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Article de revue

Actualité sociale, juillet 2016

Pages 50 à 56

1 D’après des informations provisoires du mois de juillet de l’agence fédérale de statistique Destatis, le nombre de migrants arrivés en Allemagne en 2015 a atteint un niveau inégalé depuis la création de la République fédérale, même comparé à la déferlante après la chute du mur de Berlin. Au total, 2 137 000 personnes sont arrivées en Allemagne, ce qui correspond à un plus de 46 % par rapport à 2014. La même année 2015, 998 000 personnes ont quitté le pays, 9 % de plus que l’année d’avant, ce qui porte le bilan migratoire à une arrivée nette de 1 139 000 personnes. L’Allemagne enregistre donc une augmentation de sa population en dépit du solde naturel très négatif (925 000 décès contre 738 000 naissances). En raison des mesures prises au niveau européen, cet afflux exceptionnel ne se reproduira pas dans un avenir prévisible. C’est pourquoi le gouvernement a entrepris de gérer l’intégration de ceux déjà sur place, tant au moyen de subventions accrues aux communes qu’à celui de nouvelles réglementations. Tous ces problèmes à résoudre cachent mal l’ambiance délétère qui prévaut actuellement dans le pays. Un an avant les prochaines élections fédérales, la grande coalition est en miettes. Tant les chrétiens-démocrates que le SPD ont perdu l’adhésion de leurs électeurs. Les supputations vont bon train sur les coalitions susceptibles d’être formées, un jeu hasardeux, tant le paysage politique est mouvant et imprévisible. Dans ces conditions, pour avoir néanmoins l’air d’avancer, le gouvernement s’intéresse à des initiatives de nature à rassurer l’opinion publique. Ainsi, il réédite le soutien financier aux start-up sans oublier, en même temps, de donner un coup de pouce aux salariés précaires. L’interdiction des sacs en plastique gratuits va dans le même sens, car elle conforte les usagers allemands dans une pratique déjà adoptée depuis longtemps. La nouvelle loi qui annonce un changement de cap dans le développement des énergies renouvelables, si elle risque de mécontenter les opérateurs, ne porte pas atteinte aux revenus des particuliers, nombreux, qui ont installé des panneaux solaires sur leur toit. Pour finir, un sujet très rassembleur pour la société allemande, à savoir la question angoissante : le Mittelstand attaqué par les entreprises chinoises ? Que les Allemands se rassurent, leurs entreprises de taille intermédiaire continuent à bien se porter.

Un soutien financier pour les start-up…

2 Comme en France, la création de start-up dans le domaine des nouvelles technologies se concentre dans les grandes villes, Berlin évidemment, mais aussi Munich, Hambourg ou encore Cologne. Qui n’a entendu parler p. ex. de Zalando ou de SoundCloud ? Mais à côté des start-up qui ont réussi, que de jeunes pousses qui peinent à trouver les fonds nécessaires à leur développement. Si les entreprises allemandes de taille intermédiaire, le fameux Mittelstand (voir ci-dessous), n’ont guère de problèmes financiers, prospérant surtout par croissance interne, la création d’une start-up, notamment dans les domaines technologiques d’avenir, rencontre de grandes difficultés. D’après une enquête de l’association Bitkom, moins de la moitié des jeunes entrepreneurs choisirait l’Allemagne pour fonder une start-up. Un sur trois aurait préféré les États-Unis. Or, ils sont près de 400 000 tous les ans à tenter l’aventure de l’indépendance professionnelle, un facteur important pour la compétitivité d’un pays. 16 %, soit un sixième environ d’entre eux, s’établissent avec un produit ou un service considéré comme une nouveauté sur le marché régional, national, voire mondial. Mais le chemin vers l’indépendance est semé d’embuches.

