Notes
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[1]
Je remercie Arnaud Lechevalier, ainsi que les coordinatrices de ce numéro spécial, pour leurs conseils qui m’ont aidée à améliorer mon texte.
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[2]
Pour reprendre une distinction classique dans l’analyse des politiques publiques, ce questionnement vise donc à éclairer les « outputs » de l’action publique (i.e. les produits de l’action publique), davantage que les « outcomes » (les résultats, les effets), dont l’évaluation s’avère souvent très complexe, voire périlleuse.
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[3]
Le présent article prend appui sur certains résultats d’une recherche en science politique (Perrier, 2010).
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[4]
En 2002, 35,8 % des enfants berlinois de moins de 3 ans ont une place dans une structure de garde, contre une moyenne nationale de 8,6 % (Senatsverwaltung für Wirtschaft, Arbeit und Frauen, 2006. Frauen in Berlin : Bildung, Berufe, Einkommen – Bericht, p. 146).
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[5]
Autre signe de cette institutionnalisation, chaque mairie d’arrondissement possède une chargée de mission aux droits des femmes et/ou à l’égalité (les dénominations varient en fonction des arrondissements). En outre, le Land subventionne des associations féministes qu’il associe à la mise en œuvre de sa politique d’égalité.
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[6]
J. Fagnani (2009, p. 14) indique ainsi que dès le milieu des années 1960, le nombre d’enfants par femme était bien inférieur en Allemagne à celui de la France.
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[7]
À notre connaissance, aucune recherche n’apporte la preuve de l’impact de ces réformes de politique familiale sur les comportements d’activité des femmes en Allemagne.
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[8]
L’activité des femmes en Allemagne de l’Est était beaucoup plus importante qu’en Allemagne de l’Ouest. Anne Salles indique ainsi que le taux d’emploi des femmes est passé de 57 % en 1989 en RFA à 67 % en 1991 dans l’Allemagne réunifiée (2012, p. 3).
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[9]
Taux d’emploi des femmes en 2015 : 73,6 %, contre 82,3 % pour les hommes (Données Eurostat, concernant la population âgée de 20 à 64 ans).
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[10]
Il est de 10 points pour les personnes très qualifiées, de 18 points pour les personnes faiblement qualifiées et de 19 points pour les personnes sans qualification. Cf. Dressel, 2005, p. 115. Ces données concernent les femmes et les hommes entre 30 et 64 ans. Eurostat ne fournit pas de données qui permettent de croiser le sexe et le niveau de qualification.
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[11]
Selon Eurostat, en 2015, plus de 46 % des femmes travaillaient à temps partiel en Allemagne (contre seulement un peu plus de 9 % des hommes).
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[12]
Selon O. Giraud et A. Lechevalier, « la durée moyenne des temps partiels en Allemagne est la plus courte de l’Union Européenne (18,1 heures par semaine en 2011) » (2013, p. 192).
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[13]
Voir tout de même Lestrade, 2012, mais cet article analyse essentiellement le contexte d’adoption des lois Hartz, les orientations normatives de ces lois et des données quantitatives sexuées ; il ne rentre pas dans la boite noire du fonctionnement des institutions du service public de l’emploi.
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[14]
Des modifications ultérieures conduisent au déplacement de ces dispositions dans l’article premier du SGB III. Elles sont aussi contenues dans l’article premier du SGB II.
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[15]
Dans l’article 16, paragraphe premier, il est stipulé que les dispositions du SGB III relatives au quota de promotion des femmes sont applicables au champ du SGB II.
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[16]
Depuis le 1er janvier 2011, les Job Center sont également obligés de disposer d’un/e chargé/e de mission à l’égalité des chances (Lestrade, 2012, p. 108).
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[17]
Pour plus d’informations sur ces formations, voir Perrier, 2013 et Perrier, 2015.
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[18]
En Allemagne, il s’agit d’un département au sein du ministère de la Famille, des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse.
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[19]
Sur ces projets, cf. Perrier, 2011.
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[20]
Pour une analyse plus détaillée des discours des professionnel/le/s de l’emploi, voir Perrier, 2015.
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[21]
Ces chiffres pour les années 2007, 2008 et 2009 nous ont été fournis par une membre de l’institut de recherche sur le marché du travail de Berlin et du Brandebourg IAB regional.
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[22]
Les mesures dénommées Mehraufwandsentschädigung (MAE) sont les fameux « jobs à 1 euro » fortement dénoncés au moment des mobilisations contre la loi Hartz IV : les « bénéficiaires » des MAE continuent de toucher l’allocation-chômage II, à laquelle s’ajoute pour le travail fourni dans le cadre de la mesure un dédommagement basé sur un tarif allant de 1 à 2 € de l’heure. Ces mesures revêtent une dimension contraignante, puisque les demandeurs/euses d’emploi sont obligés de les accepter. En outre, ces mesures ne sont pas soumises aux cotisations sociales.
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[23]
Les données que nous fournissons se rapportent à l’ensemble du Land de Berlin, pour les bénéficiaires relevant du SGB II (Données brutes fournies par l’IAB regional, calculs de pourcentage personnels). Pour autant, les inégalités mises en évidence ne sont pas spécifiques à ce territoire, comme l’indiquent des données nationales établies par la Bundesagentur für Arbeit (IAQ/FIA/GendA, 2009, p. 65).
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[24]
Ces mesures sont des emplois aidés qui offrent une rémunération plus élevée que les MAE ; ils sont soumis aux cotisations sociales (mais n’ouvrent pas de droit à l’indemnisation chômage).
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[25]
Les ABM sont les mesures pour l’emploi qui furent principalement mobilisées jusqu’aux récentes réformes pour l’emploi. Avec la loi Hartz III, ces mesures étaient devenues moins avantageuses pour les demandeurs/euses d’emploi, mais restaient plus favorables que les MAE (notamment parce qu’elles étaient soumises aux cotisations sociales). Elles ont été supprimées en 2012.
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[26]
Ainsi, entre 2005 et 2008, le pourcentage des hommes qui sortent du champ du SGB II pour occuper un emploi (non aidé) oscille entre 21,6 et 27,7 %, tandis que celui des femmes varie entre 15,2 et 19,5 % (IAQ/FIA/GendA, 2009, p. 70).
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[27]
Ainsi, entre 2005 et 2008, le pourcentage des hommes qui sortent du champ du SGB II pour devenir inactif oscille entre 25,7 et 33,5 %, pour les femmes, il va de 31,8 à 39,1 % (IAQ/FIA/GendA, 2009, p. 70).
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[28]
Cette sous-partie reprend largement (de façon synthétique) une sous-partie d’un article paru dans Politix (Perrier, 2015).
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[29]
S. Jacquot (2006, p. 367) observe le même phénomène au sein des institutions européennes.
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[30]
Il s’agit des « geschäftspolitische Ziele », les objectifs de la politique de la BA.
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[31]
La lecture de documents produits par la Bundesagentur clarifie la logique managériale à l’œuvre dans ce mode de pilotage des politiques de l’emploi. L’extrait suivant est parlant : « L’atteinte des objectifs dépend également du pilotage. Le suivi permanent des acteurs de terrain, de leur positionnement par rapport aux objectifs et leur réflexion sur les possibilités d’améliorer leurs performances a contribué à ce que de nombreux [Job Center] et Arbeitsagenturen aient pu augmenter leurs performances en 2007 » (BA, mars 2008, p. 19).
