Couverture de AMX_038

Article de revue

« Le Nègre n'est pas. Pas plus que le Blanc »

Frantz Fanon, esclavage, race et racisme

Pages 45 à 63

Notes

  • [1]
    Voir à ce sujet, les travaux de l’ACHAC : Zoos Humains (2000) ; L’Autre et Nous (1995) ; De l’indigène à l’immigré (1997) ; Hommes et Migrations (2000 : 1228) ; Culture coloniale (2003), Culture impériale (2004).
  • [2]
    J’emploie le terme « racialisé » pour parler des références à la « race », qu’elles soient explicitées ou masquées, dans le discours et la pratique. « Race » ici renvoie au système de différentiations raciales faites au nom de la « race » dans le monde moderne.
  • [3]
    Réunion, Martinique, Guadeloupe, Guyane sont régions et départements français. Les autres territoires « ultra-marins » (Polynésie, Nouvelle-Calédonie, Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon) ont un autre statut.
  • [4]
    Ainsi, les réflexions d’Alain Finklierkraut parlant le 6 mars 2005 des Antillais en ces termes : « Les victimes antillaises de l’esclavage qui vivent aujourd’hui de l’assistance de la métropole. Mais passons ». Le discours sur l’assistance des sociétés post-esclavagistes permet aux Français d’éviter de se pencher sur leurs responsabilités dans la dépendance économique de ces sociétés.
  • [5]
    Voir, à ce sujet : Paul Gilroy, Against Race, Imagining Political Culture Beyond the Color Line. Harvard : Harvard University Press, 2000. Gilroy y fait une critique très sévère du discours afrocentriste, qu’il analyse comme une configuration raciste. Il plaide pour un humanisme post-racial, « beyond the color line ».
  • [6]
    Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs. Paris, Éditions du Seuil, 1952, p. 187.
  • [7]
    Ibid. p. 186.
  • [8]
    Ibid. p. 90.
  • [9]
    Ibid. p. 177.
  • [10]
    Ibid. pp. 178-179.
  • [11]
    Fanon, op. cit., pp. 20,120,154-155.
  • [12]
    Ibid., p. 154.
  • [13]
    Voir : Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Françoise Vergès, La République coloniale. Essai sur une utopie. Paris, Albin Michel, 2004.
  • [14]
    Ibid. p. 6.
  • [15]
    Benjamin Stora, Le Nouvel observateur 21-27 octobre 2004, pp. 42-44 : « La société française n’a manifesté ni regret ni remords par rapport à l’Algérie, et, plus généralement, par rapport à son histoire coloniale. Il n’y a jamais eu de repentance. Jamais ! Selon un sondage réalisé en novembre 2003, donc après l’affaire Aussaresses et les révélations du Monde sur la torture, 55% des Français estimaient que la France n’avait pas à demander pardon à l’Algérie pour cent trente années de colonisation ». Jean-Pierre Chevènement, dans Le Nouvel Observateur, sous le titre « Cessons d’avoir honte », rappelait les actifs de la colonisation française et « en premier lieu, l’école, apportant aux peuples colonisés, avec les armes de la République, les armes intellectuelles de leur libération ». En 1984, Jean-Pierre Cot, ministre de la Coopération du premier gouvernement Mitterrand, écrivait : « Je ne crois pas que la colonisation ait démérité ». Alexandre Adler, dans Courrier international, le 24 avril 1997 : « Il serait de simple et bonne justice de rappeler aussi la grandeur de cette entreprise… La République a emprunté à la latinité tardive cette capacité à mêler son sang, à considérer l’Africain soumis aux lois de la France comme un Français en puissance, […] toutes choses que le monde anglo-saxon ne peut pas comprendre… Du côté africain, on a aimé la France pour ce qu’elle a de meilleur : les pères blancs… les officiers de la coloniale… les médecins qui ont inventé il y a un siècle l’action humanitaire ».
  • [16]
    Pour une autre approche, voir Alice Cherki, Frantz Fanon, portrait. Paris, Seuil, 2000. Le livre de Cherki souffre cependant d’un trop grand désir de rétablir Fanon et d’un manque d’analyse critique de ses contradictions.
  • [17]
    Voir : Alan Read (ed.), The Fact of Blackness. Frantz Fanon and Visual Representation, Londres, ICA, 1996 ; Anthony C. Alessandrini (ed.), Frantz Fanon. Critical Perspectives, Londres, Routledge, 1999 ; Lewis R. Gordon, T. Denean Sharpley-Whiting et Renée T. White (eds.), Fanon : A Critical Reader, Londres, Blackwell, 1996.
  • [18]
    Stuart Hall, « The After-life of Frantz Fanon : Why Fanon ? Why Now ? Why Black Skin, White Masks ? », in Alan Read (ed.), The Fact of Blackness. Frantz Fanon and Visual Representation, Londres, ICA, 1996, pp. 12-37.
  • [19]
    Fanon, op. cit., p. 93.
  • [20]
    Ibid., p. 90.
  • [21]
    Ibid., p. 90.
  • [22]
    Ibid., p. 92.
  • [23]
    Vincent Declerc et Christophe Prochasson, Dictionnaire Critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, p. 370.
  • [24]
    Paris, Gallimard.
  • [25]
    Geneviève Fraisse et Michelle Perrot, Histoire des femmes. Le XIXe siècle, Plon, 1991.
  • [26]
    Pour des propositions sur une révision des récits, voir le projet et ses critiques du « Centre de ressources et de mémoire de l’immigration » dont la première page du site web annonce « Leur histoire est notre histoire ». Leur = l’histoire de celles et ceux qui sont venus s’établir en France, wwww. histoireimmigration. com;le rapport du Comité pour la mémoire de l’Esclavage sur wwww. comite-memoire-esclavage. fr ;les débats autour de la loi de février 2005 et de la pétition des « Indigènes de la République ».
  • [27]
    Gaston Monnerville, Léopold Sédar-Senghor et Aimé Césaire, Commémoration du centenaire de l’abolition de l’esclavage. Discours prononcé à la Sorbonne le 27 avril 1948, Paris, PUF, 1948, p. 32.
  • [28]
    Voir, Françoise Vergès, Abolir l’esclavage. Les ambiguïtés d’une politique humanitaire, Paris, Albin Michel, 2002.
  • [29]
    Ibid., pp. 27-28.
  • [30]
    Declerc et Prochasson, op. cit., p. 215.
  • [31]
    Raynaud et Rials, op. cit. p. 215.
  • [32]
    Dominick LaCapra, « Introduction », in Dominick LaCapra (ed.), The Bounds of Race. Perspectives on Hegemony and Resistance, Ithaca, Cornell University Press, 1991, p. 3. Voir dans le même volume, les essais de Henry Louis Gates, Jr. et Kwame Anthony Appiah.
  • [33]
    David Lionel Smith, « What Is Black Culture ? » in Wahneema Lubiano (ed.), The House That Race Built, New York, Vintage, 1998. pp. 178-184, p. 187.
  • [34]
    Olivier Le Cour Grandmaison, « Le discours esclavagiste pendant la Révolution », dans Esclavage, Colonisation, Libérations Nationales, L’Harmattan, 1990, Paris, pp. 124-132.
  • [35]
    Cité par Brasseur Paule, « La littérature abolitionniste en France au XIXe siècle : l’image de l’Afrique », in Fornasiero, F. J. (éd.), Culture and Ideology in Modern France. Essays in Honour of George Rudé (1910-1993), Department of French Studies, 1994, University of Adélaïde, pp. 17-40.
  • [36]
    En référence, voir : Michael Rogin, « The Two Declarations of American Independence », in Robert Post et Michael Rogin (eds.), Race and Representation : Affirmative Action, New York, Zone Books, 1998, pp. 73-96 ; Frank McGlynn et Seymour Drescher (eds.), The Meaning of Freedom. Economics, Politics and Culture after Slavery, Pittsburgh, Pittsburgh University Press, 1992 ; David Theo Goldberg, Racist Culture. Philosophy and the Politics of Meaning, Cambridge, Blackwell Publishers, 1993 ; Paul Gilroy, Against Race, Imagining Political Culture Beyond the Color Line, Harvard, Harvard University Press, 2000, et, There Ain’t No Black in the Union Jack. The Cultural Politics of Race and Nation, Chicago, Chicago University Press, 1987 ; Henry Louis Gates, Jr. (ed.), « Race » Writing and Difference, Chicago, Chicago University Press, 1985.
  • [37]
    Etienne Balibar et Immanuel Wallerstein, Race, Nation, Classe. Les identités ambiguës, Paris, La Découverte, 1988, p. 291.
  • [38]
    Ce terme est lui-même difficile à appliquer compte tenu des métissages mais la construction sociale de différences ethniques a eu un impact sur ces sociétés.
  • [39]
    Titre du livre de Jean-Pierre Dozon, 2004.