3 Le plus grand obstacle, cité par la plupart des nouveaux entrepreneurs, est le financement. Ce n’est pas que le soutien public soit absent. Depuis 2005, le fonds allemand d’aide aux créateurs de start-up technologiques finance le développement de jeunes entreprises dans le domaine de la haute technologie en phase de démarrage. Conscient de la nécessité de favoriser l’éclosion de start-up dans les secteurs d’avenir, le ministère allemand de l’Économie et de l’Énergie vient de lancer, par la voix de son secrétaire d’État Matthias Machnig, la troisième vague d’appel aux investisseurs (High-Tech-Gründerfonds III). Les grandes entreprises tout comme celles de taille intermédiaire sont invitées à y participer afin d’accéder aux nouvelles technologies, aux nouveaux modèles de gestion et aux innovations disruptives. L’objectif de cette initiative est de récolter 300 millions d’euros d’ici à 2017, une somme en léger retrait par rapport à la deuxième vague de 2011, dont 30 % de capitaux privés, en faveur des jeunes pousses.

4 Ce partenariat public-privé, qui est appelé à soutenir une quarantaine de start-up par an, doit profiter à tous les participants. Les jeunes pousses auront un accès plus facile aux entreprises établies. Le fonds d’aide lui-même tire profit du savoir-faire et du know-how de l’économie. Mais ce sont les entreprises établies elles-mêmes qui seront gagnantes, car elles pourront acquérir une vision d’ensemble des innovations en train de naître en Allemagne et se faire une idée du paysage des start-up dans le pays. Elles seront mieux à même de s’assurer des participations dans des start-up prometteuses. Si cette initiative public-privé est à saluer, il est certain qu’elle n’est qu’une goutte d’eau par rapport aux besoins des centaines de milliers d’entrepreneurs en herbe ou, plus modestement, des 16 % d’entre eux qui mettent sur le marché un produit ou un service véritablement innovant. Toutefois, elle montre que les décideurs publics et privés sont conscients des enjeux économiques à venir. C’est particulièrement vrai pour les entreprises privées dont la participation, inexistante en 2005, doit atteindre environ un tiers du total en 2017.

…et un coup de pouce pour les salariés précaires

5 S’il est essentiel de soutenir les jeunes créateurs d’entreprise, il est également nécessaire de ne pas oublier ceux qui ont des difficultés à s’insérer dans le marché de l’emploi, qu’il s’agisse de chômeurs de longue durée, d’intérimaires ou de salariés handicapés. Pour ces trois catégories, les pouvoirs publics ont pris des mesures destinées à accroître leur protection.

6 L’intérim : les intérimaires, pendant longtemps quantité négligeable en Allemagne, représentent aujourd’hui environ 3 % de l’ensemble des actifs, comme en France. Les entreprises les apprécient en tant que volet flexible de la main-d’œuvre, à recruter quand le carnet de commandes se garnit et à congédier sans tracas administratifs dans le cas contraire. Pour les salariés, les jeunes et les moins jeunes au parcours moins rectiligne, l’intérim est une possible voie d’accès à un emploi stable. Or, contrairement à la France où l’intérim est soumis à la règle « à travail égal salaire égal », les travailleurs temporaires allemands sont encore souvent moins bien payés que leurs collègues, et ils ne bénéficient pas non plus de la prime de précarité. La ministre du Travail et des Affaires sociales, Andrea Nahles du SPD, a annoncé au mois de mai que des règles claires seront instaurées afin d’endiguer le recours abusif à l’intérim. Deux principes seront introduits : les intérimaires devront toucher le même salaire que les salariés permanents au bout de 9 mois dans l’entreprise, et, afin d’éviter que l’intérim ne se substitue au travail salarié classique, la durée d’emploi d’un travailleur temporaire par une même entreprise sera limitée à 18 mois. Au-delà de cette durée, l’entreprise devra soit embaucher l’intérimaire, soit en recruter un autre. Dans les deux cas, des assouplissements sont possibles, à condition de conclure une convention collective. Les initiateurs de cette réglementation, qui procède d’un bon sentiment, semblent ignorer que la plupart des missions intérimaires sont de durée très brève, souvent moins d’un mois.

