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Article de revue

Actualité sociale, juillet 2019

Pages 39 à 46

1Le choix des sujets traités dans le cadre de cette rubrique est en quelque sorte le reflet de l’inquiétude qui semble s’être emparée des Allemands. Les incertitudes politiques – la déconfiture des sociaux-démocrates du SPD avec la démission brusque de leur présidente Andrea Nahles, le crépuscule de l’ère Merkel dont on se demande, combien de temps encore et what next ? – conduisent à une forme d’attentisme morose qui s’accompagne de la perception d’une sournoise perte d’influence en Europe, en dépit de l’élection d’Ursula von der Leyen au fauteuil de président de la Commission européenne. À ces craintes s’ajoutent les résultats peu réjouissants des élections régionales dans les nouveaux Länder (Saxe et Brandebourg, ultérieurement Thuringe), qui confortent le parti d’extrême droite AfD. Il est vrai que le sentiment d’abandon est fort chez les habitants de l’est du pays qui assistent, impuissants, au déclin de leurs petites villes, de leurs campagnes. C’est peut-être en réaction – tardive, il est vrai – à cette perception, que le gouvernement se préoccupe de l’Instauration de conditions de vie équivalentes dans toutes les régions d’Allemagne, ce qui procède d’un bon sentiment, mais dont on peut s’interroger sur la faisabilité en l’absence de moyens financiers adéquats.

2Les deux sujets suivants, le Gel des loyers à Berlin ainsi que La Deutsche Bank au bord du gouffre, reviennent à des thématiques traitées précédemment, d’un côté la situation du marché locatif à Berlin qui a connu un durcissement inattendu, et de l’autre la plus grande banque allemande qui n’a pu se marier avec sa concurrente, la Commerzbank, et se voit contrainte à effectuer des coupes très dures et d’enterrer – au moins provisoirement – ses rêves de conquérir les États-Unis. En attendant, les manifs contre l’exploitation du charbon, avec celle de Ende Gelände – le mouvement qui réclame la fin de l’exploitation du lignite – continuent de plus belle, fusionnant par endroits avec celle des Fridays for future dont la présence est massive en Allemagne. La morosité ambiante connaît toutefois une éclaircie bienvenue, car la conjoncture ralentit – mais le boom de l’emploi se poursuit. Il semblerait en effet que l’essoufflement conjoncturel actuel ne porte guère atteinte à la bonne santé du marché du travail, les entreprises étant désireuses de conserver leur personnel – une leçon apprise pendant la dernière crise économique…

Instauration de conditions de vie équivalentes dans toutes les régions d’Allemagne

3Tous les Allemands savent qu’il vaut mieux vivre à Munich qu’à Brême, ou, globalement, en Bavière que dans la Sarre ou dans le Mecklenbourg Poméranie antérieure. Les rémunérations, les équipements, les services, bref, les conditions de vie ne se valent pas aux quatre coins du pays. Donc, après le programme Aufbau Ost destiné à permettre aux régions d’Allemagne de l’Est de rattraper l’Ouest après la chute du Mur de Berlin, voici venir celui destiné à établir des conditions de vie équivalentes dans toutes les régions allemandes, tant à l’Est et au Nord qu’à l’Ouest, comme le commande la Loi fondamentale. Ce projet qui figurait au contrat de coalition de septembre 2017 – suite au tremblement de terre que constituait l’arrivée d’une petite centaine de députés du parti d’extrême droite AfD au Bundestag – a conduit à la création d’une Commission pour des conditions de vie équivalentes partout réunissant des représentants de plusieurs ministères, intérieur, agriculture et famille. Elle vient de présenter un plan en douze points destiné à lutter contre la désertification croissante de nombreuses régions en Allemagne, à l’instar de difficultés en France, analogues et non moins graves. Si la commission a pris son temps pour produire ses recommandations, cette initiative était attendue depuis que M. Seehofer, ministre de l’Intérieur, avait ajouté la fonction de défenseur de la « Heimat » à son titre.

