Couverture de AMX_035

Article de revue

Guerre préventive, américanisme et antiaméricanisme

Pages 91 à 114

Notes

  • [1]
    Sur l’eugénique entre les Etats-Unis et l’Allemagne, cf. Kohl, 1994,61 ; le jugement louangeur du président Harding est rapporté en tête de la version française de Stoddard 1925 (Le flot montant des peuples de couleur contre la suprématie mondiale des Blancs, tr. fr. de l’américain par Abel Doysié, Paris, Payot).
  • [2]
    White Anglo-saxon Protestants.
  • [3]
    Voir le témoignage de Felix Kersten, le masseur finlandais de Himmler, au Centre de Documentation Juive contemporaine de Paris (Das Buch von Henry Ford, 22 Décembre, 1940, n. CCX-31 ; sur ce point, cf. Poliakov, 1977, p. 278, et Losurdo 1991b, pp. 83-85).
  • [4]
    Les Etats voyous.
  • [5]
    Les bombes à fragmentation.
  • [6]
    Meurtre ciblé.
  • [7]
    L’Etat de droit.
  • [8]
    Voyou.

1Traduit de l’italien par Jean-Michel Goux

Mythe et réalité de l’antiaméricanisme de gauche

2La dernière guerre contre l’Irak a été accompagnée d’un phénomène idéologique singulier ; on a cherché à faire taire le mouvement de protestation d’une ampleur sans précédent qui s’est développé à cette occasion, en lançant contre lui l’accusation d’antiaméricanisme. Et celui-ci, plus encore que comme une attitude politique erronée, a été dépeint et est toujours dépeint, en prévision des nouvelles guerres qui se profilent à l’horizon, comme une maladie, comme un symptôme d’inadaptation à la modernité et de surdité aux raisons de la démocratie. Cette maladie – affirme-t-on – rapproche les antiaméricains de gauche et de droite et caractérise les pages les plus sombres de l’histoire européenne ; et donc – conclut-on – critiquer Washington et la guerre préventive ne promet rien de bon. Il serait facile de répondre en appelant l’attention sur l’antieuropéisme qui monte de l’autre côté de l’Atlantique et qui a une longue tradition derrière lui. Cela donne surtout à penser que dans ce climat idéologique et politique, rien ne rappelle plus la terreur déclenchée par le Ku Klux Klan, au nom de la défense de l’« américanisme pur » ou encore de l’« américanisme cent pour cent », contre les Noirs et les Blancs coupables de mettre en discussion la white supremacy (in MacLean 1994,4-5,14). Est aussi disparue de la mémoire la chasse maccarthyste aux sorcières, suspectes de nourrir des idées ou des sentiments un-american.

3Mais interrogeons-nous sur la question principale. Y a-t-il un fondement historique quelconque à la thèse de la convergence, sous un jour antidémocratique, de l’antiaméricanisme de gauche et de l’antiaméricanisme de droite ? En réalité, le jeune Marx définit les Etats-Unis comme le « pays de l’émancipation politique accomplie », ou comme « l’exemple le plus parfait de l’Etat moderne », qui assure la domination de la bourgeoisie sans exclure a priori aucune classe sociale de la jouissance des droits politiques (cf. Losurdo, 1993, chap. I §4). On peut déjà noter ici une certaine indulgence : plutôt qu’absente, la discrimination censitaire aux Etats-Unis prend une forme « raciale ».

4L’attitude d’Engels est encore plus déséquilibrée dans le sens philo-américain. Après avoir fait la distinction entre « abolition de l’Etat » au sens communiste, au sens féodal, ou au sens bourgeois, il ajoute : « Dans les pays bourgeois, l’abolition de l’Etat signifie la réduction du pouvoir d’Etat au niveau de l’Amérique du Nord. Là, les conflits de classes ne se sont développés que de manière incomplète ; les collisions de classes sont périodiquement camouflées grâce à l’émigration vers l’Ouest de la population prolétaire en excédent. L’intervention du pouvoir d’Etat, réduite au minimum à l’Est, est en fait inexistante à l’Ouest » (Marx-Engels, 1955, VII, 288). En plus de l’abolition de l’Etat (mais seulement au sens bourgeois), l’Ouest semble être synonyme d’accroissement de la sphère de la liberté : il n’y a pas d’allusion au sort réservé aux Peaux-Rouges, de même que l’on fait silence sur l’esclavage des Noirs. L’orientation de l’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat est analogue : les Etats-Unis sont indiqués comme le pays où, au moins pour certaines périodes de son histoire et certaines parties de son territoire, l’appareil politique et militaire séparé de la société tend à se réduire à zéro (Marx-Engels, 1955, XXI, 166). Nous sommes en 1884 : à ce moment, non seulement les Noirs sont privés des droits politiques conquis immédiatement après la guerre de Sécession, mais ils sont contraints à un régime d’apartheid et soumis à une violence qui va jusqu’aux formes les plus atroces de lynchage. Dans le Sud des Etats-Unis, l’Etat était peut-être faible, mais le Ku Klux Klan en était d’autant plus fort, certes expression de la société civile, mais cette dernière peut elle-même être le lieu de l’exercice du pouvoir, et même d’un pouvoir brutal. L’année même qui précède la publication du livre d’Engels, la Cour Suprême avait déclaré inconstitutionnelle une loi fédérale qui prétendait interdire la ségrégation des Noirs sur les lieux du travail ou dans les services (ferroviaires) gérés par des compagnies privées, soustraites par définition à toute influence fédérale.

5Il est surtout important de noter que, sur le plan de la politique internationale, Engels semble faire écho à l’idéologie de la Manifest Destiny, telle qu’elle ressort de la célébration de la guerre contre le Mexique : grâce à la « valeur des volontaires américains », « la splendide Californie a été arrachée aux indolents Mexicains, qui ne savaient pas quoi en faire » ; mettant à profit les gigantesques conquêtes nouvelles, « les énergiques Yankees » donnent une nouvelle impulsion à la production et à la circulation de la richesse, au « commerce mondial », à la diffusion de la « civilisation » (Zivilisation) (Marx-Engels, 1955, VI, 273-5). Un fait échappe à Engels, pourtant dénoncé avec force à cette époque par les cercles abolitionnistes des Etats-Unis : l’expansion américaine signifiait aussi l’expansion de l’esclavage.

6Pour ce qui concerne l’histoire du mouvement communiste proprement dit, on connaît la fascination exercée sur Lénine et sur Gramsci par le taylorisme et le fordisme. Boukharine va encore plus loin en 1923 : « Nous avons besoin de joindre l’américanisme au marxisme » (in Figes, 2003,24). Une année plus tard, Staline semble considérer le pays qui a pourtant participé à l’intervention contre l’Union Soviétique avec une telle sympathie qu’il lance un appel aux cadres bolcheviks : s’ils veulent vraiment être à la hauteur des « principes du léninisme », ils doivent savoir assimiler « l’esprit pratique américain ». « Américanisme » et « esprit pratique » en viennent à signifier non seulement l’esprit concret, mais aussi l’intolérance pour les préjugés, et renvoient en dernière analyse à la démocratie. Comme Staline le précise en 1932 : les Etats-Unis sont certes un pays capitaliste ; cependant, « les traditions dans l’industrie et dans la pratique productive ont quelque chose de démocratique, ce que l’on ne peut pas dire des vieux pays capitalistes d’Europe, où vit encore l’esprit seigneurial de l’aristocratie féodale » (cf. Losurdo, 1997,81-6).