7 Le chômage de longue durée : si le taux de chômage global est actuellement très bas en Allemagne, avec 4,9 % le niveau le plus bas depuis la crise économique, le bilan est nettement moins favorable en ce qui concerne le chômage de longue durée. Presque la moitié de l’ensemble des chômeurs, 43 %, sont au chômage depuis plus d’un an, passant d’un job précaire au chômage dans une ronde sans issue. Plus cet état dure, plus il sera difficile pour ce groupe de chômeurs très éloignés de l’emploi de s’insérer dans le marché du travail. La ville-État de Brême fait figure de pionnier dans ce domaine en lançant une initiative destinée à les rapprocher d’une éventuelle future embauche. Le Sénat de la ville va créer 500 emplois pour les chômeurs de longue durée dans les institutions du Land et de la ville, mais aussi dans des entreprises et des associations volontaires. Financé par les pouvoirs publics, ce programme s’adresse spécifiquement à ceux qui ont le moins de chances de trouver un emploi dans le secteur concurrentiel. Contrairement aux « jobs à 1 euro » dont la durée est limitée à six mois, ces emplois seront de 24 mois dans un premier temps et assujettis aux assurances sociales. Si le nombre de 500 paraît faible face aux 36 000 chômeurs de longue durée de la région, cette initiative est susceptible d’être connue et imitée dans d’autres Länder.

8 Les salariés handicapés, un autre groupe qui connaît des difficultés, doit voir sa situation améliorée, d’après la ministre des Affaires sociales Andrea Nahles, SPD. Elle souhaite faire passer dès cette année une loi qui réforme l’aide à l’intégration, le fonds de soutien qui finance l’insertion des handicapés dans l’entreprise. Cette réforme vise à soulager financièrement de façon très importante les villes et les communes engagées dans des programmes d’insertion. 7,5 millions de personnes sont handicapées en Allemagne, presque une personne sur dix, dont un quart environ, près de 2 millions, sont intégrés au marché du travail ou souhaite l’être. On en parle moins que des intérimaires ou des chômeurs de longue durée, mais ils sont aussi nombreux que ces deux groupes réunis. Seulement ils sont moins présents dans les médias…

L’interdiction des sacs en plastique gratuits

9 Les sacs en plastique gratuits dont se servent les consommateurs en Allemagne ou en France pour transporter leurs emplettes sont à l’origine de graves pollutions. Jetés la plupart du temps après avoir servi une seule fois, ils mettent 500 ans pour se dégrader, pour ceux qui ne sont pas détruits après tri des ordures ménagères. Leurs débris s’accumulent dans les cours d’eaux et les océans, où ils forment de véritables continents de déchets, un péril tant pour la faune et la flore des océans que pour les humains. C’est pourquoi il est urgent de réduire, voire de supprimer l’utilisation des sacs en plastique. La voie la plus pertinente pour y parvenir est de les rendre payants. L’opinion publique est très favorable à cette mesure. Une majorité d’Allemands, 53 % d’après You Gov., se prononce même pour une interdiction pure et simple des sacs en plastique. Ils suivent en cela les précurseurs européens en la matière que sont les pays nordiques qui ne consomment plus que très peu de sacs en plastique depuis qu’ils sont devenus payants. L’Irlande, quant à elle, a introduit les sacs payants il y a quinze ans, avec le résultat que ses habitants ne consomment plus que seize sacs par an et par personne. Les Allemands, avec en moyenne 70 sacs en plastique par an – 79 en France –, se situent de façon honorable parmi les pays européens, la consommation dans les pays de l’UE se situant à 198 sacs par an, notamment en raison de la boulimie des pays de l’est de l’Union Européenne.

