1L’actualité de ces derniers mois, que ce soit en France ou en Allemagne, n’a guère connu d’autre sujet que la situation sanitaire, ses victimes, les mesures prises pour contrer la diffusion du coronavirus dans la population, les conséquences de la pandémie sur l’économie, la culture, le tourisme, l’éventualité d’une deuxième vague, et ainsi de suite. Il n’est donc pas étonnant que l’actualité sociale de cet été ne déroge pas à la règle. Toutefois, les aspects de la vie sociale et économique impactés par la pandémie sont si nombreux et si variés, qu’il faut se résoudre à faire un choix. Si l’Allemagne a jusqu’à maintenant présenté un bilan en termes du nombre d’infections et de décès plus favorable que la France, elle a néanmoins ses foyers de crise, tels que les abattoirs en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, où la viande low cost a conduit à un scandale sanitaire et social. Dans la mesure où les pouvoirs publics doivent faire face tant aux problèmes sanitaires qu’au dévissage de l’économie, Berlin a prévu un plan de relance de 130 milliards d’euros pour soutenir les activités économiques. De même, l’Allemagne enregistre des dépenses record en R&D, à un niveau encore au-dessus de la barre des 3 % du PIB fixée par Bruxelles, dont une part accrue est dédiée à la recherche médicale. Cet effort s’accompagne d’un durcissement du filtrage des investissements étrangers, afin d’éviter la mainmise d’entreprises étrangères, chinoises ou américaines, p. ex. sur les jeunes pousses allemandes. Pour terminer, un regard sur Wirecard – un des plus grands scandales financiers que l’Allemagne ait connus, pour montrer qu’il y a aussi une vie en dehors de la pandémie. Ce panorama se conclut par un bouquet fourni de nouvelles brèves.
La viande low-cost – un scandale sanitaire et social
2Voilà un scandale sanitaire dont l’Allemagne se serait bien passée. Fin juin a été découvert un foyer d’infection au Covid-19 chez le premier groupe d’abattage et de découpe Tönnies situé à Rheda-Wiedenbrück, une ville de 47 000 habitants de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Après avoir détecté plus de 1 500 salariés testés positifs, le site a dû fermer ses portes, et près de 7 000 salariés et leurs familles ont été placés en quarantaine. Pour l’Allemagne, c’est le plus gros revers sanitaire enregistré depuis le début du confinement, susceptible d’égratigner sérieusement sa gestion de l’épidémie.
3Depuis la découverte de ce foyer de contaminations, les discussions autour des responsabilités vont bon train. Deux facteurs essentiels sont montrés du doigt, à savoir la culture de la viande low cost, très répandue en Allemagne, d’un côté, et les conditions de travail des salariés dans les usines de transformation de la viande de l’autre. Les consommateurs allemands sont très soucieux des prix dans le domaine de l’alimentation, souvent au détriment de la qualité, notamment dans le domaine de la viande de porc, acheté fréquemment à moins de 4 euros le kilo. Le budget des Allemands pour l’alimentation baisse depuis des années : en 2018, il correspondait à 10,8 % du budget familial, contre 13,1 % en France. Au niveau du ministère de l’Agriculture, on commence enfin à réagir en proposant l’instauration d’une taxe pour aider financièrement les agriculteurs à mieux prendre en compte le bien-être animal. De plus, on y considère que la publicité pour les produits low-cost, très répandue dans les supermarchés allemands, ne devrait pas être encouragée. Le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, de son côté, entend interdire aux distributeurs de vendre en dessous du prix de revient.
4La situation actuelle pourrait conduire à une remontée du prix de la viande. L’entreprise Tönnies détient en effet 30 % des parts de marché de la viande en Allemagne. L’arrêt pour une longue période de son plus gros abattoir – celui de Rheda-Wiedenbrück abat et découpe 20 000 porcs par jour – pourrait avoir des conséquences notamment dans le circuit du hard-discount, très développé en Allemagne, où ses produits sont très présents. Les prix pourraient augmenter sous la menace d’une rupture de l’approvisionnement. La réaction des clients, habitués à des prix toujours plus bas, est imprévisible.
