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Article de revue

Bibliothèques et archives juives spoliées (1940-1944) et tentatives de restitutions à la Libération : une vue cavalière des sources présentes en France

Pages 30 à 35

Notes

  • [1]
    Robert O. Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Paris, Le Seuil, 1973 ; Michaël M. Marrus, Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981.
  • [2]
    Conservées aux Archives nationales (série AJ 38), les archives du commissariat général aux Questions juives, chargé entre autres choses de l’aryanisation des entreprises, concernent aussi les éditeurs ou libraires spoliés. Un fichier alphabétique des spoliés (AJ 38 / 6369 à 6379) permet les recherches par nom.
  • [3]
    Mise en place en 1997, la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, présidée par Jean Mattéoli, a donné lieu à un rapport général et à neuf rapports spécifiques publiés en 2000 : La Persécution des Juifs de France 1940-1944 et le rétablissement de la légalité républicaine. Recueil des textes officiels 1940-1999 (ouvrage et cédérom). Guide des recherches dans les archives des spoliations et des restitutions ; Rapport général ; La spoliation financière ; Aryanisation économique et restitutions. Le pillage des appartements et son indemnisation ; La SACEM et les droits des auteurs et compositeurs juifs sous l’Occupation ; Les Biens des internés des camps de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande ; Le Pillage de l’art en France pendant l’Occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées aux Musées nationaux : les MNR ; La Spoliation dans les camps de province.
  • [4]
    Arrêté du 24 décembre 2015 portant ouverture d’archives relatives à la Seconde Guerre mondiale, JORF n°0300 du 27 décembre 2015.
  • [5]
    Caroline Piketty, Christophe Dubois, Fabrice Launay, Guide des recherches dans les archives des spoliations et des restitutions, Paris, La Documentation française, 2000, disponible en ligne.
  • [6]
    Sur les spoliations de livres : Martine Poulain, Livres pillés, lectures surveillées, Les bibliothèques françaises sous l’Occupation, Paris, Gallimard Folio, 2013. Sur les spoliations d’archives, voir les travaux de Patricia Kennedy Grimsted (https://socialhistory.org/en/russia-archives-and-restitution/bibliography) et le livre de Sophie Cœuré, La Mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique, Paris, Payot, 2013.
  • [7]
    Archives nationales, Pierrefitte-sur-Seine (ci-après : AN), Z 6, 288 à 292 bis. Cour de justice de la Seine. Dossiers Procès du Service des sociétés secrètes.
  • [8]
    Les Bundesarchiv de Berlin et Coblence, les National Archives de Washington conservent plusieurs séries de documents relatifs aux spoliations d’œuvres d’art ; voir notamment les archives de l’American Commission for the Protection and Salvage of Artistic and Monuments in War Areas (RG 239).
  • [9]
  • [10]
    Pour les archives retrouvées en France : AN, série AJ 40 ; Jean Cassou, Jacques Sabille (dir.), Le Pillage par les Allemands des œuvres d’art et des bibliothèques appartenant à des Juifs en France. Recueil de documents, Paris, Éditions du Centre, 1947.
  • [11]
    AN, F 17 17996. Se reporter à ce sujet à l’article de Patricia Kennedy Grimsted dans ce même numéro, « La spoliation des bibliothèques françaises par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg : les sources disponibles ».
  • [12]
    P. K. Grimsted, ibid, et « Library Plunder in France by the Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg: Ten ERR Seizure Lists of Confiscated French Libraries », sur le site de la CFAJ : http://www.cfaj.fr.
  • [13]
    Cette base de données permet de rechercher les noms des 2 247 personnes et de 408 institutions spoliées de leurs bibliothèques.
  • [14]
    Sur les restitutions d’œuvres d’art : Corinne Bouchoux, « Si les tableaux pouvaient parler… ». Le traitement politique et médiatique des retours d’œuvres d’art pillées et spoliées par les nazis (France 1945-2008), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.
  • [15]
  • [16]
    AN, F 17 17783 à 17994. On consultera également le Répertoire des biens spoliés en France durant la guerre de 1939-1945, tome VII : Archives, manuscrits et livres rares, réalisé par la CRA pour aider les forces alliées en Allemagne à retrouver ces biens (Berlin, imprimerie nationale, 1947, supplément 1949).
  • [17]
    Sur ce sujet, voir les travaux de Patricia K. Grimsted et de Sophie Cœuré, op. cit. ; Sébastien Laurent (dir.), Archives « secrètes », secrets d’archives ? Historiens et archivistes face aux archives sensibles, Paris, CNRS Éditions, 2003 ; Alexandre Sumpf et Vincent Laniol (dir.), Saisies, spoliations d’archives et de bibliothèques et logiques de restitution au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.
figure im1
Maurice Liber, directeur de l’École rabbinique de France, en 1946 à l’Archival Depot d’Offenbah en Allemagne (zone américaine), aidant à identifier des manuscrits hébraïques en attente de restitution.
Album photographique d’Offenbach – domaine public.