10 Cette mesure est la conséquence d’un décret de la Commission européenne qui oblige les pays membres à réduire la consommation de sacs en plastique à un maximum de 90 par personne et par an pour fin 2019. Six ans plus tard, fin 2025, ce chiffre doit être réduit à 40 sacs par personne et par an. Les instances européennes ont voté la modification de la directive européenne de l’emballage (94/62/EG) le 29 avril 2015, laissant à chaque pays l’initiative de fixer lui-même la manière d’y parvenir. L’Allemagne a mis un an pour s’y conformer. Le 26 avril, le ministère de l’Environnement et les représentants du commerce ont signé un accord selon lequel, depuis le 1er juillet 2016, les sacs en plastique ne peuvent plus être distribués gratuitement. Sont visés tous les sacs, à l’exception de ceux à usages multiples, des sacs pour les produits congelés, ainsi que des sacs très minces – moins de 15 micromètres – destinés à l’emballage des fruits et légumes.

11 Les enseignes qui ont signé la convention avec le ministère couvrent environ la moitié des sacs distribués en Allemagne. Elles s’engagent à faire en sorte que 80 % des sacs deviennent payants d’ici à 2018. Les commerçants pourront fixer eux-mêmes le prix qui devrait s’échelonner entre 5 et 50 centimes, selon la qualité du sac. Les enseignes signataires organisent et financent le monitoring du respect de la convention. Le ministère fédéral de l’Environnement contrôle les rapports annuels de monitoring et rend public ses résultats. S’ils ne correspondent pas aux attentes, Mme Hendricks, la ministre de l’Environnement, envisage de légiférer. Sinon, le gouvernement n’a pas l’intention de prendre d’autres mesures contraignantes pour réduire le recours aux sacs en plastique.

12 Les associations de protection de l’environnement saluent cette avancée, mais elles regrettent que cette mesure ne soit pas allée plus loin. Elles considèrent que les sacs à usage unique sont à proscrire de façon générale, peu importe le matériel dont ils sont constitués. Ainsi, elles craignent que les sacs en plastique gratuits ne soient simplement remplacés par des sacs en papier, dont le bilan environnemental – consommation d’énergie pour la production et le transport – est également problématique. Le monitoring introduit par le ministère est également sujet à débat dans la mesure où les rapports qui en résultent sont a priori destinés au ministère et aux enseignes qui les commanditent et non à l’Agence fédérale de l’environnement. De plus, le contrôle ainsi effectué devrait porter sur l’ensemble des sacs utilisés afin de faire apparaître des effets de substitution. Si ces critiques sont justifiées, on constate néanmoins une évolution dans le comportement des consommateurs allemands, notamment en ce qui concerne les achats d’alimentation. Toutes les grandes enseignes proposent des sacs en plastique solide à usage multiple payants que les clients utilisent très majoritairement. Si des progrès réels sont nécessaires dans la grande distribution de produits durables, tels que les vêtements, p. ex., il ne fait pas de doute que la prise en compte des dangers que comporte l’usage massif de plastique fait son chemin en Allemagne.

Changement de cap dans le développement des énergies renouvelables

13 En juin 2016, le Bundestag a voté la réforme de la loi sur les énergies renouvelables (Erneuerbare Energien-Gesetz, EEG). À partir de 2017, les éoliennes et les installations photovoltaïques ne seront plus toutes subventionnées. Les opérateurs devront poser leur candidature afin de bénéficier d’une subvention. Cette introduction d’une certaine mesure de concurrence dans le secteur doit servir à réduire les coûts et à mieux piloter le rythme d’expansion. Il est vrai que les énergies vertes ont connu un rythme de développement effréné, en partie grâce au soutien financier du gouvernement. Ainsi, un tiers de l’électricité consommée en Allemagne est produite aujourd’hui à partir de sources renouvelables comme le vent et le soleil. C’est un doublement en cinq ans : en 2010, la part de l’électricité verte n’atteignait en effet que 17 %.

