1 Élu de justesse, le 5 décembre 2014, par les députés du Landtag de Thuringe, Bodo Ramelow est le premier représentant de La Gauche radicale (die Linke) à diriger en Allemagne de l’Est un Land avec une coalition tripartite Gauche/SPD/Verts. Vingt-cinq ans après la chute du Mur de Berlin (9 novembre 1989), cette élection dérange à cause des antécédents communistes de La Gauche. Elle pose en outre deux questions de fond. S’agit-il, d’une part, d’une élection qui menace la démocratie allemande ou faut-il y voir au contraire une simple normalisation de cette dernière et le signe de l’intégration réussie des extrêmes ? La coalition tripartite au pouvoir à Erfurt est-elle, d’autre part, envisageable dans d’autres Länder et surtout au niveau fédéral, dans la perspective des élections de 2017 ? Dans ce cas elle écarterait du pouvoir les chrétiens-démocrates, déjà privés de leur allié traditionnel, le parti libéral FDP, en voie de disparition. Les réactions d’hostilité ont été à la hauteur des enjeux réels ou supposés. Le quotidien Berliner Morgenpost voit dans l’élection de Bodo Ramelow « quelque chose de macabre » et pour le secrétaire général de la CSU bavaroise le 5 décembre est « une journée de honte pour l’Allemagne réunifiée. »
2 Cette dernière n’oublie pas la fusion forcée d’avril 1946 entre le parti communiste/Kommunistische Partei Deutschlands, KPD (né à la fin de l’année 1918) et le parti social-démocrate/Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD (dont les origines remontent aux années 1860), donnant naissance au parti dominant, le parti socialiste unifié d’Allemagne/Sozialistische Einheitspartei Deutschlands. En zone soviétique puis dans la République Démocratique Allemande, RDA, à partir de 1949, le SED est devenu, avec la redoutable police secrète d’État, la STASI (Staatssicherheit), l’instrument de la dictature communiste. Lors de l’effondrement de la RDA, en 1989-90, le SED se transforme en SED-PDS puis en PDS (Partei des demokratischen Sozialismus/parti du socialisme démocratique). Ce dernier devient en 2007 Die Linke/La Gauche radicale, suite à la fusion avec la WASG, née du rassemblement des gauchistes venus du syndicalisme ouest-allemand et des déçus de l’aile gauche du SPD après les réformes du chancelier Gerhard Schröder. La WASG est l’Alternative électorale Travail et Justice Sociale/Wähleralternative Arbeit und Soziale Gerechtigkeit, fondée en 2004 comme association, puis transformée en parti un an plus tard, animée par Oskar Lafontaine après son départ du SPD. Ce dernier sera avec Gregor Gysi le premier coprésident de La Gauche, en 2007 ; il se retire en 2010 pour raison de santé. À l’Ouest, le PDS puis La Gauche obtiennent leurs meilleurs résultats en Sarre, grâce à l’engagement du Sarrois Lafontaine.
3 Cet article fera le point sur les conditions de l’élection de Bodo Ramelow, son gouvernement et son programme. Il étudiera ensuite les réactions des partis politiques, puis les commentaires à chaud de la presse allemande du 6 décembre 2014. Douze quotidiens ont été choisis pour donner une approche assez diversifiée des opinions :
4 Ces journaux sont parus le 6 décembre, aussi les citations mentionneront-elles le titre du journal, mais sans répéter chaque fois cette date, sauf pour les publications ultérieures. Deux autres titres ont été ajoutés : l’hebdomadaire Die Zeit (4 décembre) et Le Monde du 6 décembre qui, sous la plume de son correspondant à Berlin, consacre une page entière à l’élection de Thuringe.
- les trois principaux titres « suprarégionaux » : Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), Süddeutsche Zeitung et Die Welt ;
- trois titres diffusés dans l’ensemble de l’Allemagne : Bild Zeitung, Neues Deutschland et TAZ ;
- les trois quotidiens de Berlin : Berliner Morgenpost, Berliner Zeitung et Tagesspiegel ;
- un quotidien d’Allemagne de l’Est : le Leipziger Volkszeitung ;
- deux quotidiens du Bade-Wurtemberg : Badische Zeitung et Stuttgarter Zeitung.
Die Linke en 2014
28,2 % | Thuringe, 2014 | 18,6 % | Brandebourg, 2014 |
23,7 % | Saxe-Anhalt, 2011 | 18,4 % | Mecklembourg P.a., 2011 |
18,9 % | Saxe, 2014 | 11,7 % | Berlin, 2011 |
- 1998-2006, Mecklembourg P.a., Gouvernements Ringstorff, SPD
- 2002-2011, Berlin, Gouvernements Wowereit, SPD
- 2009- Brandebourg, Gouvernements Platzeck puis Woodke, SPD
- 2014- Thuringe, Gouvernement Ramelow, La Gauche (avec SPD et Verts).
La position de La Gauche comme troisième parti aux élections fédérales de 2013 (8,6 %) est confirmée par les sondages d’opinion de fin décembre 2014 (Gauche : 11 % et Verts : 10 %). Source : Stern, 02.01.2015, Forsa-Institut, Berlin.
Élections fédérales 2013 et sondages déc. 2014 (%)
Élections fédérales | Sondage | Élections fédérales | Sondage |
22.09.2013 | déc. 2014 | 22.09.2013 | déc. 2014 |
CDU-CSU 41,5 | 42 | AFD 4,7 | 5 |
SPD 25,7 | 23 | FDP 4,8 | 2 |
Gauche 8,6 | 11 | Autres 6,3 | 7 |
Verts 8,4 | 10 |
Élections fédérales 2013 et sondages déc. 2014 (%)
NB. Pour éviter chez le lecteur toute confusion entre la gauche (les partis qui professent des idées progressistes) et Die Linke, nous mentionnerons cette dernière avec deux majuscules La Gauche, sans oublier que ses idées peuvent aller au-delà de ce que préconise la gauche socialiste et communiste. L’expression « gauche radicale » couvre une partie seulement et non pas la totalité du programme.
I. L’élection de Bodo Ramelow
6 Peu connu hors de Thuringe, considéré surtout comme un homme d’appareil, Bodo Ramelow a suscité une forte hostilité quand la probabilité de son élection s’est précisée, même si son gouvernement et son programme ne bouleversent pas la vie politique. Comme d’autres ministres-présidents en Allemagne de l’Est depuis 1990 (Kurt Biedenkopf, CDU, en Saxe, de 1990 à 2004 ; Bernhard Vogel, CDU, en Thuringe, de 1992 à 2003 et Erwin Sellering, SPD, dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, depuis 2008), Bodo Ramelow est né à l’Ouest le 16 février 1956, à Osterholz – Scharmbeck (Basse-Saxe), la réunification ayant bouleversé le cours de sa vie. Il est le cadet d’une famille de quatre enfants, marquée par un protestantisme conservateur et sans engagement politique. Le père, négociant en produits alimentaires, meurt dès 1967, la mère fait des ménages (comme celle de Gerhard Schröder, SPD, chancelier fédéral de 1998 à 2005). Bodo Ramelow quitte à 14 ans l’école, où il ne brille pas (il souffrait d’une dyslexie) pour devenir employé de commerce à Giessen puis à Marburg où il gère la succursale d’un grand magasin. Après le baccalauréat dans un lycée professionnel, il ne consacre pas plus d’un semestre aux études universitaires. À partir de 1981 il est employé en Hesse centrale comme permanent du syndicat Commerce, Banques et Assurances, HBV. Au journal Le Monde, il confie qu’il connaissait mieux la France que la RDA où il rendait parfois visite à des membres de sa famille.