7A sa manière, Heidegger a raison lorsqu’il reproche aux Etats-Unis et à l’Union Soviétique de représenter, d’un point de vue métaphysique, le même principe, qui réside dans le déchaînement de la technique et dans la « massification de l’homme » (Losurdo, 1991a, chap. 3 §10). Il n’y a pas de doute que les bolcheviks se sentent fortement attirés par l’Amérique du melting pot et du self made man. D’autres aspects, par contre, sont à leurs yeux tout à fait répugnants. En 1924, Correspondance Internationale (la version française de l’organe de l’Internationale Communiste) publie l’article d’un jeune indochinois arrivé aux Etats-Unis, qui, malgré l’admiration qu’il nourrit pour la révolution américaine, éprouve de l’horreur pour la pratique du lynchage qui frappe les Noirs dans le Sud :
« Le Noir est mis à cuire, il est grillé, brûlé. Mais il mérite de mourir deux fois plutôt qu’une. Il est ensuite pendu, plus exactement ce qui reste de son cadavre est soumis à la pendaison […] Quand tous sont repus, le cadavre est dépendu. La corde est coupée en petits morceaux, qui sont vendus de trois à cinq dollars pièce ».

8Et cependant, l’indignation devant le régime de white supremacy n’aboutit pas à la condamnation indiscriminée des Etats-Unis ; oui, le Ku Klux Klan révèle toute la « brutalité du fascisme », mais il finira par être vaincu, non seulement par les Noirs, les Juifs et les catholiques (les victimes à différents niveaux de cette brutalité), mais par « tous les Américains décents » (in Wade, 1997,203-4). Nous ne sommes certes pas devant un antiaméricanisme indifférencié.

Un « splendide Etat du futur »

9Oui, le jeune indochinois assimile le Ku Klux Klan au fascisme. Et pour la même raison, les similitudes entre les deux mouvements n’échappent pas aux témoins américains de l’époque. Bien souvent, avec un jugement de valeur positif ou négatif, ceux-ci comparent les hommes en uniforme blanc du Sud des Etats-Unis aux « chemises noires » italiennes et aux « chemises brunes » allemandes. Après avoir appelé l’attention sur les traits communs au Ku Klux Klan et au mouvement nazi, une chercheuse des Etats-Unis croit pouvoir arriver à cette conclusion : « Si la Grande Dépression n’avait pas frappé l’Allemagne avec toute la force qui l’a effectivement frappée, le national-socialisme aurait pu être traité comme on traite parfois le Ku Klux Klan : comme une curiosité historique, dont le destin était déjà marqué » (MacLean, 1994,184). C’est-à-dire que, plus que l’histoire idéologique et politique différente, c’est le contexte économique différent qui explique la faillite de l’Invisible Empire aux Etats-Unis et l’avènement du Troisième Reich en Allemagne. Il est possible que cette affirmation soit excessive. Et pourtant, quand, pour faire taire les critiques contre la politique de Washington, on rappelle la contribution essentielle que les Etats-Unis, avec d’autres pays (à commencer par l’Union Soviétique) ont apportée à la lutte contre l’Allemagne hitlérienne et ses alliés, on dit seulement une partie de la vérité ; l’autre partie est constituée par le rôle notable que les mouvements réactionnaires et racistes américains ont joué dans l’inspiration et l’alimentation en Allemagne de l’agitation qui a finalement débouché sur le triomphe de Hitler.

10Dans les années vingt, entre le Ku Klux Klan et les cercles allemands d’extrême droite s’établissent des rapports d’échange et de collaboration à l’enseigne du racisme anti-noir et anti-juif. En 1937 encore, Rosenberg célèbre les Etats-Unis comme un « splendide pays du futur » : celui-ci a eu le mérite de formuler l’heureuse « idée nouvelle d’un Etat racial », idée qu’il s’agit maintenant de mettre en pratique, « avec une force juvénile », par l’expulsion et la déportation des « Noirs et des Jaunes » (Rosenberg, 1937,673). Il suffit de jeter un regard sur la législation proclamée tout de suite après l’avènement du Troisième Reich, pour se rendre compte des analogies avec la situation existant au Sud des Etats-Unis : évidemment, en Allemagne, ce sont en premier lieu les Allemands d’origine juive qui occupent la place des Afro-Amé-ricains. Hitler se préoccupe de distinguer nettement, même sur le plan juridique, la position des Aryens par rapport à celle des Juifs, ainsi que du petit nombre de mulâtres vivant en Allemagne (à la fin de la Première Guerre mondiale, des troupes de couleur à la suite de l’armée française ont participé à l’occupation du pays). « La question noire » – toujours selon Rosenberg – « est aux Etats-Unis le nœud de toutes les questions décisives » ; et une fois que le principe absurde de l’égalité a été supprimé pour les Noirs, on ne voit pas pourquoi on ne devrait pas tirer « les conséquences nécessaires aussi pour les Jaunes et les Juifs » (Rosenberg, 1937,668-9).

11Tout cela ne doit pas étonner. La construction d’un Etat racial est un élément central du programme nazi. Quels étaient donc à ce moment les modèles possibles ? Certes, Rosenberg fait aussi référence à l’Afrique du Sud : il est bien que demeure solidement dans « une main nordique » et blanche (grâce à d’opportunes « lois » à charge, non seulement pour les « Indiens », mais aussi pour « les Noirs, les mulâtres et les Juifs »), et que se constitue un « solide bastion » contre le péril représenté par le « réveil noir » (Rosenberg, 1937,666). Mais l’idéologue nazi sait d’une façon ou d’une autre que la législation ségrégationniste de l’Afrique du Sud a été inspirée par le régime de white supremacy, mis en vigueur dans le Sud des Etats-Unis après la fin de la Reconstruction (Noer, 1978,406-7,115,126). Il tourne donc en premier lieu le regard vers cette réalité.

12D’un autre côté, c’est aussi pour une autre raison que la République d’outre-Atlantique constitue un motif d’inspiration pour le Troisième Reich. Hitler vise non à un expansionnisme colonial générique, mais bien à la construction d’un Empire continental, par l’annexion et la germanisation des territoires orientaux immédiatement contigus aux Troisième Reich. L’Allemagne est appelée à l’expansion en Europe orientale comme en une sorte de Far West, traitant les « indigènes » à la manière des Peaux-Rouges (Losurdo, 1996,212-6), et sans jamais perdre de vue le modèle américain, dont le Führer célèbre « la force intérieure inouïe » (Hitler, 1939,153-4). Tout de suite après l’avoir envahie, Hitler procède au démembrement de la Pologne : une partie en est directement incorporée dans le Grand Reich (et les polonais en sont expulsés) ; le reste constitue le « Gouvernement général », dans le cadre duquel – déclare le gouverneur général Hans Frank – les Polonais vivent comme dans « une sorte de réserve » : ils sont « soumis à la législation allemande » sans être « citoyens allemands » (in Ruge-Schumann, 1977,36). Le modèle américain est ici suivi de manière scolaire : nous ne pouvons pas ne pas penser aux Peaux-Rouges.

