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http://www.dw.com/de/afrikas-großprojekte-die-zukunft-in-beton-gegossen/a-17408361
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Cité d’après : Christian Hiller von Gaertringen : Afrika ist das neue Asien. Ein Kontinent im Aufschwung. 2014, Hambourg, éditions Hoffmann & Campe.
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1 Les entreprises allemandes, longtemps championnes du commerce international, s’investissent peu dans l’Afrique. Pourtant, certaines d’entre elles commencent à s’intéresser au continent.
2 En ce début de février 2016, Wolfgang Bernhard, membre du directoire du constructeur d’automobiles allemand Daimler, s’est montré combatif : « Nous n’abandonnerons pas le marché africain à nos concurrents », annonçait fermement le manager responsable de la division camions chez Daimler. [1] Il entend ouvrir deux centres pour la distribution des camions et des autocars du groupe, l’un à Nairobi, capitale du Kenya, l’autre à Pretoria, capitale de la République sud-africaine. À partir de Nairobi W. Bernhard veut desservir l’Afrique de l’est, mais aussi l’Afrique centrale et l’Afrique de l’ouest. Pretoria servira de base pour la distribution dans les neuf pays de l’Afrique méridionale. [2]
3 La contre-offensive de Daimler arrive bien tard. Partout, sur les routes africaines, se mêlent de plus en plus souvent les modèles des constructeurs de camions chinois CNHTC, Dongfeng ou Yuechin. Et sur les routes de certains pays africains, les engins chinois sont déjà plus nombreux que les poids lourds de Renault, Mercedes ou Volvo. Surtout Dongfeng avance à grands pas depuis l’entrée du constructeur suédois Volvo dans son capital grâce à des prix imbattables par rapport aux modèles made in Germany.
4 De même, BASF, le géant mondial de la chimie, vend ses produits dans le monde entier. Seule exception : l’Afrique. Là, la plus importante entreprise chimique du monde par son chiffre d’affaires aussi bien que par sa valeur boursière est largement sous-représentée. Le chiffre d’affaires réalisé en Afrique s’élève à tout juste un milliard d’euros. Beau résultat, dirait probablement l’un ou l’autre patron du secteur de l’industrie chimique. Mais comparé à un total de plus de 70 milliards d’euros, les affaires en Afrique pèsent à peine chez BASF.
5 Le groupe chimique entend changer cela. Également à Nairobi, BASF a construit une usine pour fabriquer des additifs nécessaires à la fabrication de béton. [3] Si on tient compte du boom de l’immobilier que vit depuis plusieurs années ce centre de l’économie est-africaine, le besoin est probablement là. Partout dans la ville de Nairobi tournent les grues pour construire des bâtiments de bureaux ou des habitations pour la classe moyenne ascendante dans le pays.
6 D’ici 2020, BASF s’est fixé comme objectif de doubler son chiffre d’affaires en Afrique pour atteindre uniquement dans la branche de la chimie le chiffre de 2 milliards d’euros ou même plus. S’ajouteront à ce chiffre les ventes dans les divisions matières plastiques et systèmes polyuréthanes pour lesquelles le groupe affiche également des ambitions en Afrique.
7 Le groupe de construction Strabag est certes autrichien. Mais le siège de Strabag International se trouve sur les bords du Rhin, dans la ville de Cologne. Strabag compte également parmi les grands absents sur le continent africain. Pourtant, le groupe était déjà présent, par exemple en Afrique de l’est, pendant les années de la grande euphorie qui fit suite à l’indépendance des colonies. Maintenant, Strabag compte retourner sur le continent, et le motif est clairement exprimé : « L’Afrique est le continent où nous voyons l’avenir de l’industrie allemande », confiait récemment Jörg Wellmeyer, co-directeur de Strabag International, à la presse allemande. [4]
8 De fait, il y a à faire. Les programmes d’aide au développement allemands avaient délaissé les infrastructures qui se trouvent aujourd’hui bien souvent dans un état déplorable. J. Wellmeyer n’attend pas un retournement de la politique allemande. Il s’intéresse davantage au vaste programme de développement des infrastructures africaines que l’Union Africaine avait lancé sous le nom de PIDA. Il prévoit la dépense de 380 milliards de dollars pour améliorer le réseau des voies ferrées, des routes, des ports, des aéroports et des centrales d’électricité.
