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Article de revue

Actualité sociale, avril 2018

Pages 62 à 67

1L’actualité politique restant désespérément morne – les Allemands se rendant à peine compte qu’un gouvernement élu a succédé à celui qui a fait fonction depuis le mois de septembre dernier, les zizanies mises à part –, les nouvelles dans le domaine socio-économique prennent d’autant plus d’ampleur dans les débats. Le premier, qui a pris une grande place dans les réseaux sociaux, a rappelé que l’introduction des réformes du marché de l’emploi en 2005 a contribué à une augmentation considérable de la pauvreté dans la population, ce qui a conduit à la prolifération des Tafel, l’aide alimentaire aux démunis, un phénomène encore aggravé par l’arrivée du flot de réfugiés en 2015, dont la situation matérielle reste précaire. Également dans le domaine de l’alimentation, mais plutôt du côté des nantis, une nouvelle qui doit réjouir les professionnels de la santé, car ils constatent un recul inédit de la consommation de bière, notamment parmi les jeunes, qui se détournent aussi de façon croissante du binge-drinking. Quelques nouvelles aussi dans le domaine industriel, dont une réjouissante : la grève à laquelle avait appelé IG Metall, dont bon nombre de protagonistes craignaient qu’elle ne s’éternise a finalement conduit à un accord équilibré dans la métallurgie. Deux contributions, très différentes, s’intéressent à l’industrie automobile. Toujours à l’affut de bonnes affaires en Europe, la Chine s’invite au capital de Daimler, ce qui n’est pas sans inquiéter la direction qui craint des conflits d’intérêt, et, pour finir, un commentaire sur la décision du tribunal fédéral administratif de Leipzig confirmant la légalité de l’interdiction de circuler pour les voitures diesel polluantes. Voilà, après le Dieselgate, une deuxième pierre dans le jardin des constructeurs d’automobiles qui, pendant trop longtemps, ont favorisé les voitures diesel polluantes, au détriment de la santé de la population.

Le débat autour des Tafel, l’aide alimentaire aux démunis

2Depuis que la Tafel de Essen, l’organisation régionale de cette ville située dans le bassin de la Ruhr qui distribue gracieusement des aliments aux plus démunis, a décidé de ne plus accepter d’étrangers parmi les bénéficiaires de son aide, le débat sur cette mesure n’a pas cessé d’enfler, au point de contraindre la Chancelière à prendre position. Cette décision, prise au mois de janvier, a été justifiée par Jörg Sartor, le président de l’association, en ces termes sur son site : « Comme le nombre de citoyens étrangers parmi nos clients, en raison de l’afflux de réfugiés ces dernières années, a atteint 75 %, nous nous voyons contraints, afin d’assurer une intégration convenable, de n’accepter momentanément que des clients détenant la nationalité allemande ». Il a justifié sa décision en pointant du doigt le comportement de certains réfugiés qui manqueraient de respect envers les femmes, bousculeraient dans les files d’attente, bref, feraient peur aux grands-mères allemandes qui n’oseraient plus venir à la Tafel. Ces déclarations ont suscité un tollé outre-Rhin où l’indignation des uns devant l’exclusion des demandeurs d’asile affronte l’indignation des autres qui défendent la population locale.

3Les Tafel, la banque alimentaire allemande qui réunit plus de 900 points de distribution, ont été créées au départ – la première en 1993 à Berlin –, pour venir en aide aux SDF, puis, après les réformes du marché du travail du gouvernement Schröder introduites entre 2003 et 2005, elles ont accueilli de façon croissante les chômeurs de longue durée et les bénéficiaires de l’aide sociale, bientôt suivis des personnes âgées aux retraites insuffisantes ainsi que, depuis 2015, des très nombreux réfugiés arrivés en Allemagne des divers pays en crise, voire en guerre. Avant la crise migratoire de 2015, les étrangers ne représentaient qu’une fraction de la population aidée, 35 % à la Tafel de la ville d’Essen, qui distribue de l’aide alimentaire à 6 000 personnes inscrites. Afin de pouvoir profiter de la distribution gracieuse de produits alimentaires, il faut justifier de sa situation financière au moment de l’inscription. La plupart des Tafel ne font aucune différence entre les nécessiteux autochtones ou étrangers, mais certaines ont complètement arrêté les nouvelles inscriptions, comme celle de Dortmund, ou y effectuent un tri, comme celle de la ville de Marl qui n’accepte plus les hommes étrangers.