1Commençons par quelques faits trop souvent négligés dans la réflexion politique : la France est un pays qui a pratiqué pendant plus de deux siècles la traite négrière, qui a institué un système esclavagiste dans ses colonies, le seul pays européen à avoir connu deux abolitions de l’esclavage (1794 et 1848) et un rétablissement de l’esclavage (1802), qui abolit l’esclavage en 1848 mais maintient le statut colonial, qui adopte, en 1881, sous la Troisième République, le « Code de l’indigénat » établissant un statut d’exception dans l’empire colonial  [1]. Elle a mené des guerres de conquête coloniale sanglantes et brutales, elle s’est opposée violemment aux mouvements de démocratisation et de décolonisation. Cette liste qui pourrait être bien plus longue n’a pas pour simple but d’identifier des violations des droits de l’homme par le pays qui en réclame la paternité, mais de signaler qu’il existe une longue histoire de l’arbitraire et de l’exception au cœur même de l’histoire de la Nation française. L’identité de la nation s’est construite sur l’idéal révolutionnaire et républicain, l’idée du peuple souverain, et sur l’adhésion aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Aux colonies, il a fallu justifier l’exclusion de peuples, de groupes du corps de la nation. Ici, citoyens, là-bas, sujets, mais tous « Français ».

2Toute discussion sur race et racisme en France doit prendre en compte la relation entre égalité et hiérarchie raciale, politique et culture, domination raciale et désir racial. Ainsi, au lieu de séparer la lecture de la Déclaration des droits de l’homme du Code Noir, des constitutions républicaines du Code de l’indigénat, du décret d’abolition de l’esclavage du décret transformant l’Algérie en « département français », il faudrait lire ces textes ensemble. Pas de conception de la liberté sans la conception de l’esclavage, pas de conception du citoyen sans celle de l’esclave, pas de conception de l’universalité du droit sans celle de l’exception à cette universalité, pas d’ouvrier « français » sans l’ouvrier colonisé, pas de femme « française » sans la femme esclave/colonisée.

La Colonie et la Nation

3Ce travail exige que la colonie ne soit plus conçue comme espace extérieur, « outre-mer », hors frontières de la république, mais analysé comme espace où se configurent et se reconfigurent idées et pratiques qui trouvent à leur tour leur traduction dans l’espace métropolitain et vice-versa. Analyser l’impact d’une culture nationale et d’une politique racialisée  [2] sur l’invocation de droits individuels qui seraient colorblind permet de revenir sur la généalogie de la relation intime entre droit universel et exception raciale. En redonnant à la colonie son rôle dans la construction de la Nation, de l’identité nationale et de la République française, on décèle comment la notion de « race » n’est pas extérieure au corps républicain et comment elle le hante. Il est cependant extrêmement difficile de faire admettre ce fait. Il y a encore dénégation de la question raciale, sinon comme symptôme d’une arriération, d’une maladie dont l’origine serait externe. En France, une tradition d’universalisme abstrait mais fortement militant, n’a cessé d’affirmer que la revendication du droit à la différence – peu importe laquelle – contredit le dogme républicain d’égalité universelle. Or, c’est la réalité qui a contredit, et contredit encore, le dogme. Toute manifestation de spécificité, d’histoire et de culture autre que celle de la Nation (qui elle-même n’émerge pas naturellement) est violemment réprimée. Pour accéder au statut de citoyen, il faut faire la preuve que l’on a su s’émanciper des structures particularistes, culturelles, linguistiques et religieuses et ainsi affirmer sa rupture avec l’Ancien Régime qui favorisait les particularités. La citoyenneté ainsi conçue ne renvoie pas simplement aux droits politiques comme le droit de vote mais à une culture commune qui fonctionne comme frontière entre citoyens et étrangers. L’individu qui ne peut témoigner de cette culture commune est exclu de la communauté des citoyens français. La conception républicaine de la citoyenneté est universaliste – émancipation des particularismes – mais c’est une universalité fondée sur l’idée de raison, qui conduit à une discrimination car il est entendu que certains êtres humains sont plus doués de raison que d’autres. L’idée de race – en tant que différence hiérarchisée entre les groupes – affecte la citoyenneté républicaine. Certains sont plus citoyens que d’autres. Les colonisés n’ont cessé de souligner cette contradiction, les chercheurs post-coloniaux ont continué à éclairer la relation paradoxale entre le système de l’exclusion et de l’arbitraire et la proclamation de l’universel. Dans ce texte, c’est la figure de l’esclave (et de fait de son effacement du canon de la pensée politique), comme signe même d’une conception racialisée de l’humanité qui sera explorée. Une lecture critique des observations de Frantz Fanon et plus particulièrement de Peau noire, masques blancs, qui chercha à interroger la place du racisme colonial dans l’humanisme européen, servira de fil conducteur. Je ferai plus particulièrement appel à l’exemple des « DOM », ces anciennes sociétés esclavagistes et coloniales pour illustrer certains points  [3]. Il est d’ailleurs frappant de constater à quel point les outre-mers restent ces espaces toujours oubliés de la recherche politique. Situés dans trois aires culturelles, l’Atlantique avec les Antilles, la Guyane, Saint-Pierre et Miquelon ; l’océan Indien avec La Réunion et Mayotte ; l’océan Pacifique avec la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et la Polynésie française, ils témoignent encore aujourd’hui d’un passé colonial et d’un présent postcolonial pour lesquels indifférence, mépris ou clichés passent pour connaissance  [4].