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[32]
Ces objectifs sont la diminution des dépenses passives (i.e. des allocations-chômage), l’augmentation du nombre d’insertions en emploi, celle du nombre d’insertions des moins de 25 ans, la hausse de l’efficacité et de la durabilité des parcours d’insertion.
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[33]
Le mode de calcul du quota ((taux de chômage des femmes * part des femmes dans le chômage) / (taux de chômage des femmes * part des femmes dans le chômage + taux de chômage des hommes * part des hommes dans le chômage) a pour conséquence que plus la part des femmes dans le chômage est faible, plus le quota de femmes est bas. Voir en illustration Beckmann, 2003, p. 6, tableau).
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[34]
Si, en 2015, seulement 10 % des femmes travaillant à temps partiel en Allemagne déclaraient occuper un tel emploi parce qu’elles n’avaient pas trouvé de temps plein (contre 40 % des femmes à temps partiel en France) (Lechevalier, à paraître), cette nette surreprésentation des femmes dans ce type d’emplois n’en constitue pas moins un facteur d’inégalités (en termes de salaires et de droits sociaux en particulier).
1 En Europe, alors que jusqu’au milieu des années 1980, les pays où les taux de fertilité étaient les plus élevés étaient ceux qui présentaient les taux d’emploi féminins les plus faibles, la corrélation semble s’être inversée depuis. Aujourd’hui, en effet, « les pays qui affichent les taux d’emploi les plus élevés sont aussi désormais ceux qui présentent les indices de fécondité les plus élevés », tandis que d’autres cumulent bas niveaux d’emploi et de fécondité des femmes (Thévenon, 2009, p. 74).
2 La situation de l’Allemagne apparaît depuis peu spécifique par rapport à cette catégorisation des pays : en effet, si le taux de fécondité reste peu élevé en comparaison avec plusieurs de ses voisins européens, le taux d’emploi des femmes a fortement augmenté. Ainsi, alors que l’Allemagne a longtemps fait figure de mauvais élève de la classe européenne concernant l’emploi des femmes, les chiffres officiels actuels dénotent un changement notoire de la situation par rapport aux années 1980 et aux décennies précédentes. Leur taux d’emploi a en effet progressé considérablement, au point que l’Allemagne affiche aujourd’hui un taux d’emploi féminin supérieur à ceux de nombreux voisins européens, notamment à celui de la France. Comment comprendre l’évolution de l’emploi des femmes en Allemagne ?
3 Parmi les variables influant sur les comportements d’activité des femmes, les politiques sociales et familiales sont mises en exergue par certains travaux de sciences sociales inscrits dans le champ de la littérature comparée sur les modèles d’États-providence (Lewis, 1992 ; Orloff, 1993 ; Letablier, 2009). Ces travaux invitent à établir un lien entre le faible taux d’activité des femmes qui a longtemps prévalu en Allemagne et les orientations de plusieurs politiques publiques (familiales et fiscales notamment) de la République fédérale d’Allemagne (RFA), concourant à ancrer une répartition sexuée des rôles défavorable à l’activité féminine.
4 Dans un contexte où les faibles taux d’emploi des femmes ont fait l’objet d’un certain nombre de critiques, dans l’espace national comme au niveau européen, plusieurs travaux académiques (Fagnani, 2009 ; Giraud et Lucas, 2009 ; Veil, 2010) ont souligné le changement de trajectoire de la politique familiale allemande au cours des années 2000. La politique familiale ne constitue cependant pas la seule politique publique qui influe sur la situation des femmes en emploi. Paradoxalement, la contribution de la politique d’emploi allemande à l’activité féminine a été beaucoup moins étudiée. Ce paradoxe mérite d’autant plus d’être souligné que cette politique a été placée sous les feux de la rampe au cours de la décennie 2000 en raison des nombreuses réformes dont elle a fait l’objet – et dont les lois Hartz constituent à la fois le cœur et le symbole. En outre, l’un des objectifs phare de ces réformes était, conformément aux préconisations européennes et au tournant de l’activation de la politique d’emploi (Barbier, 2002), d’augmenter les taux d’emploi, de sorte qu’on peut penser au premier abord que ces réformes ont constitué une opportunité pour l’emploi féminin.
5 Le présent article s’attache à interroger les relations entre la politique d’emploi allemande à destination des chômeurs/euses de longue durée depuis le début des années 2000 et la place des femmes dans l’emploi. Nous examinerons cette problématique en nous focalisant sur deux questions principales : quelle place occupe la thématique des inégalités entre les sexes dans cette politique publique, et plus particulièrement au sein du service public de l’emploi ? Comment les nouvelles orientations promues dans le cadre des réformes d’activation s’articulent-elles avec l’objectif d’égalité des sexes ? [2]
6 À l’instar d’autres politiques sociales, la politique d’emploi ne constitue pas un filtre neutre par rapport à la situation des femmes dans l’emploi. Dans un contexte favorable à la promotion de l’emploi des femmes, cette politique a fait l’objet d’évolutions contradictoires : si les réformes se sont accompagnées d’une reconnaissance formelle de l’importance de l’objectif d’égalité des sexes, le tournant de l’activation de la politique d’emploi a tendu à reléguer au second rang cet objectif, en privilégiant les critères de rapidité et de quantité de retours à l’emploi sur celui de la qualité de l’emploi, pourtant fondamental dans la construction des inégalités sexuées.
7 Dans un contexte marqué par l’intervention de différents acteurs sur le sujet de l’emploi des femmes, celui-ci a fait l’objet d’évolutions ambivalentes (I). En dépit de changements institutionnels et normatifs au sein du service public de l’emploi allemand favorables à une prise en compte de l’objectif d’égalité des sexes (II), la mise en œuvre des politiques d’emploi tend à reproduire des inégalités de genre et pose la question de la compatibilité entre les différents objectifs des réformes de ces politiques.
Matériau empirique, méthodologie
Nous avons enquêté entre 2003 et 2010 dans quatre arrondissements (Bezirke) berlinois, au sein des institutions du service public de l’emploi et auprès de plusieurs de ses partenaires, publics et privés.
Le matériau empirique mobilisé pour cet article est constitué de deux types de sources, écrites et orales. L’enquête s’est d’une part appuyée sur l’analyse de la littérature grise des secteurs de l’emploi et de l’égalité (documents communautaires et nationaux, et, de manière privilégiée, documents locaux). 53 entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des acteurs et actrices du secteur de l’égalité des sexes et de celui de l’emploi à Berlin (et pour deux entretiens au niveau fédéral).
Le choix de Berlin correspond d’une certaine manière au choix du cas allemand « le plus favorable ». D’une part, en effet, ce Land possède une tradition d’intervention publique en matière de garde d’enfants qui en fait l’un des Länder les mieux pourvus [4]. Il est d’autre part gouverné depuis plusieurs années par une majorité de gauche, historiquement davantage ouverte aux revendications féministes que la CDU. En outre, cette ville constitue en quelque sorte la « capitale du féminisme » allemand, dans laquelle ont fleuri de nombreuses associations féministes au cours des années 1970 (Marx Ferree, 2012). Le Land a institutionnalisé depuis les années 1980 une politique d’égalité des sexes et dispose d’une administration régionale en charge de ces questions [5].
