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Article de revue

Le MIR, la révolution et ses classes sociales dans le Chili des années 1960

Pages 46 à 60

Notes

  • [1]
    Eley Geoff, Nield Keith, « Farewell to the Working Class ? », International Labor and Working-Class History, no 57, Printemps 2000, pp. 1-30.
  • [2]
    Ibidem, p. 22.
  • [3]
    En ce sens, nous souscrivons aux propos de l’historienne canadienne Joan Sangster, qui appelait de ses vœux l’ouverture de l’histoire sociale produite en Europe occidentale et aux États-Unis aux apports historiographiques d’autres aires géographiques (« Historia social », Historia Social, no 60, 2008, pp. 220-221).
  • [4]
    Palieraki Eugénia, ¡La revolución ya viene ! El MIR chileno en los años 1960, Santiago, LOM, 2014.
  • [5]
    Les Mapuche sont les communautés autochtones de la zone centre-sud du Chili et sont encore à cette époque une population en majorité rurale.
  • [6]
    MIR, Declaración de Principios, Santiago, septembre 1965, p. 1 : « Le MIR s’organise pour devenir l’avant-garde marxiste-léniniste de la classe ouvrière et des couches opprimées du Chili ».
  • [7]
    El Rebelde, no 31, juillet 1965, p. 2.
  • [8]
    Melgar Bao Ricardo, « Huellas, redes y prácticas del exilio intelectual aprista en Chile », in Altamirano Carlos (dir.), Historia de los intelectuales en América Latina, Buenos Aires, Katz, 2010, pp. 146-168.
  • [9]
    Cité dans Jobet Julio César, El Partido Socialista de Chile, Vol. II, consulté sur le site www.salvador-allende.cl le 14 mars 2015.
  • [10]
    Idem.
  • [11]
    Echeverría Mónica, Antihistoria de un luchador. Clotario Blest 1923-1990, Santiago, LOM, 1993 ; Silva Miguel, Los partidos, los sindicatos y Clotario Blest. La CUT del’53, Santiago, Mosquito, 2000.
  • [12]
    Guevara Ernesto, La guerra de guerrillas, Montevideo, Lucha, 1960.
  • [13]
    La radicalité des réformes du programme de la DC est clairement perçue, du moins par la droite qui surnomme alors Eduardo Frei le « Kerenski chilien ». Voir Fabio De Silveira Vidigal Xavier, Frei, o Kerenski chileno, Sao Paulo, Éditions Vera Cruz, 1967.
  • [14]
    En 1960, 2 % des paysans seulement étaient syndiqués. Ce faible taux est dû à une législation qui crée une série d’obstacles à la syndicalisation paysanne, ainsi qu’aux rapports de dépendance de la plupart des paysans à l’égard de leurs patrons, radicalement opposés à la création de syndicats dans leurs domaines. Falaha Boris, Création sociale dans la réforme agraire chilienne, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 32 et suiv.
  • [15]
    Mella Orlando, Religion and Politics in Chile. An Analysis of a Religious Model, Stockholm, Éditions de l’Université d’Uppsala, 1987, pp. 30 et suiv.
  • [16]
    Sur la sociologie dans le Chili des années 1960, voir Barrios Alicia, Brünner José Joaquín, La Sociología en Chile. Instituciones y practicantes, Santiago, FLACSO, 1988.
  • [17]
    Faúndez Julio, Izquierdas y Democracia en Chile, 1932-1973, Santiago, BAT, 1992, pp. 152-153.
  • [18]
    Il s’agit notamment du Centro Bellarmino (créé à la fin des années 1950), de l’INDAP (Institut de Développement Agricole), du DESAL (Centre pour le Développement de l’Amérique latine, fondé en 1960) et du CIDE (Centre pour la Recherche et le Développement de l’Éducation, fondé en 1964).
  • [19]
    Vekemans Roger, « Marginalidad, incorporación e integración », Boletín del Centro de Documentación del Instituto de Estudios Sociales, no 37, 1967, pp. 29-41 et La Prerrevolución latinoamericana, Santiago, DESAL, 1969. Pour une analyse de la « théorie de la marginalité » voir Ricardo Yocelevzky, La democracia cristiana chilena y el gobierno de Eduardo Frei (1964-1970), Mexico, Universidad Autónoma Metropolitana, 1987, pp. 106 et 189-190. Vekemans calculait que les marginaux représentaient 50 % de la population chilienne : toute la population rurale et 30 % de la population urbaine.
  • [20]
    Vekemans Roger, La Prerrevolución latinoamericana, op. cit., pp. 19-21.
  • [21]
    Kirkendall Andrew, « Paulo Freire, Eduardo Frei, Literacy training and the politics of consciousness raising in Chile, 1964 to 1970 », Journal of Latin American Studies, no 36, 2004, p. 714 ; Kaufman Robert, The Politics of Land Reform in Chile, 1950-1970 : Public Policy, Political Institutions and Social Change, Cambridge, Harvard University Press, 1972, p. 131.
  • [22]
    Pour plus de détails, voir Palieraki Eugénia, La revolución ya viene, op. cit., chap. 4.
  • [23]
    En revanche, les délégués du MIR à la CUT et les contacts de la « vieille génération » avec le monde syndical ne sont pas transmis à la « jeune génération », car ces dirigeants décident de quitter le parti après l’expulsion des trotskistes en 1969.
  • [24]
    Fernández David, Historia oral de la Iglesia Católica en Santiago de Chile. Desde el Concilio Vaticano II hasta el Golpe Militar de 1973, Cadix, Université de Cadix, 1996, p. 143 et suiv.
  • [25]
    Garretón Manuel Antonio (dir.), Biblioteca del movimiento estudiantil, Santiago, Sur, 1985, Vol. I, pp. 80-83.
  • [26]
    Voir par exemple le cas de la communauté mapuche Nicolás Ailío dans Mallón Florencia, La sangre del copihue. La comunidad Mapuche de Nicolás Ailío y el Estado chileno, 1906-2001, Santiago, LOM, 2004 ; Negrón Patricio, Informe a la comisión Control y Cuadros del Comité Central del MIR, Paris, manuscrit, mai-juin 1979, p. 2.
  • [27]
    Voir, par exemple, Archives judiciaires de Panguipulli : « Usurpación, violencia y retención contra Lorenzo Barriga Muñoz et al. », dossier no 3701/58-22, f. 11 : « Pour cette raison, nous avons procédé à cela [à l’occupation du terrain] et notre intention est que le fundo passe au complexe industriel de bois de Panguipulli pour pouvoir travailler et avoir de quoi manger ».
  • [28]
    Entretien avec Herminia Concha, dirigeante de pobladores, à Santiago, le 15/11/2004 ; Entretien avec Ricardo Pizarro, dirigeant étudiant, à Santiago, le 19/10/2004 et 8/11/2004.
  • [29]
    Les pobladores font leur première apparition sur la scène politique nationale en avril 1957, avec des révoltes dans les quartiers périphériques, qui se répandent bientôt dans les principales villes du pays. Tout au long des années 1960, les poblaciones comptent parmi les principaux foyers de mobilisation sociale et de contestation politique. Voir Milos Pedro, Historia y memoria : el 2 de abril de 1957, Santiago : LOM, 2007 ; Garcés Mario, Tomando su sitio. El movimiento de pobladores de Santiago, 1957-1970, Santiago, LOM, 2002. La politisation dans les zones rurales est bien plus récente et ne se généralise qu’en 1967, avec la légalisation des syndicats paysans et la généralisation de la réforme agraire. Arguëllo Omar, « Notas sobre el movimiento campesino chileno », Revista latinoamericana de Ciencias Sociales, no 1, juin-décembre 1971, pp. 227-228.
  • [30]
    Cuellar Oscar et al., « Experiencias de justicia popular en poblaciones », CEREN (Santiago), no 8, juin 1971, pp. 170-171.
  • [31]
    Entretien avec Alejandro Saavedra, à Valdivia, le 28/02/2005.
  • [32]
    Del Pozo José, Reformistas y Revolucionarios : una historia oral de la izquierda chilena en la época de la Unidad Popular, Santiago, Documentas, 1992, p. 98 ; Duque Joaquín, Pastrana Ernesto, « La movilización reivindicativa urbana en los sectores populares en Chile : 1964-1972 », Revista Latinoamericana de Ciencias Sociales, no 4, 1972, pp. 259-293.
  • [33]
    Voir note no 19.
  • [34]
    DESAL, « Informe sobre poblaciones marginales » cité dans Garcés Mario, Tomando su sitio, op. cit., p. 264.
  • [35]
    Vekemans Roger, La Prerrevolución latinoamericana, op. cit., p. 55.
  • [36]
    Voir par exemple la déclaration de Roberto Moreno, dirigeant du « front de masse » paysan du MIR : « Là où le rythme naturel de la lutte de classes ouvre la possibilité et la nécessité de mobiliser les masses pour leurs intérêts, nous les soutiendrons et nous les pousserons », Clarín, 20 décembre 1970, p. 29.
  • [37]
    Entretien de l’auteur avec Roberto Moreno, Santiago, le 17 mars 2005 : « [La corrida de cerco] les patrons l’avaient utilisée, mais les Mapuche ne l’avaient jamais utilisée. […] Nous avons fait un chemin intermédiaire avec les corridas de cercos. Parce qu’aux paysans mapuche ce qui leur semble possible, juste, légitime, valable est de récupérer ce qui leur appartenait. Nous ne pouvions pas brûler les étapes, il fallait respecter tous les rituels, aller à la ville, chercher les plans, trouver des avocats, faire le litige. Les Mapuche soumettaient beaucoup de litiges. Tout cela nous l’avons respecté et c’est ce qui permet, en définitive, que quand nous organisons une action, elle ait du soutien, qu’elle ait la légitimité et ensuite si elle a du succès, elle est répétée ».
  • [38]
    Voir par exemple MIR, « Carta a los compañeros dirigentes del Consejo Comunal de Lautaro. A todos los compañeros campesinos. Enero 1971 », pp. 2-9.
  • [39]
    Kirkendall Andrew, « Paulo Freire, Eduardo Frei, Literacy training and the politics of consciousness raising in Chile, 1964 to 1970 », art. cité, pp. 701-702.
  • [40]
    Voir par exemple Negrón Patricio, Informe a la comisión Control y Cuadros del Comité Central del MIR, op. cit., p. 4, où il décrit le succès que rencontre le MIR auprès d’une communauté mapuche de la région de Valdivia, qui cultivait en collectivité ses terres, succès qui contrastait avec l’échec du MIR dans les villages de petits propriétaires.
  • [41]
    Saavedra Alejandro, Capitalismo y lucha de clases en el campo. Chile 1970-1972, Madrid, Éditions Alberto Corazón, 1975, pp. 101 et 111-114.
  • [42]
    Il s’agit de l’occupation des locaux de l’Université Catholique par les étudiants, en 1967, et de l’occupation de la Cathédrale par le Mouvement Église Jeune, en 1968.
  • [43]
    Marín Juan Carlos, Proceso de génesis, formación y desarrollo de un sistema productivo rural, Buenos Aires, CICSO, 1978, pp. 42-43.
  • [44]
    Gaudichaud Franck, Chili, 1970-1973. Les mille jours qui ébranlèrent le monde, Rennes, PUR, 2013.
Versión en español

