Notes
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[1]
Nous remercions Alain Guéry, Alice Martin et Nicolas Pons-Vignon pour la lecture qu'ils firent de notre texte.
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[2]
F. G. Dufour met particulièrement en avant le fait que le « contemporary historical materialism » s’extrait des vieilles conceptions téléologiques (p. 453) qui accompagne les approches fondées sur les déterminismes supposé des « choix individuels » (cas du marxisme analytique) ou des « forces productives » (cas du marxisme orthodoxe). Cette inflexion du marxisme rejoint des hypothèses de l’institutionnalisme des origines, lesquelles n’étaient pas aussi étayées.
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[3]
Voir de nombreux inédits de cet auteur dans M. Cangiani, J. Maucourant, Essais de Karl Polanyi, Paris, Seuil, 2008.
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[4]
Remarquons que si G. Duménil et D. Lévy rejettent l’idée d’une périodisation à partir d’un critère qui s’imposerait aux autres par lui-même (« Une théorie marxiste du néolibéralisme », Actuel Marx n°40,2006), rien n’empêche de procéder à une périodisation à partir d’un point de vue précis, en ayant à l’esprit que d’autres clés d’entrée conduiraient à un autre découpage temporel. C’est ce que nous faisons à partir des discours de l’Etat sur l’économie.
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[5]
E. P. Thomson, La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Gallimard/Seuil, 1988, cité dans ce volume par F. G. Dufour et Sébastien Rioux, « La sociologie historique de la théorie des relations sociales de propriété ». Dufour et Rioux revendiquent explicitement, à cet égard, l’influence des travaux de Polanyi dans la constitution de cette nouvelle école de pensée.
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[6]
Voir l’article précédent ainsi que F. G. Dufour, « Historical Materialism and International Relations », in J. Bidet, S. Kouvelakis (dir.), Critical Companion to Contemporary Marxism, Leiden/Boston, Brill, 2008
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[7]
L’idée de nation comme constitution politique des peuples est développée notamment par R. Descimon et A. Guéry, « Un État des temps modernes ? », in A. Burguière, J. Revel, Histoire de la France, Paris, Seuil, 2000, pp. 361 sq.
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[8]
Pierre Clastres, La société contre l’État, Paris, Editions de Minuit, 1974 et, du même auteur, Préface à Marshall Sahlins Age de pierre, âge d’abondance, Paris, Gallimard, 1976.
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[9]
Voir Norbert Elias, La dynamique de l’occident, Paris, Calmann-Lévy, 1975.
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[10]
Georges Duby Guerriers et paysans, Paris, Gallimard, 1973.
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[11]
Moses I. Finley L’Invention de la politique, Paris, Flammarion, 1985.
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[12]
Cité par J. Stanfield, The economic thought of Karl Polanyi, Londres MacMillan, 1986, pp. 104-105.
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[13]
Id.
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[14]
Quitte à contredire son évolutionnisme, Hayek revendique donc l’urgence du combat idéologique : « Si l’idéal de l’État de Droit est fermement enraciné dans l’opinion publique, la législation et la juridiction tendraient à s’en rapprocher de plus en plus. Mais si on représente cet idéal comme irréalisable […] il disparaîtra bientôt » (F. Hayek, La présomption fatale, Paris, PUF, 1993, p. 206, cité par C. Vivel, Le concept d'institution chez Hayek, DEA, Centre Walras, 1999, p. 146).
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[15]
K. Polanyi, La Grande Transformation, Paris, Gallimard, p. 201.
-
[16]
M. Weber, Histoire Economique, Paris, Gallimard, 1991, p. 298.
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[17]
K. Polanyi, La Grande Transformation, op. cit. p. 195.
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[18]
K. Polanyi, « Syllabus of a lecture on marxian philosophy », Box 5, Archives Karl Polanyi, l’Institut Karl Polanyi d’économie politique, Montréal .
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[19]
A. Laurens, La question de Palestine – T. 1, Paris, Fayard, 1999, p. 143.
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[20]
C.-A. Michalet, Qu'est-ce que la mondialisation ?, Paris, La découverte, 2002, pp. 26-27.
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[21]
En 1934, « Hitler déclare que la cause principale de la crise actuelle est l’incompatibilité totale du principe d’égalité démocratique en politique et du principe de propriété privée des moyens de production en matière de vie économique »; (K. Polanyi, « The essence of fascism » in L. Lewis et alii, Christianity and social revolution, New York, Books for Libraries Press, 1972, pp. 391-392).
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[22]
K. Polanyi, « Universal capitalism and regional planning », The London Quarterly of World Affair, 1945, (10), 3. p. 87.
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[23]
R. Reich, L'économie mondialisée, Paris, Dunod, 1993, p. 34.
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[24]
Le néolibéralisme fut sans doute d’abord une idéologie (G. Arrighi, « A la recherche de l’Etat mondial, Actuel Marx, n° 40, 2006), avant de devenir effectivement une étape du capitalisme (G. Duménil, D. Lévy, « Néolibéralisme : dépassement ou renouvellement d’un ordre social », ibid).
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[25]
Voir L. Hoang-Ngoc, B. Tinel, « La régulation du « nouveau capitalisme ». Analyses positives et recommandations normatives comparées », Economie Appliquée, LVIII, n°1,2005.
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[26]
P. Gowan, « Le régime dollar-Wall Street d’hégémonie mondial », Actuel Marx, n° 27,2000, p. 75.
-
[27]
Ibid., p. 79.
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[28]
F. Chesnais « Les contradictions et les antagonismes propres au capitalisme mondialisé et leurs menaces pour l’humanité », Actuel Marx, n° 40,2006.
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[29]
Le concept d’impérialisme serait à rejeter au profit de celui d’« l’Empire » qui ne désignerait pas un État en particulier, mais « le pouvoir souverain qui gouverne le monde », la forme juridique de celui-ci étant donnée par la Constitution américaine. Par rapport à l’histoire et à l’idéologie européenne, l’avènement de l’Empire serait une rupture car nul lieu ne définit l’Empire. D’où la fin de l’opposition entre centre et périphérie. L’émergence d’une souveraineté « déterritorialisée », que le modèle fédéral à l’américaine permettrait, annoncerait la mort de l’État nation territorial et omnipotent (M. Hardt, A. Negri, Empire, Paris, Exil, 2002, pp. 15 et 319; les auteurs reprennent cette idée dans Multitude, Paris, 10/18,2004, en particulier dans le chapitre sur la souveraineté).
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[30]
K. Polanyi, La Grande Transformation, op. cit., p. 251.
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[31]
Ces Turbo-Bécassine et Cyber-Gédéon qui peuplent le monde, à peine satyrique, dépeint voilà quelques années par G. Châtelet Vivre et penser comme des porcs, Paris, Folio, 1998.