Les acteurs des politiques d’emploi en Allemagne
Parmi les partenaires de travail de ces institutions, on trouve les associations du secteur de l’emploi et de la formation, auxquelles est déléguée la mise en œuvre des mesures de formation et d’insertion que les Job Center et Arbeitsagenturen programment pour leur public. En outre, les Länder ont développé depuis les années 1980 leurs propres programmes et mesures pour l’emploi (Blancke et Schmid, 1999).
Les femmes sur le marché du travail en Allemagne : une situation en recomposition
8 Dans un contexte marqué par une série de réformes des politiques publiques, l’accès des femmes au marché du travail a fortement évolué en Allemagne depuis les années 1990. Cette plus grande présence des femmes en emploi ne signifie pas pour autant que cette sphère soit devenue égalitaire : de « nouvelles frontières de l’inégalité » se dessinent (Maruani, 1998).
La remise en cause du modèle maternaliste allemand et la progression des femmes sur le marché du travail
9 Dans les comparaisons internationales relatives aux conventions de genre, qui analysent notamment la division des rôles sociaux de sexe en fonction des politiques publiques en vigueur, l’Allemagne est présentée comme un pays maternaliste, dans lequel la citoyenneté des femmes est « fondée sur la contribution des femmes à l’éducation des générations suivantes de citoyens » (Letablier, 2009, p. 105). De fait, ce pays se caractérise par une séparation nette des rôles conjugaux dans les couples hétérosexuels, où l’homme constitue le principal pourvoyeur de revenus, tandis que le rôle principal de la femme est celui de pourvoyeuse de soin. L’emploi de celle-ci devient dès lors secondaire. Cette répartition des rôles a été encouragée par les politiques publiques ouest-allemandes, aussi bien fiscales (avec un quotient conjugal favorable aux couples présentant des différentiels de salaire élevés, incitant les femmes à l’inactivité ou à un emploi à temps partiel) que familiales (avec un très faible développement des modes de garde en RFA pour les jeunes enfants), et scolaires (avec des écoles n’accueillant les enfants que jusqu’en début d’après-midi). Ce modèle social, dans lequel la prise en charge des jeunes enfants est pensée prioritairement en référence à la cellule familiale, découle pour partie de l’histoire récente de l’Allemagne (Salles, 2006). En effet, l’expérience nazie a fortement délégitimé l’intervention de l’État dans les affaires familiales. La politique familiale allemande s’est également construite dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale en réaction au contre-modèle est-allemand, basé sur une politique familiale favorisant la prise en charge des jeunes enfants au sein de structures collectives. En réaction, leur prise en charge par la mère est apparue après-guerre comme la meilleure option en RFA.
10 Ces éléments contribuent à comprendre pourquoi l’Allemagne a longtemps affiché des taux d’activité et d’emploi plutôt bas en comparaison avec plusieurs de ses voisins européens. Alors que de nombreux pays occidentaux, dont la France, voient leur taux d’activité féminine croître considérablement à partir des années 60 (Maruani, 2003), celui-ci croît plus lentement en Allemagne : il était de 35 % en 1950, et a augmenté de seulement trois points entre 1950 et 1982 (Von Wahl, 2006, p. 471). Ce faible taux d’emploi était dû notamment à un faible taux d’emploi des mères (Maruani, 2003, p. 19).
11 Ce modèle social va, au tournant des années 1990, être remis en cause, pour des raisons démographiques, mais aussi économiques et politiques. D’une part, la perte de poids de l’électorat traditionnel des deux grands partis (SPD et CDU/CSU), constitué pour le SPD des personnes peu qualifiées et des ouvriers et pour la CDU de l’électorat catholique, amènent ces partis à s’adresser à un nouvel électorat, composé notamment des femmes. Celles-ci remettent de plus en plus en cause l’idée selon laquelle la place des mères est nécessairement auprès des jeunes enfants (Blome, 2014). D’autre part, le faible taux de fécondité des Allemandes, qui ne constitue pas un fait nouveau [6], devient un problème en Allemagne à partir du moment où la question du financement des retraites est mise à l’agenda politique (Fagnani, 2009, p. 15). Les pouvoirs publics ne sont pas les seuls acteurs intéressés par ce problème : dans un contexte de ralentissement de l’immigration, le patronat allemand fait savoir aux pouvoirs publics son besoin de main-d’œuvre qualifiée, qu’il espère trouver, pour partie au moins, du côté des femmes diplômées (Fagnani, 2009, p. 17).
12 Des préoccupations similaires agitent les pouvoirs publics européens, qui publient des textes officiels faisant état des faibles taux d’emploi des femmes au sein de l’Union européenne (UE). En comparaison avec ceux en vigueur aux États-Unis et au Japon, les femmes y apparaissent comme une ressource sous-exploitée, alors qu’elles pourraient concourir au financement de la protection sociale. Ces préoccupations sont décisives pour comprendre la mise à l’agenda des questions familiales et de celle de l’emploi des femmes au niveau européen à partir de la fin des années 1990 (Jönsson et Perrier, 2009).
13 Ce contexte, à la fois national et européen, contribue à faire de la question de l’emploi des femmes un enjeu fort en Allemagne à la fin des années 1990. Il permet de comprendre l’adoption de plusieurs réformes de politique familiale, depuis la mise en place d’un congé parental sur le modèle suédois jusqu’au développement des équipements d’accueil des jeunes enfants (Fagnani, 2009). Ces réformes ont très probablement [7] joué un rôle dans l’évolution du taux d’emploi des femmes depuis les années 1990. Après un bond de celui-ci dû à la Réunification allemande et à l’apport des femmes de RDA dans la prise en compte du taux d’emploi [8], il augmente de manière progressive durant les années 1990 et 2000. « Depuis 2006, [même,] ce pays figure, avec un taux d’emploi officiel des femmes de 62,2 %, parmi les pays membres ayant atteint l’objectif du traité de Lisbonne, tandis qu’un certain nombre de pays fondateurs de l’Union européenne, comme l’Italie (46,3 %), la Belgique (54 %) et même la France (57,7 %), sont restés en dessous de cet indice. » (Bothfeld, 2009, p. 93).
Les nouvelles inégalités sur le marché du travail allemand
14 Mais en dépit de ces évolutions, le marché du travail allemand ne peut être qualifié d’égalitaire, pour au moins deux raisons. D’une part, malgré cette augmentation de l’emploi féminin, bien supérieure à celle de l’emploi masculin sur les décennies 1990-2000 (Giraud et Lechevalier, 2013, p. 191), un écart de neuf points selon le sexe persiste entre les taux d’emploi [9]. De manière intéressante, plus le niveau de qualification diminue, plus l’écart entre le taux d’emploi des hommes et celui des femmes se creuse, au désavantage des femmes [10].
