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Article de revue

Race, corps et dégénérescence chez les Éclaireurs israélites dans l’Entre-deux-guerres

Pages 55 à 75

Notes

  • [1]
    Jacob Kaplan, ancien combattant de la Grande Guerre, s’illustre dans l’Entre-deux-guerres comme un fervent traditionnaliste, critiquant notamment le courant libéral du judaïsme français depuis le début du xxe siècle. Suivant une tendance grandissante dans les années 1930 parmi les Juifs de France, il défend l’établissement d’un État juif en Palestine, fondé sur un « sionisme centré sur la Torah », comme solution au problème des réfugiés juifs en Europe. Maud Mandel, In the Aftermath of Genocide : Armenians and Jews in Twentieth Century France, Durham, Duke University Press, 2003, pp. 139-140. Il devient grand rabbin de France en 1955. Shemini Atzereth est la solennité prenant place le huitième jour après Souccoth ; elle marque le retour à un nouveau cycle de lecture de la Torah (Simchat Torah).
  • [2]
    Centre de documentation juive contemporaine, Paris (désormais : CDJC), Collection EEIF, Mélanges EIF Lumière (Journal des chefs, 1926-1936), Grand Rabbin Jacob Kaplan, discours du 30 septembre 1934.
  • [3]
    Daniel Langton, « Jewish Evolutionary Perspectives on Judaism, Antisemitism, and Race Science in Late 19th Century England : A Comparative Study of Lucien Wolf and Joseph Jacobs », Jewish Historical Studies 46 (2014), pp. 37-34 ; John Glad, Jewish Eugenics, Washington, Wooden Shore, 2011.
  • [4]
    Mitchell Hart, The Healthy Jew : The Symbiosis of Judaism and Modern Medicine, Cambridge University Press, 2007 ; John Efron, Defenders of the Race : Jewish Doctors and Race Science in Fin-de-siècle Europe, New Haven, Yale University Press, 1994 ; Sander Gilman, Smart Jews : The Construction of the Image of Jewish Superior Intelligence, Lincoln, University of Nebraska Press, 1996.
  • [5]
    Mitchell B. Hart (ed.), Jews and Race. Writings on Identity and Difference, 1880–1940, Brandeis University Press, 2011
  • [6]
    Stéphane Frioux, Patrick Fournier, Sophie Chauveau, Hygiène et Santé en Europe : de la fin du xviiie siècle aux années 1920, Paris, ditions Sedes, 2011 ; sur le cas de Paris : Fabienne Chevallier, Le Paris Moderne : Histoire des politiques d’hygiène, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010).
  • [7]
    Nancy Green, Les Travailleurs immigrés juifs à la Belle Époque. Le « Pletzl » de Paris, traduit de l’anglais par Michel Courtois-Fourcy, revu et augmenté par l’auteur, Paris, Fayard, coll. « L’espace du politique », 1985, p. 67.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Sur ce conflit : Michael R. Marrus, Les Juifs à l’époque de l’affaire Dreyfus. L’assimilation à l’épreuve, traduit de l’anglais par Micheline Legras, préf. de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Calmann-Lévy, coll. “Diaspora”, 1972.
  • [10]
    Les États d’Indiana en 1907, de Californie et de Washington en 1909 ont adopté des lois de stérilisation visant les pauvres, les criminels et criminalisant à la fois les malades mentaux et les handicapés physiques. La Suède a voté en 1934 des lois eugéniques permettant la stérilisation forcée, laquelle visait principalement les femmes jusqu’à leur abrogation officielle en 1976 ; plusieurs cantons suisses comme des institutions médicales de Bâle et Zurich ont fait de même du début de 1928 jusqu’aux années 1980. Mark A. Largent, Breeding Contempt : The History of Coerced Sterilization in the United States. Rutgers University Press, 2011.
  • [11]
    Max Nordau, Dégénérescence, traduction Auguste Dietrich, Paris, Alcan, 1894, 2 vol.
  • [12]
    Todd Presner, Muscular Judaism : The Jewish Body and the Politics of Regeneration, New York, Routledge, 2007 ; idem, « “Clear Heads, Solid Stomachs, and Hard Muscles” : Max Nordau and the Aesthetics of Jewish Regeneration », Modernism/Modernity, vol. 10, no 2, avril 2003, pp. 269-296. Delphine Bechtel, Dominique Bourel et Jacques Le Rider (Textes édités par), Max Nordau 1849-1923. Critique de la dégénérescence, médiateur franco-allemand, père fondateur du sionisme, Paris, Cerf, 1996 (N.D.L.R.).
  • [13]
    Marius Turda, Modernism and Eugenics, Londres, Palgrave MacMillan, 2010, p. 2.
  • [14]
    Les principaux pères de la puériculture comme Adolphe Pinard et des natalistes bien connus comme Charles Richet, le fondateur à la fin du xixe siècle du mouvement nataliste en France, se réunirent pour fonder la Société française d’eugénisme en 1912 : William H. Schneider, Quantity and Quality : The Quest for Biological Regeneration in Twentieth Century France, New York, Cambridge University Press, 1990 ; Andres Reggiani, « Procreating France : The Politics of Demography, 1919-1945 », French Historical Studies, vol. 19, no 3, printemps 1996, pp. 725-754 ; E.A. Wrigley, « The fall of marital fertility in nineteenthcentury France : exemplar or exception ? », Revue européenne de démographie, n° 1, vol. 1, janvier 1985, pp. 31-60.
  • [15]
    Tandis qu’en 1920, la France proscrivait la contraception (et l’information la concernant) dans l’espoir de voir le taux de natalité monter après la guerre, les malthusiens, les eugénistes et les féministes de Grande-Bretagne soutenaient tous le contrôle des naissances : Jane Carey, « The Racial Imperatives of Sex : Birth Control and Eugenics in Britain, the US, and Australia in the Interwar Years », Women’s History Review vol. 21, 2012,) no 5, pp. 733-752. De même la France se distingue par une politique migratoire largement commandée par les besoins de main d’œuvre d’après-guerre et souvent coordonnée entre le ministère du Travail et les gouvernements étrangers. Elle a dépendu du travail immigré durant toute l’entre-deux-guerres alors que les États-Unis, autre destination phare de l’immigration, instauraient d’importantes restrictions et des quotas fondés sur l’origine nationale par l’Immigration Act de 1924 : Mary Dewhurst Lewis, The Boundaries of the Republic : Migrant Rights and the Limits of Universalism in France, 1918-1940, Stanford University Press, 2007. La République française n’a jamais instauré de politique de stérilisation, mais l’Allemagne nazie s’est inspirée des lois américaines en la matière pour sa loi de juillet 1933 sur la stérilisation eugénique, la première mesure d’hygiène raciale du régime. Sous les auspices de la génétique et d’un eugénisme largement accepté, cette loi était destinée à limiter dans le corps social la reproduction biologique des individus réputés malades ou indésirables : Stefan Kuhl, The Nazi Connection : Eugenics, American Racism, and German National Socialism. Oxford University Press, 2002.
  • [16]
    Philip Nord, Le Moment républicain. Combats pour la démocratie dans la France du xixe siècle, Paris, Armand Colin, coll. « Le temps des idées », 2013 (édition originale en anglais 1995), p. 32.
  • [17]
    William H. Schneider, Quantity and Quality…, op. cit., p. 145.
  • [18]
    Joan Tumblety, Remaking the Male Body : Masculinity and the Uses of Physical Culture in Interwar and Vichy France, Londres, Oxford University Press, 2012.
  • [19]
    Erik N. Jenson, Body by Weimar : Athletes, Gender, and German Modernity, New York, Oxford University Press, 2010 ; Ina Zweiniger-Bargielowska, Managing the Body : Beauty, Health, and Fitness in Britain, 1880-1939, New York, Oxford University Press, 2010.
  • [20]
    Joan Tumblety, op. cit., p. 7. Sur la place du darwinisme social en France : Linda L. Clark, Social Darwinism in France, University of Alabama Press, 1984.
  • [21]