7 En 1990, il est envoyé en Thuringe, Land voisin de la Hesse, pour participer à la mise en place des nouvelles structures syndicales dans l’ancienne RDA. Prévu à l’origine pour trois mois, le séjour dans ce Land dure déjà depuis plus d’un quart de siècle ! À la tête du HBV en Thuringe en 1990, il préside aussi le conseil de surveillance de la coopérative de logements Zukunft à Erfurt, en 1992. Il se fait connaître par sa lutte pour sauver des entreprises et des emplois. Proche du petit parti communiste ouest-allemand (le Deutsche Kommunistische Partei), il est surveillé par les services de renseignements allemands ; après l’interdiction de l’ancien KPD par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en 1956, un nouveau parti communiste, le DKP, est autorisé à l’Ouest en 1968. La carrière politique de Bodo Ramelow commence véritablement en 1999 avec l’adhésion au PDS et l’élection comme député au Landtag ; en 2004, il dirige déjà le groupe parlementaire et devient chef de file aux élections régionales de la même année. Organisateur de la campagne fédérale pour les élections de 2005, il entre au Bundestag (2005-09) et accède au comité directeur fédéral du PDS. Il participe aux négociations pour la fusion entre le PDS et la WASG qui donnent naissance à Die Linke en 2007. En 2009, il est de nouveau élu député régional à Erfurt ; après la vice-présidence, il obtient la présidence du groupe au Landtag. Le projet de coalition Gauche/SPD/Verts, qui échoue en 2009, malgré une majorité de 51 sièges sur 88, réussit cinq ans plus tard car selon Bodo Ramelow les trois partis se connaissant mieux ont noué des rapports de confiance.
8 Bodo Ramelow passe pour être un homme politique intelligent, engagé et compétent, avec un sens développé des questions sociales. Facilement irritable, il est redouté pour son impatience et ses colères. Très pragmatique et bénéficiant d’un fort ancrage régional, il n’est pas considéré comme un véritable gauchiste mais plutôt comme un réformateur, un marxiste qui revendique sa foi chrétienne (Le Monde).
Des marques d’hostilité
9 Deux ressortissants de l’ancienne RDA, devenus les plus hauts représentants de l’État fédéral, manifestent ouvertement leur désapprobation avant l’élection de Bodo Ramelow à la tête du gouvernement de Thuringe. Joachim Gauck, autrefois pasteur à Rostock, en RDA, militant des droits civiques, président de l’Office chargé d’exploiter les archives de la Stasi de 1990 à 2000 et président de la République fédérale depuis 2012 s’exprime sans détour : « Pour des gens qui ont vécu en Allemagne de l’Est et qui ont mon âge, c’est difficile à accepter » (Le Monde). Lors d’un débat à Berlin le 10 décembre, le président Gauck admet toutefois que Bodo Ramelow s’est engagé sur la bonne voie avec le discours du 5 décembre ; il aurait compris que la crédibilité de La Gauche se jouerait sur la question du rapport au passé communiste et qu’il fallait attendre les résultats concrets de son action (FAZ, 11.12.2014). La chancelière Angela Merkel, CDU, ne veut pas « faire entrer Karl Marx dans les bureaux du gouvernement régional », elle s’inquiète aussi des dangers que représente une telle élection pour la politique extérieure allemande car les Länder et le Bundesrat jouent un rôle non négligeable dans l’élaboration et la mise en application des accords internationaux (Leipziger Volkszeitung).
10 Lors d’une manifestation publique au Bundestag, pour la commémoration du 25e anniversaire de la chute du Mur de Berlin, le chanteur et ancien dissident Wolf Biermann, expulsé de RDA en 1976, attaque très durement Die Linke. Dans une lettre aux manifestants à Erfurt, les 4 et 5 décembre 2014, l’écrivain Rainer Kunze accuse Gregor Gysi (député fédéral et président du groupe La Gauche au Bundestag) et sa collègue Sahra Wagenknecht (également membre du Bundestag depuis 2009 mais située plus à gauche) de vouloir renverser le système politique, économique et social de la République fédérale au bénéfice du socialisme mondial (FAZ). L’organisation qui regroupe des victimes de la STASI considère qu’on se moque de ces dernières : « Les anciens camarades du SED et les délateurs de la STASI dirigent maintenant le Land » (Stuttgarter Zeitung).
11 Les manifestations devant le Landtag de Thuringe, les 4 et 5 décembre, s’en prennent à La Gauche et au SPD, avec des slogans comme : « Les communistes changent parfois de nom mais jamais d’objectif », ou bien : « Seuls les veaux les plus stupides choisissent leur boucher » (FAZ). Des banderoles exigent : « Pas de pouvoir pour les communistes » (Die Welt). Des militants de la Junge Union (CDU-CSU) crient des slogans très hostiles : « Assassins du Mur », « STASI raus », « La conscience du SPD meurt aujourd’hui » (Süddeutsche Zeitung). L’ancien quotidien du SED, Neues Deutschland, organe d’information officiel de la RDA, resté proche des milieux communistes, déplore un tel rejet : « Des manifestations, des appels et une véritable campagne des médias contre la coalition Gauche/SPD/Verts en Thuringe ».
L’élection de Bodo Ramelow
12 Pressentie par les sondages d’opinion depuis le printemps 2014 et confirmée par les résultats du 14 septembre, l’issue incertaine du scrutin contribuait à attiser les tensions. Sans revenir en détail sur le vote (cf. notre article dans Allemagne d’Aujourd’hui, n° 210, oct.-déc. 2014), seules les principales données seront rappelées ici.
Élections régionales en Thuringe du 14 septembre 2014
Inscrits : 1 812 249 | Nombre de sièges : | 91 | ||||
Participation : 52,7 % (- 3,5 %) | Majorité absolue : | 46 | ||||
Voix % | +/- % | sièges | +/- | Coalitions envisageables | ||
CDU | 33,5 | + 2,3 | 34 | + 4 | CDU : 34 s. | Gauche : 28 |
Gauche | 28,2 | + 0,8 | 28 | + 1 | SPD : 12 s. | SPD : 12 |
SPD | 12,4 | - 6,1 | 12 | - 6 | Verts : 6 | |
AFD | 10,6 | + 10,6 | 11 | + 11 | sièges : 46 | 46 |
Verts | 5,7 | - 0,5 | 6 | 0 | ||
FDP | 2,5 | - 5,1 | 7 | - 7 | ||
NPD | 3,6 | - 0,7 | ||||
Autres | 3,6 | - 1,2 | ||||
Total | 100,0 % | 91 |
Élections régionales en Thuringe du 14 septembre 2014
13 La majorité sortante (CDU : 34 sièges et SPD : 12) parvient tout juste à la majorité absolue de 46 sièges. Mais le SPD ne veut pas renouveler cette expérience, s’estimant mal traité par la CDU et ayant subi un fort recul dans les urnes (- 6,1 %). Les Verts refusent aussi de s’allier à la CDU, cette dernière rejetant catégoriquement de son côté toute coalition avec l’Alternative für Deutschland/L’Alternative pour l’Allemagne, l’AfD, le nouveau parti populiste et eurosceptique (11 s.), qui ne lui permet pas d’atteindre la majorité absolue (34 + 11 = 45 sièges). Fondée le 6 février 2013, l’AfD manque de peu son entrée au Bundestag en septembre 2013 (4,7 %), mais elle fait élire 7 députés au Parlement européen en mai 2014 et entre quelques mois plus tard dans les parlements régionaux de Saxe, Brandebourg et Thuringe. Par sa présence dans ce dernier Landtag, elle contribue à mettre hors jeu la CDU, désormais condamnée à attendre les résultats des négociations du camp adversaire, dans l’espoir d’un éventuel échec. Des pourparlers auraient eu lieu entre la CDU et l’AfD, mais sans aboutir à des décisions concrètes (Der Spiegel, 08.12.2014). Après deux mois d’entretiens serrés, les trois partis (Gauche, SPD et Verts) font entériner leur accord par les organes dirigeants de leurs partis respectifs et par les adhérents. La constitution de Thuringe exige aux deux premiers tours pour l’élection du Ministre-Président la majorité absolue des voix du Landtag, en l’occurrence 46, une majorité simple suffisant au troisième tour. Juristes et constitutionnalistes sont en désaccord sur la question de savoir si lors du troisième tour le candidat doit obtenir plus de « oui » que de « non » pour être élu, en l’absence d’un autre concurrent. En cas d’échec de Bodo Ramelow aux deux premiers tours, la CDU envisage de présenter un candidat sans appartenance partisane. Il s’agit de Klaus Dicke, ancien recteur de l’université d’Iéna, susceptible d’attirer les voix de plusieurs partis. Christine Lieberknecht, CDU, Ministre-Présidente sortante, et Mike Mohring, le nouvel homme fort de la CDU régionale, ne voulant pas prendre le risque d’une candidature à l’issue incertaine.
