internet, à la mode depuis peu, les chaînes d’information en continu offraient de leur côté un déluge de textes constamment modifiés, notamment sous la forme de crawlers, ces messages incrustés qui défilent au bas des écrans. Les propos ne correspondaient pas au texte, et on assistait donc à une fragmentation accrue de l’information, étant donné que les téléspectateurs « lisaient » tout autant qu’ils entendaient ou voyaient.

17Alors que les programmes saturés d’informations en continu repassaient à un mode ordinaire plus quotidien, les paroles se sont mises de nouveau à envahir la scène, mais cette fois à travers les talk shows, les magazines télévisés et les émissions « confessionnelles », comme celle d’Oprah Winfrey, qui ont lieu pendant la journée. Les téléspectateurs ont pu entendre les voix des victimes et des sauveteurs qui racontaient leur histoire et leur expérience avec leurs propres mots, et tout cela a éclipsé les très populaires reality shows qui, d’un coup, manquaient singulièrement de réalité... C’est ici que la télévision a peut-être joué un rôle particulier. À côté de la radio et de la presse écrite, les supports visuels des guerres du milieu du XXe siècle – reportages photographiques, actualités filmées – ont transmis à un large public le récit héroïque national, mais ils n’étaient pas aussi bien équipés que la télévision pour diffuser les histoires des gens ordinaires qui semblent si bien convenir à l’intimité du petit écran : avec la mise en scène des pleurs et des embrassades.

18Ce sont pourtant des mots qui ont contribué à fixer le décor de la guerre. Ces mots ne sont pas venus du président des États-Unis, qui n’a pris la parole que le soir du 11 Septembre, c’est-à-dire après tant de commentateurs et de congressistes. Tous avaient déjà énoncé ce qui est instantanément devenu le récit héroïque de l’Amérique en guerre contre le mal. Les médias n’ont pas non plus créé les leitmotivs sonores de la guerre. Non, l’histoire de la guerre – comme l’analogie avec Pearl Harbor – est venue de plusieurs sources et a provoqué un effet politique choc. Le traumatisme de l’attaque a par ailleurs gommé les clivages entre la droite et la gauche, entre conservateurs et libéraux (au sens américain), entre Républicains et Démocrates. Telle a été la puissance de l’événement.

19Mais « l’événement médiatique » avait lui aussi ses conséquences. Qu’il ait été défini comme « de l’histoire en direct » ou comme « un lieu de visibilité et de turbulence maximum » dans une société, l’événement médiatique incluait non seulement l’effondrement des tours jumelles, mais aussi tout ce qui a été diffusé afin de communiquer, d’expliquer et de répondre aux événements. Un événement médiatique interrompt la succession des jours, il marque le temps, et crée un « monument électronique » qui devient le cadre de la mémoire [15]. Il se déploie à travers la société, il nationalise, socialise et, bien souvent (même si ce n’est pas systématique), unifie les téléspectateurs dans l’instant. Le 11 Septembre a constitué un événement médiatique pour deux raisons. Aux côtés de l’assassinat du président Kennedy ou de l’explosion en plein vol de la navette Challenger, les attentats figurent au nombre de ces images que nul Américain ne peut oublier une fois qu’il les a vues. On peut comparer leur impact à l’annonce radiodiffusée de la reddition du Japon par l’empereur en août 1945, dans la mesure où chaque Japonais se souvient de l’endroit où il se trouvait quand il l’a entendue, et a instinctivement senti qu’il s’agissait d’un tournant de l’histoire. Mais le 11 Septembre constitue aussi un événement médiatique dans la mesure où le choc provoqué par les attentats était transformé en un consensus en faveur des représailles. Je me suis demandée si, sans la télévision, George W. Bush aurait pu rassembler ce soutien quasi unanime pour la guerre et j’ai pensé au fameux discours présidentiel : « Il n’y a jamais eu – et il ne pourra jamais y avoir – de compromis réussi entre le bien et le mal. Seule une victoire totale peut récompenser les champions de la tolérance et de la morale, de la liberté et de la foi [16]. » C’est ainsi qu’en décembre 1941, Franklin Delano Roosevelt énonçait un récit héroïque du même type, sans l’aide de la télévision.

20Cependant, il semble clair que la disparition presque totale du reste de l’actualité durant la première semaine suivant le 11 Septembre – ce moment pendant lequel les gens, traumatisés, étaient rivés à leur poste de télévision, à cette sphère publique, pathologique et thérapeutique – a créé un consensus politique qui faisait apparaître les représailles comme aussi patriotiques qu’indispensables. Ce consensus s’est traduit par l’apparition de drapeaux américains dont l’exhibition est devenue bien vite obligatoire. Il a fallu aussi un certain temps avant que les médias ne trouvent un nom à l’événement. On a d’abord parlé des « avions qui se sont écrasés sur le World Trade Center, sur le Pentagone et en Pennsylvanie », puis seulement de « l’attentat contre le World Trade Center » (ce qui minimisait le drame à Washington), ensuite des « attentats », trop plat pour véhiculer la ferveur guerrière, avant que ne s’impose « le 11 Septembre » qui (à l’égal de la comparaison avec Pearl Harbor) comportait ce qu’il fallait d’ambiguïté symbolique et englobait tous les Américains où qu’ils vivent. Alors que le symbolisme du 11 Septembre s’affirmait, on peut même se demander combien d’Américains savaient à quoi faisait à l’origine référence l’expression « Ground Zero ».

21Du choc au consensus, via la télévision. Même si, poussés par leur soif d’informations, les gens ont lu plus de journaux que d’habitude et se sont tournés vers d’autres sources pour obtenir des nouvelles plus précises sur le contexte général des événements, la plupart d’entre eux ont continué à regarder la télévision, qui affichait un soutien plus marqué au gouvernement que certains journaux de la presse écrite. Conséquence de cet « événement réel et médiatique », s’est instaurée une convergence de l’opinion politique qui avait des relents de fascisme avant l’heure; phénomène presque orwellien ou gramscien [17]. Le consensus constituait une réponse au traumatisme qui, même s’il n’avait pas été créé par les médias, avait été, du début à la fin, transmis par eux.

22Mais il faut revenir sur le rôle que les téléspectateurs eux-mêmes ont joué dans le passage du choc au consensus. Parce qu’en dépit des pouvoirs hégémoniques que l’on reconnaît aux médias et à ceux qui contrôlent l’information, nul n’est aussi passif que les théories de la communication veulent bien nous le faire croire. Nous savons que la relation du public à la télévision ne se résume pas à une simple réception ou consommation des textes et images télévisuelles. Les téléspectateurs ne sont ni inertes ni indifférents ou indifférenciés face à l’écran. Grâce aux Cultural studies, nous savons que le sujet réinterprète les images à sa manière et que des significations contraires peuvent se glisser dans les failles du discours dominant. Ce que nous connaissons moins, c’est ce que Ron Lembo appelle « la socialisation de la culture des téléspectateurs » et la façon dont les gens se « servent » véritablement de la télévision [18]. Ce point est déterminant pour comprendre la création d’un consensus apparemment universel au lendemain du 11 Septembre. Les téléspectateurs se sont d’abord senti concernés d’une manière plus consciente et émotionnelle (pour reprendre la terminologie de R. Lembo) qu’ils ne l’étaient normalement lorsque la télévision est allumée et que l’attention est intermittente. Les images des avions qui s’écrasaient et de l’effondrement des tours ont créé un « effet de choc » benjaminien en même temps qu’elles suscitaient de violentes émotions. La crise en cours, parce qu’elle n’était ni comprise ni racontée dans son ensemble, a transformé les gens en téléspectateurs non seulement attentifs mais aussi presque agressifs. Peu nombreux furent ceux qui ont éteint leur poste (même si certains l’ont fait par dégoût ou par exaspération), et ceux qui changeaient de chaîne ne pouvaient pas pour autant changer de message. Il est rare que la télévision contrôle un aussi grand nombre d’« utilisateurs » d’une manière collective.

23Ensuite, les téléspectateurs qui ont partagé le choc émotionnel n’ont pas tous « répondu » de la même manière au récit héroïque. Malgré les promptes déclarations du gouvernement et des présentateurs « fiables » selon lesquelles il ne s’agissait pas d’une guerre contre l’Islam ou contre les musulmans, les Arabo-Américains avaient des raisons évidentes d’être sceptiques. Ainsi les commentateurs de la télévision et les Arabo-Américains ont-ils évoqué l’enfermement des Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale de façon à mettre en garde contre toute manifestation du racisme. De plus, les immigrants de nombreux pays musulmans, notamment du Moyen-Orient, se sont mis à craindre d’être pris au piège d’un ressentiment irrationnel. Tous les téléspectateurs, qu’ils occupent une position sociale puissante ou non, avaient aussi leur propre point de vue, depuis la rhétorique de chasseur, virile et grossière, employée par Bush parlant « d’enfumer les terroristes jusqu’à ce qu’ils sortent de leur trou », jusqu’à la thématique de la « nouvelle croisade » (à laquelle il dut bien vite renoncer devant les critiques auxquelles elle donna lieu) [19].