Une présence bien faible
9 Ces exemples font figure d’exception en Allemagne. Les industriels de ce géant de l’économie internationale présent dans les coins les plus reculés de la planète Terre s’intéressent peu à l’Afrique. Et même ses plus grands groupes industriels commencent seulement à découvrir ce continent.
10 Bien que l’Allemagne ait dû céder il y a quelques années déjà le titre de « champion du monde » en matière de commerce extérieur à la Chine, le pays compte toujours parmi les plus grandes forces exportatrices du monde grâce à ses industries automobile et chimique et grâce à son dense tissu de PME spécialisées dans la construction mécanique. En 2015, l’Allemagne avait, selon les données de Destatis, l’office allemand de statistiques, exporté des marchandises d’une valeur de 1 196 milliards d’euros. [5] C’était à nouveau un plus de 6,5 % par rapport à l’année précédente. L’excédent commercial avait atteint en 2015 près de 248 milliards d’euros, un record dépassant le plus haut historique de 214 milliards d’euros établi en 2014.
Part des exportations et importations allemandes dans le monde en 2014.
Part des exportations et importations allemandes dans le monde en 2014.
11 Pourtant l’Afrique ne pèse pratiquement pas dans le commerce extérieur allemand : le continent représente à peine 2 % du total en 2015. Et pourtant, ce chiffre inclut toute l’Afrique, même l’Afrique du nord. Certes, ces 2 % expriment déjà une amélioration par rapport aux 1,2 % ou 1,3 % enregistrés dans les années 2011 ou 2012. Il n’en reste pas moins que, en comparaison des 5 à 6 % de croissance qu’ont atteint les différents pays de l’Afrique subsaharienne ces dernières années, la progression allemande reste loin derrière le potentiel qu’offre le continent.
12 En 2013, les exportations allemandes vers l’Afrique ont atteint tout juste 21,8 milliards et en 2014 22,5 milliards d’euros. Et dans ces chiffres, le Maroc pèse à lui seul quelque 2 milliards d’euros. Il est bien difficile de lire dans ces chiffres une ruée des industriels allemands vers le sud.
13 Par rapport aux autres régions de croissance dans le monde, les ventes allemandes vers l’Afrique semblent minuscules avec une valeur de tout juste 24 milliards d’euros, alors que les factures envoyées vers l’Asie s’élevaient à la même époque à 197 milliards d’euros. Les échanges avec la Chine dépassent à eux seuls largement ceux qui sont réalisés avec l’Afrique : En 2015, l’Allemagne a exporté vers la Chine pour un montant de 71 milliards d’euros et importé de la Chine pour une valeur de 92 milliards d’euros.
14 Avec des exportations et importations cumulées de 114 milliards d’euros, les États-Unis sont le premier partenaire commercial de l’Allemagne suivis de la France avec 170 milliards d’euros, des Pays-Bas avec 168 milliards d’euros et de la Chine avec 163 milliards d’euros. Le premier pays africain, l’Afrique du Sud, arrive avec 15,5 milliards d’euros à la 30e place.
15 Même si l’Afrique du Sud reste le premier partenaire de l’industrie allemande en Afrique, suivie du Maroc en deuxième position, ce sont les relations commerciales avec l’Éthiopie et le Kenya qui affichent la croissance la plus forte. En 2013, les exportations allemandes vers l’Éthiopie s’élevaient à 173 millions d’euros et à 305 millions d’euros en 2015, soit une progression de 173 % en deux ans. Un peu moins forte, mais également très dynamique a été la croissance des exportations allemandes vers le Kenya : elles sont passées de 299 millions d’euros en 2013 à 371 millions d’euros en 2015, un plus de 124 % en deux ans.
Peu d’intérêt pour l’Afrique
16 Comment se fait-il que l’Allemagne s’intéresse si peu à l’Afrique ? Les raisons qu’invoquent les économistes et les représentants des entreprises semblent peu convaincantes. Les uns disent : l’Allemagne ne peut s’appuyer sur des relations établies telles que celles que la Grande-Bretagne ou la France entretiennent en Afrique du fait de leur passé colonial. L’Allemagne a certes possédé plusieurs colonies en Afrique. Ces pays sont aujourd’hui la Tanzanie, le Rwanda, le Burundi, la Namibie, le Togo et le Cameroun. Mais la colonisation allemande a duré à peine une quarantaine d’années. Dès la fin de la Première Guerre mondiale elles étaient toutes perdues. Et même pendant cette brève phase de colonisation, celle-ci n’a jamais pris en Allemagne l’importance qu’elle a eue en France ou en Angleterre. En fait, l’absence de colonies n’explique rien. Ainsi, la Chine est devenue il y a deux ou trois ans le premier partenaire commercial de l’Afrique sans avoir jamais possédé le moindre bout de terrain sur le continent africain.