Publicité lumineuse de Tönnies à l’abattoir de Rheda-Wiedenbrück
5La pression à la baisse du prix de la viande et les conditions de travail des ouvriers dans les abattoirs sont évidemment liées. D’après l’Agence fédérale du travail de Nuremberg, les abattoirs allemands employaient en 2019 environ 121 000 salariés. Vu la pression à la baisse subséquente des rémunérations versées dans ce secteur, l’industrie de la viande recrute massivement des ouvriers en provenance des pays d’Europe de l’Est : 22 400 Roumains, 8 300 Polonais, 3 300 Hongrois et 2 500 Bulgares, d’après les statistiques de l’agence de Nuremberg. Les travailleurs étrangers sont nettement moins bien payés que leurs collègues allemands. Cette inégalité de traitement est essentiellement due à un problème de statut. Si les ouvriers étrangers sont couverts par la directive européenne sur le détachement de travailleurs, alors ils relèvent du principe « À travail égal, salaire égal ». Le problème est toutefois que les travailleurs étrangers employés dans les abattoirs allemands ne sont pas couverts par cette directive, car ils ne sont pas employés par une entreprise étrangère, mais par une entreprise, voire une sous-entreprise, nationale. Du coup, ils sont nettement moins payés, entre 1 700 et 2 000 euros bruts, contre 2 300 pour leurs collègues allemands. De plus, ils effectuent un nombre d’heures de travail bien supérieur, ce qui abaisse le taux horaire au-dessous du salaire minimum imposé dans la branche (9,35 euros en 2020).
6À côté des conditions de travail des ouvriers étrangers, ce sont les modalités d’hébergement qui ont été fortement critiquées après la découverte de l’ampleur de l’épidémie sur les lieux de l’abattoir. Des inspections effectuées au mois de mai, avant l’apparition de ce foyer d’infection, ont relevé un total de 1 900 déficiences, telles que des moisissures sur les lieux, les fuites dans les toits, des installations sanitaires catastrophiques, l’infestation de vermine, etc. Ces déficiences, tant en matière de rémunération que de logement, n’ont pas manqué d’attirer les foudres de l’UE. Ainsi, le commissaire européen au travail et aux affaires sociales, Nicolas Schmit, a menacé l’Allemagne et d’autres pays d’une directive visant à imposer plus de justice dans le domaine de l’emploi de travailleurs étrangers. Il n’exclut pas la possibilité d’ouvrir des procédures d’infraction, voire de violation des traités de l’UE contre l’Allemagne. L’Allemagne n’étant pas le seul pays en cause, il est question d’une directive au niveau européen pour clarifier la situation des États membres eu égard aux conditions de rémunération et d’hébergement des travailleurs étrangers qu’ils recrutent.
7En plus de sa dimension sanitaire et sociale qui a même remué Bruxelles, ce scandale a investi le domaine politique en Allemagne, car c’est l’image de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, région frontalière de la Belgique et des Pays Bas, qui est sérieusement atteinte. Ce Land qui rivalise avec la Bavière pour le plus grand nombre de personnes infectées, est dirigé par Armin Laschet, CDU, un des prétendants les plus sérieux à la succession d’Angela Merkel. Moins rigoureux que Markus Söder, ministre-président de Bavière, dans le domaine de la politique de confinement, il s’est prononcé pour une levée rapide des mesures de confinement au nom des intérêts économiques de son Land. Lorsque les premières centaines de cas de contamination se sont déclarées parmi les ouvriers travaillant aux abattoirs Tönnies, Armin Laschet s’est efforcé de minimiser l’ampleur du foyer, déclarant que le virus avait été importé par les travailleurs étrangers de l’abattoir, les Roumains et les Bulgares notamment. Ces propos, qui ont suscité un tollé diplomatique à Sofia et à Bucarest, ainsi que sa gestion laxiste de la crise sanitaire, risquent d’affaiblir sa position comme candidat à la Chancellerie, notamment comparé à la stature de Markus Söder qui, sans être candidat officiel, figure de façon croissante parmi les prétendants possibles.
8Cette crise aux aspects multiples a relancé le débat dans les médias sur l’arrivée d’une deuxième vague de l’épidémie. Les chercheurs de l’institut de santé publique Robert Koch, toutefois, ne partagent pas cette inquiétude. Ils considèrent que le nombre de cas actifs en Allemagne est très bas depuis le mois de mai. Du coup l’apparition d’un foyer local, comme celui de l’abattoir Tönnies, fait bouger le taux de reproduction du virus de façon très visible mais transitoire. L’important étant maintenant que ce taux n’augmente pas ailleurs, ce qui ne semble pas être le cas ; le nombre de nouvelles infections reste bas au mois de juillet. L’abattoir a repris ses activités le 16 juillet, étroitement encadrées.