Territoires français du racisme

4Régulièrement, le débat revient sur le concept de « race » et le racisme. Qui est raciste ? Comment combattre le racisme ? Comment reconnaît-on une remarque raciste ? Livres, déclarations, témoignages, lois ne manquent pas ; responsables politiques, personnalités religieuses, historiens, philosophes, anthropologues, ont fait la critique du concept de « race ». Et pourtant, cette mystification continue à représenter une des formations idéologiques les plus puissantes de l’histoire. L’attraction de cette idéologie simpliste, sa force persistante et sa capacité à produire du fanatisme sont d’autant plus incroyables et étonnantes que ses limites, affirmations mensongères, calomnies sont chaque fois attaquées, déconstruites, démontées. L’identité raciale a prouvé sa capacité à exister à travers le temps et l’espace, trouvant de nouvelles configurations et traductions dans le discours social et culturel dans des contextes différents (et, nous savons que l’identité racialisée n’est pas propre à l’Europe  [5] ). En France, la critique du concept de « race » est surtout sociologique, (pourquoi et comment tel groupe manifeste du racisme), et psychologique (tendant à expliciter les ressorts psychiques de cette idéologie). Cette critique n’occupe pas encore une place importante dans les travaux d’analyse politique. Ceci est étonnant pour quelqu’un de familier des travaux en langue anglaise, ce qui est mon cas. Aux Etats-Unis comme en Angleterre, pays qui partagent de nombreux aspects avec la France (affirmation d’une adhésion aux « droits de l’homme », à la démocratie libérale, à la philosophie des droits naturels et des Lumières), une place centrale est donnée au concept de « race » dès qu’il s’agit d’analyser la constitution de l’identité nationale, du politique, des luttes pour la démocratie…

Esclavage et modernité

5« Moi, l’homme de couleur, je ne veux qu’une chose : Que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme, où qu’il se trouve. Le Nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc », écrivait Frantz Fanon en 1952 dans Peau noire, masques blancs[6]. Fanon y rejetait explicitement un déterminisme qui voulait faire de lui, un « prisonnier de l’Histoire ». Il refusait l’héritage de l’esclavage qui l’aurait enfermé dans le passé : « Vais-je demander à l’homme blanc aujourd’hui d’être responsable des négriers du XVIIe siècle ? […] Je ne suis pas esclave de l’Esclavage qui déshumanisa mes pères »  [7]. Pour Fanon, l’émancipation se faisait par la conquête de la liberté, une conquête âpre et violente. Si la liberté était donnée, il n’y avait pas émancipation. Or, pour lui, la liberté avait été donnée aux esclaves. « Le Nègre n’a pas soutenu la lutte pour la liberté… Le bouleversement a atteint le Noir de l’extérieur. Le Noir a été agi »  [8]. Le noir était donc resté noir, il n’était pas devenu « homme ». L’identité raciale était restée une prison pour le Nègre français. Pour s’en libérer, il lui aurait fallu risquer la mort. « Dans une lutte farouche, j’accepte de ressentir l’ébranlement de la mort, la dissolution irréversible, mais aussi la possibilité de l’impossibilité »  [9]. Or, le Nègre français « ignore le prix de la liberté, car il ne s’est pas battu pour elle », il était donc « condamné à se mordre et à mordre »  [10]. Fanon faisait une différence entre le colonisé, le Noir américain et le Noir antillais. Le colonisé et le Noir américain échappaient à l’aliénation car ils luttaient. Le Noir antillais ne pouvait accéder à la conscience historique car il essayait d’être un Blanc, et donc restait enfermé dans la dialectique imposée par ce dernier. Fanon analysait justement que le racisme n’entraînait pas obligatoirement une solidarité entre ses victimes. L’Antillais, faisait-il plusieurs fois remarquer, se voit « plus “évolué” que le Noir d’Afrique »  [11] car l’inconscient collectif martiniquais est « européen »  [12].

6Fanon posait la question raciale à partir de plusieurs territoires : les Antilles françaises (surtout la Martinique où il était né), la France, et de manière plus allusive, l’Algérie (où il avait été stationné pendant la Seconde Guerre mondiale), les Etats-Unis et l’Afrique. Ce va-et-vient entre plusieurs territoires soulignait un aspect particulier à la France : pour étudier la « race » et le racisme, il convient d’étudier une pluralité de phénomènes sur plusieurs territoires (ceci, à la différence des Etats-Unis où l’esclavage a eu lieu sur le territoire national même). Le cas français s’étudierait alors en tenant compte de l’esclavage et du colonialisme, des manifestations racistes en France (antisémitisme, racisme anti-immigrés) et dans les territoires colonisés (racisme esclavagiste, racisme colonial et dans certains cas, racisme esclavagiste et colonial). L’extérioralité géographique de l’esclavage et du colonialisme français a renforcé l’illusion que ces phénomènes n’avaient rien à voir avec la République, avec la France. Dans le discours républicain, le maître a pu apparaître comme l’envers de l’homme civilisé, du citoyen, et l’esclave comme la victime à libérer et guider, chacun étant « hors » de l’espace français. Or, le maître et l’esclave ont existé grâce au projet colonial français et l’empire colonial a été construit par des républicains  [13]. A chaque fois, la « race » a été convoquée pour justifier, classifier. La colonisation reposait sur un étrange mélange de réalité et de fiction, réalité : travail forcé, inégalités raciales et sociales ; fiction : la France bonne et généreuse, l’amour des colonisés. Il s’agit de faire une lecture croisée des racismes et de leurs manifestations, d’analyser comment s’est opéré un transfert du territoire colonial au territoire métropolitain des discours et des représentations racialisées. Aujourd’hui encore, il faut tenir compte des territoires où s’exercent des racismes : les « outremers », la France hexagonale et l’Europe dans laquelle les outre-mers et la France hexagonale sont intégrées.

« L’expérience vécue du Noir »

7Peau noire, masques blancs n’avait pas pour but d’être une condamnation du racisme. Il était annoncé comme le manifeste d’un « nouvel humanisme ». Fanon voulait y explorer comment le Noir pouvait devenir un homme car « le Noir n’est pas un homme »  [14]. Ce texte, pourtant important pour ses propositions, ses silences, ses affirmations tranchantes, ses limites ne fait plus l’objet d’études en France. Il a été rangé au rayon du « tiers-mondisme », catégorie qui a depuis acquis une dimension fortement négative car lié à un anti-colonialisme jugé trop extrême, trop simpliste. En France, la colonisation est encore perçue majoritairement comme une « bonne chose »  [15] et les luttes anticoloniales évaluées à l’aune des régimes postcoloniaux dictatoriaux. L’histoire coloniale n’a pas connu sa révolution méthodologique et conceptuelle. Elle reste le parent pauvre de cette discipline. Par ailleurs, la recherche postcoloniale reste largement ignorée ; elle est souvent affublée du terme « anglo-saxon » (vieux terme d’un nationalisme français anti-anglais repris sans aucune distance critique par des chercheurs alors que la théorie postcoloniale et sa critique ont surtout été développées par des chercheurs anglophones – Inde, Taiwan, Afrique) pour faire l’économie des débats qu’elle a lancés. On note aussi en France une tendance à négliger les travaux critiques si ceux-ci sont l’œuvre de chercheurs de pays anciennement colonisés mais de les accepter s’ils sont l’œuvre de Français « de souche ». Seuls les Français auraient semble-t-il le droit de critiquer la France. L’histoire coloniale est un terrain de contestation et de conflits entre le désir de sauver la « mission civilisatrice » coloniale et le désir d’en faire une histoire critique. Au nom d’un respect de la « mémoire », l’histoire est vidée de sens. La loi de février 2005 est le symptôme le plus récent d’une résistance à reconnaître qu’aucune colonisation ne peut être « bonne ». L’article 4 de cette loi énonce cependant ce principe : « Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. » Pour chaque « erreur », on oppose la construction de ponts et de routes, la vaccination et la fin des épidémies. Mesurer « l’œuvre » de la colonisation au nombre de kilomètres de routes, de « déserts transformés en jardins » et d’actes missionnaires, c’est faire preuve d’aveuglement têtu. Certes, on peut aussi étudier comment la colonisation entraîne des phénomènes de contact de culture et d’idées, mais justifier la colonisation, c’est-à-dire le droit que s’arroge un peuple d’occuper le pays d’un autre peuple et d’en exploiter les richesses, au nom de conséquences directes ou indirectes, est absurde. On peut imaginer construire des routes et des ponts, faire des campagnes de vaccination, encourager les échanges et les contacts sans recourir à la colonisation ! Dans ce contexte, les travaux de Fanon sont encore étudiés comme témoignant de l’aveuglement idéaliste d’une génération  [16]. Par contre, depuis plusieurs années, Peau noire, masques blancs, est discuté, critiqué, analysé dans le monde de langue anglaise. Artistes, philosophes, sociologues, critiques littéraires et critiques d’art se sont inspirés de ses propositions pour renouveler leur réflexion sur la « race », l’identité, la représentation  [17].