    Archives de la société de l’histoire du protestantisme français, O29Y – FFE 18 – HNP, Comité EI et Convention EIF-FFE, « Séance du […] 1927 », statut des EIF ; également : Nadia Malinovich, « Affirming Difference, Confirming Integration : New Forms of Sociability Among French Jews in the 1920s », in Nadia Malinovich et Zvi Jonathan Kaplan (eds.), The Jews of Modern France : Images and Identities, Brill, 2016, pp. 102-126 ; Alain Michel, Juifs, Francais, et Scouts : L’Histoire des EI de 1923 à 1990, Jérusalem, Elkana, 2003 ; idem, « Qu’est-ce qu’un scout juif ? L’éducation juive chez les EIF de 1923 au début des années 1950 », Archives Juives. Revue d’histoire des Juifs de France, vol. 35, no 2, 2002, pp. 77-101.
  • [22]
    Sur les représentations des Juifs d’orient et d’Afrique du nord chez les Juifs de France : Lisa Moses Leff, Sacred Bonds of Solidarity : The Rise of Jewish Internationalism in Nineteenth Century France, Stanford, Stanford University Press, 2006, chapitre 4.
  • [23]
    En 1940-1941, le mouvement établit ses premières fermes collectives dans le Var et à Lautrec alors que l’idée d’un retour à la terre s’impose de plus en plus chez les idéologues sionistes et les religieux après la défaite de la France : Daniel Lee, Petain’s Jewish Children, Oxford University Press, 2014.
  • [24]
    Alain Michel qualifie cette période de « néo-hassidique ». Ce mouvement est largement impulsé par la figure de Léo Cohn, arrivé en France en 1933 et devenu l’une des figures spirituelles majeures du mouvement sous Vichy, infusant son sionisme religieux en particulier dans la branche strasbourgeoise des Éclaireurs israélites.
  • [25]
    En 1934, les chefs EI discutent des termes sur la base desquels la jeunesse juive allemande réfugiée pourrait rejoindre le mouvement. Cette jeunesse est, en théorie, la bienvenue, mais, en pratique, elle fut probablement découragée par la politique EI. Trahissant sa faible compréhension de la détresse des réfugiés, la direction EI résolut que les Juifs allemands qui ne pourraient faire leur promesse scoute à la France parce qu’ils n’y étaient pas établis de façon permanente ne seraient pas obligés de le faire mais ne recevraient pas non plus leur insigne scout (probablement un écusson). Or, ces deux rites, dont les immigrants étaient exclus, étaient au cœur de la communauté EI et de ses activités. Surtout, les Juifs allemands désireux d’assumer des fonctions de direction étaient généralement priés de rester des « moniteurs » au lieu de devenir des chefs : CDJC, EIF CMXLIII 1-2 CR du Comité Directeur 1931-39, C.D. mars 1934, note relative aux Juifs allemands immigrés.
  • [26]
    L’aversion du scoutisme juif à l’égard de toute manifestation nationaliste est particulièrement évidente hors de métropole. En 1937-1938, les EIF débattent de la candidature à la direction régionale du mouvement de Jules Cohen, l’ancien président de la branche tunisoise de l’Union universelle de la jeunesse juive (UUJJ), organisation de tendance sioniste, désormais dissoute. Le conseil national, inquiet de la menace que fait peser le sionisme sur l’identité française du mouvement, finissent par refuser cette candidature parce que « jamais Cohen n’acceptera la promesse à la France, alors que tous les EI la font. […] Jules Cohen n’acceptera jamais l’insigne EI. » : CDJC, EIF CMXLIII – 19, CR du Comité Directeur 1931-1939, C.D. du 27 novembre 1938. Sur l’UUJJ : Catherine Poujol, « Aimé Pallière, le paradoxe d’un président chrétien pour l’Union universelle de la jeunesse juive », Bulletin du Centre de recherche français de Jérusalem, 5, 1999, pp. 47-54. ; Nadia Malinovich, « Affirming Difference […] » ; Michael Laskier, North African Jewry in the Twentieth Century, New York, New York University Press, 1994, pp. 39-40. Voir aussi Nancy Green, op. cit., sur la politique dans les milieux populaires juifs à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle à Paris.
  • [27]
    Collection Alliance Israélite Universelle, P231B, E.I.F. Bulletin, 1928-1940 (ci-après : coll. AIU), Bulletin EIF, juin 1928, « Pourquoi nous avons créé un mouvement scout nouveau ». Fabriqués par La Belle Jardinière à Paris, les premiers uniformes sont aussi vendus dans d’autres magasins comme L’Arc Tendu où, selon les publicités, l’uniforme complet et les accessoires coûtent 100 F.
  • [28]
    Coll. AIU, Bulletin EIF, 1928, André Kanter, « Mémoires du N° 3 ».
  • [29]
    Ibid., Bulletin EIF, février-mars 1929.
  • [30]
    CDJC, EEIF Collection Mélanges EIF Lumière, Causerie prononcée à la radio (La voix d’Israël), janvier 1936.
  • [31]
    Robert Stephenson Smyth Baden-Powell, Scouting for Boys : A Handbook for Instruction in Good Citizenship, original 1908 edition, Oxford University Press, 2004 : commentaires sur la « détérioration de notre race » dans le chapitre consacré à l’endurance chez les scouts, « Comment être fort », pp. 184-185.
  • [32]
    Robert Baden-Powell, Scouting for Boys, 1908, Dover, Courier Corporation, 2007, p. 391.
  • [33]
    Tim Jeal, Baden-Powell : Founder of the Boy Scouts, New Haven, Yale University Press, 2007, pp. 412-413.
  • [34]
    Stephanie Olsen, Juvenile Nation : Youth, Emotions, and the Making of the Modern British Citizen, 1880-1914, Bloomsbury, 2014, chapitre 5. Le scoutisme a été développé dans les colonies, en particulier en Afrique, en Inde et en Australie dans le but de stabiliser le régime colonial : Timothy Parsons, Race, Resistance, and the Boy Scout Movement in British Colonial Africa, Ohio University Press, 2004.
  • [35]
    Robert H. Macdonald, Sons of the Empire : The Frontier and the Boy Scout Movement, 1890-1918, University of Toronto Press, 2011, p. 123.
  • [36]
    Tim Jeal, op. cit., p. 543. Pour une attaque cinglante contre Baden-Powell, accusé de racisme et d’antisémitisme : Michael Rosenthal, The Character Factory : Baden-Powell and the Origins of the Boy Scout Movement, Pantheon Books, 1986.
  • [37]
    Susan Whitney, Mobilizing Youth : Communists and Catholics in Interwar France, Duke University Press, 2009.
  • [38]
    CDJC, EEIF Collection Mélanges EIF Lumière, lettre de Gamzon au Commissaire national des Éclaireurs unionistes, Paris, 25 novembre 1928.
  • [39]
    Lettre de Kipling à Baden-Powell, 29 juillet 1916, in Thomas Pinney (ed.), The Letters of Rudyard Kipling, vol. 14, University of Iowa Press, 1999, p. 390.
  • [40]
    Henri Aghion, « Les Bases du Scoutisme », Alexandria, Maccabi Boy Scouts Association, 1931.
  • [41]
    Coll. AIU, Bulletin EIF, novembre 1930, « Notre famille ».
  • [42]
    CDJC, EEIF Collection Mélanges EIF Lumière, lettre de Gamzon au Bureau Interfédéral du Scoutisme Français, 2 octobre 1928.
  • [43]
    Ibid., Maurice Liber, « La Tradition » (c. 1936).
  • [44]
    Ibid., novembre-décembre 1932, « Réunions par Commissions ».
  • [45]
    CDJC, EIF 861, Meutes David et Samuel, 1927-1928.
  • [46]
    Coll. AIU, Bulletin EIF, septembre 1929, « Je fume parce que… ».
  • [47]
    Ibid., Bulletin EIF, mai-juin 1929, « Mémoires du N° 3 » ; CDJC, EIF CMXLIII – 21, CR du Comité Directeur 1931-39, note « Destiné aux Chefs et Commissaires de Province », s.d.
  • [48]
    CDJC, Collection EEIF Mélanges EIF Lumière, Georges Loinger, « Développement et éducation physique », Lumière, 1935.
  • [49]
    Une pléthore de publications des EIF recommandait aussi d’évaluer de manière moderne et d’élaborer des bases de données aussi bien dans le domaine de la psychologie, de la pédagogie, de l’orientation professionnelle, et d’autres encore, en particulier dans les programmes d’entraînement à Monserval et Cappy.
  • [50]
    CDJC, Collection EEIF Mélanges EIF Lumière, « Avodah (Construire) » : Message du Commissaire National, décembre 1934.
  • [51]
    Ibid., « Rendre Service », Lumière, juillet 1933.