Un plan de relance de 130 milliards d’euros pour soutenir l’économie
9Afin de contrer l’impact de la pandémie et des mesures de confinement sur l’économie, la plupart des pays européens ont pris des mesures pour soutenir les entreprises et tous les acteurs économiques. Au début du mois de juin, les membres de la grande coalition gouvernementale, la CDU, la CSU et le SPD se sont entendus sur un plan de relance économique d’un montant total de 130 milliards d’euros pour les années 2020 et 2021, dont la presque totalité, 120 milliards, proviendraient des caisses du gouvernement fédéral. Après 21 heures de négociations, tant les points de vue des membres du gouvernement divergeaient, le ministre fédéral des Finances, Olaf Scholz, a pu déclarer avec satisfaction que le pays voulait sortir de la crise du coronavirus avec énergie – mit Wumms, comme il dit. Les chiffres des nouvelles infections ayant pu être ramenés à un faible niveau ce qui permettait un réel assouplissement des restrictions, le gouvernement estime qu’il est urgent désormais de remettre l’Allemagne sur la voie d’une croissance durable pour assurer l’emploi et la prospérité. Le plan de relance repose sur trois piliers : une relance économique à court terme, environ 78 milliards d’euros, des investissements pour l’avenir et dans les technologies vertes, environ 50 milliards d’euros, ainsi que la solidarité européenne avec 3 milliards d’euros qui s’ajoutent au plan de relance de l’UE. Il comprend un large éventail de mesures essentiellement destinées à soutenir les familles, les entreprises et les municipalités, un des leviers principaux étant la stimulation de la consommation.
10La mesure qui a le plus frappé les esprits est en effet la réduction des taux de TVA : afin de renforcer la demande intérieure en Allemagne qui a beaucoup fléchi pendant les mois de confinement, le taux normal passe de 19 à 16 % et le taux réduit de 7 à 5 % entre le 1er juillet et le 31 décembre. Cette mesure, qui ne faisait pas partie du paquet initialement prévu, a été saluée comme étant socialement juste, les ménages modestes étant susceptibles d’en profiter davantage que les autres, puisqu’ils consacrent une part plus importante de leurs revenus aux dépenses de consommation, sous condition, bien sûr, que les entreprises répercutent la baisse de cet impôt indirect sur les prix. Afin de prévenir une augmentation des coûts non salariaux du travail en raison de la pandémie, les cotisations de sécurité sociale devront être limitées à un maximum de 40 %, une mesure qualifiée de « garantie sociale ». Elle est destinée à protéger les revenus nets des salariés et à maintenir la compétitivité des entreprises. Le coût de ces mesures pour le gouvernement est considérable : la réduction de la TVA s’élève à 20 milliards d’euros, et le coût de la garantie sociale est estimé à au moins 5 milliards d’euros pour la seule année 2020.
11Pour les familles avec enfants, le gouvernement a prévu de verser un bonus de 300 euros par enfant, destiné à tous ceux qui bénéficient de l’allocation familiale, y compris ceux qui naîtront d’ici le 31 décembre de cette année. Ce bonus, qui coûtera au gouvernement un total de 4,3 milliards d’euros, profitera surtout aux familles modestes, car il n’est pas retranché des allocations sociales de type Hartz IV, alors que les familles aisées devront l’intégrer à leurs revenus imposables. Pour soutenir l’industrie automobile, un secteur clé en Allemagne, le gouvernement a décidé que la prime à l’achat d’une voiture électrique sera sensiblement augmentée, passant de 3 000 à 6 000 euros, alors que les voitures à essence et à diesel n’en bénéficieront pas, d’après une décision très controversée du gouvernement. Berlin complète le soutien aux voitures électriques par un investissement de 2,5 milliards d’euros dans le réseau de bornes de rechargement et dans la R&D, notamment dans les batteries. Dans le même domaine, la coalition envisage aussi de dépenser 11 milliards d’euros pour stopper la hausse du prix de l’électricité, une mesure favorable tant aux ménages qu’aux PME. Elle passera par la stabilisation de la taxe finançant le développement des énergies renouvelables.