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[32]
Ce même traité est aujourd’hui réintroduit sans recours au référendum et, malgré le refus exprimé par 55 % de nos concitoyens en 2005, les principales formations politiques de droite et de gauche s’apprêtent à le valider sans débat national, ce qui en dit long à la fois sur l’état de la politique dans notre société et sur les idées de ceux qui se félicitent que de tels procédés puissent être employés, fut-ce au nom de l’« Europe ».
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[33]
Une critique stimulante des travaux récents de L. Boltanski est faite par C. Gautier, « La sociologie de l'accord : justification contre déterminisme et domination », Politix, n° 54,2001.
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[34]
J. Sapir, Les économistes contre la démocratie, Paris, Albin Michel, 2002, pp. 188-189.
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[35]
Negri cité par M. Husson (« Communisme et temps libre », Critique communiste, 152,1998) qui montre la faiblesse d’une telle affirmation.
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[36]
Voir par exemple A. Negri et C. Vercellone « Le rapport capital/travail dans le capitalisme cognitif », Multitudes, à paraître.
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[37]
A. Blanqui, Maintenant, Il faut des armes, La Fabrique éditions, Paris, 2007.
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[38]
A. Caillé, « Présentation », La Revue du Mauss, 20,2002 p. 13.
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[39]
A. Caillé, A. Insel, « Quelle autre mondialisation ? », La Revue du Mauss, 20, Ibid., p. 152.
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[40]
Ibid., p. 169-170
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[41]
Ibid., p. 150.
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[42]
Pour discréditer la notion de nation, A. Negri a cru bon d’écrire que celle-ci était la cause d’Auschwitz (« Empire et multitudes dans la guerre », in R. Herrera, L'empire en guerre, Paris, Le temps des cerises, 2001, p. 156). Il oublie qu’une configuration historique singulière fit qu’une certaine conception de la nation a joué un rôle létal. Il est, en effet, absurde de prétendre que la conception d’une « souveraineté territoriale », développée en Angleterre et en France, est équivalente à celle de la « souveraineté universelle ». Voir L. Dumont, Homo æqualis II, Paris, Gallimard, 1991, p. 38. Notons ici que T. Mann, autour de 1914, après avoir rappelé que l’État démocratique ne convient pas à l'Allemagne, ajoute : « Le peuple mondial de l'esprit […] aspirait à devenir un peuple mondial […], le peuple mondial de la réalité, et s'il le fallait (…) au moyen d'un percée violente » (cité par L. Dumont, ibid., pp. 83-84). Il est donc évident que les discours sur l'essence du fait national devraient tenir compte de certaines spécificités nationales
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[43]
Voir Actuel Marx, n° 42,2007 : Amérique latine en lutte. Hier et aujourd’hui.
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[44]
D. Plihon, « Une autre mondialisation », La Revue du Mauss, 20,2002, p. 109.
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[45]
M. Husson, « Le fantasme du marché mondial », Contretemps, n° 2,2002.
1Il est devenu fondamental d'examiner les pensées critiques de la mondialisation [1]. Selon celles-ci, les processus économiques actuels seraient tellement inédits que les diverses formes de l’économie politique seraient, en général, de peu d'aide pour comprendre le réel. Cette argumentation ne nous convainc guère; l’oubli des processus politiques en est sûrement l’une des causes. Nous nous attacherons à comprendre les raisons de ces représentations de l'économie qui font l'impasse sur la question de l'hégémonie. En dehors même de toute posture dénonciatrice, la position hégémonique des États-Unis est un fait, comme le fut l’hégémonie britannique. Les nations américaine et britannique semblent d’ailleurs encore les hérauts d’un mode d’accession à l’universel et au bien-être. À n’en pas douter, le déficit de légitimité du Capital et sa crise de rentabilité à la fin des années 1960 ont remis en cause ce trait culturel. Or, les pratiques néolibérales ont propulsé, comme jamais, la politique américaine à l’échelle du monde durant les années 1990. Pourtant, les errements politiques des classes dominantes aux États-Unis et chez ses alliés ouvrent, à nouveau, en ce début du XXIe siècle, le champ des possibles, comme ce fut le cas dans les années 1930 ou 1960.
2Trois convictions nous animent. Il faut, d’abord, de façon institutionnaliste, débarrasser l'histoire de toute téléologie : ceci est un point commun que l’on peut extraire des travaux de penseurs aussi différents que T. Veblen [2] ou K. Polanyi [3]. Ensuite, il est utile de pointer dans certaines transformations historiques le poids des utopies, ce qui est un autre acquis de la problématique développée par Polanyi et son école. Enfin, il est nécessaire de refuser la naturalisation des processus sociaux, ce qui nous inscrit dans les intuitions de Marx. C’est donc par une économie politique dans l'histoire, que nous voulons mettre en lumière une périodisation du capitalisme [4], après avoir suggéré la contingence de celui-ci. D’une certaine façon, le point de vue développé ici s’inscrit, pour une part, dans ce qui a été dénommé, parfois, « marxisme politique » ou « théorie des relations sociales de propriété », dans la mesure où nous pensons, en effet, qu’il « n’y a pas de facteurs sociaux en opposition à un mode de production » [5]. Les premiers travaux de P. Dockès nous avaient incités à donner toute leur place à la lutte de classes, par-delà les déterminations économiques, dans l’explication de la dynamique socio-économique. Cet ancien débat du marxisme des années 1970, où s’opposait ainsi une façon de « politisme » à un certain « économicisme », doit être reformulé aujourd’hui et impliquer, comme le suggèrent ici F. G. Dufour et S. Rioux, l’abandon définitif des concepts de « superstructure » et d’« infrastructure » car, par exemple, « l’institutionnalisation par le droit des relations entre les différentes composantes d’une classe dominantes joue un rôle décisif dans la compréhension des luttes politiques fractionnant le tissu social » [6].
3Ainsi seront mises en évidence les dynamiques politiques et économiques qui structurent la transnationalisation du Capital; la question du sens actuel des autonomies nationales sera enfin évoquée. Pour ce faire, nous aurons à l’esprit que le capitalisme a besoin à la fois de l’État pour prospérer et d’un discours qui masque cette intervention à son service. Ainsi, le libéralisme (puis le néolibéralisme), dans sa prétention à présenter le « marché » comme autorégulateur, est-il un discours de l’État au service du capital. En cela, il n’est pas seulement une doctrine politique, il est idéologie. Pour autant, y compris dans une analyse marxiste, l’État ne peut être ramené à un pur instrument au service de la classe dominante, car c’est aussi au moyen de l’État que les peuples constitués politiquement en nations ont déjà pu contrer le Capital [7]. L’État est en même temps instrument et terrain de la lutte des classes.