15 En outre, le taux d’emploi brut ne rend que partiellement compte de la situation en emploi des femmes en Allemagne, puisqu’il n’indique « ni le volume, ni la qualité du travail rémunéré » (Bothfeld, 2009, p. 93). Ainsi, en 2006, alors que leur taux d’emploi brut s’élevait à 62,6 %, il n’atteignait que 47,1 % une fois ramené au taux d’emploi en équivalent temps plein. Ce différentiel de 15,1 points entre ces deux taux est bien moins marqué dans des pays comme la France (7,4 points) ou la Suède (9,7 points) (Bothfeld, 2009). Il s’explique par une forte prévalence des emplois à temps partiel parmi les actives [11], et par la courte durée des temps partiels en Allemagne [12]. « L’Allemagne est [donc] l’un des pays où l’écart entre la durée de travail hebdomadaire moyenne des hommes et des femmes est le plus prononcé (8,6 heures en 2008) » (Giraud et Lechevalier, 2013, p. 192, citant Lehndorff, Wagner et Franz, 2010).
16 Finalement, donc, la situation des femmes sur le marché du travail allemand apparaît paradoxale : d’un côté, leur situation s’est améliorée si l’on considère l’enjeu de l’accès au marché du travail, dont la littérature féministe a souligné l’importance (Lewis, 1992). De l’autre, les inégalités sont loin d’avoir disparu : elles se sont plutôt recomposées, largement autour de la question du temps de travail.
17 Les ambivalences et les limites des réformes de politique familiale au regard de l’enjeu de l’égalité des sexes (dans l’emploi) ont fait l’objet de plusieurs analyses dans la littérature académique (Fagnani, 2009 ; Giraud et Lucas, 2009 ; Veil, 2010). Les éléments qui influent sur l’accès à l’emploi et la situation en emploi des femmes sont toutefois nombreux. À cet égard, la politique d’emploi n’a fait l’objet que de peu d’analyses dans la littérature française [13]. Pourtant, dans le contexte de montée en puissance de l’enjeu de l’emploi féminin aux niveaux national et européen, le service public de l’emploi allemand n’est pas resté indifférent à cette thématique. Quelles mesures ont été adoptées ? Dans quelle mesure ont-elles entraîné des changements au niveau de la mise en œuvre de la politique d’emploi à Berlin ?
Les tribulations de l’objectif d’égalité des sexes dans la politique d’emploi : des réformes aux pratiques
18 Si le tournant des années 2000 a été marqué par différentes initiatives en faveur de l’égalité des sexes au sein du service public de l’emploi (SPE) allemand, leur portée est restée limitée.
Une légitimité nouvelle de l’objectif d’égalité des sexes dans la politique d’emploi allemande
19 Alors que l’égalité entre les sexes dans l’emploi n’a longtemps constitué qu’un objectif très marginal de la politique d’emploi allemande (Perrier, 2010, chapitre 2), à partir de la fin des années 1990, l’intérêt croissant porté à la question de l’emploi des femmes aux niveaux européen et national se traduit par des changements dans les orientations normatives de cette politique et par des changements institutionnels au sein du service public de l’emploi (SPE).
20 Ainsi, l’entrée en vigueur du Sozialgesetzbuch III (SGB III) en 1998 marque l’introduction d’un article (§ 8) intitulé « soutien aux femmes » (« Frauenförderung »), stipulant que les actions mises en œuvre dans le cadre de la politique active de l’emploi doivent permettre de lutter contre la ségrégation sexuée du marché du travail et de la formation [14]. Ce même article contient une disposition relative au taux de femmes dans les mesures pour l’emploi, le « quota de femmes » (« Frauenförderquote »), selon lequel les femmes doivent participer aux mesures pour l’emploi proportionnellement à la part qu’elles représentent dans le chômage ainsi qu’à leur taux de chômage. Ce quota est également applicable au champ du Sozialgesetzbuch II (SGB II) [15], qui fait aussi mention du principe d’égalité des sexes dans son article premier. L’entrée en vigueur du SGB III marque en outre l’adoption d’un article (§ 11.4) relatif au bilan des « intégrations dans l’emploi ». Réalisé chaque année dans toutes les Arbeitsagenturen, aux niveaux local, régional et fédéral, ce bilan doit fournir des données sur le pourcentage de femmes présentes dans les mesures mises en œuvre, au vu de la proportion de femmes au chômage par rapport au chômage total. Enfin, les documents directeurs qui opérationnalisent en Allemagne la politique d’emploi de l’UE voient le thème de l’égalité gagner en visibilité (Perrier, 2006).
21 La thématique de l’égalité des sexes fait également l’objet de mesures visant son institutionnalisation. Ainsi, des postes dédiés à la promotion de l’égalité des sexes au sein du SPE sont créés ou consolidés. Dans le cadre d’une réforme portée par l’agence fédérale pour l’emploi allemande (Bundesagentur für Arbeit, ou BA), les Arbeitsagenturen voient les postes d’égalité des chances entre les femmes et les hommes (Beauftragte für Chancengleichheit am Arbeitsmarkt) passer de mi-temps à des temps pleins. À Berlin l’administration berlinoise en charge des droits des femmes dans les services du Land a même impulsé la création de postes similaires (mais sans obligation de temps plein) dans les Job Center de son territoire, alors qu’aucune obligation légale ne les y contraignait [16].
22 Enfin, différentes initiatives de sensibilisation et de formation au genre en direction d’acteurs et actrices des politiques d’emploi ont été lancées [17]. Elles s’inscrivent notamment dans le cadre de la mise en œuvre du Fonds social européen (FSE) : les services ministériels allemands en charge des droits des femmes [18] ont en effet promu des formations pour les acteurs et actrices qui programment la mise en œuvre du FSE au niveau des Länder. Autre exemple, une série de séminaires consacrés à l’égalité, et regroupant une vingtaine de participant/e/s, ont été organisés pour des porteurs/euses de projets FSE d’un arrondissement de Berlin.
Des réformes ambiguës
23 Ces réformes, qui tendent à conférer une légitimité nouvelle à l’objectif d’égalité des sexes, s’accompagnent toutefois de dispositions porteuses d’inégalités. Ainsi, la loi Hartz IV substitue à la notion de chômeur/euse celle de « communauté de besoin » (« Bedarfsgemeinschaft »). En dépit de sa formulation neutre, cette notion tend à familialiser les prestations chômage, dans la mesure où le droit à l’allocation-chômage II n’est plus individuel, mais fonction des revenus de la communauté de besoin. Ainsi, comme le souligne B. Lestrade, « si une femme au chômage depuis plus d’un an a un partenaire aux revenus considérés comme suffisants, elle perd le bénéfice de son allocation » (2012, p. 105), alors qu’avant cette réforme, ses droits sociaux, individualisés, étaient supérieurs. Si cette disposition n’est pas formellement sexuée, ses conséquences le sont, en raison d’inégalités professionnelles qui placent les femmes dans une position souvent infériorisée par rapport à leur conjoint dans les couples hétérosexuels. En outre, alors que les réformes d’activation de la politique d’emploi tendent à renforcer l’obligation de rechercher un travail pour les chômeurs/euses, les parents d’enfants de moins de trois ans et de proches dépendants sont exemptés de cette obligation (§ 10(1) du SGB II). Dans la mesure où les femmes restent davantage assignées à ces activités de care que les hommes, cette disposition tend à éloigner davantage de femmes que d’hommes de l’opportunité d’un suivi par les personnels des Job Center et à favoriser le retrait de l’emploi pour des femmes peu qualifiées.
