Présentation de la problématique
1 Depuis les années 90 la fonction du droit d’asile a fondamentalement changé sur les plans allemand et européen. Si, depuis la Seconde Guerre mondiale, l’obligation normative d’accueillir des réfugiés, était au centre des préoccupations, l’augmentation exponentielle de leur nombre a provoqué des réactions de rejet, voire de xénophobie parmi les populations concernées. Désormais, l’objectif principal des décideurs politiques allemands et européens est de réduire les flux des migrants autant que possible.
2 Dans le cadre de cette contribution, nous nous intéressons à la période entre le « Compromis sur l’Asile » (Asylkompromiss) 1992/93 (révision de l’article 16 de la Loi fondamentale) et la Loi de 2015 concernant « l’Accélération des procédures d’asile » (Asylverfahrensbeschleunigungsgesetz). Comment approcher les législations allemande et européenne intrinsèquement liées ? Face à des textes extrêmement complexes aux multiples ramifications dans les réalités politiques, économiques et sociales, l’interprétation formelle des normes juridiques paraît insuffisante. Il convient donc de retracer la dimension contextuelle du droit tout en trouvant un équilibre entre législation nationale allemande et droit communautaire européen. Dans le cadre d’une démarche essentiellement chronologique, la première partie de l’étude est consacrée à la réforme du droit d’asile allemand du début des années 90. Par la suite, nous retraçons les grandes étapes des accords européens, notamment les règlements de Dublin et leur reflet dans la législation allemande correspondante. Enfin, une troisième partie aborde l’évolution de la politique d’asile allemande des dernières années.
3 Quant aux textes utilisés, l’étude s’appuie pour l’essentiel sur les sources juridiques allemandes et européennes (BgBl). Par ailleurs, les ouvrages de Stefan Luft, Jürgen Beck, Karl-Heinz Meier-Braun et d’André Weiße apportent une information factuelle. Nous avons également pu utiliser avec profit la collection Questions d’Europe de la Fondation Robert Schumann. Parmi les textes publiés par des organisations humanitaires, la publication de Hubert Hainold nous a fourni des informations très utiles dans les domaines juridique et administratif.
1 - Le « Compromis sur l’asile » de 1992/93 (Asylkompromiss) une prise en compte des réalités
1.1 L’Allemagne une importante terre d’accueil après la Seconde Guerre mondiale – les limites du droit d’asile
4 Traditionnellement, en tant que droit fondamental, le droit d’asile occupe une place prééminente dans la constitution allemande (Grundgesetz). « Les droits fondamentaux […] lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à titre de droit directement applicable » (art. 1,3). Après les expériences de Weimar et du Troisième Reich, la République fédérale trouve une partie de sa légitimation démocratique dans l’application du droit d’asile. Dans sa forme d’avant 1992, l’article 16 stipule que les persécutés politiques jouissent du droit d’asile à titre personnel et non collectif. De ce fait, les groupes ethniques étrangers et les membres des partis persécutés, tout en étant des réfugiés ne bénéficient pas de l’article 16. Ce constat vaut plus particulièrement pour près de 12 millions de « Heimatvertriebene » après la guerre en fonction des traités de Yalta et de Potsdam. Qualifiées par les statistiques jusqu’au 31 décembre 1992, de Aussiedler (personnes déplacées) et à partir de cette date de Spätaussiedler (personnes déplacées tardivement) ces populations d’origine allemande sont régies par la Loi portant sur les rapatriés allemands (Bundesvertriebenengesetz BVFG). Ils ne sont donc pas des étrangers mais des Allemands selon la Loi fondamentale. Les principaux pays de provenance sont l’ancienne Union soviétique et ses États successeurs, la Pologne et la Roumanie. De 1980 à 1999 le nombre des Spätaussiedler s’élève à 1 896 036 personnes.
5 Contrairement aux autres mouvements de migration d’après-guerre, le nombre des demandes d’asile reste globalement faible de 1953 jusqu’à la fin des années 70 comme le montre la statistique suivante.
6 Entre 1953 et 1979 des événements ponctuels ont provoqué des augmentations passagères du nombre des demandes. Mais on est loin des phénomènes de masses que nous connaissons actuellement.
Statistique : Développement du nombre annuel des demandes d’asile de 1953 à 1994
Année | Nombre de demandes |
1953 | 1.906 |
1954 | 2.174 |
1955 | 1.926 |
1956 | 16.284 |
1957 | 3.112 |
1958 | 2.785 |
1959 | 2.267 |
1960 | 2.980 |
1961 | 2.722 |
1962 | 2.550 |
1963 | 3.238 |
1964 | 4.542 |
1965 | 4.337 |
1966 | 4.370 |
1967 | 2.992 |
1968 | 5.608 |
1969 | 11.664 |
1970 | 8.645 |
1971 | 5.388 |
1972 | 5.289 |
1973 | 5.595 |
1974 | 9.424 |
1975 | 9.627 |
1976 | 11.123 |
1977 | 16.410 |
1978 | 33.136 |
1979 | 51.493 |
1980 | 107.818 |
1981 | 49.391 |
1982 | 37.423 |
1983 | 19.737 |
1984 | 35.278 |
1985 | 73.832 |
1986 | 99.650 |
1987 | 57.379 |
1988 | 103.076 |
1989 | 121.315 |
1990 | 193.063 |
1991 | 256.112 |
1992 | 438.191 |
1993 | 322.590 |
1994 | 127.210 |
Statistique : Développement du nombre annuel des demandes d’asile de 1953 à 1994
1.2 Les initiatives allemandes et européennes des années 80 et 90
7 La fin des années 80 et le début des années 90 sont marqués par l’éclatement du Bloc soviétique et les crises du Moyen Orient. Par voie de conséquence, les points culminants des demandes d’asile se situent en 1989 avec 121 315 demandes, 1990 avec 193 063 demandes et surtout 1992 avec 438 191 demandes.
