Notes
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[1]
Michel AGLIETTA, « Genèse des banques centrales et légitimité de la monnaie », Annales ESC, 47-3,1992, pp. 676-698, ici p. 677. Voir également les auteurs suivants, Gary GORTON, « Clearinghouses and the Origine of Central Banking in the United States », Journal of Economic History, XLV-2,1985, pp. 277-283 ; Donald J. MULLINEAUX, « Competitive Monies and the Suffolk Bank System : A Contractual Perspective », Southern Economic Journal, 52,1987, pp. 884-898 ; Charles GOODHART, The Evolution of Central Bank, Cambridge, MIT Press, 1988.
-
[2]
George A. SELGIN et Lawrence H. W HITE, « Competitive Monies and the Suffolk Bank System : Comment », Southern Economic Journal, 55-1,1988, pp. 215-219 ; George A. SELGIN, « Contraintes réglementaires. Difficultés financières et prêteur en dernier ressort », in G. A. SELGIN, La banque libre, Paris, Les Belles Lettres, [1989] 1991, pp. 295-338.
-
[3]
J. VAN FENSTERMAKER, John E. VAN FILER et Robert S. HERREN, « Money Statistics of New England, 1785-1837 », Journal of Economic History, XLIV-2,1984, pp. 441-453, ici p. 443.
-
[4]
Entre 1811 et 1830, les taux moyens de faillite bancaire pour les États du Connecticut, du Maine, du Massachusetts, du New Hampshire et du Rhode Island sont respectivement de 1,1 %, 1,9 %, 0,7 %, 0,9 % et 0,4 % ; à titre de comparaison, les taux pour les États du New Jersey, de New York et de Pennsylvanie sont de 4,2 %, 2,1 % et 3,3 % (Henry C. CAREY, The Credit System in France, Great Britain and the United States, Philaldelphie, Lea & Blanchard, 1838, cité in C. COQUELIN, Le crédit et les banques, Paris, Guillaumin, [1848] 1876, pp. 353-358). Et il en est de même au-delà de cette période : « Entre 1840 et 1860, seuls quarante-sept banques firent faillite dans toute la Nouvelle-Angleterre. Comme dans d’autres régions, la plupart des faillites eurent lieu durant la panique bancaire de 1837, mais, en Nouvelle-Angleterre, ses effets furent relativement faibles et il en résultat la faillite de seulement quinze banques (Charles W. CALOMIRIS et Charles M. KAHN, « The Efficiency of Self-Regulated Payments Systems : Learning from the Suffolk System », Journal of Money, Credit and Banking, 28-4, 1996, pp. 624-667, ici p. 788).
-
[5]
C. W. CALOMIRIS et C. M. KAHN, « The Efficiency of Self-Regulated... », art. cit., pp. 792-795.
-
[6]
La « première » banque des États-Unis bénéficie d’une charte particulière renouvelée en 1811 (c’est la « deuxième » banque des États-Unis), date à laquelle il existe huit chartered banks; puis, en 1816 et 1830, il y en a respectivement vingt-sept et trente-sept dans l’État de New York.
-
[7]
Kevin DOWD, « US Banking in the “ Free Banking” Period », in K. DOWD (éd.), The Experience of Free Banking, Londres, Routledge, 1992, pp. 206-240, ici p. 224.
-
[8]
Parmi les États du Middle Atlantic, le New Jersey en 1850, la Pennsylvanie en 1860, le Delaware et le Maryland sont sous un charter system peu contraignant ; parmi les autres États du quart nord-est, nous trouvons l’Illinois et l’Ohio en 1851, l’Indiana et le Wisconsin en 1852, le Michigan en 1857 après un bref et malheureux essai en 1837, l’Iowa et le Minnesota en 1858 (K. DOWD, « US Banking... », art. cit., pp. 236-240).
-
[9]
Hugh ROCKOFF, « The Free Banking Era : A Reexamination », Journal of Money, Credit and Banking, 6-2,1974, pp. 141-167.
-
[10]
Arthur J. ROLNICK et Warren E. WEBER, « New Evidence on the Free Banking Era », American Economic Review, 73-5,1983, pp. 1080-1091 et ID., « The Causes of Free Bank Failures », Journal of Monetary Economics, 14,1984, pp. 267-291.
-
[11]
George A. SELGIN, La théorie de la banque libre, Paris, Les Belles Lettres, [1988] 1991.
-
[12]
Wilfred S. LAKE, « The End of the Suffolk System », Journal of Economic History, 7-2,1947, pp. 183-207, ici pp. 184-185.
-
[13]
De fait, ses parts de marché augmentent constamment jusqu’en 1858 : en effet, elle compense pour 9 millions de dollars de billets par mois en 1841,20 millions en 1851 et 30 millions en 1858 (George TRIVOLI, The Suffolk Bank : A Study of a Free-Enterprise Clearing System, Londres, Adam Smith Institute, 1979, pp. 15 et 21).
-
[14]
D. J. MULLINEAUX, « Competitive Monies... », art. cit., pp. 887-888 (souligné par l’auteur).
-
[15]
G. A. SELGIN, La théorie de la banque libre, op. cit., p. 23.
-
[16]
Arthur J. ROLNICK et Warren E. W EBER, « The Suffolk Bank System Reconsidered », Working Paper 587, Federal Reserve Bank of Minneapolis, mai 1998, pp. 1-15.
-
[17]
Pour plus de détails sur la création de monnaie supérieure par la chambre de compensation « é mettrice » ou, en d’autres termes, sur ce mécanisme du crédit au niveau de la chambre de compensation devenant ainsi une banque supérieure, voir Laurent LE MAUX, « L’é mergence d’une banque supérieure sous le régime de la liberté bancaire », communication au Congrès de l’Association française de science économique, Carré des Sciences, Paris, 20-21 septembre 2001.
-
[18]
Arthur J. ROLNICK, Bruce D. SMITH et Warren E. WEBER, « The Suffolk Bank and the Panic of 1837 », Federal Reserve Bank of Minneapolis Quarterly Review, 24-2,2000, pp. 3-13.
-
[19]
K. DOWD, « US Banking... », art. cit., p. 222.
-
[20]
C. W. CALOMIRIS et C. M. KAHN, « The Efficiency... », art. cit., p. 776.
-
[21]
A. J. ROLNICK, B. D. SMITH et W. E. WEBER, « The Suffolk Bank... », art. cit., pp. 3-13.
-
[22]
Cité dans D. R. WHITNEY, The Suffolk Bank, Cambridge, Riverside Press, 1878, p. 35.
-
[23]
G. A. SELGIN et L. H. W HITE, « Competitive Monies... », art. cit., p. 216.
-
[24]
Ibid.
-
[25]
Randall S. KROSZNER, « Lessons from Laisser-Faire Payments System : The Suffolk Banking System (1825-1858), Commentary », Federal Reserve Bank of St. Louis Review, 80-3, mai-juin 1998, pp. 117-120, ici p. 119.
-
[26]
G. A. SELGIN et L. H. W HITE, « Competitive Monies... », art. cit., p. 217.
-
[27]
K. DOWD, « US Banking... », art. cit., p. 226.
-
[28]
Pour être plus précis sur ce point qui ne s’inscrit pas dans le cadre de notre article, remarquons que l’explication du niveau élevé du capital des banques de la Nouvelle-Angleterre mérite d’ê tre tranchée. Selon Philippe NATAF, « New England’s Depression-Proof Free Banking System : The Viewpoints of Henry Charles Carey and Charles Coquelin », in R. F. HÉBERT (éd.), Perspectives on the History of Economic Thought, vol. IX, Aldershot, Edward Elgar, 1992, les taux de solvabilité élevés résultent des effets vertueux de la libre concurrence et de l’absence de réglementation sur l’é mission de billets en Nouvelle-Angleterre. En fait, et d’après les informations données par C. W. CALOMIRIS et C. M. KAHN (« The Efficiency of Self-Regulated... », art. cit., p. 789), ces taux de solvabilité élevés s’expliquent davantage par les réglementations au niveau des États de la Nouvelle-Angleterre.
-
[29]
Cet épisode, presque unique, d’une concurrence entre chambres de compensation soulève des questions fort intéressantes, mais la place nous manque pour les développer plus avant. Le lecteur peut néanmoins prendre connaissance de ce débat en se référant à W. S. LAKE, « The End... », art. cit., pp. 196-207 ; D. J. MULLINEAUX, « Competitive Monies... », art. cit., vol. 52, pp. 894-897 ; R. S. KROSZNER, « Lessons... », art. cit., pp. 118-119 ; Arthur J. ROLNICK, B. D. SMITH et Warren E. WEBER, « Lessons from Laisser-Faire Payments System : The Suffolk Banking System (1825-1858) », Federal Reserve Bank of St. Louis Review, 80-3, 1998, pp. 105-116 ; Laurent LE M AUX, « La Suffolk Bank et le risque de système », communication aux Journées de l’Association française de science économique, Paris 17-18 mai 2001.
-
[30]
Gary GORTON et Donald J. MULLINEAUX, « The Joint Production of Confidence : Endogenous Regulation and Nineteenth-Century Commercial-Bank Clearinghouses », Journal of Money, Credit, and Banking, 19-4,1987, pp. 457-468, ici p. 461.
-
[31]
Cette publication est obligatoire pour les banques de New York, comme l’indiquent G. Gorton et D. J. Mullineaux : « La loi exigeait de toute banque de New York qu’elle publie chaque mardi matin un compte rendu montrant la moyenne des prêts, des escomptes, des espèces, des depôts et de la circulation des billets de la semaine précédente » (cf. G. GORTON et D. J. MULLINEAUX, « The Joint Production... », art. cit., p. 462).
-
[32]
Gary GORTON, « Clearinghouses and the Origin of Central Banking in the United States », Journal of Economic History, XLV-2,1985, pp. 277-283, ici p. 280.
-
[33]
Steve HORWITZ, « Competitive Currencies, Legal Restrictions, and the Origins of the Fed : Some Evidence from the Panic of 1907 », Southern Economic Journal, 56-3,1990, pp. 639-649, ici p. 645.
-
[34]
Richard H. TIMBERLAKE, « The Central Banking Role of the Clearing House Associations », Journal of Money, Credit and Banking, 16-1,1984, pp. 1-15, ici p. 3, en note.
-
[35]
Ces certificats émis par la chambre de compensation ne circulent pas dès le départ au sein du public comme de la monnaie fiduciaire, mais ce sera largement le cas par la suite sous le National Banking System, voir infra.
-
[36]
R. H. TIMBERLAKE, « The Central Banking... », art. cit., p. 4.
-
[37]
JAMES G. CANNON, Clearing Houses : Their History, Methods, and Administration, National Monetary Commission, 61st Congress, 2nd Session, Washington, Government Printing Office, 1910, p. 90.
-
[38]
G. GORTON et D. J. MULLINEAUX, « The Joint Production... », art. cit., p. 466.
-
[39]
Gerald P. DWYER et R. Alton GILBERT, « Bank Runs and Private Remedies », Federal Reserve of Saint Louis Review, 71-3,1989, pp. 43-61, ici p. 52.
-
[40]
Sur la période des greenbacks, voir Milton FRIEDMAN et Anna J. SCHWARTZ, A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton, Princeton University Press, 1963, chap. II. Nous ne traiterons pas de la circulation des greenbacks, de leur surabondance, puis de leur relative pénurie lorsque la dette fédérale se résorbe dans les années 1880. Ce choix ne change rien aux conclusions du présent article.
-
[41]
À ce sujet, voir Edward ATKINSON, What Is a Bank ? What Service Does a Bank Perform ?, New York, The Society for Political Education, 1881, et William BROUGH, Open Mints and Free Banking, New York, G. P. Putnam’s Sons, 1898; voir également Edwin W. KEMMERER, Seasonal Variations in the Relative Demand for Money and Capital in the United States : A Statistical Study, Washington, National Monetary Commission, 61st Congress, 2nd Session, Government Printing Office, 1910; Oliver M. W. SPRAGUE, History of Crises Under the National Banking System, Washington, National Monetary Commission, 61st Congress, 2nd Session, Government Printing Office, 1910 et enfin Lawrence J. LAUGHIN, Banking Reform, Chicago, National Citizens League, 1912.
-
[42]
Voir George A. SELGIN et Lawrence H. W HITE, « National Bank Notes as a Quasi-High-Powered Money », Working Paper, Athens, University of Georgia, 1990, pp. 1-43, ici p. 14. Voir également George A. SELGIN et Lawrence H. W HITE, « Monetary Reform and the Redemption of National Bank Notes, 1863-1913 », Business History Review, 68-2,1994, pp. 205-243, ici p. 228.
-
[43]
G. A. SELGIN, La théorie de la banque libre, op. cit., p. 223.
-
[44]
Interprétant la crise de 1907, S. HORWITZ (« Competitive Currencies... », art. cit., pp. 646-647) reprend cette analyse de G. A. SELGIN (La théorie de la banque libre, op. cit., pp. 322-323) et réitère l’idée que les ruées sur la monnaie manuelle (inside money run) sont uniquement un problème de restrictions légales. Néanmoins, soulignons-le, les ruées sur la monnaie ultime (demand for base money) ne sont pas nécessairement un problème de restrictions légales, et c’est ce qui permet de cerner, comme nous le montrons plus loin, la véritable nature du prêt en dernier ressort.
-
[45]
Voir S. HORWITZ, « Competitive Currencies... », art. cit., p. 642.
-
[46]
Voir Richard H. TIMBERLAKE, « Private Production of Scrip-Money in the Isolated Community », Journal of Money, Credit and Banking, 19-4,1987, pp. 437-447, ici p. 440.
-
[47]
À ce sujet, voir R. H. TIMBERLAKE, « The Central Banking... », art. cit., p. 5.
-
[48]
J. G. CANNON, Clearing Houses..., op. cit., p. 109.
-
[49]
Ibid., p. 96.