1 Dans leur article programmatique « Farewell to the Working Class ? » [1], paru en 2000, Geoff Eley et Keith Nield s’interrogent sur l’avenir de leur discipline, l’histoire sociale, en crise depuis la fin des années 1980. Selon eux, une réappropriation des apports épistémologiques de l’histoire culturelle et politique et des études de genre permettrait aux historiens du social de dépasser cette crise. Néanmoins, l’ouverture de l’histoire sociale à l’interdisciplinarité et la prise en compte d’approches poststructuralistes, fondées sur les notions de subjectivité et d’agency, ne devraient pas se réaliser au détriment de ses fondamentaux. Ainsi, les auteurs recommandent de ne pas abandonner pour autant l’étude de l’État et des structures sociales, ainsi que l’usage de la « classe », notion fondatrice s’il en est de la discipline. Cette notion est toutefois appelée à être repensée afin de s’affranchir des schémas téléologiques des années 1960. Eley et Nield invitent en effet à considérer la classe sociale sous un double aspect : d’une part, « comme catégorie d’analyse sociale », autrement dit comme outil des historiens et, d’autre part, « en tant que fondement de la mobilisation politique », c’est-à-dire comme composante du discours des acteurs sociaux et politiques d’un moment historique donné, discours qui forge des identités collectives – la « conscience de classe » – et devient de la sorte un moteur essentiel de l’action collective et des luttes de classes [2].

2 En nous inspirant du parti pris historiographique de Geoff Eley et Keith Nield, nous souhaitons analyser une expérience historique chilienne. Ce cas particulier nous permettra de « décentrer » le regard. En effet, il s’agit d’un contexte sociohistorique dans lequel la « classe ouvrière » se trouve dépourvue de la cohésion et du caractère massif qui la caractérisent en Europe occidentale et aux États-Unis durant le xx e siècle [3]. Ce cas nous permettra d’utiliser la notion de « classe » de manière fort éloignée de ses définitions économicistes et sociologisantes. Parallèlement, nous mobilisons et entrecroisons les méthodes et les outils de l’histoire sociale et de l’histoire politique, en cohérence avec le double paradigme historiographique dans lequel nous nous inscrivons.