4Au-delà des accusations de racisme des uns ou d’incompréhension des problèmes concrets rencontrés des autres, on relève un nombre croissant de critiques qui s’adressent au gouvernement. La première vient du président de la Tafel Deutschland, Jochen Brühl, qui n’a pas apprécié le commentaire de la Chancelière à propos de la décision de la Essener Tafel. Elle avait en effet déclaré « on ne devrait pas procéder à de telles catégorisations. Ce n’est pas bon ». Si, comme la plupart des représentants des Tafel en Allemagne, il s’est désolidarisé de la décision de celle d’Essen, il estime néanmoins pour sa part que le vrai scandale, ce n’était pas le comportement de la Essener Tafel, mais celui du gouvernement qui tolère un niveau de pauvreté et d’exclusion « incroyable » assorti d’un revenu minimum « totalement insuffisant ». Jochen Brühl n’est pas seul avec son constat que le gouvernement a cédé le traitement de la pauvreté, celle des Allemands comme celle des étrangers, aux bénévoles des diverses institutions caritatives. L’essor des Tafel en est une illustration.

5Si les responsables de la Tafel d’Essen affirment que leur décision d’exclure les étrangers de l’aide alimentaire est provisoire, il est de fait que ce débat a relancé la discussion autour du niveau tolérable de l’immigration, une thématique dont le parti d’extrême droit Alternative für Deutschland (AfD) compte bien profiter.

Recul inédit de la consommation de bière

6L’Agence fédérale de statistique Destatis a communiqué une nouvelle alarmante pour les amateurs de bière : la consommation de bière, en recul depuis des années, a atteint un niveau inédit depuis l’unification : les brasseries ont vendu 93,5 millions d’hectolitres en 2017, une quantité en recul de 2,5 % par rapport à 2016. Si la consommation par tête était encore de 143 litres par an au début des années 90, elle est progressivement passée à 106 litres l’année dernière. Contrairement aux années précédentes, l’exportation de bière allemande dans des pays hors UE, en diminution de 4,1 %, n’a pas pu compenser la chute, les marchés, notamment celui en Chine, étant arrivés à saturation. Sur les dix plus grandes brasseries allemandes, seuls Krombacher, Veltins et Paulaner, cette dernière très présente à l’exportation, même dans un pays de buveurs de vin comme la France, ont tiré leur épingle du jeu, alors que certaines marques, telles que Warsteiner, ont enregistré des reculs de leurs ventes parfois dramatiques, conduisant à des réductions de personnel.

7Il est vrai que le marché de la bière en Allemagne, très diversifié et bénéficiant d’un grand nombre d’acteurs, est plus compétitif qu’ailleurs. Si, dans la plupart des pays, deux ou trois grandes brasseries se partagent le marché, en Allemagne, la compétition est féroce, ce qui entretient une guerre des prix favorisée par les grandes chaînes de commerce alimentaire, friandes de promos. Il n’est pas rare de trouver une caisse de bière à un prix défiant toute concurrence – nettement moins d’un euro pour une bouteille d’un demi-litre – moins de la moitié du prix payé en France pour le même produit. Mais même ces campagnes coup de poing ne suffisent pas à arrêter le déclin. Il s’inscrit en effet dans une tendance lourde qui se nourrit de deux phénomènes : la population en Allemagne vieillit et, l’âge venant, les consommateurs boivent en règle générale moins d’alcool qu’avant. Mais ce recul concerne aussi les jeunes. Ils sont certes moins nombreux, ce qui pèse sur la consommation globale, mais ils boivent aussi moins qu’avant, moins de bière et aussi moins d’alcools forts. D’après une étude du Centre fédéral d’Education à la Santé (Bundeszentrale für gesundheitliche Aufklärung), plus d’un jeune de 18 à 25 ans sur deux et presque un jeune de 12 à 17 ans sur trois ont bu de l’alcool au moins une fois par semaine il y a trente ans. Aujourd’hui, ils ne sont plus qu’un sur trois pour les jeunes adultes du premier groupe et un sur dix pour les très jeunes à boire de façon régulière. La tendance à adopter une vie plus saine se manifeste aussi dans ce domaine.