17 D’autres font valoir l’argument de l’instabilité politique en Afrique : Le manque de sécurité, la faiblesse des institutions publiques et administratives ainsi que la corruption répandue feraient que les entreprises allemandes ne disposeraient pas d’un cadre suffisamment fiable pour étendre leurs activités, avancent certains entrepreneurs allemands. Mais la force de l’industrie allemande ne résidait-elle pas justement dans le passé dans la capacité de ses ingénieurs et de sa force de vente à se risquer sur les marchés difficiles ? Nombre de managers allemands ont été parmi les premiers à pénétrer sur le marché iraquien après la guerre et ses ingénieurs se sont trouvés parmi les derniers à quitter la Libye lorsque l’Occident a lancé ses raids aériens pour faire tomber le régime du dictateur en place, Muammal al-Kadhafi.
L’exemple de la Chine
18 Dans ce pays aussi, les industriels allemands étaient parmi les premiers à investir lorsque le numéro un du régime à l’époque, Deng Xiaoping, avait libéralisé à partir de 1979 la politique économique de son pays pour ouvrir progressivement l’économie chinoise aux investissements étrangers. À l’époque, les patrons allemands saisissaient rapidement les nouvelles possibilités d’engagement qui se présentaient en Chine. Un homme se trouva à la tête de ce mouvement : il s’agit de Carl Hahn qui fut nommé en 1982 à la tête du groupe d’automobiles Volkswagen. [6] Cela fit scandale en RFA, comme on appelait à l’époque l’Allemagne de l’ouest. Comment Hahn peut-il faire des affaires avec des communistes, se demandait-on dans les milieux patronaux à l’époque. Mais Hahn insistait. Alors que des centaines de milliers de Chinois mouraient à cette époque encore de faim, il voyait le potentiel que représenterait un jour le marché chinois. En 1984 il a signé les accords pour la construction d’une usine de fabrication du modèle Santana de Volkswagen à Shanghai. Les autorités chinoises ont exigé que les Allemands créent une entreprise commune avec la Shanghai Tractor Automobile Corporation et surtout qu’ils créent une vraie usine de construction et non seulement des lignes d’assemblage. Certes les ingénieurs de Volkswagen sont également présents en Afrique, mais l’usine d’Afrique du sud n’a jamais pris l’importance de l’unité de Shanghai. Depuis plus de 60 ans, le groupe entretient une usine à Uitenhage près de Port Elizabeth où le groupe assemble chaque année grâce à ses 5 600 ouvriers sur place plus de 100 000 Volkswagen bas de gamme, le modèle Polo. BMW et Mercedes ont également des usines en Afrique du Sud ou plutôt des lignes d’assemblage.
19 La différence est donc énorme. Les Chinois avaient réclamé à Volkswagen la création d’une usine complète avec tout le transfert de savoir-faire dans la construction de moteurs et dans la technologie que cela implique. Et surtout Volkswagen demandait à ses sous-traitants de suivre le groupe à Shanghai afin de travailler pour la nouvelle usine. Ainsi, les fournisseurs allemands de Volkswagen étaient obligés de s’implanter à leur tour en Chine. Et une fois sur place ils ont regardé s’ils ne pouvaient pas faire davantage d’affaires dans le pays.
Des investisseurs frileux
20 L’Afrique ne connaît pas à l’heure actuelle les investissements-phare qui avaient fait le succès économique de la Chine de Deng Xiaoping et qui ouvraient un marché immense à Volkswagen et à bien d’autres constructeurs automobiles. En Afrique, ils n’existent pas encore, ces investisseurs qui obligeraient les PME allemandes à les suivre sur le continent. BMW, Volkswagen et Mercedes envoient pratiquement toutes les pièces détachées vers leurs usines en Afrique du Sud pour y assembler des voitures. Mercedes par exemple y produit une multitude de limousines pour la conduite à gauche. Mais ils n’y entretiennent ni centre de recherche ni fabrication réelle qui auraient un plus grand impact sur l’économie régionale ou qui attireraient d’autres industriels allemands vers le pays.