L’Etat racial entre les Etats-Unis et l’Allemagne

13C’est un modèle qui laisse des traces profondes même au niveau des catégories et de la langue. Le terme Untermensch, qui joue un rôle aussi central et aussi néfaste dans la théorie et la pratique du Troisième Reich, n’est autre que la traduction d’Under Man. Rosenberg le reconnaît, quand il exprime son admiration pour l’auteur américain Lothrop Stoddard : c’est à lui que revient le mérite d’avoir forgé en premier le terme en question, qui apparaît en sous-titre (The Menace of the Under Man) d’un livre publié à New York en 1922, et trois ans plus tard dans sa version allemande (Die Drohung des Untermenschen). Pour ce qui concerne sa signification, Stoddard montre qu’il s’agit d’indiquer la masse des « sauvages et barbares », « essentiellement incapables de civilisation et ses ennemis incorrigibles », avec lesquels il faut procéder à un règlement de comptes radical, si l’on veut éviter le danger menaçant de l’écroulement de la civilisation. L’éloge en est fait, avant même Rosenberg, par deux présidents américains (Harding et Hoover) ; l’auteur américain est ensuite reçu à Berlin avec tous les honneurs, il y rencontre non seulement les représentants les plus illustres de l’eugénique nazie, mais aussi les hiérarques les plus élevés du régime, y compris Adolf Hitler  [1], désormais lancé dans sa campagne de décimation et de réduction en esclavage des Untermenschen, ou encore des « indigènes » de l’Europe orientale.

14Dans les Etats-Unis de la white supremacy comme dans l’Allemagne où s’enracine toujours plus le mouvement qui débouchera ensuite dans le nazisme, le programme de rétablissement des hiérarchies raciales est étroitement solidaire du projet eugénique. Il s’agit en premier lieu d’encourager la procréation des meilleurs, de manière à éviter le danger de « suicide racial » (Rasseselbstmord), ce qui incombe aux Blancs : c’est Oswald Spengler qui sonne l’alarme en 1918, mais il se réclame de l’enseignement de Theodore Roosevelt (Spengler, 1980, 683). Et en effet, chez l’homme d’Etat américain, l’évocation du spectre du « suicide racial » (race suicide) ou encore de l’humiliation raciale (race humiliation) va de pair avec la dénonciation de la « diminution des naissances chez les races supérieures », ou encore « dans le cadre de la vieille souche des natifs américains » : évidemment, la référence n’est pas ici aux « sauvages » peaux-rouges mais aux WASP  [2] (cf. Roosevelt, 1951, I, 487 note 4,647,1113 ; Roosevelt, 1951, II, 1053). Il s’agit aussi de creuser un abîme impossible à combler entre race des esclaves et race des seigneurs, en épurant cette dernière des éléments de rebut et en la mettant en état d’affronter et de briser la révolte servile qui, sur la vague de la révolution bolchevique, est en train de se dessiner au niveau planétaire. Même dans ce cas, une recherche historique sans préjugés conduit à des résultats surprenants. Erbgesundheitlehre ou Rassenhygiene, un autre mot-clé de l’idéologie nazie, n’est rien d’autre, en dernière analyse, que la traduction allemande du mot eugenics, le nom de la nouvelle science inventée en Angleterre dans la seconde moitié du XIXe siècle par Francis Galton, et qui connaît – ce n’est pas un hasard – ses plus grands triomphes aux Etats-Unis : là, le problème est plus aigu que jamais du rapport entre les « trois races » et entre « natifs » d’un côté, et la masse croissante des émigrés pauvres de l’autre. Bien avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, à la veille de la Première Guerre mondiale, voit le jour à Munich un livre qui, déjà dans son titre, pointe les Etats-Unis comme modèle d’« hygiène raciale ». L’auteur, vice-consul de l’Empire austro-hongrois à Chicago, célèbre les Etats-Unis pour la « lucidité » et pour la « pure raison pratique » dont ils font preuve en affrontant, avec l’énergie nécessaire, un problème aussi important et pourtant si fréquemment refoulé : violer les lois qui défendent les rapports sexuels et matrimoniaux inter-raciaux peut comporter jusqu’à dix ans de prison ; peuvent également y être condamnés leurs complices, en plus des protagonistes (Hoffmann, 1913, IX, 67-8). Dix années plus tard, en 1923, un médecin allemand, Fritz Lenz, se lamente de ce que, en ce qui concerne l’« hygiène raciale », l’Allemagne est bien en retard sur les Etats-Unis (Lifton, 1986, 29). Après la conquête du pouvoir par les nazis encore, les idéologues et les « scientifiques » de la race continuent à insister : « L’Allemagne aussi a beaucoup à apprendre des mesures nord-américaines : ils connaissent leur affaire » (Günther, 1934,465).

15Les mesures eugéniques proclamées immédiatement après la Machtergreifung visent à écarter le danger de la « Volkstod » (Lifton, 1986,30), de la « mort du peuple » ou de la race. Et nous sommes de nouveau ramenés au thème du « suicide racial ». Pour écarter le péril du suicide de la race blanche, qui serait ensuite le suicide de la civilisation, il ne faut pas hésiter sur les mesures les plus énergiques, sur les solutions les plus radicales, à l’égard des races inférieures (inferior races) : si l’une d’elles – tonne Theodore Roosevelt – devait attaquer la race « supérieure » (superior), celle-ci réagirait par « une guerre d’extermination » (a war of extermination), appelée à « mettre à mort les hommes, les femmes et les enfants, exactement comme s’il s’agissait d’une Croisade » (Roosevelt, 1951, II, 377). Significativement, un livre paru à Boston en 1913 (Frederickson, 1987,258 note) fait allusion à une vague « ultimate solution » de la question noire ; plus tard au contraire, les nazis théoriseront et chercheront à mettre en pratique la « solution finale » (Endlösung) de la question juive.

Le nazisme comme projet de white supremacy au niveau planétaire

16Au cours de toute leur histoire, les Etats-Unis ont dû affronter de manière directe les problèmes issus de la rencontre de « races » différentes et de la masse d’immigrés provenant de tous les coins du monde. D’un autre côté, le mouvement raciste furibond qui se développe à la fin du XIXe siècle est la réponse à la grande révolution que représente la guerre de Sécession et à la période de Reconstruction radicale. Tandis que les anciens propriétaires d’esclaves sont momentanément privés de leurs droits politiques en tant que rebelles, les Noirs passent de la condition d’esclave à la pleine citoyenneté politique ; il n’est pas rare qu’ils viennent à faire partie des organismes représentatifs, devenant ainsi en quelque manière les législateurs et les dirigeants de leurs anciens patrons.