8 Sur le plan économique, l’Allemagne des années 80 souffre encore des conséquences de la crise du pétrole. Après des années de plein-emploi, le pays connaît le chômage. Le mécontentement sur l’arrivée des réfugiés qui jusqu’alors avait principalement été articulé par les partis de l’extrême droite se manifeste désormais au sein même des partis établis (CDU, CSU, SPD, FDP). L’époque est mûre pour un changement de la législation allemande et ceci d’autant plus que des accords européens et internationaux préfigurent le remaniement du texte constitutionnel allemand.
Le poids de la tradition : la Convention de Genève
9 La Convention de Genève du 28 juillet 1951 occupe une place à part par rapport aux droits d’asile nationaux. Elle constitue le fondement juridique de la fonction du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), fixe l’essentiel des normes touchant l’accueil des réfugiés et sert encore de nos jours de texte de référence pour les législations nationales portant sur l’octroi de la qualité de réfugié. Après ratification, la République fédérale a intégré la Convention de Genève dans la législation allemande (BGBl. II 1953, p. 559). La Convention aborde le statut juridique des réfugiés (art. 12 à 16), la possibilité pour le réfugié d’exercer un métier en tant que salarié, entrepreneur ou profession libérale (art. 17-19). Elle fixe également les obligations sociales des pays d’accueil : habitation, bien-être, droit au travail et sécurité sociale (art. 20-24). Dans un chapitre consacré à la gestion administrative du réfugié celui-ci doit être assimilé aux citoyens du pays d’accueil (liberté de mouvement, pièces d’identité, imposition débouchant sur une possible naturalisation).
L’accord de Schengen
10 L’accord de Schengen de 1985 qui a pour objectif de supprimer progressivement les contrôles des personnes aux frontières intérieures pour les transférer aux frontières communautaires externes impose la mise en place d’une politique commune d’immigration. Dans cette logique, l’Acte Unique Européen de 1986 établit la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux qui passent sous compétence communautaire tout en laissant encore sous la compétence des États membres le contrôle des personnes en provenance des pays tiers. Deux documents datant de 1990 déterminent alors la mise en application de la politique communautaire d’asile : la Convention d’application de Schengen et la Convention de Dublin.
11 Le document portant sur l’accord de Schengen supprime les frontières intérieures, harmonise les contrôles extérieurs, introduit le visa unique et organise la coopération policière. Il met en place les accords de réadmission des réfugiés par des pays tiers et un système de contrôle des séjours irréguliers (SIS). Il implique pour tout État membre l’obligation de déclarer aux autres membres de l’Union la présence des étrangers sur son territoire.
La convention de Dublin
12 Le texte de la convention de Dublin (EUR-Lex 41997A081901), signé le 15 juin 1990, a été remanié par la suite à plusieurs reprises. La Convention regroupe la Belgique, le Danemark, la RFA, la Grèce, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, la Grande-Bretagne. Le texte définit l’unique État membre responsable du traitement d’une demande d’asile. La Convention stipule :
Lorsque le demandeur d’asile a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, en provenance d’un État non-membre des Communautés européennes, la frontière d’un État membre par lequel il peut être prouvé qu’il est entré, ce dernier État doit prendre en charge l’examen de la demande d’asile. (Article 6, alinéa 1).
La réaction allemande : « le compromis sur l’asile »
14 Le « compromis d’asile » (Asylkompromiss) de 1992 est âprement discuté entre les grands partis du Bundestag. Il débouche sur deux lois, dont la première instaure une modification de l’article 16 de la Loi fondamentale. La deuxième traite les procédures d’application concernant l’asile, les séjours des réfugiés en Allemagne et des questions de citoyenneté. Dans sa nouvelle version l’article 16 relativise le droit à l’asile en fonction du pays de provenance du demandeur :
L’alinéa 1er [le droit à l’asile] ne peut être invoqué par celui qui entre sur le territoire fédéral en provenance d’un État membre des Communautés européennes ou d’un autre État tiers dans lequel l’application de la Convention relative au statut des réfugiés et de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales est assurée. (Grundgesetz, al. 2)
16 Dorénavant une loi allemande établira la liste des États tiers « sûrs » sans prendre en compte a priori la situation individuelle du réfugié. Certes, selon l’alinéa 3 du même article, le demandeur d’asile en provenance d’un pays jugé sûr peut, malgré tout, obtenir gain de cause à condition de prouver la réalité des persécutions (alinéa 4). Dans cette perspective, l’alinéa 5 prévoit une clause d’ouverture selon laquelle d’autres membres des Communautés européennes, ou, par convention, d’autres États peuvent se substituer à l’État membre compétent pour le traitement d’une demande d’asile.