12Les entreprises de taille moyenne ne sont pas oubliées. Pour celles dont la trésorerie a été affectée par le Covid-19, la coalition prévoit une enveloppe de 25 milliards d’euros d’aides nouvelles. Elles seront versées pendant les mois de juillet et d’août aux sociétés appartenant aux secteurs les plus touchés par la crise, comme l’hôtellerie-restauration, le tourisme, l’événementiel, les clubs et les salles de sport, p. ex., sans oublier la culture qui bénéficiera d’un apport d’un milliard d’euros. Elles pourront voir leurs frais fixes remboursés jusqu’à hauteur de 150 000 euros sur une période de trois mois, sommes qui leur resteront acquises. Des mesures fiscales telles que le report des dettes sont également prévues. Si ce paquet de mesures est bien accueilli par les PME/PMI, elles regrettent cependant qu’elles ne s’adressent qu’aux entreprises dont la situation était confortable avant la crise et non pas à toutes.
13Si l’économie souffre, si les familles sont à la peine, le gouvernement est bien conscient du fait que les communes sont également dans une situation difficile. Les municipalités sont en effet parmi les grandes victimes de la pandémie. Selon le Deutsche Städte- und Gemeindebund, l’organisation faîtière des municipalités, il pourrait manquer jusqu’à 60 milliards d’euros aux villes et aux municipalités pour la seule année 2020. Leurs recettes fiscales sont inférieures de 15,6 milliards d’euros à celles prévues à l’automne 2019. L’absence de taxe sur les échanges commerciaux, qui constitue la principale source de financement, est particulièrement douloureuse. S’y ajoutent des pertes de revenu importantes provenant p. ex. des piscines, des musées, des zoos et des moyens de transport municipaux, tous à l’arrêt pendant des mois. Par contre, leurs dépenses, en matière de protection de la santé et de la lutte contre la pauvreté et le chômage ne cessent de s’accroître.
14Le gouvernement fédéral a donc prévu une augmentation unique des fonds de régionalisation d’un montant de 2,5 milliards d’euros, essentiellement pour compenser la baisse des revenus dans la vente de billets de transport. De plus, une compensation partielle de leurs pertes de taxe professionnelle est envisagée ainsi qu’un soutien plus important des coûts du logement pour les bénéficiaires de Hartz IV, une mesure particulièrement appréciée par les municipalités ayant un taux de chômage élevé. Par contre, le gouvernement n’envisage pas de délester les communes de leurs dettes anciennes, ce que bon nombre d’entre elles réclament pourtant depuis des années.
15À ce bloc imposant consacré à la relance s’en ajoute un second d’environ 50 milliards d’euros consacré à l’économie de demain. Cet argent financera des investissements dans la transition écologique, dans la transition numérique, l’intelligence artificielle et, plus globalement, dans les secteurs d’avenir. Neuf milliards d’euros doivent être consacrés à développer la recherche et l’innovation dans les technologies liées à l’hydrogène, considéré comme l’un des carburants de l’avenir.
16Si le gouvernement allemand, à l’exemple de la plupart des gouvernements européens, se décide de lancer un plan de relance d’une telle envergure, c’est que les nouvelles, notamment sur le plan de l’emploi, continuent à être préoccupantes : le nombre de sans-emploi se rapproche des trois millions et plus de sept millions de salariés se retrouvent au chômage partiel, un chiffre jamais atteint auparavant, même pas lors de la crise financière d’il y a une douzaine d’années, où il n’a pas dépassé un million et demi. À ce propos, le ministre fédéral du Travail, Hubertus Heil (SPD), a déclaré que le chômage partiel était « notre pont le plus stable enjambant une profonde vallée économique », estimant qu’il avait permis d’éviter une grande vague de licenciements. Il est vrai que les personnes au chômage partiel restent des actifs susceptibles de faire repartir la machine économique très rapidement, comme l’a montré l’exemple de la crise financière.
17Début juillet, la Commission européenne a toutefois mis en garde contre trop d’optimisme : à l’unisson avec la Banque centrale européenne, elle a révisé à la baisse ses prévisions d’activité pour cette année. Au lieu de 7,7 % prévus en mai, le recul du PIB de la zone euro pour cette année pourrait atteindre 8,7 %. L’Allemagne pourrait limiter ces pertes par rapport à l’année dernière à 6,3 % (France : 10,6 %), le plan de relance du gouvernement devrait y contribuer.
Des dépenses record en R&D
18Un aspect relativement méconnu des performances économiques de l’Allemagne a récemment bénéficié d’un coup de projecteur : les dépenses de recherche et développement des entreprises, des universités et de l’État ont atteint environ 105 milliards d’euros en 2018, dernier chiffre connu, d’après une étude menée par le Stifterverband, l’association de veille de la recherche en Allemagne, pour le compte du ministère fédéral de la Recherche. Il en ressort que l’Allemagne aurait investi environ 3,13 % de son PIB dans la R&D. Ces indicateurs tombent à pic au moment où les efforts de recherche dans le domaine médical connaissent une accélération importante, les laboratoires de tous les pays du monde développé souhaitant être les premiers à développer un antidote contre le virus.