8Lorsqu’en mai 1995, à Londres, The Institute for Contemporary Arts organise un programme intitulé Mirages : Enigmas of Race, Difference and Desire avec exposition, colloques et film, l’institut choisit Frantz Fanon comme référent théorique de tout le programme. C’est une confirmation du rôle joué par sa pensée pour le monde postcolonial. Pour Stuart Hall, c’est la proposition fanonienne de « libérer l’homme de couleur de lui-même » qui explique son attrait pour tous ceux qui travaillent sur les « questions de la représentation et de la subjectivité comme constitutive de la décolonisation »  [18]. Ils trouvent chez Fanon une théorie qui resterait ouverte à l’interprétation, qui ne serait pas fermée sur elle-même. L’intérêt pour la problématique de la représentation du corps noir, qui avait accompagné l’émergence des mouvements Africain-Américains aux Etats-Unis, connaît une nouvelle étape.

9Être « Noir » est une expérience vécue (titre d’un des chapitres de Peau noire, masques blancs) qui doit être analysée parce qu’elle révèle l’idéal disciplinaire, régulateur de l’ordre racialisé. La « race » n’est pas une simple aberration à combattre sur le plan rationnel, elle « habite » et organise la vie sociale. Le « Noir » est défini par des discours qui le précèdent et qui l’excèdent. « Aucune chance ne m’est permise. Je suis déterminé de l’extérieur » analyse Fanon  [19]. La subjectivité de l’homme « Noir » est conditionnée par la notion de « race ». Cette dernière opère une aliénation de soi intime et radicale, car la connaissance intime du « Noir » est encore nourrie de ce que « le Blanc » a produit, « mille détails, anecdotes, récits »  [20].

10Comment alors imaginer un humanisme universel quand la « race » est devenue consubstantielle à la subjectivité de l’homme « Noir » ? Tout au long de Peau noire, masques blancs, Fanon revient sur cette détermination : comment s’en libérer ? « J’étais tout à la fois responsable de mon corps, responsable de ma race, de mes ancêtres »  [21]. Comment atteindre un humanisme universel ? La figure de l’esclave apparaît dans cette traversée du discours raciste et de ses représentations. Son ombre pèse sur le présent et Fanon reconnaît son existence. Mais s’il assume cette présence, cette parenté interne, c’est « à travers le plan universel de l’intellect » qu’il accepte de les comprendre  [22]. Fanon tout à la fois analyse combien la « race » est une prison pour l’homme « Noir » et critique les propositions nativistes qui voudraient faire de l’expérience noire le fondement de l’organisation sociale et l’humanisme universel qui n’a pas su répondre au racisme colonial. L’universalisme post-racial qu’il propose reste cependant vague et imprécis et le lecteur s’interroge même sur sa possibilité car Fanon a pratiquement démontré au cours de son texte qu’il était improbable car le racisme aurait trop envahi les consciences et les inconscients. Cependant, Fanon, tout au cours de ce texte, revient sur l’ineffaçable centralité de la figure du Noir/Esclave dans la pensée française, dans la manière dont la France s’est construite. Cette insistance de Fanon reste d’actualité car peu de travaux sur l’identité nationale, la citoyenneté, le racisme, ou les principes de liberté, d’égalité et de fraternité rendent compte de la figure de l’esclave. Et quand on parle de « race », on est amené à parler de l’esclave et de la colonie.

Esclavage et recherche

11Le Dictionnaire de Philosophie Politique (1996) ne contient aucun article sur la « race » et l’article sur la tolérance, qui aurait pu constituer une entrée à cette notion, est dédié à la tolérance religieuse. Dans le Dictionnaire Critique de la République (2002), aucun article n’est consacré à « race » ou « racisme ». Le terme de « race » apparaît dans l’article « La République des indigènes » où l’auteur, Emmanuelle Saada, conclut « Aux colonies, la nation française s’est découverte sous les traits d’une race, ce qui ne sera pas sans marquer les évolutions ultérieures de la République »  [23]. Ces évolutions ultérieures marquées par la « race » ne sont pas explicitées ailleurs. Dans les volumes des Lieux de mémoire, sous la direction de Pierre Nora, pas un chapitre sur l’esclavage  [24]. Dans Histoire des femmes, le volume consacré au XIXe siècle (celui de l’abolition de l’esclavage et des grandes conquêtes coloniales), pas un chapitre sur la femme esclave ou la femme colonisée  [25]. Ces ouvrages font exemple car ils ont été présentés comme une somme, une nouvelle façon de faire et d’écrire l’histoire, de penser le politique. L’absence est symptomatique d’une conception fortement ancrée dans l’oubli : ce qui a fait la France est l’histoire de la France. Ses habitants sont des Français, sous-entendu des « Blancs ». Il ne manque cependant pas de travaux pour faire apparaître comment l’idée de la France, l’identité nationale, de la citoyenneté se sont construites par exclusion de ce qui n’était pas « français » (l’opération par exclusion n’est pas en soi condamnable puisqu’elle est constitutive de la construction de soi. Ce qui est intéressant, c’est d’analyser quel est cet autre qu’il faut exclure, bannir du corps national). Mais ces travaux n’ont pas encore conquis droit de cité si l’on se reporte aux exemples cités plus haut.