1La connaissance des acteurs, modes, circonstances des spoliations des populations et des institutions juives durant la Seconde Guerre mondiale, celle aussi de l’ampleur des pillages ont été considérablement enrichies ces vingt dernières années. Après un rapide rappel des avancées dans ces domaines, un tableau succinct des sources actuellement disponibles sur la spoliation puis sur la restitution des livres et archives sera proposé ici.

Une nouvelle histoire de l’Occupation

2D’une part, et dans la foulée des travaux pionniers de Robert Paxton [1], les recherches historiennes, notamment sur la collaboration du régime de Vichy avec le vainqueur nazi, se sont démultipliées, pendant que se développaient les études sur les opinions et les comportements des Français, comme personnes privées et comme personnes publiques. Les tableaux ainsi proposés, largement nourris de l’histoire des mentalités, gagnent en complexité et en nuances. D’autre part, et témoins de l’écho politique de ces remises en cause, les dix volumes issus des travaux, à la fin des années 1990, de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France présidée par Jean Mattéoli ont fait un point très complet sur l’état des connaissances sur ces spoliations, effectuées tant par le gouvernement collaborateur [2] que par les différents pouvoirs nazis [3]. En cours de route, de nombreux fonds d’archives ont été exhumés et décrits en ligne, favorisant ainsi tant les recherches des historiens que la quête de vérité et de savoir des héritiers et ayants-droit des spoliés. Certaines de ces archives, émanant notamment des ministères des Affaires étrangères, de la Justice ou de l’Intérieur, ont été enfin rendues libres d’accès fin 2015 [4]. Les lacunes des sources sont importantes, nombre d’archives restant inaccessibles – par exemple celles de banques dépositaires des avoirs des déportés, celles de maisons de vente d’œuvres d’art – et de nombreuses archives détruites pas les vaincus ou par les vainqueurs, les uns pour éliminer les traces de leurs crimes, les autres jugeant bon d’effacer les indices des discriminations.

Les sources de l’histoire des spoliations

3Au sein des rapports de la commission Mattéoli, le Guide des recherches dans les archives des spoliations et des restitutions de Caroline Piketty répertorie les sources disponibles en France, quelle que soit l’institution, publique ou privée, qui les conservent [5]. Au sein de l’ensemble consacré aux spoliations d’œuvres d’art, une petite place est dédiée aux spoliations de livres et d’archives.

Spoliateurs et spoliations

4Faire l’histoire des spoliations demande d’abord d’en identifier les auteurs. Si la majorité des saisies de bibliothèques furent faites par les occupants, certaines furent aussi l’œuvre du régime de Vichy [6]. Au moins cinq millions de livres, dans la seule France, prirent le chemin de l’exil ou furent abandonnées dans des lieux de stockage.

5Les saisies de Vichy touchent dès 1940 les Français déchus de leur nationalité, les institutions, loges et dignitaires de la Franc-maçonnerie, les partis politiques et syndicat interdits. C’est à la Bibliothèque nationale qu’on trouve le plus de sources concernant les saisies des biens des loges maçonnes, l’administrateur nommé par Vichy, le collaborateur Bernard Faÿ, se voyant chargé de créer un « musée des sociétés secrètes », couverture d’une activité policière faite de saisies, de perquisitions, de fichages. À partir de la mi-1941, plusieurs services, actifs en zone nord ou en zone sud, rivalisent entre eux. L’Administrateur crée également au sein de la Bibliothèque nationale une Bibliothèque d’histoire de la France contemporaine, confiée à l’historien Adrien Dansette, qui s’enrichit des bibliothèques et archives des Français déchus de leur nationalité et des organisations dissoutes. Les archives des services antimaçonniques ayant été brûlées par le gouvernement de Vichy lors de sa déroute de 1944, il faut, pour les étudier, avoir recours à d’autres sources, par exemple les procès de la Libération [7].