8La réaction de la profession est double. D’une part, les brasseurs se diversifient de plus en plus en offrant des bières sans alcool pour être en phase avec les goûts qui changent, et d’autre part, ils tentent de se démarquer de la concurrence en proposant des bières artisanales, des craft-beer. Le goût des bières des grandes marques, en raison de la guerre des prix, ayant eu tendance à s’uniformiser, donc à perdre de leur attrait, certains producteurs, souvent des micro-brasseries, proposent des bières artisanales, au goût inédit, qui donnent au consommateur l’impression d’avoir quelque chose de spécial. Pour ces produits, l’élément prix n’est pas décisif. Et pour accroître la notoriété de ce type de bière, les aficionados ont même créé une revue en ligne intitulée Hopfenhelden (Héros du houblon).

Un accord équilibré dans la métallurgie

9IG Metall, le plus gros syndicat allemand, a éveillé des souvenirs anciens en réclamant au début de l’année 2018, lors des traditionnelles négociations entre partenaires sociaux, l’introduction de la semaine de travail de 28 heures pour les 3,9 millions de salariés du secteur. Certains se souviennent peut-être encore de la rude bataille que se sont livrés le syndicat et le patronat de la métallurgie dans les années 80, lorsque IG Metall a ferraillé dur pour la création de la semaine de 35 heures. C’est peut-être pour cette raison que Rainer Dulger, président de Gesamtmetall, le syndicat des employeurs du secteur de la métallurgie craignait au départ « la plus dure négociation salariale de ces dernières décennies ». Toutefois, la situation est très différente aujourd’hui.

10Alors que les syndicats, il y a trente ans, se battaient pour la réduction du temps de travail pour tous, cette fois-ci il s’agissait de s’inscrire dans la tendance générale à davantage de flexibilité au travail. Dans cette optique, Jörg Hofmann, le président du syndicat IG Metall, a réclamé l’ouverture du droit à un salarié de réduire son temps de travail pendant deux ans, et ce sans avoir à se justifier. Si ce droit existe déjà parfois, IG Metall souhaitait le généraliser et l’accompagner du droit de reprendre son emploi à temps complet quand il le souhaite, un droit qui, jusqu’à présent, n’existait pas. La rémunération des salariés qui souhaitent en bénéficier serait réduite en conséquence, sauf dans certaines circonstances : s’ils souhaitent aménager leur temps de travail pour des raisons familiales – pour s’occuper de leurs enfants ou d’un parent âgé – ou pour suivre une formation, la perte de salaire devrait être compensée en partie. Cette demande d’une flexibilité accrue dans la gestion du temps de travail s’accompagnait, pour ne pas déroger à la règle, de celle d’une revalorisation des salaires de 6 %.

11Le point le plus controversé était moins l’introduction de la semaine de 28 heures que la compensation salariale partielle pour certains salariés, car elle aurait soulevé la question de la rémunération différente pour le même travail, un aspect juridique difficile. Bien que le syndicat ait finalement renoncé à exiger la compensation salariale partielle, il apparaissait clairement que la discussion tournait autour de la question de la définition du salaire : devait-il s’orienter par rapport à des critères de performance ou de critères liés aux besoins sociaux ? Le compromis trouvé privilégie celui de la Leistung, mais il est certain que ce débat n’est pas clos. Ce conflit qui s’annonçait très dur a finalement produit des résultats satisfaisants pour les deux parties, car il a respecté les exigences non négociables des deux côtés : IG Metall voulait obtenir le droit pour certains salariés de réduire temporairement leur temps de travail, et le patronat voulait absolument éviter de rendre la réduction du temps de travail attractive en la finançant partiellement.