12Quand il s’agit de présenter la France moderne, l’histoire des femmes, des ouvriers  [26] ou l’histoire politique, la colonie est oubliée. S’il est parfois question de la race quand on analyse l’empire colonial, il est frappant de constater combien la figure de l’esclave n’apparaît jamais dans la plupart des travaux. Dans la majorité des études sur le racisme, c’est le colonisé qui est la figure centrale, le colonisé « arabe » ou « noir ». Or, si la notion de « race » intègre effectivement plus largement le social, le culturel et le politique après l’abolition de l’esclavage, la racialisation du monde s’opère déjà durant l’esclavage. L’esclave est à jamais racialisé dans l’imaginaire européen : être esclave, c’est être Noir et être Noir c’est être destiné à l’esclavage. Il me semble pourtant qu’on ne peut faire l’économie d’un retour sur cette figure. L’abolition de l’esclavage, dont s’enorgueillit la république n’a pas mis fin à cette équivalence : Noir = esclave. C’est ce qu’Aimé Césaire souligne dans son intervention à la Sorbonne le 27 avril 1948, lors de la commémoration du centième anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. L’émancipation de 1848, déclare-t-il, fut à la fois « immense et insuffisante »  [27] (c’est moi qui souligne). Il rappelle que l’abolition a été acquise malgré la République et contre de nombreux républicains  [28]. Vouloir se limiter au seul événement de l’abolition, c’est vouloir consciemment effacer la perpétuation du racisme, de la violence coloniale et de l’exploitation brutale de celles et ceux qui travaillent dans les sociétés post-esclava-gistes. Le « racisme colonial est là. Il n’est pas mort… Le problème colonial est posé, il attend d’être résolu »  [29].

13Cependant, pour une grande partie des penseurs en France, l’esclavage, comme l’écrit René Sève, « a été intellectuellement éradiqué et son étude philosophique revêt un intérêt essentiellement historique »  [30]. Liée à des « formes d’organisation et de conceptions sociales opposées à celles reconnues aujourd’hui comme légitimes », « la question de l’esclavage fournirait la pierre de touche de l’opposition des Anciens et des Modernes »  [31]. Le racisme serait alors l’expression de préjudices personnels, de l’irrationalité de certaines personnes, fermées à l’idéal universel. Ce serait l’expression d’un préjudice prémoderne. Il s’ensuit que pour s’en défaire, il faut élaborer une politique d’éducation morale, de management des relations raciales, et de lois punitives envers la discrimination ou l’acte d’ordre raciste. Si ces lois et politiques peuvent avoir un effet positif, elles tendent à masquer l’histoire racialisée de la démocratie libérale derrière le rejet de la « race » comme notion moralement irrecevable. Mais pour Césaire, comme pour Fanon (tout comme pour C. L. R. James, W. E. B. Dubois, Stuart Hall, Toni Morrison, ou Paul Gilroy), l’esclavage est inséparable de la modernité. Loin de fournir la pierre de touche entre Anciens et Modernes, il éclaire la manière dont la modernité a été pensée en Europe. Ce n’est pas une question de morale, mais une question politique. L’opération qui vise à rejeter l’esclavage dans le monde ancien tend à effacer combien au contraire il a été présent pour les Modernes, combien il a continué à modeler le monde tel que se le représentaient les Français. Comment cependant étudier sa présence sans tomber dans la répudiation, la dénonciation du texte maître (master text), celui de « l’homme blanc ». Dominick LaCapra propose la méthodologie suivante : 1) étendre le champ des références au-delà du canon, 2) donner à la question de la race une place prééminente, en étudiant déjà comment le canon s’est établi, et, 3) intégrer le contexte historique dans lequel les textes canoniques sont produits, reçus et appropriés  [32]. L’histoire n’est pas figée, elle accompagne le travail théorique. Pour nombre de penseurs européens, la critique de la modernité commence avec le camp d’extermination européen, la destruction des Juifs d’Europe. Pas question ici d’entrer dans l’obscène rivalité entre esclavage moderne, colonialisme et nazisme ; d’autres s’y essayent, je les laisse à leurs raccourcis simplistes et mortifères. Par contre, relire comment exterminer, classifier, ségréger, et légiférer l’exclusion et l’exception furent au cœur de l’ordre colonial républicain français nous amène à réinterpréter certaines indifférences et aveuglements.

14Il s’agit d’observer comment l’expérience de l’esclavage, de l’exploitation et du racisme ont fait de « l’expérience vécue du noir » une expérience unique de la conscience historique  [33]. L’un des effets de la traite négrière est d’avoir racialisé, d’avoir africanisé l’esclavage et le travail et d’avoir « coloré » la citoyenneté. Dès le milieu du XVIIe siècle, les termes de « Nègre » et d’« esclave » sont synonymes dans la langue française (dans le vocabulaire courant, fiscal, administratif et économique et dans les dictionnaires). Exclue de l’humanité, la race Nègre peut devenir objet de commerce. La traite entraîne une globalisation du monde où l’Afrique Noire sert de réservoir mondial de force de travail. Le continent est incorporé dans l’économie-monde en raison de l’exclusion de l’humanité qui frappe ses habitants. Pour les uns, les Africains sont à jamais voués à ce statut, pour les autres « progressistes » ils seraient susceptibles d’accéder à l’humanité  [34]. Telle est la thèse esclavagiste : si tous les hommes sont censés naître égaux et libres, certains hommes, étant esclaves, ne sont peut-être pas des hommes à part entière. Une relation dynamique lie donc esclavage et race. L’esclavage justifie la hiérarchie des races. La hiérarchie des races apporte à l’esclavage un discours qui le légitime. Ces deux notions confèrent aux termes de maître et d’esclave, de Blanc et de Noir, des définitions issues des sociétés esclavagistes. Quiconque travaille pour autrui est esclave. Être libre, c’est être propriétaire de sa force de travail. Les effets tenaces de l’esclavagisme et le statut colonial d’une part, et la doctrine d’assimilation, indissociable de l’abolitionnisme d’autre part, constituent une citoyenneté qui est d’emblée et qui demeure encore de nos jours paradoxale. Pourquoi paradoxale ? En raison des problèmes qu’elle pose. Égalité certes, mais sous tutelle.

Citoyenneté et colonialisme

15Les abolitionnistes de 1848 ont sous-estimé la profondeur de la relation qui liait esclavage et racisme, privilèges des uns et servitude des autres. L’égalité n’est pas naturelle, et dans le cas des colonies esclavagistes, elle pouvait encore moins devenir spontanément une règle. Les abolitionnistes ne l’avaient pas compris. Ils espéraient voir la Raison et la morale triompher des préjugés et qu’en s’appuyant sur les idéaux de la fraternité républicaine, maîtres et esclaves sauraient construire une nouvelle société, une société réconciliée sur les ruines de l’ancienne. Ils croyaient qu’un décret, qu’une loi s’érige naturellement en code de conduite. Et ils pensaient aussi que seuls le travail et la morale régénèreraient maîtres et esclaves réunis sous le règne de l’industrie et du progrès.

16Au siècle des abolitions, ce XIXe siècle qui vit émerger de nouvelles politiques impériales et une science de la hiérarchie des races, le grand enjeu fut de concilier progrès industriel et société harmonieuse. L’esclavage était jugé condamnable ; mais pour autant, il n’en découlait pas nécessairement l’idée que le Noir soit un être doué de Raison. L’impasse dans laquelle s’engageait la pensée abolitionniste humanitaire se dessinait, impasse dans laquelle s’engouffrera un universalisme qui s’accommodera de l’impérialisme. Les abolitionnistes reprirent l’idée révolutionnaire du droit naturel à la liberté, sans oser pour autant remettre en cause le statut colonial. Ainsi, Guillaume de Félice, professeur de théologie protestante et membre de la Société de la Morale Chrétienne, voyait dans la création du Libéria la solution à la traite et à l’esclavage. Dans sa « Notice sur la colonie du Libéria » (1831), il affirmait que la colonisation par l’abolition de l’esclavage ferait « avancer la civilisation des Blancs et commencer celle des Noirs »  [35]. Selon le Comité pour l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, la France avait un devoir : « faire entendre sa parole émancipatrice » ; une « mission » : « conquérir le monde aux dogmes saints de l’Evangile ».