L’égalité des sexes : un objectif qui reste marginal pour la majorité des professionnel/le/s de l’emploi au sein du service public de l’emploi
24 En outre, si les changements normatifs et institutionnels décrits ci-dessus marquent un réel changement dans les politiques d’emploi allemandes, leur portée reste cependant limitée au vu de la faible place que continue d’occuper la thématique de l’égalité des sexes dans les représentations et les pratiques de la majorité des professionnel/le/s de l’emploi. Plusieurs éléments attestent de cette marginalité relative persistante.
25 À Berlin, d’une part, l’objectif d’égalité des sexes continue d’occuper une place résiduelle dans les documents directeurs locaux de la politique d’emploi que constituent notamment les programmes annuels des Job Center.
26 D’autre part, l’analyse des documents directeurs des Job Center et les entretiens montrent que les actions visant à lever les freins genrés à l’emploi [19] restent minoritaires : des actions non mixtes de formation et d’orientation, un projet de garde d’enfants à horaires atypiques par d’anciennes chômeuses auxquelles est donnée l’occasion de se qualifier, ainsi qu’une action d’accompagnement renforcé dans un Job Center pour des femmes victimes de violence existent à Berlin, mais leur nombre est très faible rapporté à l’ensemble des actions pour l’emploi dans les arrondissements étudiés.
27 Troisièmement, la réalisation d’entretiens semi-directifs avec de nombreux professionnel/le/s de la politique d’emploi ont mis en évidence la faible réappropriation de la norme d’égalité par la majorité d’entre eux et d’entre elles : on ne constate dans les discours de la majorité des interviewé/e/s ni de diagnostic commun sur l’existence d’inégalités entre les sexes dans l’emploi ou sur les raisons de ce phénomène, ni de pronostic partagé sur la manière d’y remédier au sein du service public de l’emploi [20].
28 Enfin, l’analyse de la répartition sexuée des demandeurs/euses d’emploi dans les différentes mesures pour l’emploi révèle une surreprésentation des femmes dans les mesures pour l’emploi les plus précaires, et à l’inverse (et de façon plus marquée), une sous-représentation des femmes dans les mesures pour l’emploi relativement plus favorables : ainsi, alors qu’au moment de l’enquête, elles ne représentaient en moyenne que 42 % des demandeurs/euses d’emploi dans les Job Center berlinois [21], les femmes constituaient 45,5 % des occupant/e/s des mesures dites MAE [22], mais seulement 37,6 % des bénéficiaires des mesures pour l’emploi que sont les Entgeltvariante et 35,5 % des bénéficiaires des « Arbeitsbeschaffungsmaßnahmen » (ABM) [23]. Or les mesures Entgeltvariante [24] et ABM [25] offrent des conditions d’emploi meilleures que les MAE. Ces données montrent donc qu’en dépit de l’institutionnalisation de l’objectif d’égalité des sexes, la mise en œuvre de la politique d’emploi dans les Job Center crée une hiérarchie entre les sexes dans les distributions des mesures pour l’emploi. Une enquête réalisée au niveau national révèle en outre que les hommes qui sortent du chômage le font plus souvent pour un emploi soumis aux cotisations sociales que les femmes [26]. En revanche, selon cette même enquête, la part des personnes qui sortent du champ du SGB II pour passer du côté de l’inactivité est systématiquement plus élevée chez les femmes que chez les hommes [27]. Enfin, une enquête réalisée courant 2007 auprès de 25 000 bénéficiaires de l’allocation-chômage II montre que parmi les parents d’enfants de moins de trois ans, des différences apparaissent dans le traitement des mères et des pères au sein des Job Center : tandis que 73,6 % des pères avaient obtenu un entretien de suivi de leur situation, seules 58 % des mères étaient dans ce cas. Des différentes existent également si l’on ne considère que les familles monoparentales (71,1 % des pères seuls contre 62,8 % des mères seules avaient été reçu/e/s en entretien) (Betzelt, 2008, p. 315).
29 Finalement, donc, les réformes Hartz se caractérisent par l’institutionnalisation de la thématique de l’égalité et par sa plus grande visibilité dans les orientations normatives de la politique d’emploi. Toutefois, ces réformes sont ambiguës, car certaines de ses dispositions renforcent les inégalités de genre. En outre, l’institutionnalisation et la plus grande visibilité de l’objectif d’égalité ne semblent pas remettre fondamentalement en cause sa marginalité relative dans les représentations et les pratiques des professionnel/le/s de l’emploi à Berlin, comme le montre notre recherche, mais aussi plus généralement sur le territoire allemand, comme le soulignent d’autres travaux. Comment expliquer cet apparent paradoxe ?
Les freins institutionnels à la prise en compte de l’égalité des sexes
30 La place relativement marginale de l’objectif d’égalité des sexes dans la mise en œuvre des politiques d’emploi à Berlin s’explique de différentes manières. Des freins d’ordre cognitifs et normatifs, mettant en jeu les représentations des professionnel/le/s qui mettent en œuvre la politique d’emploi, jouent un rôle important (Perrier, 2015). Mais la prise en compte de l’objectif d’égalité se heurte également à des freins de nature institutionnelle, qui pèsent également sur l’activité de ces professionnel/le/s. L’intégration de l’objectif d’égalité des sexes butte largement sur sa difficile articulation avec des orientations structurantes des réformes de la politique d’emploi.
Une institutionnalisation « molle » de l’objectif d’égalité ? [28]
31 Les modalités concrètes de l’institutionnalisation de l’égalité via les postes et les formations à l’égalité des sexes limitent les possibilités de changement induites par ces initiatives. D’une part, en effet, les chargé/e/s de mission à l’égalité des chances ne disposent ni de réel pouvoir de décision et de contrainte dans leur administration, ni de budget propre. En outre, l’institutionnalisation de l’égalité ne prémunit pas nécessairement contre une forme de marginalisation. Par exemple, la chargée de mission à l’égalité des chances à la direction régionale de la Bundesagentur für Arbeit (BA) à Berlin mentionne qu’elle n’est pas systématiquement conviée aux groupes de travail thématiques de la BA, alors que la problématique du genre est censée être transversale. Une anecdote confiée en entretien par une de ses collègues, qui convoitait initialement son poste, en dit long sur l’importance accordée par la hiérarchie à cette fonction : lorsque cette personne a fait part de son intérêt pour le poste à ses supérieurs, ceux-ci lui ont fait remarquer qu’elle « méritait mieux » et que le poste brigué n’était guère intéressant. Enfin, on peut se demander dans quelle mesure la création de ces postes suscite une diffusion et une prise en charge réellement transversales de la thématique de l’égalité. Leur existence semble en effet entraîner l’identification de la thématique du genre à la personne en charge du dossier. De manière significative, lors de nos premières démarches pour contacter des acteurs et actrices du secteur de l’emploi, plusieurs nous ont renvoyée à la personne identifiée à ce dossier. Une chargée de mission d’une agence locale pour l’emploi berlinoise déclare même que certain/e/s conseillers/ères ne la connaissent pas.