12La nouvelle convention, valable jusqu’au mois de mars 2020, précise notamment :

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  • Les salaires seront augmentés de 4,3 % sur deux ans ; s’y ajoute un versement unique de 100 €. À partir de 2019, les salariés percevront un complément salarial correspondant à 27,5 % d’une rémunération mensuelle ou, au choix, 8 jours de congé supplémentaires. En plus, tous les salariés recevront une somme forfaitaire de 400  € au mois de juillet, sous condition que l’entreprise ait des finances saines. Le patronat estime que l’ensemble de ces mesures correspond à une augmentation de 7,7 % sur la période d’ici mars 2020.
  • Tous les salariés à temps plein auront le droit, pendant jusqu’à deux ans, de réduire passagèrement leur temps de travail de 35 heures actuellement à 28 heures, un droit accordé sous certaines conditions liées aux besoins de l’entreprise. En retour, les entreprises auront le droit d’augmenter le temps de travail pour certains salariés jusqu’à 40 heures par semaine, et ce au-delà des 18 % des effectifs actuellement autorisés. Ce qui est nouveau et très apprécié des entreprises est qu’elles ont désormais le droit de quitter complètement le système des quotas et de fixer elles-mêmes librement la durée du travail en vigueur dans l’entreprise.
  • La nouvelle convention donne aux salariés le droit, sous certaines conditions, de choisir entre plus d’argent et plus de temps libre. Le nouveau complément salarial peut être troqué contre 8 jours de congé supplémentaires par an. Ce droit concerne les salariés faisant les trois huit depuis au moins cinq ans, durée ramenée à deux ans pour ceux qui ont des enfants de moins de 8 ans ou qui ont un membre de la famille nécessitant des soins.

14Les résultats de ces négociations montrent à nouveau le pragmatisme des partenaires sociaux, laissant, pour bon nombre de mesures, le soin aux entreprises de décider elles-mêmes jusqu’où elles souhaitent appliquer les accords trouvés en matière d’équilibre entre rémunération et temps de travail.

La Chine s’invite au capital de Daimler

15L’année dernière, l’Allemagne a été la cible n° 1 en Europe pour les Chinois à la recherche de participations dans des entreprises allemandes, voire de leur rachat pur et simple. Le volume d’investissement y a atteint environ 13,7 milliards de dollars, ce qui correspond à 54 participations ou rachats, soit une augmentation de 9 % par rapport à 2016, qui fut déjà une année record. À titre de comparaison, seules 22 firmes françaises ont été rachetées par des Chinois, derrière les Britanniques (47 rachats) et les Italiens (24). Les investisseurs chinois s’intéressent tout particulièrement aux entreprises industrielles dont ils apprécient le know-how.

16Si ces acquisitions n’ont guère fait de vagues, il en va tout autrement avec la brusque arrivée du Chinois Li Shufu dans le capital de Daimler, fabricant des voitures haut de gamme Mercedes et de poids lourds. Au mois de février, il est apparu que le milliardaire chinois, propriétaire de Geely, premier constructeur automobile chinois avec une production de 500 000 voitures par an, a pris une participation de 9,69 %, ce qui correspond à un investissement de 7,5 milliards d’euros. Cette prise de participation de presque 10 % fait du Chinois le premier actionnaire du groupe allemand, devant la Kuwait Investment Authority avec 6,8 % et l’Alliance Renault-Nissan avec 3,1 %. La demande officielle de Geely du mois de novembre dernier pour entrer au capital de Daimler via une augmentation de capital réservé ayant été refusée, le Chinois a acheté les actions existantes sur le marché. Le bruit court qu’il aurait procédé au moyen d’un montage complexe d’actions et de produits dérivés, ce qui lui aurait permis d’échapper à l’obligation d’information auprès des autorités de contrôle des marchés financiers.