5Il est vrai que la situation s’est considérablement aggravée. Si, contrairement aux craintes initiales, la population dans son ensemble s’est accrue, notamment en raison de l’afflux de réfugiés, mais aussi parce que le taux de naissance a augmenté ces dernières années, l’écart ne cesse de se creuser entre les gagnants et les perdants. Alors que la population des grandes villes s’est accrue de 1,4 million d’habitants entre 2005 et 2015, plus de la moitié des petites villes ont vu le nombre de leurs habitants reculer. Des loyers qui explosent ici – voir les exemples de Berlin, de Munich ou de Francfort – et des logements inoccupés ailleurs, un phénomène qui s’accroît. La question centrale identifiée par les membres de la commission était de savoir comment créer des emplois à la campagne et dans les petites villes. Car tant que les offres d’emploi n’existent que dans les régions en croissance rapide, la désertification des campagnes n’est plus qu’une question de temps. Quand les services essentiels disparaissent – écoles, médecins, commerces, transports en commun –, le destin des communes est scellé.

6Sur les douze points principaux proposés, trois actions retiennent l’attention, à savoir la création d’emplois, l’Internet rapide et des aides financières pour les communes surendettées. Pour soutenir l’emploi, le gouvernement envisage de déplacer des institutions fédérales dans des régions structurellement faibles. Ainsi, le ministère de l’Intérieur envisage de créer de façon croissante les dépendances de ses grandes administrations non plus dans les grandes villes, mais là où les emplois sont rares. Il cite comme exemple le Bundesamt für Sicherheit in der Informationstechnik, BSI (administration fédérale de la sécurité du numérique) qui, à la demande de Horst Seehofer, étudie la possibilité de créer une dépendance à Halle, ville pauvre en Allemagne de l’Est qui vivote à l’ombre de Leipzig. L’idée qui a motivé cette décision est l’effet boule de neige : l’installation d’une grande administration pourrait entraîner celle d’entreprises voire celle d’instituts de recherche.

7Dans le domaine de l’Internet rapide, la Commission a constaté qu’il est du devoir de l’État de se substituer aux entreprises de télécommunications aux endroits – 15 % de la surface du pays – où, pour ces dernières, ce n’est pas rentable d’investir. C’est pourquoi le gouvernement propose de créer une société d’investissement publique qui érige des mâts et construit des réseaux là où les entreprises sont défaillantes. La même mesure est envisagée pour la construction de réseaux de transport, routes et rails, voire vélos. Le gouvernement est persuadé que c’est le seul moyen de garantir l’accès de tous à ces nécessités que sont, à l’avenir, la voiture autonome ou bien le réseau ferré numérique, sans compter toutes les applications où l’Internet rapide est indispensable. Financement par l’État signifie bien évidemment financement par l’impôt… Or M. Seehofer a annoncé qu’il n’y aurait pas d’augmentation d’impôts. Il estime que la construction de routes, de rails et la fourniture d’Internet rapide sont des investissements d’avenir qui vont générer de la croissance, donc aussi plus d’impôts : est-ce à dire qu’ils seraient financés par l’emprunt ?

8Le troisième projet qui porte sur l’aide aux communes surendettées a provoqué le soulagement dans de nombreuses régions, car, jusqu’à présent, c’étaient les Länder qui étaient censés aider les communes qui avaient des problèmes financiers. Par la voix des trois ministères impliqués, le gouvernement propose de délester 2 000 communes de leurs dettes anciennes, afin de leur permettre de construire le développement économique et social futur au lieu d’assister, impuissantes, à leur déclin. La situation financière des petites villes continue en effet à se dégrader, ce qui entraîne la paupérisation croissante de leur population qui songe à s’exiler. Le geste du gouvernement est destiné à stopper ce cycle destructif.

9Mais comme certains n’ont pas manqué de le relever : ce grand projet tombe à pic quelques mois avant les échéances des prochaines élections régionales. Au mois de septembre ont eu lieu les élections au Landtag en Saxe et dans le Brandebourg ; au mois d’octobre, ce sera au tour de la Thuringe. Les frustrations de la population locale face aux disparités qui ne se résorbent pas assez vite à ses goûts sont énormes, laissant craindre l’accroissement des tendances à la radicalisation. Le gouvernement a craint que l’AfD, le parti d’extrême droite, puisse rafler la mise en Saxe et au Brandebourg, voire en Thuringe. D’autres voix s’élèvent pour dénoncer le flou qui entoure le projet du gouvernement : s’agit-il d’un vrai programme ou simplement d’un constat de l’existant ? Les conclusions de la Commission ne lèvent pas le doute, car elles se contentent de juxtaposer les positions des organismes concernés, sans parvenir à un consensus – et aucune contribution financière nouvelle du gouvernement. Seule certitude : les 12 milliards d’euros pour l’infrastructure numérique, déjà prévus au contrat de coalition.