4Certes, les sociétés avec État, y compris les plus primitives, doivent être vues comme des sociétés de classes en rupture complète avec les sociétés sans État et sans classes que les anthropologues ont pu identifier [8]. Certes, malgré d’incessantes luttes de factions [9], des périodes extrêmement longues ont vu des classes dominer et exploiter sans merci l’immense majorité de la population [10]. Toutefois, il nous faut prendre acte d’un fait saillant : la révolution industrielle a ramené avec elle de manière durable la politique au sens de M. I. Finley [11]. En effet, la « démocratie bourgeoise », qui accompagne le Capital, procède à l’incorporation dans la communauté politique des classes dominées. Les modalités de cette incorporation ont pu évoluer au cours du temps, notamment du fait même de la lutte des classes. Dès lors, le Capital a bel et bien utilisé l’État pour se développer, mais il n’a pas régné sur lui sans partage. Au cours des deux derniers siècles, dans de nombreux pays, certaines périodes ont même été marquées, sous la pression des classes dominées, par une intervention de l’État, avec un succès certain, contre la puissance du Capital. Parler sans autre forme de procès d’un « État de classe », ou (ce qui revient au même) sous-entendre que l’État aurait disparu nous semble erroné. Concernant la période actuelle, cette erreur reviendrait surtout à priver la classe dominée de l’un de ses leviers les plus puissants. C’est pourquoi il nous semble important de reposer la question de la souveraineté, autrement que ne l’ont fait certains auteurs issus du marxisme, comme M. Hardt et T. Negri. Il est aussi possible que notre approche diffère de ce que semble devoir impliquer la théorie des relations sociales de propriété, car la notion de souveraineté, à laquelle nous nous référons ici, diffère de la notion de domination.
PÉRIODES DU DÉVELOPPEMENT CAPITALISTE : LA MAIN VISIBLE DE L’ÉTAT BRISE LES CHAÎNES DU MARCHÉ
5La mise en évidence de périodes du développement capitaliste ne signifie pas que les structurations d’une période disparaissent entièrement dans les périodes suivantes. Nous voulons notamment rappeler le rôle des représentations dans la fabrique de la société pour rendre compte de l'avènement du capitalisme libéral au XIXe siècle, parce que les logiques idéologiques sont intimement liées aux logiques politiques et économiques. Les développements suivants privilégient les nations européennes et leur imaginaire, dont nous ne sommes pas sortis, pour le meilleur et pour le pire. La substance de cet imaginaire, devenu une idéologie, peut être narrée comme suit.
6Les Occidentaux se représentent comme les Modernes, qui ont construit une société où se seraient autonomisés les rapports économiques, politiques, culturels et moraux dans des domaines ou institutions distinctes de la vie sociale. Le marché serait l’instrument de cette différenciation des sphères de la vie sociale et son « libre jeu » ne serait pas compatible avec les immixtions structurelles des autres sphères. Le jeu du marché refléterait l’émergence de l’Individu Souverain qui gommerait l’institution politique de la communauté sociale. La liberté du marché ne serait que le reflet de l’autonomie de l’Individu. La question sociale pourrait donc être résolue par l’émergence spontanée de nouveaux marchés : il suffirait de briser les vieilles contraintes qui empêchent la venue de l’Individu Libre sur le Marché. Ainsi, ces Modernes subordonnent les mondes juridique, politique et culturel à la représentation d’un Grand Marché autorégulateur. Pourtant, comme nous le verrons, c'est par la violence que l’État accouche des marchés libérateurs. Au-delà du rôle certain que les nationalismes ont pu jouer dans l’essor des capitalismes nationaux, si l’État hégémonique est anglais, les bourgeoisies sont volontiers anglophiles; si l’État hégémonique américain semble menacé, les Modernes se déclareront américains. La main visible du pouvoir d’État est alors occultée au profit de la supposée main invisible du Marché, lequel a semblé naturellement anglais puis américain.
7La « nouvelle économie » du XIXe siècle. L’émergence du capitalisme suppose que le travail soit transformé fictivement en marchandise. La réalité de l’institution imaginaire de la société met en défaut les dogmes libéraux : c’est la main très visible de l’État ou de sa justice, à qui l’on fait appel pour faire toute sa place aux « droits » des seigneurs ou des possédants. Ensuite, de telles interventions sont présentées comme une « modernisation ». Le monde du XIXe siècle, est ainsi le théâtre d’une expérience singulière dans l’histoire, ce dont les contemporains ont conscience. Bagehot et Cairnes rappellent explicitement le triomphe des pratiques issues de la théorie libérale sur le vieil état des choses [12]; Nassau Senior s’extasie : « Nous sommes dirigés par les philosophes et les économistes » [13]. Cette phrase, en forme d’aveu, souligne un trait occulté du libéralisme. Celui-ci apparaît beaucoup plus dogmatique et interventionniste que l’on ne le prétend de coutume [14].
8C’est seulement une fois le capitalisme établi que l’interventionnisme libéral se fait moins pressant et qu’il se cantonne dans des actions visant à le maintenir. Ceci relativise ainsi le prétendu non-interventionnisme libéral : « Le tenant de l’économie libérale peut donc (…) faire appel à la force violente, à la guerre civile, pour instaurer les conditions préalables à un marché autorégulateur » [15]. Ainsi, l’État libéral ne crée pas la « liberté naturelle » chère à Smith, mais l’institue par toutes formes de violences. Polanyi s’inscrit clairement dans une problématique qui va de Marx à Weber [16], lequel qualifie de « formellement libres » les travailleurs de la société capitaliste moderne, ceux-ci étant « en fait contraints par l’aiguillon de la faim ». Mais l’imaginaire libéral ne peut que se heurter au réel et en appeler à la capacité instituante de cette entité que lui-même décrie : l’État. Dans un premier temps, la mise en œuvre des normes libérales nécessite un lourd appareil réglementaire. Dans un second temps, de façon imprévue, spontanément, émerge un « contre-mouvement » de « protectionnisme social » émanant des couches les plus profondes de la société, ce qui rend, pour un temps, le capitalisme tolérable. C’est ce « double mouvement » qui exprime la dialectique propre à la société libérale. C’est pourquoi Polanyi peut écrire cette phrase qui étonne tant de libéraux : « Le laisser-faire était planifié, la planification ne l’a pas été. » Des formes nouvelles d’autoprotection de la société, pouvant prendre la forme de compromis collectifs sanctionnés par l’État, assurent sa viabilité pour un temps et un espace donnés.