14 Les majorités étroites réservent parfois des surprises désagréables, de façon curieuse surtout aux femmes. On se souvient de l’échec de Heide Simonis, SPD, Ministre-Présidente sortante du Schleswig-Holstein, qui voulait former en mars 2005 une coalition avec les Verts, soutenue par le petit parti danois SSW (Südschleswigscher Wählerverband) et à qui il manquait toujours une voix. La candidate se retira après le quatrième tour. En novembre 2008, la présidente du SPD de Hesse, Andrea Ypsilanti voulut devenir Ministre-Présidente avec les voix des Verts et le soutien sans participation gouvernementale de La Gauche. Quatre députés dénoncèrent ce projet d’accord à cause du passé communiste de La Gauche et mettant en doute l’engagement démocratique de ce parti. La carrière politique régionale de Madame Ypsilanti fut brisée. Trois autres femmes ont connu les affres du second et même du troisième tour pour l’une d’entre elles. En juillet 2010, il manqua une voix à Hannelore Kraft, SPD, pour être élue Ministre-Présidente du grand Land de Rhénanie du Nord-Westphalie. Grâce à l’abstention de La Gauche, elle passa au second tour avec les voix du SPD et des Verts (elle sera réélue sans problème après les élections régionales de 2012). En août 2011 Annegret Kamp-Karrenbauer, CDU, ne fut élue en Sarre qu’au deuxième tour (26 voix sur 51) à la tête d’une coalition CDU/FDP/Verts. La nouvelle Ministre-Présidente de Thuringe, Christine Lieberknecht, CDU, ne fut élue qu’au troisième tour en octobre 2009, une voix manquait aux deux premiers. La coalition CDU-SPD obtint finalement 55 voix contre 27 à Bodo Ramelow (qui ne s’était pas présenté aux deux premiers tours) et 5 abstentions (Berliner Morgenpost).
15 Le 5 décembre 2014 à 10 heures, le président du Landtag de Thuringe, Christian Carius, CDU, ouvre la séance ; pour dissiper les inquiétudes, il présente l’élection du Ministre-Président comme une démarche naturelle. « La démocratie vit de la concurrence, du respect et du sang froid » (FAZ). Avec 45 voix au premier tour, Bodo Ramelow manque d’une voix la majorité absolue. Le second tour, dans une atmosphère crispée, lui donne finalement peu avant 11 heures les 46 voix requises. Dans la mesure où l’abstention et la voix nulle du premier tour se retrouvent au second tour, on constate que Bodo Ramelow doit son élection à une voix « non » du premier tour qui se reporte sur lui au second tour. Pour de nombreux commentateurs, ce « non » devenu « oui » illustre toute la fragilité de la nouvelle coalition.
Les voix des deux tours le 5 décembre 2014
1er tour | 2e tour | |
Ramelow | 45 | 46 (majorité absolue) |
Non | 44 | 43 |
Abstention | 1 | 1 |
Nulle | 1 | 1 |
Total | 91 voix | 91 voix |
Les voix des deux tours le 5 décembre 2014
16 Selon le rite démocratique traditionnel, Bodo Ramelow accepte son élection et prête serment devant le président du Landtag et l’ensemble des députés et invités. « Je jure de consacrer mes forces au bien-être de la population, à la protection de la constitution et des lois, et d’exercer mes fonctions en conscience et dans la justice de tous ». Le marxiste protestant pratiquant ne prononce pas la formule finale, non obligatoire : « Que Dieu me vienne en aide. » Un gros titre de Die Welt, du 6 décembre, est ainsi rédigé : « Un Ministre-Président de gauche sans l’aide de Dieu ».
17 Lors de sa première déclaration devant le Landtag, juste après la prestation de serment, Bodo Ramelow, soulignant qu’il veut être le Ministre-Président de toute la Thuringe, lance un appel à une coopération confiante avec l’opposition et rend un hommage appuyé à Christine Lieberknecht et au président du groupe parlementaire CDU, Mike Mohring. Il fait sienne la formule prononcée à Ahlen en décembre 1985 par Johannes Rau, à l’époque Ministre-Président de Rhénanie du Nord-Westphalie et candidat SPD à la chancellerie : « Réconcilier et non pas diviser ». Il surprend le public en présentant très clairement des excuses aux victimes de la STASI et en précisant que la question du passé communiste de son parti et de la RDA fera l’objet d’un débat approfondi. Il s’adresse à « un ami paternel », assis parmi le public, Andreas Möller, détenu dans les prisons de la STASI entre 1962 et 1965 à cause de ses activités de « passeur » entre les deux Allemagne ; libéré grâce à une rançon payée par Bonn, il devint plus tard journaliste du Bild Zeitung. « La formation politique à laquelle j’appartiens a ses origines dans un parti qui s’est comporté de façon injuste vis-à-vis d’Andreas Möller. À toi et à tes camarades, je ne peux que transmettre mes excuses. » (FAZ). Comme pour souligner l’importance de ses préoccupations sociales, il annonce sa première décision gouvernementale : l’arrêt de l’expulsion des réfugiés pendant l’hiver 2014-15.
Le gouvernement Ramelow
18 Présenté le même jour, 5 décembre, le gouvernement compte 9 ministres, 4 appartenant à La Gauche, 3 au SPD et deux aux Verts ; il y a 5 femmes et 4 hommes (la parité est respectée si on compte le chef du gouvernement). Moyenne d’âge : 50,8 ans (sans Ramelow). La plus jeune des ministres, Anja Siegesmund (Verts), a 37 ans, la plus âgée, Birgirt Klaubert (La Gauche) 60 ans. Un des ministres est originaire d’Allemagne de l’Ouest (Holger Poppenhäger). Sur les 4 ministres de La Gauche, 3 ont adhéré au SED ; le 4e, Benjamin-Immanuel Hoff, né en 1976, âgé de 13 ans en 1989, était trop jeune pour appartenir à ce parti. Contrairement à Bodo Ramelow, plusieurs ministres ont déjà une expérience gouvernementale en Thuringe, en Saxe ou à Berlin et même au niveau fédéral (Tiefensee) ; indépendamment de leurs sièges de députés, d’autres ont assumé d’importantes fonctions parlementaires au sein du Landtag ou de leur groupe politique. La Thuringe ne sera pas gouvernée par des novices, c’est un des avantages du fédéralisme.
- Benjamin-Immanuel Hoff, La Gauche, 38 ans, berlinois. Ministre à la chancellerie (Services du Ministre-Président), chargé également de la Culture, des Affaires fédérales et européennes. A été secrétaire d’État dans le gouvernement régional de Berlin.
- Birgit Klaubert, La Gauche, 60 ans. Ministre de l’Éducation. A été vice-présidente du Landtag, députée depuis 1994. Porte-parole du groupe parlementaire pour les questions culturelles. Ancienne enseignante et membre du SED.
- Holger Poppenhäger, SPD, 57 ans. Ministre de l’Intérieur. Juriste, a travaillé dans l’administration du Landtag. Ministre de la Justice du gouvernement sortant CDU-SPD. Né à Kassel (Allemagne de l’Ouest), spécialiste de droit européen.
- Heike Werner, La Gauche, 45 ans. Ministre du Travail et des Questions sociales. 2009-14 : présidente de la commission des Affaires sociales et de la Protection des consommateurs, au Landtag de Saxe. A été membre de la FDJ et du SED.
- Heike Taubert, SPD, 55 ans. Vice Ministre-Président et ministre des Finances. 2009-14 : ministre des Questions sociales. Députée depuis 2004, vice-présidente du SPD régional, chef de file du SPD aux élections régionales de 2014.
- Dieter Lauinger, Verts, 52 ans. Ministre de la Justice, chargé aussi des questions de migration et de protection des consommateurs. Juriste, ancien juge au tribunal régional d’Erfurt. Porte-parole des Verts depuis 2009.
- Wolfgang Tiefensee, SPD, 59 ans. Ministre de l’Éducation et de la Science. A été maire de Leipzig (1998-2005), ministre fédéral de la Construction et des Transports (2005-09) dans le gouvernement Schröder, député fédéral depuis 2009, porte-parole du groupe SPD pour les questions économiques.
