1Depuis des mois, l’actualité, en Allemagne comme en France, est dominée par la pandémie qui imprime sa marque sur tous les aspects de la vie en société. Si l’Allemagne, jusqu’à présent, a semblé s’en tirer mieux que la France ainsi que la plupart des pays européens, avec un nombre d’infections et de décès dus au virus nettement plus bas que chez nous, la deuxième vague la rattrape depuis le mois d’octobre. Le nombre de malades reste plus bas, mais de très nombreux secteurs de la vie sont profondément affectés par la situation sanitaire actuelle. C’est pourquoi les sujets traités dans le cadre de l’actualité sociale lui feront une grande place. La première revient évidemment à la récession historique pour l’économie allemande, qui est sans précédent depuis que les publications du PIB existent. Si l’économie trinque, la situation sociale suit. Nous évoquerons donc l’Accroissement de la pauvreté – une autre conséquence de la pandémie. Les syndicats, très conscients des ravages du chômage qui s’est considérablement accru dans le sillage de la pandémie, lancent le débat de la réduction du temps de travail qui refait surface. Un autre débat actuel porte sur les prix de l’immobilier qui explosent dans les grandes métropoles – en dépit de la pandémie. Pour conclure sur une note plus sereine, nous évoquerons la nature, car la Bavière fête les 50 ans de son parc national de la forêt. Ce coin proche de la frontière tchèque, peu connu des touristes français, attire un nombre croissant de jeunes Allemands curieux de découvrir une nature qui se reconstitue peu à peu sans aucune influence humaine.
Récession historique pour l’économie allemande
2D’après les chiffres publiés par Destatis, l’Office fédéral de statistique, l’économie allemande a connu une contraction sans précédent au deuxième trimestre 2020. Sous l’effet de la chute des dépenses de consommation, de l’investissement des entreprises et du recul des exportations dans le contexte de la pandémie, elle s’est contractée de 9,7 % sur la période avril-juin. Le chiffre est un peu moins mauvais que prévu, la première estimation le mettant à -10,1 %, mais il n’en reste pas moins que la récession est sans précédent depuis 1970, année des premières publications du PIB outre-Rhin. Elle est bien plus importante que celle que l’Allemagne a connue au moment de la crise financière mondiale de 2007-2009 où la contraction a été de -4,7 % au premier trimestre 2009. En raison des nombreuses restrictions imposées du fait de la crise sanitaire, la consommation a reculé de 10,9 %, les investissements hors construction de 19,6 %, et les exportations, moteur de l’économie allemande, se sont effondrées, -20,3 %, deux fois plus qu’en 2009. La seule augmentation constatée est celle des dépenses publiques qui se sont accrues de 1,5 % en raison de la mise en œuvre des mesures gouvernementales pour contenir les effets du virus. Par contre-coup, les Allemands ont économisé massivement, portant le taux d’épargne à 20,1 % contre 10,2 % un an plus tôt. Le secteur industriel, moteur de l’économie allemande, avait plongé dès le mois d’avril avec une chute de 17,9 %, après un recul de 9,2 % au mois de mars.
3La plupart des observateurs considèrent néanmoins que le pire est derrière eux, se basant sur une série d’indices de reprise de confiance. Ainsi, le kilométrage des camions est revenu à son niveau d’avant-crise. L’indice du climat des affaires, calculé par l’Institut de recherche Ifo de Munich, est remonté à 93,4 en septembre contre 92,5 au mois d’août et 90,4 en juillet, progressant pour le quatrième mois consécutif. Les chercheurs de l’institut se basent sur un rebond en forme de V, comme le montre la publication de l’ifo du mois de septembre (https://www.ifo.de/DocDL/KT_ifoKP_2020_09.pdf), pariant sur un troisième trimestre marqué par un robuste rebond en raison du regain d’optimisme des entrepreneurs allemands. Un rebond n’étant pas nécessairement une reprise, les discussions au sein du gouvernement se poursuivent concernant une éventuelle prolongation des mesures anti-crise telles que le régime de chômage partiel, la réduction de la TVA ou bien l’aide ponctuelle aux familles.