14 Les règlements introduits par la nouvelle loi sont destinés d’une part à freiner l’accroissement des coûts et d’autre part à veiller à un développement plus équilibré de l’ensemble du chantier de la transition énergétique. Jusqu’à maintenant, l’électricité verte produite par les opérateurs ou des particuliers bénéficiait d’une garantie d’achat et d’un tarif garanti pendant vingt ans. La facture est payée par les consommateurs d’électricité individuels – et non les entreprises, compétitivité oblige –, par le biais d’une taxe spécifique (EEG-Umlage) destinée à financer le secteur des énergies renouvelables. La facture est très élevée, trop élevée pour certains, notamment en raison de la rapidité du développement des énergies vertes. Le deuxième problème porte sur le déséquilibre entre la production et le transport de l’électricité verte. Le nord de l’Allemagne est en effet un gros producteur d’énergies renouvelables, mais le réseau électrique est insuffisant pour les transporter vers le sud du pays où se trouve le gros de la demande. La construction de nouvelles lignes à haute tension, nécessaires à l’acheminement de l’électricité, rencontre une opposition résolue en Bavière et au Bade-Wurtemberg, où l’opinion publique demande qu’elles soient enterrées, ce qui demande du temps et beaucoup d’argent…

15 Deux mesures principales ont été adoptées, la suppression des subventions directes et la fixation des volumes annuels de production de chaque source renouvelable. La première mesure prévoit la fin du tarif garanti. À partir de 2017, le soutien au développement des énergies vertes se fera par appels d’offres. Cette décision signifie que ce ne sera plus l’administration qui choisit les projets à subventionner, mais le marché. Seuls les projets les moins chers et les plus efficaces seront retenus, d’autant plus que l’enveloppe quantitative sera limitée. Les volumes fixés par le ministère fédéral de l’Économie et de l’Énergie pour chaque type énergie renouvelable sont les suivants :

16

  • Éolien terrestre : 2 800 MW/an (2 900 MW/an à partir de 2020) ;
  • Éolien en mer : 730 M/W/an (pour la période 2021-2030) ;
  • Solaire photovoltaïque : 600 MW/an ;
  • Biomasse : 200 M/W/an (pour la période 2020-2030).

17 À la définition de ces volumes, qui, comme on peut le constater, sont fixés séparément pour éviter la concurrence entre les différentes sources d’énergie renouvelables – ce qui est déploré par certains –, s’ajoutent d’autres mesures telles que l’abaissement de la subvention à l’énergie éolienne de 5 % au 1er juillet 2017, ainsi que la restriction de la construction de nouveaux parcs éoliens dans des zones à engorgement comme le nord à 58 % de la moyenne des trois dernières années Toutefois, cette réforme protège les particuliers qui ont investi dans les énergies renouvelables. Les panneaux photovoltaïques d’une capacité inférieure à 750 KW, tels qu’ils fleurissent sur de nombreux toits en Allemagne, ne seront pas soumis à la procédure des appels d’offres. Si cette réforme qui introduit un élément de concurrence dans ce secteur est saluée par les milieux économiques, elle ne contribuera guère à l’abaissement du coût de l’électricité, car il faudra bien financer l’extension du réseau vers les Länder du sud, une mesure qui sera financée également par les clients privés. Tout au plus peuvent-ils espérer un ralentissement de l’augmentation du coût de l’électricité dans les années à venir.

Le Mittelstand attaqué par les entreprises chinoises ?

18 Les entreprises allemandes se sont très tôt intéressées au marché chinois, bien avant les exportateurs français. Ce Drang nach Osten, un Orient lointain cette fois-ci, a animé non seulement les grandes entreprises, mais aussi le Mittelstand, ces entreprises de taille moyenne à gestion familiale considérées comme la véritable force de frappe de l’industrie outre-Rhin. Souvent plus grandes que les entreprises de taille intermédiaire (ETI) françaises, elles sont souvent spécialisées dans des technologies de niche haut de gamme qu’elles exportent dans le monde entier, dont la Chine. L’empire du Milieu qui apprécie les produits made in Germany porte une attention particulière au savoir-faire de l’ingénierie allemande, un penchant qui suscite une inquiétude croissante en Allemagne, tant parmi les milieux économiques que politiques. Les Chinois ne se contentent pas d’acheter la production allemande, depuis quelques années ils multiplient les prises de contrôle de ces entreprises du Mittelstand.