1Le 30 septembre 1934, Jacob Kaplan, rabbin de la synagogue de la rue de Nazareth à Paris, prononce un curieux sermon à l’occasion de Shemini Atzereth[1] : il n’y fait aucune mention du calendrier juif, de la symbolique des moissons ni, plus choquant encore, de la Torah, et encourage son auditoire à « agir à la manière des empereurs romains » [2]. Cet étrange prêche s’adresse à un public bien particulier, une délégation du mouvement scout des Juifs de France, les Éclaireurs israélites de France (EIF). Les jeunes présents sont invités à entretenir leur forme physique à l’instar des Romains, l’orateur arguant que les rabbins de l’époque du Talmud s’opposaient également aux pratiques ascétiques. Un retour aux sources est donc nécessaire, la régénération du peuple juif imminente. S’interrogeant sur les conditions les plus propices à cette régénération, Jacob Kaplan répond que c’est « la vie sous la tente » et l’activité au grand air qui s’avèrent les pratiques les plus à même de permettre la reconstruction et la protection des corps des Juifs. Des structures sociales nouvelles, inspirées par le souci de la bonne santé physique, doivent permettre une transformation radicale du peuple juif, à l’image des Hébreux délivrés de l’esclavage.

2Au-delà de l’assertion selon laquelle la vie et la jeunesse juive seraient sur une pente déclinante, les recommandations de Jacob Kaplan recouvrent trois sous-entendus. Premièrement, la santé et le bien-être doivent constituer, dans la vie et l’identité même de la communauté juive, des impératifs absolus et incontournables. Deuxièmement, le soin apporté au corps et le souci de son environnement sont des composantes essentielles du processus de régénération du judaïsme. Troisièmement, la reconstruction du judaïsme commence avec la jeune génération présente. Cet article se propose d’étudier comment l’idée, manifeste ici, selon laquelle le corps constitue le biais principal pour lutter contre le déclin présumé de la communauté trouve une illustration au sein des EIF. Véritable entreprise de renouveau de la vie culturelle et spirituelle juive au sein de la jeunesse, les Éclaireurs israélites constituent également, dans l’Entre-deux-guerres, un cadre où se construit un discours sur la régénération raciale empruntant ou répondant aux schèmes de la culture raciale de la fin du xixe siècle, de la Belle Époque et de l’Entre-deux-guerres. Cette étude révèle également les circulations à l’œuvre, y compris parmi les Juifs, des idées sur la judéité et le judaïsme, et comment les jeunes Juifs de cette époque s’accommodent de ces contradictions.

figure im1
Programme d’activités de mai 1926, coiffé d’un dessin représentant un Éclaireur israélite d’apparence soignée prêchant à un garçon négligé les vertus de l’hygiène dentaire
CDJC, EIF 861 (3) Meutes David et Samuel 1926-1927.

Les Juifs et l’eugénisme. Malaise à propos de la dégénérescence

3L’historiographie du judaïsme a négligé les projets et les discours raciaux issus de ses rangs, en particulier pour l’Entre-deux-guerres. Marginalisés, persécutés et même parfois assassinés, les Juifs ont été les premières victimes du racisme et des politiques raciales, poussées à leur paroxysme par le Troisième Reich. Pourtant, les Juifs ont aussi contribué à la construction d’une pensée raciale [3]. L’emploi de la notion de race par les Juifs constitue, au xixe siècle, une réponse au développement du nationalisme, de l’antisémitisme et à l’émergence des hiérarchies raciales alors légitimées par la science [4]. Si les Juifs peuvent tolérer d’être considérés comme une race à part, ils refusent en effet d’être classés parmi les races naturellement inférieures [5].

4Les discours sur la race et la dégénérescence s’inscrivent, d’une façon générale, dans un contexte plus large d’idées et de pratiques liés aux principaux défis du temps : l’industrialisation, l’urbanisation, l’expansion et le maintien des empires coloniaux. Alors que les frontières des villes sont sans cesse repoussées, la pauvreté explose. Philanthropes, hygiénistes, urbanistes et décideurs politiques s’efforcent d’améliorer les conditions de vie des plus vulnérables en fonction de conceptions mouvantes sur la santé et le bien-être [6]. La philanthropie juive qui s’exprime à travers le Comité de bienfaisance israélite de Paris (CBIP), une institution fondée dès 1809 et proche du Consistoire, contribue à ces réflexions. La communauté juive française est confrontée aux mêmes crises qui affectent les États et les villes tout en subissant une pression particulière du fait de la vague de réfugiés juifs fuyant les pogroms en Europe de l’Est au début des années 1880. Le problème de la pauvreté juive dans la capitale devient tout à coup central pour les autorités juives. Pendant de nombreuses années celles-ci redirigent ces populations immigrées hors de France, vers les États-Unis essentiellement, au moins hors de Paris et leur prodiguent un soutien limité [7]. Cependant, le nombre de migrants à la recherche d’une vie meilleure grandissant dans la capitale française, cette politique est de plus en plus difficile à tenir. L’agenda social du CBIP se concentre alors sur les soins et des aides de toute sorte à apporter aux Juifs pauvres de la capitale. Ce Comité devient vite un lieu incontournable d’aide et d’assistance pour les migrants juifs déshérités arrivant à Paris.

5Il doit cependant travailler avec des ressources limitées, mettant en place des soupes populaires, apportant des soins aux enfants, en particulier aux orphelins ou aux enfants abandonnés, organisant des dispensaires, des collectes de vêtements et offrant parfois des aides d’urgence sous forme de coupons repas ou d’aides financières. Alors que les bénévoles continuent d’apporter des secours et de développer de nouvelles formes de charité et de soutien sanitaire, cette situation met le CBIP à rude épreuve tant sur le plan financier que politique. En effet, dans un contexte de montée de l’antisémitisme et de la xénophobie, certains israélites français réemploient la rhétorique antisémite à l’encontre des Juifs d’Europe de l’Est, sales, étrangers et pauvres [8]. Les autorités communautaires débattent de l’impact de ces politiques philanthropiques. Montrer trop de générosité, n’est-ce pas courir le risque d’attirer davantage encore de ces coreligionnaires défavorisés dont certains pourraient abuser du système et menacer l’intégration des Juifs en France [9] ? De toutes les manières, la crise des réfugiés transforme le visage de la philanthropie juive dans la capitale.

6Dans le même temps, des hommes politiques, des intellectuels, des activistes partout en Europe et aux Amériques s’efforcent de donner du sens aux changements rapides liés à l’industrialisation, l’urbanisation et la première mondialisation. La théorie de l’évolution darwinienne qui met en valeur la survie du plus apte dans la sélection naturelle se diffuse dans le second xixe siècle et sert de support à quantité de systèmes de pensée valorisant aussi bien le laisser-faire dans l’économie que les théories raciales ou encore l’impérialisme. Il participe aussi à l’émergence de la « science » eugénique de Francis Galton qui stipule l’existence de hiérarchies génétiques dont la connaissance permettrait de distinguer les individus aptes à se reproduire des inaptes. Par conséquent les eugénistes imaginent des stratégies pour remédier à la dégénérescence des communautés nationales et améliorer leur capital biologique.

7Les considérations autour de la dégénérescence, particulièrement répandues dans le xixe siècle finissant, modèlent les esprits. Cela rejaillit également sur les questions migratoires et les risques engendrés par les immigrés selon les eugénistes qui cherchaient à éliminer certains caractères humains considérés comme indésirables au sein de la communauté nationale. Les politiques migratoires discriminantes apparaissent en même temps que les premières expériences de stérilisation menées en Europe et aux États-Unis, bien avant la période nazie [10]. Souvent tenus à l’écart de la communauté et de ses institutions, les immigrants juifs d’Europe de l’Est de la fin du xixe siècle se retrouvent déclassés sur la hiérarchie des nationalités et des races, stigmatisés comme de dangereux étrangers cosmopolites et considérés « médicalement » comme de potentiels agents de corruption du corps politique.

8Concept fondamental du discours politique de l’époque, la question de la dégénérescence est également posée dans les cercles nationalistes juifs. Profondément imprégné d’une critique de la vie urbaine en Europe, jugée décadente et vulgaire, Max Nordau affirme que l’urbanisation, couplée à l’antisémitisme et à la vie en diaspora ont fait du Juif un être faible de corps et d’esprit [11]. Père d’un sionisme marqué par l’idée de « race », Nordau prône l’affirmation d’un « judaïsme musclé » (Muskeljudentum) ; seule une race juive forte sera en effet en mesure de bâtir un État [12]. Pour Nordau le concept de peuple juif est autant historique que biologique. La race juive ne pourra donner la plénitude de son potentiel que dans des corps sains et dans son propre foyer national.

Lamarck et l’eugénisme à la française, du xixe siècle à l’Entre-deux-guerres

9L’association souvent exclusive entre l’eugénisme et les politiques menées par le Troisième Reich masque la très large diffusion de ces théories, discutés et adaptées dans de très nombreux contextes depuis l’invention du terme par Galton dans les années 1880. Plus qu’une discipline bien définie, dotée d’un objet précis tel que la concevait ce dernier, l’eugénisme apparaît aujourd’hui aux historiens, tel Marius Turda, comme un agrégat des théories scientistes de l’époque et un symptôme de la modernité. Invoqué aussi bien par les intellectuels et les polémistes que par les décideurs politiques – de droite comme de gauche – ou encore par les philanthropes et les représentants des mouvements sociaux, l’eugénisme constitue un mantra censé transformer radicalement la société et la politique [13]. Par ailleurs, si certains eugénistes défendent une vision décliniste et dégénérative de la société, adhérant le plus souvent à des théories racistes, d’autres en revanche usent de l’eugénisme et de l’idée de race pour promouvoir des réformes sociales. En France, la faiblesse de la natalité pousse les eugénistes à collaborer à des politiques natalistes [14], alors qu’ailleurs commencent à se mettre en place des politiques de stérilisation, de sélection des naissances, ou encore de contrôle et de choix entre les immigrants en fonction de leurs origines [15].