21 Mise à part l’industrie automobile, peu d’entreprises allemandes produisent en Afrique. Le cas du cimentier allemand Schwenk avait fait figure d’exemple lorsque cette entreprise familiale de la région d’Ulm, située à mi-chemin entre Stuttgart et Munich, avait construit en Namibie une cimenterie d’une capacité de 700 000 tonnes par an. L’étonnement de la presse allemande était général. Schwenk allait investir dans « une triste savane », se moquait la journaliste du quotidien régional [7]. Dans ce paysage de Namibie, l’usine de Schwenk ressemblerait « à un OVNI ». Pour expliquer le choc culturel que subissait visiblement la journaliste à l’origine de cet article : elle ignorait probablement le fait que l’économie de la prétendument si triste Namibie comptait parmi les plus dynamiques de tout le continent africain.
22 Vu d’Afrique, les observateurs s’étonnent plutôt du fait que les cimentiers allemands découvrent seulement maintenant le continent africain et qu’ils n’y investissent pas avec plus de détermination. Le cimentier français Lafarge par exemple a déjà construit des cimenteries au Maroc, en Algérie, en Égypte, au Soudan, au Nigeria, au Cameroun, au Bénin, au Kenya, en Ouganda, Tanzanie, Mozambique, Afrique du Sud, Zambie, Madagascar et au Zimbabwe. Et le groupe, qui mène avec le cimentier Dangote du Nigeria une rude compétition pour la première place en Afrique, n’entend certainement pas s’arrêter là. Voilà une véritable stratégie africaine qui va au-delà de quelques projets isolés.
23 Pourtant, il y a matière à travailler. Les produits allemands ont bonne réputation en Afrique. Bien des hommes d’affaire aiment afficher leur succès en roulant en Mercedes. Lorsqu’ils se paient un costume Hugo Boss, ils aiment montrer l’étiquette. Même le constructeur Porsche a ouvert, il y a peu, une succursale à Nairobi. Made in Germany sonne toujours bien en Afrique. Une BMW améliorerait à ce point les chances de son conducteur dans les affaires de cœur que les consommateurs kenyans disent en riant que l’acronyme de la marque se traduirait par « Be My Wife ».
24 Le groupe Beiersdorf basé à Hambourg est une des rares entreprises allemandes qui ont déjà construit une entreprise de production en Afrique pour ses produits de soin de la peau Nivea. Grâce à la bonne réputation des produits allemands, les jeunes filles de Nairobi sortent avec fierté de leur sac à main leur tube de crème bleu et blanc. Nivea est la marque des classes moyennes qui croissent rapidement en Afrique de l’est. « Nos marchés se développent ici à une vitesse telle que nous avons de la peine à augmenter suffisamment la production », déclare Yogesh Shroff, le responsable des activités de Beiersdorf en Afrique de l’est, et c’est là son plus grand problème… [8] Des milliers de managers en Europe doivent envier ce jeune Allemand d’origine indienne d’avoir de tels soucis. Le groupe Beiersdorf commence à être un habitué de l’Afrique de l’est. C’est pendant les années 1980 que cette entreprise toujours entre les mains de la famille avait ouvert son usine au Kenya. Au début, il s’agissait plutôt d’un engagement bénévole que d’un investissement sérieux.
25 Aujourd’hui l’usine Beiersdorf donne un emploi à 90 salariés environ qui produisent une soixantaine de produits différents. La quantité produite s’élève à 1 800 tonnes par an. Cela correspond à la production que réalise l’unité à Hambourg – en deux ou trois jours. Cet investissement hésitant ne constitue pas encore une stratégie résolue destinée à conquérir le marché de la beauté en Afrique. Le plus étonnant est que malgré la bonne réputation de la marque, malgré la longue présence sur le marché africain et malgré la forte demande, le groupe Beiersdorf ne veut ni accroître son unité de production au Kenya ni développer de réelle stratégie pour tout le continent africain. De toute évidence, les investisseurs allemands sont toujours frileux.
Le continent de toutes les chances ?