17 Sur le plan organisationnel, la Loi allemande centralise la gestion des réfugiés au sein de « l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés » (Bundesamt für Migration und Flüchtlinge). Cette réorganisation administrative permet d’accélérer les procédures juridiques. Sur le plan régional, des quotas d’attribution permettent de répartir des réfugiés dans les différents Länder. L’Asylverfahrensgesetz (ASVFG) constitue un point de départ pour toute une série de modifications visant à réduire le nombre des demandeurs d’asile sur le sol allemand.
18 Avec la diminution des demandes d’asile dès 1995, les statistiques allemandes enregistrent le signal lancé par les pouvoirs publics.
Statistique : Développement du nombre annuel des demandes d’asile de 1995 à 2015
Année | Nombre | dont première demande | dont demandes en appel |
1995 | 166.951 | 127.937 | 39.014 |
1996 | 149.193 | 116.367 | 32.826 |
1997 | 151.700 | 104.353 | 47.347 |
1998 | 143.429 | 98.644 | 44.785 |
1999 | 138.319 | 95.113 | 43.206 |
2000 | 117.648 | 78.564 | 39.084 |
2001 | 118.306 | 88.287 | 30.019 |
2002 | 91.471 | 71.127 | 20.344 |
2003 | 67.848 | 50.563 | 17.285 |
2004 | 50.152 | 35.607 | 14.545 |
2005 | 42.908 | 28.914 | 13.934 |
2006 | 30.100 | 21.029 | 9.071 |
2007 | 30.303 | 19.164 | 11.139 |
2008 | 28.018 | 22.085 | 5.933 |
2009 | 33.033 | 27.649 | 5.384 |
2010 | 48.589 | 41.332 | 7.257 |
2011 | 53.347 | 45.741 | 7.606 |
5012 | 77.651 | 64.539 | 12.112 |
2013 | 127.023 | 109.580 | 17.447 |
2014 | 202.834 | 173.072 | 29.762 |
2015 | 476.649 | 441.899 | 34.750 |
Statistique : Développement du nombre annuel des demandes d’asile de 1995 à 2015
2 – La difficile mise en application du cadre légal du droit d’asile (2000-2010)
19 La loi allemande du 30 juillet 2004 portant sur l’immigration (Zuwanderungsgesetz) renforce l’autonomie de l’Office fédéral par rapport aux autres administrations. Le catalogue des motifs pour la reconnaissance de la qualité de réfugié se trouve élargi. Désormais l’Office prend davantage en considération la famille du réfugié qui bénéficie également d’une protection contre l’expulsion.
20 Les deux lois du 28 août 2007 et du 28 août 2013 (Richtlinienumsetzungsgesetze) transposent les directives européennes en droit allemand. De la sorte, la Loi de 2007 intègre 11 directives européennes. Il s’agit notamment de textes sur la reconnaissance de la qualité de réfugié (Qualifikationsrichtlinie) et d’une directive portant sur la simplification des procédures d’asile (Verfahrensrichtlinie). La loi allemande de 2013 synthétise les réformes apportées par la directive 2011/95 EU en prenant également en compte les personnes bénéficiant de la protection subsidiaire.
Des populations très hétérogènes
21 Seulement une minorité des réfugiés présents sur le sol allemand est reconnue en tant que bénéficiaires de la protection selon l’article 16 de la Loi fondamentale. Selon les estimations pour 2010, ils ne représentent que 13,5 % des réfugiés officiellement enregistrés. En fonction des lois en vigueur, l’Office fédéral gère désormais une population d’immigrants très hétérogène.
22 En analysant la motivation dominante des demandeurs d’asile, on constate que, dans la plupart des cas, l’obtention du droit d’asile selon l’article 16 n’est pas la finalité première de la demande déposée. Celle-ci constitue plutôt un moyen qu’un objectif pour le ressortissant étranger. Elle lui permet de séjourner pendant un temps en Allemagne et de bénéficier de son système social. En fonction des textes, nous distinguons l’asile selon l’article 16, qualifié d’asile plein et entier (großes Asyl), et l’asile restreint (kleines Asyl).
23 Plusieurs catégories de réfugiés se dégagent :
- Les bénéficiaires de l’asile en fonction de l’article 16 de la Loi fondamentale ;
- Les personnes dont la demande d’asile a été rejetée. N’ayant pas la qualité de réfugié. elles devraient, en principe, retourner dans leur pays d’origine. Toutefois, pour des motifs divers (état de santé, manque de papiers d’identité), elles peuvent bénéficier d’une tolérance (Duldung) permettant de séjourner provisoirement en Allemagne, ce qui représente leur objectif principal ;
- Les réfugiés qui n’ont pas obtenu l’asile malgré le fait qu’ils soient persécutés dans leur pays d’origine pour des motifs politiques, idéologiques ou religieux. Ces persécutions subies n’émanent pas uniquement des autorités politiques, comme c’est le cas pour les bénéficiaires du droit d’asile de l’article 16. Elles peuvent être le résultat d’antagonismes entre groupes sociaux ou religieux. Leur nombre dépasse celui des ayants droit à l’asile individuel (Asylberechtigte).