10En outre, le lamarckisme continue d’avoir le vent en poupe en France au début du xxe siècle parmi les penseurs racialistes et le monde de la puériculture. Cette théorie stipule que tout organisme vivant manifeste une tendance à accroître la taille de son corps ou à créer de nouveaux organes répondant aux besoins liés aux changements environnementaux, et que les nouveaux caractères acquis se transmettent aux générations suivantes. Si le lamarckisme est un évolutionnisme, il diffère beaucoup cependant de la pensée de Galton, elle-même héritée de Darwin, attribuant les transformations physiques au hasard et l’évolution au rôle de la sélection naturelle. Toutefois, le lamarckisme cadre parfaitement avec l’idée de perfectibilité au cœur de l’esprit de la Troisième République et de ses réformes volontaristes visant à améliorer la population française et à la porter au pinacle sur l’échelle du progrès humain [16]. Les eugénistes français affirment que l’amélioration des qualités physiques de la population, obtenue par l’instauration de réformes sociales, aura des conséquences positives sur les corps des générations à venir. Cette approche visant à améliorer en quantité comme en qualité la population française détermine en grande partie l’action sociale et hygiéniste mise en place par l’État et par les associations philanthropiques.

11Les morts de la Première Guerre mondiale, les corps détruits de certains survivants, victimes de cette guerre industrielle, ainsi que l’arrivée de migrants pauvres dont plusieurs dizaines de milliers de Juifs d’Europe de l’Est créent une situation propice aux réflexions sur les processus d’amélioration des corps. Les années 1920 voient la mise en place de l’Office national d’hygiène sociale pour lutter contre des maladies autrefois considérées comme sociales telle que la tuberculose ou encore les maladies vénériennes. L’intérêt porté par la France à l’amélioration qualitative et quantitative de sa population s’illustre aussi dans la mise en place des allocations familiales favorisant les familles nombreuses. C’est aussi durant cette période que sont votées les lois contre l’avortement et contre la vente de moyens contraceptifs et que sont mis en œuvre à la fois des cours d’hygiène et d’éducation des enfants pour les écolières et des écoles de puériculture [17]. La santé, le bien-être, mais aussi les « muscles » occupent une place centrale dans la culture de la France de l’Entre-deux-guerres. Joan Tumblety a ainsi démontré combien la place prise par le corps dans les politiques tant de droite que de gauche était étroitement liée à la popularité, à tous les niveaux, de la pensée eugéniste. L’éducation physique, la musculation, les soins médicaux visant à entretenir la santé des corps et favoriser la perte de poids sont autant de réponses, après la Grande Guerre, aux nécessités de la reconstruction, celles-ci non seulement empruntant à certains discours anciens sur la dégénérescence mais nourrissant par la suite la politique de régénération raciale de Vichy [18].

12Cette culture du corps est cependant partagée alors par une grande partie de l’Europe, de l’Amérique du nord et de l’Asie où la régénération nationale, à la suite des traumas de la guerre, est tout aussi prégnante [19]. Cependant, l’influence du lamarckisme en France y maintient à l’écart une partie de la pensée eugéniste inspirée par les théories de la pureté raciale et du social-darwinisme, considérées comme des importations allemandes [20], du moins jusqu’aux années 1930 où la popularité du racisme et de l’antisémitisme s’accroît nettement. Il apparaît donc nécessaire et même vital d’adopter une démarche d’appréhension transnationale ample de l’eugénisme, qui prenne en compte les importantes variations dans les définitions des notions de race, de dégénérescence et dans les stratégies de régénération. Difficile, sans cela, de démêler les noeuds des différentes influences formant l’approche spécifiquement française de la culture du corps, a fortiori celle des Juifs de France qui, elle aussi, résulte d’un bricolage entre influences internationales, françaises et juives.

Corps bourgeois et régénération juive

13Fondés en 1923, alors qu’il avait 17 ans, par Robert Gamzon, petit-fils de l’ancien grand rabbin de France Alfred Lévy et fils d’un ingénieur d’origine lituanienne, les Éclaireurs israélites de France sont l’un des premiers mouvements de jeunesse juive d’importance fondé hors du système consistorial. À ses débuts, le mouvement est plus ou moins religieux, prêtant allégeance « à Dieu, au judaïsme et à la France ». Cependant, les années passant, et sous l’influence de penseurs libéraux comme Edmond Fleg, les EIF s’étendent, préférant encourager les jeunes Juifs de « différentes tendances » à « développer leur conscience juive », plutôt que de s’enfermer dans la seule définition religieuse du judaïsme [21].

14Davantage pluralistes après 1927, les Éclaireurs israélites s’efforcent de s’implanter en Afrique du Nord auprès d’une population juive considérée par les Juifs de France libéraux comme familière et exotique à la fois, véritable lien entre Orient et Occident, nécessitant régénération et modernisation en même temps qu’ils étaient la preuve vivante du succès de ces entreprises. Des troupes de scouts émergent en Tunisie, au Maroc, en Algérie, phénomène souvent relevé, non sans fierté, dans les écrits des Éclaireurs israélites [22]. Le mouvement se développe aussi chez les jeunes filles juives ; les Éclaireuses israélites de France sont même accueillies au sein la Fédération française du scoutisme féminin en 1928. Au milieu des années 1930, les changements dans le leadership et la montée de l’antisémitisme modifient les priorités de nombreux dirigeants scouts dont beaucoup s’illustrèrent dans la résistance à Vichy et à l’occupation allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale [23]. Alors que la crise des réfugiés fait rage, le sionisme apparaît désormais à la communauté juive française établie comme une solution de plus en plus acceptable pour répondre à l’antisémitisme.

15Lors de leur fondation, les Éclaireurs israélites manifestent le plus grand intérêt pour le projet de régénération auquel ils apportent du sang neuf. En dépit de l’hostilité montrée par la communauté juive établie au projet d’installation de migrants juifs d’Europe de l’Est en France à la fin du xixe siècle, les milieux de la philanthropie et du travail social s’investissent de plus en plus auprès de ces populations, ce qui est considéré comme une stratégie pour les régénérer et les assimiler. Ils estiment, en des termes lamarckiens, que la régénération des corps de cette population faible et déshéritée et les nouvelles qualités morales et physiques acquises se transmettront aux générations futures. Bien qu’il y ait très peu de jeunes Juifs immigrés parmi les premiers adhérents des EIF, le bulletin du mouvement indique, parmi une longue liste d’objectifs, celui de « franciser les petits juifs étrangers arrivant en France, tout en leur permettant de rester de bons juifs ». Cependant, la création et le développement du scoutisme juif dans la foulée de la Première Guerre mondiale indiquent que le projet concernait également la population juive bourgeoise de France.

16Si les Éclaireurs israélites accueillent dans les années trente plusieurs Juifs originaires d’Europe de l’Est ou d’Allemagne parmi leurs dirigeants – certains laissant une marque indélébile sur le scoutisme juif français en y infusant des idées politiques et religieuses nouvelles [24] –, les Juifs originaires d’Europe de l’Est sont très peu représentés dans les premières années du mouvement [25]. Cela tient à divers facteurs qui, aux yeux des dirigeants du mouvement, différenciaient les migrants juifs et de leurs coreligionnaires francophones de France et d’Afrique du Nord. D’abord, pour pouvoir adhérer aux Fédérations française et internationale de scoutisme – un objectif atteint seulement en 1939 – les EIF refusent toute manifestation politique au sein du mouvement. Or, parmi les migrants prolétaires, nombreux sont ceux qui adhérent soit au socialisme, soit au sionisme [26]. Ensuite, le français est la seule langue employée aussi bien dans les journaux que dans les échanges internes aux Éclaireurs israélites. Le mouvement ne porte qu’un intérêt très relatif à l’hébreu, et seulement dans une perspective religieuse, et rejette complètement le yiddish. Enfin, et c’est sans doute le point le plus important, le coût pour faire partie du mouvement est bien souvent prohibitif pour les familles les plus pauvres. Le montant de l’adhésion indique l’ancrage des Éclaireurs israélites dans un milieu de Juifs de France plutôt aisés et assimilés [27]. Les bulletins du mouvement nous renseignent sur tous les frais que devaient assumer les familles désireuses d’y inscrire leurs enfants [28]. En plus de l’achat des uniformes, des tenues de sport – à renouveler régulièrement compte tenu de la croissance des enfants – et du matériel, il fallait s’acquitter d’une licence, d’assurances pour les différents séjours en camping qui, eux-mêmes, occasionnaient des surcoûts. L’immersion dans la culture scoute exigeait encore d’autres dépenses : adhésion aux bibliothèques du mouvement, achats de livres et de magazines, abonnement au Bulletin des Éclaireurs israélites de France (3 francs pour un membre, 5 pour un non-membre). Le mouvement exerçait une forte pression en la matière comme en témoigne cette publicité de 1928 : « Es-tu abonné ? […] tu es un poids mort pour l’EIF, c’est de la négligence j’espère. ABONNETOI VITE. ÇA VAUT MIEUX [29]. »

17Les EIF constituent un exemple fascinant de travail social de terrain pour redéfinir et redessiner, au sein de la bourgeoisie juive française, la judéité et le judaïsme. Les idées et les symboles mobilisés dès ses origines par le mouvement – même s’il est au départ confiné à un groupe social restreint – montrent la portée des discours eugéniques de régénération ayant cours en France à cette époque. Dans ce nouveau cadre de la vie associative juive, le corps physique de la jeunesse juive est au centre de préoccupations visant à son amélioration sociale, morale et historique.