Gel des loyers à Berlin

10La situation critique du logement à Berlin, déjà évoquée précédemment (voir AA n° 228), a connu un rebondissement politique au mois de juin qui divise les esprits. Suite aux manifestations contre les loyers trop élevés du mois d’avril accompagnées de demandes d’expropriation des sociétés détenant plus de 3 000 logements, le Sénat de Berlin, le gouvernement de cette ville-État, a décidé d’agir. Sous la houlette de Katrin Lompscher, sénatrice en charge du secteur du logement à Berlin, le gouvernement régional, une coalition entre le SPD, les Verts et die Linke, a décrété un gel pur et simple des loyers du parc privé, une mesure qui devrait concerner environ 1,6 million de logements, c’est-à-dire la quasi-totalité du parc locatif privé, dans une ville où 80 % des habitants sont locataires. Les seules exceptions portent sur les logements sociaux ainsi que ceux en construction qui n’ont pas encore été loués. Cette décision du Sénat s’accompagne du plafonnement des loyers existants afin de limiter les abus liés aux rénovations d’appartements anciens qui, jusqu’à présent, permettaient de les augmenter parfois de façon considérable.

11Ces mesures ne devraient pas entrer en vigueur avant 2020, le projet de loi étant actuellement en cours de rédaction. Son adoption à une large majorité par les deux chambres du Sénat ne fait toutefois aucun doute, l’orientation politique du gouvernement régional étant très marquée à gauche. Si le vote ne pourra intervenir avant plusieurs mois, ces mesures seront toutefois conçues pour être rétroactives, l’encadrement des loyers devant être appliqué en date du 18 juin 2019, ce qui correspond à la date de la prise de décision du gel des loyers. Le Sénat de Berlin souhaite en effet éviter que les propriétaires profitent du délai nécessaire à la rédaction du projet pour augmenter préventivement leurs loyers. Les contrevenants seront sévèrement punis : les propriétaires qui ne se conforment pas au gel des loyers décrété, risquent des amendes pouvant atteindre 500 000 euros.

12Le gel des loyers correspond aux vœux d’une frange de la population berlinoise qui a beaucoup de mal à se loger, bien que le niveau des loyers dans la capitale allemande soit encore très loin d’égaler celui pratiqué à Paris ou à Londres. C’est moins le niveau en soi des loyers, environ 10 euros par mois le mètre carré à Berlin (26 à Paris et Londres), qui agace que leur augmentation rapide dans un contexte d’accroissement important de la population de la ville. Toutefois, la méthode qu’emploie le Sénat pour faciliter l’accès aux logements ne satisfait pas tout le monde.

13Nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour affirmer que le gel des loyers n’incite pas à construire davantage de logements, bien au contraire. Les critiques estiment qu’il devrait s’accompagner de mesures incitatives énergiques en vue d’accroître le parc de logements à prix accessibles. Or, les mesures prises par le Sénat risquent d’aboutir à la situation inverse : les nouveaux appartements non encore loués étant exclus du blocage, les promoteurs pourraient être tentés de construire surtout du haut de gamme. Même la modernisation de logements anciens, qui jusqu’à présent permettait d’augmenter les loyers, sera sévèrement encadrée : si, suite aux modernisations, l’augmentation du loyer dépasse 50 centimes le mètre carré, elle devra être soumise à autorisation. C’est pourquoi de nombreux spécialistes craignent que la situation ne soit encore plus difficile qu’avant pour les locataires modestes.

14Si tout se passe bien pour le Sénat, la nouvelle loi sur les loyers (Mietengesetz) entrera en vigueur le 11 janvier 2020. Elle sera applicable pendant cinq ans. D’ici là, Madame Lompscher devra encore surmonter un certain nombre d’obstacles, tels que l’audition des professionnels et des associations concernés, ainsi que les votes du Sénat et du parlement régional qui devraient lui être acquis.

15En attendant, l’initiative visant à exproprier les grands groupes immobiliers n’est pas encore morte, bien au contraire. Si la pétition, 77 000 signatures déjà au mois de juin, parvient à réunir 170 000 soutiens d’ici l’automne, le Sénat de Berlin sera amené à organiser un référendum local sur la question, un cauchemar financier pour la ville, si les partisans de l’expropriation l’emportent. La renationalisation d’anciens HLM que la Mairie avait privatisés après la chute du Mur de Berlin pour renflouer ses caisses risque de lui coûter très cher.