17Contrairement à ses concurrents Volkswagen ou BMW, le groupe Daimler ne dispose pas d’actionnaire de référence, ce qui le rend plus vulnérable. Le gouvernement, de son côté, ne souhaite pas intervenir dans une transaction ayant le caractère d’un investissement, d’après la déclaration du conseiller économique d’Angela Merkel, qui a reçu Li Shufu à Berlin. Le constructeur de Stuttgart ne voit pas les choses de la même manière après les déclarations du nouvel actionnaire qui souhaite s’engager dans la réflexion autour des décisions stratégiques à venir. S’il souhaite occuper un siège au conseil de surveillance de Daimler, ce que son engagement financier lui permet, il risque de créer un conflit d’intérêt au sein du groupe, puisqu’il possède aussi le groupe Volvo Cars, qui est un concurrent direct de Mercedes. Il y a quelques mois, il avait déjà racheté 15 % de la division poids lourds des Suédois, Volvo Trucks, qui est un concurrent direct de la filiale camions de Daimler. Ce dernier ne souhaite nullement partager ses secrets de fabrication avec un concurrent direct. Pour compliquer encore la situation : Daimler dispose déjà de deux partenaires en Chine, dont le groupe BAIC, avec lequel il détient un partenariat pour la construction de ses nouveaux modèles électriques de la marque EQ.

18Les gouvernements chinois et allemand, conscients des problèmes liés au rachat d’entreprises par des entités situées à l’étranger, se sont mis à encadrer les procédures de reprise. L’été dernier, suite au rachat de l’entreprise de robots industriels Kuka par une firme chinoise, le gouvernement allemand a voté un décret qui élargit considérablement son droit de véto contre la reprise d’entreprises allemandes par des investisseurs non-européens afin d’éviter la perte de know-how allemand. Peu de temps après, la Chine a resserré le contrôle des activités d’investissement de ses entreprises à l’étranger pour intervenir en cas de reprises « irrationnelles », c’est-à-dire au prix d’achat trop élevé, comme dans le cas du géant de chimie suisse Syngenta. Le projet de Li Shufu semble avoir reçu l’approbation de Beijing. Avec 600 000 véhicules vendus en 2017, la Chine est le premier marché de Daimler, ce qui explique l’intérêt des Chinois et l’attitude du groupe automobile, en dépit de quelques réticences.

Interdiction de circuler pour les voitures diesel polluantes

19Après le Dieselgate, voilà le deuxième coup dur pour l’industrie automobile allemande. Le tribunal de Leipzig, la plus haute juridiction administrative en Allemagne, a tranché le 27 février 2018 : les villes qui le souhaitent pourront à l’avenir interdire aux vieux véhicules diesel de circuler, afin de lutter contre la pollution de l’air. Saisi par les autorités locales de Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-Westphalie qui s’étaient opposées aux interdictions de circulation mises en place à Stuttgart et à Düsseldorf, le tribunal fédéral de Leipzig s’est finalement rangé à la position de l’association écologiste Deutsche Umwelthilfe (DUH). Celle-ci avait soutenu les mesures prises par les deux villes en raison d’un niveau de pollution aux oxydes d’azote dépassant les normes. Ainsi, 40 villes dépassent la valeur limite de 40 microgrammes par mètre cube en moyenne annuelle, dont Munich (80) et Cologne (63). Une des valeurs les plus élevées, 82 microgrammes, a été mesurée à Stuttgart, la capitale du Land de Bade-Wurtemberg, le seul Land dirigé par les écologistes. Les voitures diesel produisent également une autre pollution, celle des microparticules qui, là aussi, ne respectent pas les normes européennes, ce qui affecte gravement l’efficacité des poumons. Or, près de la moitié des voitures qui roulent sur les routes allemandes comportent un moteur diesel, conséquence de la politique de Berlin visant à favoriser les voitures diesel par le truchement d’une moindre imposition du carburant diesel comparé à l’essence, comme c’est le cas en France.