-
[50]
Cf. R. H. TIMBERLAKE, « The Central Banking... », art. cit., p. 6.
-
[51]
R. H. TIMBERLAKE, « The Central Banking... », art. cit., p. 13 (O. M. W. SPRAGUE, History of Crises..., op. cit., p. 392, pour les données chiffrées) ; souligné par l’auteur.
-
[52]
Ibid., R. H. TIMBERLAKE, « The Central Banking... », art. cit., p. 12.
-
[53]
Cf. G. GORTON, « Clearinghouses... », art. cit., p. 277.
-
[54]
La stabilité du système bancaire du Canada par rapport à celui des États-Unis est une tendance de fond que l’on retrouve au XXe siècle (Michael D. BORDO, Hugh ROCKOFF et Angela REDISH, « The US Banking System From a Nothern Exposure : Stability versus Efficiency », Journal of Economic History, 54-2,1994, pp. 325-341. Sur l’expérience bancaire au Canada durant le XIXe siècle, le lecteur peut se référer à M. DENISON, Canada’s First Bank : A History of the Bank of Montreal, 2 vols, Toronto, McClelland and Steward, 1966 ; George S. WATTS, « The Origins and Background of Central Banking in Canada », Bank of Canada Review, May 1972, pp. 15-27 ; Angela REDISH, « The Economic Crises of 1837-1839 in Upper Canada : Case Study of a Temporary Suspension of Specie Payments », Explorations in Economic History, 20-4,1983, pp. 402-417 ; Adam SHORTT, Adam Shortt’s History of Canadian Currency and Banking 1600-1880, réédition des articles rédigés dans le Journal of the Canadian Banker’s Association, Toronto, Canadian Bankers’ Association, 1986 ; Georg RICH, « Canadian Banks, Gold, and the Crisis of 1907 », Explorations in Economic History, 26-2,1989, pp. 135-160, et enfin K. SCHULER, « Free Banking in Canada », in K. DOWD (éd.), Experience of Free Banking, op. cit., pp. 79-92.
-
[55]
C. GOODHART, The Evolution ..., op. cit., p. 52.
-
[56]
Charles W. MUNN, « Comment on L. H. White : “ Banking without a Central Bank” », in F. CAPIE et G. E. WOOD (éds), Unregulated Banking : Chaos or Order, Londres, MacMillan, 1991, pp. 63-67 ; Lawrence H. WHITE, « Banking without a Central Bank : Scotland before 1844 as a “ Free-Banking” System », in F. CAPIE et G. E. WOOD ( éds), Unregulated Banking..., op cit., pp. 37-62, ici pp. 53-56.
-
[57]
G. RICH, « Canadian Banks... », art. cit., p. 155 et pp. 158-159.
-
[58]
Bruce CHAMP, Bruce D. SMITH et Stephen D. W ILLIAMSON, « Currency Elasticity and Banking Panics : Theory and Evidence », Canadian Journal of Economics, XXIX-4,1996, pp. 829-864, ici pp. 848-851.
-
[59]
Là encore, l’analyse graphique corrobore ces assertions (B. CHAMP, B. D. SMITH et S. D. W ILLIAMSON, « Currency Elasticity... », art. cit., pp. 848-851). D’ailleurs, l’un des buts recherché par le Federal Reserve Act de 1913 fut de « fournir une monnaie manuelle élastique » selon les termes du texte (cf. Jeffrey A. MIRON, « Financial Panics, the Seasonality of the Nominal Interest Rate, and the Founding of the Fed », American Economic Review, 76-1, 1986, pp. 125-140, ici p. 125) et un autre était de stabiliser les variations saisonnières des taux d’intérêt. La littérature sur l’é volution saisonnière des taux d’intérêt aux États-Unis durant le National Banking System est abondante, et le lecteur peut se référer à J. A. MIRON, « Financial Panics... », art. cit. ; Bruce CHAMP, Neil W ALLACE et Warren E. W EBER, « Interest Rates under the US National Banking System », Journal of Monetary Economics, 34-3,1994, pp. 343-358 ; Bruce CHAMP, Scott FREEMAN et Warren E. WEBER, « Redemption Costs and Interest Rates under the US National Banking System », Journal of Money Credit and Banking, 31-3,1999, pp. 568-593.
-
[60]
M. DENISON, Canada’s First Bank..., op. cit., vol. 2, p. 260 et pp. 284-285.
-
[61]
C. GOODHART, The Evolution..., op. cit. p. 52.
-
[62]
Nous pouvons mentionner d’autres instruments prudentiels, dans le cadre de la banque libre ou non : la responsabilité illimitée des actionnaires (cas de l’É cosse entre 1746-1882), la clause d’option (l’É cosse, entre 1727 et 1765), voire l’assurance des dépôts. Howard BODENHORN et Steve HORWITZ, « A Property Rights Approach to Free Banking », Journal des économistes et des études humaines, 5-4,1994, pp. 505-519, ici pp. 511-514, interprètent ces instruments comme des moyens d’internaliser (cas de la responsabilité illimitée et de la clause d’option) ou d’externaliser (cas de l’assurance des dépôts) les coûts liés aux ruées sur les banques (nous placerons le prêt en dernier ressort dans cette deuxième catégorie).
-
[63]
Notons néanmoins que la règle de la convertibilité, l’absence de système à réserve unique et la libre émission de quelque substitut monétaire que ce soit — trois éléments constitutifs du système de la Suffolk Bank — pourraient permettre de nouvelles modalités de prêt en dernier ressort qui dépasseraient celle de Henry THORNTON, An Enquiry into the Nature and Effects of the Paper Credit of Great Britain, F. A. HAYEK (éd.), New York, Rinehart and Company, [1802] 1939 et de Walter BAGEHOT, Lombard Street ou le marché financier en Angleterre, Paris, Librairie Germer Baillière, Paris, [1873] 1874. C’est ce que nous tentons de démontrer ailleurs (voir Laurent LE MAUX, « Analyse critique du Currency Board et propositions prudentielles sous un régime de convertibilité », Économies et sociétés, XXXIII-9/10, 1999, pp. 205-226).
1La manière dont les systèmes monétaires doivent être organisés pour assurer une offre stable de moyens de paiement a toujours été l’objet d’un intense débat en économie. L’enjeu principal de ce débat porte, aujourd’hui comme hier, sur le rôle des banques centrales et sur la légitimité du monopole d’émission. Pour les partisans du free banking, la centralisation bancaire est une pure création politique qui a conduit à un affaiblissement de la discipline de marché. La question qui est ici soulevée intéresse l’ensemble des sciences sociales. Il s’agit de comprendre les principes autour desquels se structurent les économies monétaires. La réflexion que nous propose Laurent Le Maux à propos des chambres de compensation américaines du XIXe siècle est stimulante, en ce qu’elle rompt avec l’opposition État/marché pour faire valoir un modèle où la centralisation naît de l’évolution même des relations bancaires. Dans un système de monnaies concurrentielles, nous dit L. Le Maux, se ferait spontanément entendre l’exigence d’une forme supérieure de règlement. C’est là une nouvelle illustration de la nature collective du lien monétaire.
2L’expérience bancaire aux États-Unis durant le XIXe siècle interroge les économistes sur la viabilité d’un système de paiement concurrentiel dans lequel les banques émettent des billets et dépôts à vue convertibles en espèces métalliques. Cette expérience, dite du free banking, est également caractérisée par l’émergence d’institutions monétaires dont les fonctions se rapprochent de celles des banques centrales modernes, non pas à partir de banques d’émission, comme en Europe, mais à partir de chambres de compensation. La principale difficulté d’interprétation de cette expérience tient à l’hétérogénéité des lois bancaires selon les États et les périodes. Il est généralement admis que l’expérience du free banking commence avec le Free Banking Act, voté dans l’État de New York en 1838, et se termine avec le National Banking Act de 1863. En fait, avant 1838, il existe plusieurs banques émettrices, et leur création nécessite une autorisation ou une charte du gouvernement (charter system), accordée plus ou moins facilement selon les États. Après 1838, certains adoptèrent une législation similaire à celle du free banking de l’État de New York, d’autres restèrent fidèles au charter system. L’adoption des lois du free banking ne signifie pas que l’é mission de billets de banque ne soit pas réglementée, et, en tout cas, la législation reste différente d’un État à l’autre jusqu’au National Banking Act de 1863. Le terme free banking est compris, à cette époque, comme la liberté d’entrée sur le marché de l’é mission de billets, c’est-à-dire sans autorisation du gouvernement ou charte d’incorporation, mais ne signifie pas une activité bancaire dépourvue de toute autre réglementation. Aussi ne faut-il pas confondre l’expérience bancaire de certains États américains comme celui de New York entre 1838 et 1863 avec la théorie de la banque libre (free banking theory). Après cette dernière date, qui voit l’instauration du National Banking System, et jusqu’en 1913, où il prend fin avec le Federal Reserve Act, il existe certes une pluralité de banques émettrices, les national banks, mais les restrictions imposées par la législation fédérale génèrent une situation très différente de la période du free banking et plus différente encore du modèle proposé par la théorie de la banque libre.
3Pour bien saisir notre interprétation du système bancaire américain au XIXe siècle, il convient de garder présente à l’esprit la définition de la banque libre et les lois du reflux et des compensations interbancaires qui en découlent. Sous le système de la banque libre, les banques émettent des billets et des dépôts à vue sans restrictions quantitatives. Ils sont convertibles et partiellement couverts en et par une monnaie externe que le marché a lui-même sélectionnée, et, historiquement, cette sélection s’est principalement faite en faveur de la monnaie métallique, l’or ou l’argent. Les agents peuvent par ailleurs faire frapper librement le métal pour le transformer en espèces métalliques. Sous le système de la banque libre, et plus généralement sous le système bancaire à couverture fractionnaire, la régulation monétaire passe via le reflux ou le retour des billets à la banque par le public sous forme de demandes de remboursement (loi du reflux) et par le mécanisme des échanges et des compensations des billets et des chèques (loi des compensations interbancaires). Ainsi, les banques ne peuvent pas émettre de la monnaie de crédit sous forme de billets ou de dépôts à vue en quantité excessive, car la règle de la convertibilité les contraint à offrir un montant de monnaie de crédit identique à celui que le public désire. Si une banque émet des billets ou des dépôts à vue en excès, ou bien le public les lui retourne et demande leur remboursement en monnaie métallique (reflux), ou bien le solde de la banque vis-à-vis des autres établissements est déficitaire (compensations interbancaires). Toute surémission coûte donc à la banque en liquidités et en versements d’intérêts ; elle est alors contrainte de réduire le montant de ses émissions afin de rétablir sa liquidité, sa rentabilité et surtout sa réputation. Par ailleurs, parler de banque libre, de liberté bancaire ou de pluralité des émetteurs de billets ne signifie pas qu’il y ait absence de banque supérieure ou de prêteur en dernier ressort.
4L’é volution des chambres de compensation aux États-Unis, comme celle des banques d’é mission en Europe au XIXe siècle, est considérée par les avocats de la banque centrale comme une illustration de leur théorie selon laquelle une banque centrale doit être créée afin d’assurer la stabilité du système bancaire et financier. Cette légitimité d’une structure hiérarchisée s’expliquerait alors par la nécessité d’un prêteur en dernier ressort sous un système bancaire à couverture fractionnaire. L’incomplétude des marchés et l’asymétrie de l’information conduisent à des crises systémiques de liquidité, et seule une institution supérieure peut intervenir en injectant de la monnaie en dernier ressort, agissant ainsi à contre-courant du marché afin d’en assurer la pérennité. Dans un tel contexte d’instabilité financière, une banque centrale dont l’essence est le prêt en dernier ressort doit émerger, et il en fut ainsi des chambres de compensations aux États-Unis comme des banques d’é mission en Europe au XIXe siècle. Cette interprétation de l’histoire bancaire américaine et européenne a notamment été défendue par Michel Aglietta [1], pour qui la banque centrale n’est pas une créature de l’État mais une création du marché.
5Une structure bancaire hiérarchisée est caractérisée par l’existence d’un organisme qui injecte de la monnaie interbancaire en faveur des banques membres et émettrices de monnaie de crédit. Cette création de monnaie interbancaire, dite « supérieure », peut se faire sous forme de billets ou de dépôts que les banques détiennent au passif de cet organisme. Nous appelons cet organisme « banque centrale » lorsqu’il détient le monopole d’é mission des billets, mais, comme nous le montrerons, ce monopole n’est pas une condition nécessaire pour qu’il ait une position bancaire hiérarchiquement supérieure. Ce qui signifie que la structure bancaire hiérarchisée peut émerger dans un système où les banques sont libres d’é mettre des billets de banque. Aussi, dans ce système de liberté bancaire, nous appelons « banque supérieure » cet organisme chargé d’intervenir comme prêteur en dernier ressort au moment des crises bancaires, lorsque les banques sont momentanément en rupture de liquidité. Le fait qu’il annonce son intervention ex ante ou ex post ne change rien à la structure bancaire : dans l’un ou l’autre cas de figure, elle n’en demeure pas moins hiérarchisée. Une ambiguïté subsiste néanmoins : quelle est la nature du prêteur en dernier ressort ? L’é mergence d’un tel prêteur, en l’occurrence les chambres de compensation américaines, est-elle une conséquence des contraintes réglementaires [2] ou une innovation du système bancaire ?