La Deutsche Bank au bord du gouffre

16Trois mois après l’échec du mariage que la Deutsche Bank avait envisagé avec la Commerzbank, la plus grande banque allemande (1 769 milliards de dollars d’actifs financiers détenus) se voit contrainte de procéder à des choix douloureux. À l’issue d’une réunion de crise de son conseil d’administration, sa direction a annoncé le 7 juillet un plan de restructuration qui prévoit des mesures d’économie drastiques. La première porte sur le personnel de la banque : la direction envisage de supprimer 18 000 postes, soit environ 20 % des effectifs, une mesure d’autant plus étonnante que c’est précisément la prévision de la perte d’un grand nombre d’emplois qui avait fait échouer la perspective de la fusion avec la Commerzbank. D’ici trois ans, le nombre de salariés sera ramené à 74 000 personnes environ, comparées à 91 500 aujourd’hui. Une telle saignée, qui n’a pas épargné certains dirigeants tels que le patron de la banque d’investissement, est très exceptionnelle dans le secteur bancaire, mais dans la mesure où la Deutsche Bank, très généreuse, compte le plus grand nombre de salariés rémunérés plus d’un million d’euros par an parmi les 17 principales banques européennes, l’économie sera réelle. C’est peut-être pour éviter le pire que le syndicat allemand Verdi a publiquement annoncé qu’il soutenait le plan de restructuration, dont le coût devrait atteindre 7,4 milliards d’euros d’ici à 2022.

17Deuxième mesure d’importance pour tourner la page de trois ans de grandes difficultés financières, la Deutsche Bank va créer une bad bank, à savoir une structure de défaisance pour se débarrasser de 74 milliards d’actifs considérés comme risqués, essentiellement des produits financiers spéculatifs. Ce type de banque poubelle est une structure juridique légale qui permet à la banque de mettre les actifs les plus douteux à part, d’en faire l’inventaire et d’en vendre le plus possible. Ces actifs considérés comme pourris se sont accumulés depuis la crise financière de 2008 avec les subprimes, ces produits financiers regroupant des crédits immobiliers accordés à des ménages américains insolvables. La Deutsche Bank n’a jamais réussi à s’en débarrasser, en dépit des avertissements répétés des autorités financières européennes et américaines.

18C’est la banque de financement et d’investissement qui réunit les activités de marché, les fusions et acquisitions qui sera la plus touchée par les réformes en cours. Sa rentabilité étant très médiocre, le PDG du groupe, Christian Sewing, a décidé de réduire le volet négoce d’actions qui coûte cher et rapporte peu. Ainsi, elle va pratiquement cesser ses activités liées aux marchés actions. Dans cette optique, elle a conclu un accord avec BNP Paribas pour assurer une continuité de service auprès de ses clients sur les marchés actions pour qu’ils ne soient pas lésés par la réorientation de l’activité de la banque qui souhaite se rediriger vers des secteurs plus stables et classiques du type dépôt et financement d’entreprise.

19De cette manière, la Deutsche Bank souhaite se redonner une image de banque stable et solide afin de conserver ses clients traditionnels. Les espoirs qu’elle a pu caresser un temps de devenir une grande banque internationale se sont éloignés, le rêve américain enterré. Elle réduit sa voilure, mais bon nombre de spécialistes restent sceptiques, car l’ensemble du secteur bancaire traverse actuellement une période difficile. Les mesures prises seront-elles suffisantes ? Ou la Deutsche Bank sera-t-elle la proie potentielle d’un concurrent européen ou américain ?

Ende Gelände – le mouvement réclame la fin de l’exploitation du lignite

20Ende Gelände (fin du terrain), un terme qui signifie à peu près terminus, est le nom que s’est donné un collectif allemand de lutte pour le climat. Depuis quatre ans, ce groupe de militants écologistes organise une grande manifestation chaque année pour attirer l’attention du public sur les conséquences de l’exploitation du charbon, notamment du lignite, particulièrement nocif pour le climat. Pour l’édition 2019 de leur rassemblement, le mouvement a choisi d’occuper la mine de lignite à ciel ouvert de Garzweiler, une immense tranchée de 10 kilomètres de long en Rhénanie du Nord Westphalie, non loin de la frontière avec les Pays-Bas, propriété du géant énergétique RWE. Ce lieu symbolique, une affreuse balafre blême au cœur d’un paysage verdoyant, avait déjà été choisi en 2015 et en 2017, mais cette année, l’intérêt pour la manif a dépassé tous les espoirs des organisateurs.

