Notes
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[1]
Dans la tradition de l’histoire politique du Royaume de Naples l’expression « première restauration » indique la période qui suit la défaite de Joachim Murat et le retour de la maison de Bourbon en 1815. La période qui va de 1799 à la nouvelle conquête française de 1806 est, au contraire, l’une des moins étudiées de l’histoire napolitaine.
-
[2]
Álvaro París Martín, « Le peuple royaliste en armes, Milices et terreur blanche pendant les restaurations à Naples (1799), dans le Midi de la France (1815) et à Madrid (1823) », AHRF, 396, 2019-2, p. 95-120.
-
[3]
Carlo De Nicola, Diario Napoletano 1798 - 1825, Parte I, Naples, Società Napoletana Storia Patria, 1906, p. 235.
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[4]
Ibid., p. 237.
-
[5]
L’expression est courante dans le langage administratif et juridique de la Restauration et se retrouve très fréquemment dans la documentation. Les ministres et juges de la Maison de Bourbon l’emploient pour signifier la non-reconnaissance du gouvernement balayé par la monarchie gagnante et, par conséquent, le droit que cette dernière s’octroie à juger et punir les républicains en tant que « félons au roi » et non pas comme ennemis.
-
[6]
Giovanni Francesco de Tiberiis, « Processo ai giacobini di Chieti », Rassegna Storica del Risorgimento, 1987, a. LXXIV, p. 11.
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[7]
Francesco Maria Statella, prince de Cassaro, né en 1758 dans une famille noble de Palerme et extrêmement cultivé, avait commencé sa carrière politique en s’opposant, en 1798, au « don » demandé par Ferdinand IV au Parlement de l’île, il est ensuite nommé Ministre de la Justice quand la cour napolitaine doit fuir en Sicile lors de l’invasion française en décembre de la même année et finalement nommé vice-roi en 1802 en représentation du roi dans la capitale continentale reconquise. Il est donc expression des secteurs de l’aristocratie sicilienne particulièrement liés aux privilèges et prérogatives insulaires. Cf. Giuseppe Scichilone, « Cassaro, Francesco Maria Statella e Napoli principe di », (ad vocem), dans Dizionario biografico degli italiani, Rome, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, vol. 21, 1978.
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[8]
Pietro Colletta, Storia del Reame di Napoli dal 1734 fino al 1825, Capolago, Tipografia Elvetica, 1834, p. 198.
-
[9]
Archivio di Stato di Napoli [ASNa], Polizia (I numerazione), fascio 131, n. 176.
-
[10]
ASNa, Ministero della Polizia Generale, 1 numerazione (1792-1819), fascio 134, Communications à Acton, juin 1801.
-
[11]
Carlo De Nicola, Diario Napoletano…, op. cit., p. 256.
-
[12]
Armando de Martino, Giustizia e Polizia nel Mezzogiorno 1799-1825, Turin, Giappichelli, 2013.
-
[13]
Cf. supra, n.7.
-
[14]
Giuseppe, Scichilone, « Cassaro, Francesco Maria Statella… », art. cit.
-
[15]
Gaetano Falzone, Il regno di Carlo di Borbone in Sicilia, Bologne, Pàtron, 2006.
-
[16]
Voir, à ce sujet, le long mémorial envoyé au souverain par le prince du Cassaro le 10 septembre 1800 sur les rapports entre la Sicile et le continent : ASNa, Archivio Borbone, affari politici, fascio 240, n. 1. Pour une analyse plus générale des rapports entre Naples et Sicile entre le xviiie et xixe siècle, voir Antonino De Francesco, La palla al piede. Una storia del pregiudizio antimeridionale, Milan, Feltrinelli, 2012.