4En dépit du déconfinement, entamé par étapes dès le début du mois de mai, et de la lenteur du retour à la normale, le gouvernement de Berlin s’attend à une chute du PIB de 6,3 % sur l’ensemble de l’année 2020, du jamais-vu dans toutes les années de l’après-guerre. Peter Altmaier, le ministre de l’Économie l’avait bien annoncé : « Nous allons subir la pire récession de l’histoire de la République fédérale. La pandémie due au coronavirus fait entrer notre économie en récession après dix années de croissance ». D’autres prévisions sont encore plus pessimistes que le ministre de l’Économie. Ainsi, la Bundesbank table sur un recul du PIB de 7,1 % cette année, le Fonds monétaire international avance le chiffre de 7,8 %, tandis que l’OCDE prédit un recul de 8,8 % pour l’année 2020. Pour l’UE dans son ensemble, Bruxelles prévoit une chute de 7,8 %. Quant au PIB de la France, plus gravement touchée que l’Allemagne, il pourrait reculer de 10,6 % cette année avant de rebondir à 7,6 % en 2021.
Accroissement de la pauvreté – une autre conséquence de la pandémie
5Le risque de pauvreté – bénéficier de moins de 60 % du revenu national moyen, selon la définition européenne, soit 1 171 € pour un couple – s’est considérablement accru depuis le début de l’année. Selon l’Agence fédérale de statistique Destatis, il était déjà passé de 15,5 % en 2018 à 15,9 % en 2019. Le chiffre pour 2020 n’est pas connu, mais il devrait dépasser tout ce qu’on a vu ces dernières années. Ce sont les chômeurs qui sont les plus touchés ; près de 60 % sont actuellement menacés de pauvreté. Sachant que leur nombre est passé à 2,91 millions, d’après l’Agence fédérale du Travail, 635 000 de plus qu’il y a un an, les répercussions sur la société dans son ensemble sont considérables.
6Si les conséquences économiques de la pandémie, notamment le recul du PIB, sont très souvent évoquées dans les médias, les répercussions sociales, mis à part le taux de chômage, le sont moins. Or la situation sanitaire actuelle a un impact considérable non seulement sur les chômeurs, mais sur tous ceux qui (sur)vivent avec peu de moyens, notamment les enfants, les personnes âgées et celles sans domicile fixe. La détérioration de la situation est due à de nombreux facteurs qui se renforcent mutuellement. Près de deux millions d’enfants vivent dans des familles qui dépendent de l’allocation de chômage de longue durée Hartz IV. Si l’école primaire ou maternelle est fermée, les enfants ne bénéficient plus du déjeuner gratuit comme avant. S’y ajoutent le renchérissement de certaines denrées de base au supermarché proche, dévalisé par ceux qui souhaitent se constituer des réserves pour le cas où…
7Restait le recours aux Tafeln, cet équivalent allemand des restaus du cœur qui alimentent en temps normal bon nombre de familles pauvres avec enfants ainsi que les personnes âgées dont la retraite est insuffisante. Pour un versement de deux euros, chacun peut emporter avec lui des aliments d’une valeur d’environ 40 euros ou prendre un repas dans la salle à manger. Il y a toujours beaucoup de monde en temps normal, mais depuis le début de la crise sanitaire, les queues se sont considérablement allongées, non seulement parce que les règles de distanciation s’appliquent aussi en ces lieux, mais en raison de la multiplication du nombre de clients qui ne viennent plus seulement des quartiers pauvres, mais de partout pour s’inscrire sur les listes de distribution de vivres. Seulement, plus de la moitié des 900 Tafel qui existent en Allemagne ont cessé leur activité. D’autres associations caritatives, telles que l’Arche Deutschland, un mouvement initialement créé en France par le philosophe Jean Vanier en faveur des personnes handicapées, ont également dû fermer leurs portes tout en continuant à apporter des vivres à 1 300 familles démunies.
8Un autre groupe de personnes dont la situation sociale s’est nettement aggravée est celui des personnes sans domicile fixe. Selon les estimations du groupe de travail fédéral pour l’aide aux sans-abri (Bundesarbeitsgemeinschaft Wohnungslosenhilfe, BAG W), 237 000 personnes – sans compter les réfugiés – étaient sans abri en Allemagne au cours de l’année 2018. Environ 41 000 d’entre elles vivaient dans la rue. Les sans-abri sont particulièrement exposés à la propagation du virus, car ils ne peuvent pas respecter les mesures imposées à ceux qui vivent dans un appartement, telles que minimiser les contacts sociaux, etc. Le recours aux abris d’urgence n’est guère une solution. Ils ne sont pas assez nombreux et souvent surchargés. Bon nombre de sans-abri préfèrent rester dehors.