Les frères israélites de Mowgli : race, dégénérescence et EIF

18Bien qu’originale dans le contexte de l’histoire juive, la fondation des Éclaireurs israélites doit beaucoup au scoutisme britannique, initié par Lord Robert Baden Powell en 1908, à la suite de la guerre des Boers. Gamzon fait souvent référence à Baden Powell dans ses discours devant les dirigeants scouts, dans ses interventions à la radio ou encore dans ses écrits, célébrant ses méthodes éducatives, tenues pour un modèle pour les EIF [30].

19À son retour d’Afrique du Sud, Baden-Powell avait exprimé son inquiétude quant au déclin physique et morale de la race britannique [31]. Il s’efforça alors de construire un mouvement de jeunesse forgeant le caractère de ses membres et capable de régénérer les Britanniques pour en faire des patriotes honnêtes, disciplinés et moraux [32]. Baden-Powell insistait aussi sur la construction d’une masculinité qui passait par le soin des corps. Baden-Powell attribuait en effet le déclin anglais à l’industrialisation et à la vie urbaine. Il considérait que le monde ouvrier ne produisait plus qu’une jeunesse faible et inapte à protéger et à maintenir l’Empire britannique. Le scoutisme doterait la jeunesse de compétences dont elle était désormais dépourvue et sculpterait les corps au contact de la nature, autant d’atouts qui lui serviraient dans sa vie quotidienne et davantage encore [33].

20Le projet de Baden-Powell n’était pas sans comporter une importante dimension raciale. En cherchant à régénérer la race britannique, ce dernier mettait en valeur l’ordre impérial britannique conçu comme une famille globale à la tête de laquelle trônait la race britannique [34]. Le scoutisme ne se contentait pas d’accroître la moralité de la jeunesse, il devait en sculpter également les corps. Détournant et s’appropriant les symboles des « cultures indigènes », Baden Powell imagina d’emprunter des qualités physiques propres aux « sauvages » pour faire des Anglais amollis des citoyens idéaux capables de se dresser et de défendre leur pays et leur roi sur leur terre natale et dans le monde [35]. On voit aisément combien les intérêts de Baden-Powell s’accordaient, ainsi que certains chercheurs l’ont montré, avec un attrait prononcé pour le fascisme [36].

21La fondation des Éclaireurs israélites après la guerre est contemporaine de celles de dizaines d’autres mouvements de jeunesse dans toute l’Europe, également inspirés par l’expérience de Baden Powell. Ils participent de l’urgence ressentie par les sociétés d’après-guerre à restaurer et à réhabiliter la santé de la communauté nationale. Après la Grande Guerre, les corps de la jeunesse sont poussés sur le devant de la scène. D’intenses conflits politiques et culturels s’engagent sur ce sujet, considéré comme d’une importance vitale aussi bien par les conservateurs catholiques que par les milieux de gauche pour la classe ouvrière [37].

22De jeunes Juifs s’engagent donc dans ces débats, participant à ce moment d’intenses mobilisations. Pour autant, les liens idéologiques entre la pensée de Gamzon et le fonctionnement des Éclaireurs israélites d’une part et le scoutisme britannique dont il s’inspire d’autre part, ont rarement été étudiés en profondeur. Les Éclaireurs israélites sont explicitement pensés sur le modèle du scoutisme de Baden Powell même si la structure internationale mis en place par ce dernier leur refuse l’affiliation. Gamzon a de fréquents contacts avec Baden-Powell et l’organisation britannique jusqu’à la fin des années 1920 à propos de l’exclusion des EIF du mouvement français et, par ricochet, des évènements concernant le scoutisme international. À ce sujet, Gamzon tient un discours particulièrement apologétique. Il récuse l’idée que les Juifs puissent être différents de n’importe quels autres membres du mouvement. Il avance que le judaïsme est une religion comme une autre et que le scoutisme juif cherche à intégrer les étrangers. Jusqu’en 1939, le bureau interfédéral du scoutisme refuse les demandes d’adhésion des Éclaireurs israélites. Dans une lettre désespérée au commissaire national des Éclaireurs unionistes, Gamzon signale les « nombreux étrangers [entendre : juifs étrangers] » admis au sein des Éclaireurs israélites à qui « nous nous efforçons d’inculquer l’amour de notre douce France en leur disant qu’elle ne fait aucune distinction entre ses enfants et ne tient compte ni des différences d’opinion, ni des différences de religion. Hélas, ils ne manqueront pas de nous dire : “c’est comme chez nous” et nous serons blessés non seulement comme scouts mais comme Français car il ne faut pas te dissimuler, en effet, que cette raison d’antisémitisme sera pour tous nos coreligionnaires la vraie cause de votre refus, et cela jettera pour eux un discrédit sur le scoutisme lui-même qui, lui aussi a leurs yeux fera ainsi preuve ainsi d’un esprit d’intolérance […] vous n’avez donc aucune raison d’ordre moral pour nous repousser, et d’autre motifs à mon avis ne seraient pas dignes du scoutisme Français […] » [38].

23Malgré ces relations tendues avec l’administration du mouvement britannique, Gamzon s’approprie avec enthousiasme sa symbolique autour de la « race ». Le Livre de la Jungle de Rudyard Kipling publié en 1894 est l’un des outils les plus exploités, amplement lu et discuté par les scouts y compris au sein des Éclaireurs israélites [39]. Une conférence devant des leaders des EIF en mars 1933 indique ainsi que Le Livre de la Jungle constitue un biais intéressant pour susciter l’intérêt et piquer la curiosité des jeunes Juifs à l’égard de la nature. Un manuel d’entraînement de 1931 glorifie Mowgli, véritable modèle pour développer les jeux physiques : « […] n’oubliez jamais que le jeu est la principale préoccupation de l’enfant […] Son corps se fortifie par une saine fatigue contre laquelle il s’entraîne, et qui contribue à faire disparaitre les tentations que la vie molle des villes fait surgir partout [40] ». Un lieu de rencontre pour les troupes des Éclaireurs israélites de Metz est décoré d’une large frise décrivant presque toute l’histoire de Mowgli [41].

24Le Livre de Jungle raconte de façon romanesque une existence physiquement active sur les frontières sauvages de l’Empire tout en glorifiant et en justifiant l’impérialisme. Même si ce sont les animaux de la Jungle qui l’élèvent, c’est Mowgli qui finit par les dominer parce qu’il est un homme et eux des bêtes sauvages. Cette logique raciste qui préside à l’ensemble de l’entreprise impériale pénètre la culture scoute et atteint par ricochet les Éclaireurs israélites dont l’approche du peuple juif et de son identité en est imprégnée. Ainsi, si le mouvement défend une vision plurielle du judaïsme, en pratique l’idée de frontières joue un rôle important dans les déclarations publiques à propos de l’Afrique du Nord. Le général Geismar, président du comité central des EIF, affirme l’importance du rôle des Éclaireurs israélites pour la diffusion des valeurs françaises : « l’importance de notre rôle en tant qu’instrument de rayonnement français vis-à-vis les des juifs marocains, algériens, tunisiens, n’échappera à aucune personne au courant des problèmes nord-africains [42]. » Se raccordant aux idées libérales républicaines professées par des instances juives de solidarité internationale comme l’Alliance israélite universelle, les EIF recomposent un discours inspiré à la fois par la mission civilisatrice républicaine et l’impérialisme britannique pour définir une géographie juive métaphorique des frontières et de la civilisation, au-delà de la Méditerranée.

25Des négociations des EIF autour des notions de « race » et de régénération il résulte une idéologie très malléable et un vocabulaire très fluctuant pour décrire la judéité. Dans la littérature scoute, il apparaît des applications précises de ce vocabulaire qui opposent le Juif au sauvage. Le grand rabbin Maurice Liber, d’origine polonaise, directeur du Séminaire rabbinique de Paris, écrit dans Lumière en 1936 que « La civilisation marque la continuité de la tradition […]. Comparons l’Européen aux sauvages, ces derniers n’ont pas fait de progrès parce qu’ils n’ont pas su conserver et transmettre, ils n’ont donc ni civilisation, ni histoire […] » [43]. La foi, précise-t-il, ne se transmet pas puisque la révélation est individuelle. Dans cette formulation le vocabulaire de la race, du racisme et de l’impérialisme sert à européaniser les Juifs et à déplacer vers d’autres le stigmate de l’altérité. Cela fait de la race une notion définie religieusement et non pas seulement scientifiquement.

