Livres sur histoire et civilisation
Philipp Ther, Die Auβenseiter, Suhrkamp, Berlin, 2018, 436 p.
1Le choix du mot « Auβenseiter » éclaire les intentions de l’auteur de cet ouvrage exhaustif : il indique que ceux qui sont initialement des réfugiés risquent d’être des « non-adaptés » s’ils ne sont pas intégrés. L’histoire montre que ce triptyque (fuite, refuge, intégration) est vieux comme le monde. L’auteur commence par une date importante : 1492, l’expulsion des juifs Séfarades hors d’Espagne.
2S’ensuivent quatre parties distinguant les raisons de la fuite dans l’Europe moderne. D’abord les raisons religieuses avec la célèbre migration des huguenots. Puis, très vite, la force des affrontements entre nationalistes. La première guerre mondiale est la cause première, elle réside en la force d’un impérialisme allemand, qui mettra l’Europe en branle pour plusieurs décennies. Annexions, occupations, expulsions, le sol ne cesse de bouger. Des chapitres bien distincts font état de troubles qui ont plusieurs causes : la doctrine nazie (« ein Volk, ein Reich, ein Führer »), le sionisme, l’éclatement de la Yougoslavie, l’hégémonie des idéologies (fascisme, bolchevisme).
3On peut suivre, au fil des chapitres, les phénomènes, anciens ou plus récents : l’émigration des « aristocrates » français à l’époque de la Révolution, les passages à l’Ouest devant l’échec des « révoltes » anti-soviétiques (la Hongrie en 1956, le printemps de Prague en 1968). Le dernier chapitre est consacré aux intégrations plus ou moins réussies, nécessitées par les besoins de main-d’œuvre dans l’industrie (d’abord dans les mines avec les « Polonais de la Ruhr », puis dans l’automobile, avec les « Gastarbeiter » venant principalement de la Turquie). Ce qui s’est passé en 2015 est en rupture avec le jeu habituel des migrations, qui est plutôt « inter-européen » : des populations chassées du proche Orient par les guerres, les répressions. On en mesure les conséquences avec la création et le relatif succès d’un parti carrément anti-migrants, l’Afd.
4L’auteur de l’ouvrage, Philipp Ther, est professeur à Vienne et directeur d’un « Institut für Osteuropäische Geschichte ». Son travail a été récompensé par un Prix du livre documentaire au forum du livre de Leipzig.
Frédéric Joly, La langue confisquée, lire Victor Klemperer aujourd’hui, Premier Parallèle, Paris, 2019, 281 p.
5Ce livre d’un germaniste, essayiste et traducteur, vient à son heure pour compléter la lecture, indispensable, de l’ouvrage-clé de Victor Klemperer (1881-1960), LTI, Langue du Troisième Reich, Carnets d’un philologue, dont il existe une version française (chez Albin Michel, 1996). On y trouvera les éléments d’une biographie de ce grand romaniste, spécialiste de la littérature du « siècle des lumières », bien connu dans les années vingt. Avec l’arrivée au pouvoir du national-socialisme, il est sauvé du pire en raison de son mariage avec une « aryenne ». En 1945, il échappe de justesse au terrible bombardement de février à Dresde, et utilise des faux papiers au nom de Kleinpeter pour déjouer les dernières rafles de la Gestapo.
6La rédaction proprement dite de LTI est effectuée après la chute du régime nazi, à partir de son journal et de notes diverses, camouflées, grâce à une complicité, dans les archives d’un hôpital. Klemperer se trouve en 1945 dans la zone soviétique, où il voit une réelle intention de chasser de l’appareil d’État tous les anciens nazis. En même temps il demande son adhésion au KPD et au Kulturbund. Il est rétabli dans sa fonction de professeur et finit par occuper la chaire de romanistique à la Humbolt de Berlin.
7Les honneurs s’accumulent : présence au parlement (Volkskammer) au titre de président du Kulturbund, Prix national, élection à l’Académie des sciences. Il est « protégé » par une autre romaniste, Rita Schober, qui a d’importantes fonctions dans l’appareil d’État. On peut s’étonner du manque de réactions de Klemperer devant l’envahissement de la vie publique par une « novlangue » marxiste-léniniste aussi prégnante que la LTI. C’est que l’Ouest lui paraissait, à cette époque (années cinquante), fermé à ses réflexions, alors que l’Est lui avait assuré la publication de sa LTI et la reconnaissance de son œuvre de romaniste. Une maison d’édition, Aufbau-Verlag, avait aussi publié ses deux volumes de Journal qui embrassent très exactement la période du Troisième Reich (1933-1945). Les derniers témoignages sur sa vie (il disparaît en 1960) nous montrent un homme désabusé, fatigué, n’ayant plus la force de dire qu’on lui a bien confisqué sa langue, qui est l’allemand sans manipulations sémantiques. Lire Victor Klemperer aujourd’hui, c’est possible, car la LTI et son Journal ont été traduits, tardivement il est vrai (1996 et 2000).