17Jetons un regard aux expériences et aux émotions qui sont derrière l’agitation qui a débouché ensuite dans le nazisme. Si, entre XIXe et XXe siècle, le Ku Klux Klan et les théoriciens de la white supremacy flétrissent les Etats-Unis issus de l’abolition de l’esclavage et de la vague d’immigration massive, venant maintenant de l’Orient ou des pays aux marges de l’Europe, comme une « civilisation bâtarde » (MacLean, 1994,133) ou comme une « cloaca gentium » (Grant, 1917, 81), l’Autriche dans laquelle se forme le futur leader nazi, lui apparaît, dans Mein Kampf, comme un chaotique « conglomérat de peuples », comme une « Babylone des peuples » ou un « royaume babylonien », déchiré par un « conflit racial » (Hitler, 1939,47,79,39,80) qui semble devoir se terminer par une catastrophe : le processus de « mise en esclavage » et d’« anéantissement de l’élément allemand » (Entdeutschung) avance avec le déclin de la race supérieure qui avait colonisé l’Orient et y avait apporté la civilisation (Hitler 1939,82). L’Allemagne où arrive ensuite Hitler connaît, à la suite de la défaite dans la Première Guerre mondiale, des bouleversements sans précédent, comparables d’une certaine façon à ceux qu’a connus le Sud des Etats-Unis après la guerre de Sécession : bien au-delà de la perte de leurs co-lonies, les Allemands sont contraints de subir l’occupation militaire des troupes de couleur qui suivent les puissances victorieuses. Maintenant, toujours à en juger d’après Mein Kampf, l’Allemagne elle-même s’est transformée en un « mélange racial » (Hitler, 1939,439). La révolution d’Octobre aiguise ensuite la sensation de péril d’un déclin définitif de la civilisation : en adressant aux peuples coloniaux un appel à la rébellion, elle semble sanctionner idéologiquement l’« horreur » de l’occupation militaire noire ; de plus, celle-ci éclate et arrive au pouvoir dans une région habitée de peuples traditionnellement considérés comme aux marges de la civilisation. Comme dans le Sud des Etats-Unis, les abolitionnistes sont flétris comme renégats de leur propre race, comme negrolovers, de la même manière apparaissent aux yeux de Hitler comme des traîtres à la race germanique et occidentale d’abord les sociauxdémocrates, et ensuite, à plus forte raison, les communistes. En dernière analyse, le Troisième Reich se présente comme une tentative, portée en avant dans les conditions de la guerre totale et de la guerre civile internationale, de réagir au péril du déclin et du suicide racial de l’Occident et de la race supérieure, en réalisant un régime de white supremacy à l’échelle planétaire et sous hégémonie allemande.

Antisémitisme et antiaméricanisme ? Spengler et Ford

18La campagne en cours contre ceux qui osent critiquer la politique de guerre préventive de Washington aime associer l’antiaméricanisme à l’antisémitisme. On reste stupéfait devant l’évanouissement de la mémoire historique. Qui se souvient encore de la célébration du « véritable américanisme d’Henry Ford » à l’œuvre dans le Ku Klux Klan (in MacLean, 1994,90) ? C’est le magnat de l’industrie automobile qui est ici l’objet de l’admiration, lui qui s’emploie à dénoncer la révolution bolchevique comme étant en premier lieu le résultat du complot juif, et qui fonde dans ce but une revue à grand tirage, le Dearborn Independent : les artcicles qui y sont publiés sont recueillis en novembre 1920 en un volume, Le Juif international, qui devient aussitôt une référence de l’antisémitisme international, au point de pouvoir être considéré comme le livre qui a contribué plus qu’aucun autre à la célébrité des fameux Protocoles des Sages de Sion. Après quelque temps, il est vrai, Ford est contraint de renoncer à sa campagne, mais il a été traduit en Allemagne entre temps, où il a obtenu un grand succès. Plus tard, des hiérarques nazis de premier plan, comme von Schirach ou même Himmler, diront s’être inspirés de lui ou y avoir trouvé leur point de départ. Le second, en particulier, raconte n’avoir compris « le danger du judaïsme » qu’après la lecture du livre de Ford : « pour les nationauxsocialistes, ce fut une révélation ». Il lit ensuite les Protocoles des Sages de Sion : « Ces deux livres nous indiquèrent la voie à parcourir pour libérer l’humanité affligée du plus grand ennemi de tous les temps, le Juif international » ; on voit bien qu’Himmler fait usage d’une formule qui évoque le titre du livre d’Henry Ford. Il pourrait s’agir de témoignages en partie intéressés et instrumentalisés. Mais c’est une donnée de fait que dans les conversations de Hitler avec Dietrich Eckart, la personnalité qui a eu sur lui la plus grande influence, le Henry Ford antisémite est parmi les auteurs le plus fréquemment et le plus positivement cités. Et d’autre part, selon Himmler, le livre de Ford, joint aux Protocoles, aurait joué un rôle « décisif » (ausschlaggebend) non seulement sur sa propre formation, mais sur celle du Führer  [3].

19Dans ce cas aussi, on voit avec évidence la superficialité de l’opposition schématique entre l’Europe et les Etats-Unis, comme si les événements tragiques de l’antisémitisme n’avaient pas impliqué les deux. En 1933, Spengler éprouve le besoin de donner cette précision : la judéophobie qu’il professe ouvertement ne doit pas être confondue avec le racisme « matérialiste » cher aux « antisémites en Europe et en Amérique » (Spengler, 1933,157). L’antisémitisme biologique qui souffle impétueusement au-delà de l’Atlantique également est considéré comme excessif, même par un auteur pourtant engagé dans un réquisitoire contre la culture et l’histoire juives dans toute la trajectoire de son évolution. C’est aussi pour cela que Spengler paraît craintif et inconséquent aux yeux des nazis. Leur enthousiasme se tourne d’un autre côté : Le Juif international continue d’être publié avec grand honneur dans le Troisième Reich, avec des préfaces qui soulignent le mérite historique décisif de l’auteur et industriel américain (pour avoir fait la lumière sur la « question juive »), et qui mettent en évidence une sorte de ligne de continuité qui va de Henry Ford à Adolf Hitler ! (cf. Losurdo, 1991b, 84-85).

20La polémique en cours concernant l’antiaméricanisme et l’antieuropéisme pêche par naïveté : elle semble ignorer les échanges culturels et les influences réciproques entre l’Amérique et l’Europe. Dans le premier après-guerre, Croce n’avait pas eu de difficulté à souligner l’influence que Theodore Roosevelt avait exercée sur Enrico Corradini, le chef nationaliste qui rejoint ensuite le parti fasciste (Croce, 1967,251). Au début du XXe siècle, l’homme d’Etat américain avait accompli un voyage triomphal en Europe, au cours duquel il avait reçu un diplôme honoris causa à Berlin, et avait conquis – c’est Pareto qui le note cette fois-ci – de nombreux « adulateurs » (Pareto 1988,4241-2 § 1436). La représentation selon laquelle les Etats-Unis représenteraient une sorte d’espace sacré, protégé des maladies et des horreurs de l’Europe, est surtout un produit de la guerre froide. Il ne faut jamais perdre de vue la circulation de la pensée entre les deux rives de l’Atlantique : oui, l’américain Stoddard invente la catégorie-clé du discours idéologique nazi (Untermensch), mais lorsqu’il le fait, il revient d’un séjour d’études en Allemagne, et il a lu la théorie du surhomme chère à Nietzsche (Losurdo 2002,886-7). D’un autre côté, tandis qu’elle regarde avec admiration le monde de la white supremacy, la réaction allemande montre de la répugnance et du mépris à l’égard du melting pot. Rosenberg rapporte avec indignation qu’à Chicago, une « grande cathédrale » catholique « appartient aux nègres ». C’est même un « évêque noir qui y célèbre la messe » : c’est l’« élevage » de « phénomènes bâtards » (Rosenberg 1937,471). A son tour, Hitler prononce la sentence et dénonce que « du sang juif » courrait dans les veines de Franklin Delano Roosevelt, dont la femme a de toute façon un « aspect négroïde » (Hitler 1952-54, II, 182, conversation du 1er juillet 1942).

