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Article de revue

Un dialogue franco-allemand sur l’arme nucléaire peut-il aboutir ?

Pages 90 à 102

Notes

  • [1]
    Schlußakte der Londoner-Neun-Mächte-Konferenz, 28.9.-3-10.1954. Cf. Bulletin der Bundesregierung, No. 188, p. 1663-1666 ; cf. également Konrad Adenauer : Erinnerungen 1953-55, p. 344 ; Traité de l’UE0 de 1954 ; traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de 1968 et Traité 2 + 4 de 1990 ; cf. ZEIT-Online, 2017-03.
  • [2]
    Cf. Hans-Peter Schwarz : Adenauer und die Kernwaffen, Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte, Jg. 37, Heft 4, Note 9, p. 572.
  • [3]
    « Participation nucléaire » signifie que des puissances non nucléaires de l’Alliance participent dans le cadre du Groupe des plans nucléaires (NPG) aux discussions sur la stratégie nucléaire de l’OTAN et fournissent des prestations de soutien aux forces nucléaires américaines. Les États-Unis disposent ainsi en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie et en Turquie de dépôts de bombes atomiques qui peuvent être transportés sur leurs objectifs par des avions de combat des puissances alliées.
  • [4]
    Discours du président français sur la stratégie de défense et de dissuasion, Paris, 7.2.2020.
  • [5]
    Cf. interview dans le « Tagesspiegel » berlinois du 3.5.2020 : « Es wird Zeit, daß Deutschland die Stationierung künftig ausschließt ».
  • [6]
    Deutscher Bundestag, Drucksache 17/1159 : Deutschland muß deutliche Zeichen für eine Welt frei von Atomwaffen setzen, 24.3.2010.
  • [7]
    Concept stratégique de l OTAN : « Active Engagement, Modern Defence », Pt. 17, 20.11.2010.
  • [8]
    Les bombes de type B-61-4 sont remplacées par celles de type B-61-12, qui sont plus précises et contiennent des têtes nucléaires de faible puissance (low yield) ; cf. Helmut W. Ganser : Die neue Atomwaffendebatte und die Nato, in : Ringo Wagner/Hans-Joachim Schapian : Die Allianz im Umbruch, FES-Landesbüro Sachsen-Anhalt, p. 102-113.
  • [9]
    Cf. SPIEGEL-Online, 4.5.2020 : « Heiko Maas gegen „deutschen Sonderweg“ bei Atomwaffen. »
  • [10]
    Max Fisher : Fearing U.S. Withdrawal, Europe Considers Ist Own Nucelar Deterrent, NYT, 6.3.2017.
  • [11]
    Tom Enders : Wir müssen über Nuklearwaffen reden, DIE ZEIT No. 11/20, 5.3.2020.
  • [12]
    Discours cité du Président Macron, voir note 4.
  • [13]
    Tom Enders, art. cité.
  • [14]
    Voir note 1.
  • [15]
    Le 5.5.1955 le statut d’occupation de la RFA a été levé, celle-ci est devenue membre de l’OTAN. Auparavant la RFA avait accepté, dans le cadre du traité de l’UEO, les contrôles prévus de ses armements, dont la renonciation aux armes nucléaires.
  • [16]
    Cf. Wolfgang Zank : Adenauers Griff nach der Atombombe, DIE ZEIT No. 31/1996, 26.7.1996.
  • [17]
    Ibidem.
  • [18]
    Cf. Schwarz, op. cit. (note 9).
  • [19]
    Cf. Zank, op. cit.
  • [20]
    Sur les accords franco-germano-italiens des années 1957-58 voir dans les matériaux de la BDIC l’étude de Georges-Henri Soutou https://www.persee.fr/doc/mat_0769-3206_1993_num_31_1_404096.
  • [21]
    Débat de plusieurs jours à propos de deux questions écrites au gouvernement fédéral du groupe parlementaire CDU/CSU (Drucksache 3/238) et de celui du FDP (Drucksache 3/230) au terme duquel la décision a été prise d’équiper la Bundeswehr des « armes les plus modernes ».
  • [22]
    Débat sur la question écrite du groupe parlementaire du SPD sur les armes atomiques en date du 10.5.1957 ; procès-verbal de la 209e du Bundestag.
  • [23]
    Anton-Andreas Guha : Ende – Tagebuch aus dem 3. Weltkrieg, Athenäum-Verlag, 1983.
  • [24]
    Cf. Ganser, op. cit.
  • [25]
    Cf. Neue Zürcher Zeitung : SPD-Spitze will US-Atomwaffen aus Deutschland verbannen, Entretien avec Prof. Dr. Carlo Masala, UniBw Munich, 2.5.2020.
  • [26]
    Cf. « Augen geradeaus ! », 2.5.2020.
  • [27]
    Extraits de « Die Zukunft ist grün. », Grundsatzprogramm von Bündnis 90/die Grünen, programme adopté le 22.11.2020.
  • [28]
    Cf. Süddeutsche Zeitung, 30.11.2020.
  • [29]
    Le Président Emmanuel Macron au Creuset devant des chefs d’entreprise de l’industrie nucléaire civile et militaire, franceinfo, 8.12.2020.
  • [30]
    Discours du président français sur la stratégie de défense et de dissuasion, Paris, 7.2.2020.
  • [31]
    Ibidem.
  • [32]
    Shahin Vallée : A Quick History oft he Nuclear Policy Speeches of French Presidents, in : France and Germany Need a Dialogue on Nuclear Policy, DGAP Commentary No. 7/Mars 2020.
  • [33]
    The Economist : Entretien avec le Président Emmanuel Macron, 7.11.2019 ; disponible sur https://www.economist.com/europe/2019/11/07.
  • [34]
    Nato 2030 : United for a New Era, Analysis and Recommendations of the Reflection Group Appointed by the NATO Secretary General, 25.11.2020.
  • [35]
    Peter Dausend/Michael Thumann : Braucht die EU die Bombe ? ZEIT-Online, 16.2.2017.
  • [36]
    Ibidem.
  • [37]
    Ibidem.
  • [38]
    Cité d après « Rheinischen Post‘ », cité in : Gunnar Kruse : Nukleare Teilhabe – ein Konflikt mit offenem Ausgang, Deutscher Bundeswehrverband, disponible sur www.dbwv.de/aktuelle-themen/blickpunkt/beitrag/nukleare-teilhabe-ein-streit-mit-offenem-Ausgang, 5.5.2020.
  • [39]
    Cité in Hans Monath : Maas verteidigt Atomwaffen in Deutschland, Der Tagesspiegel, 5.5.2020.
    Signé à Paris le 27 mai 1997 par le secrétaire général, les chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance et le président russe, l’Acte fondateur OTAN-Russie a vocation à « créer un cadre d’un nouveau partenariat de sécurité, constituant l’une des étapes de l’édification d’une Europe stable, pacifique et sans division. » (Manuel de l’OTAN, 1999). L’OTAN a suspendu les activités de coopération avec la Russie après la guerre de Géorgie en 2008 ; elle les a reprises en 2009 avant de les suspendre à nouveau en 2014 après l’annexion de la Crimée, sans pour autant se retirer de l’Acte fondateur.
  • [40]
    Art. 4 du traité de coopération et d’intégration franco-allemande d’Aix-la-Chapelle du 22 janvier 2019, disponible sur https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/allemagne/relations-bilaterales/traite-de-cooperation-et-d-integration-franco-allemand-d-aix-la-chapelle/ et www.bundesregierung.de.
  • [41]
    Heinrich Brauß/Christian Mölling : Der Tornado-Komplex – Zielkonflikte und Lösungsoptionen für den neuen deutschen Jagdbomber, DGAP Policy Brief, 3.2.2020.
  • [42]
    Dominic Vogel : Future Combat Air System : Too Big To Fail, SWP-Aktuell, No. 98, Décembre 2020.
  • [43]
    Ibidem.
  • [44]
    Heinrich Brauß/Christian Mölling : Kaufentscheidung Tornado-Nachfolge – Die Deutsche Rolle in der nuklearen Teilhabe der Nato, DGAP Policy Brief No. 1, Janvier 2020.
  • [45]
    Ibidem.

