Notes
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[1]
L’économie d’approvisionnement (Versorgungswirtschaft) recouvre toutes les activités d’approvisionnement en eau et en énergie, et a fortiori les services d’assainissement, de ramassage des déchets et de transports en commun qui ont lieu au sein d’une collectivité locale.
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[2]
RWE par exemple a été créé en 1898 suite à 10 ans de négociation entre une commune et un industriel. Une centrale électrique a été construite à Essen et le maire a siégé dès le début au conseil de surveillance. (Lorrain, 2000 : 98)
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[3]
« VKU im Profil », Informationen zum Verband Kommunaler Unternehmen e.V., 2008, p. 10
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[4]
Entretien, ancien négociateur de contrat, janvier 2008.
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[5]
Entretien, ancien conseiller du Président, septembre 2007.
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[6]
Le cas de Halle est particulièrement révélateur de cette course de vitesse : l’ancien patron de la VEB WAB, prêt à faire affaire avec la Lyonnaise, s’est finalement rangé du côté de la municipalité, hostile à l’offre de la major ; il fut nommé par la suite directeur de l’entreprise municipale d’eau et d’assainissement. L’impossibilité pour la Lyonnaise de prendre pied à Halle n’est probablement pas le fait du hasard : la Saxe-Anhalt constitue un des fiefs de VKU. Par contraste, à Rostock, à la même époque, le rapport de force politique semblait plus propice au négociateur du groupe qui avait proposé des aménagements contractuels.
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[7]
Deutschland Kommunal 2/ 1993, p. 10. Entretien, ancien négociateur de contrats, janvier 2008. Entretien, ancien président de l’association des usagers de l’eau, février 2009. Entretien, ancien sénateur de l’économie, avril 2009.
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[8]
Entretien, ancien maire de Rostock, mars 2008, avril 2009.
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[9]
Entretien, ancien président de l’association des usagers de l’eau, février 2009.
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[10]
Entretien, ancien sénateur de l’environnement, mars 2009.
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[11]
Bien que la relation entre ce climat de corruption et le contexte de la privatisation n’ait jamais été établie par aucun des participants de la négociation. Entretien mars 2009, avocat, Düsseldorf.
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[12]
Entretien, ancien manager à l’international, mars 2009.
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[13]
Frankfurter Allgemeine Zeitung, 23.6.2000.
-
[14]
Entretien, ancien manager à l’international, mars 2009.
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[15]
Entretien, ancien manager à l’international, mars 2009.
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[16]
Un autre indice irait dans ce sens : l’arrivée de E.on dans le capital de l’entreprise d’électricité ne s’est pas traduite par un transfert du personnel de direction. S’agissant des autres entités de la Holding municipale, des directeurs allemands ont été recrutés pour leur expérience professionnelle dans le secteur privé. Entretien, responsable, section fusion et acquisition, Mairie de Potsdam, octobre 2008.
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[17]
Zeitschrift für Kommunale Wirtschaft, 11.09.2007.
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[18]
Le cas de Potsdam vaudrait également pour d’autres villes d’ancienne RDA. À Magdebourg, capitale du Land de Saxe-Anhalt, tout se passe comme si la prise de participations de la Holding municipale, Städtische Werke Magdeburg GmbH, par des opérateurs allemands, en l’occurrence une major d’électricité (E.on, 27 %) et une entreprise régionale (Gelsenwasser, 19 %), visait à protéger l’économie publique locale de capitaux étrangers. Ce montage organisationnel où prédomine la part de la Ville à hauteur de 54 % pourrait également être lié, comme à Potsdam, à la présence de VKU représenté à Magdebourg par un cadre dirigeant de la Holding qui préside la commission juridique et participe au conseil d’administration de l’association des entreprises municipales (Herdt, 2009).
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[19]
Des développements organisationnels et stratégiques similaires ont pu être constatés dans d’autres villes est-allemandes, afin de faire face aux effets de la Réunification, comme à Frankfurt sur l’Oder (Wissen & Naumann, 2012).
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[20]
Entretien, ancien adjoint au maire à l’environnement, octobre 2010.
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[21]
Entretien, ancien maire de Leipzig, avril 2010.
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[22]
Entretien, membre du conseil de surveillance de la Holding municipale de Leipzig (LVV), avril 2009.
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[23]
Entretien, ancien directeur du syndicat intercommunal, février 2011.
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[24]
Comme l’a confié le directeur commercial d’Eurawasser à la presse locale, Ostsee-Anzeiger, 10.12.2007.
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[25]
Entretien, ancien Président de l’association des usagers de l’eau, février 2009.
-
[26]
Entretien, ancien Président de l’association des usagers de l’eau, février 2009.
-
[27]
Baltic Cities, Environmental Bulletin, nº 2, 2003, p. 17.
-
[28]
Entretien, initiateur du mouvement citoyen, juillet 2008.
-
[29]
Entretien, ancien président du comité d’entreprise de SWL, octobre 2009.
1 « Je peux penser comme les privés et comme les communes. Je ne suis pas assis entre deux chaises mais sur les deux ». En se définissant ainsi en 2007, Peter Paffhausen, ancien ingénieur de l’industrie reconverti en directeur de la holding municipale, Stadtwerke Potsdam GmbH, personnifie en quelque sorte la transformation qui affecte, depuis la chute du Mur de Berlin, la gestion des services urbains en ancienne Allemagne de l’Est, c’est-à-dire l’intégration progressive d’une logique privée au cœur même d’un dispositif d’ordre public. Cette présentation de soi prend toute sa pertinence si l’on garde à l’esprit que la ville de Potsdam a consacré le profil de cet ingénieur, en 2000, peu après sa rupture avec Eurawasser (à l’époque filiale de Suez Lyonnaise des Eaux et de Thyssen). Une telle attitude de rupture à l’égard d’un opérateur d’origine étrangère au profit d’acteurs locaux offre un contraste saisissant avec ce qui se passe au sein d’autres municipalités d’ancienne RDA. En 1992, Rostock et 36 communes périurbaines ont signé un contrat d’exploitation de 25 ans avec Eurawasser et ce dispositif se perpétue malgré des différends. À Leipzig, depuis la chute du Mur, les attitudes à l’égard des multinationales de services urbains oscillent entre la mise en place de coopérations et la défense de la gestion municipale.
2 L’écart entre ces villes, allant de la coopération au conflit, constitue le point de départ d’une analyse sociologique comparée des dynamiques locales de restructuration des services urbains au sein des nouveaux Länder. Bien que ces logiques participent aussi d’enjeux plus internationaux, comme l’attestent les politiques de privatisation et de dérégulation promues à la même époque par la Banque mondiale et la Commission européenne, le choix de privilégier l’échelle locale nous donne ici les moyens de montrer les effets d’un double processus qui affecte l’Allemagne de l’Est depuis l’effondrement du régime socialiste, à savoir la diffusion de dispositifs constitutionnels propres à la RFA (l’autonomie de gestion des communes (Selbstverwaltung) et l’économie de marché) et l’importation dans le domaine des affaires urbaines de pratiques entrepreneuriales étrangères qui tirent leur spécificité de leurs rapports de proximité avec les élites locales (Lorrain, 1992). L’objet d’étude s’articule ainsi autour du questionnement suivant : comment circulent des modèles de gestion d’un pays à l’autre ou bien entre des secteurs d’activité relativement proches ? De quelle manière ces modèles parviennent-ils ou non à s’intégrer au sein de territoires régis par d’autres traditions nationales ?
3 Ce questionnement sur la circulation des modèles de services urbains fait écho aux recherches en économie politique sur le thème de la variété des capitalismes et de leur régulation. Avec l’ouverture des frontières, les modèles européens des services urbains, qui associent principes d’action publique et économie de marché, gagnent en visibilité en s’exportant et par là même se trouvent en compétition (Lorrain, 2005a). En se penchant sur le contexte de la réunification allemande, cette étude propose une illustration concrète de cette compétition. C’est aussi une contribution sociologique à la théorie économique de la régulation qui réinjecte dans l’analyse des firmes, la place du politique, le rôle des institutions et des structures sociales, et partant, fait ressortir la diversité des capitalismes (Boyer, 2002). Ainsi, il s’agit de montrer que la compétition entre les modèles de services urbains et leur régulation s’inscrit dans une histoire sociale spécifique. Il s’agira en particulier d’élargir la perspective de sociologie politique sur la restructuration des Etats en transition et des luttes pour le monopole des savoirs de gouvernement (Dezalay & Garth, 2002) : replacer la recomposition des dispositifs de gestion des services urbains en RDA dans l’histoire plus générale de la construction de l’État allemand. Cette recomposition s’inscrit en effet dans des traditions politiques qui, selon les régimes et les époques, instaurent une division du travail spécifique entre les élites du pouvoir d’État, oscillant entre une conception centralisée de l’économie d’approvisionnement et la décentralisation de sa gestion. À la lumière de ces apports théoriques se dégage l’hypothèse suivante : la compétition entre modèles urbains dans l’ancienne RDA est indissociable de la genèse d’un nouveau principe de différenciation qui oppose les adeptes des entreprises municipales et les promoteurs des majors. Ce clivage s’expliquerait non seulement par l’arrivée de nouvelles élites politiques, mais également par la mobilisation de professionnels et de militants influents, corollaires de la restructuration de l’État est-allemand.