9On comprend que le capitalisme soit condamné à une dilatation continue de son espace, de façon extensive puis intensive : la saturation de celui-ci l’annihilerait sous le poids des interventions sociales de tous ordres qui sont sa paradoxale condition de possibilité. Les contre-mouvements ont de plus en plus gêné les capacités partielles d’autorégulation du système de marché. C’est ce souvenir malheureux qui heurte les consciences néolibérales. Pour ce qui est de la fin du XIXe siècle, « les droits de douanes (…) les cartels et trusts, les embargos sur l’immigration (…) sont autant de freins pour le fonctionnement du système concurrentiel (…) et nuisent gravement au mécanisme autorégulateur du marché » [17]. En réalité, les marchés capitalistes ne sont « régulateurs » qu’au prix « d’une hécatombe de vies humaines » [18]. Fondamentalement, les capacités de régulation résultent presque toujours d’interventions initiales des forces sociales qui ont organisé le cadre dans lequel s’effectuent les régulations marchandes. C’est ainsi que, nécessairement, des déterminations sociales contraignent de façon croissante les flux économiques : ceci culmine dans les années 1930 par la « Grande Transformation », sortie de la « société de marché », dont les diverses modalités allèrent du New Deal au nazisme. La Grande Guerre n’a fait qu’ajourner les graves difficultés suscitées par la dynamique capitaliste.
10Les déterminations culturelles sont importantes pour la compréhension de la nature du capitalisme, qui ne naît vraiment qu’au XIXe siècle. À ce moment, il s'est construit une cohérence systémique qui fait que la « sub-sistance même de l'homme » dépend de façon déterminante du fonctionnement des marchés. C’est un trait décisif de l’Occident libéral que d’organiser l’exposition même des besoins les plus primaires de la population aux aléas du marché. Pour réaliser ce projet, l’Occident a pratiqué une politique. C’est sans doute l’Empire britannique qui a assuré pleinement cette « mission sacrée de la civilisation », fondant un réseau mondial de routes marchandes. Que l’expansion de l’Occident impliquât déjà le sacrifice de peuples entiers, comme Polanyi le notait à propos du démantèlement de l'Empire ottoman, ne posait pas un problème à la conscience d’alors. L'Empire britannique œuvrait ainsi à la création d’un espace qui se voulait celui du progrès contre l'arriération. Il n'est pas inutile de rappeler ce que Marx nous apprend à propos de l’accumulation primitive du capital : cette lutte commençait en Angleterre même où, du XVe au XVIIIe siècle, la guerre sociale des enclosures était menée pour assurer une privatisation des terres qui n’était rien d'autre qu'une expropriation.
11L’Empire britannique a ainsi porté la première grande vague de création de l’espace d'un capitalisme libéral, entre 1815 et 1914, intégrant flux financiers, marchandises et services, grâce au système de l’étalon-or, qui était en fait un étalon-sterling. Pour ce qui est des hommes, l’ère des impérialismes (1880-1914) connut une liberté des mouvements migratoires jamais égalée jusqu’alors et, sans doute depuis, jamais dépassée [19]. Mais, derrière l’apparence d’un capitalisme cosmopolite, se profilait la réalité hautement politique du processus : sans la politique britannique, rien n'eût été possible dans la création de ce monde nouveau pour les contemporains de la fin du XIXe siècle. L'anglophilie répandue parmi les classes dominantes témoigne encore de ce sentiment.
12La guerre de 1914-1918, puis la grande dépression des années 1930 ont brisé ce capitalisme libéral. Dans le cadre de celui-ci, les firmes ne furent pas les vecteurs du mouvement d’ouverture des économies nationales. Nous pouvons caractériser cette époque comme relevant d’une « configuration internationale »: les investissements à l'étranger étaient subordonnés au développement des échanges extérieurs et non à la délocalisation systématique de la production organisée selon une logique globale. Le mode de division internationale du travail reposait sur les « différences de productivités sectorielles existant entre les territoires nationaux » [20]. Même s’il est exact que la finance connaissait des aspects internationaux bien avant 1914, la logique de structuration des systèmes productifs était encore loin de ce mouvement ultérieur qui nous est familier.
13L’ère des capitalismes nationaux. Rétrospectivement, la période qui va de 1930 à 1980 peut apparaître, du point de vue néolibéral, comme une parenthèse dans l'essor du capitalisme libéral qui, débordant de la logique internationale, aurait pu déboucher sur un devenir transnational. En effet, la division du travail aurait pu approfondir sa première base, internationale, pour aller jusqu’à se structurer de façon réellement transnationale. Toutefois, les années 1930 ont resitué sur un fondement national la dynamique économique et bridé pour longtemps la sphère financière. Cette période, qui va de 1930 à 1980, ne constitue pas un moment étatiste artificiel, lequel serait le fruit de l’arbitraire des gouvernants et de la malignité des populismes de tous ordres. Au contraire, cette période sanctionne une Grande Transformation, au sens de Polanyi, c’est-à-dire une sanction politique et sociale de l’impossibilité pour le Marché de régler l’économie et la société. Cette transformation majeure résulte des violences imposées aux tissus sociaux jusqu’en 1914 et des contradictions de l’organisation même des sociétés de l’époque.
14Le capitalisme des années 1930 fut bien moins libéral que le précédent. Les diverses « transformations corporatives », selon l’expression même de Polanyi, qu'elles fussent ou non démocratiques, sont apparues comme des nécessités aux gouvernements de l’heure. Finalement, opposants ou défenseurs du capitalisme partageaient la conception de Hitler : la démocratie n'était pas compatible avec la propriété privée [21]. Cette même conviction animait les juges de la Cour Suprême américaine lorsqu'ils tentèrent de s'opposer au New Deal attendu par la nation américaine dans ces années 1930. Toute ingérence dans le système de la libre entreprise était, pour ces juges, tellement insupportable qu’ils voulurent surmonter ainsi la volonté politique exprimée par la nation américaine dans son soutien à Roosevelt.
15Après la victoire contre le nazisme et le militarisme japonais, l’hégémonie américaine aurait pu assurer l’héritage britannique et approfondir un capitalisme prétendant à l'universel, comme si la Grande Transformation n'avait pas eu lieu. À cette époque, Polanyi remarquait déjà l'échec du New Deal et ajoutait que la grande période de l’idéologie libérale du XIXe siècle avait profondément façonné la mentalité américaine. En conséquence, les interventions des années 1930 avaient selon lui « aussi peu affecté la position du capitalisme libéral que l’avaient fait en Europe, avant 1914, semblables évolutions vers l’interventionnisme et le socialisme » [22]. Si on le juge à la démocratie sociale dont il était porteur [23], le New Deal fut un échec. Mais, comme nous allons le montrer, cet échec ne s’accompagna pas de l’établissement d’un « capitalisme universel ». Des raisons politiques et économiques empêchèrent ce plein retour à un capitalisme libéral qui aurait simplement changé de « main visible », passant de l’hégémonie britannique à une hégémonie américaine.