19D’après la ministre fédérale de la Recherche, Anja Karliczek, le gouvernement a augmenté ses dépenses de R&D d’environ 12 milliards d’euros en 2009 à plus de 17 milliards en 2018, ce qui correspond à un accroissement d’environ 44 % durant la dernière décennie. C’est toutefois considéré comme insuffisant comparé aux efforts produits par les acteurs économiques qui ont investi 72 milliards d’euros dans la recherche, soit 5 % de plus comparé à 2017. Ce déséquilibre n’est pas près de changer : les dépenses de R&D du gouvernement n’augmenteront que très légèrement : elles sont passées de 18,1 en 2019 à 18,3 milliards d’euros en 2020. Si on y ajoute les 15 milliards d’euros consacrés à la R&D par les universités, on parvient à un ratio des deux tiers pour les acteurs privés et un tiers pour le secteur public.
20Pour la deuxième fois consécutive, l’Allemagne a ainsi atteint l’objectif de l’UE de porter les dépenses de R&D à trois pour cent du PIB, même si c’est avec des années de retard, cet objectif ayant été initialement fixé pour l’année 2010. Si la Suisse et la Suède sont encore meilleures en Europe en terme de R&D par rapport au PIB, la grande coalition se montre très satisfaite ; elle envisage même d’accroître ses efforts. Dans sa stratégie 2025 pour les hautes technologies, le gouvernement, en collaboration avec les milieux économiques et les Länder, s’est fixé comme objectif d’investir 3,5 % du produit intérieur brut dans la recherche et le développement d’ici 2025 afin de promouvoir encore plus fortement l’innovation dans les secteurs clé.
21Afin d’être à la pointe dans des sujets d’avenir comme l’hydrogène, l’informatique quantique et l’intelligence artificielle, le gouvernement, à l’exemple de la plupart des pays de l’OCDE, a mis sur pied un plan de soutien fiscal à la recherche et à l’innovation, afin d’inciter aussi les PME/PMI à s’y lancer. Selon ce plan, inauguré début 2020, chaque entreprise peut recevoir un financement pour les frais de personnel travaillant dans la R&D pouvant aller jusqu’à deux millions d’euros par an, ce qui, à un taux de financement de 25 %, correspond à une exonération fiscale maximale de 500 000 euros. Le financement est proposé à toutes les entreprises, peu importe leur taille. Le coût de cette mesure pour l’État, estimé à 1,25 milliard d’euros par le ministère fédéral des Finances est assuré conjointement par le gouvernement fédéral et les Länder. Les associations professionnelles se félicitent de cette loi, pour laquelle elles se sont battues pendant de nombreuses années, mais elles se plaignent du financement insuffisant en ce qui concerne les grandes entreprises. Elles réclament des volumes de financement plus importants afin de créer des effets macroéconomiques plus forts.
22Le deuxième point central des critiques est que le rabais fiscal lié aux frais de personnel ne favorise que la recherche en interne. Le directeur général adjoint de la Chambre de commerce et industrie allemande, Achim Dercks, estime que le financement doit aller au client, celui qui passe la commande, et non pas à celui qui l’exécute, comme le prévoit le gouvernement fédéral. D’après lui, c’est particulièrement important pour les petites et moyennes entreprises, parce que souvent elles n’ont pas leur propre département de recherche, ce qui les amène à passer commande auprès d’un labo extérieur. Avis partagé par le VDA, l’Association allemande de l’industrie automobile, qui estime que l’impact politique serait perdu si les coûts de la recherche sous contrat n’étaient pas imputés au client. Cette année, où la pandémie a donné un puissant coup d’accélérateur à la recherche dans le domaine médical, le plan de financement du gouvernement est néanmoins particulièrement bien venu.