-
[17]
Par ce mot, on désigne les ceti civili, soit la classe moyenne de la ville de Naples composée d’avocats, de médecins, de savants et de négociants ainsi que les galantuomini, propriétaires fonciers roturiers des provinces. L’homologation de ces groupes est fréquente dans la littérature de l’époque, qui reprend souvent, pour caractériser le Royaume de Naples, la métaphore – attribuée à Francesco Conforti – de la vipère : la partie centrale du corps est utile tandis que la tête (la noblesse) et la queue (la populace) sont immangeables et venimeuses. Voir, par exemple, Giuseppe Maria Arrighi, Saggio storico per servire di studio alle rivoluzioni politiche e civile del Regno di Napoli, Naples, Nella Stamperia del Corriere, 1809. En ce qui concerne les sources primaires, les papiers de police – qu’il s’agisse de rapports des agents ou de témoignages – font constamment référence au membre des ceti civili et de l’aristocratie en faisant précéder leurs nom par la particule Don (ou D.), commune aussi aux membres de la noblesse et du clergé. Il est donc facile de comprendre le rôle que chacun occupe dans la hiérarchie sociale dans la perception des contemporains.
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[18]
Nino Cortese, Memorie di un generale della repubblica e dell'impero. Francesco Pignatelli, principe di Strongoli, Bari, Laterza, 1927, V. I, p. 10.
-
[19]
Sur le comportement de la Città à l’hiver 1798, voir Vincenzo Cuoco, Saggio storico sulla rivoluzione di Napoli, seconda edizione con l’aggiunta dell’autore, Milan, Francesco Sonzogno, 1806 ainsi que les œuvres plus récentes telles que Mario Battaglini, La Repubblica Napoletana, Origini, nascita, struttura, Turin, Bonacci, 1992 ou Anna Maria Rao, « Ordine e anarchia : Napoli nel 1799-1800 », dans Livio Antonielli et Claudio Donati (dir.), Corpi armati e ordine pubblico in Italia (xvi-xix sec.), Soveria Mannelli, Rubbettino, 2003, p. 241-260.
-
[20]
Carlo De Nicola, Diario Napoletano…, op. cit., p. 248.
-
[21]
Giorgia Alessi, Giustizia e polizia, il controllo di una capitale, Napoli 1779-1803, Naples, Jovene, 1992, p. 39.
-
[22]
Giorgia Alessi, « “Ad modum belli”, Il governo delle province napoletane tra antiche segreterie e nuovi ministeri (1803-1806) », Frontiera D’Europa, 1995, p. 127-178.
-
[23]
Sur la division de la capitale, cf. Brigitte Marin, « Découpage de l’espace et contrôle du territoire urbain : les quartiers de police à Naples (1779-1815) », Mélanges de l’École Française de Rome, Italie et Méditerranée, t. 105, n. 2, 1993, p. 349-374.
-
[24]
À partir de 1495, un « élu du peuple » siégeait au conseil aux côtés des représentants de la noblesse. Malgré son nom, et mise à part lors de la parenthèse de la révolte de Masaniello en 1647/1648, il était choisi par le vice-roi, et ensuite par le souverain.
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[25]
Benedetto Croce, Nuove curiosità storiche, Naples, Riccardo Ricciardi, 1922, p. 49.
-
[26]
Mario Battaglini, Il “pubblico convocio”. Stato e cittadini nella Repubblica napoletana del 1799, Naples, La Scuola di Pitagora, 2013.
-
[27]
Archives Nationales de France [ANF], F7 6319B dossier « Moliterno », rapport de la police secrète, 25 prairial an XIII ; Vincenzo Cuoco, Saggio storico..., op. cit., p. 85.
-
[28]
Vincenzo Cuoco, Saggio storico…, op. cit., p. 85. À compter parmi les partisans de l’option oligarchique : le prince Girolamo Pignatelli de Moliterno, qui ne siège pas dans la Città mais fait partie d’une des familles les plus puissantes du sedile de Nilo. Le jeune général, qui gagne bientôt la faveur populaire grâce à son aura de chevalier valeureux et à sa résistance acharnée contre les Français, est nommé capitaine du peuple, mais, ne sachant pas lui-même imprimer une direction au mouvement et ne trouvant pas dans le Conseil un guide populaire, finit par perdre tout ascendant sur les masses et se réfugier dans le château de Sant’Elmo, avec les républicains, dans l’attente de la conquête française.