16En effet, la fragilité des économies européennes n’aurait pas été compatible avec le choc d’une libéralisation rapide des flux internationaux et l’ampleur de la menace soviétique n’était pas sans conséquence quant à la position du travail dans le rapport de force existant avec le capital. À cet égard, l’affermissement des droits sociaux et la croissance continue du salaire ont été des moyens cruciaux de lutte contre l’influence soviétique, ce que permettait le fordisme. Celui-ci se caractérisait par l’aspect relativement autocentré de la croissance, qui permit l’émergence d’un contrôle étatique sur des capitalismes nationaux. Dans certaines parties du Tiers Monde, les États-Unis favorisèrent un endettement faramineux de quelques alliés et acceptèrent des interventions gouvernementales marquées, comme diverses politiques de promotion et de protection des capitalismes nationaux, de façon à faire éclore la prospérité là où elle était stratégiquement utile. Mais l'effacement de l’Empire soviétique annonce une rupture par rapport aux années 1945-1980.
17Le capitalisme contemporain. Le contenu politique et culturel du capitalisme qui s’est élaboré depuis un quart de siècle ne doit pas être occulté. La compréhension de la dynamique économique actuelle en dépend. La crise de l’ordre social capitaliste, dans ses dimensions économique et culturelle, visible à la fin des années 1960, a légitimé aux yeux des possédants inquiets la montée en puissance d’une pensée néolibérale, impulsée notamment par M. Friedman et F. Hayek, qui fournit un ensemble de justifications permettant de reconfigurer les rapports sociaux [24]. Dans les années 1980, la mise en place politique d’un chômage de masse permit un retour en grâce de la domination du Capital. À la fin de cette décennie, l’effondrement de l’économie planifiée centralement, qui s’était constituée entre 1917 et 1950, redonne au Capital un espace dont il ne rêvait même plus depuis 1914. L’« utopie réactionnaire de Wall-Street », dénoncée par Polanyi en 1945, est devenue dominante aujourd’hui avec à sa tête les États-Unis comme nouveau vecteur de la mondialisation libérale, donnant l’illusion que les années 1930-1980 ont un caractère exceptionnel.
18Un capitalisme transnational s’est ainsi constitué depuis vingt-cinq ans [25], animé par les firmes transnationales qui déstructurent nombre de nations. Qualifier ce capitalisme de transnational et non de mondial permet d’éviter certaines ambiguïtés. La transnationalisation a en effet un contenu politique, l’hégémonie américaine : « Depuis les années 1970, Wall Street s'est constamment acharné à réduire les obstacles à sa pénétration dans les marchés nationaux » [26]. Plus généralement, il faut dénoncer les « œillères académiques » qui font de la « globalisation une force purement technico-économique, non seulement séparée des contrôles politicoétatiques mais placée dans une position antagonique avec eux » [27]. S'il est donc difficile, prima facie, d'affirmer que la mondialisation désigne de manière appropriée le processus relatif à la structuration du capitalisme contemporain, il est vrai que la configuration actuelle n'est ni celle que connaissait l’économie internationale du monde sous hégémonie britannique ni celle des économies nationales au temps du fordisme.
19Le succès même de celui-ci permit un fort rythme de croissance du commerce mondial, lequel atteignait un niveau supérieur à celui des richesses nationales. Dans un premier temps, l’ouverture croissante des économies nationales ne produisit pas de problèmes délicats de régulation macroéconomique; l'efficacité de la régulation fordienne restait alors intacte. L’exploitation des gains de l’échange et des richesses d’autrui, sur des échelles toujours plus vastes, pouvait encore se faire sans endommager cette capacité régulatrice; bien au contraire, elle en était un moteur. Mais, au milieu des années 1970, la transnationalisation se trouve accélérée par la mondialisation financière, permise par l’explosion du système de Bretton Woods, les chocs pétroliers, la montée de la dette du Sud et l'explosion des déficits publics, notamment américains. La mondialisation comme transnationalisation n'est donc pas aussi récente que certains le prétendent. Elle débute bien avant les années 1990. Il est toutefois vrai que des éléments importants accélèrent la dynamique du capitalisme contemporain : l’effondrement du Mur et la marche vers le capitalisme des pays de l'Europe orientale, l’arrivée à maturité de certaines « nouvelles technologies de l’information et de la communication », le démantèlement des protections qui avaient rendu possible l’émergence de capitalismes dynamiques au Sud et la volonté d’appropriation du vivant. Mais l’important demeure que les prétentions du keynésianisme classique et du fordisme devenaient problématiques, avant ces moments qui marquent une dilatation manifeste de l’espace du Capital.
20Pour ce qui est de la transnationalisation des marchés des biens et de la mobilisation d’un salariat déqualifié au niveau mondial, il s’agissait d’un processus déjà fortement amorcé dans les années 1960, ce qui faisait dire, à de Bernis au début des années 1980, que l’Europe ne constituait pas une sphère cohérente pour l’accumulation du capital. Le processus de transnationalisation s’accomplit par la construction d’une cohérence systémique où les biens, les marchandises et les techniques sont rendus mobiles comme jamais par les processus de marché ou les grandes firmes. En régime transnational, l’accès aux débouchés mondiaux repose alors sur une mobilisation tous azimuts des ressources monétaires financières, techniques et de force de travail. Or, comme l’a souligné F. Chesnais, la mobilité du capital, si cruciale pour ce système transnational, s’effectue sous forme d’investissements directs à l'étranger, de participations à la croissance de la dette privée ou publique, qui opèrent à terme une rupture du système national d'accumulation [28].
21Mais, la reconnaissance de la transnationalisation ne signifie pas que les gouvernements nationaux ou les zones régionales n’ont pas de responsabilité dans ce processus politiquement aliénant. Ainsi, les gouvernements européens, au lieu de jouer le jeu d'une internationalisation profitable aux peuples d'Europe, organisent la transnationalisation des économies européennes par un soutien sans faille aux champions nationaux qui sont le vecteur de ce processus. On procède à un infléchissement très net des lois bancaires et financières au profit des exigences néolibérales; les formes atypiques d'emploi deviennent normales et la fabrication de la loi procède de plus en plus d’instances de délégation éloignées et qui n’ont qu’un objet : produire le désinvestissement vis-à-vis de la chose publique, pour promouvoir le règne d’une technobureaucratie affirmant sa neutralité. En somme, on naturalise le marché européen et le marché mondial. Les mutations du capitalisme ont un caractère culturel et politique aussi déterminant que les déterminismes économiques.