Comment se confiner dans ces conditions ?
Comment se confiner dans ces conditions ?
9Afin de désamorcer la situation, le BAG W exige, entre autres, que les expulsions forcées soient suspendues, que les abris d’urgence ouvrent leurs portes pendant la journée et que les municipalités fournissent des logements supplémentaires. « En ce moment, les services municipaux, notamment les autorités sanitaires et les services sociaux, sont confrontés à de nombreux problèmes, de sorte que beaucoup de choses doivent être réglées en même temps, mais les villes y travaillent », assure Uwe Lübking de la Fédération allemande des villes et des communes (Deutscher Städte- und Gemeindebund, DStGB). Les sociétés municipales de logement ont également soutenu la demande de suspension des expulsions pendant la crise sanitaire. L’Association allemande des locataires s’était prononcée en faveur d’un arrêt temporaire des résiliations de contrats de location.
Le débat de la réduction du temps de travail refait surface
10Si le rebond de la pandémie attendu pour les mois à venir sera peut-être moins ravageur en Allemagne que dans certains pays latins comme l’Espagne ou la France, elle a déjà fait suffisamment de dégâts au marché de l’emploi pour souffler aux syndicats l’idée de proposer une mesure éprouvée pour les limiter. C’est ainsi que Jörg Hofmann, le président du syndicat de la métallurgie IG Metall, fort de ses 2,3 millions de membres, suggère d’introduire la semaine de quatre jours afin de conserver les emplois dans l’industrie menacée d’une vague de licenciement dramatique. Il songe surtout aux défis qui se profilent dans certains secteurs tels que l’industrie automobile, confrontée au défi de la voiture électrique, ainsi qu’à l’accélération du numérique suite à la pandémie qui risque de rendre certains profils professionnels superfétatoires.
11La proposition de l’IG Metall de réduire le temps de travail pour préserver les emplois menacés renvoie à un débat qui refait surface régulièrement. En effet, le syndicat de la métallurgie n’en est pas à sa première bataille dans ce domaine. En 1995, après des semaines d’une grève très dure, il est parvenu à imposer la semaine de 35 heures dans l’industrie. Il y a deux ans, en 2018, il a obtenu le droit pour les salariés qui le souhaitent de ne travailler que 28 heures par semaine, en limitant la perte de salaire concomitante. Cette fois-ci, IG Metall bénéficie de soutiens importants : ainsi, l’opinion publique est à 60 % en faveur de sa proposition. Sur le plan politique, le parti d’extrême gauche, die Linke, est en faveur non seulement de la semaine de quatre jours, mais il demande « une réduction du temps de travail à 30 heures pour tous sans perte de salaire ». Même Hubertus Heil, le ministre social-démocrate du Travail au sein du gouvernement de Madame Merkel, estime qu’une réduction du temps de travail avec compensation salariale partielle pouvait être une mesure appropriée.
12Toutefois, du côté du patronat, la réduction du temps de travail n’est pas à l’ordre du jour, comme le montre la réaction de Steffen Kampeter, directeur général de la Confédération des associations patronales allemandes (Bundesvereinigung der deutschen Arbeitgeberverbände, BDA). Il estime que l’économie allemande subit actuellement un énorme choc de productivité qui serait considérablement aggravé par l’introduction de la semaine de quatre jours avec compensation salariale. Aux correspondants de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), il a même affirmé que la crise ne sera surmontée que si les Allemands travaillent davantage. Michael Hüther, président de l’Institut de l’économie allemande (Institut der deutschen Wirtschaft, IW) de Cologne, proche du patronat, s’est également prononcé contre la démarche mise en œuvre par le syndicat. Pour lui, la réduction du temps de travail ne serait « qu’une capitulation devant la crise », a déclaré M. Hüther au journal FAZ. Dans ce contexte, il a fait référence au produit intérieur brut, qui a considérablement diminué au deuxième trimestre avec une baisse de 10 %. Il a mis en garde contre la hausse des coûts de la main-d’œuvre, qu’il considère comme un risque pour l’emploi.