6C’est ce que nous souhaitons examiner ici, à travers les systèmes bancaires de deux régions des États-Unis d’importance économique similaire durant la première moitié du XIXe siècle : celui de la Nouvelle-Angleterre (Connecticut, Maine, Massachusetts, New Hampshire, Rhode Island et Vermont), dont le centre financier est la ville de Boston, et celui du Middle Atlantic (Delaware, Maryland, New Jersey, New York et Pennsylvanie), dont la ville de New York est le centre financier. Comparer ces deux expériences de la liberté bancaire entre 1838 et 1863 peut nous permettre de comprendre comment une chambre de compensation, puis une banque supérieure émergent dans un système bancaire où les établissements sont relativement libres d’é mettre des billets. La période du free banking sera ensuite comparée à celle du national banking, où les restrictions imposées par le National Banking Act (1863-1913) posent le lancinant problème de l’« inélasticité de l’offre de billets » par les banques. Ce problème rencontré par le système de paiement américain explique en partie l’é mergence des chambres de compensation comme prêteur en dernier ressort ainsi que les émissions de plus en plus importantes de billets ou de certificats par ces mêmes chambres. Enfin, nous tenterons de dégager la nature du prêt en dernier ressort afin de comprendre sa véritable utilité et sa vraie fonction. Le prêt en dernier ressort ne saurait être simplement la conséquence des restrictions liées à l’offre de billets par les banques, et il ne peut se comprendre que comme une innovation du système bancaire qui tente, en période de crises bancaires, d’assouplir la contrainte indispensable que constitue la loi du reflux et des compensations interbancaires.
La période dite du free banking aux États-Unis
Les banques libres en Nouvelle-Angleterre
7Quelques années après la Déclaration d’indépendance, plusieurs États de la Nouvelle-Angleterre créèrent leur première banque : le Massachusetts en 1784, le Maine et le Rhode Island en 1791, le Connecticut et le New Hampshire en 1792, et, plus tard, le Vermont en 1808. Entre 1851 et 1852, les États du Massachusetts, du Vermont et du Connecticut votèrent une loi dite du free banking. Avant cela, dans ces États comme dans les autres, toute création d’une banque nécessitait une charte du gouvernement (charter system), qu’il accordait facilement en exigeant toutefois un montant minimum de capital. Aussi, le stade d’une pluralité de banques émettrices de billets ne se limite pas à la période des lois du free banking, mais on peut considérer le système de la Nouvelle-Angleterre comme relativement libre entre le début du XIXe siècle et 1863. Durant la première moitié du siècle, les banques émettrices sont libres et très nombreuses : la Nouvelle-Angleterre en compte 53 en 1810,96 en 1820,173 en 1830 et 324 en 1837 [3]. Les banques émettrices de Nouvelle-Angleterre, surtout celles du Massachusetts, connaissent un développement très significatif dans le secteur de l’é mission de billets, puis dans celui de la tenue des dépôts.
8Dans ce cadre d’une pluralité de banques émettrices, les billets sont convertibles en espèces métalliques ; néanmoins, dans les premiers temps du système bancaire, les billets peuvent s’é changer en dessous de leur parité selon le taux de décote (discount rate). Ce taux s’explique pour trois raisons principales. Premièrement, les coûts de transport des billets provoquent un écart entre le cours d’un billet de banque et sa valeur au pair. Deuxièmement, l’é mission de billets par les banques reste sujette à un risque de défaut (i.e. non respect de la promesse de la banque de rembourser les billets à vue et au pair), contre lequel se couvrent les courtiers en demandant une prime. Enfin, les coûts d’authentification des billets et les risques de contrefaçons sont relativement élevés, dans la mesure où le nombre de billets différents en circulation est important et où les distances allongent le délai de vérification; pour s’assurer contre ces risques, les courtiers exigent une décote supplémentaire des billets. Par conséquent, comme le montre l’expérience de la Nouvelle-Angleterre, dans les premiers temps du système bancaire, les courtiers qui font circuler les billets les reprennent avec une décote selon qu’ils jugent les coûts et les risques plus ou moins importants. Les journaux financiers, par l’intermédiaire des banknote reporters, informent régulièrement de la cotation et de la contrefaçon touchant tel ou tel billet de banque. L’é mergence d’une chambre de compensation (en l’occurrence, la Suffolk Bank de Boston) rend la circulation des billets plus efficiente que celle qui peut être opérée par les courtiers, car elle permet plus facilement l’é change des billets au pair.
9La convertibilité des billets et des dépôts à vue permet à la loi du reflux de réguler la circulation de monnaie de crédit, et la liberté des banques autorise à la fois un développement plus important du crédit et une plus grande stabilité monétaire et bancaire. Aussi, contrairement à ce qui a longtemps été avancé, cette liberté, en Nouvelle-Angleterre ou ailleurs, n’entraîne pas de graves dysfonctionnements du système de paiement. De plus, le nombre de faillites bancaires dans cette région est relativement faible par rapport aux autres régions des États-Unis [4]. Enfin, une interprétation du système bancaire de la Nouvelle-Angleterre veut que les banques du centre, ici Boston, accaparent une rente sur les établissements de la périphérie. Charles W. Calomiris et Charles M. Kahn montrent qu’il n’en a rien été [5].
Le Free banking Act de New York et les banques émettrices du Middle Atlantic
10Dans l’État de New York, la décision de modifier la législation en 1838 résulte de plusieurs facteurs. D’une part, l’année 1837 est marquée par une crise financière importante et le système bancaire, tel qu’il existait à cette époque, fut jugé défaillant et instable. Il requérait pour la création d’une banque, l’autorisation du gouvernement (charter system) [6]. D’autre part, la licence de la deuxième banque des États-Unis venait à expiration en 1837 ; or elle était sévèrement jugée par les jacksoniens, alors au pouvoir ; d’inspiration libérale, ce courant politique s’opposait au principe des banques émettrices et défendait le principe du « 100 % de réserves » de David Hume. Enfin, le système d’assurance des dépôts protégeant les créditeurs des banques, le Safety Fund Banking System créé en 1829, ne donnait pas les résultats escomptés. Principal défaut du safety fund, la prime d’assurance n’é tait que peu déterminée en fonction des risques pris par les banques et, par conséquent, le système échouait à contrôler les banques qui étaient par ailleurs incitées à prendre davantage de risques [7]. Ce problème conduisit à la supression du safety fund.
11Par le Free Banking Act de 1838, le législateur new-yorkais supprime ce type d’assurance et le remplace par la loi des dépôts de garantie sous forme de cautionnement obligataire (bond collateral requirement), qui oblige les banques à déposer à un organisme public (commission) une somme de titres publics à hauteur de 90 % (et jusqu’à 100 % selon les réglementations) des billets qu’elles mettent en circulation. Cette loi de cautionnement obligataire inspirera les législations futures et celles des autres États, qu’elle soit motivée par la volonté du législateur de financer commodément la dette publique ou qu’elle soit inspirée par la très controversée doctrine des real bills selon laquelle les émissions doivent être gagées sur des actifs solvables. Mais, contrairement au charter system, le Free Banking Act instaure la libre entrée sur le marché de l’é mission de billets, et c’est en ce sens que le législateur new-yorkais comprend à cette époque le terme free banking, bien qu’il existe des réglementations, telle la loi sur le cautionnement obligataire qui constitue la différence majeure avec la législation des États de la Nouvelle-Angleterre. Il faut donc souligner que, contrairement à ce qu’elles suggèrent, ces lois ne sont pas tout à fait conformes aux principes de la théorie de la banque libre, puisqu’elles obligent les établissements bancaires à détenir des titres publics à chaque émission de billets.
12En matière législative, l’influence de l’État de New York est telle que, après 1838, de nombreux États votèrent également la loi du free banking [8]. Du point de vue financier, la ville de New York étend son influence bien au-delà des limites de son propre État, jusqu’au Middle Atlantic (Delaware, Maryland, New Jersey, New York, Pennsylvanie), où l’activité et le nombre des banques demeure toujours croissant ; il compte 21 banques en 1811, 103 en 1820,107 en 1830 et 459 en 1836. De même qu’en Nouvelle-Angleterre, les courtiers qui font circuler dans un premier temps les billets des banques réclament, toujours en vertu des coûts de transport, des risques de défaut et de contrefaçon, une décote sur les billets qu’ils reprennent. À terme, l’innovation que constitue la chambre de compensation (en l’occurrence, la New York Clearinghouse Association) supplante l’activité des courtiers en procédant à un échange plus efficace de billets à leur valeur paritaire ainsi que des chèques permettant leur développement.
13Malgré la loi sur le cautionnement obligataire, le système bancaire de New York est proche de celui de la banque libre dans la mesure où les banques peuvent émettre des billets convertibles à vue et au pair. Dans les autres États où elle a été imposée aux banques, la loi sur le cautionnement obligataire entraîne une forte instabilité du système liée à la fois au phénomène du wildcat banking [9], à une fragilisation des banques tributaires du prix des actifs mis en caution [10] et à une « inélasticité de l’offre de billets » [11]. Les deux premiers points ne sont pas nécessaires pour illustrer notre propos. Nous examinerons par la suite la question de l’inélasticité de l’offre de billets qui fut beaucoup plus significative à partir du National Banking Act de 1863.
L’émergence d’une chambre de compensation en Nouvelle-Angleterre et à New York
Le système de la Suffolk Bank en Nouvelle-Angleterre
14En 1814, pour concurrencer l’activité des courtiers, la New England Bank de Boston établit des relations, le plus souvent bilatérales, entre les banques de la Nouvelle-Angleterre situées en dehors de Boston (country banks). En 1818, ces échanges se font avec un taux de décote d’environ 1 % voire moins en fonction de leur éloignement de Boston, alors qu’ils étaient de 3 % en 1814 ; en contrepartie, la New England Bank exige un dépôt permanent des établissements participants. En 1818, la Suffolk Bank est créée à Boston et opère comme une banque ordinaire émettant dépôts et billets. Un an plus tard, la direction décide d’é tendre son activité et d’entrer sur le même marché que celui de la New England Bank en proposant aux banques locales de reprendre leurs billets détenus par les marchands ou tout autre agent de la ville, et ce, comme les courtiers, avec un taux de décote que cette concurrence entre ces deux banques fera progressivement baisser [12]. Ce premier système n’est pas satisfaisant pour la Suffolk Bank, notamment parce qu’il n’engendre pas une rentabilité suffisante. Aussi, après plusieurs négociations avec les établissements de Boston, la Suffolk Bank procède à des adaptations majeures en 1825 : alors qu’elle établissait des compensations interbancaires uniquement bilatérales, elle décide de mettre en place un système de compensations multilatérales entre les banques de Boston et du reste de la Nouvelle-Angleterre.
15Sous cette nouvelle forme, la Suffolk Bank ouvre un compte pour chaque banque qui y dépose ses espèces métalliques, demande un taux de décote plus faible aux agents qui se présentent avec des billets des banques membres de son système de compensation, et reprend au pair les billets des banques de bonne réputation. Cette organisation sophistiquée de compensations interbancaires permet de faire circuler plus rapidement les billets et rend plus faible la quantité de numéraire nécessaire aux banques. Plus encore, elle favorise l’acceptation de ces billets, car un agent n’hésite plus à recevoir ceux d’une banque éloignée géographiquement dès lors qu’il peut en demander le remboursement à Boston, et à plus forte raison si ces billets sont repris au pair, ce qui renforce par conséquent l’efficacité et la solidité du système de paiement. Le montant des dépôts à la Suffolk Bank varie selon le capital (100 000 dollars au minimum) de la banque considérée : pour les country banks situées hors de Boston, il est d’au moins 2 000 dollars; pour celle de Boston, il est au début fixé à 30 000 dollars, puis ramené progressivement à 5 000 dollars. À terme, la rentabilité de la Suffolk Bank est satisfaisante : alors que pour les périodes 1819-1824 et 1825-1830, les dividendes étaient de 6 %, ils s’é lèvent à 8 % entre 1830 et 1850 et jusqu’à 10 % entre 1850 et 1860 [13]. L’action de la Suffolk Bank sur le système monétaire est bénéfique, car la conversion au pair des différentes monnaies tend alors à se généraliser et ne se limite pas à Boston et au Massachusetts. En effet, la plupart des banques de Nouvelle-Angleterre participent progressivement au système de la Suffolk Bank : elles seront ainsi près de trois cents, les dernières à y entrer étant celles du Rhode Island en 1837.
16Il serait néanmoins faux de croire que la Suffolf Bank assure la régulation des émissions des banques par un quelconque contrôle quantitatif. Nous trouvons chez Donald. J. Mullineaux l’idée selon laquelle, les billets s’é changeant au pair, la loi de Gresham s’appliquerait, et que, par conséquent, il revenait à la Suffolk Bank de « contrôler » la quantité de monnaie de crédit en circulation en augmentant sans contraintes ses émissions :
En réalité, l’institution du système de la Suffolk Bank améliora les perspectives données par la loi de Gresham qui pouvait être opératoire ; dès lors, la conséquence du système fut l’é change au pair des billets des banques de province. [...] Si les billets d’une banque ne se différenciaient pas de ceux d’une autre par un mécanisme autre que celui des prix, chacune eût été incitée à déprécier la qualité de ses propres billets [14].
18En vérité, c’est l’inverse qui se produit. En effet, D. J. Mullineaux ignore la loi du reflux et des compensations interbancaires qui assure la régulation des émissions monétaires convertibles au pair en une monnaie externe, en l’occurrence la monnaie métallique, et, par là même, il interprète mal la loi de Gresham qui s’applique seulement qu’aux monnaies inconvertibles, lesquelles s’é changeraient au pair. Ceci est d’autant plus vrai qu’un système de compensations interbancaires, selon le modèle mis en place par la Suffolk Bank, permet une plus grande efficacité de la régulation monétaire dans un système bancaire à couverture fractionnaire : au lieu de se réaliser uniquement par le reflux des billets sous forme de demande de remboursement par les porteurs de billets, elle le fait également et surtout par le mécanisme des compensations interbancaires, qui accélère le reflux des émissions excessives des banques. En conséquence, la Suffolk Bank ne régule pas la monnaie, c’est la loi du reflux ou celle des compensations interbancaires qui effectue cette régulation.