4 Au-delà de ces perspectives qui abordent la variété des capitalismes à partir de spécificités politico-institutionnelles et accordent une place à l’histoire et aux individus dans la réception des modèles, dimension largement négligée ou minimisée dans les travaux sur les transferts (Dumoulin & Saurruger, 2010 ; Hassenteufel & de Maillard, 2013), comment rendre compte des différentes attitudes que suscite à l’échelle locale l’offre d’un modèle étranger ? Pour analyser ce rapport entre modèles exogènes et contexte local, on peut difficilement s’appuyer sur une lecture institutionnaliste en sociologie qui considère que les changements organisationnels ont lieu en raison de l’adhésion à des normes très valorisées à l’échelle globale qui peuvent être directement adoptées en raison de leur légitimité (Strang & Meyer, 1993), ou par des mécanismes d’isomorphisme coercitif, mimétique ou normatif (Di Maggio & Powell, 1983). En effet nous considérons que, à l’échelle locale, les modèles de gestion urbaine, en dépit de leurs formes très stabilisées, ne se diffusent pas parce qu’ils seraient légitimes en soi, ne s’affrontent pas de manière désincarnée, ne circulent pas dans des environnements homogènes.
5 Partant du principe de la sociologie politique des organisations (Friedberg, 1993) qui considère les individus comme dotés d’une capacité d’action face à des déterminations exogènes, sans pour autant négliger les opportunités historiques qui rendent possible des jeux sociaux, notre approche envisage l’échelle locale comme un espace d’usages différenciés des modèles étrangers, lieu de rivalités et de relations de pouvoir, structuré par des acteurs qui y développent des stratégies particulières relativement autonomes vis-à-vis de logiques globales, liées à des configurations locales singulières. Nous voulons ainsi montrer que c’est à travers des vecteurs de transmission, des surfaces de rencontres, des individus porteurs et passeurs, que ces modèles circulent et entrent en compétition à l’échelle locale. C’est aussi dans le cadre d’une politique locale spécifique, plus ou moins orientée vers la privatisation des biens publics, plus ou moins acceptée par les citoyens, que ces modèles de gestion urbaine, étrangers à l’organisation est-allemande, trouvent ou pas un écho, sont appropriés de façon spécifique, sont considérés comme légitimes ou rejetés. Cette posture fait écho aux travaux sur la réception des modèles d’action publique d’origine ouest-allemande (Lozac’h, 2006) ou internationale (Clavier, 2013) qui tiennent compte des dynamiques locales.
6 Pour éclairer ces différents filtres sociaux et la variété des choix institutionnels, notre approche de terrain repose sur la comparaison de trois études de cas choisis parmi des villes d’ancienne RDA pour leur réception différenciée face à l’introduction d’un nouveau modèle de gestion des services urbains (Rostock, Potsdam et Leipzig). Le partenariat entre la ville de Rostock et la lyonnaise des Eaux occupe un statut pionnier qui s’inscrit dans la durée, résultat d’innovations organisationnelles et de compromis âprement négociés. À l’inverse, à Potsdam, sept ans après la réunification, l’offre de la Lyonnaise n’a pas survécu au changement des élections municipales. Loin d’être un modèle exportable dans d’autres villes, Rostock fait figure de prototype, tandis que Postdam s’impose comme le rejet du modèle étranger. Leipzig représente un cas intermédiaire : un conflit oppose des militants et des professionnels de l’eau à des élus sur l’avenir du mode de gestion des services urbains ; le modèle de l’entreprise municipale a, depuis la réunification, toujours primé sur l’offre de la gestion déléguée des services à la française, même si des relations occasionnelles avec une major ne sont pas exclues.
7 Pour réaliser cette comparaison, notre approche du terrain s’est d’abord appuyée sur l’exploitation d’une littérature grise qui a guidé par la suite notre ciblage empirique puis structuré nos rencontres avec les protagonistes concernés avec lesquels nous avons réalisé des entretiens semi-directifs. Sur le plan analytique, le positionnement des élites locales, a été envisagé de manière relationnelle, c’est-à-dire en rapport avec d’autres acteurs impliqués, de près ou de loin, dans le processus décisionnel. Derrière des choix apparemment techniques se mobilisent ainsi tout un ensemble d’acteurs autour d’un projet urbain (Pinson, 2005). Il ne s’agissait donc pas de réaliser une sociographie des élites locales, mais de montrer comment elles s’investissent dans les processus étudiés. À l’instar d’une sociologie politique qui étudie l’action publique (Hassenteufel, 2008), nous avons avant tout cherché à combiner analyse stratégique, identification des ressources en jeu, représentations en présence et interactions contextualisées. Nous verrons que les choix décisionnels dépendent des rapports de proximité entre les passeurs du modèle et les opérateurs locaux, rapports dont la construction et la stabilité varient selon le contexte politique local, les enjeux professionnels et politiques en présence, l’existence ou non d’espaces régulateurs. En révélant ce qui se joue autour de la compétition entre modèles, notamment, des pratiques de contractualisation, la création de nouvelles entités juridiques, notre analyse prend en compte le fait que les dispositifs organisationnels en matière de gestion des services urbains, comme les instruments d’action publique, sont « porteurs de valeurs, nourris d’une interprétation du social et de conception précises du mode de régulation envisagée » (Lascoumes & Legales, 2004 p. 13).
8 La structure de notre article s’articule autour du fil conducteur de l’affrontement entre modèles de services urbains et des conceptions politiques de l’action publique urbaine dans un contexte de transition. Une première partie revient sur les conditions historiques qui ont rendu possible cet affrontement, en présentant d’abord les deux modes d’organisation de gestion des services urbains qui ont prévalu en Allemagne, avant la réunification. Une deuxième partie aborde les choix différents faits dans trois villes d’ancienne RDA, Rostock, Potsdam, et Leipzig. Une troisième partie, discute des facteurs permettant de rendre compte de ces divergences, de comprendre pourquoi un partenariat avec le secteur privé va persister dans un cas alors qu’il se solde par une rupture dans un autre.
La réunification des services urbains : la genèse d’un univers fragmenté
9 L’importation sur la scène locale d’un mode de gestion étranger à la structure organisationnelle de la RDA, dominée par les combinats régionaux, fut un enjeu de luttes entre les défenseurs de l’entreprise municipale ouest-allemande et les promoteurs des majors, aboutissant à fragmenter la structure monolithique de départ. Il s’agit ici de revenir sur la genèse de cette fragmentation. Cette démarche conduit à comparer les modèles des services urbains dans la phase antérieure à la réunification. D’une part, parce que les principes du centralisme démocratique de la RDA qui accordent une place marginale aux communes au profit des combinats et d’une régulation politique se posent en rupture avec la gestion décentralisée des services urbains de la RFA, corollaire d’une tradition politique remontant au 19e siècle, d’autre part parce que, au moment de la réunification, cette conception des affaires publiques a été réintroduite dans le nouveau système politique de RDA à l’image de celle de la RFA. Et c’est précisément dans ce contexte d’homogénéisation politique et économique que se rejouent aussi des luttes anciennes entre les professionnels ouest-allemands des services urbains et s’en déploient de nouvelles entre les élites locales postsocialistes, conduisant à la création d’un univers fragmenté de pratiques.
À l’Ouest : décentralisation et entreprises municipales
10 De l’accord douanier de 1834 à l’unification politique en 1871, l’État allemand s’est progressivement formé à travers la coopération de différents leaders régionaux au sein de l’espace germanique (Ziblatt, 2006, p. 32). Cette unification tardive associée à la volonté de Bismarck de renforcer la position de l’Allemagne en Europe a laissé place à un Etat fédéral faible où les régions institutionnellement fortes et existant depuis plus longtemps gardèrent un certain nombre de prérogatives, et au sein desquelles les communes disposent d’une grande autonomie. C’est à travers cette décentralisation de l’État qu’il fut notamment accordé aux communes le soin de gérer les services urbains de base (Lorrain, 2005a, p. 238). Depuis le début du 19e siècle, les municipalités bénéficient ainsi d’une autonomie dans la gestion des activités d’intérêt général définies par le terme de Daseinsvorsorge (Edeling, 2008, p. 146). Celles-ci pourvoient aux besoins nécessaires à l’existence des citoyens (eau, énergie, transports en commun) et de ce fait ne sont pas soumises à la logique du marché (Wollmann & Roland, 1999). Pour les mettre en œuvre, les élites locales ont traditionnellement créé des entreprises municipales multi-services (Stadtwerke) intégrant le plus souvent la distribution d’eau, l’énergie, et les transports en commun. Les principes juridiques (Selbstverwaltung) et philosophiques (Daseinsvorsorge) qui président à la sphère publique locale depuis le 19e siècle ont été réintroduits après la Seconde Guerre mondiale dans la loi fédérale. La défense des intérêts de l’économie d’approvisionnement [1] s’est cristallisée à cette époque, caractérisant l’autre dimension du système politique allemand, la place accordée aux lobbys professionnels et corporatistes dans les débats parlementaires. La structuration des services urbains s’emboîte ainsi dans une architecture institutionnelle au sein de laquelle les décisions sont politiquement décentralisées tout en étant débattues avec des acteurs privés qui défendent leurs intérêts locaux à l’échelle nationale (Kaztenstein, 1987). Cependant certaines différences notables sont à mentionner à propos des secteurs observés.