- Birgit Keller, La Gauche, 55 ans. Ministre de l’Infrastructure et de l’Agriculture. À fait une carrière politique sur le plan communal ; depuis 2012, Landrätin du Kreis de Nordhausen. Membre de la FDJ et du SED.
- Anja Siegesmund, Verts, 37 ans. 2003-09 : attachée parlementaire à Erfurt de Katrin Göring-Eckardt, présidente du groupe des Verts au Bundestag. 2009-14 : présidente du groupe des Verts au Landtag.
20 Né en 1955 à Gera (RDA), Wolfgang Tiefensee, SPD, est incontestablement le ministre le plus connu ; il apporte en plus de son expérience politique et de ses compétences, une sorte de caution morale à la nouvelle équipe. Né en 1955, il n’a pas appartenu à la Freie Deutsche Jugend, FDJ (Jeunesse allemande libre), n’a pas participé à la « Jugendweihe » (une cérémonie laïque destinée aux adolescents de 14 ans, comme rite de passage chez les adultes) et s’est refusé à faire le service militaire avec des armes. Par sa participation active au mouvement des droits civiques en 1989-90 et par sa présidence de l’association « Contre l’oubli – Pour la démocratie » il a prouvé qu’il ne s’est pas accommodé du régime de la RDA. Par sa biographie et ses engagements, il espère contribuer utilement à l’effort de confrontation avec le passé communiste.
21 Dans un entretien accordé au Leipziger Volkszeitung il explique qu’il faut s’occuper en particulier des détenus politiques de RDA (plus de 200 000) et des nombreuses victimes tombées devant le Mur de Berlin ou le long du rideau de fer entre les deux Allemagne. Il ne s’offusque pas de la présence au Landtag d’Erfurt de deux députés de la Gauche, connus comme anciens collaborateurs de la STASI. « Ils sont élus et démocratiquement légitimés, la révolution de 1989 a été pacifique ». Les êtres humains sont capables de réfléchir et de changer. « Je ne désire pas écarter mais au contraire intégrer ceux qui se renouvellent intérieurement. » Contrairement à son frère, membre du SPD, Volker Tiefensee, 58 ans, est député régional CDU en Saxe. Dans le même numéro du Leipziger Volkszeitung il déclare « comprendre difficilement » l’entrée de Wolfgang dans un gouvernement dirigé par un membre de La Gauche ; il considère comme « impossible » la nouvelle coalition d’Erfurt.
Programme gouvernemental
22 Une semaine après son arrivée au pouvoir, Bodo Ramelow présente aux députés un programme gouvernemental ambitieux, correspondant au contrat de coalition des trois partis, signé le 19 novembre. Il promet une aide financière aux communes, dans le cadre des possibilités budgétaires et une réforme territoriale pour réduire le nombre des « Kreise ». La première année de garderie pour les petits enfants sera gratuite. Un effort particulier bénéficiera à l’enseignement et à la culture avec l’embauche de 500 enseignants supplémentaires par an, l’élaboration d’un programme « Enseignement et Recherche », le maintien de tous les théâtres et orchestres du Land. Le soutien aux PME mobilisera tous les fonds disponibles au niveau régional, fédéral et européen. Un nouveau programme régional contre l’extrême droite sera élaboré. Une réforme des services de renseignements (et non leur suppression) est annoncée ; Bodo Ramelow a souffert de la surveillance dont il a fait l’objet au nom de la protection contre le communisme. L’affaire du gang néo nazi NSU qui en dix ans a assassiné dix personnes (huit Turcs, un Grec et une femme policier) sans être inquiété, prouverait que l’extrême droite avait infiltré les milieux du renseignement. La cellule terroriste Nationalsozialistischer Untergrund, NSU, en Saxe, a été découverte en décembre 2011 ; elle donne lieu actuellement à un procès à Munich et à une commission d’enquête au Landtag de Saxe.
23 Pour Mike Mohring, président du groupe CDU au Landtag et président régional de la CDU, le milliard de dépenses supplémentaires liées à ce programme n’est pas financé, à moins de ne pas respecter l’équilibre budgétaire imposé par la constitution. « Si vous réalisez vos promesses, vous ruinerez le Land. » Mike Mohring doute fortement de l’adoption de la réforme des structures territoriales avec une majorité aussi étroite au Landtag. Le président du groupe parlementaire AfD, Björn Hocke, reproche au « bloc rouge » de vouloir « faire disparaître l’Allemagne ». Le projet d’accorder le droit de voter aux étrangers est inspiré par « l’égoïsme pur » d’une coalition qui veut gagner à elle de nouveaux électeurs. Le président du groupe parlementaire des Verts, Dirk Adams, appelle la CDU à l’humilité car lors de son passage au pouvoir le Land s’est endetté de 16 milliards d’euros. (FAZ, 13.12.2014). Les partis sont au premier rang dans ce débat.
II. Les réactions des partis
24 L’appartenance à la nouvelle majorité ou au contraire à l’opposition détermine les réactions partisanes face à l’élection de Bodo Ramelow.
Les partis de la coalition
25 À l’exception de l’explosion de joie dans les rangs des députés de La Gauche lors de la proclamation des résultats du second tour, le parti reste plutôt discret, évitant tout triomphalisme, sans doute pour ne pas effrayer les partenaires de la coalition et ses nombreux détracteurs. Figure de proue du PDS, puis de La Gauche, actuel président du groupe parlementaire au Bundestag, Gregor Gysi se déplace même de Berlin à Erfurt, comme pour s’assurer du bon déroulement des opérations. « C’est un grand jour et même une belle journée dans ma vie… Je suis heureux de vivre un tel événement » (Süddeutsche Zeitung). Il se réjouit que La Gauche soit mieux acceptée, « le parti doit en être fier », il envoie de surcroît un signal important au niveau fédéral (FAZ). Les Verts n’obtiennent que 5,7 % et perdent 0,5 % aux élections de septembre ; leur marginalité et la chance de participer pour la première fois au gouvernement régional suscitent chez eux beaucoup de retenue car la barre des 5 % est toute proche.
26 Les explications et justifications du SPD à Erfurt et à Berlin sont naturellement très attendues en raison des rapports avec le communisme et des incidences du vote au niveau fédéral. Tous les membres du parti ne réagissent pas avec la maîtrise des dirigeants. Le Berliner Zeitung publie une lettre de protestation et de démission envoyée par un militant, Stefan Sandmann, au président Gabriel. Il reproche à ce dernier d’avoir « trahi » les valeurs fondamentales de la social-démocratie et condamne vigoureusement « la refondation du SED en Thuringe » (Berliner Zeitung).
27 Très échaudé par la reculade en septembre de son parti à 12,4 % (- 6,1 %), le président régional, Andreas Bausewein, espère que le SPD va affermir sa ligne politique grâce à ses responsabilités ministérielles. Dans un entretien avec le Berliner Zeitung, Thomas Oppermann, président du groupe SPD au Bundestag depuis décembre 2013, considère Bodo Ramelow comme « un homme politique pragmatique et raisonnable… Je compte sur un gouvernement stable et auquel on peut faire confiance. » Il ne croit pas à un rapprochement Gauche/SPD au niveau fédéral car le groupe des députés de La Gauche au Bundestag est « complètement incapable de gouverner ». Les positions des deux partis sur les questions de politique extérieure sont incompatibles. « Peut-être que Bodo Ramelow aidera à long terme son parti à adopter des positions plus réalistes. » L’hostilité de la CDU au niveau fédéral risque-t-elle de menacer la grande coalition dirigée par Angela Merkel ? Tournant en dérision cette « agitation exagérée », le dirigeant SPD recommande plus de calme.