3 Notre article se focalise sur la période qui précède le gouvernement de l’Unité Populaire présidé par Salvador Allende (1970-1973) et sur une organisation politique, le Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR) [4]. La mémoire du MIR, fondé en 1965, est aujourd’hui surtout attachée à son leader charismatique, Miguel Enríquez, et à la répression dont le MIR fut l’une des principales cibles après le coup d’État de 1973. Pour une organisation de gauche marxiste, le MIR a la particularité de définir les acteurs de la révolution de manière assez ample et variée, dépassant de loin les seuls ouvriers industriels. La spécificité de son militantisme, qui s’insère dans un panel social très disparate, facilite également notre approche. En effet, le MIR concilie une identité de parti construite autour de la notion de « classe » avec une analyse de la réalité sociale et des pratiques qui se fondent sur l’hétérogénéité de celle-ci. Ainsi, nous verrons, dans un premier temps, comment les dirigeants du MIR s’approprient des catégories d’analyse de penseurs marxistes hétérodoxes ainsi que, plus étonnamment, de sociologues proches de la Démocratie Chrétienne (DC). Cela leur permet de définir les acteurs sociaux les plus enclins à s’engager dans une action révolutionnaire au Chili. Puis, dans un second temps, nous analyserons le discours de classe que développe le MIR, ainsi que ses pratiques politiques et sociales. Celles-ci sont orientées vers des secteurs sociaux populaires autres que la classe ouvrière. Nous verrons comment cette orientation du MIR participe à un processus qui permet la transformation de ces groupes sociaux de « classe en soi » en « classe pour soi » et influe ainsi sur le cours de la lutte des classes dans un sens révolutionnaire.

Un marxisme ad hoc

4 Entre 1965 et 1969, les dirigeants et militants du MIR – dont le nombre ne dépasse pas la centaine lors de la fondation du mouvement – s’investissent dans les tâches d’organisation interne, puis dans le recrutement de nouveaux militants. Jusqu’en 1968, l’élargissement de la base militante du MIR s’obtient surtout grâce à son irrésistible ascension dans le milieu universitaire. En effet, dès le début des années 1960 et a fortiori à partir de 1967, année de la réforme universitaire chilienne, les établissements d’enseignement supérieur sont un espace privilégié de politisation de la jeunesse de classe moyenne et un vivier de militants.

5 À partir de 1968, les dirigeants du MIR – notamment sa « jeune génération » dont la figure de proue est Miguel Enríquez – cherchent aussi à constituer une base militante populaire. Certes, cet objectif n’est guère étonnant pour une organisation qui se réclame du marxisme-léninisme. Néanmoins, le MIR cherche bien moins à s’insérer dans la classe ouvrière que chez les paysans, mapuche [5] ou non, et les pobladores, soit les habitants des poblaciones, quartiers urbains défavorisés. Cette stratégie est suivie d’effet puisque, entre 1969 et 1973, outre sa consolidation dans les lycées et les universités, le MIR s’implante, avec une présence relativement importante, dans certaines poblaciones et zones rurales, tandis qu’il reste marginal parmi les ouvriers industriels.

6 L’enracinement de ce mouvement révolutionnaire dans des secteurs sociaux spécifiques n’est pas le fruit d’un processus « naturel » ou l’effet mécanique d’intérêts de classe que le MIR exprimerait mieux que les autres partis de gauche. Il est, au contraire, issu d’un processus complexe qui trouve son point de départ dans la définition par le MIR des groupes sociaux qui seraient les plus enclins à s’investir dans un projet révolutionnaire. Cette définition découle, en premier lieu, d’une tradition « hétérodoxe » du marxisme dont l’objectif est d’adapter aux spécificités latino-américaines une théorie politique et sociale élaborée en Europe. Cette version latino-américaine et latino-américaniste du marxisme est transmise à la « jeune génération » du MIR par des intellectuels qui participent à la fondation du mouvement et dont l’engagement politique est bien plus ancien, remontant aux années 1920-1930. La définition hétérodoxe des « classes révolutionnaires » par le MIR est, par ailleurs, redevable aux mutations culturelles opérées au Chili à la fin des années 1960, plus particulièrement aux nouvelles analyses sociologiques élaborées par des intellectuels proches de la DC. Nous y reviendrons dans la deuxième partie de notre article.

7 Dans sa Déclaration de principes, le MIR adopte résolument un discours de classe, cette dernière étant certes identifiée aux ouvriers industriels, mais aussi aux autres « couches opprimées [6] ». Néanmoins, dans ce document, comme dans d’autres textes fondateurs de la pensée et du projet politiques du MIR, la volonté d’adapter le marxisme aux réalités sociales locales est clairement exprimée. Ainsi, le texte de convocation du Congrès d’Unité Révolutionnaire à l’issue duquel est fondé le MIR annonce sans équivoque le projet miriste :

8

Nous sommes déterminés à créer dans le pays un mouvement marxiste-léniniste capable de penser par lui-même, de se tromper honnêtement, d’étudier avec passion la réalité nationale pour définir une politique qui fasse du Chili une République souveraine, indépendante et socialiste. Nous ne voulons pas suivre les autres partis marxistes-léninistes [7].

9 Cet objectif plonge ses racines dans une certaine tradition du marxisme latino-américain et chilien, qui remonte aux années 1920, lorsque le marxisme indo-américain du péruvien José Carlos Mariátegui se diffuse au Chili avec la venue d’exilés qui fuient la dictature d’Augusto Leguía [8]. Certains intellectuels chiliens proches du trotskisme sont particulièrement sensibles aux idées des exilés péruviens, qui appellent à repenser le marxisme à partir du cadre latino-américain. Le trotskiste Óscar Waiss fait partie de ces intellectuels et compte, bien plus tard, au nombre des fondateurs du MIR.

10 Dans les années 1930, Óscar Waiss rejoint le PS, dont il occupe l’aile gauche. Durant les années 1950, les deux grands partis de gauche – le Parti communiste et le Parti socialiste – sont en crise, le PC devant de plus faire face à sa proscription. Durant cette période, Waiss amorce une réflexion théorique sur la révolution latino-américaine et les forces sociales qu’elle est susceptible de mobiliser. En 1954, il publie Nationalisme et Socialisme en Amérique latine, un ouvrage qui connaît une diffusion très large. Waiss y défend, à l’instar de Mariátegui, une définition ad hoc de la nature de la révolution et des voies pour y parvenir en fonction des conditions spécifiques de chaque pays. De fait, il prône le retour aux textes fondamentaux du marxisme-léninisme, dont il propose une lecture hétérodoxe :

11

Aucun théoricien marxiste ne peut prétendre se convertir en prophète […] ; ce Lénine sans contradictions que les stalinistes ont coutume de nous présenter n’a jamais existé […]. Le véritable Lénine cherchait anxieusement dans les événements mêmes les réajustements idéologiques nécessaires. […] Nous ne croyons pas à l’imposition dogmatique qui dérive d’une conception mécanique de la lutte des classes. […] pour un marxiste il est indispensable de comprendre la dynamique sociale et de procéder avec rapidité et agilité en accord avec l’évolution de la pensée collective des masses insurgées, pensée qui se calque sur l’expérience quotidienne et qui progresse, parfois, à une vitesse vertigineuse [9].

12 Outre l’appel à repenser la lutte des classes dans le contexte latino-américain, l’ouvrage d’Óscar Waiss tente une première définition des classes en mesure de prendre le rôle qu’occupe le prolétariat dans la définition « classique ». Il propose notamment la formation d’une République Démocratique des Travailleurs, formule qui a l’avantage, contrairement à la « dictature du prolétariat », de regrouper des secteurs sociaux hétéroclites, mais néanmoins populaires : paysans, fonctionnaires, professionnels progressistes, étudiants, alliés à une vaste gamme de groupes et de sous-groupes populaires [10].