1L’Allemagne et les armes nucléaires, c’est un sujet toxique. Pour l’aborder il faut prendre en compte quatre dimensions : historique et éthique, politique et tactique, géostratégique, enfin industrielle et technologique. Chaque dimension est en soi complexe et comporte des contradictions internes susceptibles d’engendrer une querelle politique. Aussi bien les responsables politiques cherchent-ils à éviter le sujet en particulier quand ces contradictions se manifestent au sein de la coalition gouvernementale ou d’un parti, comme c’est surtout le cas pour le parti social-démocrate. Cela ne peut que créer des difficultés avec une opinion publique majoritairement hostile aux armes nucléaires. Pourtant on trouve un peu partout des déclarations de principe pour ou contre l’arme nucléaire ne serait-ce que pour satisfaire l’obligation de prendre position. C’est aussi que l’on ne peut guère redouter de conséquences vu que ce n’est pas à Berlin que sont prises les décisions sur les armes nucléaires.

2La République fédérale d’Allemagne s’est engagée à renoncer à construire, posséder ou disposer d’armes nucléaires [1], un engagement accepté par une large majorité d’Allemands [2] et qui n’est pas remis en cause par ceux qui sont favorables au principe de la dissuasion nucléaire. Cela ne simplifie pas les choses : il est, en effet, nécessaire de recourir à des artifices politiques et diplomatiques qu’il n’est pas aisé d’expliquer ou de comprendre pour dépasser la contradiction entre renonciation durable de l’Allemagne à posséder l’arme nucléaire et sa participation au « partage nucléaire » au sein de l’OTAN [3].

3Tel est l’arrière-plan de la discussion publique qui a brièvement eu lieu sur les armes nucléaires en Allemagne au début de l’année 2020, un débat qui pourrait avoir à terme son importance bien au-delà de l’événement qui l’a déclenché. Le déclencheur n’a pas tant été la proposition du Président Macron à ses partenaires européens d’engager un dialogue stratégique sur le rôle de la dissuasion nucléaire française pour la sécurité collective de l’Europe [4] que la nécessité pour le ministère fédéral de la Défense de décider quel type d’avion remplacera le chasseur-bombardier qui constitue la flotte aérienne de la Bundeswehr, qui compte actuellement quatre-vingt-treize appareils du type Tornado, un avion produit dans le cadre d’une coopération européenne (sans la France), qui a effectué son premier vol en 1974, a été mis en service par la Bundeswehr en 1980 et doit donc être remplacé à partir de 2025 après avoir servi une cinquantaine d’années. Cette discussion induit celle sur l’armement nucléaire de la Bundeswehr vu que le Tornado est un appareil dit dual (DCA pour Dual capable aircraft) capable de transporter des armes nucléaires américaines. En clair : le Tornado est le système d’armement qui concrétise la participation de l’Allemagne au « partage nucléaire » au sein de l’OTAN. L’appareil qui remplacera ce système devra pouvoir assurer cette mission. C’est ainsi que deux arguments contradictoires s’opposent au sein de l’actuelle coalition gouvernementale ainsi qu’au sein du SPD, ce qui rend difficile une prise de décision.

4Le président du groupe parlementaire social-démocrate au Bundestag, Rolf Mützenich, voudrait profiter de l’occasion pour que l’Allemagne cesse de participer militairement au « partage nucléaire » de l’OTAN [5]. Cela irait dans le même sens que la demande votée le 24 mars 2010 par le Bundestag à une large majorité, adressée au gouvernement fédéral de « veiller expressément, à l’occasion de l’élaboration d’un nouveau concept stratégique de l’OTAN, à ce que les armes nucléaires américaines soient retirées d’Allemagne » [6]. On sait que cette demande adressée au gouvernement fédéral alors déjà dirigé par la chancelière Angela Merkel mais en partenariat avec le parti libéral (Merkel II : 2009-2013) est restée lettre morte. Le gouvernement fédéral a adopté le concept stratégique de l’OTAN qui, dans sa formulation des 19/20 novembre 2010, prévoit que « tant qu’existent des armes nucléaires l’OTAN reste une alliance nucléaire. » [7] Et les 20 bombes atomiques stationnées en Allemagne, portées par les Tornados allemands vont également être échangées contre une version plus moderne [8].

5Le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, également du SPD, s’est empressé de contredire R. Mützenich. Il mettait en garde contre un Sonderweg allemand et craignait que de telles initiatives unilatérales ne minent la confiance mise par ses partenaires dans l’Allemagne comme « étroit partenaire et comme voisin européen », ajoutant qu’« au contraire c’était ainsi qu’on affaiblissait les alliances de l’Allemagne » [9]. Le vice-président du groupe parlementaire chrétien-démocrate, Johannes Wadephul, déclara dans la foulée qu’il n’était pas question de revenir sur la question du partage nucléaire et que celui-ci faisait partie de l’accord de coalition et n’était donc pas négociable. Toutefois, le groupe CDU-CSU a également impulsé des réflexions dans un sens inverse allant plutôt dans le sens de ce que suggérait Paris. En mars 2017, le New York Times s’était fait l’écho d’idées développées par Roderich Kiesewetter, porte-parole pour les affaires étrangères du groupe parlementaire chrétien-démocrate, qui proposaient que l’Allemagne participe à la construction d’une force européenne de dissuasion, fondée de préférence sur les armes nucléaires britanniques et françaises [10]. Si la Grande-Bretagne ne s’y associait pas suite à sa sortie de l’Union européenne, la France pourrait déclarer qu’elle met sa force de dissuasion nucléaire au service d’une défense européenne commune, l’Allemagne participerait à son financement afin d’en souligner le caractère collectif, un commandement commun serait mis en place et un plan de stationnement d’armes nucléaires françaises dans d’autres pays européens serait établi. Tom Enders, l’ancien patron du groupe aéronautique franco-allemand Airbus, estime en début d’année dans un article de presse que Berlin et Paris devraient « s’entretenir sérieusement sur une stratégie nucléaire » et que « l’Allemagne devrait être prête à contribuer au financement des forces nucléaires françaises. » [11] Il se référait à la proposition faite en février 2020 par le Président Macron à ses partenaires européens d’engager un dialogue avec la France sur une capacité européenne de dissuasion nucléaire [12].