24Le problème est de savoir pourquoi il est devenu instantanément difficile de faire entendre en public un point de vue critique. La socialisation, née de l’identification à la nation et de la compassion pour les victimes, a peut-être favorisé l’émergence d’une masse de téléspectateurs qui, pour l’heure, voulaient se penser – ou se sentaient obligés de se penser – comme des « Américains » avant tout. Tout autre discours était perçu comme indigne et déloyal, et ceci a contribué à étouffer presque totalement dans la population les opinions critiques, jugées subversives. Mettre cet effacement au compte du « pouvoir de la télévision » serait par trop simpliste. C’est une sorte d’alchimie entre les morts violentes, la télévision en état d’urgence et l’auto-mobilisation des téléspectateurs qui paraît avoir activé « les aspirations fascistes dans nos rangs [20] » et étouffé le sens critique et les opinions divergentes. L’expérience était effrayante, et elle m’a fait comprendre ce que cela signifiait d’être pris sous l’avalanche d’un consensus général. Vu sous cet angle, le 11 Septembre et le récit héroïque auquel il a donné lieu sont des événements médiatiques dans la droite ligne de ceux que nous n’avons que trop connus au cours du XXe siècle.

Construire la « guerre contre le terrorisme »

25La « guerre contre le terrorisme » qui a suivi les attentats s’est pourtant construite médiatiquement de manière quelque peu différente, comme si l’art de la guerre et l’art des médias s’étaient mis à changer de conserve au début du XXIe siècle. Même si les « événements médiatiques » du 11 Septembre ont été à l’origine du récit héroïque de l’Amérique en guerre contre le mal, la production publique de la guerre contre le terrorisme s’est étalée sur plusieurs semaines. Elle demande donc à être analysée comme une phase distincte dans la télé-communication d’une « nouvelle sorte de guerre ».

26D’abord, le gouvernement était tenu de faire émerger « un nouveau type d’ennemi ». Le terrorisme n’avait rien de particulièrement nouveau. Il continuait à être déterritorialisé, transnational et mis en œuvre par des civils politiquement et affectivement engagés. Mais lancer une « guerre totale » contre ce terrorisme nécessitait de le représenter non comme un criminel, mais comme un ennemi. En fait, le gouvernement s’en est vite donné un sur le modèle traditionnel, en faisant de Ben Laden l’homme à abattre, comme cela avait été le cas pour Saddam Hussein pendant la guerre du Golfe, ennemi que George Bush père avait en son temps comparé à Hitler. Désigner une cible humaine, y compris sous les traits d’un visage, n’a fait que renforcer le consensus initial en faveur des représailles. De nombreux commentateurs, tel Slavoj Ž ižek, ont souligné le fait que les attaques du type de celle contre le World Trade Center avaient déjà été imaginées par Hollywood, dans des films comme Escape from New York et Independence Day[21]. Mais l’élément cinématographique le plus frappant était le langage « à la John Wayne » que le président a utilisé lorsqu’il a promis « d’attraper » Ben Laden, puis les membres d’Al-Qaïda et le mollah Omar. Et comme aucun d’entre eux n’a été finalement « attrapé », le qualificatif de terroriste a été étendu aux pays d’un « Axe du mal » (Irak, Iran, Corée du Nord), ce qui lui permettait d’identifier de façon plus familière l’ennemi à un État.

27Si la télévision a continué à parler de Ben Laden et d’Al-Qaïda, elle a aussi tenté de répondre à la question que les Américains se sont posée si souvent et de manière si plaintive depuis le 11 Septembre : « Pourquoi nous haïssent-ils donc tant ? ». Mais, vouloir répondre à cette question, c’était ignorer les conventions déjà établies par le temps du récit et l’espace national. S’intéresser aux racines du terrorisme imposait un retour en arrière, à l’avant 11 Septembre, c’est-à-dire en amont du récit qui justifiait la guerre en la présentant comme des représailles aux attentats. Cela demandait aussi de sortir des frontières nationales pour voir comment les peuples du Moyen-Orient et d’ailleurs percevaient l’action des États-Unis. Cela revenait aussi à risquer de priver les États-Unis de leur statut de victime absolue en introduisant l’idée que la politique internationale et l’impérialisme américain étaient en partie responsables de cette haine et donc de ses conséquences. Une telle remise en cause était impensable. À la simple évocation d’une possible culpabilité américaine, le public réagissait de manière virulente et savait se faire entendre. L’animateur d’une émission de divertissement, diffusée à une heure tardive, a perdu son emploi pour avoir osé faire un commentaire satirique. Ainsi, tous les reportages qui violaient le récit héroïque, même avec les meilleures intentions du monde, se trouvaient réduits au silence. Dans une atmosphère passionnelle où 95 % de la population soutenait la politique du président (les gens répétaient constamment : « Nous ne pouvons pas rester sans rien faire après de telles atrocités »), les moyens de communication de masse se sont inclinés devant les masses, ils ont continué à raconter une histoire nationale dont l’intrigue restait patriotique.

28Les intérêts économiques de la télévision commerciale n’étaient certes pas étrangers à cela. Il faut se souvenir que les budgets des journaux télévisés ont subi des coupes claires et que la couverture de l’actualité internationale en a sérieusement pâti, puisqu’elle a été réduite de 70 à 80 % au cours des vingt dernières années. Les correspondants à l’étranger coûtent cher et l’on prétendait que, de toute façon, le public n’affichait pas un profond intérêt pour la politique étrangère. Alors que ABC, l’une des trois grandes chaînes de télévision américaine, avait réduit le nombre de ses antennes à l’étranger de dix-sept à sept, Al-Jazira comptait cinquante correspondants à l’étranger dans trente et un pays [22]. Même CNN, reçu dans cent quatre-vingt-treize pays, s’est dé-mondialisé, étant passé d’une information de fond à une autre plus « légère » afin d’éviter la fuite des téléspectateurs vers des chaînes d’information en continu plus récentes. Le développement des chaînes d’information câblées signifiait aussi qu’il fallait remplir les ondes 24 heures sur 24,7 jours sur 7, ce qui a conduit les journalistes à travailler plus encore « le nez sur l’information », perdant de vue l’analyse du contexte au profit de l’anecdote. Les journalistes eux-mêmes mettaient souvent leur incapacité à couvrir correctement les événements sur le compte de ce déclin de l’information internationale et de cette demande d’informations en continu. Pour ce qui est de cette guerre, l’explication paraît insuffisante. Car les rédacteurs avaient accès à quantité de documents télévisés ou imprimés à l’étranger, qui auraient pu être utilisés pour présenter un point de vue différent sur les racines du terrorisme, le recours américain à l’unilatéralisme et la légitimité de l’opération « Liberté immuable ». Ce ne sont donc pas les coûts ou le manque d’informations sur l’actualité internationale qui ont empêché de prendre plus de recul. Il reste cependant très probable que les impératifs commerciaux, c’est-à-dire l’obligation de ne pas s’aliéner les téléspectateurs (principe fondamental de l’économie politique de la télévision) aient retenu les journalistes de la presse audio-visuelle de se démarquer du soutien quasi unanime dont bénéficiait l’opération militaire américaine. Tout s’est passé comme si la télévision grand public avait tout fait pour se prémunir des traditionnelles accusations des conservateurs qui dénoncent son « libéralisme ». Les commentateurs de la télévision ont donné des gages pour ne pas paraître décalés par rapport au consensus, et, de ce fait, toute prise de position libérale a quasiment disparu des plateaux. Des enquêtes ont montré que la chaîne Fox News, qui n’a de cesse de vanter son patriotisme, présentait environ le même pourcentage de sujets en faveur du régime (presque 80 %) que son concurrent supposé libéral CNN, et ce pourcentage se retrouvait également à PBS News Hour, une chaîne publique respectée et revendiquant pourtant son libéralisme [23].