- Les réfugiés contingentés (Kontingentflüchtlinge) représentent une autre catégorie à part. Il s’agit de groupes de réfugiés autorisés provisoirement à s’établir en Allemagne dans le cadre d’une action d’aide internationale (catastrophe naturelle etc.).
- Pour compléter l’éventail des réfugiés sur le sol allemand, il convient également de mentionner les personnes bénéficiant d’une aide subsidiaire. Dans leur pays elles sont persécutées à cause de leur style de vie et de leur exigence de liberté (guerre civile, peine de mort, torture). Les autorités allemandes admettent leur présence sur le territoire. A ce titre, elles ont droit aux prestations sociales.
- Les réfugiés pour motif économique (Wirtschaftsflüchtlinge) représentent une catégorie à part. Bien qu’ils se situent en dehors du statut des bénéficiaires d’asile, ils peuvent obtenir un droit de résidence en Allemagne à condition de bénéficier de l’appui d’entreprises allemandes certifiant que la main-d’œuvre allemande est insuffisante pour pourvoir aux emplois vacants. Le cas échéant, le Bundesamt sait faire preuve de pragmatisme dans l’intérêt de l’économie allemande.
- Enfin, le regroupement familial, autorisé par les autorités allemandes, contribue de façon notable à l’augmentation des populations migratoires.
3 – La période des turbulences (2010 à 2016)
3.1 – Les champs d’action de l’Union européenne
Les tentatives de réformer le règlement de Dublin
25 Nous avons pu nous en rendre compte, le règlement de Dublin n’a pas pour prétention de « répartir » de « manière juste » les demandeurs d’asile entre les États signataires. En principe, ce n’est pas au demandeur d’asile de choisir l’État d’accueil qui lui convient le mieux pour des raisons familiales ou matérielles, mais il revient aux administrations compétentes de lui attribuer d’office l’État d’accueil. Au cas où son dossier est accepté, il doit y résider pendant une période de 5 ans avant qu’il ne puisse choisir librement son domicile dans un Land allemand de son choix.
26 Le principal critère pour la compétence juridique et administrative est donc l’État de la première entrée. L’administration de cet État d’accueil assume la responsabilité pour l’entrée et le séjour du demandeur d’asile. Au cas où il n’est pas possible de savoir quel État membre est compétent, ce sera l’État dans lequel le demandeur d’asile réside depuis plus de 5 ans qui sera en charge du dossier. Toutefois, si des membres de la famille du demandeur bénéficient du statut de réfugié, c’est à leur État de résidence d’assumer la procédure en fonction du regroupement des familles.
27 Ces règles font partie de la Convention d’application de Schengen de 1990. Après un remaniement en 1997, elles restent en vigueur jusqu’en 2003, date à laquelle le règlement Dublin II entre en vigueur (Règlement CE n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 – EUR-Lex consulté le 6 juin 2016). Il précise les critères portant sur l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile et spécifie les critères applicables aux différents groupes de réfugiés : principe de l’unité des familles, détention de visas, entrée illégale, transit international par un aéroport. L’existence même de Dublin II illustre bien la difficulté pour l’Union d’adapter les règlements à une réalité politique, économique et sociale extrêmement complexe.
28 Le règlement Dublin III (EUR-Lex, document 3201R0604 du 26 juin 2013) spécifie encore davantage les mécanismes permettant de déterminer l’État de l’Union responsable et règle les détails d’une requête de prise en charge d’un dossier entre les différents pays membres. Les principaux changements concernent le domaine d’application du règlement. Désormais, ce texte ne concerne plus seulement les demandeurs d’asile mais également les ressortissants étrangers qui demandent la protection subsidiaire. Pareillement, le droit au regroupement familial a été étendu. Si des membres de la famille habitent dans un État membre, le demandeur a le droit de demander le transfert de son dossier vers cet État afin de garantir l’unité de la famille. Sont désormais considérés comme liens familiaux les oncles et les tantes (majeurs) ainsi qu’un grand-parent (Art. 2h). Le texte élargit également le droit du demandeur à l’information (art. 4). On doit procéder à une information complète le plus tôt possible après le dépôt de la demande. Sur le plan des garanties juridiques, on accorde désormais un droit d’appel efficace à un tribunal contre une décision de transfert qui examine la situation juridique et matérielle du demandeur (Art. 27, al. 1). Le législateur allemand a pris en compte ce changement en remaniant le § 34a de la Loi concernant l’asile (Asylgesetz). Dans un délai d’une semaine après l’annonce du transfert, il est possible d’adresser une demande urgente (Eilantrag) au Tribunal administratif. Le transfert effectif ne peut se faire avant la décision du Tribunal.