6L’Allemagne doit ainsi faire face à un débat sur le thème difficile des armes nucléaires, dont il faut espérer qu’il sera public. Ce devra être en même temps un débat sur la réponse à donner à Emmanuel Macron, mais l’ancien chef d’Airbus redoute que « les politiciens berlinois compétents en la matière préféreraient se cacher sous leurs bureaux plutôt que d’y répondre. » [13]

La dimension historique et éthique

7Le débat en Allemagne sur les armes nucléaires est toxique parce qu’il a une forte dimension éthique et morale qui touche à l’histoire de l’Allemagne. Un pays responsable d’une guerre d’anéantissement en Europe peut-il se permettre de menacer de recourir à l’usage d’armes de destruction massive même s’il s’agît « simplement » dans le pire des cas de se défendre ? Est-ce que le gouvernement d’un pays coupé en deux du temps de la guerre froide, situé à la ligne de front entre deux blocs militaires opposés au sein desquels chaque partie était, chacune de son côté, pleinement intégrée prendre le risque d’être le champ de bataille d’une guerre possiblement nucléaire. Les photographies des dévastations provoquées par le lancement de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945 – les seuls cas de recours à l’arme nucléaire – montrent que la destruction de toute vie y a été totale. Ainsi, la question de savoir si l’on est pour ou contre l’arme nucléaire n’est pas seulement une question de vie ou de mort mais une question morale sur ce qui est le bien et ce qui est le mal.

8Début 1954 la renonciation par le chancelier Konrad Adenauer pour la République ouest-allemande de renoncer à la production d’armes nucléaires n’était rien d’autre que la conséquence logique de la guerre mondiale commencée et perdue par l’Allemagne hitlérienne. La RFA, fondée en 1949, n’était pas encore souveraine, n’avait pas d’armée et continuait d’être soumise aux droits réservés des puissances victorieuses USA, Grande Bretagne et France. Toutefois, après l’échec de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954, la RFA fut admise dans l’alliance de défense de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) qui imposa des limitations à son futur armement et les contrôles afférents [14]. C’est seulement le 5 mai 1955 que la RFA devint souveraine et commença, admise dans l’OTAN, à mettre en place des forces armées [15]. La renonciation à l’arme atomique et l’entière intégration de la nouvelle Bundeswehr dans la structure militaire intégrée de l’OTAN n’étaient pas seulement la condition pour que l’Allemagne démocratique soit admise dans la communauté des nations démocratiques, cela fait quasiment partie de l’ADN des forces armées en Allemagne, de leur identité même.

9Très tôt on relève à vrai dire des tentatives de revenir sur ces limitations. Les motifs étaient de la même nature que ceux que l’on rencontre aujourd’hui dans le cadre du débat sur la souveraineté européenne. En 1956 la confiance que les alliés occidentaux, dont la France et la RFA, mettaient dans les USA fut doublement ébranlée. Lors de la crise de Suez, quand la France et la Grande-Bretagne intervinrent militairement, avec le soutien d’Israël, pour que l’Égypte annule l’étatisation du canal, les États-Unis et l’Union soviétique contrecarrèrent leur ambition. Le résultat en fut que la France souhaita réduire sa dépendance des États-Unis et à en être indépendante dans le développement de l’arme nucléaire [16]. Quant à Adenauer le plan du chef d’état-major américain Radford la même année de retirer d’Europe pour des raisons budgétaires des troupes (800 000) et de défendre celle-ci contre l’Union soviétique au besoin avec des armes nucléaires, l’amena à penser que « la République fédérale avait absolument besoin d’armes nucléaires pour ne plus dépendre des USA. » [17] En octobre 1956 il nomma Franz Josef Strauβ qui était jusqu’alors ministre responsable du nucléaire ministre de la Défense.

10Adenauer qui savait que 67 % des Allemands étaient en RFA opposés à la mise à disposition de la Bundeswehr d’armes atomique chercha à en minimiser l’importance en affirmant lors d’une conférence de presse le 5 avril 1957 que « des armes atomiques tactiques ne représentaient rien d’autre que la continuation de l’artillerie. Nous ne pouvons bien évidemment pas renoncer à ce que nos troupes disposent des armes les plus récentes. » Devant le comité directeur de la CDU il dit ultérieurement : « Croyez-moi, la peur de la bombe atomique est quelque chose d’émotionnel, pour maîtriser cela après que le peuple allemand a dû supporter cette dernière guerre ce sera extrêmement difficile. » [18] Cette déclaration provoqua la réaction de physiciens allemands du nucléaire, les « 18 de Göttingen » dont les lauréats du prix Nobel Otto Hahn, Max Born, Max von Laue et Werner Heisenberg, qui exprimèrent dans une déclaration publique leur crainte d’un armement atomique de la Bundeswehr. Cela provoqua de violentes réactions dans l’opinion publique. Les élections au Bundestag étaient prévues en septembre 1957.

11Peu après la victoire de la CDU qui obtint pour la première et pour l’instant unique fois la majorité absolue au parlement fédéral, le chancelier Adenauer reçut dans sa maison de Rhöndorf la visite très discrète de Maurice Faure, secrétaire d’État aux Affaires étrangères [19]. S’y trouvaient déjà, ce 16 novembre 1957, l’ambassadeur de France à Bonn, Maurice Couve de Murville, le ministre allemand des affaires étrangères Heinrich von Brentano et le secrétaire d’État Walter Hallstein. Le président du Conseil Félix Gaillard avait envoyé Faure s’entretenir avec les Allemands des récents développements politiques à Moscou (lancement du premier satellite dans l’espace Spoutnik). La rencontre tourna autour du souci commun à la France et à l’Allemagne que les États-Unis pourraient vaciller face à l’Union soviétique, l’Europe (vu les expériences faites en 1956) devait donc « à l’avenir compter davantage sur elle-même ». Il s’agissait de construire ensemble des armes atomiques, les Italiens étaient prêts à s’investir. La France qui avait déjà décidé de construire sa propre bombe atomique ne pouvait, comme les Britanniques, compter sur l’aide technologique américaine ; elle avait besoin de partenaires pour réaliser sa propre production [20].

12Dès le 18 janvier 1957, le nouveau ministre allemand de la Défense, F. J. Strauβ et son homologue français Jacques Chaban-Delmas s’étaient rencontrés dans le désert algérien à Colomb-Béchar où ils avaient signé un accord-cadre sur des projets communs en matière de fusées et de technique nucléaire. À Rhöndorf Faure propose de commencer avec la construction de la bombe. Trois jours plus tard Strauβ et Chaban-Delmas conviennent que Bonn participe à un « Institut européen de balistique ». Un accord secret portant sur la concrétisation de ces plans suit en janvier 1958. Mais le gouvernement français tombe dans le contexte des troubles insurrectionnels qui se produisent en Algérie. Le Général de Gaulle arrive le 1er juillet 1958 à la tête du gouvernement français et met alors fin aux accords avec la RFA et l’Italie. C’est ainsi que s’acheva la première tentative de la France et de l’Allemagne de mettre en place une force nucléaire européenne. De Gaulle a imposé l’idée que seule la France ainsi sanctuarisée bénéficiait de la protection de la force nucléaire française. Adenauer a pourtant progressé pour équiper la Bundeswehr d’armes atomiques. Il avait mené en parallèle des discussions avec les États-Unis et obtenu, en avril 1957, leur accord de principe sur un « partage nucléaire » dans le cadre de l’OTAN et sur le stationnement d’armes atomiques en Allemagne. Le 25 mars 1958, le Bundestag décida d’équiper la Bundeswehr d’armes atomiques qui, à vrai dire, restaient la propriété des Américains [21].