17Dans la mesure où l’Occident a toujours considéré l’esclavage comme l’antithèse de la liberté (et réciproquement, la liberté comme exclusive de toute forme d’asservissement), la fin de l’esclavage signifierait donc l’accès immédiat et entier à la liberté. De même que l’esclavage est conçu comme expropriation de soi, la liberté est pensée sous les espèces de la propriété. Qu’en serait-il d’une idée de la liberté excédant celle de propriété de soi et celle de propriété ? Serait-il possible de penser l’esclavage indépendamment de cette notion ? Durant des siècles, la servitude a été la condition même du travail ; or la servitude constituait une des conditions du travail ; elle constituait une non-valeur. Tant qu’il en alla ainsi, le travail lui-même ne constitua pas une valeur, et il ne fut donc pas susceptible de permettre de définir une identité sociale. Dès le moment où ils sont arrachés à la servitude, les affranchis qui choisissent par milliers le vagabondage se trouvent privés en quelque sorte d’identité sociale, dans un univers où se produit le basculement en vertu duquel le travail devient la valeur dominante. Si les abolitionnistes dénoncent la hiérarchie imposée au nom de la race, ils sont incapables de concevoir qu’il ne suffit pas de la condamner. Ils estiment qu’une fois libéré de ses chaînes, le corps de l’esclave ne sera plus un corps « noir » mais un corps « citoyen ». Malheureusement, la condamnation morale s’avère insuffisante, le racisme colonial ne se dissipe pas comme par miracle, et la citoyenneté s’en trouve « colorée »  [36].

18Les stéréotypes raciaux constituent un matériel qui résiste au principe d’égalité, mais ce dernier est chaque fois pourtant invoqué. Le paradoxe est là : la modernité invoque comme fondements les idéaux de liberté, égalité, fraternité, et produit un discours racialisé qui lui-même ouvre la voie à une multiplication d’identités racialisées. Le racisme, « s’il connaît des fluctuations, des inversions de tendance, ne disparaît jamais de la scène, en tout cas des coulisses »  [37]. Pour sa part, le discours anti-raciste oppose l’universalisme français d’égalité républicaine aux discriminations et aux stéréotypes raciaux. Ces derniers persistent cependant. Ils sont alors renvoyés souvent à un manque d’« éducation morale et civique ». Si cet aspect peut être considéré, il est clair, au vu de ce qui s’est passé après l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises (où le projet de régénération morale des abolitionnistes républicains fut mis à mal par l’ordre colonial, la culture raciste, le maintien des inégalités), que l’éducation morale ne peut suffire.

19Fanon l’avait souligné, les arguments « rationnels » ont finalement peu de poids. Revenons pour discuter ce point au discours de Césaire en 1948 puis, au texte de Fanon. Césaire prononçait ce discours deux ans après la loi de 1946 transformant les quatre anciennes sociétés esclavagistes (Martinique, Réunion, Guadeloupe, Guyane) en « départements d’outre-mer ». Cette loi a été analysée depuis comme l’aboutissement du processus d’aliénation de ces sociétés. En effet, au moment où le reste de l’empire colonial français exigeait l’indépendance nationale, où l’émancipation était conçue dans la rupture avec la France, ces sociétés optaient pour une plus grande intégration. Ces critiques oublient d’analyser le mouvement qui conduisit à cette demande et leur analyse pourrait être résumée ainsi : « La bourgeoisie locale, noire ou mulâtre, a toujours voulu être reconnue par les Blancs, c’est pourquoi elle se vend et vend son peuple ». Essayons cependant de relire cette revendication d’égalité de 1946 à la lumière des remarques sur esclavage et égalité et à partir de l’analyse des discours anti-colonialistes locaux. La revendication anti-coloniale émergea sur ces territoires de l’union des ouvriers (des usines sucrières, des chemins de fer, des ports), des fonctionnaires locaux, de la petite bourgeoisie éduquée qui ne possédait pas de terre, et des ouvriers agricoles et petits paysans. Tous n’appartenaient pas au même groupe culturel ou « ethnique »  [38]. Leurs luttes (grèves, révoltes) furent sévèrement réprimées. Ces groupes demandaient, comme l’analysait Césaire, l’application de la promesse d’égalité, inachevée en 1848 (citoyens certes mais colonisés). Le Front Populaire représente pour eux ce qui doit être accompli pour contrer le pouvoir des grands propriétaires locaux. À l’Assemblée Constituante, les élus de ces territoires dénoncent l’impunité de ces familles, le retard dans lequel se trouvent leurs sociétés dans les domaines de la santé, de l’éducation, des lois sociales, du développement et des libertés de réunion, de la presse, d’opinion. 1946 fut une revendication de démocratisation à l’intérieur de la République, de demande de reconnaissance d’une différence culturelle et d’égalité. Ces revendications (détournées ensuite par la Droite conservatrice dans les DOM en assimilation culturelle) firent éclater le mensonge d’une universalité qui masquait sa propre production de différentiations raciales. Le principe d’égalité restait soumis, dans la République française au droit d’exception. Égaux, mais pas tout à fait ; frères et sujets  [39]. D’un côté, le principe de color-blind, de l’autre la discrimination en actes. L’État français continua à protéger les intérêts économiques, culturels et sociaux des grands propriétaires. Les gouvernements de Gauche comme de Droite, de la IVe ou de la Ve République maintinrent l’exception. Fraudes électorales, répression, censure, mépris affiché des cultures créoles, dépendance économique furent la réponse des puissants. L’histoire et la culture de ces sociétés ne comptaient pas ; leurs habitants devaient rendre grâce à la Mère-Patrie de les avoir acceptés. Derrière la figure du citoyen se dessinaient toujours celles de l’esclave et du colonisé. Ainsi, pour mémoire, l’égalité des droits sociaux (SMIC, allocations familiales, RMI…) dans les DOM ne fut acquise que vers la fin des années 1980.