26Les traditions qu’invoque Liber sont celles qui sont indubitablement liées au corps physique des Juifs, en particulier les lois concernant l’hygiène et l’alimentation. Les pages de Lumière, le journal des chefs EIF, sont remplies de discours, d’articles et de réflexions sur la propreté des Éclaireurs israélites et la pratique des règles alimentaires juives. La cacherout est au cœur des débats en 1932 et 1933 afin d’harmoniser les pratiques au sein du mouvement autour d’un « minimum commun ». Alors que certaines troupes locales sont très observantes, en particulier en Alsace, certains enfants qui ne mangent pas casher à la maison se plaignent dans quelques autres de devoir observer les interdits alimentaires lors des sorties [44]. Définir la cacherout pour un groupe qui ne dépend pas du consistoire n’est pas seulement une affaire de Halakha mais aussi le moyen de contrôler la nourriture apportée lors des rassemblements ainsi que la manière dont elle est préparée et consommée par les jeunes Juifs.

27La propreté des corps et l’hygiène physique sont sans cesse mises en avant dans la littérature des EIF. Le rabbin Kaplan s’exprime régulièrement sur ce sujet dans ses discours ou ses articles destinés aux scouts et de nombreux écrits produits par les Éclaireurs israélites soulignent combien il est important de prendre soin de son corps pour en assurer un fonctionnement optimal. Un prospectus publié dans les premières années du mouvement et destinés à être distribué dans les rassemblements des EI représente un jeune éclaireur propre et d’apparence soigné avec un verre d’eau et une brosse à dent à la main confronté à un autre enfant négligé et échevelé avec la légende suivante : « si je veux devenir Louveteau, je dois me laver les dents tous les jours…. Je dois aussi laver mes pieds… et mes mains chaque fois qu’elles sont sales. D’habitude je me lavais quand j’avais le temps…. Quelques fois le dimanche…. » Un autre notice prescrit : « n’oublie pas qu’un loup est toujours exact aux rendez-vous des vieux loups, et qu’il y vient avec des crocs bien brossés, des griffes éblouissantes de propreté [45]. ». Des messages encourageant les scouts à rester loin des substances toxiques étaient intégrés aux bulletins scouts, à l’instar de cet article expliquant ironiquement « Pourquoi fumer ? » avançant des arguments tels que : « mes bronches fonctionnent trop facilement avec de l’air, il est donc intéressant de leur compliquer la tâche » [46]. Les priorités des dirigeants portent également sur la santé et l’hygiène. Dans les années 1930, une circulaire à destination des dirigeants de troupes soulignent la nécessité de mettre en place un service médical pour s’assurer que soit accomplie la tâche de former une jeunesse forte et en bonne santé. Dès 1924, un médecin est employé par le mouvement pour tenir un fichier médical des membres, astreints à une consultation tous les trois mois. Dans les années 1930, chaque unité doit avoir son propre médecin, chargé d’assurer par des vérifications régulières un suivi des maladies et un contrôle précis du développement physique des jeunes [47].

28Baden-Powell était préoccupé par l’hygiène mais aussi par la malpropreté parmi les classes défavorisées et son rapport à la santé morale et physique de la race. Dans l’approche de la régénération par les Éclaireurs israélites, l’environnement est également un facteur déterminant. Cependant, le fait de ne pas habiter, comme les pauvres, dans un taudis n’immunise pas complètement les enfants juifs de la bourgeoisie contre les maladies. Dans un article de Lumière consacré au développement physique des enfants, Georges Loinger, célèbre professeur d’éducation physique à Paris et le principal moniteur d’éducation physique des Éclaireurs israélites, critique les jeunes mères qui, de peur qu’ils ne prennent froid, limitent les sorties de leurs nouveau-nés. Cette tendance protectrice prive ces derniers d’une bonne oxygénation et risque d’en faire des enfants anémiques et faibles [48]. Il recommande au contraire d’exposer les enfants au grand air dès leur plus jeune âge. Georges Loinger reproche également aux mères d’empêcher leurs petits de s’agiter et de pleurer, bridant ainsi leur activité physique. Les mères, ajoute-il, en dorlotant leurs bébés les plongent dans un état léthargique, encourageant le sommeil plutôt que l’activité. Réduire leurs mouvements, affirme-t-il, conduit à diminuer leur capacité respiratoire et à limiter leur circulation sanguine, à ralentir aussi leur capacité à assimiler et à transformer les aliments. Pour Georges Loinger, le déclin physique des Juifs de France est un processus enclenché de longue date, tirant son origine du mode de vie moderne et bourgeois. Il recommande de mesurer le développement physique des enfants pour pouvoir suivre avec précision leurs progrès [49].

29Les spécialistes de la santé et les autorités rabbiniques convergent dans leur vision d’une race juive distincte de corps et d’esprit. La jeunesse juive des classes moyennes, comme produit de son environnement, représente la meilleure opportunité pour l’avenir du peuple juif et un futur argument à opposer aux préjugés antisémites. Ainsi, le programme des Éclaireurs israélites n’était-il pas seulement issu d’une longue tradition de pensée française et européenne autour des notions de race et de déclin mais aussi des défis posés par l’essor des politiques et des discours antisémites dans l’Entre-deux-guerres. Dans ses conversations avec les instances nationales et internationales du scoutisme, Gamzon caractérise le projet d’affiliation des EIF comme un combat contre le scandale de l’antisémitisme. La montée des discriminations antijuives à l’étranger et le flot grandissant des réfugiés juifs fuyant des régimes hostiles en Europe centrale et orientale rend plus urgents encore les projets de régénération porté par les EIF dans leurs propres rangs. En 1934, dans un message aux Éclaireurs intitulé Avodah (Travail), Gamzon reprend pourtant à son compte un certain nombre de préjugés antisémites. Il est temps, déclare-t-il, « de construire des jeunes Juifs qui ne soient ni des parasites, ni des trafiquants mais des hommes qui sachent produire et donner. […] [50]. Bien que réitérant ensuite ces critiques antisémites qui attribuent aux Juifs la responsabilité du déclin de leur propre « race », Gamzon présente le projet des Éclaireurs israélites comme une arme contre l’antisémitisme.

30Le racisme perce plus explicitement dans certaines pratiques des Éclaireurs israélites, trahissant une vision de la race juive comme étant occidentale, voire comme spécifiquement française. Les Juifs étrangers ne pouvaient atteindre la forme juive idéale qu’en devenant des Français parfaitement intégrés. Cela ressort de toute évidence dans la proposition des EIF d’inviter trois à quatre réfugiés juifs dans chacun de leurs camps à l’été 1933. Les précédentes déclarations de Gamzon à propos des Lumières françaises à diffuser en Afrique du nord se retrouvent alors actualisées à même le sol français. À nouveau, la rhétorique de certains dirigeants des EIF sur la notion de différence juive emprunte aux préjugés antisémites. Dans un article de juillet 1933 signé du nom totémique de Bélier, l’auteur déclare qu’en dépit de la neutralité politique du mouvement, les leaders EI ont le devoir d’informer leurs scouts de la gravité de la situation en Allemagne et d’aider à accueillir les réfugiés. Cependant, « il faut agir avec prudence parce qu’il faut bien l’avouer entre nous, tous les réfugiés ne sont pas des chics types ». Parmi ces derniers, Bélier pointe du doigt des individus plus allemands que juifs et d’autres qu’il qualifie de « sales juifs ». Les nouveaux arrivants doivent se montrer reconnaissants de la générosité française et y répondre avec « un tact qui leur manque parfois » [51]. Ce dénigrement impudent des victimes de l’antisémitisme et l’absence de tout recul dans l’analyse du phénomène, l’année même où se déclenche la crise des réfugiés, reflète l’étrange et parfois tragique résultat des usages complexes des notions de race et de dégénérescence. Même si ce dernier exemple est plus illustratif que représentatif, il participe de cette histoire des emprunts réalisés par les Éclaireurs israélites aux notions de race et de dégénérescence et prouve, s’il en est besoin, leur capacité de séduction.

31Longtemps les dirigeants des EIF ont tenté de se faire accepter par les instances nationales et internationales du scoutisme en affirmant que leur mouvement était identique à celui de n’importe quel groupe religieux, signifiant ainsi que le judaïsme était seulement une religion. La vérité est à la fois beaucoup plus complexe et plus intéressante. Un examen précis des symboles et des centres d’intérêt du mouvement révèle une nouvelle dimension de la culture juive française de l’Entre-deux-guerres qui dépasse les chemins balisés de l’histoire des discriminations, du sionisme ou de la renaissance spirituelle juive. Cette étude révèle l’implication du judaïsme français dans les débats et les projets initiés autour de la notion de « race ».