26 Bon nombre de patrons reconnaissent pourtant qu’il faudrait s’intéresser dorénavant au marché africain. Les représentants de chambres de commerce allemandes enregistrent à cet égard un intérêt grandissant. Les industriels regardent, s’informent, observent, mais ils bougent encore peu. Le BDI, puissante confédération de l’industrie allemande, avait lancé l’année dernière une initiative sous le nom de « Chancenkontinent Afrika », l’Afrique, continent de toutes les chances, une jolie plaquette à l’appui. [9] Principal message que voulait faire passer le président des patrons allemands de l’époque, Ulrich Grillo : « Il est temps de considérer l’Afrique davantage comme un partenaire économique prometteur et comme un marché d’avenir et non plus comme un demandeur d’aide au développement. » Le BDI s’était même efforcé de dénicher quelques exemples positifs. [10] Il raconte ainsi les expériences de B. Braun Melsungen, entreprise familiale qui exporte depuis une soixantaine d’années ses produits médicaux vers l’Afrique, ou du constructeur mécanique Voith qui vend des produits destinés à la production d’énergie hydraulique. Assez rares sont les exemples d’entreprises qui ont une activité d’exportation régulière vers l’Afrique. Quasi inexistantes sont les entreprises qui ont construit des usines sur place pour desservir le marché local. Néanmoins, B. Braun Melsungen compte parmi les pionniers allemands dans ce domaine. En Afrique du Sud l’entreprise a créé des usines et des centres de dialyse. Le PDG du groupe, Heinz-Walter Grosse, décrit le défi majeur auquel tout spécialiste de la santé est confronté : « Qui veut comprendre le marché africain doit faire face à 54 systèmes et structures de santé différents et autonomes et qui bien souvent sont très différents les uns des autres » [11]. Les deux qualités dont un entrepreneur devrait faire preuve sur le marché africain seraient la patience et la persévérance. Ces qualités commenceraient-elles à faire défaut aux entrepreneurs allemands ?
27 De plus en plus nombreuses sont les entreprises qui affichent à tout le moins des ambitions en ce qui concerne le marché africain. Le groupe d’équipements électriques et électroniques Siemens entend s’investir dans les défis qui vont de pair avec l’urbanisation rapide du continent. La création et l’amélioration des infrastructures, l’électrification et le secteur de la santé, telles sont les activités que Siemens vise en Afrique. Le groupe pharmaceutique et chimique Bayer lui aussi a présenté une stratégie dédiée à l’Afrique. Et le producteur d’engrais chimiques K+S voit des perspectives de croissance dans le domaine de l’agriculture africaine, secteur-clé pour nourrir les 2,5 milliards d’habitants que le continent comptera d’ici 2050, un doublement de la population en moins de 35 ans. Bayer par exemple a augmenté le nombre de ses unités de vente africaines et a investi dans deux unités de production, l’une se trouvant en Afrique du Sud, l’autre au Maroc. Aux yeux de Michael König, responsable de l’Afrique au directoire du groupe, le marché africain est moins difficile qu’il n’y paraît : « Parfois, il suffit de procéder à des adaptations mineures », se fait-il citer dans la maquette du BDI. [12] « Ainsi, nous vendons nos produits phytosanitaires dans des unités très petites, adaptées aux besoins des petits paysans qui ne travaillent peut-être pas plus qu’un seul hectare de terre. »
Des débuts d’investissement
28 La perception de l’Afrique est en train de changer tout doucement. Le succès de l’industrie allemande sur le continent africain ne se mesurera pas au niveau du commerce, des exportations et des importations. La force de l’économie allemande ne réside pas dans l’exportation régulière de biens de consommation, mais dans le savoir-faire de ses ingénieurs. Ils travaillent dans le monde entier pour construire des centrales électriques, des grandes usines conçues dans leur totalité ou pour installer des machines-outils complexes. Qui exporte peut rapidement réorienter ses activités. Si un pays devient trop dangereux ou perd en attractivité, il est toujours possible d’aller ailleurs. Seuls ceux qui construisent des usines investissent pour rester. C’est surtout à ce niveau-là que l’Allemagne a pris du retard.
29 Le lien économique le plus fort est donc l’investissement, la création d’unités de production. Mais dans ce domaine l’Afrique manque cruellement de capacités. À cause de la faible productivité de sa main-d’œuvre, il est particulièrement difficile d’attirer des investissements étrangers. Pourtant, l’industrialisation du continent sera la clé de sa réussite économique. Les 54 pays du continent n’auront une chance de se stabiliser au niveau politique et social que dans le cas où les gouvernements africains arrivent à créer suffisamment d’emplois pour une population en croissance très rapide.