32 D’autre part, la portée des formations à l’égalité apparaît incertaine, pour plusieurs raisons. D’abord, la quasi-totalité des formations à l’égalité proposées reposent sur le principe du volontariat. Les acteurs et actrices du secteur de l’emploi sont loin d’être systématiquement formé/e/s à l’égalité. Le caractère optionnel de ces formations tend ainsi à faire de l’égalité un critère secondaire des politiques d’emploi par rapport à d’autres impératifs auxquels sont soumis les professionnel/le/s du secteur. Ensuite, le principe de la participation volontaire pose la question du niveau hiérarchique des participant/e/s : la tendance à déléguer la participation à la formation à des personnes de responsabilités inférieures à celles du public visé initialement est observable dans les formations initiées dans le cadre de la mise en œuvre du fonds social européen [29]. Par ailleurs, parmi nos enquêté/e/s, occupant des postes de conseillers/ères à l’emploi, et travaillant donc en contact direct avec les chômeurs/euses, aucun/e n’a suivi de formation. De fait, nous n’avons identifié qu’une seule formation spécifiquement dédiée à des acteurs et actrices en charge du suivi des demandeurs/euses d’emploi. Les autres ont concerné des acteurs et actrices plutôt en charge de la programmation des politiques d’emploi. Cet élément relativise fortement la portée transformatrice de ces instruments de sensibilisation au genre. Enfin, se pose la question de l’articulation entre savoirs et pratiques. Dans quelle mesure les connaissances sont-elles assimilées ? Lors des formations à l’égalité, « des phénomènes d’altérations et d’appropriations singulières » (Desage et Godard, 2005, p. 647) des idées sont susceptibles d’être en jeu dans leur transmission. La responsable du bureau emploi au service des droits des femmes de l’administration du Sénat berlinois souligne d’ailleurs le scepticisme avec lequel certain/e/s participant/e/s à une formation considèrent la mise en pratique des connaissances acquises sur le gender mainstreaming. Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que la plupart des formations sont de courte durée.
L’objectif de retour rapide à l’emploi, un objectif central et contraignant de la politique d’emploi allemande
33 Au-delà des modalités d’intégration de l’objectif d’égalité au sein du service public de l'emploi (SPE), la portée de cet objectif nécessite d’être interrogée à l’aune de ses articulations avec les autres objectifs de la politique d’emploi allemande.
34 Celle-ci a fait l’objet de nombreuses réformes depuis le milieu des années 1990, qu’une abondante littérature a analysées. Ces réformes se focalisent, conformément aux préconisations européennes, sur l’augmentation du taux d’emploi et la diminution du chômage. Elles se caractérisent notamment par un glissement vers un traitement accéléré du chômage. Le retour rapide à l’emploi des personnes suivies par le SPE allemand constitue de fait un objectif central de la politique d’emploi en Allemagne. Cette focalisation sur la sortie du chômage et cette pression aux résultats sont sensibles dans le discours des interviewés à Berlin. Une responsable de département d’un Job Center berlinois répond par exemple comme suit à la question posée de savoir s’il existe dans les Job Center des données sur les modalités de sorties en emploi : « Le critère principal, c’est l’intégration ! Où ils vont, d’où ils viennent… l’essentiel, c’est qu’ils soient vite partis ! ». Cette focalisation sur la sortie du chômage est décelable également dans de nombreux documents directeurs des politiques d’emploi. L’atteinte d’un placement plus rapide des chômeurs/euses en emploi et la diminution de la durée de l’accompagnement vers l’emploi figurent parmi les principaux objectifs affichés des réformes Hartz (Hielscher, 2005, p. 121 ; Giesecke et Gross, 2005, p. 27). On retrouve dans nombre de documents officiels de la Bundesagentur für Arbeit (BA) des remarques attestant l’importance de cet objectif, à l’instar de ce rapport annuel : « L’objectif de la BA est d’éviter le chômage ; de réintégrer rapidement les gens dans l’emploi, d’atteindre un haut degré de satisfaction des clients et d’utiliser les cotisations de manière efficace et économique » (Bundesagentur für Arbeit, avril 2008, p. 14). Les bases législatives de la politique d’emploi allemande s’inscrivent dans la même logique. Ainsi, le paragraphe 1 du SGB II mentionne le but de « diminuer la durée de la dépendance financière ». En outre, tous les programmes de travail des Job Center berlinois contiennent des références à la durée moyenne de l’accompagnement des demandeurs/euses d’emploi et à la rapidité du retour à l’emploi.
35 Ces réformes marquent en revanche l’abandon d’un objectif central de l’ancienne législation allemande sur la politique d’emploi, celui relatif à la lutte contre l’emploi précaire. Ainsi, elles ont promu le segment des emplois peu qualifiés et peu rémunérés comme outil de la hausse du taux d’emploi (Chagny, 2005, p. 3 ; Koch et Bäcker, 2003, p. 7). C’est même dans le développement du secteur à bas salaire que réside « la clef supposée du succès des lois Hartz et de l’agenda 2010 » (Chagny, 2005, p. 23).
36 La centralité du retour rapide à l’emploi repose notamment sur la présence, dans les Job Center, d’indicateurs chiffrés visant à piloter la mise en œuvre de cet objectif. L’activité des Job Center, tout comme celle des Arbeitsagenturen, est en effet guidée par les objectifs fixés par la BA [30] qui sont déclinés localement. Ceux-ci sont mesurés par le biais d’indicateurs, dont le suivi est assuré par un système appelé controlling. Celui-ci repose sur une transmission des résultats du contrôle statistique à chaque échelon hiérarchique supérieur. Le suivi des objectifs de résultat est assuré mensuellement, équipe par équipe, afin de respecter les objectifs fixés par la Bundesagentur für Arbeit. Des pratiques de Benchmarking accompagnent ce système de pilotage par indicateurs chiffrés. Le rapport sur le controlling est publié et mis à disposition des salariés du Job Center. La question de l’atteinte des objectifs est centrale dans les programmes de travail des différents Job Center. Une partie importante de ceux-ci est consacrée à l’évaluation des résultats des Job Center relatifs à ces indicateurs [31].
L’égalité des sexes, un objectif affiché mais peu contraignant
37 Si, comme on l’a vu en deuxième partie, l’objectif d’égalité des sexes constitue un objectif inscrit dans les textes législatifs qui définissent la politique d’emploi allemande, cet objectif n’apparaît pas aussi contraignant que celui du retour rapide à l’emploi. D’une part, en effet, très peu d’indicateurs chiffrés relatifs à l’égalité des sexes existent dans les indicateurs de pilotage nationaux ou locaux des institutions pour l’emploi dans le pilotage de l'activité des Job Center. Dans les Job Center, les jeunes constituent une cible explicite des indicateurs nationaux – avec l’un des objectifs consacrés à la hausse du taux d’intégration des moins de 25 ans – mais ça n’est le cas ni pour les femmes, ni pour certaines catégories d’entre elles. Dans trois des quatre Job Center étudiés, aucune mention n’est faite de l’objectif d’égalité, de la participation des femmes ou des hommes aux différentes mesures, ou encore des difficultés spécifiques à certaines catégories de femmes. À cela s’ajoutent le peu de visibilité et le peu d’objectifs contraignants relatifs à la qualité de l’emploi. Dans les Job Center, parmi les indicateurs nationaux pour 2007 et 2008 [32], seul le dernier fait référence à la qualité de l’emploi, et de façon relativement vague : que faut-il comprendre par « durabilité de l’insertion » ? La qualité de l’emploi saisie par le temps de travail et la durée des contrats proposés constituent pourtant un point central dans la hiérarchie genrée de l’emploi.