28 Le long entretien avec Sigmar Gabriel (président fédéral du SPD depuis novembre 2009 et ministre fédéral de l’Économie depuis décembre 2013), publié dès le 6 décembre par la FAZ, veut rassurer les deux camps et calmer les appréhensions. Il explique tout d’abord que le SPD ne peut poursuivre l’expérience désastreuse de la coalition avec la CDU en Thuringe (2009-14) en raison des diffamations et des injures proférées par les chrétiens-démocrates contre les sociaux-démocrates. Nous n’avons pas trouvé le 6 décembre de prise de position CDU contre cette accusation. Il moque « l’hystérie » grotesque du débat sur Bodo Ramelow, comme si ce dernier s’apprêtait à réintroduire le socialisme de RDA. Il rappelle qu’en 1990 la CDU d’Allemagne de l’Ouest n’éprouvait pas de scrupules moraux à s’approprier les biens, les permanents et les membres de la CDU de l’Est. Au niveau régional, la Gauche appartient au « spectre démocratique tout à fait normal de la République fédérale ». La nouvelle coalition en Thuringe prendra « un sens plus élevé » si des hommes pragmatiques comme Bodo Ramelow jouent un rôle politique plus important dans la Gauche. En revanche, celle-ci n’est pas en mesure de participer à une coalition au niveau fédéral car le ton est donné pas des « extrémistes de gauche », des personnes sectaires qui espèrent ainsi gagner le vote des mécontents. La secrétaire générale du SPD, Yasmin Fahimi, dresse un inventaire réjouissant car, avec la Thuringe, le SPD gouverne désormais dans 14 Länder sur 16 (à l’exception de la Bavière et de la Hesse), par le biais de différentes coalitions, indépendamment de sa participation au gouvernement fédéral de grande coalition. Elle conseille à la CDU d’être « une bonne perdante » et de renoncer à la « chasse aux démons » contre La Gauche qui ne conduira à rien (FAZ).
L’opposition
29 Écartée du pouvoir après une longue domination, la CDU ne dissimule pas son amertume. La Ministre-Présidente sortante, Madame Lieberknecht, s’exprime peu, contrairement au nouvel homme fort du parti, Mike Mohring, président du groupe CDU au Landtag et président régional de la CDU depuis le 13 décembre. Lui, il retient surtout les aspects négatifs de « la triste journée » du 5 décembre. Il dénonce un gouvernement formé contre la volonté du peuple, « c’est une coalition de perdants » (le SPD et les Verts ont reculé aux élections du 14 septembre, mais pas La Gauche). L’échec de Bodo Ramelow au premier tour de vote du 5 décembre traduit la fragilité de la nouvelle équipe. Mike Mohring espère que si la CDU et son groupe parlementaire maintiennent leur unité, la coalition ne tiendra pas cinq ans. Tankred Schipanski, CDU, député fédéral de Thuringe, redoute que le gouvernement Ramelow « complique sérieusement le travail de la grande coalition à Berlin », par le biais du Bundesrat. La fin de la coalition CDU-SPD à Erfurt fait perdre effectivement quatre voix au gouvernement Merkel au Bundesrat où déjà il ne disposait plus de la majorité. L’arrivée de Bodo Ramelow marque « la fin d’un tabou qui conduira la Thuringe dans l’isolement » (Die Welt). Stanislaw Tillich, président régional de la CDU et Ministre-Président de Saxe depuis 2008, trouve aussi que le 5 décembre n’a pas été « une bonne journée, ni pour la Thuringe, ni pour l’Allemagne fédérale. » Les nouveaux coalisés d’Erfurt vont tout faire pour que leur modèle devienne une option aux prochaines élections fédérales.
30 Les arguments développés par les responsables de la CDU au niveau fédéral diffèrent peu de ceux de la politique régionale. Peter Tauber, secrétaire général du parti, craint des complications pour le gouvernement Merkel « car ce qui se passe dans les Länder influence toujours la politique fédérale ». Le président du SPD, Gabriel, perd toute crédibilité quand il affirme ne pas vouloir coopérer avec La Gauche au niveau fédéral, d’autant que les sociaux-démocrates se mettent sous la coupe de ce parti. Peter Tauber estime que les Verts servent « d’étrier » à La Gauche. Volker Kauder, président du groupe CDU-CSU au Bundestag, est convaincu que l’élection de Bodo Ramelow n’affectera pas le travail de la grande coalition à Berlin mais qu’il desservira le SPD. La CDU a refusé toute alliance avec l’AfD en Thuringe, aussi cette dernière lui reproche-t-elle à son tour d’avoir servi d’« étrier » à La Gauche. Non seulement la CDU, mais également les Verts et le SPD sont, selon le camp politique du détracteur, considérés comme des « étriers » de La Gauche !
31 Sans s’embarrasser de précautions oratoires, la CSU bavaroise tire à boulets rouges sur Bodo Ramelow ; comme le sud de la Thuringe a une frontière commune avec le nord de la Bavière, il est vrai que celle-ci porte une attention particulière à ce nouveau Land. Pour Andreas Scheuer, secrétaire général de la CSU, le 5 décembre est tout simplement « une journée de honte pour l’Allemagne réunifiée ». Il considère Bodo Ramelow comme « l’agent haut placé (Topagent) d’une ancienne connexion de la Stasi au sein du parti La Gauche ». Gerda Hasselfeldt, députée fédérale CSU, ancienne vice-présidente du Bundestag, supporte mal que les héritiers du SED aient maintenant un Ministre-Président en Allemagne (Leipziger Volkszeitung). Pour sa part Horst Seehofer, président de la CSU et Ministre-Président de Bavière, est persuadé que le SPD envisage une coalition avec La Gauche au niveau fédéral, dès que la possibilité se présentera. Pour lui, l’élection de Bodo Ramelow, avec le soutien du SPD, ne marque rien de moins que le début d’« une nouvelle chronologie dans le paysage politique de l’Allemagne. » (Leipziger Volkszeitung). Ne craignant pas de se ridiculiser, il utilise l’expression : eine neue Zeitrechnung. Cela rappelle les exagérations de Franz Josef Strauss qui, au début des années 1970, comparait les traités de la RFA avec l’URSS et la Pologne (initiés par Willy Brandt) au traité de Versailles, signé en 1919 ! Autant que les partis, la presse ne se contente pas de reproduire des points de vue, elle joue aussi un rôle d’acteur dans ce débat très politisé.
III. Les commentaires de la presse
32 Six thèmes se dégagent des commentaires des journaux sélectionnés à propos de l’élection de Bodo Ramelow : la personnalité du nouveau Ministre-Président, l’importance de la confrontation avec le passé communiste de la RDA, le gouvernement et son programme, les partis politiques, l’éventualité d’une entente SPD/Gauche/Verts lors des élections de 2017 et enfin quelques considérations sur l’état de la démocratie allemande.
Qui est Bodo Ramelow ?
33 La FAZ le présente sous les traits d’« un social-démocrate idéaliste et déçu, passé à la gauche radicale ». C’est « un gauchiste modéré de l’Ouest » qui n’est pas impliqué dans la dictature communiste allemande et un chrétien protestant qui affirme son appartenance religieuse (Tagesspiegel). Son point faible est de travailler avec un parti qui compte des anciens membres et collaborateurs de la STASI. Le même quotidien apprécie que cet « homme sans passé en RDA » utilise l’expression « État de non-droit » pour caractériser le régime de la RDA. Neues Deutschland se préoccupe de la fragilité de Bodo Ramelow due à ses origines à l’Ouest et à ses prises de position sur le régime de la RDA. « Ramelow a de nombreux ennemis et des non-amis, y compris dans les rangs de son propre parti ». Le Badische Zeitung s’intéresse au caractère du nouveau Ministre-Président, « connu comme une tête chaude », toujours bon pour un éclat. Le quotidien se demande s’il saura se dominer, quand il sera bien installé au pouvoir.
34 Pourrait-il connaître le succès d’un Winfried Kretschmann, le premier Vert devenu Ministre-Président du Bade-Wurtemberg en 2011, qui a su gagner la confiance de ses compatriotes et changer son parti de l’intérieur par les compromis obtenus ? Le Tagesspiegel parvient à la conclusion que Ramelow comme Kretschmann ne vont pas bouleverser la République. La TAZ fait aussi un rapprochement avec Kretschmann, « un pragmatique au pouvoir pour qui, dans le doute, le Land est plus proche que le parti ».