29La note de service écrite par Walter Isaacson est l’exemple le plus extrême de ce respect des médias pour les règles du récit héroïque. Le nouveau président de CNN y donnait l’ordre à tous ses reporters de contrebalancer toute allusion aux Afghans tués par une référence aux victimes du 11 Septembre :

30

Nous recevons de bons reportages sur les territoires afghans contrôlés par les Talibans, mais nous devons aussi redoubler d’efforts pour nous assurer que nous n’ayons pas l’air de donner une version des faits qui leur soit favorable ou expose leur point de vue. Nous devons dire comment les Talibans utilisent des boucliers humains et comment ils ont accueilli les auteurs des attentats qui ont causé la mort de cinq mille innocents[24].

31D’aucuns seront tentés de mettre une déclaration aussi scandaleuse au compte des nouveaux dirigeants de CNN et de leur volonté de regagner des parts de marché. Et l’on pourrait dire des autres chaînes, dont la plupart respectaient cette même règle de l’« équilibre », qu’elles cherchaient à gagner les faveurs des téléspectateurs pour atteindre de meilleurs résultats financiers, tout comme elles l’avaient fait pendant la guerre du Golfe. Pourtant l’enjeu n’était pas seulement financier. L’apparition « spontanée » de petits drapeaux au revers des vestes des journalistes, le soutien à la politique gouvernementale et l’autocensure suggèrent que les responsables comme les reporters de la télévision ont fait bloc avec les téléspectateurs et le gouvernement dans un étouffant consensus pour la guerre en Afghanistan. Nombreux étaient ceux qui, à la télévision, partageaient le point de vue de leurs compatriotes. Cela ne veut pas dire que tous les journalistes adhéraient à ce récit héroïque simpliste ou qu’ils étaient, au moins pour un certain nombre d’entre eux, entièrement d’accord avec l’opinion publique ou avec le gouvernement. Mais ces derniers – comme d’autres – sentaient néanmoins qu’ils ne pouvaient pas le dire en public. Même les militants d’Amnesty International ont confessé que « le pays s’était uni dans un grand mouvement de solidarité avec les victimes », et qu’il leur fallait donc être « extrêmement prudents » dans leur façon de présenter à la population les problèmes de violation des droits de l’homme [25]. N’importe quel spécialiste des idéologies ou du fascisme pourrait identifier ici la phase la plus dangereuse au niveau politique : le moment où les opposants n’osent plus parler.

Les instruments de la guerre

32Il en va de même pour la guerre. Dès le 7 octobre, jour où les bombardements ont commencé en Afghanistan, moins d’un mois après les « attentats contre l’Amérique », les médias étaient prêts, soumis à des contrôles et à une censure familière en temps de guerre. L’autocensure jouait aussi son rôle. Non sans récriminations parfois, les rédacteurs des journaux télévisés ont accédé à la demande présentée sans fard par le gouvernement d’appliquer le principe de retenue et de ne pas rendre publique la deuxième cassette vidéo de Ben Laden, de peur qu’elle ne contînt des messages codés pour ses hommes. Comme le dit le vieil adage, « la première victime de la guerre, c’est la vérité ». Et Orwell avait raison lorsqu’il remarquait que la censure était plus sophistiquée dans une démocratie que sous une dictature, parce que les dictateurs peuvent facilement contrôler l’information sans avoir à la travestir.

33Le gouvernement américain doit toujours donner l’impression que les informations qu’il transmet sont complètes et véridiques, sauf si cela peut mettre en danger la sécurité nationale ou militaire. En réalité, le contrôle officiel des informations sur la guerre en Afghanistan a été plus sévère que jamais, plus restrictif que pendant la guerre du Viêt-nam ou même la guerre du Golfe, sans parler de la Seconde Guerre mondiale. Le Pentagone a même acheté toutes les photographies satellites disponibles sur le marché, pensant ainsi contrôler les informations concernant les opérations aériennes et terrestres. Plus important encore, les journalistes se sont plaints amèrement de n’avoir pas eu accès aux zones de combat pendant la guerre au sol. Il avait été décidé que les reporters ne seraient pas autorisés à se mêler aux troupes, comme cela avait été le cas au Viêt-nam (pendant la Seconde Guerre mondiale, certains reporters portaient même des uniformes militaires). Au début, ils n’ont même pas eu accès aux « pools » de journalistes accrédités, auxquels ils étaient pourtant forts mécontents d’avoir été confinés lors de la guerre du Golfe. Pendant très longtemps, le Pentagone a donc contrôlé quasiment toutes les informations sur la guerre, les administrant au compte-gouttes dans des conférences de presse en présence de généraux et du secrétaire à la Défense. Et puisque les canons du journalisme privilégient les sources officielles (surtout quand il n’y en a pas vraiment d’autres), la version officielle de la guerre a circulé dans une sorte de boucle médiatique sans fin. Les médias principaux sont donc devenus les « complices » de l’État, comme le disait Douglas Kellner dans son analyse de la construction médiatique de la guerre du Golfe [26].

34Les téléspectateurs ont donc « entendu » parler de la guerre à travers les mots des personnalités officielles et non par le truchement des journalistes. C’est ainsi qu’un animateur de radio a remarqué que le Pentagone offrait « une première version de l’histoire », tâche normalement dévolue aux journalistes. Lorsque ceux-ci ont pu visiter les lieux mentionnés par l’état-major, ils sont enfin parvenus à donner « une seconde version » [27]. L’ampleur apparemment sans précédent de ce contrôle provenait en partie du fait qu’il s’agissait d’un « nouveau type de guerre », dont les objectifs étaient ambigus (« attraper » Ben Laden, les membres d’Al-Qaïda, renverser les Talibans, les gouvernements qui accueillent des terroristes) et dont le succès était incertain. À la différence de ce que D. Kellner appelait « les épisodes quotidiens de la série Coup de force dans le Golfe » (présentés à la télévision avec la même structure dramatique qu’un film de guerre ou un événement sportif), le conflit en Afghanistan n’avait au début aucune structure narrative précise; et, plus important encore, pratiquement aucune image n’était disponible : ni scènes typiques de la guerre du Viêt-nam (hélicoptères qui atterrissent dans l’herbe, soldats qui courent, fumée épaisse d’une explosion à l’horizon [28] ) ni images high tech de missiles Scud et de « bombes intelligentes », fournies par le Pentagone lors de la guerre du Golfe. C’était une guerre télévisuelle que les téléspectateurs ne pouvaient pas « voir ».

35La censure n’en était pas la seule cause. Les images télévisées des guerres du Viêt-nam et du Golfe étaient elles aussi contrôlées par les militaires qui, bien sûr, les mettaient en scène pour obtenir un effet maximum. De plus, il est rare que les horreurs de la guerre franchissent la barrière de la censure : aucune photographie de cadavres ou de corps mutilés de soldats américains n’a jamais été montrée à l’écran ou dans la presse pendant la Seconde Guerre mondiale [29]. Mais le manque d’images sur l’Afghanistan provenait tout autant de la nature même des combats aériens et terrestres que de la censure ou de ce fameux « brouillard de guerre » qui voile la vérité. Des vols nocturnes de bombardiers furtifs, des drones, des bombes invisibles (pas si) intelligentes, des cibles repérées grâce à des lunettes à infrarouge : les bombardements n’ont pas produit beaucoup d’images. À terre, les Forces spéciales opéraient en secret, sans aucun journaliste pour témoigner de leur action ou prendre des photographies. La technologie tout comme la technique de cette guerre étaient destinées à ne pas être vues, non seulement pour des raisons militaires mais aussi à des fins de propagande. Une telle guerre devait servir à persuader le public américain (qui s’était montré très hostile aux interventions militaires des années 1990) que les guerres du XXIe siècle pouvaient être menées sans sacrifier de vies américaines et avec un minimum de pertes civiles au front. Pour reprendre les termes de Paul Virilio, il y avait là une « dématérialisation de la guerre », mais, plus encore que sa dimension high tech ou virtuelle, il me semble que la véritable particularité de celle-ci est qu’elle soit restée invisible [30].

36On était loin de manquer d’images pourtant, car l’Afghanistan était soudain devenu le point de mire de l’actualité. Et tandis que l’on voyait apparaître les camps de réfugiés, les familles ruinées et les villages ravagés par les Talibans (jamais par les Américains), le récit télévisé de la guerre prenait une autre dimension. Un autre sujet phare : « la libération de l’Afghanistan », venait s’ajouter au récit héroïque initial de la lutte contre le mal, celle-là ne pouvant aboutir rapidement à une conclusion satisfaisante. Alors que les Américains ne mentionnaient presque jamais le rôle des États-Unis dans l’accession au pouvoir des Talibans, la guerre s’est « terminée » par le renversement du régime en novembre 2001. Et le gouvernement américain a déclaré la victoire, alors même que les combats – high tech ou non – se poursuivaient sans faiblir.