23De manière générale, la R&D est un secteur qui a beaucoup embauché ces quinze dernières années en Allemagne. Le nombre de postes a progressé de 45 % entre 2006 et 2018 portant le total à plus de 450 000 emplois à temps plein dans la R&D à l’heure actuelle. L’Allemagne se classe aujourd’hui devant la Chine et le Japon pour ce qui est de la proportion d’emplois liés à la R&D dans l’emploi total. Elle se situe également très au-dessus de la moyenne européenne. Le caractère volontariste de la politique allemande se répercute aussi sur la balance commerciale. L’Allemagne était en 2018 le deuxième exportateur mondial de biens à haute valeur technologique avec 11,5 % de parts de marché. Et en 2017, affirme le rapport du Stifterverband, ses entreprises ont déposé presque deux fois plus de brevets pour 100 000 habitants que leurs concurrentes américaines. Ces constats d’autosatisfaction seront mis à rude épreuve face à l’urgence actuelle en matière de dépistage, de recherche d’un traitement ou d’un vaccin. La pandémie est susceptible de servir de révélateur de la qualité de la recherche d’un pays…
Durcissement du filtrage des investissements étrangers
24Face à la crise sanitaire provoquée par le coronavirus et au choc économique qu’il cause, c’est l’Union européenne qui a, dès le mois de mars 2020, déployé un ensemble de mesures visant à préserver l’intégrité du marché unique mis à mal par l’interruption des chaînes d’approvisionnement en matériel de première nécessité, tels que les masques, p. ex. Le règlement 2019/452 du 19 mars 2020 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers (IDE) appelle les États membres à faire usage de leur mécanisme de filtrage pour contrôler les IDE qui pourraient menacer la capacité des pays à réagir efficacement à de futures crises comparables à la pandémie actuelle. Bruxelles souhaite en effet que les pays membres exercent des contrôles plus stricts sur les initiatives prises par des entreprises étrangères à l’UE.
25Conscient de la dépendance de l’Allemagne des importations dans le domaine médical, notamment de pays tels que la Chine, le gouvernement a très vite répondu à l’initiative de Bruxelles. Le Bundestag a en effet adopté une réforme de la loi sur les échanges extérieurs qui renforce les critères de contrôle, notamment des investissements d’entreprises extérieures à l’UE dans le domaine médical, telles que la fabrication de vaccins, p. ex. Sont également visées désormais les fuites d’informations ou de technologie ou toute atteinte à la sécurité ou à l’ordre public. Auparavant, l’Allemagne, comme tous les pays membres de l’UE, ne pouvait intervenir que s’il y avait un « danger réel et grave », alors que maintenant, l’État pourra intervenir dès lors qu’un investissement étranger pourrait porter atteinte à la sécurité et à l’ordre public, et ce non seulement de l’Allemagne, mais de tout autre pays membre de l’UE.
26L’Allemagne n’est pas le seul pays à avoir réagi rapidement aux défis actuels. Plusieurs États membres de l’UE ont répondu à la crise du Covid-19 en renforçant les mécanismes de filtrage des investissements étrangers, tels que l’Espagne et l’Italie, les premiers à imposer une autorisation gouvernementale préalable pour pouvoir investir dans les secteurs stratégiques. Quant à la France, dès fin avril, le ministre de l’Économie et des Finances a annoncé l’abaissement du seuil de contrôle des investissements non européens à 10 % au lieu de 25 % auparavant.
27C’est donc avec un peu de retard par rapport à la France que l’Allemagne a pris les mêmes mesures pour protéger ses intérêts économiques futurs, mais aussi les actuels, car le gouvernement a décidé que tout investissement soumis au contrôle des autorités allemandes serait provisoirement « en suspens et sans effet », en attendant que la procédure arrive à son terme, afin d’éviter toute sortie d’information ou de technologie. Que le gouvernement ne plaisante pas, il vient de le montrer avec son investissement rapide dans l’entreprise de biotechnologie CureVac (voir Brèves ci-dessous)
Wirecard – un des plus grands scandales financiers que l’Allemagne ait connus
28L’histoire de la société Wirecard est symbolique de la fragilité de certaines entreprises high-tech pour la rapidité de leur essor et la brutalité de leur chute. Créé en 1999 à Aschheim près de Munich en tant que prestataire de services dans le domaine des transactions financières liées aux achats sur Internet, Wirecard a connu une croissance fulgurante. Considérée à l’époque comme le symbole d’une réussite éclatante pour l’Allemagne dans le domaine de la tech alliée à la finance, où le pays avait rarement percé jusqu’alors, Wirecard a intégré en 2018 à la Bourse de Francfort le très convoité indice Dax des trente plus grandes sociétés cotées. Valorisée à l’époque à plus de 20 milliards d’euros, l’entreprise de fintech a éjecté en passant la vénérable Commerzbank. Avant sa chute, Wirecard employait 5 800 personnes sur 26 sites dans le monde. Parmi ses clients figuraient de grosses entreprises telles que KLM, Ikea et Aldi, pour n’en citer que quelques-unes en Europe, à côté de FEDEX et de nombreux clients en Asie notamment. En tant que prestataire de services de paiement, Wirecard a géré les flux de trésorerie sans numéraire entre les commerçants d’une part, et les banques et les sociétés de cartes de crédit d’autre part. Puisqu’il ne détient pas de licence bancaire en Asie, Wirecard a fait appel à des établissements partenaires, notamment aux Philippines, pour assurer ce service fiduciaire à sa place.