29 Dès à présent un « mécanisme d’alerte rapide » (Frühwarnsystem) doit observer les États membres afin d’éviter des crises du système :
Lorsque […] l’application du présent règlement peut être compromise […] la Commission adresse [à l’État membre concerné] des recommandations en l’invitant à élaborer un plan d’action préventif. (Art. 33)
31 Face au danger réel pour le fonctionnement du règlement, le choix du terme « recommandation » n’est pas innocent. Il révèle les difficultés d’une Commission qui tente de coordonner l’action des États membres. Dans cet esprit, le même article accorde aux membres de l’Union de prendre des initiatives :
Un État membre peut, à sa propre convenance et de sa propre initiative, élaborer un plan d’action préventif et ses révisions ultérieures (Art. 33)
33 En septembre 2015, les initiatives de la chancelière Angela Merkel ont ainsi pu se référer à ce texte communautaire.
34 Traditionnellement, l’Allemagne a profité du règlement de Dublin. En 2014 encore, ses demandes de prises en charge adressées à d’autres États membres dépassent largement le nombre des demandes de chercheurs d’asile qu’elle reçoit. Avec la Suisse, l’Autriche et la France, elle figure parmi les principaux expéditeurs tandis que la Grèce, l’Italie et la Pologne en sont, pour des motifs différents, les principaux récipiendaires. Toutefois, dans la pratique, seulement 13,7 % des demandes allemandes aboutissent à un transfert réel des personnes concernées. Parmi les motifs invoqués, nous trouvons le fait que le pays de séjour du demandeur d’asile préfère prendre en charge directement la procédure, l’impossibilité pour le demandeur de voyager ou le fait qu’il choisit la clandestinité.
35 Dès sa mise en place, le règlement de Dublin s’est heurté à des critiques nourries qui ciblent plusieurs points :
- Il existe une inégalité réelle entre les prestations des pays membres de l’UE ce qui encourage des demandeurs à opter pour les « pays riches ».
- Le règlement met d’avantage l’accent sur le rejet des demandes d’asile que sur la nécessité d’assurer un accueil respectueux de la personne humaine.
- Plusieurs membres de l’UE ne respectent pas les normes minimales prescrites par la Convention de Genève.
37 Le règlement de Dublin part de la fiction que les systèmes de droit des membres de l’UE sont comparables et que les conditions de vie correspondent au minimum exigé par l’Union européenne. Or, les décisions de certains tribunaux nationaux défavorisent nettement le demandeur d’asile ce qui conduit à des taux de protection des primo entrants (Schutzquoten) extrêmement différents d’un État à l’autre. Le règlement pèse systématiquement sur les États membres situés à la limite de l’espace qui n’ont pas les moyens d’assumer leurs responsabilités. Ces membres de l’Union comptent donc réduire au maximum les entrées des demandeurs et s’appuient lourdement sur les actions policières. Les réfugiés, privés de leur liberté de choix au sein de l’UE, dépendent donc essentiellement des passeurs pour arriver malgré tout au pays de leur choix.
La politique du « management des frontières »
38 La politique européenne concernant les frontières communes postule l’existence d’une volonté commune des États membres de protéger les frontières extérieures de l’Union. Elle prétend réguler l’entrée dans l’Union par la politique du « management intégré des frontières » (integriertes Grenzmanagement). Dans ce projet, le nombre des intervenants est considérable : d’abord les institutions de l’Union : la Commission, le Parlement, le Conseil et les États membres, notamment ceux qui possèdent une frontière commune avec les pays extérieurs à l’Union ainsi que l’Agence commune de l’Union Frontex. Par ailleurs, l’Union européenne mène une politique active d’accords avec des pays tiers avec l’objectif de ralentir le flux des migrants tout en prenant le risque de stabiliser des régimes qui ne respectent pas les Droits de l’Homme comme c’est le cas de la Turquie. La politique des « frontières intelligentes » complète les institutions de sécurité déjà existantes : l’Eurodac (empreintes digitales des demandeurs d’asile), le système d’information de Schengen (SIS). On intensifie la surveillance des visas obtenus afin de réduire considérablement le nombre de ceux qui prolongent indûment leur séjour dans l’Union. Par ailleurs, on intensifie la surveillance électronique des frontières (Eurosur en 2013).
39 Un des objectifs importants de la politique commune de migration est l’établissement des contrôles des réfugiés sur le territoire des pays tiers lié à des accords de rapatriement des réfugiés. Un fonds à destination des États membres frontaliers de l’Union doit faciliter ces opérations. L’Union et certains États membres, dont l’Allemagne, ont conclu des accords de rapatriement avec des États tiers. Nous constatons que les statistiques concernant l’efficacité des rapatriements sont particulièrement lacunaires. Ce constat vaut également pour l’efficacité des différents fonds communs portant sur la stabilisation des frontières communes (Grenzmanagement) et le « management de retour » (Rückkehrmanagement). Le Fonds européen de migration et d’intégration (AMIF) budgétisé pour les années 2014 à 2020 doit remplacer les multiples dispositions précédentes de l’Union. Encore faut-il admettre, que les fonds attribués par l’Union aux États membres sont loin de compenser les dépenses des pays particulièrement concernés.