Les Etats-Unis, l’Occident et la Herrenvolk democracy

21Il est clair maintenant que la thèse de la convergence entre antiaméricanisme de droite et antiaméricanisme de gauche apparaît comme idéologique et mythologique. En réalité, ce sont justement les aspects mis en accusation par la tradition qui va de l’abolitionnisme au mouvement communiste qui suscitent la sympathie et l’enthousiasme dans le camp opposé. Celui qui est aimé par les uns est honni par les autres, et vice versa. Mais les uns et les autres se trouvent devant le paradoxe qui caractérise l’histoire des Etats-Unis depuis sa fondation et qui est ainsi formulé, au XVIIIe siècle, par l’écrivain anglais Samuel Johnson : « Comment expliquer que ceux qui acclament le plus bruyamment la liberté soient ceux qui sont engagés dans la chasse aux Noirs ? » (in Foner 1998,32).

22C’est un fait : la démocratie dans le cadre de la communauté blanche s’est développée en même temps que les rapports de réduction des Noirs en esclavage et de déportation des Indiens. Pendant trente-deux des trente-six premières années des Etats-Unis, ce sont des propriétaires d’esclaves qui ont occupé la présidence, et ce sont aussi des propriétaires d’esclaves qui ont élaboré la Déclaration d’Indépendance et la Constitution. Sans l’esclavage (puis la ségrégation raciale), on ne peut rien comprendre à la « liberté américaine » : ils grandissent ensemble, l’un soutenant l’autre (Morgan 1975). Si l’« institution particulière » (l’esclavage) assure un contrôle de fer des « classes dangereuses » sur les lieux mêmes de la production, la frontière mobile et l’expansion progressive vers l’Ouest désamorcent le conflit social en transformant un prolétariat potentiel en une classe de propriétaires terriens, mais aux dépens de populations condamnées à être refoulées ou balayées.

23Après le baptême de la guerre d’Indépendance, la démocratie américaine connaît un développement ultérieur, dans les années trente du XIXe siècle, avec la présidence Jackson : la suppression, en grande partie, des discriminations censitaires à l’intérieur de la communauté blanche va de pair avec une impulsion vigoureuse donnée à la déportation des Indiens et avec la montée d’un climat de ressentiment et de violence envers les Noirs. On peut avancer une considération analogue pour ce que l’on appelle l’« âge progressiste » qui, partant de la fin du siècle précédent, embrasse les trois premiers lustres du XXe siècle : elle est certes caractérisée par de nombreuses réformes démocratiques (qui assurent l’élection directe du Sénat, le secret du vote, l’introduction des primaires et l’institution du referendum, etc.), mais elle constitue en même temps une période particulièrement tragique pour les Noirs (cible de la terreur des brigades du Ku Klux Klan) et les Indiens (dépouillés des terres qui leur restaient et soumis à un processus d’homologation impitoyable qui vise à les priver même de leur identité culturelle).

24A propos de ce paradoxe qui caractérise l’histoire de leur pays, d’éminents savants américains ont parlé de Herrenvolk democracy, c’est-à-dire d’une démocratie réservée au « peuple des seigneurs » – pour utiliser un langage cher ensuite à Hitler – (Berghe 1967 ; Frederickson 1987). La ligne de démarcation nette entre les Blancs d’une part, les Noirs et les Peaux-Rouges d’autre part, favorise le développement de rapports d’égalité à l’intérieur de la communauté blanche. Les membres d’une aristocratie de classe et de couleur tendent à s’autocélébrer comme « égaux » ; la nette inégalité imposée aux exclus est l’autre face du rapport d’égalité qui s’instaure entre ceux qui jouissent du pouvoir d’exclure les « inférieurs ».

25Faut-il alors opposer favorablement l’Europe aux Etats-Unis ? Ce serait une conclusion précipitée et erronée. En réalité la catégorie de Herrenvolk democracy peut être également utile pour expliquer l’histoire de l’Occident dans son ensemble. Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, l’extension du suffrage en Europe va de pair avec le processus de colonisation et avec l’imposition de rapports de travail serviles ou semi-serviles aux populations assujetties ; le gouvernement de la loi dans la métropole s’intrique étroitement avec la violence et l’arbitraire bureaucratique ou policier, et avec l’état de siège dans les colonies. C’est en dernière analyse le même phénomène qui se vérifie dans l’histoire des Etats-Unis, mais il est moins évident dans le cas de l’Europe parce que les populations coloniales, au lieu de résider dans la métropole, en sont séparées par l’océan.

Mission impériale et fondamentalisme chrétien dans l’histoire des Etats-Unis

26C’est sur un plan différent que nous pouvons saisir les différences réelles dans le développement politique et idéologique entre les deux rives de l’Atlantique. Après avoir été profondément marquée par la grande saison des Lumières, l’Europe connaît à la fin du XIXe siècle un processus encore plus radical de sécularisation : que ce soit les partisans de Marx ou ceux de Nietzsche, tous considèrent « la mort de Dieu » comme désormais inéluctable. Le tableau que présentent les Etats-Unis est bien différent. En 1899, la revue Christian Oracle explique ainsi la décision de changer son titre en Christian Century : « Nous croyons que le siècle prochain sera témoin, pour la chrétienté, des plus grands triomphes de tous les temps, et qu’il sera plus authentiquement chrétien que tous ceux qui l’ont précédé » (in Olasky 1992,135).

27A ce moment, la guerre contre l’Espagne est en cours, celle-ci étant accusée par les dirigeants des Etats-Unis de priver injustement Cuba de son droit à la liberté et à l’indépendance, en recourant de plus, dans une île « aussi voisine de nos frontières », à des mesures qui répugnent au « sens moral du peuple des Etats-Unis » et qui sont un « malheur pour la civilisation chrétienne » (in Commager 1963, II, 5). Rappel indirect de la doctrine Monroe et appel à la croisade au nom en même temps de la démocratie, de la morale et de la religion, tout cela s’intrique étroitement pour excommunier, pour ainsi dire, un pays très catholique et conférer le caractère d’une guerre sainte à toutes fins à un conflit qui aurait consacré le rôle de grande puissance impériale des Etats-Unis. Plus tard, le président McKinley explique la décision d’annexer les Philippines par une illumination de « Dieu tout-puissant » qui, après de longues prières à genoux, au cours d’une nuit jusqu’à ce moment particulièrement angoissée, le libère finalement de tout doute et de toute indécision. Il n’était pas permis de laisser la colonie entre les mains de l’Espagne ou de la céder « à la France ou à l’Allemagne, nos rivaux commerciaux en Orient » ; et il n’était pas non plus permis de la confier aux Philippins eux-mêmes qui, « inaptes à l’autogouvernement », auraient fait tomber leur pays dans une condition d’« anarchie et de malgouvernance » encore pire que celle que produisait la domination espagnole :

28

« Il ne nous restait rien d’autre à faire qu’à garder les Philippines, qu’à éduquer les Philippins, en les élevant, les civilisant et les christianisant, et avec l’aide de Dieu, à faire de notre mieux pour eux, comme nos frères pour lesquels aussi est mort le Christ. Et je me mis alors au lit, je m’endormis et je dormis profondément » (in Millis 1989,384).