19Cette précision ne doit cependant pas nous faire ignorer que la Suffolk Bank intervient activement sur le marché bancaire afin d’en renforcer la stabilité. Elle accorde en effet aux banques membres des prêts via des découverts afin que celles-ci, en difficulté temporaire de liquidité, puissent régler leur position. Ceci tend à montrer que la Suffolk Bank crée de la liquidité interbancaire et se comporte comme une banque supérieure, i.e. une banque créant de la monnaie supérieure ou interbancaire. Notre affirmation est sujette à controverse :
Contrairement aux banques centrales, la Suffolk ne détenait aucun monopole, même local, sur l’é mission de billets ; les banques concurrentes [...] ne détenaient dans les comptes de la Suffolk que les dépôts minimaux exigés par celle-ci pour qu’elle accepte de leur reprendre leurs propres billets au pair. Ainsi les engagements au passif de la Suffolk ne constituaient en rien de la monnaie supérieure [15].
21Certes, la Suffolk Bank ne détient aucun privilège particulier — et c’est ce qui fait tout son intérêt — , mais George A. Selgin ne peut pas pour autant conclure que ses engagements au passif « ne constituaient en rien de la monnaie supérieure ».
22Notre démonstration est la suivante. La Suffolk Bank collecte des espèces auprès des banques afin que celles-ci y conservent les dépôts qui leur permettent de régler leur position. La question est alors de savoir si la Suffolk Bank détient la totalité de ses réserves, c’est-à-dire si les dépôts à vue des banques à son passif sont complètement ou intégralement couverts par les réserves métalliques. Si oui, ses engagements au passif ne constituent en rien de la monnaie supérieure, car ils ne correspondent qu’aux réserves métalliques : la Suffolk Bank ne peut pas créer de monnaie supérieure. Si non, ses engagements au passif sont en partie constitués de monnaie supérieure, car une partie de son passif remboursable à vue n’est pas couverte par des réserves métalliques : la Suffolk Bank crée alors de la monnaie supérieure. Or, c’est le second cas qui se trouve être vérifié par les faits. La preuve empirique de cette hypothèse réside dans le simple fait que le passif de la Suffolk Bank est partiellement couvert par des réserves métalliques. Arthur J. Rolnick et Warren E. Weber donnent des bilans de l’é tablissement, qui ne font aucun doute à ce sujet [16]. La chambre de compensation Suffolk Bank est donc devenue une « banque supérieure » sans qu’elle détienne quelque monopole, même local, sur l’é mission de billets [17]. Elle avait en main l’instrument du prêt en dernier ressort, dont elle a notamment fait usage durant la panique financière de 1837 [18].
23Selon K. Dowd la Suffolk Bank « accordait des prêts d’urgence aux banques membres, et elle était bien placée pour le faire puisqu’elle les surveillait [19] ». Mais ceci ne dit pas si ces prêts d’urgence ont été accordés par de simples transferts de monnaie métallique ou par la création de monnaie supérieure. Sans explication ni démonstration empirique, C. W. Calomiris et C. M. Kahn émettent l’opinion suivante : « Le système de la Suffolk Bank ne fournissait pas les services propres au prêteur en dernier ressort [20]. » Pourtant, force est de reconnaître que les découverts accordés aux banques par la Suffolk Bank constituent à la fois une création de monnaie supérieure et le support du prêt en dernier ressort. Les directeurs de la Suffolk Bank n’en avaient sans doute pas conscience, le prêt en dernier ressort n’est peut-être pas encore « institutionnalisé » ou « codifié », mais l’instrument (i.e. la création de monnaie supérieure sous forme de dépôts à vue détenus par les banques à la chambre de compensation) existe bien. Les engagements au passif de la Suffolk Bank constituent de la monnaie supérieure, dont la création pendant les périodes de crises bancaires est bien un prêt en dernier ressort, contrairement à ce qu’affirment C. W. Calomiris et C. M. Kahn. Une récente et remarquable étude va dans ce sens et montre que la Suffolk Bank est clairement intervenue durant la crise de 1837 [21] : le poste de l’actif concernant ses prêts aux banques membres (due from other banks to Suffolk) et le poste du passif exigible par les banques membres (due to other banks to Suffolk) ont nettement augmenté entre 1835 et 1837. En septembre 1837, le premier s’é lève à 1 200 000 dollars — en comparaison, et il en est de même sur l’ensemble de la période 1835-1842, le montant des prêts interbancaires de la Suffolk Bank est très supérieur à celui des autres grandes banques de la Nouvelle-Angleterre — et le second s’é lève à près de 2 000 000 de dollars. Cette étude montre par ailleurs que cette action de la Suffolk Bank a été très bénéfique et explique en partie la relative stabilité de la circulation de billets, de l’offre de crédit et du niveau des prix des actifs en Nouvelle-Angleterre durant cette même période.
24Les avances de la Suffolk Bank aux banques membres, qui font l’objet d’une sévère et toute particulière attention, constituent sa fonction proprement monétaire — i.e. la création de monnaie supérieure. Indépendamment ou non de cette fonction monétaire, la Suffolk Bank intervient auprès des banques (et les surveille) en employant des techniques de contrôle telles que l’obligation qui leur est faite de détenir un montant minimum de réserves. Plus important, elle contrôle et supervise les banques concernant leurs activités de prêts afin de les avertir d’é ventuelles prises de risques trop importantes et incompatibles avec leur équilibre bancaire. Ainsi, en 1842, les dirigeants de la Suffolk Bank écrivent au président de la Bank of Woodstock en spécifiant : « Une trop grande part de vos prêts constituent des prêts [de long terme] en faveur de l’industrie, ce qui déséquilibre la maturité de votre actif par rapport à celle de votre passif [22] ». À ce stade du développement, il importe de préciser que c’est la création de monnaie supérieure par un organisme bancaire et non le contrôle des établissements par ce même organisme qui établit la hiérarchie bancaire. Le contrôle et la supervision peuvent se faire indépendamment de cette création par la chambre de compensation, mais ils sont d’autant plus nécessaires quand elle a lieu.
25Cette hiérarchisation, avec ses caractéristiques, que nous avons tenté de décrire dans le cadre du système de la banque libre, va dans le sens d’une pluralité d’é metteurs de billets sans restrictions quantitatives. George A. Selgin et Lawrence H. White posent alors la question suivante : dans quelle mesure un système de banque libre doit-il être hiérarchisé [23] ? Pour eux, mais l’explication est insuffisante à nos yeux, certaines restrictions (l’interdiction d’implantations de succursales et les taxes sur l’é mission de billets, par exemple) provoqueraient une hiérarchisation, ou du moins l’accentueraient : « Le système de la Suffolk Bank était conditionné par des barrières légales à l’entrée dans le métier bancaire et spécialement dans l’implantation de succursales en Nouvelle-Angleterre. Si elles avaient été autorisées, l’organisation relative à l’é change de billets eût été moins hiérarchisée que celle du système de la Suffolk Bank [24]. » Il est difficile de comprendre ce que les auteurs entendent ici par hiérarchisation. S’ils y voient la « densité » des compensations interbancaires, alors un système bancaire sans succursales a un système de compensation plus dense qu’un système à succursales, mais on ne peut parler de hiérarchisation dans la mesure où aucun organisme ne crée de la monnaie supérieure en accordant des prêts aux banques. En ce sens, on ne peut affirmer que la restriction concernant la création de succursales induit une création de monnaie supérieure, car ceci n’a rien à voir avec la hiérarchisation bancaire. Il ne fait néanmoins aucun doute que cette restriction change quelque peu l’organisation et l’efficacité du système de paiement [25]. « La législation imposait une taxe prohibitive de 10 % [...] et un cautionnement obligataire pour chaque émission de billets. À cause de ses contraintes, il était alors difficile, voire impossible, pour les banques commerciales de satisfaire individuellement leurs clients et leurs demandes toujours variables de billets [26]. » Il est démontré plus bas que les restrictions, telle la loi sur le cautionnement obligataire, provoquent effectivement une inélasticité de l’offre de billets par les banques ; par conséquent, cette contrainte explique en partie la création de monnaie manuelle par la chambre de compensation pour pallier la relative pénurie de billets de banques. Mais G. A. Selgin et L. H. White traitent de la Suffolk Bank et de la banque libre dans le Massachusetts pendant les années 1850 ; or, durant cette période, le législateur n’exige ni taxe ni caution obligataire des banques, qui bénéficient d’une grande liberté [27]. L’argument de G. A. Selgin et L. H. White n’est donc pas recevable dans l’État et la période considérés pour expliquer la structure bancaire hiérarchisée.
26Dans le cas du Massachusetts ou de la Nouvelle-Angleterre, cette structure hiérarchisée ne peut donc s’expliquer par les réglementations, mais, de manière générale — et c’est ce que ne reconnaissent pas G. A. Selgin et L. H. White — , elle se comprend par une formation spontanée, à savoir le mécanisme du crédit appliqué au niveau de la chambre de compensation. Par ailleurs, outre l’é mergence d’une institution prudentielle rendant possible le prêt en dernier ressort par la création ex nihilo de monnaie supérieure lors des crises de liquidité, les États de la Nouvelle-Angleterre se dotèrent de réglementations très strictes concernant le niveau du capital des banques, qui dépassait parfois la moitié de leur passif ! Ceci est un facteur supplémentaire d’explication à la remarquable stabilité des établissements et du système bancaires de cette région [28].
27Pour finir, la Suffolk Bank fut concurrencée dans le métier de la compensation multilatérale par la Bank of Mutual Redemption créée en 1858 à Boston et, bien que ses parts de marché diminuassent, elle ne fit pas pour autant faillite [29]. La suspension des paiements de décembre 1861, à la suite du début de la guerre de Sécession, la période des greenbacks et surtout les lois bancaires de 1863 mirent fin, en Nouvelle-Angleterre, à la fois au système de la banque libre et au système hiérarchisé de la Suffolk Bank.
La New York City Clearinghouse Association
28La New York City Clearinghouse Association (NYCHA), première chambre de compensation à New York, fut instituée en 1853 par les banques de New York afin de faciliter les règlements interbancaires et développer l’é mission de comptes-chèques. Une chambre de compensation présente, on l’a vu, un avantage concurrentiel par rapport aux services des courtiers qui reprennent les billets avec une décote, puisqu’elle facilite l’é change des billets au pair. De plus, elle assure un contrôle plus efficace par les audits qu’elle réalise fréquemment auprès des banques membres, et systématiquement auprès de celles désireuses de devenir membre du système de compensation. La confiance des déposants et des porteurs de billets envers les banques et la chambre de compensation est à ce prix :
La chambre de compensation exigeait, par exemple, des établissements membres un test d’admission (basé sur la certification d’un capital suffisant), le paiement des frais de gestion, l’obligation de contrôle périodiques (audits). Ceux qui échouaient à satisfaire ses exigences étaient sous le joug de mesures disciplinaires (amendes) et, pour des fautes très graves, ils pouvaient être exclus. L’expulsion d’un établissement par la chambre de compensation était un signal clair concernant la qualité de son bilan. [...] Le droit de regard de la chambre de compensation sur les comptes et sa capacité à mesurer la qualité des établissements membres incitaient fortement à un comportement prudent de chacun de ceux-ci et renforçaient ainsi la crédibilité de ses indications [30].
30Curieusement, alors que la NYCHA réalise des audits auprès des banques, elle suspend durant les crises la publication des soldes interbancaires [31] — suspension censée protéger les établissements en situation très critique [32]. Plutôt que d’aider les agents à distinguer les banques en difficulté des plus solides pour que la discipline de marché puisse sélectionner ces dernières, la chambre de compensation entretient délibérément la plus grande incertitude. Ainsi, les agents, mal informés, se présentent indistinctement aux guichets de toutes les banques, et au lieu que les ruées se focalisent sur celles en situation critique, la méfiance affecte toutes les autres : c’est alors que chaque banque, et finalement tout le système, devient vulnérable. L’attitude adéquate eût été, au contraire, de réaliser des audits auprès des établissements en difficulté et de les rendre aussi transparents que possibles. Un doute subsiste : la NYCHA avait-elle délibérément suspendu les publications des bilans bancaires parce qu’elle entendait ainsi garantir la pérennité de l’ensemble du système, ou s’avérait-elle incapable de distinguer les « bonnes » banques des « mauvaises » ? La lecture des comptes rendus du directoire de la NYCHA serait nécessaire — si une telle information s’y trouve — pour connaître le degré d’information et l’opinion des dirigeants. Notons néanmoins que, durant la crise de 1907, les bilans et les soldes des banques furent largement diffusés dans les revues et les journaux spécialisés [33]; soit la NYCHA avait abandonné sa stratégie visant à protéger l’ensemble des banques, soit elle était désormais capable, par une analyse comptable plus performante, d’opérer une distinction qualitative entre les différentes banques. Quoi qu’il en soit, il est loisible de reconnaître ici un véritable processus d’apprentissage dans le métier de superviseur et de prêteur en dernier ressort.
31La fonction monétaire de la NYCHA, significative d’une structure bancaire hiérarchisée, est de répondre aux paniques bancaires par l’é mission de « certificats de prêts » issus de la chambre de compensation (clearinghouse loan certificates), qui permettent d’assurer aux banques en situation difficile le règlement de leurs positions nettes débitrices. Richard H. Timberlake [34], dans le cas new-yorkais entre autres, fait la distinction entre les clearinghouse certificates (certificats de la chambre de compensation), qui sont émis afin d’é conomiser l’usage des espèces ou des billets ayant cours légal lors des règlements interbancaires [35], et les clearinghouse loan certificates, qui sont des prêts octroyés sur décision de la direction de la chambre de compensation (clearinghouse committee) aux banques membres lors des crises bancaires. En fait, sur le plan monétaire, il n’y a pas grande différence entre ces deux instruments de paiement interbancaire, car il s’agit d’é missions partiellement couvertes par des réserves métalliques : ils constituent donc tous deux de la monnaie supérieure. La distinction de R. H. Timberlake ne porte que sur le volume du prêt accordé par la chambre de compensation.