13Le débat allemand sur les armes nucléaires était marqué par les réflexions du gouvernement fédéral sous Konrad Adenauer qui, au départ, accepte de son plein gré les limitations imposées à l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale et majoritairement approuvées par a population puis cherche à les discréditer comme « discriminatoires » pour mieux les surmonter. Cette attitude des gouvernants allemands, qui louvoient entre coopération avec la France et dépendance des États-Unis, a contribué à faire naître au début de l’année 1958 au sein du SPD et des syndicats le mouvement « contre la mort atomique » (Kampf dem Atomtod) qui ne manqua pas d’appuis dans l’opinion publique. Fritz Erler, député social-démocrate, disait l’essentiel de l’argumentation du mouvement quand il déclarait le 10 mai 1957 devant le Bundestag : « Que veut-on défendre avec les armes atomiques quand les mêmes armes font qu’il n’y a plus rien à défendre ? » [22]

14Vingt-cinq ans plus tard, en plein débat sur le stationnement de nouvelles fusées à moyenne portée en Allemagne de l’Ouest, la prise de position suivante fait écho à cette appréciation : « En raison de la totalité des armes nucléaires les responsables pour les questions de sécurité ne peuvent se permettre aucune erreur, aucune panne, aucune conclusion erronée ; la politique de sécurité doit fonctionner à cent pour cent. Et cela personne ne peut le garantir. » [23] Pendant la guerre froide les puissances nucléaires détenaient à peu près 70 000 têtes nucléaires dont 7 000 environ en Allemagne jusqu’à ce qu’elles commencent dans les années 1990 à en réduire considérablement le nombre. Il en existe aujourd’hui encore 14 000 dans les arsenaux des puissances nucléaires qui sont désormais au nombre de neuf. 90 % sont aux mains des forces armées russes et américaines. « L’emploi ne serait-ce que d’une infime proportion de toutes ces armes ne détruirait pas seulement des millions de vies humaines et ne dévasterait pas seulement d’une façon qu’on a du mal à imaginer les régions attaquées, cela entraînerait également une catastrophe écologique. Un hiver nucléaire qui durerait des années provoquerait encore l’effondrement de l’approvisionnement de la population du monde. » [24] Cette appréciation catastrophique des choses détermine aujourd’hui encore le débat sur le nucléaire en Allemagne.

15Le débat est fondamental et moral : vu son passé, l’Allemagne a-t-elle le droit de disposer de la bombe atomique ? Ou bien est-elle, au contraire, appelée à participer à la dissuasion nucléaire pour être reconnue comme un allié à part entière ? Et que se passe-t-il si la dissuasion nucléaire ne fonctionne pas ? Peut-on dès lors prendre la responsabilité d’une guerre nucléaire en Europe dont on connaît les conséquences potentiellement catastrophiques pour l’humanité et particulièrement pour l’Allemagne ?

La dimension politique et tactique

16Ce débat fondamental sur l’arme atomique a été suivi de conséquences politiques. Fin des années 1970 – début des années 1980 naquit en RFA le parti Die Grünen (les Verts) à partir du mouvement antinucléaire pour la protection de l’environnement (Non à l’énergie nucléaire civile comme source d’énergie : Atomkraft – nein danke) et du mouvement pacifiste (refus du nucléaire militaire entraînant le refus de voir stationner de nouvelles fusées américaines à têtes nucléaires en Europe). Le parti a des députés au Bundestag depuis 1983. De 1998 à 2005 le ministre des Affaires étrangères, Joschka Fischer, était issu de leurs rangs. Passé 15 ans dans l’opposition ils constituent désormais en Allemagne la deuxième force politique et s’apprêtent à gouverner à nouveau à l’issue des élections fédérales de septembre 2021, et pourquoi pas avec la CDU d’Angela Merkel et même sans Angela Merkel qui n’est plus candidate à la chancellerie. Mieux encore, il n’apparaît pas inimaginable qu’une personnalité issue des Verts puisse devenir chancelier/ère. Les Verts représentent aujourd’hui indéniablement un levier essentiel pour accéder au pouvoir.

17C’est sur cet arrière-plan politique et tactique qu’il faut voir le nouveau débat sur le « partage nucléaire » de l’Allemagne et la contribution militaire qui va avec. C’est une question de pouvoir comme toujours en politique, aussi de convictions qui induisent une plus ou moins grande adhésion de la part de l’opinion, mais c’est avant tout une question de pouvoir.

18Le 26 septembre 2021 ont lieu les élections fédérales, Angela Merkel, après seize ans d’exercice du pouvoir, n’est plus candidate. On ne sait pas encore qui sera le candidat de la CDU à la chancellerie. Son partenaire au sein de la coalition gouvernementale, le SPD, le plus vieux parti d’Allemagne, tourne autour de 15 % dans tous les sondages d’opinion, soit 5 % de moins qu’aux élections de 2017 quand il avait réalisé son moins bon score depuis 1949. Les jeux sont ouverts. Le SPD se préparerait déjà pour l’après Merkel, il envisagerait, selon le politologue Carlo Masala, professeur à l’Université de la Bundeswehr à Munich, commentant les déclarations du chef du groupe parlementaire SPD au Bundestag, R. Mützenich, une coalition avec les Verts et le parti Die Linke (La Gauche) [25]. Les deux partis sont opposés au stationnement d’armes atomiques sur le sol allemand, le SPD entre-temps est quasiment unanimement opposé au « partage nucléaire ». Dans son entretien avec le Tagesspiegel (« Les armes nucléaires sur le sol allemand n’augmentent pas notre sécurité ») Mützenich souhaite rendre à son parti l’aura d’un « parti pour la paix » afin de se préparer à une telle coalition avec les Verts et Die Linke. Le co-chef du parti, Norbert Walter-Borjans, est « clairement opposé au stationnement, à la mise à disposition d’armes nucléaires et bien évidemment à leur usage. » [26] Cette tactique ouvre-t-elle au SPD la perspective d’accéder à la chancellerie ? Il n’y a rien de moins sûr. Son candidat à la chancellerie, l’actuel vice-chancelier Olaf Scholz ne partage en tous cas pas cette position. Quant au ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, il a pris publiquement position contre (voir plus haut). Le sujet s’inscrit certes dans l’histoire du SPD et renoue avec la lutte contre la mort atomique, mais ce n’est qu’une partie de son histoire. L’autre histoire est représentée par les différents ministres SPD de la Défense qu’a eus la RFA, en premier Helmut Schmidt, qui n’ont, eux, jamais cessé d’accepter le « partage nucléaire » dans le cadre de l’OTAN. En outre ce n’est pas un sujet central susceptible de captiver les électeurs.