29Nous connaissons aujourd’hui les horreurs qu’a comportées la répression du mouvement d’indépendance aux Philippines : la guérilla qu’il avait déclenchée fut affrontée par la destruction systématique des récoltes et du bétail, enfermant en masse la population dans des camps de concentration, où elle était fauchée par la famine et les maladies, et en recourant même à la mise à mort de tous les hommes au-dessus de dix ans (McAllister Linn 1989,27,23).

30Et toutefois, malgré l’ampleur des « dommages collatéraux », la marche de l’idéologie de la guerre impérial-religieuse connaît une nouvelle étape triomphale avec le premier conflit mondial. Tout de suite après l’intervention, dans une lettre au colonel House, Wilson s’exprime ainsi à propos de ses « alliés » : « Quand la guerre sera finie, nous pourrons les soumettre à notre mode de pensée du fait qu’ils seront, entre autres choses, financièrement entre nos mains » (in Kissinger 1994,224). Indépendamment de cela, il n’y a pas de doutes sur le fait qu’« intervenait une forte composante de Realpolitik » (Heckscher 1991,298) dans l’attitude prise par Wilson aussi bien à l’égard de l’Amérique latine que du reste du monde. Et toutefois, cela ne l’empêche pas de conduire la guerre comme une Croisade, même au sens littéral du terme : les soldats américains sont des « croisés », protagonistes d’une « entreprise transcendante » (Wilson 1927, II, 45, 414), d’une « guerre sainte, la plus sainte de toutes les guerres », destinée à faire triompher dans le monde la cause de la paix, de la démocratie et des valeurs chrétiennes. Et de nouveau, intérêts matériels et géopolitiques, ambitions hégémoniques et impériales, et bonne conscience missionnaire et démocratique se fondent en une unité indissoluble et irrésistible.

31Les Etats-Unis affrontent les conflits ultérieurs du XXe siècle avec cette même plate-forme idéologique. Le cours de la guerre froide est particulièrement significatif. Un de ses protagonistes, Foster Dulles, est, selon la définition de Churchill, « un puritain rigoureux ». Il est orgueilleux du fait que « dans le département d’Etat, personne ne connaît la Bible mieux que moi ». La ferveur religieuse n’est pas une affaire privée : « Je suis convaincu que nous avons besoin de faire en sorte que nos pensées et nos pratiques politiques reflètent de la manière la plus fidèle la foi religieuse selon laquelle l’homme a son origine et son destin en Dieu » (in Kissinger 1994,534-5). Avec la foi, d’autres catégories fondamentales de la théologie font irruption dans la lutte politique au niveau international : les pays neutres, qui se refusent à prendre part à la Croisade contre l’Union Soviétique se chargent de « péchés », tandis que les Etats-Unis qui se placent à la tête de cette Croisade sont le « peuple moral » par excellence (in Freiberger 1992,42-3). Guidant ce peuple qui se distingue de tous les autres par sa moralité et sa proximité de Dieu, il y a, en 1983, Ronald Reagan. Celui-ci donne l’impulsion à la phase culminante de la guerre froide, destinée à sanctionner la défaite de l’ennemi athée, avec un langage explicitement et bruyamment théologique : « C’est le péché et le mal dans le monde, et nous sommes obligés par l’Ecriture et par Jésus Notre Seigneur de nous opposer à ceux-ci de toutes nos forces » (in Draper 1994,33).

32Enfin venons-en à aujourd’hui. Dans le discours qui inaugure son premier mandat présidentiel, Clinton n’est pas moins religieusement inspiré que ses prédécesseurs et que son successeur : « Aujourd’hui nous célébrons le mystère du renouveau américain ». Après avoir rappelé le pacte intervenu entre « nos pères fondateurs » et le « Tout-Puis-sant », Clinton souligne : « Notre mission est hors du temps » (Lott 1994,366). Se ralliant à cette tradition et la radicalisant ensuite, George W. Bush a conduit sa campagne électorale en proclamant un véritable dogme : « Notre nation est l’élue de Dieu, et a le mandat de l’histoire pour être un modèle dans le monde » (Cohen 2000).

33Comme on le voit, dans l’histoire des Etats-Unis, la religion est appelée à jouer une fonction politique de premier plan au niveau international. Nous sommes en présence d’une tradition politique américaine qui s’exprime dans un langage explicitement théologique. Plus que les déclarations délivrées par les chefs d’Etat européens, les « doctrines » émises de temps en temps par les présidents des Etats-Unis font penser aux encycliques et aux dogmes diffusés et proclamés par les pontifes de l’Eglise catholique. Les discours inauguraux des présidents sont de véritables cérémonies sacrées. Je me limite à deux exemples. En 1953, après avoir invité ses auditeurs à incliner la tête devant « Dieu Tout-Puissant », s’adressant directement à Lui, Eisenhower exprime ce présage : « que tout puisse se dérouler pour le bien de notre pays bienaimé et pour Ta gloire. Amen » (Lott, 1994,302). Dans ce cas, saute aux yeux avec une particulière évidence l’identité tracée entre Dieu et l’Amérique. A presque un demi-siècle de distance, le tableau ne change pas. Nous avons vu comment s’ouvre le discours de Clinton. Voyons maintenant comment il se conclut. Après avoir cité la « Sainte Ecriture », le nouveau président termine ainsi : « De ce sommet de la célébration nous entendons dans la vallée un appel au service. Nous avons entendu les trompettes. Nous avons fait la relève de la garde. Et maintenant, chacun à sa manière et avec l’aide de Dieu, nous devons répondre à l’appel. Merci et que Dieu vous bénisse tous » (Lott 1994, 369). Et de nouveau, les Etats-Unis sont célébrés comme la cité sur la colline, la cité bénie de Dieu. Dans le discours prononcé immédiatement après sa réélection, Clinton éprouve le besoin de remercier Dieu de l’avoir fait naître américain.

34Devant cette idéologie, et même cette théologie de la mission, l’Europe s’est toujours trouvée mal à l’aise. On connaît l’ironie de Clémenceau à propos des quatorze points de Wilson : le bon Dieu avait eu la modestie de se limiter à dix commandements ! En 1919, dans une lettre privée, John Maynard Keynes définit Wilson comme « le plus grand imposteur de la terre » (in Sidelsky 1989,444).