13 Cette réflexion théorique sur les classes sociales et la lutte des classes au Chili ne peut pas être pleinement comprise hors du contexte dans lequel elle s’est développée. En effet, lorsque Waiss dresse une liste des acteurs sociaux potentiellement révolutionnaires, il tente de prendre en compte les mutations sociales que connaît le Chili depuis les années 1920 et les dynamiques de politisation qui les accompagnent. Ainsi, la mention des étudiants se comprend à la lumière du rôle protestataire de premier plan qu’ils occupent depuis les débuts du xx e siècle. Quant aux classes moyennes basses et aux fonctionnaires, il s’agit de catégories socioprofessionnelles qui occupent les premiers rangs de l’opposition aux gouvernements autoritaires des années 1940 et 1950. Au passage, Clotario Blest, autre futur fondateur du MIR et président de la Centrale Unique des Travailleurs, créée en 1953, y avait d’ailleurs joué un rôle de premier plan [11].

14 Nous le disions, pour Waiss, les paysans constituent un autre acteur social destiné à devenir l’un des protagonistes de la révolution latino-américaine. Dans les années 1950, ceux-ci sont pourtant encore très peu et très récemment syndiqués. Dans les années 1960, la « jeune génération » du MIR reconnaît, à son tour, les paysans comme classe révolutionnaire par excellence. Ici, Óscar Waiss n’est cependant pas la seule source d’inspiration, entre-temps la Révolution cubaine a eu lieu. Or, dans les interprétations dominantes de son succès, les paysans jouent un rôle central. En particulier, les écrits militaires d’Ernesto Guevara sont amplement diffusés au Chili à partir de 1963. Cette partie de l’œuvre du « Che » rejoint l’ambition de Waiss : formuler une théorie de la révolution adaptée aux spécificités latino-américaines. Inspiré de sa propre expérience cubaine, Guevara accorde un rôle primordial aux paysans et privilégie la lutte armée dans les zones rurales et non pas l’insurrection du prolétariat industriel urbain [12].

15 Pour revenir au Chili des années 1950, la radiographie de la société chilienne de Waiss surprend par sa perspicacité. En effet, les nouveaux acteurs sociaux et politiques qu’il recense se retrouvent au cœur des mobilisations sociales des années 1960-1970. Waiss omet cependant les pobladores, qui occupent un rôle très important dans les mouvements sociaux et les partis de gauche, modérés ou révolutionnaires, dès la fin des années 1950. Les pobladores deviennent, par ailleurs, une cible privilégiée des réformes sociales engagées par le gouvernement de la Démocratie Chrétienne qui arrive au pouvoir en 1964, un an avant la fondation du MIR.

La sociologie sociale-chrétienne et la « révolution en liberté »

16 La DC arrive au pouvoir avec un programme ambitieux et un slogan, « Révolution en liberté », censé concilier de supposés antagonismes. Il faut entendre que les réformes sociales de « gauche » ne lèseront pas les « libertés » de droite. En effet, l’ascension du démocrate chrétien Eduardo Frei à la présidence de la République en 1964 est autant due à son programme ambitieux de réformes qu’au soutien tactique de la droite, qui s’abstient de présenter son propre candidat pour éviter la dispersion de voix face à Salvador Allende [13]. Quoi qu’il en soit, le gouvernement de Frei engage des réformes effectivement radicales pour son époque : la réforme universitaire, la réforme urbaine, la mise en place d’associations et d’organisations de quartier et, plus important encore, la réforme agraire accompagnée de la légalisation de la syndicalisation paysanne [14].

17 Les réformes entreprises par la DC ne se résument pas à un programme de contention du socialisme. Elles suivent une idéologie riche et complexe, qui a deux sources principales d’inspiration : la doctrine sociale de l’Église sous l’influence du Concile Vatican II [15] et le développementisme de la CEPAL (Commission Économique pour l’Amérique latine de l’ONU). Elle est fondée sur les notions de « communautarisme », dont la paternité revient au juriste et philosophe Jaime Castillo, et de « marginalité », concept utilisé par le jésuite belge Roger Vekemans. Le « communautarisme » et la « théorie de la marginalité » sont à leur tour étroitement liés à l’essor des sciences sociales latino-américaines et de la sociologie fonctionnaliste chilienne [16].

18 Castillo présente comme fondement de son programme politique trois acteurs clés : le parti d’avant-garde, l’État et la Société. Il se démarque du marxisme sur un point essentiel : il considère que conscience et organisation des classes populaires ne peuvent surgir de manière autonome, ni même sous l’impulsion d’une avant-garde partisane, mais qu’elles doivent être aiguillonnées par l’État. Aussi le « parti d’avant-garde » doit-il conquérir le pouvoir pour, avec les ressources de l’État, planifier l’économie et promouvoir la mobilisation des masses. Dans un second temps, les organisations de base créées à l’initiative du parti doivent se convertir en principaux organes du pouvoir politique, en instances décisionnaires dont les projets seront par la suite appliqués par le gouvernement [17].

19 Pour mieux s’engager dans la transformation de la réalité sociale, l’Église chilienne entreprend, elle aussi, à partir de la fin des années 1950 un travail théorique et d’analyse des classes qui composent la société chilienne, ainsi que des dynamiques de politisation. Le pays voit fleurir des centres de recherche dans lesquels les jésuites occupent un rôle de premier plan [18]. Le jésuite belge Roger Vekemans, fondateur du premier département de sociologie dans une université chilienne, est une figure de proue de ce mouvement. Dans La Prerrevolución latinoamericana[19], Vekemans constate le peu de pertinence du marxisme pour analyser des sociétés latino-américaines où le prolétariat reste très minoritaire, avec des classes populaires qui sont caractérisées par leur marginalité. L’auteur soutient que les sociétés latino-américaines sont traversées par des lignes de fracture qui ne sont pas déterminées par les rôles occupés dans le système de production moderne. En Amérique latine, selon l’auteur, il est plus pertinent d’opposer la modernité dans laquelle vivent les couches sociales d’origine européenne à la pré-modernité dans laquelle est reléguée une partie importante de la population, indigènes ou métisses qui constituent ainsi des « marginaux ». Or, le mouvement ouvrier concentré dans les centres urbains fait déjà partie intégrante de la modernité, tandis que les marginaux des villes issus de l’exode rural, paysans et indigènes, en sont tous radicalement exclus. Ses conclusions soulignent la centralité de la dimension sociale et ethnique et appellent à la modernisation de ces secteurs, pour les intégrer dans la communauté nationale – processus qu’il désigne comme une « révolution rationnelle » ou « métaphorique » – qui permettrait d’éviter une révolution socialiste [20].

20 L’influence de ces nouvelles analyses sociologiques, produites par des intellectuels de la mouvance démocrate-chrétienne, sur les pratiques et la pensée du MIR est perceptible. Cet impact est, en premier lieu, le résultat de considérations tactiques. Leur très récente politisation rend les pobladores et les paysans non syndiqués plus facilement accessibles qu’une population telle que celle des travailleurs organisés, aux loyautés politiques héritées de plusieurs générations. Ces catégories sociales sont donc plus susceptibles d’adhérer à un nouveau parti comme le MIR [21].