19La question des armes nucléaires pourrait fort bien être, par ailleurs, source de difficultés entre CDU/CSU et Verts dans le cadre d’une éventuelle coalition gouvernementale. Dans le nouveau programme des Verts adopté en novembre 2020 s’exprime un profond scepticisme à l’égard des USA, scepticisme que ne partage certainement pas le parti d’A. Merkel. On y lit : « Les plans de réarmement des USA visent à établir une hégémonie militaire globale. La conséquence n’en est pas plus de sécurité, c’est une façon de promouvoir les conflits et la violence dans le monde » [27]. Il conviendrait de continuer à réduire le potentiel militaire et le lien transatlantique ne [devrait] pas se limiter à la coopération militaire au sein de l’OTAN. Par ailleurs la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne devrait comprendre autre chose que la « traditionnelle politique de sécurité ». Mais surtout, « l’identité de la sécurité de l’UE ne devrait pas être fondée sur les potentiels existants de l’arsenal nucléaire. » Enfin : « Nous voulons un monde sans armes de destruction massive car leur emploi ne peut en rien et quelle que soit la situation se justifier d’un point de vue éthique et politique. »

20Les lignes de conflits entre Verts et chrétiens-démocrates se dessinent ainsi au sein d’une éventuelle coalition noire-verte. S’ils peuvent l’être, ces conflits ne pourront qu’être difficilement surmontés. Ils portent sur l’OTAN et la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne ainsi que sur la dissuasion nucléaire. Certes les Verts ont à l’époque où Joschka Fischer était ministre des Affaires étrangères accepté la « participation nucléaire », même si ce fut en serrant les dents. Quant à Annalena Baerbock, actuelle co-présidente du parti, il lui est arrivé dans un entretien avec la Süddeutsche Zeitung de réclamer plus de moyens pour la Bundeswehr afin que celle-ci « dispose d’armes qui marchent » [28]. Pourtant, dans le cas d’une participation des Verts au gouvernement, de nombreuses questions se poseraient pour les amis, voisins et partenaires de l’Allemagne au vu des positions de principe que ceux-ci défendent.

La dimension géostratégique

21La dimension géostratégique du débat sur les armes atomiques en découle également. En effet, la position des Verts sur l’identité de sécurité de l’Union européenne qui ne pourrait pas se fonder sur les potentiels nucléaires existants est en complète contradiction avec celle du président français qui, le 8 décembre 2020 encore, a répété que « le nucléaire restera la pierre angulaire de notre autonomie stratégique. » [29] Les Verts allemands qui cherchent à définir « un ordre de paix et de sécurité pour l’ensemble de l’Europe » dans lequel l’Union européenne, donc également la France, doit jouer un rôle essentiel, auront donc un problème sacrément difficile à régler. Leur vision d’une politique étrangère et de sécurité commune est fort différente de celle que poursuit son éventuel partenaire chrétien-démocrate au gouvernement et plus encore de ce que vise Emmanuel Macron. Le partenaire allemand du dialogue stratégique sur les armes nucléaires souhaité par la France risque d’être incapable de mener un tel dialogue.

22Et pourtant il serait important de mener un tel dialogue stratégique. Ce n’est pas un hasard si la proposition d’E. Macron a été formulée dans le discours fondamental sur « la stratégie de défense et de dissuasion » qu’il a tenu le 7 février 2020 à Paris à l’École de Guerre [30]. Ses propos s’inscrivent dans une analyse complète de la situation internationale début 2020, caractérisée par des transformations géostratégiques profondes, par une « nouvelle hiérarchie des puissances », la compétition globale entre les USA et la Chine avec toutes les conséquences qui en résultent pour la stabilité stratégique de l’Europe. Il compte parmi ces éléments la « déconstruction des normes internationales » qui remettent en cause l’architecture de sécurité en Europe. La fin en 2019 du traité FNI sur les forces nucléaires à portée intermédiaire en est le symbole, aussi les Européens doivent-ils collectivement prendre conscience du fait qu’ils pourraient très vite être exposés à une nouvelle course aux armements sur leur sol. « Ils ne peuvent pas, déclare E. Macron, se cantonner à un rôle de spectateurs. Redevenir le terrain de la confrontation des puissances nucléaires non européennes ne serait pas acceptable. »

23Le débat sur le nucléaire fait donc partie du tableau d’ensemble de la problématique de sécurité internationale : la nouvelle compétition entre les grandes puissances, y compris le fait qu’elles sont au besoin susceptibles de recourir à des moyens militaires pour en tirer des avantages ; l’augmentation du nombre d’États disposant d’armes nucléaires ou cherchant à s’en procurer ou d’autres à les en empêcher par la force ; la propension en Russie et aux USA de moderniser leurs gigantesques arsenaux nucléaires pour les maintenir opérationnels. Ce faisant il y a des doctrines nucléaires qui déterminent si et si oui comment et dans quel but il est possible de recourir aux armes nucléaires. Dans un tel contexte il apparaît complètement inapproprié que du côté allemand on se contente de dire « sans nous ».

24Tels sont les enjeux du dialogue stratégique auquel Paris invite l’Allemagne comme les partenaires européens qui y sont prêts pour discuter du « rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective. » [31] Mais là aussi, comme à toutes les initiatives stratégiques de Paris, la réponse se fait attendre. Il y a déjà eu dans le passé entre la France et l’Allemagne des tentatives de traiter cette question de la stratégie nucléaire mais ce fut en vain. En 1994, un an avant la fin de son deuxième mandat, le Président F. Mitterrand a dévoilé pour la première fois le nombre, jusqu’alors resté top secret, de têtes nucléaires dont disposait la France. À cette occasion il proposa à ses partenaires européens de discuter d’une éventuelle extension à l’Europe des « intérêts vitaux de la France », sans, à vrai dire, fournir davantage de précisions [32]. La réaction allemande fut réservée. C’est seulement en 1993 que les dernières fusées Pluton sol-sol venaient d’être démantelées qui, avec une portée de 120 km, ne pouvaient atteindre, même à partir de la zone la plus à l’est de la France, que le territoire allemand. Leur remplacement par des fusées Hadès d’une portée de 480 km avait provoqué de fortes résistances dans l’Allemagne du sud-ouest, le projet avait été abandonné en 1991. La France avait tenu compte des craintes que le territoire allemand puisse devenir un champ de bataille pour des armes atomiques françaises. Mais au-delà de cette question, le sujet ne rencontra pas un plus grand intérêt.

25Quand en 1995 le Premier ministre Alain Juppé proposa à l’Allemagne de discuter d’une « dissuasion nucléaire concertée » et de placer la reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique dans le cadre d’une européisation de la dissuasion nucléaire on y vit davantage une manœuvre de diversion face à une opération qui ne pouvait provoquer en Allemagne que du mécontentement qu’une proposition sérieuse. Les Présidents Sarkozy, en 2008, et Hollande, en 2015, ont, eux aussi, évoqué la dimension européenne de la force française de dissuasion mais sans jamais entrer dans le détail. L’initiative d’E. Macron s’inscrit donc à la suite de vingt-cinq années de tentatives de placer la force de frappe française, qui reste relativement modeste, dans le contexte européen sans jamais, toutefois, renoncer au droit de la France à décider seule de son emploi.