37Tandis que la télévision adaptait la guerre à ce nouveau scénario de libération, les reportages tendaient à redevenir plus ordinaires, les sujets traditionnels revenant au premier plan. Des visages arborant de larges sourires, des hommes « libres » de se couper les cheveux, des femmes « libres » de retirer leur burkha, la musique résonnant à nouveau dans les rues, le football de retour dans le stade (« où autrefois les Talibans pendaient leurs victimes »), les jours fériés de nouveau fêtés... C’était une guerre avec un happy end. Il y avait dans ce mode de traitement télévisuel de l’actualité auquel les journaux s’étaient ainsi rangés une « reféminisation » du récit tout à fait remarquable. La rhétorique présidentielle va-t-en-guerre se diluait quelque peu derrière « l’Axe du mal » et « les armes de destruction massive ». Désormais, le calvaire et la libération des Afghanes devenaient le sujet principal, la préoccupation de tous, à droite comme à gauche, depuis le très républicain First Lady jusqu’aux militants progressistes des Droits de l’homme, en passant par les féministes. Les libérateurs américains continuaient bien sûr à affirmer sur un mode colonial classique leurs métaphores viriles. Mais cette importance soudain accordée au devenir de la société afghane et à celui des femmes en particulier remettait la guerre en prime time tout en transformant le récit type « guerre de vengeance » en un discours « triomphe de la liberté à l’américaine ». En résumé, « nos gars » avaient gagné.

38Une autre question se pose alors : qui regardait encore la télévision ? Du côté des téléspectateurs aussi, les choses avaient changé. Ceux qui, après le 11 Septembre, étaient restés devant leur poste de manière obsessionnelle sont revenus à leurs anciennes habitudes. Et la fascination pour l’actualité internationale ou pour un sujet continuellement repris n’en faisait pas partie. On a ainsi rapporté que l’animateur vedette d’une émission matinale se serait demandé si l’audience n’avait pas chuté parce que l’émission avait « trop longtemps parlé de la guerre [31] ». Chaque information a une durée de vie comparable à celle d’une série télévisée et, aux États-Unis, qu’il s’agisse d’O. J. Simpson, de Monica Lewinsky ou de la guerre contre le terrorisme, tout sujet a une durée de vie limitée [32]. Même avec les grands reportages d’information-spectacle, l’Afghanistan n’a jamais attiré autant de téléspectateurs que le terrorisme, sauf de manière épisodique quand un Américain était tué. Face à la guerre, les téléspectateurs étaient donc à la fois différents et moins nombreux. De plus, ils n’étaient pas soudés par l’action de socialisation des téléspectateurs dans leur réponse collective. La plupart des Américains, « d’un coup de télécommande », pouvaient facilement fuir les informations et, ce faisant, continuer à croire aux différents récits héroïques combinés, tandis que le consensus général en faveur de la guerre contre le terrorisme restait apparemment entier et incontesté.

39Quand le public cesse de regarder la télévision, les impératifs économiques se font pressants et la recherche de nouvelles informations devient extrêmement urgente. Les professionnels de la télévision (les suits – ceux qui sont en costume –, selon l’expression consacrée) et les rédacteurs savent qu’un sujet sur les pertes civiles, les combats des alliés ou la corruption de la police pakistanaise peuvent faire remonter l’audience. Et les journalistes sont toujours à l’affût de bons sujets, quelles que soient les circonstances. Pourquoi a-t-il donc fallu tant de temps pour que, sur les chaînes principales, le silence qui entourait le nombre des civils tués soit brisé ? La censure y était pour quelque chose. Il n’a jamais été question des civils irakiens tués pendant la guerre du Golfe avant la fin de celle-ci, et encore les chiffres étaient-ils inexacts. Mais c’est aussi parce que le consensus en faveur de la guerre contre le terrorisme a étouffé toute voix dissonante. La presse internationale avait déjà chiffré depuis des mois le nombre des victimes civiles afghanes et, à partir de ces chiffres, un professeur américain a donné une prudente estimation de quatre mille morts du fait des raids américains, des missiles et des bombes à fragmentation [33]. Ce n’est finalement qu’à l’occasion d’un raid tardif en janvier 2002 (quand les reporters américains ont découvert que les combattants talibans tués par les Forces spéciales américaines n’étaient en fait pas des Talibans) qu’on s’est mis à évoquer des pertes civiles. Même si des organismes de contrôle des médias ou certains groupes pacifistes avaient donné le nombre des victimes afghanes à travers d’autres médias ou par internet, il en était encore bien peu question dans les journaux télévisés. Les médias dominants restaient en fin de compte bien... dominants.

40Le problème de l’expression des opinions divergentes dans les médias est donc complexe. Les chercheurs s’accordent depuis longtemps à dire que les déclarations, très souvent citées, proférant que la guerre du Viêt-nam « s’est jouée sur les écrans et non sur les champs de batailles » ne sont rien d’autre qu’un mythe [34]. Dans les premiers moments des guerres du Viêt-nam et du Golfe, les médias soutenaient l’effort de guerre à l’image de l’opinion publique et produisaient des reportages chauvins sur les opérations américaines. Il en a été de même pour le conflit en Afghanistan. Lors de la guerre du Viêt-nam, c’est plus tard que le ton et les images sont devenus critiques, après les échecs, le fléchissement du moral des troupes engagées, les révélations sur les manœuvres politiques de Washington, les mouvements de protestation et la désaffection du public – phénomènes qui ont tous été retransmis par les médias. Cette prise de position était autant le fruit de l’influence des médias sur le public que du public sur les médias. Le présentateur Walter Cronkite s’en était fait l’écho sur CBS en 1968, quand il affirma que la guerre était « ingagnable ». On a dit, par la suite, que c’était bien la première fois qu’un « présentateur pouvait déclarer la fin de la guerre » En fait, ses propos ne faisaient qu’entériner le retournement déjà sensible de l’opinion américaine [35].

41L’exemple du Viêt-nam donne une idée à la fois du pouvoir d’un moyen de communication de masse et de ses limites à s’inscrire en faux contre les opinions générales d’une époque, qu’elles soient sociales ou politiques. Si, comme certains le prétendent, la télévision est « un des vecteurs fondamentaux de la connaissance commune », alors il faut insister sur les deux derniers mots [36]. « Commun » ne signifie pas universel, car chaque spectateur interprète les contenus différemment; c’est un peu comme le sens commun qui se présente souvent comme objectif et indiscutable pour les spectateurs qu’il cherche à attirer. Tant que le consensus en faveur de la guerre contre le terrorisme semblait fort, il était peu probable que les journalistes de la télévision s’aventurassent seuls sur les chemins « hors du commun » de la critique. Des journalistes de la télévision américaine parlaient de cette situation de manière hyperbolique : comment faire lorsque 98 % de la population perçoit les choses d’une certaine manière et que seuls 2 % la perçoivent autrement, comme c’était le cas en 2001 et au début de 2002 [37] ? Même si les voix de la contestation, à l’instar de Noam Chomsky par exemple, représentaient en fait plus de 2 % de la population, elles étaient toujours plus entendues à l’étranger qu’aux États-Unis, dans les médias de moindre ampleur ou, de plus en plus souvent, sur internet. Cette guerre est « la première guerre par internet », a-t-on pu dire, même si la tendance s’était amorcée avec le conflit en Bosnie et s’est depuis développée de manière rapide à travers le pays et au-delà des frontières nationales. Si un nombre suffisant d’opinions contraires se fait entendre sur internet et dans la rue, alors la télévision en rendra compte aussi, bien qu’elle ait jusqu’à présent minimisé ou ignoré le rôle des manifestations pacifistes et les autres formes de protestations émises par ces « 2 % ».

42Des changements survenus dans le paysage médiatique mondial ont aussi affecté la façon dont les médias fonctionnaient comme instrument de guerre. Si, pendant la guerre du Golfe, CNN a constitué la principale source d’information transnationale, désormais Al-Jazira atteignait par satellite l’ensemble du monde musulman, les diffusions par micro-satellite visaient des communautés éparses dans leur propre langue et il existait enfin toute une kyrielle de chaînes de télécommunications globales ou locales. On a certes vu apparaître, dans cette « guerre d’un nouveau type », des changements au niveau militaire et médiatique qu’on peut considérer comme un prolongement de ceux amorcés au XXe siècle. Mais il est aussi possible que les récentes évolutions du paysage médiatique global introduisent une différence substantielle dans la façon dont une superpuissance du XXe siècle comme les États-Unis réussit ou échoue à mener à bien une guerre de ce genre au XXIe siècle.