La confrontation avec le passé communiste
35 La question du rapport avec le passé communiste, symbolisé par des sigles comme KPD, SED, STASI, RDA et PDS, et celle du rôle de La Gauche depuis 2007, tiennent une place centrale dans les commentaires de la presse. La FAZ pose un principe de base : « La Gauche ne pourra jamais faire oublier le comportement antidémocratique du KPD puis du SED depuis 1945 ». Les communistes sont rendus coresponsables de l’échec de la République de Weimar, leur alignement sur Moscou et leur hostilité à l’égard du régime politique de la République fédérale ont laissé des traces profondes et durables, indépendamment des victimes de la dictature communiste en RDA. Die Welt concède qu’il ne faut pas exagérer la portée de l’élection de Bodo Ramelow : « Naturellement ce n’est pas la fin du monde, la décadence de l’Occident ou seulement le début d’une contre-révolution terrible après la révolution pacifique 25 ans plus tôt. » La démocratie en République fédérale est assez solide pour accepter un Ministre-Président de La Gauche en Thuringe. Mais Die Welt ne pardonne pas à Bodo Ramelow de se faire élire « avec les voix d’anciens collaborateurs de la Stasi », ces derniers ne manifestant aucun repentir pour ce qu’ils ont fait. La Gauche elle-même ne prend pas assez ses distances avec le passé de la RDA.
36 Bodo Ramelow en aurait-il trop fait ? Au lieu de se pencher sérieusement sur les crimes de la RDA, il est accusé par Die Welt de donner le change en se livrant devant le Landtag à « un véritable show d’anticommuniste combatif », peu apprécié par le public et par Gregor Gysi en particulier (le journal vise la référence à Johannes Rau et les excuses publiques auprès des anciens détenus de la Stasi). La voix qui lui manquait au premier tour de son élection, le 5 décembre, traduit « le dernier soubresaut d’un de ces sociaux-démocrates qui n’ont pas pardonné aux communistes la fusion forcée avec le SPD en 1946. » Or une vérité s’impose : « Le parti des nombreux acteurs d’autrefois a de nouveau son mot à dire en Thuringe ». Die Welt est ainsi le seul quotidien à mettre sérieusement en cause la sincérité et même l’honnêteté politiques de Bodo Ramelow.
37 Un gros titre barre la première page du Berliner Zeitung : « Les héritiers du SED au pouvoir ». Roland Jahn (né à Ièna, Thuringe, en 1953), ancien dissident qui a connu les prisons de RDA et fut expulsé à l’Ouest en 1983 où il devint journaliste, assume la fonction de chargé fédéral pour les archives de la STASI depuis mars 2011 (il succède à Joachim Gauck et Marianne Birthler). Bien que le SED et la STASI aient réprimé les droits de l’Homme en RDA, la Gauche, héritière du SED et du PDS, profite des bienfaits instaurés par la République fédérale. Roland Jahn se réjouit que Bolo Ramelow et sa coalition, contrairement à tant des membres du SED, aient reconnu que la RDA était un « État de non-droit ». Mais Jahn fait, plus subtilement que Die Welt, le procès de Bodo Ramelow. Il reproche aux trois partis (SED, PDS, La Gauche) de ne pas expliquer clairement ce qu’était le non-droit imposé par le SED de 1946 à 1989. Il pose des questions précises, toujours restées sans réponse comme : Pourquoi ce refus d’aller vers les victimes du régime communiste et d’assumer les responsabilités à leur égard, bien que tant de blessures restent ouvertes ? Qu’est devenue la fortune du SED après 1989 ? Roland Jahn retourne la question du pardon, posée à titre personnel par Bodo Ramelow le 5 décembre. Il affirme avec force que celle-ci ne relève « ni de Ramelow, ni de La Gauche, mais des victimes qui décideront de la date du pardon ». En s’attribuant le pouvoir de pardonner les trois partis de la coalition perdent leur crédibilité.
38 Les autres journaux berlinois ne sont pas tendres avec Bodo Ramelow et La Gauche. L’éditorial du Berliner Zeitung trouve que l’élection de Bodo Ramelow n’est pas « normale » et constitue même un événement puissant (gewaltiges Ereignis). « On ne peut oublier ni les origines du parti SED, ni les nombreuses victimes du régime et les morts le long du Mur ». Le SED a refusé de se dissoudre en 1989 pour conserver les structures du pouvoir, son argent et ses biens. Aussi La Gauche doit-elle accepter aujourd’hui d’assumer les responsabilités pour toutes les violations passées du droit. Le Berliner Zeitung relève que Bodo Ramelow semble avoir compris les préventions qui existent contre La Gauche. « Après son élection, il s’est excusé de façon crédible et impressionnante auprès de toutes les victimes. » La tonalité de l’éditorial du Berliner Morgenpost (Joachim Stoltenberg) est moins nuancée : « Vingt-cinq ans après la chute du Mur de Berlin et du rideau de fer, l’élection de Bodo Ramelow a quelque chose de macabre ». Malgré les changements d’appellation, la Gauche reste l’héritière des anciens dirigeants communistes de la RDA, Walter Ulbricht, Erich Honecker et Egon Krenz. Le rapport avec le passé communiste demeure bien un sujet lancinant comme le prouvent les quelque 3 millions de personnes qui depuis 1990 ont consulté leur dossier à l’Office fédéral des archives de la STASI, dont 41 000 personnes pour la seule année 2014 (Süddeutsche Zeitung, 08.01.2015).
39 Les deux journaux du Bade-Wurtemberg font preuve de plus de compréhension que ceux de Berlin, une ville très éprouvée par la guerre froide et le Mur. Le commentaire de Bärbel Krauss dans le Stuttgarter Zeitung salue le « bon départ » de Bodo Ramelow qui marque un tournant dans l’histoire de l’Allemagne ; il a réussi à faire participer au pouvoir un parti qui regroupe des anciens du SED mais aussi des extrémistes communistes. Le nouveau Ministre-Président d’Erfurt a donné des signes de réconciliation très forts. Pour sa part, la TAZ stigmatise les outrances des adversaires qui évoquent le retour du SED et de la RDA ou qui le présentent « sous les traits d’un communiste déguisé ». La journaliste poursuit par un appel à la modération : « les craintes des hystériques seront déçues, de la même manière que les attentes trop élevées vis-à-vis du nouveau gouvernement de Thuringe ». La TAZ recommande d’aller de l’avant, sans négliger le passé : « Que le travail gouvernemental normal commence, les fantômes de l’histoire seront apaisés ».
Le gouvernement et son programme
40 L’élection de justesse au second tour du nouveau Ministre-Président pose la question de la fragilité de son gouvernement, largement débattue dans la presse. Pour le Badische Zeitung : « tout est possible », soit une rupture rapide ou au contraire une solidarité durable entre les trois partis, contraints à une discipline rigoureuse. « Au bout du compte les rêves pourraient se flétrir rapidement. » Le Berliner Morgenpost craint que les votes au Landtag relèvent du jeu de hasard, avec des majorités changeantes. Le Berliner Zeitung redoute les risques de chantage des partis sur le gouvernement régional. Dans la TAZ, Stefan Reinecke souligne la « singularité » d’un gouvernement dont la formation relève d’« un acte d’aventure politique. » Une coalition de trois partis, avec une seule voix de majorité, constitue un « phénomène rare « en Allemagne.
41 Des journaux reconnaissent toutefois que Bodo Ramelow a manœuvré habilement. Le Leipziger Volkszeitung apprécie qu’il se soit présenté en homme politique modéré, adepte du compromis, soucieux d’établir de bons rapports avec tous les partis, y compris avec la CDU. Il défend avec d’autant plus de conviction l’idée d’une nécessaire confrontation avec le passé qu’il n’a pas appartenu au système de la RDA. Neues Deutschland sent déjà souffler « l’esprit d’Erfurt » qui consiste à ne pas exacerber les contradictions et à être ouvert aux réformes, même si les changements proposés par La Gauche ne sont pas prioritaires chez de nombreux citoyens. Selon le même journal, La Gauche, qui entame ainsi une nouvelle phase de son histoire, ne doit pas se contenter d’administrer le statu quo. Neues Deutschland met en garde le parti en rappelant que l’exercice du pouvoir fait naître souvent des contestations internes, surtout quand les résultats électoraux ne suivent pas. Plusieurs journaux relèvent que l’ardeur réformatrice et la marge de manœuvre du gouvernement seront limitées également par le recul des recettes fiscales et l’engagement constitutionnel de maîtriser l’endettement public. « La coalition risque de se distinguer par la pusillanimité et être victime d’un blocage » (FAZ).