29Ce sont précisément ces comptes en fiducie qui sont depuis fin juin au centre des soupçons de fraude contre Wirecard. Après que l’entreprise ait déjà soumis les états financiers pour 2016 à 2018 à un audit spécial de la société KPMG, ce sont les auditeurs réguliers d’Ernst & Young (EY) qui ont examiné les chiffres de 2019 de façon particulièrement approfondie. Leur constat : pour 1,9 milliard d’euros – ce qui correspond à un quart du bilan total – qui devaient se trouver sur ces comptes en fiducie, il n’existait aucun certificat ou des certificats falsifiés. Cette somme n’existait probablement pas, d’après eux. C’est pourquoi EY a refusé de certifier les comptes annuels, estimant qu’il s’agit d’une intention de tromperie, un soupçon confirmé par les dirigeants de Wirecard.
30C’est la première fois dans l’histoire du Dax qu’un membre des trente entreprises les plus illustres du pays s’effondre. Lorsque les indices boursiers seront révisés le 3 septembre, comme le veut le règlement, Wirecard n’en fera probablement plus partie, sa valeur marchande s’étant totalement effondrée. Ce scandale financier d’une ampleur jamais vue auparavant à la Bourse de Francfort y a provoqué un vent de panique. Dans la semaine qui a suivi l’annonce du scandale, les actions Wirecard ont perdu quatre-vingt pourcent de leur valeur. Après l’annonce de l’insolvabilité de la firme, les actions ont chuté à un peu moins de 4 euros comparé à 186 euros le 5 septembre 2018, date à laquelle Wirecard a remplacé la Commerzbank au Dax. En quelques jours, Wirecard ne valait plus que 350 millions d’euros à la bourse, comparé à 25 milliards d’euros deux ans auparavant.
31Après cette faillite gigantesque, on cherche des responsables, et ce non seulement au niveau de la direction de l’entreprise, mais aussi dans les instances de surveillance. Ainsi, l’autorité de surveillance financière BaFin (Abréviation de Bundesanstalt für Finanzdienstleistungen), qui a certes pris des mesures contre Wirecard, mais à un stade trop tardif, a été massivement critiquée. C’est pourquoi le ministère fédéral des Finances lui demande de justifier sa gestion de l’affaire. Le chef de la BaFin, Felix Hufeld, devra répondre aux questions des membres de la commission des finances du Bundestag. Admettant des erreurs de son administration, il a qualifié l’affaire Wirecard de « désastre ». Si le ministre fédéral des Finances Olaf Scholz, dont dépend la BaFin a annoncé que cette affaire aurait des conséquences, le scandale fait des vagues aussi au niveau européen.
32La Commission européenne va demander à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) d’examiner si l’autorité allemande de surveillance financière BaFin n’a pas failli dans l’exercice de son contrôle sur Wirecard, désormais insolvable, et, le cas échéant, si elle a enfreint le droit communautaire, d’après une déclaration du vice-président de la Commission, Valdis Dombrovskis, dans une interview accordée au Financial Times.
33Wirecard s’est engagée à poursuivre ses activités. « Le conseil d’administration est d’avis qu’une poursuite est dans l’intérêt des créanciers », a annoncé samedi le porte-parole du groupe. En attendant, des voix s’élèvent pour exiger l’expulsion immédiate de Wirecard du Dax, car sa présence continue au sein de l’indice leader allemand est considérée comme préjudiciable tant au Dax qu’à l’image de l’Allemagne en tant que site économique.
Brèves
Un péage automobile national pour protéger le climat ?
34Un péage automobile national et des frais de stationnement plus élevés aussi pour les résidents, c’est ce que demandent les membres du Conseil allemand de l’environnement afin de protéger le climat. Le Conseil préconise un péage automobile basé sur la distance parcourue, les émissions polluantes, sonores et de CO2. Il considère qu’un péage national permet d’obtenir un effet de pilotage nettement meilleur qu’un péage urbain et permet d’éviter un patchwork de réglementations différentes dans les villes allemandes. Leurs recommandations s’accompagnent du conseil de promouvoir aussi la pratique du vélo et de la marche.