La guerre et la mémoire à construire

43Même si Thucydide est mort avant que la guerre du Peloponnèse ne soit passée de l’histoire à la mémoire, il n’aurait pas reconnu cette distinction que nous opérons aujourd’hui. C’est parce que le problème de la guerre et de la mémoire est, à l’heure actuelle, d’une importance cruciale, que je me risque à m’éloigner maintenant de l’histoire du temps présent et de l’ethnologie des médias pour essayer de spéculer sur le futur du passé. Cette démarche est encore plus inconfortable pour un historien que celle qui consiste à témoigner du présent. Je voudrais ici m’interroger sur la façon dont la guerre contre le terrorisme pourrait être re-racontée et re-transmise dans la mémoire collective au cours des prochaines années. Étant donné qu’il n’y a pas de réponse toute faite à ce genre de question, je ne peux faire mieux que d’offrir quelques pistes à partir de ce que je connais de la guerre et de la mémoire au XXe siècle et, en particulier, de la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale ainsi que du rôle qu’ont joué les médias visuels pour la construire et la transmettre.

44La « guerre contre le terrorisme » est d’abord entrée dans l’histoire sous la forme d’un récit héroïque qui, par définition, avait une intrigue extrêmement simpliste, une « mono-intrigue historique ». Voici quelques exemples tirés de la Seconde Guerre mondiale : les Japonais ont été entraînés dans une guerre catastrophique par leurs dirigeants, l’Autriche a été la première victime du nazisme, les Américains ont mené une guerre juste, l’Indonésie a été libérée des colons hollandais. Et ainsi de suite... Or ces intrigues manichéennes renvoyaient à la fois au passé et au futur lorsque l’après-guerre les a confirmées (lorsque le Japon, par exemple, est devenu pacifiste et démocratique). Et les récits héroïques se sont d’autant plus ancrés dans l’imaginaire collectif qu’ils confirmaient le statu quo. Cela a contribué à leur donner cette stabilité extraordinaire qui a duré, dans la plupart des cas, plusieurs décennies.

45Le récit héroïque de l’Amérique partie en guerre contre le mal a commencé avec le 11 Septembre, sur lequel s’est greffée l’intrigue secondaire de la libération de l’Afghanistan. Certes, la guerre n’est pas finie et elle dépend des décisions ultérieures des États-Unis. Dans le cas du Viêt-nam, l’histoire officielle a commencé à perdre du terrain pendant le conflit, et sa remise en question sur le sol américain a contribué à faire cesser les combats. Si les États-Unis étendent la guerre à l’Irak et à d’autres pays encore, il est possible que le consensus populaire créé par le choc du 11 Septembre se brise enfin. Mais, même dans ce cas, on peut s’attendre à ce que la lutte contre le terrorisme maléfique, avec ses relents d’absolutisme du temps de la guerre froide, reste longtemps dans la mémoire des Américains. Les mises en garde répétées du gouvernement annonçant l’imminence de nouvelles attaques terroristes ont d’ailleurs contribué à conforter le récit. Et, si les soi-disant efforts de reconstruction nationale de l’Afghanistan échouent, l’intrigue secondaire pourrait bien disparaître. Mais, dans ce cas, ce sera l’Afghanistan et non les États-Unis que l’on tiendra pour responsable. L’histoire centrale survivra néanmoins, principalement parce que le nationalisme qui engendre ces récits héroïques ramène toujours l’intrigue principale à l’intérieur des frontières. Peu importe que le conflit majeur du milieu du XXe siècle ait été une deuxième guerre mondiale, il est, à ce jour, encore essentiellement présenté dans sa dimension nationale dans chacun des pays concernés. « La guerre de l’Amérique contre le terrorisme » se nourrit de la ferveur patriotique pour justifier ses opérations, qu’elles soient unilatérales ou non, une ferveur alimentée par cette histoire très simple : celle de la liberté qui se défend quand elle est attaquée.

46Les récits héroïques de la Seconde Guerre mondiale se sont souvent focalisés sur la notion de victime. Ainsi, les Allemands se sont vus comme une nation de victimes aux mains de quelques malfaisants, tandis que les Japonais se sont dits trompés par leurs leaders. La guerre américaine actuelle a elle aussi commencé avec des victimes « américaines », celles du 11 Septembre, dont les souffrances ont été au cœur d’une histoire du peuple. Ces dernières ont ramené l’expérience nationale « à la maison », au sens littéral du terme, en établissant le lien entre les victimes, les gens ordinaires et la vie quotidienne. Si l’on considère à l’aune du passé cette importance accordée aux victimes dans les premiers moments de la mémoire d’une guerre, deux points se dégagent. D’abord, une absence de lien entre les histoires individuelles de la souffrance nationale et les causes plus générales de la guerre ou, ici, des attentats. L’insistance sur les souffrances occulte un besoin d’explication analytique qui irait plus loin que le mono-scénario historique du récit héroïque. L’enchaînement des événements antérieurs qui pourraient expliquer les causes de la « catastrophe » est hors sujet du point de vue des victimes, car elles n’étaient pas « responsables ». Pour dire les choses autrement, ces drames humains contribuent à maintenir le souvenir, mais l’histoire en sort perdante. Tandis que les victimes du 11 Septembre refusent, comme on peut le comprendre, que le public se désintéresse de leur douleur, leur souffrance permet à d’autres d’affirmer que la haine qui a motivé les attentats rend inutile l’analyse historique des opérations américaines à l’étranger, des doléances des Arabes, du terrorisme islamiste et de tous les autres éléments d’un passé plus complexe.

47Une deuxième et évidente conséquence est que seules certaines victimes sont incluses dans le média dominant de la mémoire collective. Après la Seconde Guerre mondiale, une hiérarchisation des victimes s’est établie dans de nombreux pays, mettant l’accent sur certaines d’entre elles et laissant les autres dans l’oubli. De telles hiérarchies préférentielles se retrouvent partout. En France, en Belgique et ailleurs, parmi ceux qui rentraient des camps de concentration, on s’intéressait davantage aux prisonniers politiques qu’aux Juifs. En Allemagne, l’accent allait plus sur le malheur des personnes déplacées des régions orientales que sur celui des femmes violées par les soldats de l’Armée rouge à Berlin. Au Japon, on parlait des femmes et des enfants qui avaient souffert de la faim pendant la guerre plus que des millions de rapatriés de l’empire. Et cela sans parler des victimes ennemies, auxquelles il n’est presque jamais fait allusion. C’est pourquoi celles de la guerre contre le terrorisme sont restées hors du cercle de la mémoire collective, qui s’est limité aux événements du 11 Septembre. Ces victimes, ce sont les Américains ayant souffert des préjugés et du non-respect de leurs droits civiques, les étrangers emprisonnés de façon illégale et jugés à la va-vite, les Afghans pris au piège de la violence et de la guerre, etc. Les exemples du passé nous montrent qu’il faudra attendre des années et même des décennies avant qu’ils ne soient publiquement pris en compte dans la mémoire collective, et cette prise en compte peut même ne jamais se produire.

48En dépit de la puissance et de la durée aussi bien du récit héroïque que des histoires du peuple, le temps apporte cependant des changements. Il n’est pas inutile d’examiner la façon dont ces changements sont induits – ne serait-ce que pour les aider à se produire plus vite. Les médias, qui ont joué un rôle si important dans la transmission au public des histoires de guerre, tiennent une place toute aussi majeure, bien que différente, dans le processus de transformation de la mémoire collective de la guerre. Une de ces différences tient évidemment au fait que les médias ne sont plus soumis à une fièvre consommatrice (dont ils bénéficient aussi) ou au contrôle politique en temps de guerre. Une autre différence tient au fait que le terrain de la mémoire collective est contesté socialement alors que les récits de guerre, eux, ne le sont pas. En effet, c’est précisément le caractère totalisant et exclusif du récit héroïque qui provoque la contestation sociale, puisque d’autres groupes cherchent à faire reconnaître leur propre expérience dans le cadre de la mémoire collective. De plus, les mass media ne constituent qu’un des nombreux agents pour contester le paysage mémoriel, et leur rôle doit être évalué en prenant en compte les discours de mémoire émanant de l’État, des écoles, des organisations civiques, de la culture populaire et des expressions individuelles d’un grand nombre d’histoires personnelles.