19 Ainsi, en 2015, 35 ETI allemandes sont passées sous pavillon chinois, le même nombre qu’en 2014. L’année 2016 s’annonce également fertile en rachats, comme le prouve l’acquisition du groupe Krauss-Maffei, spécialiste des machines de moulage des matières plastiques, par le groupe d’État ChemChina, suivie du rachat du groupe de traitement de déchets EEW par la holding chinoise Beijing Enterprises. Les sommes en jeu sont considérables et ont tendance à s’accroître : 925 millions d’euros pour Krauss-Maffei, 1,4 milliard pour EEW, et maintenant la prise de contrôle de l’entreprise Kuka, une initiative chinoise qui a mis en émoi les milieux politiques au début du mois de juin 2016. Kuka, en pointe dans la production de robots intelligents et interconnectés – Internet 4.0 – est en effet convoité par le groupe chinois Midea, premier producteur de matériel électroménager du monde, qui a annoncé son intention de porter sa participation dans l’entreprise d’actuellement 10 % à 30, voire 50 %. Il serait même prêt à débourser 4,5 milliards d’euros pour en prendre le contrôle. Bien que les milieux politiques se mêlent rarement des décisions prises par les entreprises, cette fois-ci, devant le danger de perdre un des fleurons de l’industrie de pointe allemande, le ministre de l’Économie, Sigmar Gabriel, n’a pas hésité à exprimer ses réserves, appelant de ses vœux une solution allemande ou européenne.

20 Le syndicat des industries allemandes BDI ne partage pas les inquiétudes du gouvernement. Pour lui, les fusions et les acquisitions font partie du jeu normal du commerce mondial, dont les entreprises allemandes profitent énormément. Les craintes liées au maintien de l’emploi et la perte de technologie s’avèrent souvent infondées, comme le montre l’exemple Putzmeister. Cette ETI bavaroise, une spécialiste des pompes à béton, avait été rachetée en 2012 par le groupe chinois Sany, numéro un mondial des véhicules pour le BTP. Ce transfert avait suscité à l’époque l’opposition massive des salariés et la réprobation générale des médias de la région Bade-Wurtemberg, horrifiés à l’idée de perdre un de leurs joyaux du Mittelstand. Or, les peurs ne se sont pas réalisées : l’organisation, les sites et l’emploi ont été maintenus par Sany. Avec le recul, le constat s’est imposé que Putzmeister n’aurait peut-être pas survécu à la concurrence mondiale sans l’intervention du groupe chinois.

21 Si le rachat d’ETI allemandes par des entreprises chinoises, perçues comme culturellement plus éloignées que leurs concurrents européens, inspire une réticence réelle dans l’opinion publique, il convient de le replacer dans son contexte : comparé à la prise de contrôle par des acteurs d’autres pays, les entreprises chinoises sont loin derrière. Sur les 652 entreprises allemandes passées sous pavillon étranger en 2015, 159 ont été acquises par les États-Unis et 77 par le Royaume-Uni. Les deux firmes rachetées cette année par des concurrents chinois, Krauss-Maffei et EEW, étaient d’ailleurs détenues, non pas par des Allemands, mais par des investisseurs, respectivement canadiens et suédois. L’inquiétude des Allemands au sujet d’une éventuelle main-mise des Chinois sur leur Mittelstand se relativise comparée à la présence de plus en plus massive des Allemands aux États-Unis. Alors que l’économie chinoise ralentit, la ré-industrialisation souhaité par le gouvernement américain profite pleinement aux entreprises allemandes. L’année dernière, les seuls constructeurs de machines ont dirigé un quart de leurs investissements directs, plus de 6 milliards d’euros, vers les États-Unis. Aujourd’hui, l’Allemagne est devenue le troisième investisseur étranger du pays, derrière le Royaume-Uni et le Japon. Nul doute que ces mouvements d’internationalisation, en provenance de la Chine ou vers les États-Unis, ne sont pas près de ralentir.

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