11 Alors que le domaine de l’eau est resté historiquement dans le giron communal, le secteur de l’électricité s’est également structuré autour de grands groupes d’électriciens, l’équivalent des majors françaises de l’eau. Ces grands groupes ont émergé au gré de leurs négociations auprès des élus [2] et par la suite sont entrés dans le capital des entreprises municipales, opérant leurs prestations dans le cadre d’un contrat de concession. À côté de ces champions nationaux, le domaine de l’électricité est investi par des entreprises régionales et des sociétés communales. À la fragmentation traditionnelle du marché de l’électricité coïncident des divergences de points de vue sur la gestion des services en réseaux, qui datent des années 1920. Les compagnies d’électriciens ont toujours défendu une gestion centralisée de l’approvisionnement tandis que les communes ont toujours prôné, tenant à leur autonomie de gestion, des structures décentralisées au nom du respect de la gestion des services d’intérêts général. En 1980, un nouvel amendement à loi fédérale des cartels limitant le droit des concessions à une durée de 20 ans, a une fois de plus ravivé les désaccords : face aux conditions offertes aux communes, qui retrouvaient une plus grande latitude dans le choix des opérateurs, les entreprises nationales ont cherché à infléchir – en vain – cette disposition juridique, car elles y voyaient une menace de leurs parts de marché. Et lorsqu’une décennie plus tard, les grands groupes électriciens ouest-allemands chercheront à imposer leur conception de l’économie d’approvisionnement, ils déclencheront une opposition véhémente des défenseurs des intérêts communaux, soutenus par l’association des entreprises municipales (VKU), qui comptait en 1989, 407 membres ouest-allemands (Matthes, 2000).
À l’Est : centralisme démocratique et entreprises populaires
12 Tandis qu’au sein de l’Allemagne fédérale les secteurs de l’eau et de l’électricité font traditionnellement partie des services d’intérêt général et en ce sens se différencient des autres activités industrielles ou marchandes, en Allemagne de l’Est, ils se sont développés en liaison étroite avec les priorités du Parti Socialiste Unifié d’Allemagne (le SED) en matière économique, orientées vers le renforcement de l’industrie et l’intensification de l’agriculture (Van der Wall & Kraemer, 1993). Par ailleurs, la structuration même de ces secteurs se posait en rupture avec la conception d’un Etat décentralisé. Elle s’inscrivait dans une logique d’appareil où les décisions tant politiques qu’économiques étaient planifiées et centralisées par le Parti ou bien par des instances qu’il contrôlait directement. Suivant cette conception de l’État, l’organisation du territoire avait été structurée autour de 15 districts (Bezirke), au sein desquels des organes de planification diffusaient les directives du Parti. Dans ce système, les communes avaient perdu toutes prérogatives. L’économie locale d’approvisionnement n’échappait pas aux règles de cette politique centralisée. Les communes ne pouvaient pas créer des entreprises municipales. Dans ce domaine, le SED avait réorganisé les services en réseau, comme d’autres secteurs de l’industrie, autour de la création des combinats, opérant à l’échelle de tout un district. Si ces entreprises du peuple (Volkseigene Betriebe VEB), fers de lance de l’économie régionale créées dans les années 60, disposaient d’une forte autonomie de décision, elles ont été replacées, une dizaine d’années plus tard avec l’arrivée d’Honecker à la tête du SED, sous la responsabilité de nouveaux ministères – qui en choisissaient les directeurs et contrôlaient la politique d’investissement. Les entreprises populaires de l’eau (Volkseigene Betriebe Wasser und Abwasser VEB WAB) dépendaient du Ministère de l’environnement et de l’économie de l’eau. Le Ministère de l’industrie était responsable de l’organisation des combinats d’électricité.
13 Dans le contexte de la réunification, les principes de l’économie de marché et la gestion décentralisée des affaires locales réapparaissent en ancienne RDA, rompant ainsi avec le centralisme du régime Honecker. Leur réintroduction a connu deux phases. Les toutes nouvelles élites nationales de la RDA voyaient dans l’autonomie de gestion des communes la restauration de la démocratie au sein même d’une constitution en cours de rénovation, tout en rejetant la vente du patrimoine du peuple. Par la suite, la privatisation de ce patrimoine fut davantage le produit d’une importation forcée, accélérée par le projet de réunification orienté vers l’avènement de l’économie de marché. Dans cette nouvelle reconfiguration, l’économie d’approvisionnement de la RDA s’est trouvée au cœur d’enjeux territoriaux.
D’Est en Ouest : des idéalistes aux réformateurs
14 Pendant la période de transition, les nouvelles élites de la RDA tenaient à affirmer leur propre conception du changement, en promouvant une troisième voie, qui intégrait les principes démocratiques ouest-allemands au détriment de l’économie de marché. Ce positionnement, à l’égard du maintien de la structure patrimoniale dans un système rénové, participait de la crainte d’une perte de l’identité nationale et de l’héritage social de la RDA, face au projet d’unification associée à une reprise précipitée par l’Est de la totalité du système politico-économique de la République fédérale. En outre, même si les partisans de la réforme se montraient ouverts à la création de joint-ventures entre les combinats et des firmes occidentales, afin de permettre une meilleure intégration de l’Allemagne de l’Est dans la division internationale du travail et favoriser l’arrivée de savoir-faire et de capital, ils souhaitaient limiter la prise de participation étrangère à 49 %, face à la menace d’une « vente de la RDA ». C’est dans ce climat politique que la Treuhand a vu le jour (Kemmler, 1994). En tant qu’organisme mandataire, elle allait gérer juridiquement le transfert de la propriété du peuple, c’est-à-dire la transformation des combinats en société de capitaux, sans que cela se traduise par une dissolution ou une privatisation.
15 Au sein du gouvernement de transition, l’avenir de la gestion des infrastructures de la RDA a également conduit au début de l’année 90 à un débat constitutionnel sur le statut des autorités qui devaient avoir la responsabilité du patrimoine communal (Breuel, 1993, p. 378). À la place d’une constitution donnant tutelle à une autorité supérieure étatique, le principe ouest-allemand de l’autonomie administrative des communes a été introduit dans la constitution de la RDA, par la loi du 17 mai 1990 qui prévoyait de transférer, gratuitement, aux communes, villes et districts le patrimoine des infrastructures qui assuraient les services d’intérêt général. La prise en compte de l’autonomie de gestion, à l’échelle communale, entrait en accord avec les principes démocratiques des élites du gouvernement, soucieuses de rompre avec le centralisme d’État.
16 Avec la première élection démocratique du ministre-président de la RDA par la Chambre du peuple le 18 mars 1990, les débats sur l’avenir de la propriété du peuple vont se fondre de plus en plus avec le projet d’unification des deux Allemagnes au détriment des conceptions idéalistes. Dans le contexte de la création de l’union sociale et monétaire, la propriété privée devient la pierre angulaire des réformes vers l’économie de marché et la Treuhand, une institution qui a moins en charge de transformer le statut des entreprises socialistes que de les assainir en vue de leur privatisation. Un nouveau cadre juridique homologue cette vision de la Treuhand dont la création se voit officialisée dans une loi, le 1er juillet 90. L’arrivée d’un ancien PDG du groupe Hoesch à sa tête consacre l’orientation d’un gouvernement de la RDA en mutation.
Luttes locales autour de la gestion de l’eau et de l’électricité
17 Les nouveaux principes importés en ancienne RDA, consacrant l’économie de marché et la gestion décentralisée des affaires locales, pourraient être pensés comme l’effet d’une domination politique et économique des élites de l’Ouest sur celles de l’Est. Pourtant, la situation semble plus complexe lorsqu’elle concerne des secteurs d’activité, comme les services urbains censés être régulés par des élites locales, comme le veut la tradition allemande.
18 Dans le domaine de l’eau, la reproduction à l’Est des entreprises municipales ouest-allemandes renvoie probablement beaucoup plus aux actions de lobbying menées par VKU, auprès des élus en vue d’empêcher une coopération avec leurs principales rivales, les majors françaises, et beaucoup moins au simple effet d’un transfert institutionnel. Dans le domaine de l’électricité, la restitution des combinats aux communes et l’importation du modèle municipal ont été encore plus problématiques, probablement parce qu’elles faisaient écho à des luttes anciennes opposant, à l’Ouest, les tenants d’une gestion locale et pluraliste aux majors partisanes d’une gestion privée et centralisée. Celles-ci voulaient en effet éviter la reproduction à l’Est de la structure municipale, c’est-à-dire le rétablissement des entreprises municipales (Püttner, 1999). Leur politique d’expansion était, en outre, soutenue par les élites gouvernementales qui avaient entrepris un partage des nouveaux Länder. Toutefois la manière de concevoir cette répartition n’était pas la même. Sous le gouvernement de transition, il avait été décidé de mettre les entreprises de l’Ouest en concurrence. Sous le gouvernement élu, les trois principaux groupes dominant le secteur (Bayernwerk, Preussen Elektra, RWE) s’étaient réunis au sein d’une association et un accord avait été établi avec la Treuhand pour que leur soient transférés les combinats sans décentralisation préalable. Les majors allemands allaient obtenir ce qui leur avait toujours été refusé à l’Ouest, à savoir le monopole de la production et de la distribution d’électricité dans les nouveaux Länder. Elles pouvaient en outre proposer des contrats de concession de très longue durée (50 ans) qui n’étaient plus autorisés à l’Ouest. Cet arrangement a déclenché les hostilités, les élites locales exigeant que leur soient restitués les combinats d’électricité. Soutenues par VKU, 164 communes cherchèrent à infléchir le processus par une action juridique, en portant plainte en 1991 auprès de la cour constitutionnelle afin que soit reconsidérée la participation des opérateurs privés dans le capital des entreprises municipales d’électricité. Finalement, au terme d’un conflit qui dura près de quatre ans, un compromis fut mis en place par la cour constitutionnelle fédérale. Les communes allaient pouvoir récupérer la gestion de l’électricité à condition de verser une compensation financière aux entreprises privées pour le transfert de propriété (Richter, 1998).