20On peut regretter aujourd’hui que la classe ouvrière dans ces sociétés ait choisi de se mobiliser autour d’une revendication d’égalité plutôt que d’indépendance, mais on peut aussi relire cette demande comme expression d’une solidarité trans-raciale. La relecture de l’histoire des sociétés esclavagistes de l’empire colonial français, de leurs résistances, de leurs luttes et de leurs revendications exige sans doute de prendre une distance avec certains cadres de pensée. C’est peut-être du côté des luttes pour les droits civiques avec leurs contradictions et leurs limites mais aussi leurs ouvertures qu’il faudrait regarder plutôt que du côté des luttes nationalistes. On retrouverait alors Fanon. Certes, ce dernier critiquait la demande de 1946 et, dans Les damnés de la terre jetait les bases d’une « vraie » culture nationale (tout en prévenant de l’avènement d’une bourgeoisie nationale prédatrice et corrompue). Rien dans Fanon qui puisse rejoindre les propositions de relecture faites ci-dessus. Cependant, les remarques de Fanon justifient ce projet de relecture à la fois de la place de la « race » dans le canon et des luttes dans les DOM. Fanon insistait sur la nécessité de déconstruire le discours de la « race » pour échapper à l’assignation à résidence (la prison construite par la « race ») tout en construisant de nouvelles solidarités. Les luttes anti-colonialistes se situaient dans la perspective développée dans Peau noire, masques blancs : celle de construire un « nouvel humanisme ». Sur des terres nées de la colonisation et de l’esclavage, les mouvements de résistance avaient cherché à échapper à l’assignation à résidence imposée par la race et à obtenir droit de cité. L’histoire de leurs luttes ne pouvait être la même que celle des mouvements européens ou des mouvements de l’empire colonial post-esclavagiste. Car justement, leur histoire était autre : esclavage puis organisation massive de travailleurs engagés surtout venus d’Asie après l’abolition de l’esclavage, citoyenneté et statut colonial, monopole sucrier et, comme dans toutes les colonies, pauvreté et racisme, tout cela construisit des situations singulières. Ces sociétés exigent encore un effort d’analyse : quelle est leur place dans le récit national ? Comment analyser le silence sur l’esclavage et l’engagisme ? Comment penser la relation entre la France et ces territoires au-delà de la problématique nationale ? Relire Fanon avec ces questions en tête donne à Peau noire, masques blancs une nouvelle actualité. Fanon est lu comme un théoricien du nationalisme tiers-mondisme mais il propose dans ce texte une analyse du racisme français croisée avec une critique d’un universalisme qui s’accommode de l’exception, et ces dernières une fois lues avec l’analyse des luttes dans les sociétés esclavagistes et post-esclavagistes permettent de complexifier la réflexion sur la « race ».

21Pour conclure, un exemple qui de nouveau pose la question de l’universel aveugle à sa propre production d’inégalités. On assiste ces toutes dernières années à une revendication de « compétence régionale » dans les DOM. Cette demande signifie qu’à compétences égales, la candidature d’un diplômé d’origine locale devrait être prioritaire. Pour préciser le cadre dans lequel ces demandes se font, ces sociétés connaissent un très fort taux de chômage (Réunion : 37,7%, Guadeloupe : 30,7% ; Martinique : 29,2% ; Guyane : 26,4%), une déstructuration de l’industrie, une fragilité des entreprises ; un grand nombre de personnes sont au RMI ; le secteur informel est très important. Parallèlement, il y a une demande de postes dans le secteur public (hôpitaux, enseignement, administration…) et dans le secteur privé (informatique, marketing…) ; et, autre aspect, une arrivée importante de jeunes diplômés issus de ces sociétés sur le marché du travail. Autre détail important : les fonctionnaires locaux ou venant de France perçoivent un salaire plus important qu’en France pour connaissances égales. Un jeune professeur du secondaire venu de France vit deux fois mieux qu’en France métropolitaine et bénéficie de privilèges secondaires issus de l’histoire esclavagiste et coloniale. Ceci pour le cadre. Avant de juger pièce par pièce la validité de demandes de compétences régionales, ou même de défendre une politique d’action affirmative (pour le faire, il faudrait pouvoir s’appuyer sur une étude rigoureuse de discriminations à l’embauche, or celle-ci n’existe pas), essayons de comprendre les arguments qui s’y opposent. L’argument pour : les natifs ont des compétences égales aux « Français », mais ils sont discriminés à cause de préjudices ancrés dans l’histoire et la culture. L’argument contre : l’égalité républicaine est un principe absolu, sur lequel on ne peut transiger, il est d’ailleurs color-blind, le questionner serait faire du racisme à l’envers. Mérite et capacités seraient jugés de manière égale. Certes, il serait injuste et même insultant de réduire une personne à son appartenance « ethnique ». C’est pour cela que souvent les personnes issues de groupes discriminés s’opposent aux politiques d’action affirmative craignant de ne pas être jugées sur leurs travail et compétences. Mais de même, prétendre que la classe sociale ou l’appartenance ethnique telle qu’elle est déterminée par l’histoire (Noir = descendant d’esclave, sans compter le racisme colonial) n’aurait aucune importance relève de cet aveuglement qui refuse à la fois de se pencher sur la longue histoire de l’arbitraire colonial dans la République et sur les privilèges qu’en ont retiré les Français (colons hier, métropolitains aujourd’hui). La « préférence métropolitaine » est masquée derrière la « neutralité » républicaine invoquée pour perpétuer cette préférence. Mérite et capacités sont racialisés (en silence) car ils présupposent (mais sans le dire explicitement) : 1. que les Domiens qui seraient les bénéficiaires de cette politique n’en seraient a priori pas dignes, (le soupçon pèse aussitôt : « Mais alors on mettrait des gens incompétents seulement parce qu’ils sont… ») ; 2. qu’à l’inverse, tout Français de France est lui inévitablement perçu comme méritant ce poste (envers du soupçon précédent : il est admis que pour le Français de France, c’est naturellement sur le mérite que le choix s’est fait). Ces deux présupposés s’appuient sur le déni d’une longue histoire d’exclusion ou d’inégalités (système d’éducation publique plus tardif, accès à l’enseignement supérieur plus tardif, situation de diglossie…) Le principe d’égalité aveugle masque une histoire d’inégalités. Pour Fanon, « le Nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc » (et Nègre comme Blanc sont ici des catégories englobantes donc illusoires mais opérantes), c’est-à-dire qu’il faut désapprendre à être un Nègre, identité imposée dont les bénéfices secondaires de victime sont pour lui mortifères et qui bloque l’accès à l’égalité. Alors, pour reprendre cette remarque, le Blanc devrait aussi désapprendre à être « Blanc ».