32Plus contestable, le même auteur prétend que les certificats de prêts émis par la chambre de compensation ne sont partiellement couverts par de la monnaie métallique : « Les émissions de certificats de prêts de la chambre de compensation faisaient d’elle, de manière temporaire, une institution bancaire à couverture fractionnaire ; ce passif exigible à vue excédait alors ses réserves métalliques [36]. » L’é mission de certificats de prêt repose certes sur le mécanisme du crédit au niveau de la chambre de compensation, c’est-à-dire sur un système à couverture fractionnaire des engagements par des réserves métalliques déposées par les banques, mais il n’est pas exact d’affirmer que ce système n’est que temporaire. Il le serait si chaque émission était effacée par un remboursement des prêts par les banques membres. Or la chambre de compensation accorde continuellement des crédits interbancaires ; les prêts étant indéfiniment renouvelés, l’augmentation de la monnaie supérieure est alors définitive, et la couverture partielle des dépôts l’est tout autant. Cette démonstration concernant la NYCHA est identique à celle que nous avons faite de la Suffolk Bank, si ce n’est qu’il s’agit ici d’une création de monnaie supérieure sous forme manuelle et non pas scripturale, i.e. de dépôts détenus par les banques membres. Encore une fois, la vérification empirique de notre démonstration réside dans le simple fait que les chambres de compensation ne détiennent jamais 100 % de leurs réserves.
33Ces émissions de certificats de prêts qui constituent l’instrument du prêt en dernier ressort par la chambre de compensation prennent forme durant la première crise que connaît la NYCHA en 1857. De même que, pendant les crises, la NYCHA suspend la publication des informations concernant les bilans des banques, de même elle ne précise pas l’identité des établissements à qui elle accorde les certificats de prêts : cette attitude est différente de celle qui conduirait la NYCHA à ne pas informer a priori de son intervention comme prêteur en dernier ressort, et ce afin de limiter le risque moral. Là encore, cette rétention voulue de l’information n’est pas très efficace, elle n’aide pas les agents à sélectionner les banques et, comme le rapporte James G. Cannon, « une partie de la communauté financière tentait en vain de découvrir les banques qui s’endettèrent à l’aide des certificats [37] ». La même question soulevée plus haut se pose néanmoins : la NYCHA avait-elle prêté aux banques qu’elle jugeait sérieuses tout en voulant garder la confidentialité de son intervention afin de préserver l’ensemble du système bancaire ou avait-elle prêté à la plupart des banques parce qu’elle était incapable de faire la distinction entre « bonnes » et « mauvaises » ?
34Les banques en manque de liquidité doivent avoir l’accord du loan committee de la chambre de compensation — qui exige au passage des garanties de leur part — pour bénéficier de l’aide en dernier ressort. Bien que Gary Gorton et Donald J. Mullineaux reconnaissent le risque moral lié à l’é mission de certificats de prêt par la chambre de compensation [38], ils négligent les conséquences de la loi sur le cautionnement obligataire du comportement des banques et de la chambre de compensation, lié à « l’inélasticité de l’offre de billets. Ce problème devient encore plus aigu sous le National Bank Act de 1863, comme en témoigne l’augmentation des émissions des certificats de prêt par la NYCHA : leur montant est de 16 400 000 dollars en 1864,22 400 000 en 1873,21 900 000 en 1884,38 300 000 en 1893 et 88 400 000 en 1907 [39].
L’inélasticité de l’offre des billets (1863-1913)
Les lois bancaires de 1863, ou le National Banking Act
35Sur le plan monétaire, la période de la guerre de Sécession (1861-1863) est marquée par l’é mission de greenbacks, qui sont de la monnaie de papier inconvertible imprimée à l’encre verte et émise par le gouvernement fédéral afin de financer les dépenses militaires. Les greenbacks ont été émis pour un montant total qui approche le maximum autorisé de 450 000 000 dollars, et, pendant la dernière année de la guerre, ils se sont dépréciés de plus de 50 % [40]. En 1863, le gouvernement fédéral fait voter une loi bancaire (le National Banking Act) qui définit les modalités de l’é mission de billets (les national notes) par les banques désignées à cet effet (les national banks). Les national notes sont des billets que les banques émettrices inscrivent à leur passif et non pas une monnaie de réserve légale ; ils sont convertibles en monnaie légale (espèces métalliques, et greenbacks jusqu’en 1879). En 1867, il y a environ mille six cents national banks et le remboursement des billets n’est pas centralisé avant 1874. À partir de cette date, ce ne sont pas les banques qui remboursent les national notes, mais la National Bank Redemption Agency, créée à cet effet et qui centralise les remboursements. Pour émettre ces billets, conformément à la loi de dépôt de garantie sous forme de cautionnement obligataire (bond collateral requirement), les banques doivent acquérir certains titres publics et les déposer au Trésor américain (Office of the Comptroller) à hauteur de 90 %, et, après 1900, de 100 % des billets émis. Aussi, l’acte de 1863 constitue un moyen pour le gouvernement de financer en partie la dette fédérale.
36Il résulte de cette réglementation que l’offre de billets ne suit pas instantanément la demande. D’une part, après le dépôt des titres au Trésor, les banques attendent plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant de se procurer des national notes imprimés par le Trésor mais émis par elles. D’autre part, quand augmente le cours des titres susceptibles d’ê tre demandés conformément à la loi, ils sont acquis par les banques moyennant une surcote. Les établissements préfèrent alors réaliser un arbitrage en émettant des billets lorsque le cours des titres est plus faible, et, inversement, plus le prix des titres est élevé, plus l’é mission de billets est coûteuse pour la banque émettrice. Le montant de billets en circulation tend donc à varier selon le prix des titres publics, ce qui ne permet pas une offre régulière de billets en fonction de la demande de billets par les agents. Ainsi, dans les années 1880, lorsque la dette fédérale se résorbe, l’offre des titres fédéraux décroît et leurs cours augmentent, entraînant des coûts d’é mission de billets supérieurs pour les banques. En outre, une taxe de 10 % est exigée pour chaque billet émis.
37Le délai d’impression et de transport des billets, les arbitrages que les banques opèrent pour en émettre ou non selon le cours des titres et, moins significativement, les taxes liées à leur émission, imposent un laps de temps significatif entre la décision de la banque d’é mettre de nouveaux billets et l’é mission effective de ceux-ci. L’é mission de billets ne se produit donc ni lorsque la demande l’exige ni lorsque l’offre le décide. Cette série de contraintes auxquelles sont confrontées les banques américaines sous le National Banking System provoque une certaine « inélasticité de l’offre de billets ». Elle a eu deux conséquences significatives : l’une sur le comportement des porteurs de billets et sur la stabilité des banques ; l’autre sur le comportement des chambres de compensation.
Effets de la réglementation sur les agents et les banques
38Le National Banking System se heurte à ce que l’on connaît sous le nom d’« inélasticité de l’offre de billets » (inelasticity of the currency). Il ne s’agit pas ici de la définition micro-économique de l’inélasticité, mais de l’inaptitude du système bancaire à fournir instantanément et efficacement des billets de banque (ou des « liquidités ») selon la demande de billets, laquelle varie en fonction de la croissance de l’activité ou des variations saisonnières de la production agricole, ou encore selon les augmentations exceptionnelles de la demande de billets durant les crises de paiements liées à la crainte des « mauvais chèques ». Ce problème a depuis longtemps été soulevé [41].
39L’offre de billets contrainte par la loi du cautionnement obligataire n’é tant pas adaptée à la demande, on assiste durant certaines périodes à une relative pénurie de billets de banque. Pour preuve, le délai de demande de remboursement : sous le système écossais du XIXe siècle ou celui de la Suffolk Bank, tel que nous l’avons décrit, les billets retournaient dans le système de compensation au terme d’un délai allant de deux semaines à un mois ; or la période de circulation des national notes pour l’année 1877 était de seize mois. Les billets reviennent à la Redemption Agency moins du fait de la régulation monétaire, sous la forme du reflux, que parce qu’ils sont bien trop usés pour pouvoir circuler plus longtemps et parce qu’il est difficile et long d’en demander le remboursement [42]. Pour faire face à cette demande, les banques « réémettent » des national notes, qui leur servent alors de monnaie de réserve pour satisfaire les demandes de monnaie manuelle de leurs clients. Pour eux, il est de fait plus rentable de détenir des national notes que d’en demander le remboursement en monnaie légale. Sous un régime de libre émission, un tel comportement n’a pas lieu d’ê tre, puisque les banques peuvent offrir directement des billets à ceux qui en demandent, tandis que le National Banking System les oblige à garder en encaisse des billets qu’elles ne peuvent émettre aisément selon les besoins de leur clientèle.
40Les restrictions liées aux émissions des banques provoquent non seulement de graves déséquilibres dans l’offre de billets, mais aussi sur les réserves des banques. Lorsque les agents ont besoin de billets, l’inélasticité conduit à une ruée sur la monnaie manuelle, ce qui assèche les réserves des banques. La pénurie de billets peut être telle que les banques préfèrent détenir en réserve autant et aussi longtemps que nécessaire des national notes, afin de satisfaire les demandes éventuelles de « liquidités » (i.e. de billets) auxquelles elles ne peuvent répondre en procédant simplement à une émission. Et il importe de préciser que, lorsque les déposants réclament des billets, il s’agit d’une demande de monnaie manuelle (les billets) reflétant un besoin de monnaie de banques sous une forme particulière, et non d’une demande de monnaie ultime (la monnaie métallique) reflétant une volonté de vérifier la solidité des banques. Selon les termes employés par G. A. Selgin [43], on parle alors d’une ruée sur les billets (la monnaie manuelle) et non d’une ruée de remboursement (en monnaie ultime, métallique). Néanmoins, le résultat est le même dans les deux cas : il y a assèchement des réserves des banques constituées en national notes et en espèces métalliques. Ajoutons qu’à partir du moment où cette offre tarde à venir les agents doutent de la capacité du système à répondre à leurs demandes de monnaie manuelle, et, compte tenu des incertitudes liées à l’inélasticité de l’offre, ils radicalisent alors leurs demandes de « liquidités » en exigeant non seulement des billets qu’ils peuvent difficilement se procurer, mais également des espèces métalliques. Les ruées sur la monnaie manuelle peuvent ainsi se transformer en ruées sur la monnaie ultime.
41Pour faire face à ces contraintes et satisfaire la demande de « liquidités », les banques émettent parfois des billets en toute illégalité alors même que ces émissions sont parfaitement justifiées d’un point de vue économique.
Une pénurie saisonnière du crédit se produisait chaque année à l’automne, la mobilisation des récoltes accroissant la demande de « liquidités » [i.e. des billets]. En 1893 et en 1907, cette pénurie de crédit dégénéra pour se transformer en véritable panique. Les banques privées, les établissements de compensation et autres établissements financiers émirent pour des millions de dollars de « substituts de liquidités » et parvinrent partiellement à enrayer ces crises. Pour la plus grande partie, ces ersatz étaient vraisemblablement émis au mépris de la loi, mais leur mise en œuvre fut une occasion de découvrir à quel point ce type de crise vient des contraintes réglementaires imposées à l’é mission de billets, et peut par conséquent être évité si on supprime ces contraintes [44].
43Un deuxième substitut aux national notes comme monnaie manuelle circulant parmi le public peut être trouvé avec les « chèques négociables » (negociable cashier’s check), qui sont des chèques d’un montant de cinq, dix ou vingt dollars, émis par les banques et payables au porteur [45].
44Au regard de la loi bancaire de 1863, ces émissions sont à la limite de la légalité. Les chèques négociables, connus au XIXe siècle sous le nom de scrip money, constituent un troisième substitut aux national notes : ils sont émis par certaines firmes pour payer leurs employés lorsque, durant les périodes de crise, elles ne peuvent se procurer de billets auprès des banques. Leur émission s’explique également pour une autre raison. L’é loignement géographique de certains sites d’entreprise (par exemple, les mines de charbon) ne permettait pas aux agents de bénéficier des services des banques : aussi les firmes émettaient-elles des chèques négociables pour payer les ouvriers, qui pouvaient les utiliser pour régler leurs dépenses courantes [46]. Mais, comme pour toute monnaie, ces émissions « illégales » exigeaient et la confiance du public et un effort publicitaire de la part de l’é metteur. Ajoutons à cela que, pendant ces crises, les agents américains font également appel aux banques canadiennes qui, nous le verrons plus loin, peuvent émettre librement des billets sans connaître les contraintes auxquelles doivent répondre les banques américaines ; il n’est donc pas rare, pendant l’é poque du National Banking System, de voir circuler des billets de banques canadiennes à la frontière nord des États-Unis.
45Outre des émissions illégales de monnaie manuelle par certaines banques américaines et, dans une moindre mesure, l’« importation » de billets de banques canadiennes non sujettes à la loi du cautionnement obligataire, une pénurie de billets de banque provoque également et surtout des émissions illégales de monnaie manuelle par les chambres de compensation. Aussi, la cause de l’offre de liquidité par ces dernières n’est pas la nécessité du prêt en dernier ressort comme offre de monnaie supérieure pour contenir des ruées sur la monnaie métallique, mais la pénurie de crédit sous forme de billets liée aux restrictions légales et dont le prêt en dernier ressort résulte comme offre de monnaie manuelle pour contenir les ruées sur les billets.
La nature du prêt en dernier ressort
Les effets de la réglementation sur les chambres de compensation
46Les chambres de compensation répondent elles aussi à l’inélasticité de l’offre de billets en émettant de la monnaie manuelle. Comme dans le cas de la NYCHA, elles émettent des certificats (clearinghouse certificates) et des certificats de prêts (clearinghouse loan certificates) en faveur des banques membres. Ces émissions visent notamment à endiguer les ruées sur la monnaie manuelle. Elles vont croissant avec le National Banking System et sous des formes différentes. Durant la crise de 1873, une nouvelle forme d’é mission apparaît ; il s’agit de chèques certifiés de la chambre de compensation similaires aux certificats et qui constituent des moyens de paiement entre banques membres, non remboursables en espèces mais circulant au pair [47]. Certificats ou chèques certifiés de la chambre de compensation, ils correspondent, pour les banques, à une monnaie de réserve et répondent aux demandes de monnaie manuelle, d’autant que leur circulation au sein du public progresse.