ÉTATS ET NATIONS DANS LE CAPITALISME CONTEMPORAIN
22Pour certains auteurs, comme A. Negri, qui a su, mieux que d’autres, condenser l’air du temps, la période contemporaine serait marquée par l’effacement de l’État-nation dans la figure de « l’Empire » [29]. L'opposition à l'impérialisme américain relèverait dès lors de nostalgies « souverainistes » réactives ! L'avènement d'une économie fondée sur les savoirs et les réseaux serait la raison ultime de la liquidation de la figure de la souveraineté. Or, on peut trouver les prémices de cet air du temps, qui imprègnent une part croissante de la gauche, avant la Grande Guerre, dans les dires du très libéral Mises. Celui-ci n’affirmait-il pas, déjà, que la « souveraineté était une illusion ridicule » [30] ? Contre la tentation libérale-libertaire qui travaille toute la gauche, nous soutenons que les États demeurent un moyen de parer la force du Capital et que l’internationalisme est la seule alternative au capitalisme mondialisé.
23Les gouvernements, obstacles à la libération par le capitalisme contemporain ? L’idée que la mutation contemporaine des forces productives rend caduque la prétention des peuples à la souveraineté ne signifie pas seulement le retour de vieux poncifs libéraux, mais la reprise de ce qui fait le plus problème dans le marxisme orthodoxe. Congédiant de facto le rôle des luttes sociales et politiques, les tenants du capitalisme « cognitif » attribuent les difficultés actuelles à l'inadéquation entre la dynamique technoorganisationnelle et les institutions. Ils prônent le fédéralisme comme modèle politique de sortie de notre stagnation socio-économique et pensent que les présentes formes « réticulaires » d’organisation de la production annonceraient la sortie du salariat. La figure de l’individu mobile ne serait pas mise en valeur, contrariée qu'elle est par des conceptions qui font la part trop belle à la nation et aux protections sociales traditionnelles [31]. D’où la cause des difficultés de notre temps qui se sont notamment exprimées dans de singulières apologies en faveur du Traité établissant une constitution pour l’Europe [32]. Des auteurs très différents, comme Y. Moulier-Boutang ou L. Boltanski [33], inspirent les lignes des discours de cette « gauche » libérale, qui ose, parfois, se dire radicale, pour occuper une part de l’espace médiatique et faire vivre ces fausses oppositions qui excitent la presse dominante.
24Néanmoins, ces discours posent un problème méthodologique : dans quel registre se situe-t-on ? Positif ? Normatif ? Ou bien encore prescriptif ? À les entendre, les valeurs fondatrices de la « nouvelle Grande Transformation » seraient de l’ordre de la passion et de la liberté, opposées à la quête de l'argent et à la glorification du travail. Mais ceci n'a rien d'évident, car il y a toujours danger à prendre les rationalisations des acteurs au pied de la lettre. Les discours de ceux-ci sur leurs propres pratiques ne font que participer d’une vie sociale qui les dépasse infiniment. En outre, le monde de la micro-informatique, empire des nouveaux maîtres du « libre », source de tant d’inspiration pour les théoriciens du capitalisme cognitif, représentent une fraction si faible de l’humanité qu’on ne peut sans danger faire des extrapolations osées à partir des pratiques et des discours de cette population particulière. Le problème est donc que la gauche libérale-libertaire confond ses désirs et la réalité. On peut comprendre que l’on souhaite la mort de l’État comme signature d’un nouveau communisme. Mais, il est tout simplement faux d’affirmer la mort des régulations publiques : la nouveauté ne réside non pas tant dans leur disparition que dans une tendance à les soustraire à tout contrôle exercé par le peuple. En réalité, le néolibéralisme veut instrumentaliser les régulations publiques et sociales au seul profit du capital. Mais l’ampleur de la redistribution demeure toutefois manifeste en Europe; il en va de même de toutes ces réglementations échappant encore au grand souffle « européen ». Les multiples récriminations des modernisateurs en tout genre sont un signe de l’inertie de certains phénomènes sociaux et économiques qu’on ne peut encore congédier à ce jour.
25Par ailleurs, la thèse de l’« Empire », qui devrait se substituer aux théories de l’impérialisme, repose sur le fait que les capitaux nationaux sont tellement intégrés au complexe économique américain qu’il ne serait plus possible de faire de distinctions entre les nations. Selon cette hypothèse, les bases économiques et financières étant dorénavant communes, la structure politique serait nécessairement unifiée et apatride. Par ce souhait en forme d’hypothèse, on gomme les identités nationales des firmes transnationales. Les débats actuels autour des « fonds souverains », auquel prend part le FMI, montrent bien que les distinctions politiques travaillent fortement l’ordre économique. Sauf à sauter par-dessus le réel, l’État et la nation américaine ne se sont pas dissous dans une forme de gouvernement impérial à l’échelle du monde. À cet égard, la dissolution de l’idée même de nation n’est pas souhaitable, sauf à prouver que toute organisation politique du peuple serait vaine. Tant qu’un peuple voudra exister, il se constituera en nation. La gauche libérale devrait méditer les leçons que lui administrent les peuples qui veulent exister, de la Palestine au Kurdistan : « La souveraineté signifie pour une communauté donnée quelle est l'idée de droit valable en son sein (…). L'État-nation offre une solution neutre car reposant sur une simple base territoriale. C'est la seule qui soit compatible avec les diversités, religieuses, ethniques ou autre » [34]. Le capitalisme contemporain n’est pas l’instrument de libération qu’on nous suggère. Plutôt que de suivre les valeurs culturelles « progressistes » que ces capitalismes promeuvent, l’émancipation résulte plus souvent des contraintes politiques et sociales qui sont opposées à toutes les formes de capitalisme. Il n’y a pas de ruse de la raison faisant que le capitalisme contemporain œuvre à la création d'un monde commun; en aucune façon, la transnationalisation des économies ne débouche sur les fondements d’une politique du monde, sauf à investir l’analyse socio-économique d’un curieux prophétisme.
26Il ne s'agit pas de rêver l’efficacité d’une régulation fordiste disparue. Le système fordien fut, et est encore, précisément un repoussoir pour qui souhaite une constitution démocratique du fait économique. Mais on peut s'interroger sur le sens de la célébration de la fin du fordisme et des régulations publiques. Pour eux, « le capital serait dans le cerveau des gens » [35]. Il semble que nous ayons affaire ici à une prophétie qui vise, plus ou moins consciemment, son autoréalisation. Si cette proposition devait être prise au sérieux, alors notre époque, marquée par « une mutation ontologique du travail » [36], serait celle de la fin du capital comme rapport social. Nous vivrions donc une mutation anthropologique: l'émergence de l’ère du commun, moment inédit où la coopération sociale deviendrait le trait déterminant l’économie. La vieille opposition entre le privé et le public serait disqualifiée et liquiderait alors les prétentions de l’interventionnisme étatique. Mais Blanqui écrivait déjà en 1869 que « tous les problèmes successivement posés dans l’histoire ont eu une solution communiste » [37] ! Le commun de Negri peut-être interprété comme une forme de l’économie solidaire, ce qui ne fait pas du commun quelque chose de très inédit [38]. Il faut se défier de l’émergence du commun, si cela justifie la liquidation du public, à un moment où le privé est tout puissant.