49Les changements de la mémoire dépendent de tout un faisceau de facteurs, rarement d’une source unique ou d’une seule forme de révélation. Avec le temps, de nouveaux faits « apparaissent » et menacent de compliquer le récit. Dans le cas d’Hiroshima et de Nagasaki, par exemple, le mono-scénario historique initial, en Amérique, stipulait que « les bombes atomiques avaient mis un terme à la guerre et sauvé des vies américaines », un point, c’est tout. À mesure que les conséquences des bombardements ont été révélées, l’histoire parut de moins en moins simple, jusqu’à devenir vraiment complexe lors de la confrontation nucléaire pendant la guerre froide. Une nouvelle conscience des dangers de l’atome a alimenté les mouvements anti-nucléaires américains à partir de la fin des années 1950, puis à nouveau dans les années 1970 et 1980, et c’est dans ce contexte que les enfants apprennent à l’école : « Plus jamais Hiroshima ! ». Pourtant, la polémique qui a suivi l’exposition sur l’Enola Gay au Smithsonian Institution, en 1995, a montré qu’il ne suffit pas que le public sache pour que le récit héroïque soit remis en cause [38]. Presque cinquante ans après la guerre, l’ancien scénario historique à intrigue unique apparaissait sur un timbre postal américain montrant le champignon atomique. On pouvait y lire : « Les bombes atomiques précipitent la fin de la guerre, août 1945. » Il n’y avait pas de place sur un timbre pour la complexité de l’ère nucléaire : pas de place, en somme, pour l’histoire [39].

50La presse écrite et audio-visuelle avait joué un rôle central dans la transmission des informations qui ont aidé les Américains à changer d’attitude face à la bombe. D’ailleurs, elle a continué à jouer ce rôle en rendant compte des controverses de 1995, en travaillant peut-être à empêcher de futures versions timbrées de l’holocauste nucléaire. Mais le véritable travail a été fait par les scientifiques, les militants anti-nucléaires, les réalisateurs de films et bien d’autres, y compris les journalistes. En 1982, une manifestation massive contre les armements nucléaires eut lieu à New York, réunissant sept cent mille personnes. En 1983, une des trois grandes chaînes de télévision a diffusé The Day After, une fiction sur les séquelles d’une attaque nucléaire contre les États-Unis, qui a attiré 38,5 millions de téléspectateurs, c’est-à-dire la plus grosse part d’audience qu’un téléfilm ait jamais recueilli [40]. Ces deux événements n’étaient pas étrangers l’un à l’autre, puisque ce sont les militants contre l’arme atomique qui ont persuadé les dirigeants de la chaîne de télévision que le cauchemar nucléaire, version soap-opéra, passerait très bien le dimanche soir en prime time (il semble pourtant qu’ils aient aussi insisté pour que l’aspect visuel des horreurs contenues dans le script soit atténué). Ici on pourrait dire que les médias étaient encore en phase avec le public mais, cette fois-ci, dans la construction télévisuelle de la critique plutôt que dans celle du consensus. Et, bien entendu, quand la question du nucléaire a déserté la rue pendant les années Reagan, elle a aussi disparu de la télévision. En 1993, un historien pouvait déclarer : « Pour la plupart des gens, Hiroshima est une affaire classée [41] », du moins jusqu’en 1995, quand la polémique autour de l’Enola Gay éclata et conduisit les médias à s’intéresser de nouveau au problème.

51On pourrait imaginer de nombreux nouveaux faits capables de bousculer – et même de saborder – le récit héroïque de la guerre contre le terrorisme. Un compte rendu honnête du nombre des civils afghans tués pourrait, par exemple, faire la différence, parce que la mort d’innocents, qu’ils soient victimes de bombes, de fusillades, de nettoyage ethnique, de massacres ou de génocides est devenue un enjeu contemporain extrêmement important. Il semble désormais que la grande nouveauté des combats du XXe siècle ne soit pas la technologie de la guerre mais l’augmentation constante et alarmante du nombre des pertes civiles, depuis la Première Guerre mondiale, où 9/10 des morts étaient des soldats, jusqu’aux conflits des années 1990, où 9/10 des victimes étaient des civils [42]. Et cela sans parler des horreurs « plus traditionnelles » des génocides rwandais et cambodgiens et autres guerres civiles (qui ont causé la mort de bien plus de personnes que ne l’ont fait les guerres aériennes actuelles). De nos jours, faire connaître l’ampleur des souffrances des civils permettrait au moins d’élargir le cercle des victimes, même si cela ne renverse pas la hiérarchie au sommet de laquelle se trouvent les victimes nationales du 11 Septembre. De la même façon que la révélation du massacre de My Lai au Viêt-nam ou celle des tueries de Srebrenica en Bosnie, cela pourrait aussi éveiller la conscience de téléspectateurs.

52Parlant de ce qu’il appelle « l’éthique de la télévision », Michael Ignatieff écrivait que « la télévision était devenue le média privilégié par lequel, dans le monde moderne, on établit des relations morales entre étrangers ». Et le fait de « voir » les tragédies humaines causées par la famine, les génocides, ou la guerre déclenche parfois la compassion et peut même pousser à réagir. C’est dans cette mesure que la télévision peut apporter un témoignage moral à travers lequel les téléspectateurs qui se trouvent dans des « zones de sécurité » deviennent les témoins indirects des souffrances de ceux qui vivent dans des zones de misère. Mais M. Ignatieff ajoute aussi :

53

Les images de la télévision n’affirment rien. Elles peuvent simplement illustrer quelque chose. Les images de la souffrance humaine n’affirment pas leur propre signification : elles peuvent seulement réveiller un impératif moral, si ceux qui regardent comprennent qu’ils ont des obligations morales à l’égard de ceux qu’ils voient[43].

54Face à cette interaction entre la télévision et les téléspectateurs, on en revient donc à la métaphore de la poule et de l’œuf. Les horreurs télévisées peuvent faire réagir les téléspectateurs de manière positive, causer leur écœurement ou entraîner une réaction de rejet. Ce que M. Ignatieff appelle « le pouvoir moral de la télévision » ne fonctionne que grâce à la socialisation de la culture des téléspectateurs. Il ne peut se passer non plus d’un substrat de valeurs qui engage les téléspectateurs à compatir aux misères de ceux qu’ils voient à la télévision. De la même façon que les aspirations anti-nucléaires constituaient une réponse morale au phénomène nucléaire et relevaient d’un sentiment de responsabilité face aux conséquences de l’utilisation de l’arme atomique, la compréhension des conséquences humaines de la guerre contre le terrorisme requiert à la fois une connaissance transmise par les mass media et une propension sociale à se considérer comme personnellement responsable.

55En résumé, les changements de la mémoire ne proviennent pas de la télévision, même s’ils sont illustrés par elle. Les variations de la mémoire de l’Holocauste en Europe, par exemple, ont été le fruit des différentes forces qui ont travaillé à ce changement tout comme de la télévision qui les a imprimées dans la conscience collective. Les victimes juives du génocide nazi n’étaient pas placées bien haut dans la hiérarchie des victimes pendant les premières années de l’après-guerre. Et cela pour deux raisons : l’antisémitisme persistant, et la difficulté des survivants à parler de leur expérience de l’horreur. De plus, les Juifs ne figuraient pas vraiment dans les deux récits héroïques allemands, à l’Ouest comme à l’Est. Cependant, à partir des années 1990, l’Holocauste, victimes juives et non juives comprises, est devenu un élément central de la mémoire allemande et de celle de nombreux pays européens et des États-Unis. De nombreuses forces ont été à l’origine de ce changement : la géopolitique européenne et les efforts de l’Allemagne pour y retrouver une place, les relations germano-israéliennes, la politique intérieure allemande et le changement de génération, le militantisme de la communauté juive internationale, les changements sociaux et religieux aux États-Unis, la politique américaine au Moyen-Orient, etc.

56Presque dès le départ, ce sont les témoignages visuels qui ont favorisé l’émergence d’une mémoire de l’Holocauste. Au cours des années 1940, la « vérité monstrueuse » des camps de concentration était révélée par des photographies dans les journaux, par des séquences de films montrés dans les actualités et projetés au procès de Nuremberg. Les films documentaires ont suivi et sont devenus un genre de mémoire cinématographique d’importance. Le procès d’Eichmann, le premier pour crimes de guerre télévisé de l’histoire, a été « joué » de manière tout à fait consciente par les juges israéliens. « La télévision de l’Holocauste » a pris la forme de séries dramatiques, apparues aux États-Unis dans les années 1950 et qui ont proliféré par la suite. De manière générale, les drames – films ou téléfilms – furent le genre qui eut le plus d’impact sur la perception de l’Holocauste par le public. Le journal d’Anne Frank, par exemple, a été joué à travers le monde dès les années 1950. À la fin des années 1970, la série télévisée Holocauste a été vue par quelque cent vingt millions de personnes, en ne comptant que les téléspectateurs américains, allemands et autrichiens. Et, dans les années 1990, La liste de Schindler a permis à « l’histoire de l’Holocauste » d’être portée à l’attention d’un public particulièrement large regroupant les générations et les pays les plus divers (comme seul Hollywood sait le faire) [44].