L’octroi des visas
40 La politique d’octroi des visas Schengen représente un autre outil important de l’Union Européenne pour canaliser les flux des migrants. Selon les statistiques, plus d’un milliard de personnes en provenance de 40 États dispensés de visas est entré dans l’espace Schengen en 2015. A contrario, les citoyens de plus de 100 États, correspondant à (80 % de la population mondiale) ont toujours besoin d’un visa pour entrer dans l’espace communautaire. À la suite d’une intervention de l’Allemagne, le Parlement européen a d’ailleurs adopté une « clause suspensive » Aussetzungsklausel provisoire concernant les États balkaniques qui sont à l’origine d’une importante vague de demandeurs d’asile (Luft p. 59).
3.2 Fiction juridique et réalité du terrain (2010-2016)
41 Après une décennie de grands textes juridiques fondamentaux bien illustrés par l’Accord de Schengen et le Règlement de Dublin, souvent remaniés, le temps du bilan et de la critique est venu. De toute part dans les milieux politiques, dans les associations non gouvernementales et chez les partenaires sociaux des voix s’élèvent pour mettre en question les « acquis » communautaires.
42 Dressons un inventaire des problèmes évoqués qui ont contribué à la crise aiguë des derniers mois :
43 Au lieu de se combler, le fossé qui sépare le formalisme des normes communautaires et les réalités économiques et sociales des États membres tend à s’élargir. Face à la pression migratoire, les pays « frontaliers » ne sont plus en mesure d’assurer la fonction de protection qui leur incombe ce qui nécessite l’octroi de subventions supplémentaires de l’Union. On est loin d’atteindre un niveau de protection et d’assurer un niveau élevé de solidarité entre les États membres.
44 Depuis longtemps, la Grèce est au centre de la critique européenne. Avant 2011, il n’y existait aucun centre d’accueil pour les primo entrants, de sorte que le Tribunal pour les Droits de l’Homme qualifiait le transfert de réfugiés vers la Grèce d’infraction contre la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Dans cette optique, le ministère de l’Intérieur allemand a arrêté tous les transferts vers la Grèce. Le postulat fondamental du système Schengen selon lequel tous les États membres sont des États « sûrs » n’est pas valable. Notamment en 2015, la situation reste très préoccupante comme le souligne le Sachverständigenrat deutscher Stiftungen für Integration und Migration (SVR) dans son expertise annuelle. D’autres États membres de l’UE, notamment la Hongrie, la Bulgarie, l’Italie, Malte et Chypre sont fréquemment qualifiés de « peu sûrs ». De la sorte, la Cour européenne des Droits de l’Homme a rappelé les États membres à l’ordre par une décision de 2014. Il faut vérifier avant chaque transfert d’un réfugié si les garanties portant sur un traitement humain, notamment un logement approprié, sont fournies (Jahresgutachten 2015).
45 La pression sur l’Europe et par conséquent sur l’Allemagne s’est considérablement accrue au cours de la dernière décennie. La politique de contrôle policier s’est également révélée inefficace. L’introduction des quotas en 2015, pour attribuer les réfugiés aux différents États membres de l’UE a été rejetée par la République tchèque, la Hongrie et la Slovaquie.
46 Après un recul important du nombre des demandeurs d’asile entre 2003 et 2012, les chiffres ont considérablement augmenté pour atteindre un point culminant en 2015.
3.3 Crise européenne et repli sur soi (le cas de l’Allemagne)
47 Toutes proportions gardées, la crise migratoire depuis 2014 comporte des ingrédients semblables à celle des années 90 : afflux massif de réfugiés, désaffection des populations à l’égard de l’Europe de Bruxelles, augmentation des populismes. Nous avons vu que la réponse donnée à l’époque par l’Europe (convention de Dublin) et l’Allemagne (le compromis sur l’asile) a permis de rétablir provisoirement la situation sur le plan de l’immigration. Le prix à payer était le renoncement à la « culture de bienvenue » (Willkommenskultur) et la mise en place de mesures de restrictions à l’égard des mouvements migratoires.
48 Quelles sont les caractéristiques de la crise actuelle d’une Allemagne qui accueille quantitativement le plus de demandeurs d’asile à l’échelle européenne ? Pour un grand nombre d’Allemands, l’immigration a une importance capitale pour le pays. En effet, 49 % des personnes interrogées selon « le baromètre politique » (Politbarometer) de la deuxième chaîne de télévision allemande (ZDF) place la thématique « étrangers, réfugiés et intégration » à la première place contre seulement 11 % au chômage (2e place). Un bon tiers de la population perçoit négativement les réfugiés (Meier-Braun, p. 116/17). Les arguments des adversaires de l’immigration sont les mêmes qu’en 1985 : Franz-Joseph Strauss annonçait alors l’immigration massive des « Kanaks » (ibidem p. 118). Il met ses contemporains en garde contre « l’épidémie de l’asile au pays du bien-être » (Wohlstandsasylepidemie). Comme la Bavière de Franz Joseph Strauss, la Bavière de Horst Seehofer défend contre l’afflux des étrangers l’image d’une Allemagne conservatrice. De leur côté, les nouveaux Länder, héritiers de la RDA, se montrent particulièrement virulents à l’égard des immigrés malgré le fait qu’ils comptent très peu de réfugiés comme le révèle le système de distribution intra-allemand (Königsteiner Schlüssel) dont les quotas sont établis pour un tiers en fonction des contributions fiscales du Land et pour deux tiers par l’importance de sa population.