35Freud s’exprime en termes peut-être encore plus durs, à propos de la tendance de l’homme d’Etat américain à se croire investi d’une mission divine : nous sommes en présence d’un « très net manque de sincérité, d’une ambiguïté et d’une tendance à nier la vérité » ; d’un autre côté, Guillaume II déjà se prenait pour « un homme préféré de la Providence » (Freud 1995,35-6). Mais ici Freud se trompe ; il risque de rapprocher deux traditions idéologiques assez différentes. Il est vrai que l’Empereur allemand ne dédaigne pas non plus d’embellir ses ambitions expansionnistes de motifs religieux : s’adressant aux troupes en partance pour la Chine, il invoque la « bénédiction de Dieu » sur une entreprise appelée à écraser dans le sang la révolte des Boxers et à défendre le « christianisme » (Röhl 2001,1157) ; il est enclin à considérer les Allemands comme « le peuple élu de Dieu » (Röhl 1993,412). Hitler lui-même déclare se sentir appelé à accomplir « l’œuvre du Seigneur » et vouloir obéir à la volonté du « Tout-Puissant » (Hitler 1939, 70,439), d’autant plus que les allemands sont « le peuple de Dieu » (in Rauschning 1940,227). D’autre part, la devise Gott mit uns (Dieu avec nous) est bien connue et tristement célèbre…

36Et toutefois, il ne faut pas surévaluer le poids de ces déclarations et de ces thèmes idéologiques. En Allemagne (la patrie de Marx et de Nietzsche) le processus de sécularisation est assez avancé. L’invocation de la « bénédiction de Dieu » par Guillaume II n’est pas prise au sérieux, même dans les cercles chauvins : aux yeux au moins de leurs représentants les plus avisés (Maximilian Harden), paraissent ridicules le retour aux « jours des Croisades » et la prétention de « conquérir le monde à l’Evangile » ; « ainsi flânent autour du Seigneur les visionnaires et les spéculateurs rusés » (in Röhl 2001,1157). Oui, avant même de monter sur le trône, le futur empereur célèbre les Allemands comme « le peuple élu de Dieu », mais sa mère se moque de lui : fille de la reine Victoria, elle est encline, au besoin, à réclamer la suprématie pour l’Angleterre (Röhl 1993,412).

37C’est un point sur lequel il convient de réfléchir plus tard. En Europe, les mythes généalogiques impériaux se sont dans une certaine mesure neutralisés réciproquement ; les familles royales étaient toutes apparentées entre elles, de sorte que, dans le cadre de chacune d’elles, s’affrontaient idées de mission et mythes généalogiques impériaux différents et opposés. L’expérience catastrophique des deux guerres mondiales a eu pour effet de discréditer dans la suite ces idées et ces généalogies ; d’un autre côté, malgré sa défaite finale, l’agitation communiste, conduite au nom de la lutte contre l’impérialisme et au nom du principe de l’égalité des nations, a pourtant laissé quelques traces dans la conscience européenne. Le résultat de tout cela est clair : en Europe, toute idée de mission impériale et d’élection divine agitée par telle ou telle nation est privée de crédibilité ; il n’y a plus de place pour l’idéologie impérial-religieuse qui joue un rôle si central aux Etats-Unis.

38Pour ce qui concerne en particulier l’Allemagne, l’histoire qui va du Second au Troisième Reich présente une oscillation entre la nostalgie d’un paganisme guerrier, centré autour de Wotan, et l’aspiration à transformer le christianisme en une religion nationale, appelée à légitimer la mission impériale du peuple allemand. Cette dernière tentative trouve son expression la plus complète dans le mouvement des Deutsche Christen, les « chrétiens allemands ». Déjà peu crédible en raison du processus de sécularisation qui, en plus de la société dans son ensemble, avait investi la théologie protestante elle-même (on pense à Karl Barth et à Dietrich Bonhoeffer), peu crédible aussi à cause des sympathies paganisantes des dirigeants du Troisème Reich, cette tentative ne pouvait guère avoir du succès. L’histoire des Etats-Unis est au contraire traversée en profondeur par la tendance à la transformation de la tradition judéo-chrétienne dans son ensemble en une sorte de religion nationale qui consacre l’exceptionalism du peuple américain et la mission salvatrice qui lui est confiée. Mais cette intrication de religion et de politique n’est-elle pas synonyme de fondamentalisme ? Ce n’est pas un hasard si le terme de fondamentalisme apparaît pour la première fois dans le cadre américain et protestant, comme une auto-désignation positive et orgueilleuse de soi.

39Nous pouvons maintenant comprendre les limites de l’approche de Freud et de Keynes : évidemment, dans les administrations américaines qui se succèdent l’une après l’autre, les hypocrites, les calculateurs et les cyniques ne manquent pas, mais ce n’est pas une raison pour douter de la sincérité hier de Wilson et aujourd’hui de Bush Jr. Il ne faut pas perdre de vue le fait que nous sommes en présence d’une société faiblement sécularisée, dans le cadre de laquelle 70% des habitants croient au diable et où plus d’un tiers des adultes prétend que Dieu lui parle directement (Gray1998,126 ; Schlesinger Jr, 1997). Mais c’est un élément de force et non de faiblesse. La certitude tranquille de représenter une cause sainte et divine facilite non seulement la mobilisation unanime dans les moments de crise, mais aussi le refoulement ou la bagatellisation des pages les plus noires de l’histoire des Etats-Unis. Oui, au cours de la guerre froide, Washington a organisé de sanglants coups d’Etat en Amérique Latine et imposé de féroces dictatures militaires, tandis qu’en Indonésie, elle a provoqué le massacre de quelques centaines de milliers de communistes ou de sympathisants ; mais, aussi déplaisants qu’ils puissent être, ces détails ne sont pas en état de porter atteinte à la santé de la cause incarnée par l’« Empire du Bien ».

40Weber est plus près de la vérité lorsque, au cours de la Première Guerre mondiale, il dénonce le « cant » américain (Weber 1971,144). Le « cant » n’est pas le mensonge, ni non plus, à proprement parler, l’hypocrisie consciente ; c’est l’hypocrisie qui réussit à se mentir à elle-même ; c’est un peu la fausse conscience dont parle Engels. Que ce soit chez Freud ou chez Keynes, se manifestent en même temps la force et la faiblesse des Lumières. Largement immunisée devant l’idéologie impérial-religieuse qui fait rage au-delà de l’Atlantique, l’Europe se révèle toutefois incapable de comprendre correctement cette intrication entre ferveur morale et religieuse d’un côté, et poursuite lucide et sans préjugé de l’hégémonie politique, économique et militaire au niveau mondial de l’autre. Mais c’est cette intrication, et même ce mélange explosif, c’est ce fondamentalisme particulier qui constitue aujourd’hui le danger principal pour la paix mondiale. Plus qu’à une nation déterminée, le fondamentalisme islamique fait référence à une communauté de peuples qui, non sans raison, se considèrent comme la cible d’une politique d’agression et d’occupation militaire. Le fondamentalisme des Etats-Unis, au contraire, transfigure et enivre un pays bien déterminé qui, fort de sa consécration divine, considère comme inadéquat l’ordre international en vigueur, les lois purement humaines. C’est dans ce cadre que se placent la délégitimation de l’ONU, la mise hors jeu de la Convention de Genève dans la pratique, les menaces adressées non seulement aux ennemis, mais aux « alliés » de l’OTAN.