26Cela reste un sujet de conflit même pour les tenants d’une étroite coopération franco-allemande. Le droit du seul président américain de disposer des armes nucléaires américaines même quand celles-ci sont transportées par des avions allemands n’a jamais été remis en cause. Mais pour la France ? C’est pour cela que Roderich Kiesewetter (voir plus haut) parle de créer un commandement commun et de stationner des armes nucléaires dans d’autres pays d’Europe quand il propose de « construire une force européenne de dissuasion à partir des forces nucléaires française (et britanniques) ». Dès lors il ne s’agit plus seulement de définir le rôle de cette force européenne de dissuasion qu’il est déjà difficile de définir indépendamment des USA et de « l’alliance nucléaire » que constitue l’OTAN mais de la question de savoir si l’Allemagne pourrait dans ce contexte enfin (?) parler sur un pied d’égalité avec la France.

27L’Allemagne avait déjà cherché à se trouver sur un pied d’égalité en matière de dissuasion nucléaire quand elle avait, ensemble avec les 5 membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (P 5), toutes puissances nucléaires, négocié l’accord qui devait empêcher l’Iran de développer des armes nucléaires. L’Allemagne est fortement intéressée à jouer un rôle actif dans les débats sur l’accès à l’arme nucléaire. D’autant plus que dans le cas de l’Iran, il s’agit d’une région au potentiel de conflits important où risquent de se disséminer des armes atomiques dans le voisinage immédiat de l’Europe. La formule P 5 + 1 serait la formule magique qui permettrait à l’Allemagne d’améliorer son statut international et en même temps de faire le bien en empêchant la prolifération d’armes nucléaires.

28Mais l’histoire de ce traité révèle aussi quel est le réel rapport de forces dans le monde. Elle boucle le cercle des réflexions du président français. Le président américain d’alors, Donald Trump, a pu se permettre de retirer les États-Unis de ce traité signé par son prédécesseur et de le faire contre l’avis exprès de ses alliés et cosignataires, minant ainsi la confiance des Européens dans le respect par les États-Unis des traités. D. Trump avait déjà semé le doute en déclarant « l’OTAN obsolète » alors que son premier ministre de la Défense, James Mattis, en avait fait le « fondement » des relations transatlantiques, y compris le parapluie nucléaire américain.

29Ces doutes sur l’avenir de l’alliance atlantique que Macron a pour sa part également déclarée en décembre 2019 en des termes drastiques en état de « mort cérébrale » [33] ont conduit un groupe de réflexion sur une nouvelle orientation de l’OTAN à faire des propositions [34] en un temps où les forces russes simulent lors de manœuvres des attaques avec des fusées à courte portée et des missiles de croisière « capables de transporter des têtes nucléaires » comme l’indique Jacek Durkalec de l’Institut polonais des relations internationales [35]. Des fusées du type « Iskander » sont stationnées dans la région de Kaliningrad, à 300 km de Varsovie. La doctrine russe valable depuis 2013 prévoit le recours à l’arme nucléaire non pas seulement en cas d’attaque nucléaire contre la Russie mais dès qu’une guerre conventionnelle représente une menace existentielle pour le pays [36]. Aussi bien le chef du parti polonais au pouvoir (PiS), Jarosław Kaczyński, a-t-il demandé à l’Union européenne de devenir une « superpuissance nucléaire » afin de compenser l’arsenal russe par une force européenne de dissuasion [37].

30Le débat sur le nucléaire répond donc également à une analyse concrète des dangers, du moins telle qu’une partie des alliés de l’OTAN et des membres de l’Union européenne la fait. On en revient au rôle des Tornados allemands dans le cadre du « partage nucléaire » de l’Allemagne au sein de l’OTAN ou de son retrait de cette fonction. Pour le président de la Conférence de Munich sur la sécurité, Wolfgang Ischinger, « une sortie unilatérale du nucléaire signifierait un abandon de la dissuasion et de la défense et serait massivement nuisible à l’Alliance, en particulier pour les partenaires orientaux de l’OTAN et de l’UE. » [38] Selon lui, la Pologne serait alors « contrainte et forcée de s’en remettre exclusivement aux USA » si bien que pour l’Allemagne la question se poserait de savoir « si éventuellement davantage de forces américaines, peut-être même des armes nucléaires, seraient stationnées en Pologne à la place de l’Allemagne, en violation du côté occidental de l’Acte fondateur OTAN-Russie de 1997, définissant les relations de l’OTAN avec la Russie. » [39] De fait, l’équilibre stratégique ne serait pas compromis si la vingtaine de bombes atomiques stationnées à Büchel en Allemagne était retirée. La Pologne serait alors un des premiers pays à proposer aux États-Unis d’installer chez elle un nouveau site, ce qui serait contraire à l’Acte fondateur OTAN-Russie et lui porterait un coup mortel. Les conséquences d’un tel déplacement doivent donc être intégrées impérativement dans le dialogue géostratégique sur le nucléaire.

La dimension industrielle et technologique

31En matière d’armes nucléaire il y a également de la dimension de haute technologie dans les industries d’armement. L’Allemagne est, à n’en pas douter, bien positionnée en matière de hautes technologies y compris dans les industries d’armement. De multiples coopérations bi- et multilatérales, en particulier avec la France, en sont la preuve. Mais dans le domaine nucléaire, en particulier en cas d’européisation des capacités de dissuasion nucléaire, se posent des problèmes spécifiques. La situation actuelle est relativement simple. L’armement nucléaire de la Bundeswehr consiste en des bombes américaines, qui sont et restent en la possession des États-Unis, ont été développées, testées et produites par eux et dont la maintenance dépend d’eux. Ce sont également les États-Unis qui certifient la double capacité DCA (voir plus haut Dual capable aircraft) des avions Tornados. La Bundeswehr a pour simple mission de fournir les avions et la logistique qui en dépend ainsi que les pilotes dont la formation est faite aux États-Unis.