30 La clé de l’engagement de l’industrie allemande en Afrique sera donc le transfert d’unités de production, la coproduction comme le think-tank français IPEMED la réclame pour stabiliser les relations économiques entre le Nord et le Sud. [13]
31 Au niveau des investissements directs, l’Allemagne est particulièrement à la traîne. L’engagement des industriels et financiers allemands s’élèverait selon les chiffres de l’Afrika-Verein, association des entreprises allemandes s’intéressant à l’Afrique, à seulement 10 milliards d’euros. Les investissements directs sont particulièrement difficiles à mesurer. Mais les entreprises chinoises ont investi pendant les années 2000 à 2014 un montant de 400 milliards de dollars. [14] Ce chiffre fait paraître les investissements allemands en Afrique bien petits.
32 Jusqu’à présent, les échanges commerciaux, mais aussi les investissements allemands se sont concentrés en Afrique sur le Maghreb et l’Afrique du Sud. L’Afrique du nord est certes devenue un lieu de production important pour l’industrie textile allemande. Ce sont surtout les faibles coûts salariaux qui attirent ces entreprises qui font exécuter dans le Maghreb les tâches intensives effectuées en travail manuel. Peu d’entrepreneurs allemands vont plus loin et transfèrent du savoir-faire sophistiqué. L’équipementier automobile Leoni fait figure d’exception. Il a construit en Tunisie une grande usine, devenant ainsi le premier employeur privé en Tunisie. [15] Plus de 13 000 ouvriers y fabriquent des câbles et des faisceaux de câbles, devenant ainsi un exemple type de la coproduction préconisée par le président d’IPEMED, le professeur d’économie Jean-Louis Guigou.
33 Un autre exemple est constitué par la société familiale Duravit, spécialiste du sanitaire ayant son siège aux fins fonds de la Forêt-Noire. Dans son usine au Caire, les 3 000 ouvriers arrivent à produire sur place jusqu’à 2 000 baignoires par jour – pour un marché africain avide d’équipements pour salles de bain.
Des importations de produits à faible valeur ajoutée
34 Malgré ces débuts d’une activité d’investissement les échanges économiques entre l’Afrique et l’Allemagne restent sous-développés. En 2015, l’Allemagne avait importé d’Afrique des produits pour un montant de 18,2 milliards d’euros. Les matières premières – le pétrole, le gaz naturel et les métaux – représentaient 45 % de cette somme. En incluant les produits agricoles comme le thé, le café ou les fruits tropicaux, on arrive à 58 % d’importation de produits qui offrent une faible valeur ajoutée à ses producteurs africains. Ainsi, l’Allemagne a acheté en Afrique l’année dernière des métaux pour une valeur de 1,4 milliard d’euros, mais des produits métalliques manufacturés pour un montant de seulement 33 millions d’euros.
35 Le défi pour les décideurs africains consiste à attirer davantage d’investissements allemands qui leur permettront d’exporter vers l’Allemagne des produits plus sophistiqués. Le risque est de voir s’accentuer la tendance inverse. En 2015, les exportations africaines de métaux vers l’Allemagne ont augmenté de 19 % alors que les ventes de produits métalliques manufacturés ont reculé de 6 %.
36 La bataille autour des investissements industriels ne vient que de commencer. Et l’Afrique a toutes les chances de gagner cette partie. Les grands constructeurs d’automobiles allemands sont en train d’investir lourdement dans les usines d’assemblages en Afrique du Sud, ceci alors même que le climat politique s’est dégradé ces dernières années.
37 Mercedes emploie dans son usine à East London sur la côte est du pays environ 3 000 employés qui y assemblent des classes C pour les marchés de conduite à gauche, des véhicules commerciaux, des autobus, des classes C pour le marché nord-américain ainsi que des camions des marques Fuso et Freightliner. Plus de 50 000 voitures de la classe C ainsi que plus de 5 000 véhicules commerciaux sortent chaque année de l’usine Mercedes à East London qui compte bien profiter de l’offensive commerciale lancée par le constructeur au début de l’année.