27Ce qui peut et doit rester des nations. Pourquoi ne pas considérer qu’un certain nombre de legs de l’histoire ne sont pas à rejeter ? Les nations, comme formes d’organisation politique des peuples, sont des noyaux qu’il conviendrait de ne pas mépriser au non d’un universalisme mal compris. Un monde commun de significations ne peut se construire sur la négation de toute forme d’appartenance collective ! L’aspiration, formulée notamment par A. Caillé et A. Insel [39], à une « République européenne » est assez silencieuse sur cette question. Les auteurs parlent de l'emprise sur les « représentations sociales » du « nationalisme » [40], qu'on suppose être une quelconque forme d'attachement au fait national dont la caractéristique serait d'empêcher un vouloir vivre ensemble « supranational ». Mais quelle conception de la nation a décidé cela ? Pourquoi ces auteurs stigmatisent-ils l'idée de nation tout en affirmant que « les effets de l'internationalisation sont globalement positifs, ceux de la mondialisation globalement négatifs ? » [41]. Veulent-ils une contradiction dans les termes : un internationalisme sans les nations ? Enfin, dans une formule étonnante, qui pourrait étonner au Proche-Orient ou en Asie Centrale, les auteurs soutiennent que les États-Unis « ont conquis des titres imprescriptibles à la reconnaissance de tous les peuples du monde » et que leur culture est fondée sur un idéal « démocratique, humaniste et pluraliste », si proche des peuples européens. Mais, l’idéal démocratique des Américains n'a de sens que dans leur État et n'a pas de rapport avec une certaine vision du continent européen qui, notamment, a souvent dépassé la référence à la tolérance pour en venir à la laïcité. Il est vrai que celle-ci est menacée à l'heure actuelle par des formes de relativisme, très adaptées au marché transnational [42] !
28Le droit des pays du Sud à se servir de leur État pour accomplir des finalités sociales est souvent évoqué dans le débat contemporain [43]. Mais cette réflexion stimulante devrait être complétée par le fait de savoir s’il n’y a pas de légitimité, pour certains États du Nord, à défendre certains types de relations sociales. D. Plihon n’a à cet égard aucun complexe à écrire, soulevant ainsi la question des interdépendances très difficiles à contrôler : « Pour retrouver des marges de manœuvres, les pays doivent être en mesure de se protéger » [44]. La nation comme immunité progressiste face au marché mondial n'est pas une idée dépassée. Les considérations relatives aux nations doivent avoir une conséquence sur la façon d'envisager les États dans une entreprise progressiste de transformation des rapports sociaux. Pourquoi, comme le souhaitent certains opposants à la « mondialisation libérale », vouloir liquider les États ou tenter de rendre impuissantes les régulations publiques ? Veut-on supprimer ainsi toute forme de coordination consciente ? À ces questions, il existe une réponse qui vaut aussi pour les États du Nord : « Dans les pays du Sud, il n'y a pas de projet national de développement cohérent qui ne passe pas par l'établissement d'un contrôle sur les mouvements de capitaux (…). L'État doit être défendu, non pas en tant qu'incarnation de la nation contre le cosmopolitisme du capital, mais comme le seul instrument permettant un quelconque contrôle du capital » [45]. Ce que la volonté dite « libérale » du capital a fait, une volonté démocratique peut le défaire pour faire autrement. En termes de fiscalité et de régulation financière, il est possible de redonner à l'État des moyens qu'il a abandonnés. Ainsi, il est possible de rendre la Banque centrale européenne enfin démocratique. Les politiques fiscales et budgétaires peuvent retrouver des espaces efficaces qui supposent, mais pas toujours, des coopérations internationales.
Notes
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[1]
Nous remercions Alain Guéry, Alice Martin et Nicolas Pons-Vignon pour la lecture qu'ils firent de notre texte.
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[2]
F. G. Dufour met particulièrement en avant le fait que le « contemporary historical materialism » s’extrait des vieilles conceptions téléologiques (p. 453) qui accompagne les approches fondées sur les déterminismes supposé des « choix individuels » (cas du marxisme analytique) ou des « forces productives » (cas du marxisme orthodoxe). Cette inflexion du marxisme rejoint des hypothèses de l’institutionnalisme des origines, lesquelles n’étaient pas aussi étayées.
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[3]
Voir de nombreux inédits de cet auteur dans M. Cangiani, J. Maucourant, Essais de Karl Polanyi, Paris, Seuil, 2008.
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[4]
Remarquons que si G. Duménil et D. Lévy rejettent l’idée d’une périodisation à partir d’un critère qui s’imposerait aux autres par lui-même (« Une théorie marxiste du néolibéralisme », Actuel Marx n°40,2006), rien n’empêche de procéder à une périodisation à partir d’un point de vue précis, en ayant à l’esprit que d’autres clés d’entrée conduiraient à un autre découpage temporel. C’est ce que nous faisons à partir des discours de l’Etat sur l’économie.
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[5]
E. P. Thomson, La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Gallimard/Seuil, 1988, cité dans ce volume par F. G. Dufour et Sébastien Rioux, « La sociologie historique de la théorie des relations sociales de propriété ». Dufour et Rioux revendiquent explicitement, à cet égard, l’influence des travaux de Polanyi dans la constitution de cette nouvelle école de pensée.
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[6]
Voir l’article précédent ainsi que F. G. Dufour, « Historical Materialism and International Relations », in J. Bidet, S. Kouvelakis (dir.), Critical Companion to Contemporary Marxism, Leiden/Boston, Brill, 2008
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[7]
L’idée de nation comme constitution politique des peuples est développée notamment par R. Descimon et A. Guéry, « Un État des temps modernes ? », in A. Burguière, J. Revel, Histoire de la France, Paris, Seuil, 2000, pp. 361 sq.
-
[8]
Pierre Clastres, La société contre l’État, Paris, Editions de Minuit, 1974 et, du même auteur, Préface à Marshall Sahlins Age de pierre, âge d’abondance, Paris, Gallimard, 1976.
-
[9]
Voir Norbert Elias, La dynamique de l’occident, Paris, Calmann-Lévy, 1975.
-
[10]
Georges Duby Guerriers et paysans, Paris, Gallimard, 1973.
-
[11]
Moses I. Finley L’Invention de la politique, Paris, Flammarion, 1985.
-
[12]
Cité par J. Stanfield, The economic thought of Karl Polanyi, Londres MacMillan, 1986, pp. 104-105.
-
[13]
Id.