Statistique : Quotas de répartition des réfugiés au niveau des Länder allemands
Land fédéral | Pourcentage des réfugiés accueillis Chiffres arrondis | Population du Land 31 déc. 2015 | Superficie territoriale en km² 31 déc. 2015 |
Bade-Wurtemberg | 12,97 % | 10.879.618 | 35.751,34 |
Bavière | 15,33 % | 12.843.514 | 70.550,11 |
Berlin | 5,05 % | 3.520.031 | 891,69 |
Brandebourg | 3,08 % | 2.484.826 | 29.654,34 |
Brême | 0,94 % | 671.489 | 419,38 |
Hambourg | 2,53 % | 1.787.408 | 755,30 |
Hesse | 7,32 % | 6.176.172 | 21.114,93 |
Mecklembourg-Pomeranie occidentale | 2,04 % | 1.612.362 | 23.213,70 |
Basse Saxe | 9,36 % | 7.926.599 | 47.614,82 |
Rhénanie du Nord-Westphalie | 21,24 % | 17.865.516 | 34.110,40 |
Rhénanie-Palatinat | 4,83 % | 4.052.803 | 19.854,36 |
Sarre | 1,22 % | 995.597 | 2.568,69 |
Saxe | 5,10 % | 4.084.851 | 18.420,25 |
Saxe-Anhalt | 2,86 % | 2.245.470 | 20.451,68 |
Schleswig-Holstein | 3,39 % | 2.858.714 | 15.802,49 |
Thuringe | 12,97 % | 2.170.714 | 16.202,14 |
Allemagne | 82.175.684 | 357.375,62 |
Statistique : Quotas de répartition des réfugiés au niveau des Länder allemands
49 Par essence, les étrangers seraient plus criminels que les Allemands (ibidem, p. 121). La controverse des dernières années porte fortement sur l’Islam accusé d’établir des sociétés parallèles incontrôlables. Comme en France, le débat porte également sur le « foulard » (Kopftuch), la burqa et le niqab. L’ouvrage de Thilo Sarrazin Deutschland schafft sich ab, entrevoit la domination musulmane en tant que résultat de la surnatalité des immigrés. Sur une base historique bien établie, l’extrémisme de droite se met sur le devant de la scène lors des actions de PEGIDA. Le nouveau parti eurosceptique « Alternative pour l’Allemagne » (Alternative für Deutschland) avance dans les sondages comme lors des élections régionales. L’opinion de droite dénonce les « méfaits » de la société multiculturelle. En résumé, tout en présentant le même spectre de l’opinion qu’en 1985, le front anti-immigration est quantitativement plus fort en 2015 qu’en 1992.
50 À l’heure actuelle, les représentants d’une culture d’ouverture et d’accueil à l’égard du phénomène d’immigration ne font pourtant pas défaut. Selon les sondages, ils représentent globalement un tiers de la population allemande. Nous les trouvons aussi bien chez les forces de gauche, chez les écologistes, mais également du côté de la droite modérée. Les arguments avancés sont connus, notamment la nécessité de combler le déficit démographique, l’accueil nécessaire de celui qui souffre, un point de vue prioritairement défendu par les Églises, la solidarité humaine en tant que principe laïque (proAsyl). À l’appui de leurs thèses, les défenseurs de l’accueil et de l’intégration soulignent que les personnes issues de l’immigration constituent une partie importante de la population actuelle :
Statistique : Composition de la société allemande en 2013, pourcentages de la population ayant les deux parents étrangers (Migrationshintergrund)
Pourcentage de la population n’ayant pas d’ascendants étrangers | 80 % |
Pourcentage de la population ayant plusieurs ascendants étrangers | 20 % |
Dont : | |
Turquie | 4 % |
Pologne | 2 % |
Russie | 1 % |
Kazakhstan | 1 % |
Italie | 1 % |
Roumanie | 1 % |
Autres : | 10 % |
Statistique : Composition de la société allemande en 2013, pourcentages de la population ayant les deux parents étrangers (Migrationshintergrund)
51 En résumé, le spectre de l’opinion allemande se partage globalement entre un tiers d’adversaires de l’immigration, un tiers de personnes favorables, pour des motifs différents, à l’accueil et l’intégration et un tiers d’indécis, constat qui corrige quelque peu les images spectaculaires véhiculées par la presse. C’est cette composition de l’opinion qui se reflète également dans l’évolution du droit d’asile des années 2015/2016.
52 Dans l’urgence, face à l’augmentation rapide des flux de réfugiés, le gouvernement fédéral a opté pour un renforcement des contraintes à l’égard des réfugiés, telles qu’elles étaient formulées dans la Loi sur le séjour (Aufenthaltsgesetz) de 2008.