19 Depuis sa création en 1949, VKU défend le maintien d’une structure décentralisée de l’économie d’approvisionnement et considère l’entreprise municipale (Stadtwerke) comme un élément central de la concurrence et du respect des services d’intérêt général [3]. Le 1er avril 1990, VKU ouvre un bureau à Berlin pour soutenir de manière plus active la création des entreprises communales d’approvisionnement, ce qui, à cette époque, était loin d’être acquis tant elle rencontrait le scepticisme des anciens patrons des combinats régionaux d’électricité qui craignaient un démantèlement de leurs propres infrastructures (Matthes, 2000, p. 270). À l’époque, VKU pouvait compter sur l’aide de WIBERA, un cabinet d’expertise ouest-allemand spécialisé dans le contrôle des collectivités publiques, et de l’Association des Villes Allemandes (DST) pour la création de programmes de formations et de soutiens aux municipalités postsocialistes. Dans l’Allemagne réunifiée, VKU compte plus de 1 400 adhérents (dont un peu plus de 180 issus des nouveaux Länder), celle-ci n’en comptait que 672 en 1989, tous secteurs municipaux confondus (Jacobi, 1991). Ces nouvelles adhésions à l’Est constituent un indice probant de son combat contre les électriciens de l’Ouest et les firmes de l’eau : dès 1993, parmi les vice-présidents régionaux de VKU, il n’est pas rare de repérer d’anciens professionnels ayant travaillé dans les combinats régionaux d’électricité et les VEB, devenus très actifs dans la structuration même de l’organisation, à l’échelle des Länder.
20 Ces batailles territoriales autour des services en réseau en Allemagne de l’Est n’ont pas cessé après la réunification. Dans le double contexte européen de la dérégulation du marché de l’électricité et de la dette endémique des communes, les maires de certaines municipalités se sont engagés vers la privatisation de leurs entreprises, ravivant ainsi les oppositions entre les partisans des majors et les promoteurs des entreprises municipales. De ces luttes politico-territoriales autour de la restructuration des services urbains se dégage un tout nouveau paysage de l’économie d’approvisionnement. Comme à l’Ouest, les communes y ont retrouvé leurs prérogatives. À la différence de l’Ouest, les multinationales ont, depuis la réunification, la possibilité de concurrencer les entreprises municipales. Il devient alors possible de répartir les municipalités différemment, de part et d’autre d’un axe, selon que leurs élites aient décidé, comme il est de tradition à l’Ouest, de créer des entreprises communales, ou bien selon qu’elles aient opté, à l’inverse, pour un partenariat avec des majors. Ce clivage permet ainsi de comprendre ce qui différencie les municipalités d’ancienne RDA autour de la restructuration des services urbains.
Stratégies différenciées des acteurs locaux
21 Par l’étude des stratégies différenciées des acteurs locaux autour de l’importation de modèles de gestion exogènes, on voudrait rendre compte d’une représentation complexe de la restructuration des services urbains, sujette à de multiples aléas et à de nombreuses relations de coopérations et conflits. Ces relations sont elles-mêmes contingentes des acteurs engagés dans le processus de réforme, et donc irréductibles aux seuls effets d’un transfert unilatéral d’un modèle ou à une simple opposition public/privé.
Rostock : Les alliés de la Lyonnaise
22 L’idée de la Lyonnaise de s’implanter en ex-RDA fait partie d’une stratégie plus générale de déploiement à l’international développée depuis le début des années 1980 par son PDG (Lorrain, 2005b). Elle a été concrétisée au cours d’échanges entre les PDGs de la Lyonnaise et du groupe allemand Thyssen, dans le cadre d’un réseau d’affaires, la Table ronde des industriels européens. Cette alliance s’avérait tactique dans l’anticipation de la Réunification car le groupe français, face à la concurrence ouest-allemande, aurait difficilement pu pénétrer seul les nouveaux Länder. Elle se faisait aussi l’écho de nouvelles stratégies allemandes en matière de gestion publique : à l’époque, le PDG de Thyssen avait été approché par un cabinet de conseil bavarois qui cherchait à établir des liens vers la France pour introduire à l’Est le modèle français de l’entreprise privée comme solution à l’endettement prévisible des nouvelles communes confrontées à la rénovation de leurs infrastructures. Au-delà, cette alliance, dans le contexte de la chute du Mur, renvoyait à une ambition commune, la conquête de l’Est.
23 Sur le terrain, les prospections de la Lyonnaise, visant à vendre un contrat de gestion déléguée, ont démarré avant la Réunification, (au printemps 90) sous la houlette du conseiller du Président. Ingénieur des Ponts, directeur de l’eau à la retraite, il était apprécié pour son expérience à l’international et sa maîtrise du russe et de l’allemand, atout essentiel pour la conquête des marchés de l’Est. La foire de Leipzig a été une première approche de sensibilisation, réalisée en collaboration avec Thyssen, pour faire connaître le concept français. Parallèlement, les démarches entreprises par le cabinet de conseil bavarois pour aider le groupe français à trouver des contrats s’étant avérées infructueuses, la Lyonnaise est alors entrée en contact avec de hauts cadres du Ministère est-allemand de l’économie de l’eau et de l’environnement [4].
24 C’était le temps de la rénovation socialiste et des idéaux du gouvernement de transition. La stratégie de la Lyonnaise a coïncidé avec les ambitions de l’un d’entre eux : un ingénieur doté de plus de vingt ans d’expérience acquise dans l’univers des VEB WAB. Ce haut cadre est-allemand a guidé le négociateur de la Lyonnaise, polytechnicien d’origine alsacienne et parfaitement bilingue, dans ses contacts auprès des professionnels est-allemands de l’eau. Pour les questions juridiques que pouvaient poser d’éventuelles coopérations, le PDG de Thyssen et le cabinet de consultants bavarois orientèrent la Lyonnaise vers un avocat de Düsseldorf, spécialisé en droit fiscal. Sur le terrain, un commercial de Thyssen accompagnait le négociateur de la Lyonnaise lors de ses contacts auprès des élites politiques locales. À Rostock où la compétence technique et la capacité financière des Français ne laissaient pas indifférent, le conseiller du Président du groupe français réitéra, à la veille du vote municipal, le bien-fondé de l’offre proposée par la Lyonnaise et son partenaire, en soutien au négociateur du groupe qui officiait sans relâche sur le terrain depuis deux ans et demi [5]. Si la Lyonnaise avait un peu de temps d’avance, avant que les opportunités ne se referment avec la Réunification, elle devait faire vite, car derrière l’adoption du modèle ouest-allemand par les élites locales se jouaient aussi des carrières professionnelles, notamment à travers la nomination d’anciens patrons de VEB WAB à la tête des entreprises municipales d’eau et d’assainissement [6].
25 Soucieuses de ne pas grever le budget des finances publiques locales, les nouvelles élites de Rostock (SPD, les Verts), issues du monde universitaire et des mouvements citoyens, rejetaient le dogmatisme et le centralisme du SED au profit d’idéaux démocratiques, s’opposaient à toute forme de monopole et valorisaient le pragmatisme au-delà des clivages partisans. Ce qui leur importait, avant tout, était de trouver des opérateurs susceptibles de répondre à une panoplie de conditions. Non seulement ils devaient être capables de réaliser des investissements rapides et conséquents en vue de mettre en conformité leurs infrastructures selon un traité régional (la convention d’Helsinki de 1992 visant à protéger la Baltique), d’engager une ville fortement touchée par le chômage sur la voie du développement économique, mais devaient également être disposés à jouer le rôle d’exploitants sans pour autant être propriétaires des infrastructures durant la durée du contrat, à intégrer dans leurs pratiques le contrôle d’une autorité publique de régulation, en l’occurrence un syndicat de communes, à formuler un prix de l’eau supportable pour les citoyens et à reprendre la totalité du personnel employé dans le secteur [7]. Dans le contexte de la transition économique, la direction communale de la Treuhand avait validé la demande spécifique du maire et des communes environnantes : le patrimoine des infrastructures d’eau serait transféré directement à l’administration municipale (représentée par un syndicat, association de droit public ayant pour membre la ville de Rostock et des communes périurbaines) qui se laissait le choix d’en négocier la gestion avec l’exploitant qui lui semblerait le plus coopératif et le plus compétent. Cette prise de position juridico-organisationnelle se différenciait de celle d’autres municipalités qui avaient choisi de transférer le patrimoine et sa gestion à une entreprise municipale.