13Pour les chercheurs dans le domaine du marché du travail, le problème se présente différemment. Ils plaident pour un assouplissement de la loi sur le temps de travail pour permettre plus de flexibilité, ce que le cadre juridique ne permet guère actuellement. Une approche flexible des horaires de travail, telle qu’elle existe déjà dans d’autres pays, tels que la Nouvelle-Zélande, serait plus facile à mettre en place que la semaine de quatre jours pour tous. Cette dernière n’a d’ailleurs de sens que si les employés peuvent travailler plus rapidement et de manière plus productive en moins de temps. C’est pourquoi les développements techniques tels que la numérisation des processus sont d’une grande importance. Ils permettraient de gagner du temps et de rendre les entreprises plus efficaces. Celles-ci, du coup, pourraient faire des concessions en termes de temps de travail, comme l’ont déjà fait, ou sont en train de le faire certaines entreprises telles que Bosch ou Daimler.
14Comme souvent dans ce type de conflit, le gouvernement d’Angela Merkel laisse les partenaires sociaux trancher la question, comme le veut la tradition sociale en Allemagne. Il envisage toutefois d’accéder à une demande d’IG Metall, à savoir la prolongation de 12 à 24 mois de la durée des indemnités de chômage partiel pour des millions de victimes de la crise sanitaire actuelle.
Les prix de l’immobilier explosent dans les grandes métropoles – en dépit de la pandémie
15La comparaison des prix de l’immobilier entre la France et l’Allemagne, qu’il s’agisse de loyers ou d’achat, a souvent conduit les observateurs à considérer que le marché était bien plus favorable en Allemagne, avec des prix nettement plus abordables. Ce qui est encore vrai pour les villages et les petites villes – et même jusqu’à il y a peu de Berlin – ne s’applique plus à plusieurs grandes métropoles allemandes où les prix ont explosé. C’est le cas notamment de Francfort et de Munich, où de moins en moins d’acquéreurs peuvent se payer un bien immobilier dont le prix au mètre carré peut aller jusqu’à 14 000 €. D’après la banque suisse UBS, ces deux villes sont les plus surcotées du monde, sur le plan financier s’entend. Les prix de l’immobilier qui y sont pratiqués sont à mettre en relation avec les revenus de la population, la croissance économique et les migrations de la population.
16Si Munich continue à être la métropole la plus onéreuse d’Allemagne avec un accroissement des prix immobiliers de 6,1 % en un an, l’évolution à Francfort est plus récente. Les spécialistes soulignent la montée rapide des prix tant dans le segment locatif que dans celui des achats. Les loyers des logements ont augmenté de près de 40 % depuis 2010, tandis que les prix des maisons ont même doublé en dix ans. Rien que l’année dernière, les prix réels (c’est-à-dire après déduction de l’inflation générale) ont augmenté de 8 %. Comme, en outre, beaucoup de constructions ont lieu dans le segment supérieur du marché, très prisé par les acheteurs, l’inflation des prix de l’immobilier continue de s’intensifier. Pour la plupart des habitants, la ville devient de plus en plus inabordable pour ses citoyens. Dans la mesure où la ville, très dynamique, bénéficie d’une solide croissance de l’économie et de l’emploi, elle attire de plus en plus de population, ce qui aggrave la crise de l’immobilier. Certains spécialistes évoquent déjà le risque d’une bulle immobilière.
17Il est vrai que la formation d’une bulle à Francfort, assortie du risque d’un éclatement éventuel, dépendra également de Boris Johnson – après tout, plus d’une douzaine de banques ayant leur siège à Londres envisagent de le déplacer à Francfort en raison du Brexit –, à moins que le développement de la pratique du home office en raison de la pandémie ne freine son impact sur le marché de l’immobilier de bureau. Toutefois, à l’heure actuelle, la banque suisse UBS s’attend toujours à ce que Francfort devienne de plus en plus inabordable pour ses habitants.