Volkswagen condamné à rembourser ses clients allemands
35Le 25 mai, le groupe VW a été condamné à verser des dommages et intérêts au propriétaire d’un véhicule équipé d’un moteur diesel manipulé de sorte que les niveaux d’émission polluante prescrits par la loi ne soient respectés que sur les bancs de test. Ce jugement constitue une base juridique d’indemnisation pour des milliers de propriétaires de véhicules diesel manipulés, y compris pour ceux qui ont acheté leur voiture d’occasion. Le groupe VW qui aimerait mettre un point final au Dieselgate, envisage de proposer des versements uniques aux propriétaires, sans exiger la cession du véhicule, afin de clore les procédures.
Berlin investit dans CureVac pour protéger ses industries de biotechnologie
36L’intention du gouvernement allemand d’investir 300 millions € dans cette entreprise de biotech située à Tübingen, actuellement considérée comme l’une des plus avancées dans la recherche d’un vaccin contre le Covid-19, marque clairement une réorientation du gouvernement allemand dans le sens d’une plus grande protection de ses pépites face aux appétits étrangers, notamment chinois et américains. Jusqu’alors, Berlin s’est contenté d’offrir un cadre juridique et fiscal propice au développement de ses jeunes pousses. La situation nouvelle incite le gouvernement à vouloir augmenter son droit de véto lors de la prise de participation d’investisseurs étrangers hors UE dans des entreprises considérées comme stratégiques (santé, robotique, IA)
L’assistance au suicide à nouveau en débat
37Depuis la loi sur la fin de vie votée par le Bundestag en 2015, l’assistance au suicide était passible de 3 ans de prison, une décision prise peut-être en raison du souvenir laissé par la politique d’euthanasie menée sous le IIIe Reich. La situation très confuse ces dernières années – la Cour administrative fédérale de Leipzig ayant nuancé cette interdiction, et le nombre de recours déposés devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe allant croissant – les juges de celle-ci ont fini par trancher fin février 2020 en constatant que « toute personne a le droit de choisir sa mort et de demander de l’aide pour le faire, pas seulement les personnes atteintes de maladies incurables ». Cette attitude nouvelle de la Cour n’est pas isolée comme le montrent les décisions prises ces dernières années en faveur du mariage homosexuel ou pour la reconnaissance d’un troisième sexe, mais cela ne signifie pas que les juges de Karlsruhe considèrent le suicide assisté comme légal. La balle est désormais dans le camp des politiques.
Augmentation considérable des retraites – en dépit du trou conjoncturel
38L’Allemagne, à l’instar de tous les pays européens, fait face à une récession profonde cette année, mais le gouvernement a augmenté très fortement les retraites depuis le 1er juillet 2020, de 3,45 % à l’Ouest et de 4,2 % à l’Est. Cette décision qui paraît absurde aux yeux de certains, à un moment à l’Allemagne enregistre des centaines de milliers de chômeurs en plus sans compter les six millions de personnes au chômage partiel, s’explique par le mode de calcul qui s’applique au système de retraite. L’augmentation de ces dernières est liée à celle de l’évolution de l’ensemble des salaires de l’année précédente qui fut très favorable en 2019. Théoriquement, les retraites devraient baisser l’année prochaine, mais en 2009, la grande coalition a introduit une garantie de maintien de leur niveau. Aux jeunes générations qui risquent de protester contre une mesure considérée comme injuste, on pourrait expliquer que les retraités allemands sont pauvres en comparaison européenne, notamment française.
L’apprentissage de l’allemand augmente
39Si l’allemand est la langue maternelle la plus parlée en Europe, son étude en tant que langue étrangère a reculé dans le monde face à la progression de l’anglais, de l’espagnol et, plus récemment, du chinois. Mais depuis quelques années, le nombre d’apprenants dans le monde s’accroît, les pays anglophones mis à part, notamment en Chine, en Inde et dans certains pays d’Afrique. En France, l’intérêt pour l’allemand augmente aussi : en 2020, quelques 1,186 million d’élèves apprennent l’allemand en première ou deuxième langue, un gain de presque 300 000 élèves en cinq ans. Cet accroissement serait notamment dû à l’intérêt accru pour l’allemand dans les écoles primaires. C’est peut-être un peu tôt pour rapprocher cette légère croissance des dispositions du Traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle incluant l’apprentissage de la langue du partenaire parmi ses ambitions.