26 À Rostock, c’était l’unique condition pour que soit mise en œuvre une véritable démocratie dans la gestion des affaires communales, associant autonomie de gestion et ouverture du marché local face à la pression de VKU et de la CDU locale très favorables aux entreprises municipales, alors que celles-ci, à l’Est, n’avaient pas de compétence spécifique dans le domaine de l’eau [8]. C’était aussi une façon de contrecarrer les velléités du tout nouveau Land sur la gestion des infrastructures, via le maintien des anciens combinats régionaux transformés en société par actions estimés à l’époque plus compétents en ce domaine par l’autorité supérieure que la toute jeune administration municipale, tout comme une façon de freiner les convoitises territoriales des électriciens de l’Ouest, en leur opposant le principe constitutionnel de l’autonomie communale. Outre le soutien du maire, la Lyonnaise pouvait également compter sur le sénateur de l’environnement. Face aux 460,16 millions d’euros que supposait la création d’une station d’épuration et les travaux de raccordement, le sénateur se montrait pragmatique : le recours à un opérateur privé pouvait délester le budget des finances locales, déjà sollicité pour d’autres secteurs (comme l’éducation, les transports) [9]. Ses arguments faisaient écho à la toute jeune génération du PDS (ex SED) qui se montrait également ouverte à une offre qui ne lestait pas le budget communal. Ce raisonnement s’inscrivait aussi dans le refus d’adopter par principe une gestion publique au détriment d’un modèle d’exploitation privé tout aussi ancien et reconnu pour son efficacité. Il se nourrissait aussi d’échanges houleux avec un élu CDU, employé de l’entreprise municipale et hostile à l’idée d’être contrôlé par l’administration. En outre, les expériences municipales ouest-allemandes dont le sénateur avait eu vent confortaient son positionnement critique : la ville de Brême (SPD) dont l’entreprise municipale se portait candidate à la restructuration des infrastructures, ne lui semblait pas être un modèle du genre, tant la gestion des services urbains fonctionnait, selon ses informateurs, en vase clos, en l’absence de toute concurrence [10].
27 C’est ainsi qu’il faut comprendre l’ouverture, tactique, des nouvelles élites politiques à la Lyonnaise des Eaux, qui se montrait également pragmatique et partageait avec les élus l’ambition de créer un précédent. En dépit de l’opposition de la CDU et d’une lutte acharnée menée par les représentants des entreprises municipales alliés à WIBERA pour imposer le modèle communal, le négociateur de la Lyonnaise pouvait, également, s’appuyer sur les conseils de l’avocat de Düsseldorf qui avait obtenu les autorisations des ministères fédéraux pour le montage financier du dossier. À la périphérie de la municipalité se jouait en outre une bataille syndicale ouest-allemande dont la Lyonnaise a pu tirer profit : en se ralliant à l’offre de la major, le personnel de Nordwasser affirmait sa préférence pour un syndicat de l’industrie (IGBCE) contre le syndicat de la fonction publique (ÖTV aujourd’hui Ver.di), défenseur du modèle municipal.
Potsdam : Revirement stratégique en fonction du modèle ouest-allemand
28 Si, par la suite, dans le contexte de crise financière des communes, certaines coopérations avec les directeurs d’entreprises municipales ont été rendues possibles, la déconvenue de Potsdam montre les enjeux politiques et professionnels qui gravitent autour de l’arrivée d’une major sur le marché réunifié des services municipaux. Face à un endettement endémique des finances publiques, la coalition SPD-PDS de Potsdam décide de lancer le 17 mai 1997 un appel d’offre international visant à la création d’un partenariat public-privé, mettant en concurrence l’entreprise municipale d’électricité allié à l’entreprise municipale des eaux de Berlin et des opérateurs étrangers. À l’issue du vote municipal, la Lyonnaise remporte le contrat de coopération, donnant naissance le 1er janvier 1998 à une nouvelle entité : Eurawasser Potsdam GmbH. Pourtant un an et demi plus tard, la ville rompt le contrat. Les raisons de cette mésalliance tiennent à des désaccords politiques et professionnels sur la mise en œuvre du contrat, corollaires de l’arrivée de nouveaux venus dans la sphère publique locale.
29 À la périphérie d’Eurawasser Potsdam GmbH, le climat politique n’était pas propice à l’instauration d’une négociation sereine quand le moment vint pour le conseil municipal de se prononcer sur une nouvelle augmentation du prix de l’eau. Horst Gramlich (SPD), docteur en économie des finances et élu maire de Potsdam dans le contexte de la Réunification, qui avait signé le contrat avec Eurawasser et validé du même coup l’ouverture d’une partie du capital du patrimoine local à un actionnaire d’origine étrangère, venait de démissionner sous l’effet d’une pétition citoyenne engagée contre son adjoint impliqué dans une affaire de corruption liée au BTP. La nouvelle majorité municipale, conduite par Matthias Platzeck (SPD), n’appréciait guère d’être associée à un contrat signé dans un contexte de corruption [11]. Sans pour autant être en défaveur d’Eurawasser, Matthias Platzeck souhaitait éviter que son mandat soit entaché par une trop forte augmentation du prix de l’eau, qui laissait augurer un nouvel endettement des contribuables. Il en allait également de ses ambitions politiques : le jeune maire de 35 ans, originaire de Potsdam, briguait la place de premier ministre du Land de Brandenbourg et la présidence du parti social-démocrate (mandats qu’il exerça respectivement à partir de 2002, et de 2005 à 2006) [12].
30 En coupant court à toute nouvelle forme de négociation avec l’opérateur étranger sur le prix de l’eau, le nouveau maire de Potsdam, soutenu par le département des prises de participation, réaffirma l’autorité municipale dans l’intérêt des contribuables laissant sous-entendre que la demande d’Eurawasser ne tenait pas suffisamment compte des contraintes locales et qu’en l’espèce, l’entreprise devait redevenir propriété de la commune. Pourtant, après le vote de la majorité municipale, le prix de l’eau n’a pas retrouvé sa stabilité. Si l’on s’en tient au seul argumentaire de la Mairie officiellement repris par la presse [13], les conditions de la remise en cause du contrat de collaboration avec Eurawasser restent opaques. Si l’on replace cette rupture, au-delà de la fabrication du prix de l’eau dans laquelle les élites locales se sentaient dépossédées, dans le contexte plus large d’une politique orientée vers l’assainissement de la dette publique au nom de l’intérêt des contribuables, le positionnement de la municipalité à l’égard d’Eurawasser étonne. Car dénoncer un contrat a un coût (les honoraires des contre-experts) de même que le rachat par la commune des parts de l’opérateur privé. La seule maîtrise du prix de l’eau permet donc difficilement de comprendre le revirement du conseil municipal.
31 À Potsdam, la mise en œuvre du contrat était également source de conflits professionnels. Peter Paffhausen, directeur de l’entreprise municipale d’énergie, avait été nommé par la municipalité à la tête de la nouvelle entité de l’eau. Il gérait cette entité avec un directeur opérationnel et ingénieur français de la Lyonnaise venant de l’exploitation de Rostock. Si ces deux professionnels venaient du privé, ils ne parvenaient pas à s’entendre sur le partage des responsabilités en matière d’investissement [14]. En outre, le directeur municipal estimait que la conception du management qui avait été validée lors de la signature du contrat desservait les intérêts municipaux par l’absence de moyens de contrôle sur la partie privée. Le conseil municipal fut à ce titre sollicité par l’administration pour clarifier la position de la ville vis-à-vis d’Eurawasser : le directeur municipal reçut officiellement les pleins pouvoirs. Les difficultés de mise en œuvre du contrat subsistaient néanmoins : la présence de l’ingénieur français, pourtant soutenue par la Lyonnaise, était contestée par la direction municipale ; il y avait aussi des tensions au sein d’Eurawasser car les partenaires n’avaient pas la même conception du profit. Les conflits s’enlisèrent parce qu’ils ne pouvaient être régulés, par un tiers, contrairement à Rostock. Après la déconvenue de Potsdam, l’ingénieur français, nommé chef d’exploitation à Rostock, contribua à l’ancrage local d’Eurawasser, avec son homologue de Thyssen, par des actions de partenariats avec la ville et l’entreprise municipale de chauffage urbain, au-delà des changements électoraux et malgré des négociations très âpres sur le prix de l’eau avec le syndicat des communes [15].
32 Les alliances professionnelles recherchées par les élus de Potsdam ont joué en faveur d’acteurs locaux. C’est au moment où la municipalité créait une holding rassemblant les entreprises municipales d’eau et d’énergie que Peter Paffhausen qui avait montré son désaccord à l’égard d’Eurawasser, fut promu à la tête de cette entité. En valorisant un directeur allemand doté d’un double parcours, privé et public, tout se passe comme si les élites locales avaient choisi de restructurer leur économie d’approvisionnement de l’intérieur, c’est-à-dire sans recourir à des ressources en personnel extérieures, qui plus est, étrangères [16], si ce n’est à leur mode de fonctionnement et de raisonnement, du moins à la défense de leurs intérêts, et plus globalement de la tradition ouest-allemande. La nomination en 2007 de Peter Paffhausen à la vice-présidence de l’antenne Berlin-Brandebourg de VKU [17] irait dans ce sens [18].