18Pour se faire une idée du problème, il est intéressant de jeter un coup d’œil sur une étude menée conjointement par la Postbank et l’Institut d’économie internationale de Hambourg (HWWI). Leurs chercheurs ont calculé pour les différents districts et villes d’Allemagne un indice qualifié de « multiplicateur », à savoir combien de loyers annuels doivent être versés pour obtenir le prix d’achat moyen d’une maison ou d’un appartement. Ce critère qui permet d’évaluer le coût des biens immobiliers a connu un changement important en Allemagne ces dernières années. Alors que cette valeur était auparavant de 17,5 en moyenne, comme le rappelle l’Institut de Hambourg, elle était récemment de 24 en moyenne à l’échelle nationale. Elle est considérablement plus élevée dans les grandes villes comme Munich (37,2), Hambourg (36) ou Francfort (33,5), mais aussi dans les quartiers populaires comme Starnberg (38), Miesbach (43,2) ou encore la Frise septentrionale avec l’île de Sylt, très prisée par les vacanciers fortunés. Là-bas, il faut en moyenne 72 loyers annuels pour obtenir le prix d’achat d’un bien immobilier.
19Si certains spécialistes pensaient que la pandémie allait freiner le marché immobilier, ils constatent actuellement qu’il n’en est rien. Depuis le troisième trimestre 2019, les prix de l’immobilier dans la capitale bavaroise ont augmenté de 6,1 %. Alors que les actifs tels que les actions ont parfois perdu beaucoup de valeur, les prix des propriétés résidentielles ont continué à augmenter – tant en ville qu’à la campagne. Au deuxième trimestre, le prix d’achat moyen (médian) au mètre carré des copropriétés dans les grandes villes allemandes était de 2 921 euros. En 2012, il n’était que de 1 500 euros. Munich reste la grande ville la plus chère mais c’est dans les districts ruraux les plus densément peuplés que la hausse des prix est la plus forte. L’immobilier dans ces districts a renchéri de 8,9 % au deuxième trimestre 2020 par rapport au même trimestre de l’année dernière. Il est vrai que la politique actuelle des taux d’intérêt bas pousse à l’achat. Tout comme le métal précieux, l’or dit béton (Betongold) prouve à nouveau qu’il résiste à la crise.
La Bavière fête les 50 ans de son parc national de la forêt
20Le parc national de la forêt de Bavière (Nationalpark Bayerischer Wald), fondé en octobre 1970, est le plus ancien parc national allemand. Il est situé au sud-est de l’Allemagne, le long de la frontière tchèque. Depuis son agrandissement en 1997, il couvre une surface de plus de 24 000 hectares. Ensemble avec le parc national de Sumava contiguë en République tchèque, il constitue une des plus grandes réserves naturelles boisées d’Europe centrale. Il comporte trois parties, un espace ouvert au public, où les promeneurs peuvent apercevoir des lynx, des ours et des bisons, une zone de sentiers balisés et une grande réserve de forêts interdite au public.
21Dans le temps, cette région de forêts et de montagnes était considérée comme si arriérée, lugubre et pauvre qu’un journal berlinois l’a qualifiée de « Sibérie allemande » dès les années 1900. Il a toujours fait plus froid en hiver à la frontière avec la République tchèque qu’ailleurs en Bavière, même aujourd’hui, bien que le printemps commence maintenant quatre semaines plus tôt qu’au XXe siècle. Autrefois, la neige qui tombait en masse ne signifiait qu’une complication supplémentaire de la vie, qui s’exprime dans de nombreux idiomes, contes de fées et mythes. L’auteur Josef Kyselak a bien décrit cette peur existentielle il y a 200 ans : « Le travail constant dans la neige, la peur d’y tomber ou d’être enterré à jamais, m’a fait tellement transpirer que j’avais peur de mourir si je m’arrêtais ne serait-ce qu’un instant ». On peut toutefois trouver une vision plus romantique des lieux dans les paroles du poète Siegfried von Vegesack qui, venant de la Baltique, s’est établi en 1918 dans une vieille tour au fin fond de la forêt bavaroise :
Ein armes Land, in harter Fron bebaut : Felsbrocken, Steingeröll und karge Erde, von dunklem Wäldermeer umblaut. Und doch an stiller Schönheit reich, dass auch dem Fremden noch es Heimat werde…
23Le coin le plus reculé d’Allemagne se trouve peut-être dans la partie sud du parc national. Des troncs d’arbres d’un mètre d’épaisseur se croisent les uns sur les autres. Des fougères poussent entre les deux, des baies de sorbier, des épicéas morts dépassent du fourré comme des crayons cassés. Ce n’est pas la peine d’essayer le portable : « pas de réseau ». Cette impression de paix qui se dégage d’une randonnée dans ce coin sauvage est un bonheur, un privilège en Allemagne avec ses 83 millions d’habitants.