47À New York, durant la crise de 1893, la NYCHA commença à en émettre avant même la suspension des paiements. Libellés en petites coupures, ils circulent aisément parmi les agents non bancaires. Il en est de même ailleurs — par exemple, l’Atlanta Clearing House Association met en circulation des certificats d’une valeur de dix dollars susceptibles d’ê tre utilisés par les particuliers pour leurs achats courants. Significatif de la demande de billets par les agents, les banques commerciales peuvent même rembourser leurs dépôts à l’aide de ces certificats qui constituent en fait de la monnaie de réserve non officielle. Largement acceptées non seulement par les banques auprès de la chambre de compensation mais surtout par les agents non bancaires auprès des banques, ces coupures deviennent de plus en plus petites, atteignant parfois un quart de dollar. Un banquier de cette époque, James G. Cannon, observait qu’« un montant considérable de certificats de la chambre de compensation circulaient dans des villes du Sud-Est, où ne se trouvait aucune chambre de compensation ! [48] » Il jugeait de manière générale que ces certificats étaient « l’un des plus fameux exemples, dans l’histoire du pays, de la capacité des agents, livrés à eux-mêmes, à inventer des mesures pour leur propre secours [49] ».
48Les restrictions liées à l’é mission de billets, et l’« inélasticité » de l’offre de billets qui en résulte, conduisent ainsi au détournement de la loi, non parce que les banques ou les chambres de compensation ont une propension particulière à frauder, mais parce que ces émissions correspondent à une demande du public. Si donc les émissions de certificats par la chambre de compensation sont frauduleuses, alors il faut qualifier d’illégitime la demande de monnaie sous forme de billets, pour des raisons de commodité ou autres — hypothèse somme toute absurde. De sorte que les émissions de certificats ont force de coutume, malgré une interprétation de la loi qui tendrait à les considérer comme illégales, et c’est ainsi que le gouvernement, à cette époque, fait preuve de tolérance à leur égard [50] ».
49Ces émissions de certificats constituaient-elles un danger pour le système bancaire ? De fait, elles correspondaient à une demande et, d’après les chiffres donnés par O. M. W. Sprague, R. H. Timberlake pense qu’il n’en est rien : « Le fait le plus extraordinaire associé à ces expériences relatives aux chambres de compensation et se déroulant entre 1857 et 1907 est que les pertes provenant des différentes émissions illégales de billets étaient négligeables ! La seule perte reportée dans tous les comptes considérés fut de 170 000 dollars à Philadelphie en 1890 sur une émission de 9 700 000 dollars — soit une perte de 1,8 % [51]. » Après la crise de 1907, ces émissions non officielles, pour ne pas dire illégales, de billets deviennent légales grâce au Aldrich-Vreeland Act de 1908, et les chambres de compensation sont remplacées par la National Currency Association. « Par cet acte, le législateur n’escomptait pas de ces associations qu’elles fonctionnassent comme les chambres de compensation, mais qu’elles émissent de la « monnaie fiduciaire d’urgence » comme le firent les chambres de compensation par le passé [52]. »
50Par la suite, le Federal Reserve System Act fut voté en 1913 afin de corriger le problème de l’inélasticité de l’offre de billets. Selon G. Gorton [53], le système de la Réserve fédérale fut d’abord pensé comme la nationalisation du système des chambres de compensation privées, mais il a également instauré un monopole d’é mission des billets de banque. Nous pouvons noter qu’aux États-Unis, l’intervention du gouvernement pour créer une banque centrale dotée du monopole d’é mission n’a eu lieu qu’a posteriori, quand les acteurs du système bancaire eurent pris conscience des interventions en dernier ressort des chambres de compensation. À l’inverse, en Europe, l’intervention du gouvernement instaurant le monopole d’é mission vint a priori, et ce n’est qu’ensuite que les banques d’é mission devinrent des prêteurs en dernier ressort. Précisons néanmoins, et c’est ce qui apparaît en filigrane de notre démonstration, que l’é mergence et l’existence du prêt en dernier ressort sont indépendantes de l’existence d’un monopole d’é mission de billets. Par ailleurs, les relations entre le système bancaire du Canada et celui des États-Unis mettent en évidence les dysfonctionnements du National Banking System et permettent de mieux cerner encore la nature du prêt en dernier ressort.
La création et non le transfert de liquidités interbancaires
51De 1817 à 1914, au Canada, les banques sont libres d’é mettre des billets convertibles en espèces métalliques, sans contraintes qui menaceraient la stabilité des banques, et les demandeurs de billets ne connaissent aucunement le problème de l’inélasticité de l’offre de billets [54]. Malgré le succès partiel et la relative stabilité du système bancaire canadien par rapport à son homologue américain durant le XIXe siècle, C. Goodhart a avancé l’idée qu’il ne correspondait pas au système de la banque libre, dans la mesure où il dépendait du centre financier que constituait la ville de New York tout comme le système écossais de la banque libre dépendait de Londres [55].
52Il a été démontré ailleurs que, sous le régime de la banque libre (1727-1844), le système écossais ne dépendait pas de Londres [56]. Cette thèse est tout aussi réfutable pour la situation canadienne à l’é gard de New York, et ce pour trois raisons : 1) si prêt des banques de New York il y a, il ne s’agit nullement d’un prêt en dernier ressort, au sens où il y aurait création de monnaie supérieure, mais d’un simple transfert de monnaie métallique ; 2) les banques canadiennes ont également prêté aux établissements newyorkais en leur offrant de la monnaie métallique ; 3) plus encore, les banques canadiennes vont jusqu’à fournir de la monnaie manuelle, et non seulement de la monnaie métallique, aux agents du nord-est des États-Unis. 1. Les banques de New York ont effectivement prêté à plusieurs reprises de la monnaie ultime aux banques canadiennes. Ce transfert de monnaie métallique s’explique par le fait que New York est un marché financier important et que des banques d’une autre région ou d’un autre pays s’adressent à elle lorsqu’elles sont en manque de liquidité. L’important est de souligner qu’il ne s’agit pas d’un prêt en dernier ressort, parce que les banques canadiennes n’utilisent pas les billets d’une ou plusieurs banques de New York ni ne détiennent des comptes à vue dans lesdites banques ; l’instrument du prêt en dernier ressort n’existe donc pas. Il s’agit ici d’un simple transfert de liquidité d’une banque ou d’une place financière à l’autre. Seule la structure de l’actif de la banque créditrice est modifiée, et nullement le montant de son passif. Il en résulte qu’aucun prêt en dernier ressort n’a eu et ne pouvait avoir lieu, aucune structure bancaire hiérarchisée n’a pris et ne pouvait prendre forme.
532. Ce transfert de monnaie métallique des États-Unis vers le Canada n’est pas à sens unique : les banques canadiennes en fournissent au marché monétaire de New York pendant les périodes de difficultés financières, et notamment durant la crise de 1907 [57]. Encore une fois, il ne s’agit que d’un simple transfert et non d’une création de liquidité interbancaire. Ce phénomène s’explique en premier lieu par la relative inélasticité de l’offre de billets par le système bancaire américain et, par conséquent, par la pénurie de billets aux États-Unis durant les crises ; l’analyse graphique le montre clairement [58]. Bénéficiant de la liberté d’é mettre des billets sans contraintes, les banques canadiennes peuvent offrir spontanément de la monnaie manuelle en fonction des demandes saisonnières du public et, en ce sens, elles sont relativement plus à l’abri d’une demande de moyens de règlement ultime, les espèces métalliques. Par contraste, les banques de New York ne bénéficient pas d’une telle souplesse de leur offre de billets, aussi les agents, ne pouvant se procurer des « liquidités » sous forme de billets, vont-ils radicaliser leur demande de « liquidité » en en demandant sous forme d’espèces métalliques ; celles-ci quittent alors les caisses des banques new-yorkaises, qui se voient contraintes d’en trouver sur d’autres places, en l’occurrence auprès des banques canadiennes.
54Une autre explication à l’offre de monnaie métallique par les banques canadiennes est également liée à l’inélasticité de l’offre de billets américains, qui a une conséquence directe sur les réserves de billets des banques comme sur les taux d’intérêt. Durant les phases d’augmentation du niveau des réserves des banques (excès de billets), les taux d’intérêt baissent, et, inversement, durant les phases de diminution (pénurie de billets), les taux d’intérêt augmentent. Il en résulte que les taux d’intérêt sont plus volatiles aux États-Unis qu’au Canada, et, lors des crises financières, la pénurie de billets fait que les taux d’intérêt y sont plus élevés [59]. La hausse des taux relativement plus forte s’accompagne d’une chute du prix des actifs plus forte également, ainsi que d’une demande de monnaie ultime plus aiguë aux États-Unis qu’au Canada. Dans ce pays, l’absence d’inélasticité de l’offre de billets et la stabilité des réserves bancaires offrent aux banques canadiennes une marge de manœuvre qui leur permet le prêt de monnaie métallique à New York, et ceci d’autant plus que les taux en périodes de crises sont plus élevés à New York.
553. Les billets des banques canadiennes ont enfin circulé, et ce fait n’est pas réciproque, parmi des agents américains très demandeurs de « liquidités », précisément sous forme de billets. En effet, de manière surprenante et très significative à la fois, les billets des banques canadiennes circulent dans le nord-est des États-Unis comme substituts aux billets américains [60]. Cette offre de monnaie manuelle par les banques canadiennes aux agents de cette région du fait de l’inélasticité de l’offre de billets, et notamment lors des ruées sur la monnaie manuelle, est un phénomène identique, dans une mesure certes plus modeste, à celui de l’offre de monnaie manuelle par les chambres de compensation américaines.
56En dernière analyse, non seulement le système bancaire américain n’intervient pas en tant que prêteur en dernier ressort auprès du système canadien, puisqu’il ne s’agit que de transferts de monnaie métallique, mais les banques canadiennes ont offert des billets aux agents du nord-est des États-Unis. Ainsi, de même que les chambres de compensation américaines interviennent en dernier ressort pour offrir des « liquidités » aux agents, les banques canadiennes contribuent, même de manière anecdotique, à fournir des « liquidités » sous forme de billets au système de paiement américain. Les affirmations de C. Goodhart semblent donc d’autant plus erronées qu’elles ne tiennent pas compte des graves problèmes que pose la loi sur le cautionnement obligataire pendant le National Banking System [61]. Si les émissions de certificats ou de certificats de prêts par les chambres de compensation s’expliquent par les restrictions liées aux émissions de billets et à l’inélasticité de l’offre de billets qui en résulte, ce n’est cependant pas la seule explication de l’é mergence d’une banque supérieure, car des émissions de monnaie supérieure existent avant le National Banking Act de 1863 et dans des États (comme ceux de la Nouvelle-Angleterre) où prédomine le principe de la libre émission de billets et où émerge une banque supérieure (en l’occurrence, la Suffolk Bank de Boston). Nous sommes donc naturellement conduit à penser que le prêt en dernier ressort constitue, indépendamment des contraintes liées à l’é mission de billets, une véritable innovation du système de paiement.
Une innovation du système de paiement
57Durant la période de la banque libre en Nouvelle-Angleterre, aucune restriction ne provoque une rigidité de l’offre de billets par les banques. Si les agents ont besoin, à titre exceptionnel ou saisonnier, de « liquidités » sous forme de billets, les banques peuvent spontanément répondre à cette demande. Aussi, la Suffolk Bank n’intervient pas pour satisfaire une demande de monnaie manuelle à laquelle les banques libres peuvent facilement répondre. La Suffolk Bank, outre qu’elle assure les échanges et les compensations des billets et des chèques, intervient alors de manière bien plus précise auprès des banques. Elle le fait non parce que les banques ne peuvent satisfaire les demandes de monnaie sous forme de billets (ruée sur la monnaie manuelle), puisqu’elles peuvent elles-mêmes émettre des billets sans restriction, mais parce que certaines d’entre elles peuvent avoir un solde négatif vis-à-vis d’autres établissements et qu’elles ne peuvent immédiatement honorer cette dette au risque d’ê tre très illiquides, i.e. de manquer de liquidité interbancaire, et d’avoir à suspendre leurs paiements en fonction de l’inquiétude des porteurs de billets et des déposants (ruée sur la monnaie ultime). Afin d’assouplir la contrainte du reflux sous forme de demande de remboursement, et celle des compensations interbancaires, la chambre de compensation peut alors créer de la monnaie supérieure, octroyer un prêt à court terme en faveur des banques momentanément illiquides. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que la Suffolk Bank n’é met pas principalement de la monnaie supérieure sous forme de billets ou de certificats, à la différence des chambres de compensations qui tentent de répondre à l’inélasticité de l’offre de billets résultant de la loi sur le cautionnement obligataire, mais qu’elle offre surtout de la liquidité interbancaire sous forme de découverts. Cette remarque tend à renforcer l’idée que l’essence de la banque supérieure n’est pas l’offre de monnaie manuelle, car la loi du reflux et des compensations interbancaires assure en temps normal la régulation de monnaie de banques sous toutes ses formes, mais bien plutôt l’offre de monnaie supérieure, quelle qu’en soit la forme, afin de limiter le risque de système et d’assurer la pérennité du système des paiements.