-
[29]
Nicola Nicolini, Luigi de Medici e il giacobinismo napoletano, Florence, Le Monnier, 1935, p. 375.
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[30]
Walter Maturi, Il Principe di Canosa, Florence, Le Monnier, 1944.
-
[31]
Benedetto Croce, La Rivoluzione napoletana del 1799, Bari, Laterza, 1912, p. 175. Le propos du philosophe napolitain concerne la noblesse, mais certainement pas l’Église qui, en tant qu’institution, est au centre du nouveau régime de contrôle politique et social instauré par Ferdinand IV : à ce propos voir Anna Maria Rao et Pasquale Villani, Napoli 1799-1815, dalla Repubblica alla monarchia amministrativa, Naples, Edizioni del Sole, 1994.
-
[32]
Francesco Benigno, « Trasformazioni discorsive e identità sociali : il caso dei lazzari », Storica, 31, 2005, p. 7-44. Dans cet article, l’auteur analyse l’évolution des significations recouvertes par le terme « lazzaria » au fil du temps. On emploie ici le terme lazzaro/i dans son acception politique et sociale courante autour de 1799, soit les membres du bas-peuple dans le Naples préindustriel du xviiie et de la première moitié du xixe siècle.
-
[33]
Giovanni Francesco de Tiberiis, « Processo ai giacobini… », op. cit., p. 15.
-
[34]
E. g. ASNa, Ministero della Polizia Generale, 1 numerazione (1792-1819), fascio 137, suppliques d’Emmanuela Pulpo et Barbara Durazzo, septembre 1799. Donna Emmanuela Pulpo demande – et obtient – une indemnité de 15 carlini par mois en récompense de l’action de son mari, D. Giuvanni Guglia, mort pendant les « passate emergenze » et une pension est versée à Barbara Durazzo, femme de Giovacchino Costantino, emprisonné pour complicité avec la conjuration des Baccher et exécuté, à ce titre, le 13 juin.
-
[35]
E. g. ASNa, Ministero della Polizia Generale, 1 numerazione (1792-1819), fascio 135, supplique de Ferdinando Battista, février 1801.
-
[36]
Ibid., fascio 133, supplique d’Antonio Pesce, octobre 1801.
-
[37]
Ibid., fascio 135, supplique de Domenico Mangione, 6 avril 1800.
-
[38]
Ibid., fascio 135, supplique de Mariantonia Gioia (pour sa soeur Rachele), sans date.
-
[39]
Carlo De Nicola, Diario Napoletano…, op. cit., p. 256.
-
[40]
Ibid., p. 244. En ce sens, les sociétés et clubs royalistes ne naissent pas avec la chute de la République, les premières ayant commencé leur activité sous la République pour préparer en clandestinité le retour du roi. Il n’en demeure pas moins indéniable qu’à la suite de la reconquête bourbonienne, elles se multiplient, les nouvelles étant animées autant par « les Calabrais » arrivés dans la ville avec la Santa Fede, que par des opportunistes voulant antidater leur engagement en faveur du Trône. Pour un exemple de participation à la contre-révolution évidemment inventée a posteriori, puisque le protagoniste ne se trouvait même pas à Naples pendant la République, cf. Archivio di Stato di Campobasso (ASCb), Processi politici, n. 240, p. 68, copie de (faux) certificat d’appartenance au Club Royaliste de la Rua Catalana de Domenico Santangelo, daté 16 août 1799.
-
[41]
Giovan Battista Rodio, originaire de Catanzaro, après avoir brièvement adhéré à la République, passe du côté de la réaction royaliste, pour laquelle il devient recruteur et commandant de troupes irrégulières. Nommé marquis et lieutenant-colonel en raison des services rendus à la monarchie, il devient un défenseur acharné de l’ordre public dans les Pouilles après 1802. Arrête en 1806 par la police de Joseph Bonaparte, il sera passé par les armes par ordre de J. C. Saliceti, malgré le fait qu’il avait été acquitté lors du procès. Cf. Flavia Luise, « Rodìo, Giovan Battista », (ad vocem), dans Dizionario biografico degli italiani, Rome, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, vol. 88, 2017.