6Les spoliations des bibliothèques juives sont le fait en revanche des différentes forces d’occupation nazies, complémentaires et concurrentielles dans le mal. Les principales archives permettant de comprendre l’organisation de la domination nazie sont en Allemagne ou à Washington [8], les documents préparatoires au procès de Nuremberg étant disponibles dans les archives du Centre de documentation juive contemporaines (CDJC) au Mémorial de la Shoah [9]. Celles retrouvées en France, ou le Recueil de Jean Cassou rassemblant les principales directives nazies concernant les saisies d’œuvres d’art permettent d’en saisir globalement les motifs, les agents et les modes [10]. Les commandos Künsberg, les troupes de la Wehrmacht, les agents de l’ambassadeur Otto Abetz sont, dès les premières semaines de l’invasion, les principaux acteurs de la spoliation des archives ministérielles françaises « sensibles », puis des grandes organisations et bibliothèques juives, ainsi que des « grandes familles » les plus connues et des émigrés allemands, notamment juifs. Rapidement, le principal acteur des spoliations devient l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) d’Alfred Rosenberg, puis, à partir de la mi-1942, la Möbel Aktion (Action meuble), qui se livre au pillage systématique des appartements dans le cadre de la solution finale. Les Archives nationales conservent quelques-uns des rapports de Rosenberg à Hitler, et par exemple des copies de deux listes de bibliothèques saisies jusqu’en avril 1941 [11] ; la Commission française des archives juives a également mis en ligne dix listes de bibliothèques spoliées établies par l’ERR, retrouvées et décrites par la chercheuse Patricia K. Grimsted [12].

Spoliations et restitutions

7Mais la majorité des spoliations n’ont laissé aucune trace écrite de la part des spoliateurs. Et ce sont les dossiers de demande de restitution des survivants, de leurs héritiers ou ayants-droit qui permettent aujourd’hui de faire l’histoire, toujours incomplète, des préjudices subis et des souffrances endurées. À l’issue d’un important travail de dépouillement, une liste nominale des personnes et des institutions spoliées de leur bibliothèque a pu être établie [13].

8Les descriptifs des circonstances et de la nature des spoliations, exigés par les administrations chargées de leur restitution, sont eux aussi partiels, les spoliés étant en fuite ou déportés lors de leur spoliation. Ils sont aussi biaisés par les exigences administratives : dans un premier temps, on a demandé aux spoliés le catalogue de leur bibliothèque, quand le commun des mortels n’appose pas même son nom sur les livres de sa bibliothèque familiale… Les listes de livres fournies n’échappent pas à une forme de reconstruction mémorielle, où l’on se souvient des livres les plus aimés ou des plus légitimes culturellement parlant. Les dossiers de la sous-commission des livres de la Commission de la récupération artistique (CRA) [14], chargée, en lien avec les forces françaises en Allemagne, de retrouver et de restituer les biens culturels spoliés, sont conservées aux Archives du ministère des Affaires étrangères [15] et aux Archives nationales [16]. Le recours aux archives départementales peut s’avérer utile, notamment en Alsace-Moselle germanisée et nazifiée.

9Un grand nombre de livres et d’archives n’ont été ni retrouvés, ni restitués. Certains, évacués à l’Est, ont été à leur tour saisis comme « trophées » de guerre par les troupes soviétiques et disséminées dans le nouvel Empire. Malgré les « retours de Moscou » dans les années 1990 [17], plusieurs centaines de milliers de livres s’y trouvent encore. Et beaucoup de nouvelles sources à dépouiller…