Leipzig : Relations ambivalentes à l’égard de l’opérateur étranger
33 Contrairement aux deux cas précédents, à Leipzig, le rapport entretenu à l’égard des majors oscille entre la mise en place de coopérations circonstanciées et la défense du modèle communal d’origine ouest-allemande. Depuis la chute du Mur, la gestion du réseau d’eau y est restée dans le giron communal à l’issue d’intenses négociations qui eurent lieu, dans le contexte de la restitution des combinats, entre la Treuhand, la direction de l’ancienne VEB WAB, les nouveaux élus locaux et des communes périurbaines. L’option organisationnelle qui fut débattue et finalement choisie, celle de la création d’une société municipale de droit privé (Kommunale Wasserwerke Leipzig KWL) intégrant un syndicat intercommunal (ZVWALL) avec une participation à hauteur de 25,35 % du capital de l’entreprise, devait permettre de combiner logique d’efficience économique (la quête de synergies et d’économies d’échelles) et contrôle public sur les services, notamment la tarification [19]. Ce modèle a été impulsé par l’ancien adjoint au maire pour l’environnement qui était parvenu à établir une forte coopération avec les décideurs locaux des communes environnantes [20]. Dès sa prise de fonction, cet ingénieur doté d’une grande expérience acquise au sein de l’ancien combinat, se vit confier la réorganisation des services d’eau par le nouveau maire, venant de l’Ouest [21]. KWL, ainsi mise en place, se trouvait en porte à faux non seulement avec le modèle ouest-allemand d’entreprise municipale multi-services soutenu par les élites locales ouest-allemandes mais également avec le modèle de privatisation partielle prôné par la Treuhand. KWL, selon l’option organisationnelle sélectionnée, devait pouvoir développer une activité d’opérateur régional, notamment à travers le syndicat intercommunal. C’est notamment grâce aux recrutements de deux nouveaux directeurs en 1997, que KWL s’est imposée comme une entreprise municipale performante [22]. La même année, le conseil municipal décide de créer une holding, LVV, regroupant les entreprises d’eau, d’énergie et les transports en commun sous un même toit, et entérine la volonté de se conformer au modèle ouest-allemand.
34 Dans ce contexte, en dépit de l’implantation de sa principale filiale allemande (OEWA) à Leipzig depuis 1991, Veolia n’est jamais parvenue à nouer un partenariat durable avec une municipalité qui a construit sa gestion de l’eau par la mobilisation de ressources locales, en excluant l’actionnariat d’une major tout en l’expérimentant à la marge notamment à travers la gestion commune de l’entreprise Fernwasserversorgung Elbaue-Ostharz GmbH ou la participation à différentes associations des professionnels de l’eau. Le fait que l’ancien directeur technique de la société communale ait été élu en 2006 vice-président de la VKU (qui ne tolère qu’à hauteur de 25 % la participation d’un opérateur privé) ne porte probablement pas non plus à remettre en cause des choix antérieurs ni à prendre le risque d’un partage des responsabilités en matière de gestion des infrastructures, qu’impliquerait, comme nous l’a enseigné le cas de Potsdam, l’entrée d’une major, et donc d’un concurrent potentiel, dans le capital de l’entreprise. Par ailleurs, le syndicat intercommunal a montré son opposition à l’égard d’un modèle différent, en menaçant d’utiliser sa minorité de blocage au sein du conseil de surveillance dans l’éventualité d’une privatisation partielle de KWL [23].
La production de compromis ou la nouvelle gestion des affaires locales
35 Au regard du cas de Potsdam, il s’avère que la stabilité des alliances entre un opérateur étranger et une municipalité peut être finalement compromise au gré des changements politiques et des ambitions professionnelles, au profit d’une tradition municipale (ré-) importée. Par comparaison, à Rostock, la privatisation du mode d’exploitation des réseaux d’eau perdure au-delà des désaccords entre les partenaires, perpétuant l’exclusion d’un dispositif municipal (d’origine ouest-allemande). En revanche, à Leipzig, ce dispositif est âprement défendu depuis la Réunification, même si les coopérations avec les majors ne sont pas exclues. Ces attitudes complexes à l’égard de l’opérateur étranger nous conduisent à éclairer, comment se maintiennent à Rostock et à Leipzig des options organisationnelles qui remontent à la chute du Mur.
Les jeudis de l’eau ou comment « sauver le contrat »
36 À Rostock, tous les jeudis, la direction Eurawasser et le syndicat intercommunal se réunissent pour échanger des informations sur le suivi du contrat. Ces rencontres hebdomadaires sont cruciales pour le syndicat. Celui-ci représente l’administration des municipalités et en tant que tel a la charge de soumettre à l’approbation des élites locales les pratiques financières du groupe privé, qui sont ainsi discutées et négociées préalablement.
37 Pendant une dizaine d’années, le prix de l’eau a souvent été une question épineuse entre des partenaires qui n’en demeurent pas moins fermes sur les intérêts qu’ils ont à défendre, la rentabilité des investissements pour l’un, une facture d’eau socialement supportable pour l’autre. Si la quête d’un compromis n’a pas toujours été de l’ordre de la routine organisationnelle et connut des moments de crispation, accentués par des désaccords internes entre Thyssen et la Lyonnaise à propos de la politique des prix, les tensions ont toujours été maîtrisées et résolues en interne, l’arbitrage du prix de l’eau devant un tribunal étant synonyme de rupture définitive des relations contractuelles [24]. Suivant cette optique, l’opérateur étranger dut reconsidérer sa politique d’investissement à long terme et s’engager à ne pas dépasser un certain seuil d’augmentation, face au syndicat intercommunal en charge de réguler le prix de l’eau conformément aux contraintes budgétaires que lui impose le cadre fiscal communal.
38 L’une des composantes essentielles de la relative stabilité des relations contractuelles à Rostock tient à la mise en place d’un tel dispositif qui officialise les interdépendances, permet de réguler les tensions entre les partenaires, de modifier le contrat le cas échéant. L’issue des négociations tient aussi beaucoup, nous a-t-on dit, aux « personnes » qui en ont la charge. Pour intégrer cet argumentaire à l’analyse, il faut remonter à la genèse du contrat, car les individus les plus à même de se mobiliser pour maintenir les relations contractuelles partageaient une même expérience professionnelle datant du temps de la RDA, avaient défendu dès le début le projet du partenariat au nom du développement économique ou bien participé aux négociations avec l’opérateur étranger. Unis par le passé et l’avenir de la gestion de l’eau au Nord-est de l’Allemagne, disposés à conjuguer logique industrielle et vertu civique, ils n’avaient qu’une obsession, « sauver le contrat » [25].
39 Dieter Degener (côté Eurawasser) et Reinhard Lübker (côté syndicat intercommunal) étaient diplômés de l’Université technique de Dresde, lieu académique réputé pour la formation des ingénieurs en gestion de l’eau. Ils connaissaient bien l’univers des VEB WAB pour y avoir exercé une grande partie de leur carrière professionnelle principalement dans le Nord-est. Reinhard Lübker avait commencé comme apprenti et, grâce à la formation continue, était devenu directeur technique chez Nordwasser, à Rostock. Après son diplôme jusqu’en 1986, Dieter Degener avait été nommé responsable de l’ensemble des infrastructures d’eau dans l’ancien district du Neubrandenburg, dont l’exploitation était considérée comme un modèle du genre par la profession ; son parcours était associé au comité central dont il était membre. À partir de 1986, il avait occupé des fonctions importantes au sein du Ministère de l’environnement et de l’économie de l’eau ; celle de directeur du département des entreprises de l’eau, puis celle de porte-parole du Ministère.
40 Dans le contexte de la Réunification, chacun de son côté allait participer à la restructuration de l’économie de l’eau. Dieter Degener avait mis ses compétences au service de l’opérateur étranger. Il avait conseillé la Lyonnaise dans ses démarches auprès des professionnels de l’eau, puis avait été recruté par le groupe pour mettre en œuvre le contrat. Reinhard Lübker s’était repositionné du côté du pôle public. Lorsque Rostock et les communes périurbaines étaient redevenues propriétaires des infrastructures d’eau et avaient transféré la gestion de leur patrimoine à un syndicat intercommunal (Zweckverband), il avait saisi l’opportunité qui lui était offerte de se reconvertir. S’assurant un devenir professionnel avec des responsabilités d’encadrement, que la restructuration de Nordwasser (l’ancien VEB WAB) ne lui laissait guère augurer, il avait choisi de passer de « l’autre côté » [26], c’est-à-dire de mettre ses compétences au service des communes. Directeur du syndicat intercommunal, il était devenu l’interlocuteur incontournable de tous les professionnels candidats à la gestion des infrastructures d’eau, auprès desquels il faisait passer ses positions de principe : l’exploitation ne pouvait se faire sans la participation active et le contrôle du syndicat intercommunal. C’est sur cette base qu’il participa aux négociations avec l’opérateur étranger, en collaboration avec les sénateurs de Rostock.