21 Mais l’influence de la Démocratie Chrétienne dépasse, et de loin, cette analyse conjoncturelle. Elle s’explique par les nombreux liens politiques, intellectuels et humains qui se tissent entre le MIR et l’aile gauche de la mouvance démocrate-chrétienne à la fin des années 1960. En effet, durant la réforme universitaire, la « jeune génération » du MIR côtoie les plus radicaux des jeunes dirigeants démocrates-chrétiens. Ceux-ci abandonnent la DC entre 1969 et 1971 pour rejoindre l’Unité Populaire. À partir de la victoire d’Allende en 1970, ils constituent les interlocuteurs privilégiés du MIR au sein de l’UP. En outre, plusieurs chercheurs en sociologie et en anthropologie travaillant dans les centres de recherche fondés par la DC, entrent directement dans les rangs du MIR à la fin des années 1960. Enfin, des membres de la direction du MIR étudient dans les années 1960 la sociologie à l’Université Catholique avec Roger Vekemans [22].

22 Cette influence est perceptible dans les concepts que la « jeune génération » du MIR emploie pour définir les classes révolutionnaires. Par exemple, l’expression « les pauvres de la ville et de la campagne », utilisée dans tous les documents du MIR à partir de 1968 pour les désigner, est inspirée directement de l’action de l’Église dans les poblaciones et de la « théorie de la marginalité » de Vekemans. Bien évidemment, le MIR ne partage pas l’objectif de ce dernier d’une « révolution métaphorique », dont le principal souci induit est l’évitement d’une révolution socialiste. Le MIR n’en adhère pas moins implicitement aux principaux postulats de la théorie du jésuite. Ce qui définit la classe sociale susceptible de devenir l’acteur révolutionnaire, soit le moteur de l’histoire, n’est pas la place qu’elle occupe dans la production. C’est, tout au contraire, son absence de place, sa marginalité sociale et son exclusion du secteur moderne de l’économie.

23 En dehors de cette conception de la société, le MIR s’imprègne des pratiques politiques de la DC pour organiser le parti et ses fronts sociaux. En 1969-1970, la direction du MIR entreprend, sous l’impulsion de Miguel Enríquez, un vaste chantier : repenser la structuration interne du parti et l’articulation entre la direction, les cadres moyens et les bases militantes et sociales. Les « fronts de masse » du MIR et les groupes sociaux que la DC cherche à promouvoir en priorité recoupent, ce n’est pas un hasard, les mêmes secteurs : étudiants, pobladores, paysans et Mapuche chiliens.

Les « classes révolutionnaires » et le MIR

24 Sa définition théorique des « classes révolutionnaires » incite le MIR à orienter son action politique vers des groupes sociaux autres que les ouvriers industriels. Cela n’explique toutefois pas comment et pourquoi une partie des pobladores et des paysans adhère au MIR. Pour répondre à ces questions, nous dresserons un tableau des réseaux qui constituent la condition matérielle permettant à la « jeune génération » de s’introduire dans ces secteurs populaires, pour nous interroger, par la suite, sur les motivations des pobladores, paysans et Mapuche qui rejoignent le MIR. Deux précisions s’imposent préalablement. Il convient de rappeler que la présence du MIR dans les poblaciones et les zones rurales reste minoritaire, si on la compare à celle du PC, du PS ou de la DC. Il faut ajouter qu’elle se limite à certaines régions et à quelques quartiers déterminés des grandes villes. La présence du MIR dans les poblaciones et les régions rurales est cependant loin d’être anecdotique, elle est même exceptionnelle pour un mouvement extra-parlementaire de fondation si récente. Par ailleurs, la pénurie de sources et de bibliographie, ainsi que l’absence de données un tant soit peu précises pour estimer le nombre de militants et de sympathisants du MIR ne facilitent guère la tâche des historiens du Mouvement.

25 Que le MIR privilégie en tant que sujet de la révolution un secteur social plutôt qu’un autre n’implique pas que ce secteur réponde à son appel. Loin de susciter des adhésions spontanées, le MIR doit réaliser un long travail de « captation » dans la population qu’il a ciblée. Ici, les réseaux et sociabilités préexistants jouent un rôle décisif. La « jeune génération » du MIR hérite des contacts et réseaux militants, peu nombreux, de la « vieille génération » dans des quartiers populaires de Santiago ainsi que, dans une mesure encore moindre, dans des zones rurales non mapuche [23].

26 À ces débuts laborieux succède néanmoins une période d’expansion spectaculaire à partir de 1967. En effet, étudiants et lycéens, dont le nombre global croît alors très fortement, adhèrent massivement au MIR, en particulier dans certaines villes universitaires telles que Concepción. Ainsi, l’analyse de Waiss, qui attribuait aux classes moyennes progressistes, et a fortiori aux étudiants, un rôle central dans la lutte des classes au Chili se voit corroborée. Les organisations de jeunesse catholiques, dont plusieurs membres adhèrent alors au MIR, sont aussi mis à contribution pour atteindre plus directement les poblaciones et les habitants les plus démunis des régions agricoles [24]. Le Mouvement récupère également des réseaux préalablement mis en place par les étudiants démocrates-chrétiens. Ceux-ci sont essentiellement le fruit de travaux d’été, mis en place à partir de 1959, durant lesquels les étudiants démocrates-chrétiens s’installent dans des zones urbaines délaissées ou des régions agricoles pour y réaliser des travaux d’intérêt commun, participer au labeur quotidien des habitants ou offrir des cours d’alphabétisation [25]. Lorsque, à partir de 1967, de nombreux étudiants catholiques rejoignent le MIR, ils poursuivent et approfondissent leur insertion dans ces zones délaissées, désormais au nom du Mouvement [26].

27 Les contacts hérités de la « vieille génération » et les réseaux mis en place par la DC et par l’Église catholique expliquent en partie l’essor du MIR dans les quartiers urbains marginaux et certaines zones rurales. Ils ne suffisent cependant pas à expliquer l’expansion du MIR postérieure à 1969 ni la conversion de simples contacts en bases militantes. Il convient maintenant de s’interroger sur les motivations des paysans et des pobladores pour adhérer au MIR, sachant qu’il s’agit d’une organisation politique au discours révolutionnaire manifeste, qui dénonce les élections comme un piège hypocrite du système et rejette toute participation aux institutions étatiques.

28 Paradoxalement, le pragmatisme joue certainement un rôle important dans ce choix. Pour les pobladores, les objectifs matériels sont clairs : l’accès à un logement, puis à l’éducation et à la santé. Dans les campagnes, les revendications portent sur de meilleurs salaires pour les paysans salariés, une réforme agraire favorable aux paysans sans terre, voire la récupération historique des terres des ancêtres pour les paysans mapuche. Ces revendications constituent une motivation fondamentale de la mobilisation [27]. Or, le MIR réalise ou favorise un grand nombre d’actions, répondant toutes à ces nécessités. De l’occupation de terrains constructibles – pour de futurs logements – jusqu’à la construction d’écoles ou d’un centre médical, en passant par la redistribution de terres arables, il se charge de répondre à des demandes immédiates. Aussi, que ces actions soient ou non explicitement liées à un projet révolutionnaire, elles ne peuvent que séduire pobladores et paysans, qui y participent massivement [28].