57L’influence des drames télévisés sur la mémoire de l’Holocauste a eu des conséquences significatives. Nombre d’entre eux (mais pas tous) adoptaient le point de vue des victimes et plaçaient les familles et les individus au cœur de l’action. Il s’agissait d’histoires individuelles, plutôt des Juifs que des Français ou des Allemands, mais l’accent était toujours porté sur la vie ordinaire dans une époque qui sortait de l’ordinaire. Les fictions télévisées tiraient extrêmement bien parti de l’intimité du petit écran en projetant le génocide « à la maison » et en racontant les événements sur le mode du soap-opéra. De ce fait, les histoires personnelles étaient coupées des processus plus généraux engageant les responsabilités sociales et politiques. Une fois encore, la mémoire était privilégiée au détriment de l’histoire. Et pourtant, c’était sans doute précisément cette représentation au plus près des individus et de leurs émotions qui a fait réagir les téléspectateurs et leur a permis de percevoir le lien moral qui les attachait aux victimes – si ce n’est aux bourreaux – de l’Holocauste.

58Si tel est le cas, les histoires de la guerre contre le terrorisme ont encore du chemin à parcourir. Le documentaire diffusé le 10 mars 2002 aux États-Unis, six mois après la tragédie, a attiré quarante millions de téléspectateurs, ce qui représente un record d’audience pour « un événement non sportif en cette saison ». Monté à partir d’un étonnant reportage tourné par deux caméramans français, les frères Naudet, qui se trouvaient à proximité immédiate, le documentaire suivait une équipe de pompiers qui s’étaient précipités dans les tours en feu et prêtes à s’écrouler. Les journaux ont rapporté que le pays a regardé le film « cloué sur place » par la bravoure des pompiers et par l’épreuve traversée par l’un d’entre eux, une nouvelle recrue, dont l’histoire est devenue « notre histoire », tandis que l’on nous rappelait que « notre pays est toujours un pays en guerre [45] ». Même s’il s’agissait d’un documentaire, le film avait la structure d’une fiction prise dans un « temps automatique » (comme si nous regardions les événements se dérouler sous nos yeux) et se concentrait sur les gens ordinaires, sur fond de récit héroïque de représailles – mais distancié. Il est bien sûr trop tôt dans l’histoire de la mémoire de cette guerre pour que l’on puisse attendre autre chose de la part de la télévision. La prise de conscience, en fin de compte, doit venir des téléspectateurs qui, pour le moment, ont montré une très faible propension à considérer l’impact de « la guerre contre le terrorisme » sur d’autres qu’eux-mêmes.

La culture des médias et nous

59On a qualifié la culture des médias de « hiéroglyphes de la vie sociale contemporaine », ce qui suggère la nécessité de décrypter sa signification à l’intérieur d’un système complexe, voire obscur, d’inscriptions culturelles [46]. De nombreux théoriciens semblent avoir exagéré la puissance des médias, leur pouvoir de contrôle et de manipulation ou, au contraire, leur capacité d’offrir une tribune aux contestataires ou encore leur propension à tirer le voile virtuel du simulacre sur la réalité sociale. Peut-être cela vient-il du fait que nous aspirons à découvrir un topos du pouvoir qui nous permette de comprendre pourquoi les choses sont telles qu’elles sont (ou pourquoi elles ont pris une aussi mauvaise tournure). Tout se passe comme si, en cherchant le magicien d’Oz derrière le rideau, on trouvait les médias.

60Je pense qu’il n’y a pas de magicien. Rien que nous et nous seuls. Mon essai d’ethnographie suggère que les réseaux de sens véhiculés par les médias sont coproduits dans une interaction – ou une collusion – particulièrement complexe entre les producteurs capitalistes, les consommateurs, les acteurs politiques et économiques, les élites pensantes et l’État, tous placés dans le contexte d’une époque spécifique. Le résultat est moins un ensemble obscur de hiéroglyphes qu’une « connaissance commune » produite, contestée et révisée en permanence et dont nous sommes tous en partie responsables. Accuser les médias, c’est adopter la même attitude que lorsqu’on accusait l’Église il y a quelques siècles : les intellectuels et les critiques choisissent une cible facile afin de situer le lieu du problème hors de portée de leur action. Si la télévision construit le monde en se posant comme témoin des événements, et si les téléspectateurs sont les témoins indirects de cette construction, alors les critiques de télévision deviennent des méta-témoins et la tâche qui leur incombe n’est pas seulement de critiquer mais aussi de contribuer à l’activation d’une conscience morale qui peut influer à la fois sur les médias et sur la société.

61De plus, il apparaît clairement que les structures des médias ont énormément changé au cours du siècle dernier et qu’elles continuent encore à évoluer. La télévision, qu’on peut considérer comme le moyen de communication par excellence de ces cinquante dernières années, n’est plus seulement un média de masses, mais aussi un média de minorités qui atteint un public de plus en plus segmenté. Par delà les frontières nationales, le champ d’action du petit écran se trouve aujourd’hui tout à la fois réduit et élargi. Des genres qui avaient autrefois une influence s’étiolent alors que d’autres prennent la relève. La fonction jouée par la télévision (et les films) dans l’idéologie et la mémoire en temps de guerre, au XXe siècle par exemple, n’est probablement qu’un artefact historique construit par ces médias, dont l’heure de gloire est passée, tout comme cela a été le cas pour les pamphlets dans la France d’avant la Révolution, ou pour la radio dans les années 1930-1940. Cela ne veut pas dire que ces formes sont vouées à la disparition mais plutôt que leur relation au pouvoir et à la connaissance est différente de ce qu’elle fut. De ce point de vue, l’événement médiatique du 11 Septembre aux États-Unis marque probablement un retour provisoire aux schémas anciens de la télévision de masse, provoqué par le choc visuel des avions s’écrasant sur les tours et de leur effondrement. Il se pourrait bien que les futures constructions médiatiques de la guerre ou celles d’autres phénomènes rencontrent un écho socialement plus fragmenté, soient moins facilement codifiables et plus difficiles à saisir – l’image serait non tant celle d’un téléspectateur qui zappe d’une chaîne à une autre dans un bouquet limité, que celle d’un internaute naviguant frénétiquement de lien en lien sur l’immensité de la toile qui porte le nom étrange de World Wide Web.

62Mis à part les médias, il reste la guerre. À la différence d’un Thucydide certain de parler d’un conflit considéré comme la plus grande crise de l’histoire des Grecs et dont les conséquences se faisaient sentir sur « l’humanité entière », la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis, tout en étant certes une grande perturbation, ne constituera probablement pas une grande guerre dans l’histoire contemporaine. Le récit héroïque qui la légitime est déficient sur le plan historique et souffre de myopie nationaliste. Comme tous les récits de ce type, il manque cruellement de mise en contexte et de complexité. Puisque ces phénomènes mettent du temps à mûrir, nous devons accélérer le processus de prise de conscience du public et faire contrepoids au consensus général qui prévaut aujourd’hui aux États-Unis. Mais tout effort en ce sens doit être réalisé au grand jour, là où les gens peuvent le « voir », c’est-à-dire non pas bien à l’abri dans une revue scientifique, mais, visible à l’extérieur, dans les médias de masse, puisque c’est là que s’écrivent ces histoires, que la mémoire de la guerre peut être contestée et que les responsables doivent rendre des comptes.