58Sous cet angle, le prêt en dernier ressort n’est pas une conséquence de la réglementation publique, mais une innovation du système des paiements et un instrument prudentiel qui instaure la confiance et permet de répondre aux effets néfastes de la concurrence bancaire et de l’instabilité financière. En effet, la loi du reflux et des compensations interbancaires, alors efficace lors des crises individuelles de liquidité, c’est-à-dire limitées à une ou quelques banques, devient inopérante, voire déstabilisatrice lors des crises systémiques de liquidité, c’est-à-dire généralisées à tout le système bancaire. Le prêt en dernier ressort vient justement compléter ou assouplir la loi du reflux et des compensations interbancaires lors de crises généralisées de liquidité et des ruées sur la monnaie ultime [62]. Comme innovation du marché, cet instrument doit être utilisé avec une grande rigueur, afin que la monnaie supérieure que crée la chambre de compensation puisse se substituer à la monnaie ultime (en l’occurrence, la métallique). Pour ce faire, la politique ou le code de conduite de la banque supérieure doit respecter la règle de la convertibilité ; aussi le prêt ne peut-il être effectué de n’importe quelle manière ni vers n’importe quelle banque [63].
59Ainsi, le prêt en dernier ressort apparaît particulièrement complexe pour ceux des États qui adoptèrent la loi du cautionnement obligataire avant 1863, et pour l’ensemble des États-Unis après cette date. Notre analyse montre d’une part que le prêt en dernier ressort est une conséquence des contraintes réglementaires et permet d’ajuster l’offre de billets à la demande, et, d’autre part, qu’il est une innovation du système de paiement et permet d’assurer la stabilité du système bancaire face au risque systémique. Or, dans les faits, les deux phénomènes se superposent et il est alors bien difficile de déterminer si une intervention en dernier ressort de la chambre de compensation ou de la banque supérieure est une conséquence néfaste de la loi de dépôt de garantie sous forme de cautionnement obligataire, ou si cette intervention est une innovation répondant à une demande du marché pour faire face aux effets négatifs de la concurrence bancaire. Inversement, les réglementations en vigueur dans certains États avant 1863, et dans tout les États-Unis ensuite, ne sauraient être une conséquence de l’é mergence d’une banque supérieure, car ces réglementations existaient avant qu’elle n’apparaisse, et nous avons vu qu’elles l’expliquent plutôt, au moins en partie.
60La Suffolk Bank présente, dans cette perspective, une rare particularité : l’intervention en dernier ressort de la banque supérieure correspond seulement à une innovation du système de paiement et non une conséquence de la loi sur le cautionnement obligataire. Ceci parce que ce système présente, dans le cadre de la convertibilité, les caractéristiques suivantes : absence de réserve unique, absence de loi sur le cautionnement obligataire et de tout autre contrainte liée à l’é mission de substituts monétaires, que ce soit sous une forme fiduciaire ou scripturale.
61De cette comparaison spacio-temporelle du système bancaire des États-Unis au XIXe siècle, de celle des différents systèmes d’é mission de billets, il ressort que nous devons identifier deux types de prêt en dernier ressort : l’un est une conséquence de la législation relative à l’é mission de billets, l’autre une innovation apparaissant du fait du risque de système. Le prêt en dernier ressort s’explique, mais en partie seulement, par la loi du dépôt de garantie sous forme de cautionnement obligataire et par l’inélasticité de l’offre de billets qui en découle ; afin de répondre aux demandes de billets par les agents, les chambres de compensation émettent des certificats auprès des banques qui les mettent à leur tour en circulation dans le public. Néanmoins, cette explication ne doit pas nous faire perdre de vue, c’est l’autre explication, que les prêts de la chambre de compensation ou de la banque supérieure auprès des banques membres constituent une formation spontanée et une innovation du système bancaire ; l’é mergence d’une banque supérieure injectant de la monnaie interbancaire est alors indépendante des contraintes liées à l’offre de billets de banques. L’analyse des faits historiques touchant les crises bancaires et financières sous le National Banking System est alors délicate, car les deux explications du besoin du prêt en dernier ressort se superposent. Les théoriciens de la banque libre analysent les faits comme si seule la première explication prévalait ; à l’inverse, certains théoriciens de la banque centrale considèrent que seule vaut la seconde. Or, les deux explications ne sont pas exclusives l’une de l’autre, et c’est une gageure que de vouloir déterminer la part respective de l’une et l’autre fonction. Tout ce que l’on peut dire est que dans le cas du système de la Suffolk Bank, seule la dernière explication prévaut.
62Il convient néanmoins de ne pas se méprendre. Notre analyse ne cherche ni à extraire une théorie des expériences historiques ni à trouver un « juste milieu » entre les deux thèses en présence. Elle évite en tout cas et le piège de l’empirisme et celui du relativisme. En effet, l’observation des faits indique qu’il y a émergence d’un prêteur en dernier ressort, mais ne permet pas de comprendre pourquoi une telle émergence a lieu. Plus encore, les expériences historiques ne permettent pas de tester une théorie ; l’observation des faits indique que, sans contraintes touchant l’é mission de billets de banque, émerge un prêteur en dernier ressort, mais elle ne nous explique toujours pas la raison d’une telle formation sociale. Nous avons interprété l’expérience de l’é mergence d’un prêteur en dernier ressort aux États-Unis durant le XIXe siècle, et plus particulièrement en Nouvelle-Angleterre durant la période 1824-1858, en supposant que cette émergence correspond à une innovation du système bancaire permettant de répondre aux effets néfastes de l’instabilité financière et des crises systémiques de liquidité qui en résultent. D’autres économistes, notamment les théoriciens de la banque libre, pensent à l’inverse que le prêt en dernier ressort n’est pas la conséquence de l’instabilité financière mais la cause de cette instabilité, du fait du risque moral qui lui est lié. Ce n’est pas le lieu ici de répondre à cet argument. Au-delà de cette controverse, aucun « test » ne permet de trancher cette question. En d’autres termes, les expériences historiques doivent être interprétées à la lumière d’hypothèses exposées a priori, et ce ne sont pas ces expériences qui peuvent nous dire si celles-là sont valides ou non, mais leur analyse critique.
63Les hypothèses que nous avons posées pour interpréter l’expérience bancaire des États-Unis du XIXe siècle sont de trois ordres. Premièrement, une banque supérieure peut émerger, sans qu’elle bénéficie du monopole d’é mission des billets, de la fixation de leur cours légal, sans qu’il y ait de contraintes quantitatives affectant l’offre de billets ni même un système à réserve unique. Deuxièmement, la véritable nature du prêt en dernier ressort n’est pas la conséquence des contraintes qui conduisent à une rigidité de l’offre des billets, que ces contraintes qui déstabilisent le système bancaire prennent la forme de la loi sur le cautionnement obligataire (cas de plusieurs États des États-Unis durant la période du free banking, et de tous les autres durant la période du national banking ), du monopole national avec restrictions quantitatives à l’é mission de billets (cas de l’Acte de Peel de 1844 en Grande-Bretagne) ou d’une interdiction d’é mission de billets de banque sur un territoire donné (cas de la dollarisation officielle). Troisièmement, la véritable nature du prêt en dernier ressort réside en une innovation du système bancaire émergeant spontanément et indépendamment de ces contraintes : elle assure la pérennité du système de paiement lors des crises systémiques de liquidité et lors des ruées sur la monnaie ultime, précisément lorsque la loi du reflux et des compensations interbancaires devient impuissante à résoudre ces crises. On ne saurait donc nier que les crises systémiques et les ruées sur la monnaie ultime peuvent être exacerbées par les contraintes susdites. Enfin, mais c’est un autre débat, il ne faut pas perdre de vue que si le prêt en dernier ressort est une formidable innovation prudentielle, renforçant la confiance dans le système bancaire, et un moyen visant en principe à endiguer les ruées sur la monnaie ultime par une émission de monnaie supérieure, il reste que, s’il est utilisé avec laxisme et en « premier » ressort, ou si les dirigeants de la banque supérieure ont une mauvaise lecture de la crise, alors il ne sera que peu efficace face aux crises bancaire et financière, voire les accentuera. Le prêt en dernier ressort reste ce que l’on en fait.
Mise en ligne 01/12/2001
Notes
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[1]
Michel AGLIETTA, « Genèse des banques centrales et légitimité de la monnaie », Annales ESC, 47-3,1992, pp. 676-698, ici p. 677. Voir également les auteurs suivants, Gary GORTON, « Clearinghouses and the Origine of Central Banking in the United States », Journal of Economic History, XLV-2,1985, pp. 277-283 ; Donald J. MULLINEAUX, « Competitive Monies and the Suffolk Bank System : A Contractual Perspective », Southern Economic Journal, 52,1987, pp. 884-898 ; Charles GOODHART, The Evolution of Central Bank, Cambridge, MIT Press, 1988.
-
[2]
George A. SELGIN et Lawrence H. W HITE, « Competitive Monies and the Suffolk Bank System : Comment », Southern Economic Journal, 55-1,1988, pp. 215-219 ; George A. SELGIN, « Contraintes réglementaires. Difficultés financières et prêteur en dernier ressort », in G. A. SELGIN, La banque libre, Paris, Les Belles Lettres, [1989] 1991, pp. 295-338.
-
[3]
J. VAN FENSTERMAKER, John E. VAN FILER et Robert S. HERREN, « Money Statistics of New England, 1785-1837 », Journal of Economic History, XLIV-2,1984, pp. 441-453, ici p. 443.
-
[4]
Entre 1811 et 1830, les taux moyens de faillite bancaire pour les États du Connecticut, du Maine, du Massachusetts, du New Hampshire et du Rhode Island sont respectivement de 1,1 %, 1,9 %, 0,7 %, 0,9 % et 0,4 % ; à titre de comparaison, les taux pour les États du New Jersey, de New York et de Pennsylvanie sont de 4,2 %, 2,1 % et 3,3 % (Henry C. CAREY, The Credit System in France, Great Britain and the United States, Philaldelphie, Lea & Blanchard, 1838, cité in C. COQUELIN, Le crédit et les banques, Paris, Guillaumin, [1848] 1876, pp. 353-358). Et il en est de même au-delà de cette période : « Entre 1840 et 1860, seuls quarante-sept banques firent faillite dans toute la Nouvelle-Angleterre. Comme dans d’autres régions, la plupart des faillites eurent lieu durant la panique bancaire de 1837, mais, en Nouvelle-Angleterre, ses effets furent relativement faibles et il en résultat la faillite de seulement quinze banques (Charles W. CALOMIRIS et Charles M. KAHN, « The Efficiency of Self-Regulated Payments Systems : Learning from the Suffolk System », Journal of Money, Credit and Banking, 28-4, 1996, pp. 624-667, ici p. 788).
-
[5]
C. W. CALOMIRIS et C. M. KAHN, « The Efficiency of Self-Regulated... », art. cit., pp. 792-795.
-
[6]
La « première » banque des États-Unis bénéficie d’une charte particulière renouvelée en 1811 (c’est la « deuxième » banque des États-Unis), date à laquelle il existe huit chartered banks; puis, en 1816 et 1830, il y en a respectivement vingt-sept et trente-sept dans l’État de New York.
-
[7]
Kevin DOWD, « US Banking in the “ Free Banking” Period », in K. DOWD (éd.), The Experience of Free Banking, Londres, Routledge, 1992, pp. 206-240, ici p. 224.
-
[8]
Parmi les États du Middle Atlantic, le New Jersey en 1850, la Pennsylvanie en 1860, le Delaware et le Maryland sont sous un charter system peu contraignant ; parmi les autres États du quart nord-est, nous trouvons l’Illinois et l’Ohio en 1851, l’Indiana et le Wisconsin en 1852, le Michigan en 1857 après un bref et malheureux essai en 1837, l’Iowa et le Minnesota en 1858 (K. DOWD, « US Banking... », art. cit., pp. 236-240).
-
[9]
Hugh ROCKOFF, « The Free Banking Era : A Reexamination », Journal of Money, Credit and Banking, 6-2,1974, pp. 141-167.
-
[10]
Arthur J. ROLNICK et Warren E. WEBER, « New Evidence on the Free Banking Era », American Economic Review, 73-5,1983, pp. 1080-1091 et ID., « The Causes of Free Bank Failures », Journal of Monetary Economics, 14,1984, pp. 267-291.
-
[11]
George A. SELGIN, La théorie de la banque libre, Paris, Les Belles Lettres, [1988] 1991.
-
[12]
Wilfred S. LAKE, « The End of the Suffolk System », Journal of Economic History, 7-2,1947, pp. 183-207, ici pp. 184-185.
-
[13]
De fait, ses parts de marché augmentent constamment jusqu’en 1858 : en effet, elle compense pour 9 millions de dollars de billets par mois en 1841,20 millions en 1851 et 30 millions en 1858 (George TRIVOLI, The Suffolk Bank : A Study of a Free-Enterprise Clearing System, Londres, Adam Smith Institute, 1979, pp. 15 et 21).
-
[14]
D. J. MULLINEAUX, « Competitive Monies... », art. cit., pp. 887-888 (souligné par l’auteur).
-
[15]
G. A. SELGIN, La théorie de la banque libre, op. cit., p. 23.
-
[16]
Arthur J. ROLNICK et Warren E. W EBER, « The Suffolk Bank System Reconsidered », Working Paper 587, Federal Reserve Bank of Minneapolis, mai 1998, pp. 1-15.
-
[17]
Pour plus de détails sur la création de monnaie supérieure par la chambre de compensation « é mettrice » ou, en d’autres termes, sur ce mécanisme du crédit au niveau de la chambre de compensation devenant ainsi une banque supérieure, voir Laurent LE MAUX, « L’é mergence d’une banque supérieure sous le régime de la liberté bancaire », communication au Congrès de l’Association française de science économique, Carré des Sciences, Paris, 20-21 septembre 2001.
-
[18]
Arthur J. ROLNICK, Bruce D. SMITH et Warren E. WEBER, « The Suffolk Bank and the Panic of 1837 », Federal Reserve Bank of Minneapolis Quarterly Review, 24-2,2000, pp. 3-13.