53 Sous le nom de « Loi sur l’accélération de la procédure d’asile » (Asylverfahrensbeschleunigungsgesetz) l’Asylpaket I est entré en vigueur le 24 octobre 2015. Dans sa déclaration devant le Bundesrat le 16 octobre, Angela Merkel avait mis la nouvelle Loi sous le signe de la justice en soulignant le nécessaire équilibre entre l’aide indispensable aux personnes dans le besoin et l’expulsion de celles qui pouvaient se passer de la solidarité allemande (Bundesregierung, article du 26.10.2016 « Gesetzespaket in Kraft getreten »). A. Merkel compte accélérer la procédure d’asile tout en décourageant ce que le gouvernement qualifie de faux espoirs (Fehlanreize). Ceux qui n’ont pas de perspective de vie en Allemagne, ne doivent pas être encouragés à y rester. Encore faut-il voir derrière le discours sur une loi qualifiée d’équitable l’intérêt politique et économique du gouvernement. En déclarant États « sûrs » des pays notoirement instables comme l’Albanie, le Kosovo et, dans une certaine mesure, le Monténégro, la finalité première du texte est l’arrêt des flux de réfugiés comme le soulignent les ONG engagées. Si la chancelière, compense les efforts des Länder en faveur d’une politique d’asile commune en leur payant une somme forfaitaire de 670 euros par réfugié et par mois, elle compte faire des économies en diminuant les aides accordées jusque-là aux réfugiés en attente d’une reconduite à la frontière. Dans cette même logique d’encouragement pour les candidats « à perspective durable » et de découragement du candidat qui vise le court terme, le gouvernement fédéral accorde des aides aux communes et améliore les aides accordées aux mineurs, arrivés en Allemagne sans leurs parents.
54 Une partie de la Loi (Asylpaket II) entre en vigueur tardivement le 17 mars 2016. Par rapport au texte du 25 octobre, cette deuxième partie a une dimension nettement punitive. Elle compte sanctionner tous ceux qui ne « coopèrent » pas (mitwirken) lors de la procédure en donnant une fausse identité ou qui refusent de fournir leurs empreintes digitales. Par rapport aux délais extrêmement longs des procédures antérieures, les délais de décision sur la demande sont extrêmement courts (1 semaine, en cas de contestation juridique deux semaines). En bloquant le regroupement familial pendant 2 ans, le législateur s’inspire d’une logique politique et économique quantitative. Le texte prévoit également une reconduite à la frontière sans délai sans tenir compte d’éventuels certificats de complaisance. La radicalité du texte a été condamnée unanimement par les défenseurs des Droits de l’Homme. « Nous ne sommes pas des chiffres, nous sommes des hommes » peut-on lire sur une banderole lors d’une manifestation à Berlin (Pro Asyl 25.10.2016). Tout en affirmant son sens de l’équité et la nécessité d’une synergie européenne sur la question de l’asile, la chancelière s’incline devant son opinion publique très réservée.
Conclusion
55 En signant la Convention de Dublin, l’Allemagne a cédé en 1992 devant la pression croissante des opinions publiques qui, malgré la garantie constitutionnelle, ne voulaient plus du droit d’asile ancien. Entre 1992 et 2016 les partis au pouvoir et les gouvernements se sont faits partisans d’une politique défensive visant pour l’essentiel l’arrêt des flux de migration. À l’époque, de 2002 à 2012 l’Allemagne et ses partenaires ont donc rejeté l’utopie d’une Europe solidaire et généreuse. Comme ses voisins, l’Allemagne a fermé les yeux devant les problèmes évidents posés aux pays frontaliers par les textes de Schengen et de Dublin. Encore faut-il admettre, que devant les injonctions des justices européennes et allemandes, les pouvoirs exécutifs et législatifs de Berlin n’ont pas hésité à réformer leurs pratiques à l’égard des réfugiés. En agissant de la sorte, le pays est devenu un pôle d’attraction pour les réfugiés en quête de port d’attache. Pourra-t-elle dans une Europe future réconciliée et devenue solidaire jouer de nouveau son rôle de précurseur dans la question épineuse du droit d’asile ?
Indications bibliographiques
- Ausländerrecht, Migrations- und Flüchtlingsrecht (septembre 2015), Walhalla, Regensburg.
- Ausländerrecht, Textsammlung, (2. Auflage 2015), Saxonia Verlag, Dresden.
- Beck, Jürgen (2015), Exodus Europa, Die Flüchtlingskrise, Beck, Altenmünster.
- Gerbet, Pierre (dir.), (2009) Dictionnaire historique de l’Europe unie, André Versaille, Bruxelles.
- Heinhold, Hubert (7. überarbeitete Auflage 2015), Recht für Flüchtlinge, Ein Leitfaden durch das Asyl- und Ausländerrecht für die Praxis, Pro Asyl, Loeper Literaturverlag, Karlsruhe.
- Luft, Stefan (2016), Die Flüchtlingskrise, Ursachen, Konflikte, Folgen, C.H. Beck, München.
- Meier-Braun, Karl Heinz (2. Auflage 2015), Einwanderung und Asyl, C.H. Beck, München.
- Meier-Braun, Karl Heinz et al. ; (2013), Deutschland Einwanderungsland. Begriffe, Fakten, Kontroversen, Kohlhammer, Stuttgart.
- Weiße, André, (3. Auflage 2016), Asylrecht, Boorberg Verlag, Stuttgart.