24Contrairement au temps jadis, la nature sauvage n’apparaît plus aujourd’hui comme une menace, mais comme une denrée rare, dans un pays où la nature a perdu ses droits. Le parc national attire de plus en plus de jeunes. Surtout à l’époque actuelle avec la menace que présente le coronavirus, ils découvrent les avantages de l’isolement, ce qui crée de nouveaux problèmes aux gestionnaires du parc. Son directeur, Franz Leibl, a récemment commencé à s’occuper des visiteurs qui – comme dans les Alpes – voient la nature avant tout comme une sorte d’équipement sportif, un objet de consommation, en somme. Mais les responsables du parc devaient, eux aussi, faire leur apprentissage, car la devise « laisser faire la nature » n’est pas dans les gènes des Allemands.
25Après la mort des vieux épicéas de la forêt de haute altitude dans les années 1990, on a estimé dans la région que le développement de la forêt naturelle devait être favorisé par des plantations, la régénération des forêts de haute altitude ayant toujours été considérée comme problématique. Cependant, les résultats des inventaires forestiers de l’administration du parc national ont montré qu’il ne fallait pas se fier aux expériences avec des forêts cultivées. Après l’infestation massive de scolytes, la forêt s’est régénérée comme jamais auparavant. Après seulement dix ans, la densité de rajeunissement est déjà supérieure au taux de plantation qui serait appliqué dans les forêts gérées. Il a été scientifiquement prouvé que les forêts peuvent se régénérer de manière excellente sans intervention humaine, même dans les hautes altitudes au climat rigoureux.
Une chouette en Bavière.
Une chouette en Bavière.
26Les célébrations du cinquantenaire du parc national bavarois sont certes à saluer comme un évènement très positif qui parle à l’âme romantique des Allemands. Mais aussi grand qu’il puisse paraître au promeneur, ce parc reste une petite île au milieu d’un paysage culturel intensivement utilisé. Si l’on ajoute le parc national de Berchtesgaden, les deux zones protégées ne couvrent que 0,6 % de la superficie de la Bavière. Ce sont des refuges pour des espèces qui n’auraient aucune chance ailleurs. Car la destruction de la nature progresse de manière incontrôlée. Même les nombreuses initiatives politiques telles que Natura 2000, les zones FFH, la directive sur les oiseaux, les réseaux de biotopes, l’introduction du lynx dans les régions frontalières entre la France et l’Allemagne, n’ont pu changer la situation qu’à la marge. Au mieux, les efforts n’ont été fructueux que dans certains domaines : on peut à nouveau apercevoir des aigles royaux en dehors des parcs nationaux.
Brèves
Siemens Healthineers acquiert l’entreprise américaine Varian pour booster son secteur santé
27Siemens Healthineers, la branche médicale du groupe allemand Siemens implantée à Erlangen, a annoncé début août qu’elle a finalisé un accord pour acheter Varian, le spécialiste américain du traitement du cancer, situé à Palo Alto en Californie, pour 16,4 milliards de dollars (environ 13,9 milliards d’euros). C’est la plus importante acquisition dans l’histoire de l’entreprise de 50 000 salariés qui a fait son entrée en bourse en 2018 seulement. La fusion, qui doit donner naissance en 2021 à un leader mondial des soins de santé contre le cancer, est la conséquence logique d’une coopération de longue date qui combine les systèmes de thérapie innovants de Varian avec l’imagerie de Siemens.