63Traduit par Émilie Souyri


Mise en ligne 01/02/2003

Notes

  • [1]
    RICHARD W. WIGGINS, « The Effects of September 11 on the Leading Search Engine », First Monday, 7-10, octobre 2001 and<www. firstmonday. org/ issues/ issue10/ wiggins/index.html>.
  • [2]
    Sur la forme graphique, rythmique, narrative, voir WILLIAM URICCIO, « Television Conventions », Television Archive, 16 septembre 2001 <http ://tvnews3.televisionarchive. org/tvarchive/html/articlewu1.html>.
  • [3]
    L’expression est de Herbert Butterfield. Voir également CAROL GLUCK, Past Obsessions : War and Memory in the Twentieth Century, New York, Columbia University Press (à paraître).
  • [4]
    PETER GOLDING et GRAHAM MURDOCK, « Culture, Communication and Political Economy », in J. CURRAN et M. GUREVITCH (éds), Mass Media and Society, New York, St Martin’s Press, 1996, pp. 15-32.
  • [5]
    PETER DAHLGREEN, Television and the Public Sphere : Citizenship, Democracy and the Media, New York, Sage Publications, 1995, p. 29.
  • [6]
    GREG JOHNSON, « Coverage cost nears $1 billion », Los Angeles Times, 20 septembre 2001.
  • [7]
    En novembre, le câble était remonté à 53 % et les chaînes hertziennes avaient de nouveau chuté (« Terror Coverage Boosts News Media’s Images But Military Censorship Backed », The Pew Research Center for the People and the Press, 28 novembre 2001.
  • [8]
    Le trafic hebdomadaire moyen des dix plus grands sites d’information sur internet avait augmenté de près de 100 % le 25 octobre. Sur CNN.com, on comptait une moyenne de cent millions de pages ouvertes par jour (RICHARD STENGEL, « The First Internet War », Time.com, 25 octobre 2001).
  • [9]
    JACQUES DERRIDA, « The Work of Mourning », Conférence publique à l’université de Columbia, 5 octobre 2001; voir aussi ID., « La langue de l’étranger », 22 septembre 2001, Le Monde diplomatique, janvier 2002, pp. 24-27.
  • [10]
    MARGARET WEIGEL, « Terrorism and the Sublime, or why we keep watching », Television Archive, 17 septembre 2001. http ://tvnews3.televisionarchive.org/tvarchive/ html/article_mw1.html; MARK SELTZER, Serial Killers : Death and Life in America’s Wound Culture, Londres, Routledge, 1998.
  • [11]
    RICHARD DIENST, Still Life in Real Time : Theory after Television, Durham, Duke University Press, 1994, p. 64.
  • [12]
    Ibid., pp. 159-165.
  • [13]
    PAT AUFDERHEIDE, « All-too-reality TV : Challenges for TV Journalists After September 11 », Journalism, 3-1, avril 2002, pp. 7-12.
  • [14]
    Sur les soap-opéras, dans un contexte différent, voir LEO BRAUDY, « Popular Culture and Personal Time », Yale Review, 71,1982, pp. 481-498.
  • [15]
    DANIEL DAYAN et ELIHU KATZ, Media Events : The Live Broadcasting of History, Cambridge, Harvard University Press, 1992, pp. 211-213; JOHN FISKE, Media Matters : Everyday Culture and Political Change, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1992.
  • [16]
    GEOFF MAYER, « “A Stab in the Back on a Sunday Morning”: The Melodramatic Imagination and Pearl Harbor », in T. BARTA (éd.), Screening the Past : Film and the Representation of History, Westport, Praeger, 1998, pp. 83-92, ici p. 86.
  • [17]
    Voir PIERRE BOURDIEU, Sur la télévision, Paris, Liber, « Raisons d’agir », 1996.
  • [18]
    RON LEMBO, Thinking Through Television, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, pp. 100-103.
  • [19]
    La dénomination elle-même de la guerre contre le terrorisme : « Opération justice infinie », victime de semblables critiques, n’a tenu que vingt-quatre heures (entre les 19 et 20 septembre), remplacée dès le 25 par sa nouvelle appellation : « Liberté immuable » (Enduring freedom), nom officiel de la campagne en Afghanistan.
  • [20]
    L’expression est de REY CHOW, « The Fascist Longings in Our Midst », in ID., Ethics After Idealism : Theory, Culture, Ethnicity, Reading, Indianapolis, Indiana University Press, 1998, pp. 14-32, ici p. 14.
  • [21]
    SLAVOJ ŽIŽ EK, « Welcome to the Desert of the Real », courriel envoyé immédiatement après le 11 Septembre, longuement diffusé, puis révisé et enfin inclus dans l’ouvrage du même nom publié à Londres, Verso, 2002.
  • [22]
    DAVID SHAW, « Foreign News Shrinks in Era of Globalization », Los Angeles Times, 27 septembre 2001; STEPHEN HESS, International News and Foreign Correspondents, Washington, Brokings Institution, 1996; MOHAMMED EL-NAWAWY et ADEL ISKANDAR, Al-Jazeera : How the Free Arab News Network Scooped the World and Changed the Middle East, Cambridge, Westview Press, 2002, p. 24.
  • [23]
    Les chaînes PBS et CNN ont atteint chacune des taux de 77 % de sujets « soutenant les positions officielles sans équivoque », alors que ce pourcentage n’était que de 56 % sur Fox News. « Return to Normalcy ? How the Media Have Covered the War on Terrorism », The Project for Excellence in Journalism, 28 janvier 2002 and<http :// www. journalism. org/ publ_research.normalcyplain.html>.
  • [24]
    HOWARD KURTZ, « Reporters Are Told to Remind Viewers Why US is Bombing », The Washington Post, 31 octobre 2001.
  • [25]
    Alex Arriaga, dans « Dissent Against America’s war on Terrorism : Too Much or Too Little Media Attention ? », A Brookings/Harvard Forum, 27 février 2002 <http :// www. brook. edu/ dybdocroot/ gs/ projects/ press/ 022702. htm>.
  • [26]
    DOUGLAS KELLNER, « Reading the Gulf War : Production/text/reception », in Media Culture : Cultural Studies, Identity and Politics between the Modern and the Post-modern, Londres, Routledge, 1995, p. 201.
  • [27]
    Robert Siegel, dans « Dissent Against America’s War on Terrorim », op. cit.
  • [28]
    MICHAEL ARLEN, Living Room War, New York, Viking, 1969.
  • [29]
    PAUL FUSSEL, Wartime : Understanding and Behavior in the Second World War, New York, Oxford University Press, 1989.
  • [30]
    PAUL VIRILIO, Guerre et cinéma, Paris, Éditions de l’Étoile, 1984.
  • [31]
    Katie Couric sur NBC dans « Today Show », cité dans « The CNN Effect : How 24 Hour News Coverage Affects Governement Decisions and Public Opinion », A Brookings/Harvard Forum : Press Coverage and The War on Terrorism, 23 janvier 2002.
  • [32]
    Pour des statistiques montrant comment le temps alloué à chaque sujet a évolué dans les trois journaux télévisés de nuit, voir « Tyndall report on Aftermath of September 11 », The Tyndall Report, 10 mai 2002 <www. tyndallreport. com>.
  • [33]
    MARC HEROLD, « A Dossier on Civilian Victims of United States’Aerial Bombing of Afghanistan : A Comprehensive Accounting (revised) », mars 2002 <www. cursor. org>.
  • [34]
    Robert Elegant, Marshall McLuhan et d’autres ont fait de telles déclarations. PETER BRAESTRUP, Big Story : How the American Press and Television Reported and Interpreted the Crisis of Tet 1968 in Vietnam and Washington, Boulder, Westview Press, 1977.
  • [35]
    « Vietnam on Television », Museum of Broadcast Communications, and<www. museum. tv>. La remarque à propos de Cronkite est de David Halberstam.
  • [36]
    JOSTEIN GRIPSRUD (éd.), Television and Common Knowledge, Londres, Routledge, 1999, p. 2.
  • [37]
    R. Siegel, dans « Dissent against America’s War on Terrorism », op. cit.
  • [38]
    L’exposition, longuement préparée, a déclenché une violente opposition politique car elle montrait des victimes japonaises des bombardements nucléaires et évoquait la course aux armements de l’après-guerre. La controverse a abouti à limiter l’exposition au seul largage de la bombe et à ses conséquences sur la fin de la guerre.
  • [39]
    Voir MICHAEL J. HOGAN (éd.), Hiroshima in History and Memory, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
  • [40]
    DIANE WERTS, « From Class to Crass », Newsday (Long Island, New York), 17 novembre 1996; NEAL JUSTIN, « Peril vs Meryl », Star Tribune (Minneapolis), 16 février 1997.
  • [41]
    Richard Minear, cité dans PAUL BOYER, « Exotic Resonances : Hiroshima in American Memory », in M. J. HOGAN (éd.), Hiroshima..., op. cit., p. 166.
  • [42]
    ROY GUTMAN et DAVID RIEFF (éds), Crimes of War : What the Public Should Know, New York, W. W. Norton, 1998, p. 10.
  • [43]
    MICHAEL IGNATIEFF, The Warrior’s Honor : Ethnic War and the Modern Conscience, New York, Henry Holt, 1998, pp. 10-13.
  • [44]
    JEFFREY SHANDLER, While America Watches : Televising the Holocaust, New York, Oxford University Press, 1999.
  • [45]
    Voir « Timely Reminder that We’re at War », Chicago Sun-Times, 12 mars 2002; « Six Months », Star Tribune (Minneapolis), 12 mars 2002; « 9/11 », Newsday (Long Island, New York), 11 mars 2002.
  • [46]
    D. KELLNER, « Reading the Gulf War... », art. cit., p. 1.
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