42 En décembre 2014, la Thuringe est le Land d’Allemagne de l’Est (Berlin compris) qui enregistre le taux de chômage le plus bas (7,3 %) contre 11 % dans le Mecklembourg- Poméranie antérieure (le taux le plus élevé). Le chômage à l’Est (9,3 %) reste nettement plus important qu’à l’Ouest (5,7 %), la moyenne fédérale étant de 6,4 % (FAZ, 08.01.2015).
Le regard de la presse sur les partis
43 Sans minimiser l’impact des tensions partisanes, la Süddeutsche Zeitung estime que La Gauche saura valoriser sa forte expérience sur le plan politique. Elle est actuellement représentée dans dix parlements régionaux sur seize, avec au total 162 députés (8,7 %), elle a été ou est encore au pouvoir dans plusieurs Länder en Allemagne de l’Est. La direction du gouvernement de Thuringe la préparera peut-être à participer au pouvoir au niveau fédéral. La TAZ rappelle néanmoins que Bodo Ramelow n’aura pas la tâche facile car l’appareil administratif se trouve aux mains de la CDU après 24 années de pouvoir ininterrompu. Comme parti de gouvernement, La Gauche va se transformer en « un parti établi normal », une sorte de social-démocratie petite bourgeoise qui a pris ses marques dans le système démocratique de l’Allemagne unie. Ce changement nourrira des crispations internes, surtout si les électeurs n’honorent pas la participation au gouvernement. Le Stutgarter Zeitung croit aussi que la politique pragmatique de Bodo Ramelow peut favoriser la consolidation interne du parti, mais les risques de scission ne sont pas à exclure.
44 Plusieurs quotidiens conviennent que le gouvernement Ramelow constitue un risque non négligeable pour le SPD. Les succès de la coalition tripartite seront attribués au Ministre-Président et le SPD se verra reprocher les échecs éventuels (FAZ). Le Berliner Zeitung fait même de Sigmar Gabriel, président fédéral du SPD, « un double perdant » car la coalition d’Erfurt a été décidée contre son avis et, en se soumettant au pouvoir dirigeant de La Gauche, le SPD, désormais en position de « Juniorpartei », sera moins perçu comme un « Volkspartei ». Parvenu à la même conclusion, le Tagesspiegel ajoute que le SPD peut même perdre le « leadership » parmi les forces de gauche et que le pacte avec Bodo Ramelow enlève de la crédibilité à son projet de s’implanter davantage au centre. Gagnants ou perdants ? Pour Die Welt les Verts regretteront leur inconséquence car ils font accéder au pouvoir un parti composé de néo-communistes et de gauchistes aux idées brouillonnes, qui rejettent les idées qu’ils défendent eux-mêmes en matière de politique extérieure, une grande partie de La Gauche se montrant hostile à Israël et affichant son admiration pour Poutine, y compris à propos de l’Ukraine. Mais d’autres journaux notent que malgré leur faiblesse électorale, les Verts font preuve de souplesse pour accéder au pouvoir avec des partis aussi différents que la CDU (Hesse), le SPD et maintenant La Gauche. Ne se condamnant plus à la seule alliance avec le SPD, ils disposent désormais de plusieurs « Machtoptionen ».
45 La CDU accepte mal sa défaite mais celle-ci n’a rien de surprenant ; sans faire le procès de la Ministre-Présidente sortante, Christine Lieberknecht, la FAZ rappelle toutefois les nombreuses erreurs commises par celle-ci. En s’engageant davantage avec La Gauche, le SPD libère un espace au centre dont la CDU pourrait profiter au niveau fédéral, surtout dans la perspective des élections fédérales de 2017 (Badische Zeitung, Berliner Zeitung, Tagesspiegel). Le problème des rapports entre la CDU et l’AfD se pose sous un jour nouveau selon Bernd Ulrich dans Die Zeit (04.12.2014) : « On ne peut d’un côté faire de l’élection de Bodo Ramelow la preuve éclatante de la normalisation de La Gauche et de l’autre interdire strictement à la CDU de s’allier à l’AfD ».
Les spéculations à propos de 2017
46 Depuis les élections de Thuringe, l’année 2017 est agitée comme une sorte de chiffon rouge dans la vie politique allemande. Dans la Süddeutsche Zeitung, Heribert Prantl, un journaliste dont l’opinion compte, admet que l’élection de Bodo Ramelow « a sur le plan fédéral une grande signification, encore difficile à prévoir », comparable aux élections régionales de 1985 en Hesse et de 2011 dans le Bade-Wurtemberg. L’année 1985 a vu pour la première fois en Hesse la formation d’un gouvernement SPD/Verts, avec un Joschka Fischer, chef de file régional des Verts, prêtant serment au Landtag en jean et chaussures de sport (il sera ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Schröder, l’unique coalition SPD/Verts au niveau fédéral). Le gouvernement SPD/Verts à Wiesbaden n’a duré que 14 mois mais il marque le début de la participation des Verts au pouvoir au niveau régional puis fédéral ; des Verts « disciplinés » et d’aucuns diront même « domestiqués » par le SPD. En 2011, les Verts réussissent à faire tomber le bastion CDU dans le Bade-Wurtemberg, Winfried Kretschmann devenant le premier Ministre-Président Vert à la tête d’un gouvernement Verts/SPD à Stuttgart. En raison de ces deux précédents, qui ont marqué la vie politique allemande, le gouvernement Gauche/SPD/Verts à Erfurt suscite curiosité et scepticisme.
47 Bien que prudent sur les perspectives électorales, Neues Deutschland concède toutefois : « Ce vote représente beaucoup pour la Thuringe, la RFA et pour l’ensemble de la société allemande ». Katja Kipping, co-présidente de La Gauche depuis juin 2012 et députée fédérale (elle préside le parti avec Bernd Riexinger) insiste aussi sur l’importance de cette arrivée au pouvoir et encore plus sur les réalisations concrètes qui vont suivre. Elle pense que la nouvelle coalition d’Erfurt rendra plus passionnantes les élections à venir, au point de conclure : « La CDU va perdre son abonnement au pouvoir » (Neues Deutschland). Pour Die Welt, le doute n’est pas permis : « Le SPD au niveau fédéral essaiera de constituer une coalition avec La Gauche si l’occasion se présente. » Le Berliner Morgenpost est convaincu que la Thuringe renforcera ainsi son influence au Bundesrat et au niveau fédéral. « Il ne faut pas croire les déclarations du SPD selon lesquelles il ne peut y avoir de coalition avec La Gauche à Berlin ». La FAZ se demande même qui du SPD ou de La Gauche va instrumentaliser l’autre dans la perspective de 2017 ?
48 La TAZ ne partage pas cette conviction. « C’est une erreur de croire que le modèle de Thuringe est transférable au niveau fédéral ». En première page de l’hebdomadaire Die Zeit (04.12) Bernd Ulrich argumente dans le même sens : « De nombreuses personnes considèrent l’élection de Ramelow comme une étape intermédiaire de La Gauche, en voie de normalisation et d’intégration dans le système politique. En bref aujourd’hui Erfurt et demain Berlin. » Cette façon de voir est erronée car, selon le journaliste de Hambourg, la seule intégration réussie est celle des Verts grâce au thème central de l’écologie.
49 Pour de nombreux journaux, La Gauche reste un parti divisé avec en son sein des sociaux-démocrates et des gauchistes communistes, surtout à l’Ouest. Or ces derniers n’acceptent pas la politique réelle. Le rapprochement et même la fusion entre les radicalismes de droite et de gauche sont inquiétants. La participation de La Gauche au pouvoir au niveau fédéral, une bonne ou une mauvaise chose ? Elle est considérée plutôt comme bonne à l’Est et mauvaise à l’Ouest. L’opinion publique est partagée selon le sondage publié par le Berliner Zeitung. Pour les Allemands de l’Est, c’est une bonne chose (51 %), pour les Allemands de l’Ouest ce n’est pas une bonne chose (59 %). Comme il y a plus d’habitants à l’Ouest qu’à l’Est, l’opinion négative des premiers (56 %) s’impose dans l’ensemble de l’Allemagne, 40 % déclarent toutefois que la participation de La Gauche serait une bonne chose.