-
[19]
K. DOWD, « US Banking... », art. cit., p. 222.
-
[20]
C. W. CALOMIRIS et C. M. KAHN, « The Efficiency... », art. cit., p. 776.
-
[21]
A. J. ROLNICK, B. D. SMITH et W. E. WEBER, « The Suffolk Bank... », art. cit., pp. 3-13.
-
[22]
Cité dans D. R. WHITNEY, The Suffolk Bank, Cambridge, Riverside Press, 1878, p. 35.
-
[23]
G. A. SELGIN et L. H. W HITE, « Competitive Monies... », art. cit., p. 216.
-
[24]
Ibid.
-
[25]
Randall S. KROSZNER, « Lessons from Laisser-Faire Payments System : The Suffolk Banking System (1825-1858), Commentary », Federal Reserve Bank of St. Louis Review, 80-3, mai-juin 1998, pp. 117-120, ici p. 119.
-
[26]
G. A. SELGIN et L. H. W HITE, « Competitive Monies... », art. cit., p. 217.
-
[27]
K. DOWD, « US Banking... », art. cit., p. 226.
-
[28]
Pour être plus précis sur ce point qui ne s’inscrit pas dans le cadre de notre article, remarquons que l’explication du niveau élevé du capital des banques de la Nouvelle-Angleterre mérite d’ê tre tranchée. Selon Philippe NATAF, « New England’s Depression-Proof Free Banking System : The Viewpoints of Henry Charles Carey and Charles Coquelin », in R. F. HÉBERT (éd.), Perspectives on the History of Economic Thought, vol. IX, Aldershot, Edward Elgar, 1992, les taux de solvabilité élevés résultent des effets vertueux de la libre concurrence et de l’absence de réglementation sur l’é mission de billets en Nouvelle-Angleterre. En fait, et d’après les informations données par C. W. CALOMIRIS et C. M. KAHN (« The Efficiency of Self-Regulated... », art. cit., p. 789), ces taux de solvabilité élevés s’expliquent davantage par les réglementations au niveau des États de la Nouvelle-Angleterre.
-
[29]
Cet épisode, presque unique, d’une concurrence entre chambres de compensation soulève des questions fort intéressantes, mais la place nous manque pour les développer plus avant. Le lecteur peut néanmoins prendre connaissance de ce débat en se référant à W. S. LAKE, « The End... », art. cit., pp. 196-207 ; D. J. MULLINEAUX, « Competitive Monies... », art. cit., vol. 52, pp. 894-897 ; R. S. KROSZNER, « Lessons... », art. cit., pp. 118-119 ; Arthur J. ROLNICK, B. D. SMITH et Warren E. WEBER, « Lessons from Laisser-Faire Payments System : The Suffolk Banking System (1825-1858) », Federal Reserve Bank of St. Louis Review, 80-3, 1998, pp. 105-116 ; Laurent LE M AUX, « La Suffolk Bank et le risque de système », communication aux Journées de l’Association française de science économique, Paris 17-18 mai 2001.
-
[30]
Gary GORTON et Donald J. MULLINEAUX, « The Joint Production of Confidence : Endogenous Regulation and Nineteenth-Century Commercial-Bank Clearinghouses », Journal of Money, Credit, and Banking, 19-4,1987, pp. 457-468, ici p. 461.
-
[31]
Cette publication est obligatoire pour les banques de New York, comme l’indiquent G. Gorton et D. J. Mullineaux : « La loi exigeait de toute banque de New York qu’elle publie chaque mardi matin un compte rendu montrant la moyenne des prêts, des escomptes, des espèces, des depôts et de la circulation des billets de la semaine précédente » (cf. G. GORTON et D. J. MULLINEAUX, « The Joint Production... », art. cit., p. 462).
-
[32]
Gary GORTON, « Clearinghouses and the Origin of Central Banking in the United States », Journal of Economic History, XLV-2,1985, pp. 277-283, ici p. 280.
-
[33]
Steve HORWITZ, « Competitive Currencies, Legal Restrictions, and the Origins of the Fed : Some Evidence from the Panic of 1907 », Southern Economic Journal, 56-3,1990, pp. 639-649, ici p. 645.
-
[34]
Richard H. TIMBERLAKE, « The Central Banking Role of the Clearing House Associations », Journal of Money, Credit and Banking, 16-1,1984, pp. 1-15, ici p. 3, en note.
-
[35]
Ces certificats émis par la chambre de compensation ne circulent pas dès le départ au sein du public comme de la monnaie fiduciaire, mais ce sera largement le cas par la suite sous le National Banking System, voir infra.
-
[36]
R. H. TIMBERLAKE, « The Central Banking... », art. cit., p. 4.
-
[37]
JAMES G. CANNON, Clearing Houses : Their History, Methods, and Administration, National Monetary Commission, 61st Congress, 2nd Session, Washington, Government Printing Office, 1910, p. 90.
-
[38]
G. GORTON et D. J. MULLINEAUX, « The Joint Production... », art. cit., p. 466.
-
[39]
Gerald P. DWYER et R. Alton GILBERT, « Bank Runs and Private Remedies », Federal Reserve of Saint Louis Review, 71-3,1989, pp. 43-61, ici p. 52.
-
[40]
Sur la période des greenbacks, voir Milton FRIEDMAN et Anna J. SCHWARTZ, A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton, Princeton University Press, 1963, chap. II. Nous ne traiterons pas de la circulation des greenbacks, de leur surabondance, puis de leur relative pénurie lorsque la dette fédérale se résorbe dans les années 1880. Ce choix ne change rien aux conclusions du présent article.
-
[41]
À ce sujet, voir Edward ATKINSON, What Is a Bank ? What Service Does a Bank Perform ?, New York, The Society for Political Education, 1881, et William BROUGH, Open Mints and Free Banking, New York, G. P. Putnam’s Sons, 1898; voir également Edwin W. KEMMERER, Seasonal Variations in the Relative Demand for Money and Capital in the United States : A Statistical Study, Washington, National Monetary Commission, 61st Congress, 2nd Session, Government Printing Office, 1910; Oliver M. W. SPRAGUE, History of Crises Under the National Banking System, Washington, National Monetary Commission, 61st Congress, 2nd Session, Government Printing Office, 1910 et enfin Lawrence J. LAUGHIN, Banking Reform, Chicago, National Citizens League, 1912.
-
[42]
Voir George A. SELGIN et Lawrence H. W HITE, « National Bank Notes as a Quasi-High-Powered Money », Working Paper, Athens, University of Georgia, 1990, pp. 1-43, ici p. 14. Voir également George A. SELGIN et Lawrence H. W HITE, « Monetary Reform and the Redemption of National Bank Notes, 1863-1913 », Business History Review, 68-2,1994, pp. 205-243, ici p. 228.
-
[43]
G. A. SELGIN, La théorie de la banque libre, op. cit., p. 223.
-
[44]
Interprétant la crise de 1907, S. HORWITZ (« Competitive Currencies... », art. cit., pp. 646-647) reprend cette analyse de G. A. SELGIN (La théorie de la banque libre, op. cit., pp. 322-323) et réitère l’idée que les ruées sur la monnaie manuelle (inside money run) sont uniquement un problème de restrictions légales. Néanmoins, soulignons-le, les ruées sur la monnaie ultime (demand for base money) ne sont pas nécessairement un problème de restrictions légales, et c’est ce qui permet de cerner, comme nous le montrons plus loin, la véritable nature du prêt en dernier ressort.
-
[45]
Voir S. HORWITZ, « Competitive Currencies... », art. cit., p. 642.
-
[46]
Voir Richard H. TIMBERLAKE, « Private Production of Scrip-Money in the Isolated Community », Journal of Money, Credit and Banking, 19-4,1987, pp. 437-447, ici p. 440.
-
[47]
À ce sujet, voir R. H. TIMBERLAKE, « The Central Banking... », art. cit., p. 5.
-
[48]
J. G. CANNON, Clearing Houses..., op. cit., p. 109.
-
[49]
Ibid., p. 96.
-
[50]
Cf. R. H. TIMBERLAKE, « The Central Banking... », art. cit., p. 6.
-
[51]
R. H. TIMBERLAKE, « The Central Banking... », art. cit., p. 13 (O. M. W. SPRAGUE, History of Crises..., op. cit., p. 392, pour les données chiffrées) ; souligné par l’auteur.
-
[52]
Ibid., R. H. TIMBERLAKE, « The Central Banking... », art. cit., p. 12.
-
[53]
Cf. G. GORTON, « Clearinghouses... », art. cit., p. 277.
-
[54]
La stabilité du système bancaire du Canada par rapport à celui des États-Unis est une tendance de fond que l’on retrouve au XXe siècle (Michael D. BORDO, Hugh ROCKOFF et Angela REDISH, « The US Banking System From a Nothern Exposure : Stability versus Efficiency », Journal of Economic History, 54-2,1994, pp. 325-341. Sur l’expérience bancaire au Canada durant le XIXe siècle, le lecteur peut se référer à M. DENISON, Canada’s First Bank : A History of the Bank of Montreal, 2 vols, Toronto, McClelland and Steward, 1966 ; George S. WATTS, « The Origins and Background of Central Banking in Canada », Bank of Canada Review, May 1972, pp. 15-27 ; Angela REDISH, « The Economic Crises of 1837-1839 in Upper Canada : Case Study of a Temporary Suspension of Specie Payments », Explorations in Economic History, 20-4,1983, pp. 402-417 ; Adam SHORTT, Adam Shortt’s History of Canadian Currency and Banking 1600-1880, réédition des articles rédigés dans le Journal of the Canadian Banker’s Association, Toronto, Canadian Bankers’ Association, 1986 ; Georg RICH, « Canadian Banks, Gold, and the Crisis of 1907 », Explorations in Economic History, 26-2,1989, pp. 135-160, et enfin K. SCHULER, « Free Banking in Canada », in K. DOWD (éd.), Experience of Free Banking, op. cit., pp. 79-92.
-
[55]
C. GOODHART, The Evolution ..., op. cit., p. 52.
-
[56]
Charles W. MUNN, « Comment on L. H. White : “ Banking without a Central Bank” », in F. CAPIE et G. E. WOOD (éds), Unregulated Banking : Chaos or Order, Londres, MacMillan, 1991, pp. 63-67 ; Lawrence H. WHITE, « Banking without a Central Bank : Scotland before 1844 as a “ Free-Banking” System », in F. CAPIE et G. E. WOOD ( éds), Unregulated Banking..., op cit., pp. 37-62, ici pp. 53-56.
-
[57]
G. RICH, « Canadian Banks... », art. cit., p. 155 et pp. 158-159.
-
[58]
Bruce CHAMP, Bruce D. SMITH et Stephen D. W ILLIAMSON, « Currency Elasticity and Banking Panics : Theory and Evidence », Canadian Journal of Economics, XXIX-4,1996, pp. 829-864, ici pp. 848-851.
-
[59]
Là encore, l’analyse graphique corrobore ces assertions (B. CHAMP, B. D. SMITH et S. D. W ILLIAMSON, « Currency Elasticity... », art. cit., pp. 848-851). D’ailleurs, l’un des buts recherché par le Federal Reserve Act de 1913 fut de « fournir une monnaie manuelle élastique » selon les termes du texte (cf. Jeffrey A. MIRON, « Financial Panics, the Seasonality of the Nominal Interest Rate, and the Founding of the Fed », American Economic Review, 76-1, 1986, pp. 125-140, ici p. 125) et un autre était de stabiliser les variations saisonnières des taux d’intérêt. La littérature sur l’é volution saisonnière des taux d’intérêt aux États-Unis durant le National Banking System est abondante, et le lecteur peut se référer à J. A. MIRON, « Financial Panics... », art. cit. ; Bruce CHAMP, Neil W ALLACE et Warren E. W EBER, « Interest Rates under the US National Banking System », Journal of Monetary Economics, 34-3,1994, pp. 343-358 ; Bruce CHAMP, Scott FREEMAN et Warren E. WEBER, « Redemption Costs and Interest Rates under the US National Banking System », Journal of Money Credit and Banking, 31-3,1999, pp. 568-593.
-
[60]
M. DENISON, Canada’s First Bank..., op. cit., vol. 2, p. 260 et pp. 284-285.
-
[61]
C. GOODHART, The Evolution..., op. cit. p. 52.
-
[62]
Nous pouvons mentionner d’autres instruments prudentiels, dans le cadre de la banque libre ou non : la responsabilité illimitée des actionnaires (cas de l’É cosse entre 1746-1882), la clause d’option (l’É cosse, entre 1727 et 1765), voire l’assurance des dépôts. Howard BODENHORN et Steve HORWITZ, « A Property Rights Approach to Free Banking », Journal des économistes et des études humaines, 5-4,1994, pp. 505-519, ici pp. 511-514, interprètent ces instruments comme des moyens d’internaliser (cas de la responsabilité illimitée et de la clause d’option) ou d’externaliser (cas de l’assurance des dépôts) les coûts liés aux ruées sur les banques (nous placerons le prêt en dernier ressort dans cette deuxième catégorie).
-
[63]
Notons néanmoins que la règle de la convertibilité, l’absence de système à réserve unique et la libre émission de quelque substitut monétaire que ce soit — trois éléments constitutifs du système de la Suffolk Bank — pourraient permettre de nouvelles modalités de prêt en dernier ressort qui dépasseraient celle de Henry THORNTON, An Enquiry into the Nature and Effects of the Paper Credit of Great Britain, F. A. HAYEK (éd.), New York, Rinehart and Company, [1802] 1939 et de Walter BAGEHOT, Lombard Street ou le marché financier en Angleterre, Paris, Librairie Germer Baillière, Paris, [1873] 1874. C’est ce que nous tentons de démontrer ailleurs (voir Laurent LE MAUX, « Analyse critique du Currency Board et propositions prudentielles sous un régime de convertibilité », Économies et sociétés, XXXIII-9/10, 1999, pp. 205-226).