Notes

  • [1]
    Voir à ce sujet, les travaux de l’ACHAC : Zoos Humains (2000) ; L’Autre et Nous (1995) ; De l’indigène à l’immigré (1997) ; Hommes et Migrations (2000 : 1228) ; Culture coloniale (2003), Culture impériale (2004).
  • [2]
    J’emploie le terme « racialisé » pour parler des références à la « race », qu’elles soient explicitées ou masquées, dans le discours et la pratique. « Race » ici renvoie au système de différentiations raciales faites au nom de la « race » dans le monde moderne.
  • [3]
    Réunion, Martinique, Guadeloupe, Guyane sont régions et départements français. Les autres territoires « ultra-marins » (Polynésie, Nouvelle-Calédonie, Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon) ont un autre statut.
  • [4]
    Ainsi, les réflexions d’Alain Finklierkraut parlant le 6 mars 2005 des Antillais en ces termes : « Les victimes antillaises de l’esclavage qui vivent aujourd’hui de l’assistance de la métropole. Mais passons ». Le discours sur l’assistance des sociétés post-esclavagistes permet aux Français d’éviter de se pencher sur leurs responsabilités dans la dépendance économique de ces sociétés.
  • [5]
    Voir, à ce sujet : Paul Gilroy, Against Race, Imagining Political Culture Beyond the Color Line. Harvard : Harvard University Press, 2000. Gilroy y fait une critique très sévère du discours afrocentriste, qu’il analyse comme une configuration raciste. Il plaide pour un humanisme post-racial, « beyond the color line ».
  • [6]
    Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs. Paris, Éditions du Seuil, 1952, p. 187.
  • [7]
    Ibid. p. 186.
  • [8]
    Ibid. p. 90.
  • [9]
    Ibid. p. 177.
  • [10]
    Ibid. pp. 178-179.
  • [11]
    Fanon, op. cit., pp. 20,120,154-155.
  • [12]
    Ibid., p. 154.
  • [13]
    Voir : Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Françoise Vergès, La République coloniale. Essai sur une utopie. Paris, Albin Michel, 2004.
  • [14]
    Ibid. p. 6.
  • [15]
    Benjamin Stora, Le Nouvel observateur 21-27 octobre 2004, pp. 42-44 : « La société française n’a manifesté ni regret ni remords par rapport à l’Algérie, et, plus généralement, par rapport à son histoire coloniale. Il n’y a jamais eu de repentance. Jamais ! Selon un sondage réalisé en novembre 2003, donc après l’affaire Aussaresses et les révélations du Monde sur la torture, 55% des Français estimaient que la France n’avait pas à demander pardon à l’Algérie pour cent trente années de colonisation ». Jean-Pierre Chevènement, dans Le Nouvel Observateur, sous le titre « Cessons d’avoir honte », rappelait les actifs de la colonisation française et « en premier lieu, l’école, apportant aux peuples colonisés, avec les armes de la République, les armes intellectuelles de leur libération ». En 1984, Jean-Pierre Cot, ministre de la Coopération du premier gouvernement Mitterrand, écrivait : « Je ne crois pas que la colonisation ait démérité ». Alexandre Adler, dans Courrier international, le 24 avril 1997 : « Il serait de simple et bonne justice de rappeler aussi la grandeur de cette entreprise… La République a emprunté à la latinité tardive cette capacité à mêler son sang, à considérer l’Africain soumis aux lois de la France comme un Français en puissance, […] toutes choses que le monde anglo-saxon ne peut pas comprendre… Du côté africain, on a aimé la France pour ce qu’elle a de meilleur : les pères blancs… les officiers de la coloniale… les médecins qui ont inventé il y a un siècle l’action humanitaire ».
  • [16]
    Pour une autre approche, voir Alice Cherki, Frantz Fanon, portrait. Paris, Seuil, 2000. Le livre de Cherki souffre cependant d’un trop grand désir de rétablir Fanon et d’un manque d’analyse critique de ses contradictions.
  • [17]
    Voir : Alan Read (ed.), The Fact of Blackness. Frantz Fanon and Visual Representation, Londres, ICA, 1996 ; Anthony C. Alessandrini (ed.), Frantz Fanon. Critical Perspectives, Londres, Routledge, 1999 ; Lewis R. Gordon, T. Denean Sharpley-Whiting et Renée T. White (eds.), Fanon : A Critical Reader, Londres, Blackwell, 1996.
  • [18]
    Stuart Hall, « The After-life of Frantz Fanon : Why Fanon ? Why Now ? Why Black Skin, White Masks ? », in Alan Read (ed.), The Fact of Blackness. Frantz Fanon and Visual Representation, Londres, ICA, 1996, pp. 12-37.
  • [19]
    Fanon, op. cit., p. 93.
  • [20]
    Ibid., p. 90.
  • [21]
    Ibid., p. 90.
  • [22]
    Ibid., p. 92.
  • [23]
    Vincent Declerc et Christophe Prochasson, Dictionnaire Critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, p. 370.
  • [24]
    Paris, Gallimard.
  • [25]
    Geneviève Fraisse et Michelle Perrot, Histoire des femmes. Le XIXe siècle, Plon, 1991.
  • [26]
    Pour des propositions sur une révision des récits, voir le projet et ses critiques du « Centre de ressources et de mémoire de l’immigration » dont la première page du site web annonce « Leur histoire est notre histoire ». Leur = l’histoire de celles et ceux qui sont venus s’établir en France, wwww. histoireimmigration. com;le rapport du Comité pour la mémoire de l’Esclavage sur wwww. comite-memoire-esclavage. fr ;les débats autour de la loi de février 2005 et de la pétition des « Indigènes de la République ».
  • [27]
    Gaston Monnerville, Léopold Sédar-Senghor et Aimé Césaire, Commémoration du centenaire de l’abolition de l’esclavage. Discours prononcé à la Sorbonne le 27 avril 1948, Paris, PUF, 1948, p. 32.
  • [28]
    Voir, Françoise Vergès, Abolir l’esclavage. Les ambiguïtés d’une politique humanitaire, Paris, Albin Michel, 2002.
  • [29]
    Ibid., pp. 27-28.
  • [30]
    Declerc et Prochasson, op. cit., p. 215.
  • [31]
    Raynaud et Rials, op. cit. p. 215.
  • [32]
    Dominick LaCapra, « Introduction », in Dominick LaCapra (ed.), The Bounds of Race. Perspectives on Hegemony and Resistance, Ithaca, Cornell University Press, 1991, p. 3. Voir dans le même volume, les essais de Henry Louis Gates, Jr. et Kwame Anthony Appiah.
  • [33]
    David Lionel Smith, « What Is Black Culture ? » in Wahneema Lubiano (ed.), The House That Race Built, New York, Vintage, 1998. pp. 178-184, p. 187.
  • [34]
    Olivier Le Cour Grandmaison, « Le discours esclavagiste pendant la Révolution », dans Esclavage, Colonisation, Libérations Nationales, L’Harmattan, 1990, Paris, pp. 124-132.
  • [35]
    Cité par Brasseur Paule, « La littérature abolitionniste en France au XIXe siècle : l’image de l’Afrique », in Fornasiero, F. J. (éd.), Culture and Ideology in Modern France. Essays in Honour of George Rudé (1910-1993), Department of French Studies, 1994, University of Adélaïde, pp. 17-40.
  • [36]
    En référence, voir : Michael Rogin, « The Two Declarations of American Independence », in Robert Post et Michael Rogin (eds.), Race and Representation : Affirmative Action, New York, Zone Books, 1998, pp. 73-96 ; Frank McGlynn et Seymour Drescher (eds.), The Meaning of Freedom. Economics, Politics and Culture after Slavery, Pittsburgh, Pittsburgh University Press, 1992 ; David Theo Goldberg, Racist Culture. Philosophy and the Politics of Meaning, Cambridge, Blackwell Publishers, 1993 ; Paul Gilroy, Against Race, Imagining Political Culture Beyond the Color Line, Harvard, Harvard University Press, 2000, et, There Ain’t No Black in the Union Jack. The Cultural Politics of Race and Nation, Chicago, Chicago University Press, 1987 ; Henry Louis Gates, Jr. (ed.), « Race » Writing and Difference, Chicago, Chicago University Press, 1985.
  • [37]
    Etienne Balibar et Immanuel Wallerstein, Race, Nation, Classe. Les identités ambiguës, Paris, La Découverte, 1988, p. 291.
  • [38]
    Ce terme est lui-même difficile à appliquer compte tenu des métissages mais la construction sociale de différences ethniques a eu un impact sur ces sociétés.
  • [39]
    Titre du livre de Jean-Pierre Dozon, 2004.
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