29 Au-delà des considérations matérielles immédiates, il convient de remarquer que ces actions sont rendues possibles grâce à une « conscience de classe » en construction, de même que cette conscience se renforce par ces actions. Le MIR intervient dans les quartiers périphériques des villes et dans les zones rurales après que la DC a passablement « déblayé le terrain ». En effet, les politiques sociales de la DC, ainsi que son discours sur ces secteurs sociaux, ont permis une prise de conscience. À la fin des années 1960, pobladores et paysans savent le rôle politique et social déterminant qu’ils occupent sur la scène politique chilienne. Il convient cependant de signaler que la politisation des pobladores est moins récente que celle des ouvriers agricoles et des paysans sans terre [29]. Par ailleurs, durant les années 1960, apparaît une presse de gauche en mesure de concurrencer, en termes de tirage, les quotidiens de droite. Ces produits culturels de masse favorisent l’émergence d’une conscience de classe parmi ces « marginaux », leurs lignes éditoriales faisant la part belle à leurs mobilisations sociales. S’ajoute à cela la présence de plus en plus récurrente de dirigeants des partis politiques de gauche et de la DC dans les poblaciones et les zones rurales.

30 Or, à partir de 1968, la DC abandonne une bonne partie de son programme social et n’hésite plus à réprimer violemment les mobilisations [30]. Quant au PC et au PS, ils se font discrets en vue des élections présidentielles de 1970. Leur implication dans des actions non légales d’occupation de terrains est immédiatement dénoncée par la presse de droite. La relative discrétion de la gauche et la droitisation de la Démocratie Chrétienne créent des opportunités politiques pour le MIR, qui s’empresse d’occuper le vide ainsi créé.

31 Les modalités de politisation des pobladores et des paysans, ainsi que la soudaine centralité qu’ils occupent dans l’espace public, expliquent en partie leur attrait pour une organisation révolutionnaire. Longtemps ignorés des médias et de l’État, ils sont brusquement l’objet de toutes les attentions. Dans ce contexte, à la fois nouveau et soudain, pobladores et paysans adoptent une position ambivalente vis-à-vis du pouvoir politique. Ils voient leurs horizons s’élargir à la mesure de l’intérêt qu’ils suscitent, ce qui devrait, espèrent-ils, se traduire par une rapide amélioration de leurs conditions de vie. Dans le même temps, la méfiance à l’égard de l’État et du gouvernement persiste. Il y a un sentiment d’urgence, avec une volonté de mettre à profit une conjoncture favorable mais susceptible de s’inverser à tout moment [31]. La méfiance et ce sentiment d’urgence sont renforcés par les flottements des politiques sociales de la DC, ainsi que par son virage à droite à partir de 1968.

32 En parallèle, les actions plus radicales – notamment les occupations illégales et souvent violentes de terrains dans la périphérie urbaine et dans les campagnes – sont désormais perçues par les pobladores ou les paysans comme le moyen le plus efficace, et légitime, pour résoudre le problème du logement ou de la terre [32]. Cette tendance à la radicalisation chez ces populations est nettement perçue par les contemporains, que ce soit pour s’en inquiéter ou s’en réjouir. Ainsi, les anthropologues et les sociologues du DESAL et de l’INDAP [33], qui analysent les caractéristiques psycho-sociales de ces secteurs, les comportements politiques et le répertoire d’actions (occupations de terrains, affrontements récurrents avec les forces de l’ordre), concluent qu’ils sont plus radicaux que ceux observables dans le mouvement ouvrier. Ces études constatent un grand désespoir et de nombreuses frustrations qui se traduisent par une tendance à recourir à des actions revendicatives violentes [34]. Plus abstraite et générale, La Prerrevolución latinoamericana de Vekemans caractérise les populations marginales latino-américaines comme enclines à la violence et évoque leur nature potentiellement révolutionnaire [35].

33 À partir de la fin des années 1960, le MIR s’engage dans un double processus. D’une part, il adopte le répertoire d’actions des pobladores et des paysans [36]. Ce tournant est accompagné d’un programme politique ciblé en fonction de demandes et de problèmes que rencontrent ces populations. Pour établir ce programme, le MIR se fonde sur son travail de terrain, social et politique, réalisé au préalable, ainsi que sur des travaux sociologiques et anthropologiques portant sur ces secteurs sociaux. D’autre part, le MIR investit les pratiques de mobilisation préexistantes d’un projet révolutionnaire qui en favorise encore la radicalité et en accentue la logique de confrontation de classes.

34 Ainsi, les dirigeants miristes, qui s’implantent dans les zones rurales à la fin des années 1960, inventent une modalité d’action adaptée aux pratiques revendicatives des communautés mapuche. Il s’agit de la corrida de cerco (« pousser le bornage »), qui consiste à repousser le périmètre de grandes propriétés foncières, qui se sont constituées par spoliations successives de terres appartenant jadis aux Mapuche [37]. Parallèlement à cette pratique, le MIR développe un langage qui résonne avec l’univers culturel mapuche ou paysan [38]. Les documents destinés aux mapuche sont parsemés de références empruntées à leur histoire, notamment la revendication d’un glorieux passé guerrier. Dans les documents destinés aux paysans, mapuche ou non, le MIR reprend à son compte une conception des relations sociales qui est prédominante dans le monde rural. Celle-ci est construite autour de schémas binaires, comme l’opposition entre les agriculteurs pauvres et les grands propriétaires fonciers ou « patrons », figure centrale dans la société rurale, crainte et respectée, mais aussi haïe par les paysans [39].

35 Dans le même temps, cette vision traditionnelle du monde est articulée avec un vocabulaire nouveau (classe ouvrière, ouvriers, camarades), où les notions de classe et de lutte des classes sont centrales. Les tensions traditionnelles entre paysans et patrons, le mélange de soumission, de peur et de haine des paysans à l’égard des grands propriétaires, sont traduites et comprises en termes de lutte des classes. Les structures communautaires mapuche sont vues par le MIR comme un proto-socialisme qui facilitera la redistribution collective des terres [40]. Par ailleurs, le passé guerrier des Mapuche et leur condition de paysans sont considérés comme des prédispositions favorables à la lutte armée [41].

36 Dans l’espace urbain aussi, le MIR s’approprie des répertoires d’action préexistants auxquels il attribue un contenu révolutionnaire. Il en va ainsi des tomas, soit des occupations de terrains sur lesquels sont rapidement construits des logis précaires, un mode d’action collective qui existe depuis les années 1950. Au milieu des années 1960, suite à deux tomas hautement symboliques réalisées par l’aile gauche de la DC [42], cette pratique est investie d’un nouveau sens politique. La toma n’est plus seulement une occupation, elle est désormais pensée comme la récupération d’un espace accaparé par des autorités illégitimes. À la fin des années 1960, le MIR se réapproprie ce sens de la toma pour l’appliquer à toutes celles réalisées par les pobladores, mais il complète et rénove aussi leur contenu symbolique et idéologique. Les tomas sont désormais désignées par l’expression « actions directes », notion empruntée à l’anarcho-syndicalisme. Selon le MIR, elles devraient permettre aux « marginaux » de devenir des sujets sociaux et politiques autonomes, des protagonistes de la lutte des classes en plein essor dans le Chili de la fin des années 1960 [43].