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Exploitation à ciel ouvert de Garzweiler II.

Exploitation à ciel ouvert de Garzweiler II.

Exploitation à ciel ouvert de Garzweiler II.

22Plus de quarante bus sont arrivés de toute l’Europe, amenant environ 5 000 militants de la cause écologiste de toute l’Europe, dont au moins 300 Français. S’agissant d’une manifestation en principe interdite, les écologistes se sont entraînés le vendredi 21 juin à la désobéissance civile : comment résister à une charge de la police, que faire si on est blessé, comment ne pas céder au désir de répondre à la violence par la violence… Le samedi, les militants ont tenté d’occuper la mine de lignite à ciel ouvert ainsi que les voies de chemin de fer qui mènent aux trois centrales électriques à charbon que RWE y exploite. Ils réclament l’arrêt immédiat de l’exploitation du charbon ainsi qu’un changement fondamental du système socio-écologique. La police, présente en nombre, voulait éviter que les activistes s’approchent des infrastructures de RWE. Les lieux devaient en principe être libérés le samedi soir, mais la police, qui s’était servi de gaz lacrymogène et de bâtons pour déloger les écologistes, a dû transporter bon nombre d’entre eux de force. Si certains ont été légèrement blessés des deux côtés, l’occupation de Garzweiler s’est terminée sans trop de casse, bien que les manifestants retenus par la police se plaignent d’avoir été maltraités, accusation que la police réfute.

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Photo de Matthias Jung/laif.
Photo de Matthias Jung/laif.

24Le blocage de la mine de lignite et l’occupation des rails de chemin de fer se sont doublés en même temps d’une importante manifestation dans la ville proche de Keyenberg, qui doit être partiellement détruite pour y étendre l’exploitation de la mine de lignite. Selon les organisateurs de cette action, dont Greenpeace, et la fédération écologiste allemande BUND, elle a réuni 8 000 personnes qui réclamaient l’abandon immédiat de l’exploitation du charbon. Les manifestants ont formé une chaîne humaine autour de la petite ville en scandant « Kohle stoppen - Klima und Dörfer retten » (Arrêter le charbon – sauver le climat et les villages).

25Si les organisateurs de cette manifestation à Garzweiler sont ravis de son succès en termes d’attention médiatique, ils ne se montrent guère surpris. Leur happening reflète la prise de conscience grandissante de l’ampleur du défi climatique. C’est ce qui s’est vu aux élections européennes du mois de mai, où les Verts ont presque doublé leur score de 2014, en obtenant 20,5 % des voix, dépassant allègrement les sociaux-démocrates. Depuis le début de l’année, le mouvement Fridays for future lancé par la lycéenne suédoise Greta Thunberg connaît un succès grandissant en Allemagne. Au même moment où Ende Gelände est parti à l’assaut de la mine de Garzweiler, la ville d’Aix-la-Chapelle, à une quarantaine de kilomètres de là, a connu son plus grand rassemblement de jeunes dans le cadre des Fridays for Future. Le vendredi 21 juin, de 20 000 à 40 000 jeunes venus de 16 pays ont manifesté en faveur de la protection du climat. Les deux mouvements ont par ailleurs annoncé qu’ils se soutiendraient mutuellement dans leurs efforts face à un gouvernement qu’ils considèrent comme beaucoup trop timoré.

La conjoncture ralentit – mais le boom de l’emploi se poursuit

26La situation socio-économique de l’Allemagne présente actuellement un contraste saisissant : la conjoncture ralentit – on s’attend à guère plus de 0,5 % de croissance cette année après le trou d’air fin 2018, mais la santé insolente du marché de l’emploi se maintient pratiquement comme avant. Avec 2,2 millions au mois de juin, en recul d’un millier par rapport au mois de mai, le nombre de demandeurs d’emploi a reflué à son plus faible niveau depuis l’unification, une rengaine que l’Agence fédérale pour l’emploi (Bundesanstalt für Arbeit, BA) de Nuremberg entonne, imperturbable, tous les ans depuis la fin de la crise économique et financière il y a une dizaine d’années. Ainsi, l’Allemagne est, selon Eurostat, le 2e pays européen le moins touché par le chômage et celui qui, avec 5,6 %, affiche le taux de chômage des jeunes le plus faible d’Europe.