Date de mise en ligne : 01/04/2016

https://doi.org/10.3917/aj.491.0030

Notes

  • [1]
    Robert O. Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Paris, Le Seuil, 1973 ; Michaël M. Marrus, Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981.
  • [2]
    Conservées aux Archives nationales (série AJ 38), les archives du commissariat général aux Questions juives, chargé entre autres choses de l’aryanisation des entreprises, concernent aussi les éditeurs ou libraires spoliés. Un fichier alphabétique des spoliés (AJ 38 / 6369 à 6379) permet les recherches par nom.
  • [3]
    Mise en place en 1997, la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, présidée par Jean Mattéoli, a donné lieu à un rapport général et à neuf rapports spécifiques publiés en 2000 : La Persécution des Juifs de France 1940-1944 et le rétablissement de la légalité républicaine. Recueil des textes officiels 1940-1999 (ouvrage et cédérom). Guide des recherches dans les archives des spoliations et des restitutions ; Rapport général ; La spoliation financière ; Aryanisation économique et restitutions. Le pillage des appartements et son indemnisation ; La SACEM et les droits des auteurs et compositeurs juifs sous l’Occupation ; Les Biens des internés des camps de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande ; Le Pillage de l’art en France pendant l’Occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées aux Musées nationaux : les MNR ; La Spoliation dans les camps de province.
  • [4]
    Arrêté du 24 décembre 2015 portant ouverture d’archives relatives à la Seconde Guerre mondiale, JORF n°0300 du 27 décembre 2015.
  • [5]
    Caroline Piketty, Christophe Dubois, Fabrice Launay, Guide des recherches dans les archives des spoliations et des restitutions, Paris, La Documentation française, 2000, disponible en ligne.
  • [6]
    Sur les spoliations de livres : Martine Poulain, Livres pillés, lectures surveillées, Les bibliothèques françaises sous l’Occupation, Paris, Gallimard Folio, 2013. Sur les spoliations d’archives, voir les travaux de Patricia Kennedy Grimsted (https://socialhistory.org/en/russia-archives-and-restitution/bibliography) et le livre de Sophie Cœuré, La Mémoire spoliée. Les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique, Paris, Payot, 2013.
  • [7]
    Archives nationales, Pierrefitte-sur-Seine (ci-après : AN), Z 6, 288 à 292 bis. Cour de justice de la Seine. Dossiers Procès du Service des sociétés secrètes.
  • [8]
    Les Bundesarchiv de Berlin et Coblence, les National Archives de Washington conservent plusieurs séries de documents relatifs aux spoliations d’œuvres d’art ; voir notamment les archives de l’American Commission for the Protection and Salvage of Artistic and Monuments in War Areas (RG 239).
  • [9]
  • [10]
    Pour les archives retrouvées en France : AN, série AJ 40 ; Jean Cassou, Jacques Sabille (dir.), Le Pillage par les Allemands des œuvres d’art et des bibliothèques appartenant à des Juifs en France. Recueil de documents, Paris, Éditions du Centre, 1947.
  • [11]
    AN, F 17 17996. Se reporter à ce sujet à l’article de Patricia Kennedy Grimsted dans ce même numéro, « La spoliation des bibliothèques françaises par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg : les sources disponibles ».
  • [12]
    P. K. Grimsted, ibid, et « Library Plunder in France by the Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg: Ten ERR Seizure Lists of Confiscated French Libraries », sur le site de la CFAJ : http://www.cfaj.fr.
  • [13]
    Cette base de données permet de rechercher les noms des 2 247 personnes et de 408 institutions spoliées de leurs bibliothèques.
  • [14]
    Sur les restitutions d’œuvres d’art : Corinne Bouchoux, « Si les tableaux pouvaient parler… ». Le traitement politique et médiatique des retours d’œuvres d’art pillées et spoliées par les nazis (France 1945-2008), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013.
  • [15]
  • [16]
    AN, F 17 17783 à 17994. On consultera également le Répertoire des biens spoliés en France durant la guerre de 1939-1945, tome VII : Archives, manuscrits et livres rares, réalisé par la CRA pour aider les forces alliées en Allemagne à retrouver ces biens (Berlin, imprimerie nationale, 1947, supplément 1949).
  • [17]
    Sur ce sujet, voir les travaux de Patricia K. Grimsted et de Sophie Cœuré, op. cit. ; Sébastien Laurent (dir.), Archives « secrètes », secrets d’archives ? Historiens et archivistes face aux archives sensibles, Paris, CNRS Éditions, 2003 ; Alexandre Sumpf et Vincent Laniol (dir.), Saisies, spoliations d’archives et de bibliothèques et logiques de restitution au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.

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