Livres sur la littérature
Wolgang Koeppen, Werke Band 16, Suhrkamp, Berlin, 2018, 765 p.
8C’est le dernier volume des œuvres complètes de Koeppen, publiées par Suhrkamp. Il embrasse tous les entretiens et toutes les interviews de cet illustre doyen des lettres allemandes (1906-2016). Né à Greifswald, il vécut à Berlin, en Hollande (exil en 1933), puis de nouveau en Allemagne, où il préféra vivre à Munich. Il eut son heure de gloire au début des années cinquante avec sa « trilogie » sur la fondation de la RFA : Tauben im Gras, Das Treibhaus, Der Tod in Rom. Vision critique d’une société où les racines du nazisme n’ont pas été totalement extirpées. Mais il ne trouva pas l’admission au sein du « groupe 1947 ». Il se consacra à des récits de voyage (Russie, Amérique, France) et à des essais, toujours dans la même perspective critique. Son œuvre est immense (15 volumes, dont des scénarios, des critiques de théâtre, de livres et de cinéma), mais cependant assez mal connue. Grâce à cet ultime volume on peut suivre le fil historique de la vie des deux Allemagnes jusqu’à la réunification. Les notes sont abondantes et précises, dans la tradition allemande des œuvres publiées par des universitaires (dans le cas présent : le titulaire de la chaire de germanistique à Leipzig de 1995 à 2018).
LITTER all, Littératures de langue allemande, n° 25, 2018, Paris, 100 p.
9C’est un numéro anniversaire pour une revue lancée en 1989 par Nicole Bary. Dans son introduction, celle-ci présente un bilan éloquent : 181 auteurs y ont été offerts à la lecture à travers des extraits traduits par des professionnels ayant pignon sur rue.
10Comment expliquer un tel nombre ? Par le choix de présenter des textes récents et inédits en français, des auteurs inconnus ou peu connus, n’appartenant à aucune école, aucune tendance. Une récapitulation des auteur(e)s publiés (avec le numéro de la revue) montre que les plus importants n’ont pas été oubliés (ils ont même plusieurs parutions). À titre d’exemples : Volker Braun, Hans Magnus Enzensberger, Franz Fühmann, Christoph Hein, Angela Kraus, Herta Müller, Christa Wolf. Parmi les « découvertes » de ce n° 25, il y a des auteurs ayant eu maille à partir avec le régime de la RDA et partis pour l’Ouest, où leur talent a été reconnu et couronné de prix. Exemples typiques : Wolfgang Hilbig, prix Büchner, ou bien Friedrich Dieckmann, prix Heinrich Mann. Pour commander ce n°, écrire à l’éditeur : Les Amis du Roi des Aulnes, 6, rue Lacharrière, 75011, Paris.
Revue Text + Kritik, No II/19, Theodor Fontane, Munich, 2019, 224 p.
11Il s’agit d’une nouvelle version du n° spécial de la célèbre revue paru en 1970. L’occasion pour cette nouvelle parution est le bi-centenaire de Theodor Fontane (1819-1898). Dans un texte autobiographique, Fontane se définit, dans l’ordre, comme Berlinois, Prussien, Allemand. C’est que le lointain descendant des huguenots se souvient de ses origines : Berlin fut un grand centre d’accueil pour les protestants français, chassés par la révocation de l’édit de Nantes.
12La plupart des articles envisagent l’œuvre de Fontane sous un angle synthétique : l’influence du statut initial de journaliste et d’écrivain régionaliste sur le contenu et la forme de ses grands romans. Lesquels ne sont qu’évoqués, comme Effi Briest, Irrungen, Wirungen, Der Stechlin. Comme d’habitude, la biographie est très précise et alignée selon le titre des œuvres.
Revue Treibhaus, No 14/15 de 2019, édition Text + Ktitik, Munich, 2019, 496 p.
13Cette revue, qui porte comme titre celui d’un célèbre roman des années cinquante (de Wolfgang Koeppen) s’attaque cette année au Theater der fünfziger Jahre. Il y a logiquement deux grandes parties. La première est consacrée à la pratique théâtrale et aux mises en scène. Les grands noms de cette décennie est y figurent : Gustav Gründgens, Günther Weisenborn, Herbert Ihering, Hans Weigel. La seconde est vouée à l’écriture dramatique, celle qui publie des Dramen. On pourrait s’attendre à voir apparaître les noms de Frisch et de Dürrenmatt. Mais les éditeurs considèrent que la littérature qui leur est consacrée est déjà suffisante. Ils préfèrent focaliser sur les auteurs moyennement connus, qui n’en ont pas moins marqué leur temps : le jeune Peter Hacks, Wolfgang Hildesheimer, Fritz Hochwälder, Nelly Sachs, Erwin Strittmatter, Erwin Sylvanus. Quelques titres font partie de l’histoire du théâtre de langue allemande dans les deux États allemands, comme Katzgraben en RDA et Die Schlacht bei Lobositz en RFA. Le théâtre de cette décennie préfigure celui qui viendra après, comme le théâtre documentaire et le nouveau « Volksstück ».