27Ce bas niveau de chômage en dépit d’un ralentissement de l’activité économique s’accompagne d’un nombre très élevé de demandes de nouveaux salariés de la part des entreprises. Après l’accroissement de la population active de près d’un demi-million (491 000) en 2018 pour atteindre 44,8 millions, la hausse se poursuit au premier semestre 2019 avec 45,1 millions au mois de mai 2019. Les seuls indicateurs susceptibles de montrer un frémissement d’inquiétude par rapport au marché de l’emploi sont le nombre de personnes percevant la prestation chômage de courte durée (AlG 1) qui a augmenté de 43 000 en un an pour atteindre 704 500 bénéficiaires en juin 2019. S’y ajoute peut-être le très léger recul du nombre de postes à pourvoir qui, avec 774 000, stagne pour la première fois depuis 2013. D’après la BA, il ne s’agit pas de petits boulots, mais en grande majorité d’emplois soumis aux charges sociales. Le nombre de ces emplois classiques s’est accru de 670 000 l’année dernière, portant le nombre de salariés assujettis aux assurances sociales à un peu plus de 33 millions sur une population active totale de 45 millions.

28La population active continue donc de s’accroître en dépit d’une croissance économique molle. Le IAB s’est penché sur ce paradoxe. Cet institut de recherche sur le marché de l’emploi et les professions rattaché à la BA a produit une analyse sur les facteurs susceptibles d’avoir impacté le deutsches Jobwunder (miracle de l’emploi allemand). Le plus important semble être la perception des entreprises de la pénurie réelle ou supposée de la main-d’œuvre disponible. Du coup, elles hésitent à licencier quand les commandes reculent et recrutent quand l’occasion se présente, même sans avoir de besoins immédiats. Elles constituent des réserves, en quelque sorte, face à l’adversité. Il semblerait que plus de la moitié des 6 millions de créations d’emploi depuis 2006 aurait été due à ce phénomène.

29La profonde récession suite à la crise économique et financière de 2008 a mis en lumière ce comportement conservateur des entreprises : contrairement à ce qui se passait en France, où les licenciements furent nombreux, les entreprises allemandes ont maintenu leurs salariés – à coups de réductions du temps de travail favorisées par l’État et les salariés eux-mêmes – ce qui leur a permis de redémarrer très rapidement lorsque la demande mondiale a repris en 2010. Cette leçon a manifestement été apprise, et elle éclaire le comportement des entreprises aujourd’hui qui tend à se renforcer.

31L’impact de la conjoncture semble se réduire : 1 % de croissance économique ne produit plus que 0,2 % d’augmentation de l’emploi. Ce découplage de la croissance et du marché de l’emploi serait aussi dû aux changements structurels que connaît le monde du travail. Les nouveaux emplois naissent majoritairement dans les services, dont certains pans se soustraient à la conjoncture, tels que ceux liés à l’accueil de la petite enfance ou du grand âge. S’y ajoutent deux autres facteurs qui favorisent la création d’emplois, à savoir la faible augmentation des salaires qui ne s’est légèrement renforcée que depuis quelques années, ainsi que la tendance à la réduction du temps de travail que les employeurs compensent par des recrutements.

32Il est vrai que les candidats à l’embauche ne manquaient pas ces derniers temps : entre l’arrivée des réfugiés économiques européens, de l’Est et du Sud, ainsi que de ceux poussés par les conflits les plus divers, sans oublier l’accroissement de la participation des femmes au marché de l’emploi, le potentiel s’est considérablement accru, sans compter le report des départs à la retraite, de plus en plus tardifs.

33Les inquiétudes dont font part certains instituts de recherche actuellement concernant une remontée du chômage en raison de l’affaiblissement de la conjoncture n’ont guère lieu d’être, car la situation actuelle risque de ne pas durer. Dès le milieu des années vingt, les facteurs démographiques frapperont très durement : les enfants du baby-boom qui partiront à la retraite, seront beaucoup plus nombreux que les jeunes qui entreront dans le marché de l’emploi, un hiatus difficile à combler dans l’actuelle constellation de défiance vis-à-vis des migrants. On peut en conclure que l’Allemagne doit se préparer à une pénurie d’actifs – une bonne nouvelle pour les salariés qui seront de plus en plus courtisés…

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