38 Certes, le SGB III fixe, dans son article premier, le principe d’un quota de femmes à respecter dans la mise en œuvre des mesures en faveur des demandeurs/euses d’emploi, et ce quota s’applique également au champ du SGB II, comme précisé en deuxième partie. Ce quota prévoit que les femmes doivent participer aux mesures pour l’emploi proportionnellement à la part qu’elles représentent dans le chômage ainsi qu’à leur taux de chômage [33]. Son mode de calcul a suscité des critiques, d’une part car il n’inclut pas les femmes qui se sont retirées du marché du travail – or en Allemagne comme à Berlin, ces taux sont supérieurs chez les femmes –, d’autre part, car le critère de la qualité des emplois est mis de côté, du fait de la non prise en compte du temps de travail des actifs/ives. Or, les différences sexuées de volume horaire travaillé constituent un facteur d’inégalité important entre les sexes [34], comme nous l’avons montré en première partie.
39 Enfin, dans la mesure où le quota de femmes dans les mesures pour l’emploi n’a pas de dimension réellement contraignante, il n’a pas la même valeur institutionnelle que les indicateurs de résultats suivis dans le cadre du Controlling appliqué à chaque Job Center. Un directeur de Job Center explique que ces établissements sont tenus d’établir des statistiques sexuées, qui sont suivies dans le cadre de l’examen des données effectué par la direction régionale de la Bundesagentur für Arbeit. Selon ses dires, ces statistiques ne font toutefois l’objet que de questions (et pas de sanctions) de la part de la direction régionale, lorsque des différences frappantes par rapport aux statistiques d’autres Job Center sont observées. La responsable d’un département d’un autre Job Center berlinois qualifie quant à elle le quota de promotion des femmes d’« objectif mou ». Enfin, l’un des responsables du Controlling à la Bundesagentur für Arbeit précise que le quota de femmes n’est pas inclus dans le système de controlling, mais qu’il est utilisé uniquement pour l’élaboration des statistiques de la Bundesagentur für Arbeit. Ainsi, les activités des directions régionales, des Arbeitsagenturen et des Job Center ne sont pas évaluées sur le critère de présence des femmes dans les différentes mesures pour l’emploi. La valeur contraignante de ce quota (liée à son ancrage législatif) semble donc jouer un rôle relativement faible pour les responsables de Job Center. Nos remarques rejoignent donc celles de Beate Kurz et Petra Müller (2004, p. 9), de Clarissa Rudolph (2007, p. 114, 2010, p. 9) et de Karen Jaehrling (2007, p. 4), selon lesquelles l’égalité n’a pas trouvé d’entrée dans le système d’objectifs et de pilotage par indicateurs de la Bundesagentur für Arbeit. Le quota de promotion des femmes est un outil de visibilisation de la présence des femmes dans les mesures pour l’emploi et la formation, mais pas un outil de pilotage de cette politique.
Conclusion
40 Nous avons cherché, dans cet article, à éclairer l’articulation entre la place des femmes dans l’emploi en Allemagne et la politique d’emploi. Pour ce faire, nous avons analysé la place de l’objectif d’égalité des sexes dans les politiques d’emploi, au niveau des orientations normatives de ces politiques et de leur mise en œuvre dans quatre Job Center berlinois. Ce questionnement, en intégrant l’analyse de la mise en œuvre de la politique d’emploi, permet d’éclairer les limites et les ambivalences des réformes visant l’intégration de l’objectif d’égalité des sexes dans cette politique. En effet, d’un côté, dans un contexte européen et national qui a contribué à faire de l’emploi des femmes une préoccupation montante, le service public de l’emploi a adopté des mesures qui incarnent une forme de légitimation de cette thématique, historiquement marginale dans la politique d’emploi allemande. Ces réformes ont consisté à institutionnaliser la thématique de l’égalité des sexes et à y sensibiliser les professionnel/le/s du secteur. L’analyse de la mise en œuvre de la politique d’emploi à Berlin permet cependant de les qualifier de réformes en trompe-l’œil : elles ne sont pas venues remettre en cause la relative marginalité de cette thématique dans les Job Center étudiés. Plusieurs éléments l’attestent. S’il n’existe pas d’explication unicausale à ce paradoxe, nous avons mis l’accent dans cet article sur les ambiguïtés du processus d’institutionnalisation de cette thématique. D’une part, en effet, celle-ci peut être qualifiée de molle au vu du faible degré de contrainte et des faibles budgets accordés aux postes à l’égalité et aux formations à l’égalité. D’autre part, cet objectif ne fait l’objet d’aucun pilotage contraignant, contrairement à l’objectif de retour rapide à l’emploi, qui constitue le « noyau dur » des réformes de la politique d’emploi adoptées durant la décennie 2000. L’égalité tend dès lors à devenir un objectif secondaire pour les Job Center. La reconnaissance de cette thématique apparaît donc très partielle.
41 Ainsi, les réformes de la politique d’emploi allemandes, au-delà d’un affichage en faveur de l’égalité entre les sexes, ne s’avèrent pas en mesure d’insuffler un changement en profondeur de la situation des femmes en emploi, via leur action sur les demandeuses d’emploi : dans la mesure où l’égalité des sexes reste un objectif secondaire de la politique d’emploi, le service public de l’emploi allemand n’apparaît pas comme un acteur qui accompagne celles-ci pour lutter contre les inégalités sur le marché du travail. Cette position encore largement infériorisée, notamment au regard des temps de travail nettement différenciés entre femmes et hommes, constitue probablement un frein à l’augmentation de leur fécondité.
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Notes
-
[1]
Je remercie Arnaud Lechevalier, ainsi que les coordinatrices de ce numéro spécial, pour leurs conseils qui m’ont aidée à améliorer mon texte.
-
[2]
Pour reprendre une distinction classique dans l’analyse des politiques publiques, ce questionnement vise donc à éclairer les « outputs » de l’action publique (i.e. les produits de l’action publique), davantage que les « outcomes » (les résultats, les effets), dont l’évaluation s’avère souvent très complexe, voire périlleuse.
-
[3]
Le présent article prend appui sur certains résultats d’une recherche en science politique (Perrier, 2010).
-
[4]
En 2002, 35,8 % des enfants berlinois de moins de 3 ans ont une place dans une structure de garde, contre une moyenne nationale de 8,6 % (Senatsverwaltung für Wirtschaft, Arbeit und Frauen, 2006. Frauen in Berlin : Bildung, Berufe, Einkommen – Bericht, p. 146).
-
[5]
Autre signe de cette institutionnalisation, chaque mairie d’arrondissement possède une chargée de mission aux droits des femmes et/ou à l’égalité (les dénominations varient en fonction des arrondissements). En outre, le Land subventionne des associations féministes qu’il associe à la mise en œuvre de sa politique d’égalité.