32Le choix de l’appareil qui remplacera les Tornades avec cette double capacité ne soulève pas seulement des questions politiques et militaires mais pose celle du renforcement d’une industrie européenne de l’armement et des technologies afférentes, qui doit être, conformément aux représentations qu’on en a en France, la base d’une autonomie stratégique européenne. Cela fait d’ailleurs partie du Traité d’Aix-la-Chapelle du 22 janvier 2019 dans lequel l’Allemagne et la France disent vouloir approfondir leur coopération [40]. L’appareil qui remplacera le Tornado devra être disponible à partir de 2025, c’est trop tôt pour avoir le temps de mettre au point un nouveau modèle, comme par exemple dans le cas du projet franco-allemand SCAF de l’avion de combat du futur (6e génération), prévu dans la planification de la Bundeswehr, si les délais sont tenus, seulement à partir de 2040. La question de la double capacité du SCAF, à savoir le transport de têtes nucléaires, n’a pas encore été, soit dit en passant, abordée au niveau bilatéral [41], ce qui poserait la question de l’armement des appareils allemands : armement français avec des missiles air-sol de moyenne portée ASMP comme prévu pour les appareils français ? [42] Mais cela serait-il compatible avec la « participation (allemande) nucléaire » au sein de l’OTAN ? Ou bien s’il fallait des armes américaines, leur certification DCA par les États-Unis pour un appareil franco-allemand serait-elle seulement imaginable ? [43]

33La ministre fédérale de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, favorise une solution intermédiaire (jusqu’à la mise en service du SCAF ?) qui consisterait à acquérir 45 appareils F-18 de Boeing, un système de la 4e génération comme l’Eurofighter dont Boeing assurerait d’ici 2025 la conversion pour ses missions nucléaires et qui pourrait être ainsi certifié. Une conversion et certification de l’Eurofighter seraient sans doute également possibles mais prendraient plus de temps parce que tous les partenaires de l’Eurofighter devraient donner leur accord [44]. Par ailleurs, cette possibilité apparaît peu vraisemblable vu que ceux-ci ont déjà opté en faveur de l’acquisition du système américain plus moderne de la 5e génération, le F-35, capable de porter des armes atomiques tactiques. Des conseillers de la ministre de la Défense s’étaient également prononcés en faveur de cette solution [45]. Mais celle-ci ne les a pas suivis., ce qui est assez remarquable vu que les autres alliés européens impliqués dans la « participation nucléaire au sein de l’OTAN », sept au total, ont fait ce choix. Cela veut dire que le F-35 serait l’appareil de combat de référence au sein de l’OTAN et que le modèle qui succédera au Tornado devra être compatible avec lui.

34Si la ministre fédérale de la Défense a voulu laisser ouverte la question des missions nucléaires du SCAF allemand, les problèmes industriels et technologiques posés ne pourront trouver de solution que plus tard. Mais la même question ne cessera de se poser de façon de plus en plus insistante au fur et à mesure du développement du SCAF : de quelle façon l’Allemagne participera-t-elle à la dissuasion nucléaire de l’Europe ? Est-ce que ce sera encore exclusivement dans le cadre de la dissuasion élargie que procure le parapluie américain ? Ou bien une option européenne saura-t-elle s’imposer ?

Conclusion

35Il est vraisemblable que le débat sur l’arme nucléaire en Allemagne se révèle être la partie la plus compliquée de la discussion sur une autonomie stratégique de l’Europe même si ce débat, quand il a lieu, n’est mené qu’en petits comités. Ceux qui cherchent à mener le débat en public sont ceux qui rejettent par principe totalement l’arme nucléaire. Les responsables politiques qui portent le projet de la participation nucléaire de l’Allemagne à la dissuasion nucléaire en Europe cherchent au contraire à éviter un débat public.

36Si le dialogue est aussi difficile, cela tient aux raisons historiques et morales évoquées précédemment, qui au fond n’autorisent pas de compromission. Il est toutefois possible de jeter un pont entre rejet de principe et pratique de la « participation nucléaire » si on envisage celle-ci comme le résultat de la renonciation historique unilatérale de l’Allemagne à posséder en propre des armes atomiques et prend en compte l’intégration de ses forces armées dans la structure militaire de l’OTAN qui implique des capacités de dissuasion nucléaire. On peut ainsi expliquer la « participation nucléaire » de l’Allemagne comme la conséquence de son adhésion à l’OTAN avec sa position jusqu’en 1990 sur la « ligne de front » de l’Alliance sans y voir un acte de souveraineté pour lequel une autre forme de justification serait nécessaire. Que le gouvernement fédéral ait activement œuvré à créer cette situation dans les dernières années de la décennie 1950 fait qu’aujourd’hui encore la position allemande sur la question de la dissuasion nucléaire apparaît équivoque.

37À cela s’ajoute le fait que la participation nucléaire de l’Allemagne au sein de l’OTAN remonte à une période pendant laquelle celle-ci, en tant qu’État situé à la ligne de front de l’Alliance, voyait avant tout sa sécurité garantie face à une potentielle agression de l’Union soviétique par le parapluie nucléaire de l’OTAN, ce faisant des États-Unis. Depuis la fin de la guerre froide et la disparition de l’Union soviétique de nombreux Allemands estiment qu’il est difficile de justifier de façon crédible la dissuasion nucléaire. L’Allemagne ne se sent plus menacée.

38Ce qui fait défaut c’est un débat mené sérieusement en Allemagne sur les changements qui se sont opérés depuis dans la situation géostratégique de l’Europe et de l’Allemagne et sur les conséquences à en tirer. Il n’est pas de ce fait surprenant que l’OTAN cherche aujourd’hui encore une nouvelle orientation que ne réclame pas seulement le président français – même si le groupe de réflexion évoqué dans ces lignes fait aujourd’hui des propositions pour engager la réforme et développer un nouveau concept stratégique. L’incapacité à formuler une politique européenne efficace et convaincante de sécurité et de défense vient de toutes ces transformations qui continuent de se faire et engendrent des divergences d’intérêts, comme ce n’était pas le cas avant 1990.

39Ce sont ces incertitudes de la situation internationale qui ont fait l’objet des propos tenus par le Président Macron en février 2020 et à l’occasion desquels il a proposé d’entamer un dialogue stratégique sur le nucléaire. Il est urgent de repenser le principe de la dissuasion nucléaire, sa fonction, ses instruments dans le contexte de cette nouvelle situation pour faire en sorte, entre autres, que de nouvelles puissances nucléaires soient incluses en régimes de contrôle du désarmement. Il apparaît nécessaire de se concentrer sur la nécessité de créer les conditions-cadres d’une coopération entre les puissances concernées et de discuter des doctrines sur l’usage et la disposition des armes nucléaires. Si la France veut aborder ces questions sous l’angle d’une souveraineté européenne à définir, l’Allemagne doit apporter sa contribution au dialogue, un dialogue stratégique qui inclut le nucléaire aussi ardu le sujet soit-il en Allemagne.