41 Au moment où les relations contractuelles entre les partenaires laissaient présager une issue malheureuse face à des augmentations du prix de l’eau, que le syndicat des communes ne parvenait plus à justifier auprès des élites locales, Reinhard Lübker a pu trouver en Dieter Degener un allié de poids pour sauver le contrat. Celui-ci était devenu responsable des exploitations au sein d’Eurawasser-Berlin. Il avait participé à la formation du directeur français à Rostock, supervisé la modernisation des infrastructures, initié des changements organisationnels, promu la synergie des cultures professionnelles, apprenant lui-même le français. C’est ainsi qu’il est intervenu auprès de la direction parisienne de Suez afin que le modèle qu’il avait défendu au début des années 90 demeure un exemple de développement économique et ne soit pas associé à une quête maximale du profit. Les partenaires reprirent le dialogue, tandis que Thyssen peu enclin à négocier, vendait ses parts à Ondeo, une filiale de Suez, qui prenait ainsi le contrôle d’Eurawasser à 100 %. En 2003, il fut ainsi convenu et rendu public par Dieter Degener que l’opérateur privé limite l’augmentation du prix de l’eau au minimum, et ce jusqu’en 2006 [27]. La nouvelle équipe qui a pris la relève au sein de l’association s’efforce à ce qu’il en soit ainsi également pour les années à venir. Et si Suez Environnement a cédé en 2012 les parts d’Eurawasser à Remondis, filiale eau de Rethmann, un groupe familial allemand d’envergure internationale, la célébration, la même année, des vingt ans du « Rostocker Modell », n’en consacre pas moins une innovation contractuelle et organisationnelle, produit d’une restructuration du marché des services urbains née dans le contexte de la chute du Mur.
Le réseau April face à la privatisation des biens communaux
42 Contrainte par l’autorité administrative du Land de Saxe de diminuer sa dette publique, la ville de Leipzig, comme de nombreuses municipalités en Allemagne, oriente depuis quelques années sa politique vers la privatisation de son patrimoine communal. L’introduction d’une logique managériale dans la gestion des affaires publiques participe aussi de la mise en œuvre de cette stratégie d’apurement, comme l’atteste le recours, en janvier 2006, aux services de consultants afin d’expertiser les profits pouvant être générés de la vente des actifs communaux. S’inspirant de l’exemple de la ville de Dresde ayant vendu la totalité de son parc immobilier (WOBA) à l’investisseur américain Fortress en mars 2006, le conseil municipal de Leipzig engagea une réflexion sur les possibilités de vente de son parc immobilier. L’idée de la privatisation était loin d’y faire consensus.
43 C’est dans ce contexte que le réseau April fut créé à Leipzig en avril 2006 autour du syndicat de la fonction publique (Ver.di), Attac, l’association locale de défense des locataires ainsi que certains membres des fractions politiques minoritaires au conseil municipal, les verts et la gauche radicale (die Linke). Regroupant à l’origine une petite dizaine de personnes, le réseau visait à sensibiliser l’opinion publique sur le destin incertain du parc immobilier de Leipzig à travers l’organisation de débats portant sur la privatisation et la comparaison des expériences locales. En s’appuyant sur les verts et la gauche radicale, ses membres déposèrent une requête devant le conseil municipal visant à bloquer la vente du parc immobilier. Cette démarche fut également soutenue par différents conseillers municipaux, membres de la société gérant le parc immobilier. Le parti majoritaire (SPD) se rallia aussi à cette opposition et le conseil municipal vota finalement contre la vente du parc immobilier à Dresde. Le débat sur la privatisation se poursuivit néanmoins. Après le parc immobilier, l’avenir de la gestion publique des entreprises municipales est (re)devenu un enjeu politique [28].
44 La question de la gestion de l’énergie avait déjà été l’objet de controverses, après la réunification. En Saxe, Leipzig avait fait partie de ces communes qui, soutenues par VKU, s’étaient mobilisées contre le rachat par les majors de la totalité des actifs des entreprises locales d’énergie. Les tentatives de coopération entre RWE et l’entreprise municipale d’énergie de Leipzig (SWL) s’étaient soldées par des procédures judiciaires, la partie publique souhaitant racheter les parts de l’opérateur privé, en raison de désaccords nombreux. Plus tard, dans le cadre de la dérégulation du marché européen de l’énergie, l’équipe municipale avait décidé d’ouvrir le capital de SWL à la concurrence. L’entreprise communale d’énergie de Halle (Saxe Anhalt), la Meag, avait retenu la préférence des élus. Mais suite au rachat de la Meag par RWE, l’énergéticien redevenait nouvel actionnaire de l’entreprise d’énergie de Leipzig et les problèmes de coopération entre les deux anciens partenaires ressurgirent. D’un commun accord, RWE se désengagea à nouveau du capital de SWL lorsque l’administration des cartels lui demanda de choisir entre son investissement à Leipzig et son contrat fraîchement signé avec la ville de Wuppertal [29].
45 En juillet 2006, le maire SPD de Leipzig a présenté au conseil municipal son projet de privatisation partielle de SWL. Malgré le travail de lobbying effectué par les membres du réseau April notamment auprès des élus SPD, la décision d’ouvrir le capital de l’entreprise d’énergie de Leipzig par le biais d’un appel d’offres international fut votée à l’automne. Cette décision fut le produit d’un consensus fragile. D’un côté, le FDP et la CDU estimaient que la politique de privatisation du maire n’allait pas assez loin et qu’il fallait vendre les actifs de la holding qui comprenait également les services d’eau et les transports en commun. De l’autre côté, les élus Verts et de la gauche radicale s’opposaient fermement à une privatisation des entreprises municipales. Afin d’obtenir les soutiens du FDP et de la CDU, le maire de Leipzig s’engagea à ouvrir le capital de la holding à des investisseurs privés une fois la vente des actifs de SWL réalisée. Les membres d’April contestèrent ce vote et cherchèrent à le remettre en cause dans le cadre d’une initiative citoyenne, impliquant les électeurs de Leipzig au-delà de leurs mandants. Grâce à l’engagement de ses membres qui menèrent une campagne d’affichage tous azimuts, organisèrent des manifestations, mobilisèrent la presse, sollicitèrent l’avis de juristes, rallièrent les acteurs économiques de la ville et des personnalités locales à leur cause, le réseau April obtint que la vente des entreprises municipales soit questionnée au-delà de la sphère des débats municipaux, et finalement interdite pour une durée de quatre ans à l’issue d’un référendum populaire. La vente de 49 % des actifs de SWL à Gaz de France fut annulée. Veolia, également candidate, et qui selon les consultants de KPMG aurait été l’opérateur le plus propice à la création d’un partenariat du fait de son activité multi-service, n’a pas été retenue en raison d’une offre financièrement insuffisante.
46 Membre fondateur du réseau et originaire de Karl-Marx Stadt, aujourd’hui redevenue Chemnitz (Saxe), Mike Nagler fut l’un des acteurs clés de l’initiative citoyenne. C’est au cours d’un séjour en Bolivie en l’an 2000 qu’il s’est forgé son idée sur les moyens d’entraver le cours des privatisations : dans ce pays, la population se mobilisait contre l’augmentation du prix de l’eau, suscitée par l’arrivée du groupe privé américain Bechtel. Après son retour en Allemagne, la thématique de la privatisation orienta ses engagements. Son diplôme d’architecte en poche, il enchaîna des études d’ingénieur qu’il acheva par la rédaction d’un mémoire sur le cas de la gestion du parc immobilier de Dresde et les effets de sa privatisation. Parallèlement, il milita au sein du WASG (aujourd’hui intégré au parti die Linke). En tant que représentant du conseil étudiant de son université, il s’engagea vivement contre la politique de privatisation des universités. Pour Mike Nagler, cette lutte dépasse le simple cadre de l’éducation ce qui l’a poussé ainsi à s’investir dans d’autres domaines qu’il estimait pareillement menacés, d’où sa mobilisation contre la privatisation de SWL et en faveur de l’initiative citoyenne. Les contacts noués lors de ses activités militantes facilitèrent d’ailleurs l’action menée à Leipzig. Son engagement auprès d’Attac lui permit également d’obtenir des ressources matérielles et humaines pour mener à bien la collecte de signatures auprès de la population. Conscient qu’une procédure d’obstruction pouvait être déclenchée contre la validité de la procédure mobilisée, enseignement qu’il tirait de l’échec de l’initiative citoyenne menée à Dresde pour infléchir la privatisation du parc immobilier, il s’employa, avec les autres membres du réseau, à diversifier les tactiques de résistance face au conseil municipal, en recourant à la presse locale et à un avocat. Pour Mike Nagler, cette mobilisation s’accompagne de la conviction que les entreprises privées sont moins intéressées par le bien-être de la population locale que par la maximisation de leur profit, logique peu compatible avec la tradition allemande de la gestion publique des biens communaux.
Conclusion : De la capacité des acteurs au poids du passé
47 En introduisant les principes de l’autonomie de gestion et de l’économie de marché dans l’ancienne Allemagne de l’Est, la Réunification a créé les conditions historiques propices à l’affrontement entre modèles de services urbains ouverts à l’exportation et des conceptions politiques de l’action publique urbaine, au sein de territoires qui avaient été régis par le SED et une gestion centralisée de l’eau et de l’énergie.
48 Notre article montre que cet affrontement ne s’est pas fait de manière désincarnée. Par exemple, la valorisation de l’entreprise municipale passe par le canal de VKU qui mène des actions de lobbying auprès des élus locaux et mobilise des adhérents parmi les employés municipaux tandis que les opérateurs étrangers utilisent des surfaces de rencontre propices à la promotion de leur offre comme un cénacle de décideurs européens, une foire professionnelle, établissent des contacts avec des cabinets de consulting ou la haute administration ou bien encore négocient de petits contrats avec une municipalité pour se familiariser avec le terreau local.