Des signes encourageants
38 Le groupe Volkswagen emploie même 5 600 ouvriers dans son usine de Uitenhage près de Port Elizabeth. Au mois de septembre 2015, le groupe avait annoncé l’intention d’investir 290 millions d’euros dans cette usine, un signe de confiance majeur envers l’Afrique du Sud. [16] Cet investissement servira à augmenter considérablement les capacités de production de VW Polo pour satisfaire la demande sur le marché africain, mais aussi pour l’exportation vers d’autres pays de conduite à gauche tels que le Japon, l’Australie ou la Grande-Bretagne.
39 En ce qui concerne BMW, l’usine d’Afrique du Sud située à Rosslyn près de la capitale Pretoria a remporté un joli succès au niveau de la compétition interne au sein du constructeur d’automobiles. Comme le groupe veut installer dans son usine aux États-Unis la production de la série 3, le directoire cherchait un nouveau site pour la production du modèle X3, un petit SUV particulièrement populaire. Et c’est Rosslyn, qui avait d’ailleurs été en 1973 la première usine de BMW à l’étranger, qui a remporté cette manche. Cela apportera à la seule usine de BMW en Afrique des investissements supplémentaires de 500 millions d’euros. [17]
40 Et même Robert Bosch, qui a dépassé de loin le stade d’un simple équipementier automobile pour devenir un leader sur le marché de l’électronique tout court, entend étendre considérablement son engagement en Afrique. On sait que Bosch a suivi très tôt les constructeurs automobiles en Afrique, non seulement les trois allemands BMW, Daimler et Volkswagen, mais aussi Renault ou le groupe Peugeot au Maroc. Mais dorénavant, Bosch veut étendre ses activités en Afrique au-delà de l’automobile et se diriger par exemple vers le secteur minier qui doit satisfaire également de grands besoins en matière d’électricité.
41 Le secteur automobile pourrait encore une fois, comme ce fut le cas une bonne trentaine d’années auparavant en Chine, faire fonction de précurseur pour le reste de l’industrie allemande. Leoni en Tunisie, les grands constructeurs allemands en Afrique du Sud, Robert Bosch – le palmarès de l’industrie automobile du pays a déjà ouvert la voie au développement des marchés tant industriels que domestiques.
42 Ce mouvement est en train de créer une certaine dynamique. Parfois, l’intérêt pour l’Afrique vient de domaines où on ne l’attend pas. Ainsi, Rödl & Partner, cabinet de conseil juridique, fiscal et comptable, est déjà présent avec des succursales en Afrique du Sud, au Kenya et en Éthiopie. À partir de là, le cabinet travaille dans une bonne quinzaine de pays africains. « La technologie allemande et les procédés de travail allemands ont un potentiel exceptionnel en Afrique », dit Marcus Felsner, partenaire de Rödl & Partner. [18] « C’est pourquoi nous nous attendons à un accroissement significatif des investissements allemands. »
L’Allemagne aura besoin de l’Afrique
43 Comparée à d’autres pays, la Chine notamment, mais aussi par rapport à l’industrie indienne ou brésilienne, l’industrie allemande avance lentement en Afrique. Mais elle avance. De toute façon, les industriels allemands n’ont pas le choix. Une forte présence sur le marché africain n’est pas simplement un luxe pour l’économie allemande. Ce n’est pas tout juste un marché de plus que les entreprises pénètrent ou ne pénètrent pas à volonté. L’Afrique, c’est la réponse aux grandes difficultés qu’affrontera l’Allemagne dans les années à venir.
44 En Afrique se trouvent les clefs permettant de faire face aux déséquilibres structurels auxquels l’industrie allemande doit se mesurer dans les années à venir. Alors que la population allemande baisse et vieillit, la population africaine est jeune et croît. Cela procurera à l’Afrique un dividende démographique qui fera de ce continent - pourvu que les investissements nécessaires à la formation de cette force de travail soient engagés - le marché du travail le plus attractif dans le monde des années 2030 jusqu’à au moins 2070. Une population croissante signifie un besoin supplémentaire en biens et services de la vie courante, des routes, des habitations, des infrastructures, des écoles, des hôpitaux, des aéroports, des loisirs, des transports urbains… L’Afrique offre cette opportunité : en dehors de l’Inde, l’Afrique représente la seule grande région du monde où la croissance démographique est encore positive. Le grand défi sera de transformer ces besoins en demande solvable en créant sur place des emplois pour les jeunes Africains qui entreront sur le marché du travail dans les années à venir. Dans le même temps, l’économie allemande a besoin de nombreux étrangers pour aider à satisfaire sa demande de personnel dans de nombreux secteurs (services, aide aux personnes âgées bien sûr, mais aussi emplois plus qualifiés). De plus, l’industrie allemande devra délocaliser de plus en plus sa production vers l’Afrique. Ce sera un facteur essentiel de développement pour le continent, mais aussi un important facteur de stabilisation sociale.