Le scandale Wirecard continue de faire des vagues
28La retentissante faillite de Wirecard, cette société de paiement en ligne qui a truqué son bilan de 1,9 milliard d’euros (voir AA précédent, p. 93) éclabousse jusqu’aux membres du gouvernement, notamment le vice-chancelier Olaf Scholz, voire la Chancelière. Il est en effet apparu que cette dernière aurait fait la promotion de la société Wirecard en septembre 2019 lors d’un voyage en Chine, à un moment où ses services étaient déjà au courant de l’existence d’une enquête. La commission d’enquête parlementaire créée pour élucider les responsabilités du gouvernement entendra une série de personnalités politiques de premier rang, dont la Chancelière, le ministre des Finances et vice-chancelier Olaf Scholz ainsi que le ministre de l’Économie Peter Altmeier et le ministre-président de Bavière, Markus Söder.
Tilo Sarrazin, auteur d’écrits islamophobes, exclu du SPD
29Le parti social-démocrate allemand (SPD) aura mis dix ans pour exclure un de ses membres les plus controversés, l’économiste et ancien ministre des finances du Land de Berlin Thilo Sarrazin qui s’est fait un nom sulfureux en publiant en 2010 un best-seller intitulé Deutschland schafft sich ab (l’Allemagne s’auto-détruit). Il y a écrit notamment : Je ne voudrais pas que le pays de mes petits-enfants et arrière-petits-enfants soit en grande partie musulman, qu’on y parle surtout turc et arabe… Le livre, vendu à 1,5 million d’exemplaires, a suscité un débat intense, jusque dans les milieux gouvernementaux, où il est qualifié de diffamatoire. Le SPD, ulcéré, tente de l’exclure dès 2011, mais sans succès. Il a fallu que M. Sarrazin en remette une couche en 2018 avec son nouveau brûlot intitulé Feindliche Übernahme (L’ennemi prend le contrôle), pour que la procédure d’expulsion engagée par le SPD à son encontre soit enfin couronnée de succès.
Création d’un droit au télétravail ?
30Le ministre du Travail et des Affaires sociales, Hubertus Heil, a proposé de créer un « droit au travail mobile » d’au moins 24 jours par an, là où c’est possible, d’après lui. D’après une enquête commandée par son ministère, 87 % des personnes qui l’ont pratiqué ces derniers temps se sont montrés satisfaites de l’expérience. Le premier objectif du ministère est la possibilité d’aider les salariés à mieux concilier vie professionnelle et parentalité. Partant du constat que le télétravail fait partie intégrante du monde de travail de demain, il incite employeurs et salariés à discuter des modalités de la mise en œuvre de cette possibilité, sachant que certaines activités professionnelles, telles que celles du boulanger, p. ex., ne s’y prêtent pas. Le gouvernement semble toutefois réticent à s’y engager à l’heure actuelle.
La consommation d’énergie stagne en dépit des milliards investis dans la rénovation des bâtiments
31Le recul de la consommation d’énergie qui avait baissé de 31 % entre 1990 et 2010 semble actuellement à l’arrêt. Voilà le constat de la GdW, la plus grande fédération allemande de société immobilière qui représente 6 millions de logements. Elle constate que 340 milliards d’euros ont été investis dans la rénovation des bâtiments depuis 2010, notamment pour le changement de fenêtres, l’isolation des façades et l’installation de systèmes de chauffage plus économes, mais la consommation d’énergie est restée au même niveau. Les raisons avancées sont multiples, notamment l’accroissement de la température souhaitée dans les appartements qui passe de 20 à 22 °C. Cette évolution est très fâcheuse : le coût des rénovations agit souvent comme facteur de renchérissement des loyers, ce que permet le législateur. Il pèse ainsi surtout sur les foyers les plus pauvres, une conséquence néfaste des mesures de lutte contre le changement climatique.
L’Allemagne, pays le plus innovant du monde
32Selon le World Economic Forum, l’Allemagne se situe en tête des pays les plus innovants du monde dans son actuel index global portant sur la compétitivité. Ce sont notamment la recherche et le développement qui y sont très bien notés, avec plus de 290 dépôts de brevets par million d’habitants. Ce résultat s’explique par d’importants investissements, un excellent paysage universitaire fortement imbriqué à la recherche, des centres de recherche extra-universitaire performants et des entreprises compétitives. Ce sont ces dernières, notamment dans le secteur automobile, qui ont investi presque 69 % des 104 milliards d’euros consacrés à la recherche et au développement en 2018. Or, si l’Allemagne excelle en matière d’innovation, elle est nettement plus faible en matière de compétitivité, ne pointant qu’au 7e rang mondial.