-
[6]
J. Fagnani (2009, p. 14) indique ainsi que dès le milieu des années 1960, le nombre d’enfants par femme était bien inférieur en Allemagne à celui de la France.
-
[7]
À notre connaissance, aucune recherche n’apporte la preuve de l’impact de ces réformes de politique familiale sur les comportements d’activité des femmes en Allemagne.
-
[8]
L’activité des femmes en Allemagne de l’Est était beaucoup plus importante qu’en Allemagne de l’Ouest. Anne Salles indique ainsi que le taux d’emploi des femmes est passé de 57 % en 1989 en RFA à 67 % en 1991 dans l’Allemagne réunifiée (2012, p. 3).
-
[9]
Taux d’emploi des femmes en 2015 : 73,6 %, contre 82,3 % pour les hommes (Données Eurostat, concernant la population âgée de 20 à 64 ans).
-
[10]
Il est de 10 points pour les personnes très qualifiées, de 18 points pour les personnes faiblement qualifiées et de 19 points pour les personnes sans qualification. Cf. Dressel, 2005, p. 115. Ces données concernent les femmes et les hommes entre 30 et 64 ans. Eurostat ne fournit pas de données qui permettent de croiser le sexe et le niveau de qualification.
-
[11]
Selon Eurostat, en 2015, plus de 46 % des femmes travaillaient à temps partiel en Allemagne (contre seulement un peu plus de 9 % des hommes).
-
[12]
Selon O. Giraud et A. Lechevalier, « la durée moyenne des temps partiels en Allemagne est la plus courte de l’Union Européenne (18,1 heures par semaine en 2011) » (2013, p. 192).
-
[13]
Voir tout de même Lestrade, 2012, mais cet article analyse essentiellement le contexte d’adoption des lois Hartz, les orientations normatives de ces lois et des données quantitatives sexuées ; il ne rentre pas dans la boite noire du fonctionnement des institutions du service public de l’emploi.
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[14]
Des modifications ultérieures conduisent au déplacement de ces dispositions dans l’article premier du SGB III. Elles sont aussi contenues dans l’article premier du SGB II.
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[15]
Dans l’article 16, paragraphe premier, il est stipulé que les dispositions du SGB III relatives au quota de promotion des femmes sont applicables au champ du SGB II.
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[16]
Depuis le 1er janvier 2011, les Job Center sont également obligés de disposer d’un/e chargé/e de mission à l’égalité des chances (Lestrade, 2012, p. 108).
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[17]
Pour plus d’informations sur ces formations, voir Perrier, 2013 et Perrier, 2015.
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[18]
En Allemagne, il s’agit d’un département au sein du ministère de la Famille, des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse.
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[19]
Sur ces projets, cf. Perrier, 2011.
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[20]
Pour une analyse plus détaillée des discours des professionnel/le/s de l’emploi, voir Perrier, 2015.
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[21]
Ces chiffres pour les années 2007, 2008 et 2009 nous ont été fournis par une membre de l’institut de recherche sur le marché du travail de Berlin et du Brandebourg IAB regional.
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[22]
Les mesures dénommées Mehraufwandsentschädigung (MAE) sont les fameux « jobs à 1 euro » fortement dénoncés au moment des mobilisations contre la loi Hartz IV : les « bénéficiaires » des MAE continuent de toucher l’allocation-chômage II, à laquelle s’ajoute pour le travail fourni dans le cadre de la mesure un dédommagement basé sur un tarif allant de 1 à 2 € de l’heure. Ces mesures revêtent une dimension contraignante, puisque les demandeurs/euses d’emploi sont obligés de les accepter. En outre, ces mesures ne sont pas soumises aux cotisations sociales.
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[23]
Les données que nous fournissons se rapportent à l’ensemble du Land de Berlin, pour les bénéficiaires relevant du SGB II (Données brutes fournies par l’IAB regional, calculs de pourcentage personnels). Pour autant, les inégalités mises en évidence ne sont pas spécifiques à ce territoire, comme l’indiquent des données nationales établies par la Bundesagentur für Arbeit (IAQ/FIA/GendA, 2009, p. 65).
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[24]
Ces mesures sont des emplois aidés qui offrent une rémunération plus élevée que les MAE ; ils sont soumis aux cotisations sociales (mais n’ouvrent pas de droit à l’indemnisation chômage).
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[25]
Les ABM sont les mesures pour l’emploi qui furent principalement mobilisées jusqu’aux récentes réformes pour l’emploi. Avec la loi Hartz III, ces mesures étaient devenues moins avantageuses pour les demandeurs/euses d’emploi, mais restaient plus favorables que les MAE (notamment parce qu’elles étaient soumises aux cotisations sociales). Elles ont été supprimées en 2012.
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[26]
Ainsi, entre 2005 et 2008, le pourcentage des hommes qui sortent du champ du SGB II pour occuper un emploi (non aidé) oscille entre 21,6 et 27,7 %, tandis que celui des femmes varie entre 15,2 et 19,5 % (IAQ/FIA/GendA, 2009, p. 70).
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[27]
Ainsi, entre 2005 et 2008, le pourcentage des hommes qui sortent du champ du SGB II pour devenir inactif oscille entre 25,7 et 33,5 %, pour les femmes, il va de 31,8 à 39,1 % (IAQ/FIA/GendA, 2009, p. 70).
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[28]
Cette sous-partie reprend largement (de façon synthétique) une sous-partie d’un article paru dans Politix (Perrier, 2015).
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[29]
S. Jacquot (2006, p. 367) observe le même phénomène au sein des institutions européennes.
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[30]
Il s’agit des « geschäftspolitische Ziele », les objectifs de la politique de la BA.
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[31]
La lecture de documents produits par la Bundesagentur clarifie la logique managériale à l’œuvre dans ce mode de pilotage des politiques de l’emploi. L’extrait suivant est parlant : « L’atteinte des objectifs dépend également du pilotage. Le suivi permanent des acteurs de terrain, de leur positionnement par rapport aux objectifs et leur réflexion sur les possibilités d’améliorer leurs performances a contribué à ce que de nombreux [Job Center] et Arbeitsagenturen aient pu augmenter leurs performances en 2007 » (BA, mars 2008, p. 19).
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[32]
Ces objectifs sont la diminution des dépenses passives (i.e. des allocations-chômage), l’augmentation du nombre d’insertions en emploi, celle du nombre d’insertions des moins de 25 ans, la hausse de l’efficacité et de la durabilité des parcours d’insertion.
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[33]
Le mode de calcul du quota ((taux de chômage des femmes * part des femmes dans le chômage) / (taux de chômage des femmes * part des femmes dans le chômage + taux de chômage des hommes * part des hommes dans le chômage) a pour conséquence que plus la part des femmes dans le chômage est faible, plus le quota de femmes est bas. Voir en illustration Beckmann, 2003, p. 6, tableau).
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[34]
Si, en 2015, seulement 10 % des femmes travaillant à temps partiel en Allemagne déclaraient occuper un tel emploi parce qu’elles n’avaient pas trouvé de temps plein (contre 40 % des femmes à temps partiel en France) (Lechevalier, à paraître), cette nette surreprésentation des femmes dans ce type d’emplois n’en constitue pas moins un facteur d’inégalités (en termes de salaires et de droits sociaux en particulier).