49 Notre article montre que des individus porteurs – élites politiques locales, professionnels, syndicats intercommunaux et militants – jouent également un rôle dans cet affrontement, en mobilisant différentes ressources (juridiques, linguistiques, sociales) pour faire valoir leurs points de vue et rendre légitime leurs positionnements. Cet affrontement entre modèles révèle ainsi des enjeux de pouvoir, politiques et professionnels, entre des acteurs qui ne partagent pas la même conception de l’action publique urbaine. Loin d’être le simple effet d’une transposition fonctionnelle ou d’un esprit de conquête, comme pourrait le laisser penser littérature allemande associant la Réunification à une pratique coloniale (Dümcke & Vilmar 1996), ou d’une adhésion à une norme incontestée, selon l’institutionnalisme sociologique, l’adoption d’un modèle étranger est le produit de compromis ou peut susciter des conflits. L’affrontement entre modèles de service urbains révèle en outre que les choix décisionnels peuvent aboutir à des innovations organisationnelles, et ne sont donc pas une réplique mécanique d’un modèle dominant.
50 Par ailleurs, cet affrontement n’est pas forcément le résultat d’une opposition entre une conception publique ou privée de l’action publique urbaine, puisque le choix en faveur d’un mode d’organisation communale peut s’accompagner de la création d’une entité de droit privé, du recrutement d’ingénieurs ou être financé en partie par des fonds privés, ou bien parce que l’administration communale peut exercer un droit de contrôle sur les pratiques d’une major par le biais d’un syndicat. De même, des élus peuvent opter pour un opérateur étranger, non pas parce qu’il est privé, mais parce qu’ils souhaitent mettre en pratique leur conception de la démocratie, en ouvrant un marché, dominé par l’offre locale, à la concurrence.
51 À travers la comparaison de nos cas, nous avons montré que la stabilité d’un modèle dépend des configurations locales en présence et du degré d’influence des individus. À Rostock, on voit comment le modèle a tenu vingt ans plus tard, en raison d’un lien très fort unissant un représentant de la partie publique et un représentant de la partie privée, basé sur le partage des mêmes idéaux hérités de la chute du Mur. À Leipzig, le rejet de la privatisation de la gestion de l’eau ne serait probablement pas advenu si un militant, inspiré par les mouvements sociaux boliviens, n’avait pas déclenché un processus de mobilisation et de résistance, qui faisait écho aux revendications du syndicat municipal. À Potsdam, les enjeux de pouvoir entre les acteurs chargés de gérer une nouvelle entité juridique, à la suite du contrat signé entre la Lyonnaise et le maire de la ville, ont abouti à une situation de statu quo et de rupture. Contrairement à Rostock, aucun dispositif régulateur, à l’image des « jeudis de l’eau » n’avait été prévu, au cours du processus décisionnel, entre le gestionnaire français et l’entreprise communale pour neutraliser de potentiels conflits avec les élus ou faire face à une quelconque alternance électorale.
52 Notre angle d’analyse révèle ainsi que s’il existe de grandes structures stabilisées sur le long terme, elles ne s’affrontent pas de manière globalisée, mais à travers des vecteurs de transmission, des surfaces de rencontre et des individus porteurs. Cette approche, qui renvoie à une conception stratégique du rôle des acteurs, a été appliquée à des études de cas fortement marqués par des contextes de crise, propices à l’expérimentation, où les luttes, débats politiques et professionnels entre des acteurs aux intérêts contradictoires ont tendance à l’emporter sur les preuves matérielles qui n’existent pas encore ou ne sont pas considérées comme légitimes. Cette approche vaudrait-elle également pour des faits observés dans un contexte d’équilibre institutionnel ? À Rostock, l’expérience contractuelle commencée avec la Lyonnaise et poursuivie avec un groupe allemand, pose, d’un point de vue théorique, la question du changement. En effet, si l’on se réfère à une lecture néo-institutionnaliste qui accorde une place importante à l’histoire dans la compréhension de la persistance institutionnelle (North, 1990, Pierson, 2000), la stabilité du Rostocker Modell ne serait-elle pas l’expression d’une situation où les choix du passé ont fini par créer un sentier de dépendance, qui verrouille les voies de traverse, les alternatives, dont l’exploration s’avérerait trop coûteuse, et par là même tend à atténuer la capacité d’action et le degré d’influence de nouveaux entrants contraints par un dispositif organisationnel, porteur de règles et de représentations communes, héritage d’une innovation politique qui a vu le jour dans le contexte de la chute du Mur et la réunification ?
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Notes
-
[1]
L’économie d’approvisionnement (Versorgungswirtschaft) recouvre toutes les activités d’approvisionnement en eau et en énergie, et a fortiori les services d’assainissement, de ramassage des déchets et de transports en commun qui ont lieu au sein d’une collectivité locale.
-
[2]
RWE par exemple a été créé en 1898 suite à 10 ans de négociation entre une commune et un industriel. Une centrale électrique a été construite à Essen et le maire a siégé dès le début au conseil de surveillance. (Lorrain, 2000 : 98)
-
[3]
« VKU im Profil », Informationen zum Verband Kommunaler Unternehmen e.V., 2008, p. 10
-
[4]
Entretien, ancien négociateur de contrat, janvier 2008.
-
[5]
Entretien, ancien conseiller du Président, septembre 2007.
-
[6]
Le cas de Halle est particulièrement révélateur de cette course de vitesse : l’ancien patron de la VEB WAB, prêt à faire affaire avec la Lyonnaise, s’est finalement rangé du côté de la municipalité, hostile à l’offre de la major ; il fut nommé par la suite directeur de l’entreprise municipale d’eau et d’assainissement. L’impossibilité pour la Lyonnaise de prendre pied à Halle n’est probablement pas le fait du hasard : la Saxe-Anhalt constitue un des fiefs de VKU. Par contraste, à Rostock, à la même époque, le rapport de force politique semblait plus propice au négociateur du groupe qui avait proposé des aménagements contractuels.
-
[7]
Deutschland Kommunal 2/ 1993, p. 10. Entretien, ancien négociateur de contrats, janvier 2008. Entretien, ancien président de l’association des usagers de l’eau, février 2009. Entretien, ancien sénateur de l’économie, avril 2009.
-
[8]
Entretien, ancien maire de Rostock, mars 2008, avril 2009.
-
[9]
Entretien, ancien président de l’association des usagers de l’eau, février 2009.
-
[10]
Entretien, ancien sénateur de l’environnement, mars 2009.
-
[11]
Bien que la relation entre ce climat de corruption et le contexte de la privatisation n’ait jamais été établie par aucun des participants de la négociation. Entretien mars 2009, avocat, Düsseldorf.
-
[12]
Entretien, ancien manager à l’international, mars 2009.
-
[13]
Frankfurter Allgemeine Zeitung, 23.6.2000.
-
[14]
Entretien, ancien manager à l’international, mars 2009.
-
[15]
Entretien, ancien manager à l’international, mars 2009.
-
[16]
Un autre indice irait dans ce sens : l’arrivée de E.on dans le capital de l’entreprise d’électricité ne s’est pas traduite par un transfert du personnel de direction. S’agissant des autres entités de la Holding municipale, des directeurs allemands ont été recrutés pour leur expérience professionnelle dans le secteur privé. Entretien, responsable, section fusion et acquisition, Mairie de Potsdam, octobre 2008.
-
[17]
Zeitschrift für Kommunale Wirtschaft, 11.09.2007.
-
[18]
Le cas de Potsdam vaudrait également pour d’autres villes d’ancienne RDA. À Magdebourg, capitale du Land de Saxe-Anhalt, tout se passe comme si la prise de participations de la Holding municipale, Städtische Werke Magdeburg GmbH, par des opérateurs allemands, en l’occurrence une major d’électricité (E.on, 27 %) et une entreprise régionale (Gelsenwasser, 19 %), visait à protéger l’économie publique locale de capitaux étrangers. Ce montage organisationnel où prédomine la part de la Ville à hauteur de 54 % pourrait également être lié, comme à Potsdam, à la présence de VKU représenté à Magdebourg par un cadre dirigeant de la Holding qui préside la commission juridique et participe au conseil d’administration de l’association des entreprises municipales (Herdt, 2009).
-
[19]
Des développements organisationnels et stratégiques similaires ont pu être constatés dans d’autres villes est-allemandes, afin de faire face aux effets de la Réunification, comme à Frankfurt sur l’Oder (Wissen & Naumann, 2012).
-
[20]
Entretien, ancien adjoint au maire à l’environnement, octobre 2010.
-
[21]
Entretien, ancien maire de Leipzig, avril 2010.
-
[22]
Entretien, membre du conseil de surveillance de la Holding municipale de Leipzig (LVV), avril 2009.
-
[23]
Entretien, ancien directeur du syndicat intercommunal, février 2011.
-
[24]
Comme l’a confié le directeur commercial d’Eurawasser à la presse locale, Ostsee-Anzeiger, 10.12.2007.
-
[25]
Entretien, ancien Président de l’association des usagers de l’eau, février 2009.
-
[26]
Entretien, ancien Président de l’association des usagers de l’eau, février 2009.
-
[27]
Baltic Cities, Environmental Bulletin, nº 2, 2003, p. 17.
-
[28]
Entretien, initiateur du mouvement citoyen, juillet 2008.
-
[29]
Entretien, ancien président du comité d’entreprise de SWL, octobre 2009.