45 Ces deux continents, l’Afrique et l’Europe, qui ne sont au fond séparés que par le détroit de Gibraltar, sont appelés à se rapprocher davantage. Vue du nord, l’Afrique peut apparaître comme un continent de nécessiteux, un continent dominé par les catastrophes, les conflits et la misère. Mais vue du sud, l’Afrique est une terre d’espoir où des entrepreneurs courageux et innovants sont en train de changer le cours des choses dans leurs pays.
46 Désormais, les responsables politiques allemands commencent à se rendre compte de la proximité entre l’Allemagne et l’Afrique. « L’Europe doit coopérer avec son voisin qu’est l’Afrique », disait récemment la ministre de la Défense allemande Ursula von der Leyen. [19] « Cela commence par notre frontière commune qu’est la Méditerranée. » Elle disait également que l’Europe devrait combattre les raisons de la migration illégale. « Nous devrons investir beaucoup plus dans la construction économique sur place parce que sans une amélioration des conditions de vie nous ne pourrons faire face durablement à la pression migratoire. » Jusqu’à présent, les entreprises allemandes ont été peu soutenues par le gouvernement allemand. Certes, la banque publique KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau) apporte son soutien au niveau du financement du commerce ou en ce qui concerne le financement de projets. Un fonds public, la DEG Invest, apporte un financement en capital participatif. Mais en dehors de ces instruments, l’Afrique en tant que partenaire économique attirait peu jusqu’à présent l’attention des responsables politiques à Berlin. L’espoir des entreprises allemandes s’intéressant à l’Afrique est que cette attitude change peu à peu.
47 À l’heure actuelle, les Allemands connaissent mal l’Afrique. L’Allemagne avait peu de colonies sur ce continent, et elle ne les a pas contrôlées longtemps. De plus, l’expérience coloniale a laissé peu d’empreintes clairement perceptibles dans la mémoire collective en Allemagne. C’est surtout l’horrible extermination des Hereros et Namas en Namibie pendant les années 1904 à 1908 qui a laissé des traces. L’Allemagne a eu d’ailleurs beaucoup de mal à reconnaître pour ce qu’il était ce massacre : un génocide particulièrement atroce. Elle tente d’y parvenir actuellement.
48 Mis à part les safaris, les Allemands voyagent peu en Afrique. Ils n’ont jamais été pris par l’envie du Sahara comme les Français. Cependant, les relations économiques et politiques, mais aussi familiales et humaines vont se nouer peu à peu entre l’Allemagne et l’Afrique. Les atouts sur lesquels les Allemands pensent s’appuyer sont leur réputation d’être des employeurs fiables et responsables qui sont prêts à s’investir beaucoup dans la formation de leurs employés et qui fabriquent des produits d’une grande fiabilité.
49 Le défi pour l’économie allemande sera bien ailleurs. Il est évident que les énormes besoins financiers pour construire une Afrique qui comptera bientôt 2,5 milliards d’habitants dépasseront les possibilités d’une seule nation. C’est pourquoi la France, l’Allemagne et les autres pays européens devront allier leurs connaissances, leurs entreprises et leurs moyens afin d’investir ensemble. Pour l’instant, ni la France ni l’Allemagne ne sont prêtes à faire ce pas. Pourtant, le continent africain est tellement vaste, les opportunités tellement grandes que les entreprises aussi bien de France que d’Allemagne peuvent y réussir sans engager une lutte concurrentielle qui nuirait aux unes et aux autres… et également au continent africain.
Notes
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http://www.dw.com/de/afrikas-großprojekte-die-zukunft-in-beton-gegossen/a-17408361
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Cité d’après : Christian Hiller von Gaertringen : Afrika ist das neue Asien. Ein Kontinent im Aufschwung. 2014, Hambourg, éditions Hoffmann & Campe.
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