De la campagne contre la « drapétomanie » à la campagne contre l’antiaméricanisme

41En plus de combattre le « mal » et de défendre les valeurs chrétiennes et américaines, la guerre contre l’Irak, comme les autres guerres qui se profilent à l’horizon, ont la tâche de répandre la démocratie à travers le monde. Quelle est la crédibilité de cette dernière prétention ? Revenons au jeune Indochinois que nous avons vu dénoncer, en 1924, l’horreur des lynchages contre les Noirs. Dix ans plus tard, il retourne dans son pays d’origine pour prendre le nom, devenu depuis célèbre dans le monde entier, d’Ho Chi Minh. Au moment des bombardements féroces déchaînés par Washington, le dirigeant vietnamien aura-t-il pensé à l’horreur de la violence anti-noire déchaînée par les champions de la white supremacy ? En d’autres termes, l’émancipation des Afro-Américains et la conquête par ceux-ci des droits civils et politiques a-t-elle réellement signifié un tournant, ou bien les Etats-Unis continuent-ils en substance à être une Herrenvolk democracy, même si les exclus ne sont plus à rechercher sur le territoire métropolitain mais à l’extérieur de celui-ci, comme par ailleurs on l’a vu longtemps dans le cadre de l’histoire de la « démocratie » européenne ?

42Nous pouvons examiner le problème dans une autre perspective, à partir d’une réflexion de Kant : « Qu’est-ce qu’un monarque absolu ? C’est celui qui, lorsqu’il commande – la guerre doit avoir lieu –, la guerre suit ». Ce ne sont pas les Etats d’Ancien régime qui sont visés ici, mais bien l’Angleterre, qui avait pourtant derrière elle un siècle de développement libéral (Kant 1900,90 note). Du point de vue du grand philosophe, le président des Etats-Unis devrait être considéré comme doublement despote. En premier lieu à cause de l’apparition dans les dernières décennies d’une « imperial presidency » qui met souvent, lorsqu’elle entreprend des actions militaires, le Congrès devant le fait accompli. Mais c’est ici surtout le second aspect qui nous intéresse : la Maison Blanche décide de façon souveraine quand les résolutions de l’ONU sont obligatoires et quand elles ne le sont pas ; elle décide de façon souveraine qui sont les rogue States[4], contre lesquels il est licite d’imposer l’embargo, en affamant un peuple entier, ou bien s’il est licite de déchaîner l’enfer de feu, y compris les projectiles à uranium appauvri et les cluster bombs[5] qui continuent à frapper la population civile bien après la fin du conflit. Toujours de façon souveraine, la Maison Blanche décide l’occupation militaire de ces pays pour tout le temps qui lui paraît nécessaire, condamnant aux travaux forcés à perpétuité ou incarcérant leurs dirigeants et leurs « complices ». Contre eux et contre les « terroristes » il est également licite de recourir au targeted killing[6], ou à un killing tout autre que targeted, par exemple le bombardement d’un restaurant normal où l’on pense que pourrait se trouver Saddam Hussein… Il est clair que les garanties juridiques ne sont pas valables pour les « barbares ». Et même, à bien y regarder et comme le démontre le Patriot Act, la rule of law[7] ne s’applique pas non plus à ceux qui, n’étant pourtant pas des « barbares » au sens étroit du terme, sont toutefois suspectés de faire leur jeu.

43Il est intéressant d’examiner l’histoire qui se trouve derrière l’expression « rogue States ». Il y a longtemps, en Virginie au XVIIe et au XVIIIe siècles, les semi-esclaves, les esclaves à temps et à peau blanche, lorsqu’ils étaient capturés après une fuite à laquelle ils avaient eu recours, étaient marqués par le feu de la lettre R (pour « Rogue »  [8] ) : rendus ainsi reconnaissables, ils n’avaient plus d’issue. Plus tard, le problème de l’identification était définitivement résolu en substituant les esclaves noirs aux semi-esclaves blancs : la couleur de la peau rendait superflue la marque par le feu, le Noir était ainsi synonyme de Rogue. Maintenant, ce sont des Etats entiers qui sont marqués comme « Rogue ». La Herrenvolk democracy a du mal à mourir…

44Mais c’est une vieille histoire. Est nouvelle par contre l’intolérance croissante dont fait preuve Washington à l’égard des « alliés ». Eux aussi sont appelés à s’incliner, sans trop de tergiversations, devant la volonté de la nation élue de Dieu. On comprend bien les perplexités et les réactions négatives que provoque les airs de souverain planétaire du président des Etats-Unis, qui ne se sent ni engagé ni limité par aucun organisme international. Et voici que les idéologues de la guerre crient au scandale, parce que se répand cette maladie terrible qu’est, nous le savons, l’antiaméricanisme. Pour singulière que soit cette réaction, elle n’est pas dépourvue d’analogies historiques. Au milieu du XIXe siècle, dans le Sud des Etats-Unis, le régime esclavagiste est vivant, et bien vivant. Et pourtant se répandent déjà les premiers doutes et les premières inquiétudes : le nombre des esclaves fugitifs augmente. Ce phénomène non seulement alarme mais aussi étonne les idéologues de l’esclavage et de la white supremacy : comment est-il possible que des personnes « normales » se soustraient à une société aussi bien ordonnée, et à la hiérarchie de la nature ? Il doit sans doute s’agir d’une maladie, d’un trouble psychique. Mais de quoi s’agit-il exactement ? En 1851, Samuel Cartwright, chirurgien et psychologue de Louisiane, croit finalement pouvoir trouver une explication qu’il communique à ses lecteurs dans les colonnes d’une revue scientifique connue, le New Orleans Medical and Surgical Journal. Partant du fait que, dans le grec classique, on appelle ??????? l’esclave fugitif, le savant conclut triomphalement que le trouble psychique, la maladie qui pousse les esclaves noirs à s’enfuir est justement la « drapétomanie » (in Eakin 2000). La campagne actuellement en cours contre l’antiaméricanisme a bien des points communs avec la campagne déchaînée il y a plus d’un siècle et demi contre la drapétomanie !

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Notes

  • [1]
    Sur l’eugénique entre les Etats-Unis et l’Allemagne, cf. Kohl, 1994,61 ; le jugement louangeur du président Harding est rapporté en tête de la version française de Stoddard 1925 (Le flot montant des peuples de couleur contre la suprématie mondiale des Blancs, tr. fr. de l’américain par Abel Doysié, Paris, Payot).
  • [2]
    White Anglo-saxon Protestants.
  • [3]
    Voir le témoignage de Felix Kersten, le masseur finlandais de Himmler, au Centre de Documentation Juive contemporaine de Paris (Das Buch von Henry Ford, 22 Décembre, 1940, n. CCX-31 ; sur ce point, cf. Poliakov, 1977, p. 278, et Losurdo 1991b, pp. 83-85).
  • [4]
    Les Etats voyous.
  • [5]
    Les bombes à fragmentation.
  • [6]
    Meurtre ciblé.
  • [7]
    L’Etat de droit.
  • [8]
    Voyou.
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