32L’intérêt porté à la santé et au bien-être physique, la réaffirmation des pratiques alimentaires juives et de l’hygiène personnelle, de développement de capacités physiques et sociales et l’usage fait des outils des sciences sociales dans de nombreux domaines, tout cela révèle un programme censé régénérer le peuple en transformant les corps de la jeunesse juive. Sa portée est pensée sur le long terme, à travers les générations. Ces exemples montrent que les associations juives françaises partagent avec l’eugénisme à la française un intérêt et une approche semblables à l’égard d’un problème similaire : le déclin individuel et collectif d’une communauté à travers ce que Baden-Powell appelait le « caractère » et ce que les eugénistes dénommaient la « race ».

33S’appuyant sur les notions de « race » et de « régénération » du xixe siècle, utilisant des outils et des concepts issus de l’eugénisme à la française, et tirant leur inspiration du scoutisme britannique, les Éclaireurs israélites construisent un mouvement de jeunesse robuste et dynamique, largement en prise avec le contexte intellectuel de l’époque. Les discours du mouvement sur la « race » et la « régénération » révèlent l’attrait exercé par ces notions que l’on tient souvent pour réservées aux milieux d’extrême droite ou d’extrême gauche et régulièrement occultées dans l’historiographie du judaïsme.

Notes

  • [1]
    Jacob Kaplan, ancien combattant de la Grande Guerre, s’illustre dans l’Entre-deux-guerres comme un fervent traditionnaliste, critiquant notamment le courant libéral du judaïsme français depuis le début du xxe siècle. Suivant une tendance grandissante dans les années 1930 parmi les Juifs de France, il défend l’établissement d’un État juif en Palestine, fondé sur un « sionisme centré sur la Torah », comme solution au problème des réfugiés juifs en Europe. Maud Mandel, In the Aftermath of Genocide : Armenians and Jews in Twentieth Century France, Durham, Duke University Press, 2003, pp. 139-140. Il devient grand rabbin de France en 1955. Shemini Atzereth est la solennité prenant place le huitième jour après Souccoth ; elle marque le retour à un nouveau cycle de lecture de la Torah (Simchat Torah).
  • [2]
    Centre de documentation juive contemporaine, Paris (désormais : CDJC), Collection EEIF, Mélanges EIF Lumière (Journal des chefs, 1926-1936), Grand Rabbin Jacob Kaplan, discours du 30 septembre 1934.
  • [3]
    Daniel Langton, « Jewish Evolutionary Perspectives on Judaism, Antisemitism, and Race Science in Late 19th Century England : A Comparative Study of Lucien Wolf and Joseph Jacobs », Jewish Historical Studies 46 (2014), pp. 37-34 ; John Glad, Jewish Eugenics, Washington, Wooden Shore, 2011.
  • [4]
    Mitchell Hart, The Healthy Jew : The Symbiosis of Judaism and Modern Medicine, Cambridge University Press, 2007 ; John Efron, Defenders of the Race : Jewish Doctors and Race Science in Fin-de-siècle Europe, New Haven, Yale University Press, 1994 ; Sander Gilman, Smart Jews : The Construction of the Image of Jewish Superior Intelligence, Lincoln, University of Nebraska Press, 1996.
  • [5]
    Mitchell B. Hart (ed.), Jews and Race. Writings on Identity and Difference, 1880–1940, Brandeis University Press, 2011
  • [6]
    Stéphane Frioux, Patrick Fournier, Sophie Chauveau, Hygiène et Santé en Europe : de la fin du xviiie siècle aux années 1920, Paris, ditions Sedes, 2011 ; sur le cas de Paris : Fabienne Chevallier, Le Paris Moderne : Histoire des politiques d’hygiène, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010).
  • [7]
    Nancy Green, Les Travailleurs immigrés juifs à la Belle Époque. Le « Pletzl » de Paris, traduit de l’anglais par Michel Courtois-Fourcy, revu et augmenté par l’auteur, Paris, Fayard, coll. « L’espace du politique », 1985, p. 67.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Sur ce conflit : Michael R. Marrus, Les Juifs à l’époque de l’affaire Dreyfus. L’assimilation à l’épreuve, traduit de l’anglais par Micheline Legras, préf. de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Calmann-Lévy, coll. “Diaspora”, 1972.
  • [10]
    Les États d’Indiana en 1907, de Californie et de Washington en 1909 ont adopté des lois de stérilisation visant les pauvres, les criminels et criminalisant à la fois les malades mentaux et les handicapés physiques. La Suède a voté en 1934 des lois eugéniques permettant la stérilisation forcée, laquelle visait principalement les femmes jusqu’à leur abrogation officielle en 1976 ; plusieurs cantons suisses comme des institutions médicales de Bâle et Zurich ont fait de même du début de 1928 jusqu’aux années 1980. Mark A. Largent, Breeding Contempt : The History of Coerced Sterilization in the United States. Rutgers University Press, 2011.
  • [11]
    Max Nordau, Dégénérescence, traduction Auguste Dietrich, Paris, Alcan, 1894, 2 vol.
  • [12]
    Todd Presner, Muscular Judaism : The Jewish Body and the Politics of Regeneration, New York, Routledge, 2007 ; idem, « “Clear Heads, Solid Stomachs, and Hard Muscles” : Max Nordau and the Aesthetics of Jewish Regeneration », Modernism/Modernity, vol. 10, no 2, avril 2003, pp. 269-296. Delphine Bechtel, Dominique Bourel et Jacques Le Rider (Textes édités par), Max Nordau 1849-1923. Critique de la dégénérescence, médiateur franco-allemand, père fondateur du sionisme, Paris, Cerf, 1996 (N.D.L.R.).
  • [13]
    Marius Turda, Modernism and Eugenics, Londres, Palgrave MacMillan, 2010, p. 2.
  • [14]
    Les principaux pères de la puériculture comme Adolphe Pinard et des natalistes bien connus comme Charles Richet, le fondateur à la fin du xixe siècle du mouvement nataliste en France, se réunirent pour fonder la Société française d’eugénisme en 1912 : William H. Schneider, Quantity and Quality : The Quest for Biological Regeneration in Twentieth Century France, New York, Cambridge University Press, 1990 ; Andres Reggiani, « Procreating France : The Politics of Demography, 1919-1945 », French Historical Studies, vol. 19, no 3, printemps 1996, pp. 725-754 ; E.A. Wrigley, « The fall of marital fertility in nineteenthcentury France : exemplar or exception ? », Revue européenne de démographie, n° 1, vol. 1, janvier 1985, pp. 31-60.
  • [15]
    Tandis qu’en 1920, la France proscrivait la contraception (et l’information la concernant) dans l’espoir de voir le taux de natalité monter après la guerre, les malthusiens, les eugénistes et les féministes de Grande-Bretagne soutenaient tous le contrôle des naissances : Jane Carey, « The Racial Imperatives of Sex : Birth Control and Eugenics in Britain, the US, and Australia in the Interwar Years », Women’s History Review vol. 21, 2012,) no 5, pp. 733-752. De même la France se distingue par une politique migratoire largement commandée par les besoins de main d’œuvre d’après-guerre et souvent coordonnée entre le ministère du Travail et les gouvernements étrangers. Elle a dépendu du travail immigré durant toute l’entre-deux-guerres alors que les États-Unis, autre destination phare de l’immigration, instauraient d’importantes restrictions et des quotas fondés sur l’origine nationale par l’Immigration Act de 1924 : Mary Dewhurst Lewis, The Boundaries of the Republic : Migrant Rights and the Limits of Universalism in France, 1918-1940, Stanford University Press, 2007. La République française n’a jamais instauré de politique de stérilisation, mais l’Allemagne nazie s’est inspirée des lois américaines en la matière pour sa loi de juillet 1933 sur la stérilisation eugénique, la première mesure d’hygiène raciale du régime. Sous les auspices de la génétique et d’un eugénisme largement accepté, cette loi était destinée à limiter dans le corps social la reproduction biologique des individus réputés malades ou indésirables : Stefan Kuhl, The Nazi Connection : Eugenics, American Racism, and German National Socialism. Oxford University Press, 2002.
  • [16]
    Philip Nord, Le Moment républicain. Combats pour la démocratie dans la France du xixe siècle, Paris, Armand Colin, coll. « Le temps des idées », 2013 (édition originale en anglais 1995), p. 32.
  • [17]
    William H. Schneider, Quantity and Quality…, op. cit., p. 145.
  • [18]
    Joan Tumblety, Remaking the Male Body : Masculinity and the Uses of Physical Culture in Interwar and Vichy France, Londres, Oxford University Press, 2012.