Date de mise en ligne : 05/03/2021

https://doi.org/10.3917/all.235.0090

Notes

  • [1]
    Schlußakte der Londoner-Neun-Mächte-Konferenz, 28.9.-3-10.1954. Cf. Bulletin der Bundesregierung, No. 188, p. 1663-1666 ; cf. également Konrad Adenauer : Erinnerungen 1953-55, p. 344 ; Traité de l’UE0 de 1954 ; traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de 1968 et Traité 2 + 4 de 1990 ; cf. ZEIT-Online, 2017-03.
  • [2]
    Cf. Hans-Peter Schwarz : Adenauer und die Kernwaffen, Vierteljahreshefte für Zeitgeschichte, Jg. 37, Heft 4, Note 9, p. 572.
  • [3]
    « Participation nucléaire » signifie que des puissances non nucléaires de l’Alliance participent dans le cadre du Groupe des plans nucléaires (NPG) aux discussions sur la stratégie nucléaire de l’OTAN et fournissent des prestations de soutien aux forces nucléaires américaines. Les États-Unis disposent ainsi en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie et en Turquie de dépôts de bombes atomiques qui peuvent être transportés sur leurs objectifs par des avions de combat des puissances alliées.
  • [4]
    Discours du président français sur la stratégie de défense et de dissuasion, Paris, 7.2.2020.
  • [5]
    Cf. interview dans le « Tagesspiegel » berlinois du 3.5.2020 : « Es wird Zeit, daß Deutschland die Stationierung künftig ausschließt ».
  • [6]
    Deutscher Bundestag, Drucksache 17/1159 : Deutschland muß deutliche Zeichen für eine Welt frei von Atomwaffen setzen, 24.3.2010.
  • [7]
    Concept stratégique de l OTAN : « Active Engagement, Modern Defence », Pt. 17, 20.11.2010.
  • [8]
    Les bombes de type B-61-4 sont remplacées par celles de type B-61-12, qui sont plus précises et contiennent des têtes nucléaires de faible puissance (low yield) ; cf. Helmut W. Ganser : Die neue Atomwaffendebatte und die Nato, in : Ringo Wagner/Hans-Joachim Schapian : Die Allianz im Umbruch, FES-Landesbüro Sachsen-Anhalt, p. 102-113.
  • [9]
    Cf. SPIEGEL-Online, 4.5.2020 : « Heiko Maas gegen „deutschen Sonderweg“ bei Atomwaffen. »
  • [10]
    Max Fisher : Fearing U.S. Withdrawal, Europe Considers Ist Own Nucelar Deterrent, NYT, 6.3.2017.
  • [11]
    Tom Enders : Wir müssen über Nuklearwaffen reden, DIE ZEIT No. 11/20, 5.3.2020.
  • [12]
    Discours cité du Président Macron, voir note 4.
  • [13]
    Tom Enders, art. cité.
  • [14]
    Voir note 1.
  • [15]
    Le 5.5.1955 le statut d’occupation de la RFA a été levé, celle-ci est devenue membre de l’OTAN. Auparavant la RFA avait accepté, dans le cadre du traité de l’UEO, les contrôles prévus de ses armements, dont la renonciation aux armes nucléaires.
  • [16]
    Cf. Wolfgang Zank : Adenauers Griff nach der Atombombe, DIE ZEIT No. 31/1996, 26.7.1996.
  • [17]
    Ibidem.
  • [18]
    Cf. Schwarz, op. cit. (note 9).
  • [19]
    Cf. Zank, op. cit.
  • [20]
    Sur les accords franco-germano-italiens des années 1957-58 voir dans les matériaux de la BDIC l’étude de Georges-Henri Soutou https://www.persee.fr/doc/mat_0769-3206_1993_num_31_1_404096.
  • [21]
    Débat de plusieurs jours à propos de deux questions écrites au gouvernement fédéral du groupe parlementaire CDU/CSU (Drucksache 3/238) et de celui du FDP (Drucksache 3/230) au terme duquel la décision a été prise d’équiper la Bundeswehr des « armes les plus modernes ».
  • [22]
    Débat sur la question écrite du groupe parlementaire du SPD sur les armes atomiques en date du 10.5.1957 ; procès-verbal de la 209e du Bundestag.
  • [23]
    Anton-Andreas Guha : Ende – Tagebuch aus dem 3. Weltkrieg, Athenäum-Verlag, 1983.
  • [24]
    Cf. Ganser, op. cit.
  • [25]
    Cf. Neue Zürcher Zeitung : SPD-Spitze will US-Atomwaffen aus Deutschland verbannen, Entretien avec Prof. Dr. Carlo Masala, UniBw Munich, 2.5.2020.
  • [26]
    Cf. « Augen geradeaus ! », 2.5.2020.
  • [27]
    Extraits de « Die Zukunft ist grün. », Grundsatzprogramm von Bündnis 90/die Grünen, programme adopté le 22.11.2020.
  • [28]
    Cf. Süddeutsche Zeitung, 30.11.2020.
  • [29]
    Le Président Emmanuel Macron au Creuset devant des chefs d’entreprise de l’industrie nucléaire civile et militaire, franceinfo, 8.12.2020.
  • [30]
    Discours du président français sur la stratégie de défense et de dissuasion, Paris, 7.2.2020.
  • [31]
    Ibidem.
  • [32]
    Shahin Vallée : A Quick History oft he Nuclear Policy Speeches of French Presidents, in : France and Germany Need a Dialogue on Nuclear Policy, DGAP Commentary No. 7/Mars 2020.
  • [33]
    The Economist : Entretien avec le Président Emmanuel Macron, 7.11.2019 ; disponible sur https://www.economist.com/europe/2019/11/07.
  • [34]
    Nato 2030 : United for a New Era, Analysis and Recommendations of the Reflection Group Appointed by the NATO Secretary General, 25.11.2020.
  • [35]
    Peter Dausend/Michael Thumann : Braucht die EU die Bombe ? ZEIT-Online, 16.2.2017.
  • [36]
    Ibidem.
  • [37]
    Ibidem.
  • [38]
    Cité d après « Rheinischen Post‘ », cité in : Gunnar Kruse : Nukleare Teilhabe – ein Konflikt mit offenem Ausgang, Deutscher Bundeswehrverband, disponible sur www.dbwv.de/aktuelle-themen/blickpunkt/beitrag/nukleare-teilhabe-ein-streit-mit-offenem-Ausgang, 5.5.2020.
  • [39]
    Cité in Hans Monath : Maas verteidigt Atomwaffen in Deutschland, Der Tagesspiegel, 5.5.2020.
    Signé à Paris le 27 mai 1997 par le secrétaire général, les chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance et le président russe, l’Acte fondateur OTAN-Russie a vocation à « créer un cadre d’un nouveau partenariat de sécurité, constituant l’une des étapes de l’édification d’une Europe stable, pacifique et sans division. » (Manuel de l’OTAN, 1999). L’OTAN a suspendu les activités de coopération avec la Russie après la guerre de Géorgie en 2008 ; elle les a reprises en 2009 avant de les suspendre à nouveau en 2014 après l’annexion de la Crimée, sans pour autant se retirer de l’Acte fondateur.
  • [40]
    Art. 4 du traité de coopération et d’intégration franco-allemande d’Aix-la-Chapelle du 22 janvier 2019, disponible sur https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/allemagne/relations-bilaterales/traite-de-cooperation-et-d-integration-franco-allemand-d-aix-la-chapelle/ et www.bundesregierung.de.
  • [41]
    Heinrich Brauß/Christian Mölling : Der Tornado-Komplex – Zielkonflikte und Lösungsoptionen für den neuen deutschen Jagdbomber, DGAP Policy Brief, 3.2.2020.
  • [42]
    Dominic Vogel : Future Combat Air System : Too Big To Fail, SWP-Aktuell, No. 98, Décembre 2020.
  • [43]
    Ibidem.
  • [44]
    Heinrich Brauß/Christian Mölling : Kaufentscheidung Tornado-Nachfolge – Die Deutsche Rolle in der nuklearen Teilhabe der Nato, DGAP Policy Brief No. 1, Janvier 2020.
  • [45]
    Ibidem.

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