20Si, pour la santé de la population, c’est une bonne nouvelle, elle touche de très nombreux automobilistes au porte-feuille. Désormais, tout propriétaire d’un véhicule équipé d’un moteur diesel antérieur à la norme Euro 6 pourrait être contraint de le laisser au garage. De même pour les flottes de véhicules des entreprises qui sont majoritairement équipées de moteurs diesel. L’association allemande de transport et de logistique (Deutscher Speditions- und Logistikverband, DLSV) vient de lancer une mise en garde : en cas d’interdiction de circuler, les professionnels du transport ne pourraient plus assurer l’approvisionnement du commerce et de la population, ce qui pourrait conduire à la désertification de nombreuses communes. La décision du tribunal entraîne une deuxième conséquence néfaste pour les nombreux propriétaires de véhicules roulant au diesel : leur voiture perd une bonne partie de sa valeur à la revente. Sur les 15 millions de véhicules diesel en circulation outre-Rhin, 10 millions font partie des voitures anciennes susceptibles d’être frappées par cette mesure.

21Pour l’industrie automobile, un des piliers de l’économie allemande avec ses 800 000 emplois et plus de 450 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, la décision du tribunal de Leipzig est une mauvaise nouvelle, surtout après le scandale du Dieselgate qui a éclaté l’année dernière aux États-Unis. La bonne réputation des constructeurs allemands avait pris un coup sérieux après la révélation des dispositifs truqués par Volkswagen, afin de faire apparaître un niveau de pollution moins important que celui produit en réalité. Ce scandale qui a valu au constructeur une immense campagne de rappel de voitures, des pénalités considérables ainsi qu’une dégradation de son image difficilement réparable s’est déplacé vers l’Europe et frappe aujourd’hui l’ensemble des grands groupes. Depuis le mois de juillet 2017, les médias ont en effet révélé que tous les constructeurs ont failli à leurs devoirs. Il est apparu que les cinq grands de l’automobile, Volkswagen, Audi, BMW, Daimler et Porsche, s’étaient constitués en cartel depuis les années 1990 afin de circonvenir la concurrence.

22Le gouvernement, prenant enfin conscience de la crise du diesel, a organisé un sommet au ministère de l’Intérieur l’année dernière réunissant des responsables politiques, les principaux dirigeants de l’industrie automobile allemande et du puissant syndicat de la métallurgie IG Metall. Les résultats de cette réunion ont clairement montré que c’est l’industrie automobile qui est sortie vainqueur de cette confrontation, peut-être en raison du poids qu’elle pèse dans l’économie du pays. Toujours est-il que les constructeurs ont refusé de prévoir l’installation d’équipements de filtre nouveaux pour réduire la pollution. Ils se sont seulement engagés à mettre à jour le logiciel incriminé de 5,3 millions de véhicules diesel en circulation, procédé bien moins onéreux, mais aussi moins efficace, car ne réduisant la pollution que de 30 %. Par ailleurs, ils ont procédé à deux gestes d’apaisement : ils ont accepté de mettre en place un système de primes destinées aux détenteurs de voitures diesel très polluantes pour les inciter à acheter des modèles neufs, et ils participeront à un fonds d’un montant de 500 millions d’euros destiné aux communes qui souhaitent s’équiper de voitures propres. Ils s’en sont tirés à bon compte, mais la décision du tribunal de Leipzig a montré aux constructeurs qu’il est temps de réagir s’ils veulent enrayer la chute des ventes des voitures diesel. Elle pourrait d’ailleurs créer un précédent à l’échelle européenne, incitant Paris ou Madrid à bannir le diesel à leur tour.


Date de mise en ligne : 04/06/2018

https://doi.org/10.3917/all.224.0062

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