  • [19]
    Erik N. Jenson, Body by Weimar : Athletes, Gender, and German Modernity, New York, Oxford University Press, 2010 ; Ina Zweiniger-Bargielowska, Managing the Body : Beauty, Health, and Fitness in Britain, 1880-1939, New York, Oxford University Press, 2010.
  • [20]
    Joan Tumblety, op. cit., p. 7. Sur la place du darwinisme social en France : Linda L. Clark, Social Darwinism in France, University of Alabama Press, 1984.
  • [21]
    Archives de la société de l’histoire du protestantisme français, O29Y – FFE 18 – HNP, Comité EI et Convention EIF-FFE, « Séance du […] 1927 », statut des EIF ; également : Nadia Malinovich, « Affirming Difference, Confirming Integration : New Forms of Sociability Among French Jews in the 1920s », in Nadia Malinovich et Zvi Jonathan Kaplan (eds.), The Jews of Modern France : Images and Identities, Brill, 2016, pp. 102-126 ; Alain Michel, Juifs, Francais, et Scouts : L’Histoire des EI de 1923 à 1990, Jérusalem, Elkana, 2003 ; idem, « Qu’est-ce qu’un scout juif ? L’éducation juive chez les EIF de 1923 au début des années 1950 », Archives Juives. Revue d’histoire des Juifs de France, vol. 35, no 2, 2002, pp. 77-101.
  • [22]
    Sur les représentations des Juifs d’orient et d’Afrique du nord chez les Juifs de France : Lisa Moses Leff, Sacred Bonds of Solidarity : The Rise of Jewish Internationalism in Nineteenth Century France, Stanford, Stanford University Press, 2006, chapitre 4.
  • [23]
    En 1940-1941, le mouvement établit ses premières fermes collectives dans le Var et à Lautrec alors que l’idée d’un retour à la terre s’impose de plus en plus chez les idéologues sionistes et les religieux après la défaite de la France : Daniel Lee, Petain’s Jewish Children, Oxford University Press, 2014.
  • [24]
    Alain Michel qualifie cette période de « néo-hassidique ». Ce mouvement est largement impulsé par la figure de Léo Cohn, arrivé en France en 1933 et devenu l’une des figures spirituelles majeures du mouvement sous Vichy, infusant son sionisme religieux en particulier dans la branche strasbourgeoise des Éclaireurs israélites.
  • [25]
    En 1934, les chefs EI discutent des termes sur la base desquels la jeunesse juive allemande réfugiée pourrait rejoindre le mouvement. Cette jeunesse est, en théorie, la bienvenue, mais, en pratique, elle fut probablement découragée par la politique EI. Trahissant sa faible compréhension de la détresse des réfugiés, la direction EI résolut que les Juifs allemands qui ne pourraient faire leur promesse scoute à la France parce qu’ils n’y étaient pas établis de façon permanente ne seraient pas obligés de le faire mais ne recevraient pas non plus leur insigne scout (probablement un écusson). Or, ces deux rites, dont les immigrants étaient exclus, étaient au cœur de la communauté EI et de ses activités. Surtout, les Juifs allemands désireux d’assumer des fonctions de direction étaient généralement priés de rester des « moniteurs » au lieu de devenir des chefs : CDJC, EIF CMXLIII 1-2 CR du Comité Directeur 1931-39, C.D. mars 1934, note relative aux Juifs allemands immigrés.
  • [26]
    L’aversion du scoutisme juif à l’égard de toute manifestation nationaliste est particulièrement évidente hors de métropole. En 1937-1938, les EIF débattent de la candidature à la direction régionale du mouvement de Jules Cohen, l’ancien président de la branche tunisoise de l’Union universelle de la jeunesse juive (UUJJ), organisation de tendance sioniste, désormais dissoute. Le conseil national, inquiet de la menace que fait peser le sionisme sur l’identité française du mouvement, finissent par refuser cette candidature parce que « jamais Cohen n’acceptera la promesse à la France, alors que tous les EI la font. […] Jules Cohen n’acceptera jamais l’insigne EI. » : CDJC, EIF CMXLIII – 19, CR du Comité Directeur 1931-1939, C.D. du 27 novembre 1938. Sur l’UUJJ : Catherine Poujol, « Aimé Pallière, le paradoxe d’un président chrétien pour l’Union universelle de la jeunesse juive », Bulletin du Centre de recherche français de Jérusalem, 5, 1999, pp. 47-54. ; Nadia Malinovich, « Affirming Difference […] » ; Michael Laskier, North African Jewry in the Twentieth Century, New York, New York University Press, 1994, pp. 39-40. Voir aussi Nancy Green, op. cit., sur la politique dans les milieux populaires juifs à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle à Paris.
  • [27]
    Collection Alliance Israélite Universelle, P231B, E.I.F. Bulletin, 1928-1940 (ci-après : coll. AIU), Bulletin EIF, juin 1928, « Pourquoi nous avons créé un mouvement scout nouveau ». Fabriqués par La Belle Jardinière à Paris, les premiers uniformes sont aussi vendus dans d’autres magasins comme L’Arc Tendu où, selon les publicités, l’uniforme complet et les accessoires coûtent 100 F.
  • [28]
    Coll. AIU, Bulletin EIF, 1928, André Kanter, « Mémoires du N° 3 ».
  • [29]
    Ibid., Bulletin EIF, février-mars 1929.
  • [30]
    CDJC, EEIF Collection Mélanges EIF Lumière, Causerie prononcée à la radio (La voix d’Israël), janvier 1936.
  • [31]
    Robert Stephenson Smyth Baden-Powell, Scouting for Boys : A Handbook for Instruction in Good Citizenship, original 1908 edition, Oxford University Press, 2004 : commentaires sur la « détérioration de notre race » dans le chapitre consacré à l’endurance chez les scouts, « Comment être fort », pp. 184-185.
  • [32]
    Robert Baden-Powell, Scouting for Boys, 1908, Dover, Courier Corporation, 2007, p. 391.
  • [33]
    Tim Jeal, Baden-Powell : Founder of the Boy Scouts, New Haven, Yale University Press, 2007, pp. 412-413.
  • [34]
    Stephanie Olsen, Juvenile Nation : Youth, Emotions, and the Making of the Modern British Citizen, 1880-1914, Bloomsbury, 2014, chapitre 5. Le scoutisme a été développé dans les colonies, en particulier en Afrique, en Inde et en Australie dans le but de stabiliser le régime colonial : Timothy Parsons, Race, Resistance, and the Boy Scout Movement in British Colonial Africa, Ohio University Press, 2004.
  • [35]
    Robert H. Macdonald, Sons of the Empire : The Frontier and the Boy Scout Movement, 1890-1918, University of Toronto Press, 2011, p. 123.
  • [36]
    Tim Jeal, op. cit., p. 543. Pour une attaque cinglante contre Baden-Powell, accusé de racisme et d’antisémitisme : Michael Rosenthal, The Character Factory : Baden-Powell and the Origins of the Boy Scout Movement, Pantheon Books, 1986.
  • [37]
    Susan Whitney, Mobilizing Youth : Communists and Catholics in Interwar France, Duke University Press, 2009.
  • [38]
    CDJC, EEIF Collection Mélanges EIF Lumière, lettre de Gamzon au Commissaire national des Éclaireurs unionistes, Paris, 25 novembre 1928.
  • [39]
    Lettre de Kipling à Baden-Powell, 29 juillet 1916, in Thomas Pinney (ed.), The Letters of Rudyard Kipling, vol. 14, University of Iowa Press, 1999, p. 390.
  • [40]
    Henri Aghion, « Les Bases du Scoutisme », Alexandria, Maccabi Boy Scouts Association, 1931.
  • [41]
    Coll. AIU, Bulletin EIF, novembre 1930, « Notre famille ».
  • [42]
    CDJC, EEIF Collection Mélanges EIF Lumière, lettre de Gamzon au Bureau Interfédéral du Scoutisme Français, 2 octobre 1928.
  • [43]
    Ibid., Maurice Liber, « La Tradition » (c. 1936).
  • [44]
    Ibid., novembre-décembre 1932, « Réunions par Commissions ».
  • [45]
    CDJC, EIF 861, Meutes David et Samuel, 1927-1928.
  • [46]
    Coll. AIU, Bulletin EIF, septembre 1929, « Je fume parce que… ».
  • [47]
    Ibid., Bulletin EIF, mai-juin 1929, « Mémoires du N° 3 » ; CDJC, EIF CMXLIII – 21, CR du Comité Directeur 1931-39, note « Destiné aux Chefs et Commissaires de Province », s.d.
  • [48]
    CDJC, Collection EEIF Mélanges EIF Lumière, Georges Loinger, « Développement et éducation physique », Lumière, 1935.
  • [49]
    Une pléthore de publications des EIF recommandait aussi d’évaluer de manière moderne et d’élaborer des bases de données aussi bien dans le domaine de la psychologie, de la pédagogie, de l’orientation professionnelle, et d’autres encore, en particulier dans les programmes d’entraînement à Monserval et Cappy.
  • [50]
    CDJC, Collection EEIF Mélanges EIF Lumière, « Avodah (Construire) » : Message du Commissaire National, décembre 1934.
  • [51]
    Ibid., « Rendre Service », Lumière, juillet 1933.
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