50 Début janvier 2015, Gregor Gysi, président du groupe parlementaire La Gauche au Bundestag, se prononce pour l’ouverture sans tarder d’entretiens officiels au niveau fédéral entre son parti, le SPD et les Verts : « Nous devons sonder les points sur lesquels nous pouvons nous rapprocher. » À Berlin existe déjà un petit groupe de députés qui explorent les convergences et divergences entre les trois formations. L’aile gauche du SPD compte des sympathisants d’une telle coalition, contrairement à la direction fédérale beaucoup plus sceptique. Au sein de La Gauche, des personnalités d’Allemagne de l’Est, considérées comme pragmatiques, se prononcent aussi pour une participation gouvernementale au niveau fédéral (Süddeutsche Zeitung, 05.01.2015).
Sondage sur la participation de La Gauche au gouvernement fédéral
Est | Ouest | Allemagne | |
Bonne chose | 51 | 36 | 40 |
Pas une bonne chose | 44 | 59 | 56 |
Ne sait pas | 5 | 5 | 4 |
100 | 100 | 100 |
Sondage sur la participation de La Gauche au gouvernement fédéral
Une démocratie consolidée ?
51 Rédigé par Cornelius Pollmer, l’éditorial de la Süddeutsche Zeitung met en avant le double avantage que présente l’élection de Bodo Ramelow. L’arrivée au pouvoir de ce dernier prouve d’une part qu’en politique des changements sont possibles et qu’au lieu de s’abstenir les citoyens ont intérêt à aller voter. Par son engagement en faveur de la confrontation avec le passé, il montre d’autre part que l’on peut réconcilier ceux qui semblaient irréconciliables, les soutiens du régime et leurs victimes. De taille moyenne (2,12 millions d’habitants), la Thuringe est le Land qui convient pour mener une telle expérience ; un éventuel échec ne causerait pas des dommages irréparables. Le passé de la RDA n’étant pas encore trop éloigné, l’offre de dialogue proposée doit être prise au sérieux. Connaissant bien son Land, Bodo Ramelow peut mener à bien son double projet (combattre le désintérêt des abstentionnistes et réconcilier les communistes et leurs victimes) ; celui-ci mérite d’être tenté, même si les risques d’échec l’emportent sur la probabilité de la réussite. Le Tagesspiegel considère également que l’éventuelle réconciliation entre les victimes et les bourreaux permettrait d’aborder plus sereinement la façon de traiter l’histoire de la RDA.
52 Et si l’élection de Bodo Ramelow constituait finalement une nouvelle preuve de consolidation de la démocratie dans le cadre de la République fédérale ? Le Berliner Zeitung plaide en faveur de La Gauche, un parti légalement autorisé, organisé de façon démocratique et respectueux des principes constitutionnels : « On peut critiquer son programme, mais on ne peut l’exclure des fonctions démocratiques ». Le Leipziger Volkszeitung relève que l’élection de Bodo Ramelow n’est pas synonyme de décadence et rappelle que sa victoire, durement acquise, a été accompagnée de quelques coups en dessous de la ceinture. Évitant les spéculations sur 2017, le quotidien de Leipzig poursuit en ces termes : « Il est évident que l’expérience d’Erfurt sera suivie de près dans les autres Länder et au niveau fédéral ». Et le Berliner Zeitung entérine déjà un premier succès de l’expérience Ramelow : « Il sera difficile désormais de remettre en question la normalité que viennent d’atteindre les relations entre La Gauche, le SPD et les Verts en Thuringe. »
53 Le Berliner Zeitung conseille à la CDU de considérer la perte du pouvoir, même après un exercice continu de 24 ans, comme une évolution normale de la vie démocratique. La Stuttgarter Zeitung désapprouve les graves attaques de la CSU contre Bodo Ramelow et proclame que « la démocratie c’est le changement ». Une conclusion partagée par Christoph Dieckmann dans Die Zeit (06.12) : « Le changement favorise la démocratie et non pas la décadence ».
Le point de vue du quotidien Le Monde
54 Au-delà de la presse allemande, la presse étrangère a largement couvert l’élection de Bodo Ramelow, à tel point que le Landtag à Erfurt n’avait jamais connu une telle cohue de journalistes avec micros et caméras. Le Monde du 6 décembre publie une page entière sur cet événement. Titre : « LE “BARON ROUGE” DE THURINGE ». Sous-titre : « Bodo Ramelow est le premier responsable de la gauche radicale élu à la tête d’un Land depuis la chute du Mur. Une victoire qui offre à Die Linke une vitrine pour 2017 ». Le correspondant à Berlin, Frédéric Lemaître, commet une erreur sur le système politique de la RDA en présentant le SED comme « un parti unique » ; il existait en réalité quatre autres partis (CDU, libéraux, paysans, nationaux), tous placés sous la domination du SED. Sans donner de réponse, il pose la question de savoir si l’élection du 5 décembre signifie « une véritable révolution », ce dernier mot étant un peu exagéré. En revanche il a raison de souligner que la Thuringe fait désormais « figure de laboratoire ». Il rappelle que dans le dernier Bundestag élu en septembre 2013, la majorité absolue étant de 316 voix sur 631, les trois partis le SPD (193 voix), La Gauche (64) et les Verts (63) réunissent 320 députés ; une coalition au niveau fédéral est cependant irréalisable ne serait-ce qu’en raison des désaccords sur la politique extérieure. Le Monde rapporte l’opinion de Sigmar Gabriel, président fédéral du SPD : « À l’Est, les dirigeants de Die Linke sont en fait des sociaux-démocrates, à l’Ouest ce sont des fous ». Le quotidien souligne cette ironie de l’histoire : Bodo Ramelow est originaire d’Allemagne de l’Ouest, or ce n’est pas un fou mais plutôt un modéré qui va diriger la Thuringe.
Ce qui dérange
- Bodo Ramelow dérange car ce marxiste protestant venu de l’Ouest, avec des sympathies pour le parti communiste ouest-allemand, a adhéré au PDS, puis à La Gauche, des partis en filiation directe avec le KPD et le SED. Il a été élu Ministre-Président par des anciens membres du SED et même des collaborateurs de la STASI.
- Dans un pays où l’anticommunisme est profondément ancré, Bodo Ramelow dérange car sa famille politique n’a pas vraiment pris ses distances avec ce passé, elle s’est peu préoccupée des victimes et La Gauche est elle-même soupçonnée de vouloir réintroduire le communisme.
- La fragilité du nouveau Ministre-Président de Thuringe dérange car, élu de justesse, il dirige un gouvernement tripartite, composé de forces inégales, et menacé de chantage, voire de scission lors de votes importants au Landtag.
- Le programme du gouvernement dérange car ses projets, peu révolutionnaires, risquent de se heurter rapidement aux contraintes budgétaires ; la constitution impose en effet la maîtrise de la dette publique, que le Land n’a pas assez respectée.
- La crédibilité du gouvernement dépendra de la façon dont il engagera la confrontation avec le passé communiste. L’éventuel manque de sincérité de Bodo Ramelow dérange car il affiche de bonnes intentions qui ne seront pas nécessairement suivies d’effets concrets et le pardon ne peut venir que des victimes.
- La perspective d’une éventuelle alliance SPD/Gauche/Verts dérange beaucoup la CDU-CSU, bien que les trois partis se montrent encore très évasifs. Même si Berlin n’est pas Erfurt, le succès de Bodo Ramelow pourrait influencer la politique fédérale.
- L’élection de Bodo Ramelow dérange ceux qui ne veulent pas considérer comme un succès de la démocratie allemande sa capacité à intégrer des forces politiques au départ hostiles, sinon très critiques à l’égard du régime. De façon surprenante les soutiens et les adversaires de Bodo Ramelow semblent peu dérangés par le recul de la participation électorale et des adhésions aux partis politiques, une évolution qui traduit le divorce entre les élites politiques et les citoyens.
Le calendrier électoral 2015
Note sur les élections régionales de Hambourg du 15 février 2015
Participation | 56,6% | (-1,2) | ||
Voix (%) | +/- | 121 | sièges | |
SPD | 45,7 | - 2,7 | 58 | - 4 |
CDU | 15,9 | - 6,0 | 20 | - 8 |
Verts | 12,2 | + 1,0 | 15 | + 1 |
Linke | 8,5 | + 2,1 | 11 | + 3 |
FDP | 7,4 | + 0,7 | 9 | + 0 |
AfD | 6,1 | + 6,1 | 8 | + 8 |
Autres | 4,2 | - 1,2 |