37 Ainsi, dans les poblaciones et régions rurales où il s’enracine, le MIR systématise les pratiques toujours plus radicales des pobladores et des paysans salariés ou sans terre. Dans le même temps, la politisation de ces mobilisations est de plus en plus évidente, les revendications matérielles se conjuguant avec une critique ouverte du gouvernement. Le MIR voit dans la multiplication et la radicalisation des mobilisations une situation prérévolutionnaire, une accentuation de la lutte des classes qu’il s’agit de soutenir et d’approfondir afin d’aboutir à une révolution socialiste. L’identification, faite par le MIR, des pobladores et des paysans aux « classes révolutionnaires » poursuit et accentue le discours que la DC portait antérieurement sur ces mêmes secteurs. Mais pour le MIR, paysans et pobladores sont les sujets d’une révolution socialiste, présentée comme une alternative viable à la « Révolution en Liberté » de la DC, où ceux-ci seraient les objets d’une transformation. Cette vision est progressivement réappropriée par les classes sociales dans lesquelles le MIR s’enracine.

38 L’expansion du MIR à partir de 1969 dans des quartiers marginaux urbains et des zones rurales n’est pas le fruit de caractéristiques inhérentes à ses habitants, qui les pousseraient mécaniquement vers un projet révolutionnaire. L’enracinement social du MIR dans ces zones délaissées est le produit d’un processus complexe qui, pour être compris, doit être inséré dans le contexte politique, social et intellectuel de son époque. Au préalable, il y a le choix stratégique des dirigeants du MIR de classes sociales autres que les ouvriers industriels, considérées comme plus enclines à emprunter le chemin de la révolution. Cet intérêt premier est accompagné, au milieu des années 1960, d’un discours systématisé sur les classes révolutionnaires de la société chilienne. Ce discours a une double origine : il puise aussi bien dans la pensé marxiste hétérodoxe locale, particulièrement trotskiste, que chez des intellectuels sociaux-chrétiens de la fin des années 1950. Dans un deuxième temps, à partir de 1968, la « jeune génération » du MIR active ou réactive, à son profit, les réseaux militants déjà présents parmi les pobladores et paysans, qui constituent le tissu social sur lequel peuvent prospérer les bases militantes miristes. Néanmoins, pobladores et paysans n’attendent pas la venue du MIR pour développer une « conscience de classe ».

39 Celle-ci se construit initialement dans le cadre des réformes démocrates-chrétiennes et se renforce avec le sentiment d’abandon que provoque le revirement, à la fin des années 1960, du gouvernement de Frei. De plus, les membres du MIR, les pobladores et les paysans se retrouvent dans des pratiques radicales, illégales mais considérées comme légitimes, qui les réunissent très concrètement. Ce sont là les premières étapes du processus de conversion de pobladores et de paysans chiliens de « classes en soi » en « classes pour soi », décrit par Franck Gaudichaud au sujet des ouvriers des cordons industriels sous l’UP [44]. L’enracinement du MIR au sein de ces secteurs sociaux s’approfondit et se consolide sous l’Unité Populaire, période qui dépasse le cadre chronologique de cet article.