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[14]
Quitte à contredire son évolutionnisme, Hayek revendique donc l’urgence du combat idéologique : « Si l’idéal de l’État de Droit est fermement enraciné dans l’opinion publique, la législation et la juridiction tendraient à s’en rapprocher de plus en plus. Mais si on représente cet idéal comme irréalisable […] il disparaîtra bientôt » (F. Hayek, La présomption fatale, Paris, PUF, 1993, p. 206, cité par C. Vivel, Le concept d'institution chez Hayek, DEA, Centre Walras, 1999, p. 146).
-
[15]
K. Polanyi, La Grande Transformation, Paris, Gallimard, p. 201.
-
[16]
M. Weber, Histoire Economique, Paris, Gallimard, 1991, p. 298.
-
[17]
K. Polanyi, La Grande Transformation, op. cit. p. 195.
-
[18]
K. Polanyi, « Syllabus of a lecture on marxian philosophy », Box 5, Archives Karl Polanyi, l’Institut Karl Polanyi d’économie politique, Montréal .
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[19]
A. Laurens, La question de Palestine – T. 1, Paris, Fayard, 1999, p. 143.
-
[20]
C.-A. Michalet, Qu'est-ce que la mondialisation ?, Paris, La découverte, 2002, pp. 26-27.
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[21]
En 1934, « Hitler déclare que la cause principale de la crise actuelle est l’incompatibilité totale du principe d’égalité démocratique en politique et du principe de propriété privée des moyens de production en matière de vie économique »; (K. Polanyi, « The essence of fascism » in L. Lewis et alii, Christianity and social revolution, New York, Books for Libraries Press, 1972, pp. 391-392).
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[22]
K. Polanyi, « Universal capitalism and regional planning », The London Quarterly of World Affair, 1945, (10), 3. p. 87.
-
[23]
R. Reich, L'économie mondialisée, Paris, Dunod, 1993, p. 34.
-
[24]
Le néolibéralisme fut sans doute d’abord une idéologie (G. Arrighi, « A la recherche de l’Etat mondial, Actuel Marx, n° 40, 2006), avant de devenir effectivement une étape du capitalisme (G. Duménil, D. Lévy, « Néolibéralisme : dépassement ou renouvellement d’un ordre social », ibid).
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[25]
Voir L. Hoang-Ngoc, B. Tinel, « La régulation du « nouveau capitalisme ». Analyses positives et recommandations normatives comparées », Economie Appliquée, LVIII, n°1,2005.
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[26]
P. Gowan, « Le régime dollar-Wall Street d’hégémonie mondial », Actuel Marx, n° 27,2000, p. 75.
-
[27]
Ibid., p. 79.
-
[28]
F. Chesnais « Les contradictions et les antagonismes propres au capitalisme mondialisé et leurs menaces pour l’humanité », Actuel Marx, n° 40,2006.
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[29]
Le concept d’impérialisme serait à rejeter au profit de celui d’« l’Empire » qui ne désignerait pas un État en particulier, mais « le pouvoir souverain qui gouverne le monde », la forme juridique de celui-ci étant donnée par la Constitution américaine. Par rapport à l’histoire et à l’idéologie européenne, l’avènement de l’Empire serait une rupture car nul lieu ne définit l’Empire. D’où la fin de l’opposition entre centre et périphérie. L’émergence d’une souveraineté « déterritorialisée », que le modèle fédéral à l’américaine permettrait, annoncerait la mort de l’État nation territorial et omnipotent (M. Hardt, A. Negri, Empire, Paris, Exil, 2002, pp. 15 et 319; les auteurs reprennent cette idée dans Multitude, Paris, 10/18,2004, en particulier dans le chapitre sur la souveraineté).
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[30]
K. Polanyi, La Grande Transformation, op. cit., p. 251.
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[31]
Ces Turbo-Bécassine et Cyber-Gédéon qui peuplent le monde, à peine satyrique, dépeint voilà quelques années par G. Châtelet Vivre et penser comme des porcs, Paris, Folio, 1998.
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[32]
Ce même traité est aujourd’hui réintroduit sans recours au référendum et, malgré le refus exprimé par 55 % de nos concitoyens en 2005, les principales formations politiques de droite et de gauche s’apprêtent à le valider sans débat national, ce qui en dit long à la fois sur l’état de la politique dans notre société et sur les idées de ceux qui se félicitent que de tels procédés puissent être employés, fut-ce au nom de l’« Europe ».
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[33]
Une critique stimulante des travaux récents de L. Boltanski est faite par C. Gautier, « La sociologie de l'accord : justification contre déterminisme et domination », Politix, n° 54,2001.
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[34]
J. Sapir, Les économistes contre la démocratie, Paris, Albin Michel, 2002, pp. 188-189.
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[35]
Negri cité par M. Husson (« Communisme et temps libre », Critique communiste, 152,1998) qui montre la faiblesse d’une telle affirmation.
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[36]
Voir par exemple A. Negri et C. Vercellone « Le rapport capital/travail dans le capitalisme cognitif », Multitudes, à paraître.
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[37]
A. Blanqui, Maintenant, Il faut des armes, La Fabrique éditions, Paris, 2007.
-
[38]
A. Caillé, « Présentation », La Revue du Mauss, 20,2002 p. 13.
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[39]
A. Caillé, A. Insel, « Quelle autre mondialisation ? », La Revue du Mauss, 20, Ibid., p. 152.
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[40]
Ibid., p. 169-170
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[41]
Ibid., p. 150.
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[42]
Pour discréditer la notion de nation, A. Negri a cru bon d’écrire que celle-ci était la cause d’Auschwitz (« Empire et multitudes dans la guerre », in R. Herrera, L'empire en guerre, Paris, Le temps des cerises, 2001, p. 156). Il oublie qu’une configuration historique singulière fit qu’une certaine conception de la nation a joué un rôle létal. Il est, en effet, absurde de prétendre que la conception d’une « souveraineté territoriale », développée en Angleterre et en France, est équivalente à celle de la « souveraineté universelle ». Voir L. Dumont, Homo æqualis II, Paris, Gallimard, 1991, p. 38. Notons ici que T. Mann, autour de 1914, après avoir rappelé que l’État démocratique ne convient pas à l'Allemagne, ajoute : « Le peuple mondial de l'esprit […] aspirait à devenir un peuple mondial […], le peuple mondial de la réalité, et s'il le fallait (…) au moyen d'un percée violente » (cité par L. Dumont, ibid., pp. 83-84). Il est donc évident que les discours sur l'essence du fait national devraient tenir compte de certaines spécificités nationales
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[43]
Voir Actuel Marx, n° 42,2007 : Amérique latine en lutte. Hier et aujourd’hui.
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[44]
D. Plihon, « Une autre mondialisation », La Revue du Mauss, 20,2002, p. 109.
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[45]
M. Husson, « Le fantasme du marché mondial », Contretemps, n° 2,2002.