Notes

  • [1]
    Eley Geoff, Nield Keith, « Farewell to the Working Class ? », International Labor and Working-Class History, no 57, Printemps 2000, pp. 1-30.
  • [2]
    Ibidem, p. 22.
  • [3]
    En ce sens, nous souscrivons aux propos de l’historienne canadienne Joan Sangster, qui appelait de ses vœux l’ouverture de l’histoire sociale produite en Europe occidentale et aux États-Unis aux apports historiographiques d’autres aires géographiques (« Historia social », Historia Social, no 60, 2008, pp. 220-221).
  • [4]
    Palieraki Eugénia, ¡La revolución ya viene ! El MIR chileno en los años 1960, Santiago, LOM, 2014.
  • [5]
    Les Mapuche sont les communautés autochtones de la zone centre-sud du Chili et sont encore à cette époque une population en majorité rurale.
  • [6]
    MIR, Declaración de Principios, Santiago, septembre 1965, p. 1 : « Le MIR s’organise pour devenir l’avant-garde marxiste-léniniste de la classe ouvrière et des couches opprimées du Chili ».
  • [7]
    El Rebelde, no 31, juillet 1965, p. 2.
  • [8]
    Melgar Bao Ricardo, « Huellas, redes y prácticas del exilio intelectual aprista en Chile », in Altamirano Carlos (dir.), Historia de los intelectuales en América Latina, Buenos Aires, Katz, 2010, pp. 146-168.
  • [9]
    Cité dans Jobet Julio César, El Partido Socialista de Chile, Vol. II, consulté sur le site www.salvador-allende.cl le 14 mars 2015.
  • [10]
    Idem.
  • [11]
    Echeverría Mónica, Antihistoria de un luchador. Clotario Blest 1923-1990, Santiago, LOM, 1993 ; Silva Miguel, Los partidos, los sindicatos y Clotario Blest. La CUT del’53, Santiago, Mosquito, 2000.
  • [12]
    Guevara Ernesto, La guerra de guerrillas, Montevideo, Lucha, 1960.
  • [13]
    La radicalité des réformes du programme de la DC est clairement perçue, du moins par la droite qui surnomme alors Eduardo Frei le « Kerenski chilien ». Voir Fabio De Silveira Vidigal Xavier, Frei, o Kerenski chileno, Sao Paulo, Éditions Vera Cruz, 1967.
  • [14]
    En 1960, 2 % des paysans seulement étaient syndiqués. Ce faible taux est dû à une législation qui crée une série d’obstacles à la syndicalisation paysanne, ainsi qu’aux rapports de dépendance de la plupart des paysans à l’égard de leurs patrons, radicalement opposés à la création de syndicats dans leurs domaines. Falaha Boris, Création sociale dans la réforme agraire chilienne, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 32 et suiv.
  • [15]
    Mella Orlando, Religion and Politics in Chile. An Analysis of a Religious Model, Stockholm, Éditions de l’Université d’Uppsala, 1987, pp. 30 et suiv.
  • [16]
    Sur la sociologie dans le Chili des années 1960, voir Barrios Alicia, Brünner José Joaquín, La Sociología en Chile. Instituciones y practicantes, Santiago, FLACSO, 1988.
  • [17]
    Faúndez Julio, Izquierdas y Democracia en Chile, 1932-1973, Santiago, BAT, 1992, pp. 152-153.
  • [18]
    Il s’agit notamment du Centro Bellarmino (créé à la fin des années 1950), de l’INDAP (Institut de Développement Agricole), du DESAL (Centre pour le Développement de l’Amérique latine, fondé en 1960) et du CIDE (Centre pour la Recherche et le Développement de l’Éducation, fondé en 1964).
  • [19]
    Vekemans Roger, « Marginalidad, incorporación e integración », Boletín del Centro de Documentación del Instituto de Estudios Sociales, no 37, 1967, pp. 29-41 et La Prerrevolución latinoamericana, Santiago, DESAL, 1969. Pour une analyse de la « théorie de la marginalité » voir Ricardo Yocelevzky, La democracia cristiana chilena y el gobierno de Eduardo Frei (1964-1970), Mexico, Universidad Autónoma Metropolitana, 1987, pp. 106 et 189-190. Vekemans calculait que les marginaux représentaient 50 % de la population chilienne : toute la population rurale et 30 % de la population urbaine.
  • [20]
    Vekemans Roger, La Prerrevolución latinoamericana, op. cit., pp. 19-21.
  • [21]
    Kirkendall Andrew, « Paulo Freire, Eduardo Frei, Literacy training and the politics of consciousness raising in Chile, 1964 to 1970 », Journal of Latin American Studies, no 36, 2004, p. 714 ; Kaufman Robert, The Politics of Land Reform in Chile, 1950-1970 : Public Policy, Political Institutions and Social Change, Cambridge, Harvard University Press, 1972, p. 131.
  • [22]
    Pour plus de détails, voir Palieraki Eugénia, La revolución ya viene, op. cit., chap. 4.
  • [23]
    En revanche, les délégués du MIR à la CUT et les contacts de la « vieille génération » avec le monde syndical ne sont pas transmis à la « jeune génération », car ces dirigeants décident de quitter le parti après l’expulsion des trotskistes en 1969.
  • [24]
    Fernández David, Historia oral de la Iglesia Católica en Santiago de Chile. Desde el Concilio Vaticano II hasta el Golpe Militar de 1973, Cadix, Université de Cadix, 1996, p. 143 et suiv.
  • [25]
    Garretón Manuel Antonio (dir.), Biblioteca del movimiento estudiantil, Santiago, Sur, 1985, Vol. I, pp. 80-83.
  • [26]
    Voir par exemple le cas de la communauté mapuche Nicolás Ailío dans Mallón Florencia, La sangre del copihue. La comunidad Mapuche de Nicolás Ailío y el Estado chileno, 1906-2001, Santiago, LOM, 2004 ; Negrón Patricio, Informe a la comisión Control y Cuadros del Comité Central del MIR, Paris, manuscrit, mai-juin 1979, p. 2.
  • [27]
    Voir, par exemple, Archives judiciaires de Panguipulli : « Usurpación, violencia y retención contra Lorenzo Barriga Muñoz et al. », dossier no 3701/58-22, f. 11 : « Pour cette raison, nous avons procédé à cela [à l’occupation du terrain] et notre intention est que le fundo passe au complexe industriel de bois de Panguipulli pour pouvoir travailler et avoir de quoi manger ».
  • [28]
    Entretien avec Herminia Concha, dirigeante de pobladores, à Santiago, le 15/11/2004 ; Entretien avec Ricardo Pizarro, dirigeant étudiant, à Santiago, le 19/10/2004 et 8/11/2004.
  • [29]
    Les pobladores font leur première apparition sur la scène politique nationale en avril 1957, avec des révoltes dans les quartiers périphériques, qui se répandent bientôt dans les principales villes du pays. Tout au long des années 1960, les poblaciones comptent parmi les principaux foyers de mobilisation sociale et de contestation politique. Voir Milos Pedro, Historia y memoria : el 2 de abril de 1957, Santiago : LOM, 2007 ; Garcés Mario, Tomando su sitio. El movimiento de pobladores de Santiago, 1957-1970, Santiago, LOM, 2002. La politisation dans les zones rurales est bien plus récente et ne se généralise qu’en 1967, avec la légalisation des syndicats paysans et la généralisation de la réforme agraire. Arguëllo Omar, « Notas sobre el movimiento campesino chileno », Revista latinoamericana de Ciencias Sociales, no 1, juin-décembre 1971, pp. 227-228.
  • [30]
    Cuellar Oscar et al., « Experiencias de justicia popular en poblaciones », CEREN (Santiago), no 8, juin 1971, pp. 170-171.
  • [31]
    Entretien avec Alejandro Saavedra, à Valdivia, le 28/02/2005.
  • [32]
    Del Pozo José, Reformistas y Revolucionarios : una historia oral de la izquierda chilena en la época de la Unidad Popular, Santiago, Documentas, 1992, p. 98 ; Duque Joaquín, Pastrana Ernesto, « La movilización reivindicativa urbana en los sectores populares en Chile : 1964-1972 », Revista Latinoamericana de Ciencias Sociales, no 4, 1972, pp. 259-293.
  • [33]
    Voir note no 19.
  • [34]
    DESAL, « Informe sobre poblaciones marginales » cité dans Garcés Mario, Tomando su sitio, op. cit., p. 264.
  • [35]
    Vekemans Roger, La Prerrevolución latinoamericana, op. cit., p. 55.
  • [36]
    Voir par exemple la déclaration de Roberto Moreno, dirigeant du « front de masse » paysan du MIR : « Là où le rythme naturel de la lutte de classes ouvre la possibilité et la nécessité de mobiliser les masses pour leurs intérêts, nous les soutiendrons et nous les pousserons », Clarín, 20 décembre 1970, p. 29.
  • [37]
    Entretien de l’auteur avec Roberto Moreno, Santiago, le 17 mars 2005 : « [La corrida de cerco] les patrons l’avaient utilisée, mais les Mapuche ne l’avaient jamais utilisée. […] Nous avons fait un chemin intermédiaire avec les corridas de cercos. Parce qu’aux paysans mapuche ce qui leur semble possible, juste, légitime, valable est de récupérer ce qui leur appartenait. Nous ne pouvions pas brûler les étapes, il fallait respecter tous les rituels, aller à la ville, chercher les plans, trouver des avocats, faire le litige. Les Mapuche soumettaient beaucoup de litiges. Tout cela nous l’avons respecté et c’est ce qui permet, en définitive, que quand nous organisons une action, elle ait du soutien, qu’elle ait la légitimité et ensuite si elle a du succès, elle est répétée ».
  • [38]
    Voir par exemple MIR, « Carta a los compañeros dirigentes del Consejo Comunal de Lautaro. A todos los compañeros campesinos. Enero 1971 », pp. 2-9.
  • [39]
    Kirkendall Andrew, « Paulo Freire, Eduardo Frei, Literacy training and the politics of consciousness raising in Chile, 1964 to 1970 », art. cité, pp. 701-702.
  • [40]
    Voir par exemple Negrón Patricio, Informe a la comisión Control y Cuadros del Comité Central del MIR, op. cit., p. 4, où il décrit le succès que rencontre le MIR auprès d’une communauté mapuche de la région de Valdivia, qui cultivait en collectivité ses terres, succès qui contrastait avec l’échec du MIR dans les villages de petits propriétaires.
  • [41]
    Saavedra Alejandro, Capitalismo y lucha de clases en el campo. Chile 1970-1972, Madrid, Éditions Alberto Corazón, 1975, pp. 101 et 111-114.
  • [42]
    Il s’agit de l’occupation des locaux de l’Université Catholique par les étudiants, en 1967, et de l’occupation de la Cathédrale par le Mouvement Église Jeune, en 1968.
  • [43]
    Marín Juan Carlos, Proceso de génesis, formación y desarrollo de un sistema productivo rural, Buenos Aires, CICSO, 1978, pp. 42-43.
  • [44]
    Gaudichaud Franck, Chili, 1970-1973. Les mille jours qui ébranlèrent le monde, Rennes, PUR, 2013.
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