-
[42]
ASNa, Ministero della Polizia Generale, 1 numerazione (1792-1819), fascio 131, supplique de Benedetto Scardino et Giovanni de’ Meglio, sans date.
-
[43]
Ibid.
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[44]
Ibid., fascio 137, dépêche royale, septembre 1799.
-
[45]
Ibid., fascio 132, supplique de Gaetano Russo a della Rossa.
-
[46]
ASNa, Polizia, Real ministero (in Esteri), Rapporti, Busta 3595 (1798-1800), Dépêche royale du 23 février 1800.
-
[47]
Il n’est pas possible d’établir une relation avec le précédent De Cesare.
-
[48]
ASNa, Ministero della Polizia Generale, 1 numerazione (1792-1819), fascio 132, supplique d’Aurelio Belvederi, décembre 1800.
-
[49]
Emilio Gin, Santa fede e congiura antirepubblicana, Napoli, Adriano Gallina, 1999.
-
[50]
Ibidem.
-
[51]
Cf. Infra.
-
[52]
ASNa, Polizia, Real Ministero, diversi (in Esteri), fascio 3578, rapport de Ascoli à Acton du 3 juin 1803. L’inscription sur la pancarte serait la suivante : Cadono le città, muoiono i regni, cadono anche i coglioni, infausti segni.
-
[53]
Ibidem.
-
[54]
Carlo De Nicola, Diario Napoletano…, op. cit., p. 295.
-
[55]
Giovanni Francesco de Tiberiis, « Processo ai giacobini …», op. cit., p. 26.
-
[56]
Ibidem.
-
[57]
Marina Caffiero, « Perdono per i giacobini, severità per gli insorgenti. La prima restaurazione pontificia », dans Anna Maria Rao (dir.), Folle controrivoluzionarie, le insorgenze popolari nell’Italia giacobina e napoleonica, Roma, Carocci, 1999, p. 291-324. Le cas de la République romaine, étudié par Marina Caffiero, met en évidence une indulgence comparable envers les membres des classes favorisées, mais, dans le cas de l’article cité, il s’agit de vicissitudes individuelles d’anciens républicains – et, en cela, l’auteure peut citer celle de Ferdinand IV comme exemple de répression sans pitié –, tandis qu’à Naples le phénomène est remarquable pour son échelle collective en tant que groupe social. Voir aussi Mario Battaglini, L’Amministrazione della giustizia nella Repubblica romana del 1798-99, Milano, Giuffré, 1998.
-
[58]
ASNa, Polizia, Real Ministero, diversi (in Esteri), fascio 3578, lettre de Bosco à Ascoli di 4 juin 1803.
-
[59]
Emilio Gin, Santa fede e congiura antirepubblicana, copie de la lettre de de Giorgio à Ascoli du 29 août 1803.
-
[60]
Antonino De Francesco, Vincenzo Cuoco, una vita politica, Bari, Laterza, 1997, p. 83.
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[61]
ASNa, Polizia, Real Ministero, diversi (in Esteri), fascio 3578, copie de la lettre de de Giorgio à Ascoli du 29 août 1803. Un témoin y relate avoir entendu Tavasso affirmer : « quando vengono li Francesi pure averaggio da jetta’ st’aco! (quand les Français viendront, je doit jeter cette aguille loin de moi pour de vrai !).
-
[62]
C’est le cas du célèbre brigand Gaetano Mammone ; voir Benedetto Croce, La Rivoluzione napoletana…, op. cit., p. 399 et suiv.
1La restauration monarchique à Naples de l’été 1799 est perçue, par tous les acteurs qui ne sont pas directement visés par la répression, comme une occasion de tirer politiquement profit de la situation d’incertitude et façonner l’État conformément à leurs intérêts. Si le simple rétablissement de la situation d’avant la révolution n’est guère pris en considération – car évidemment anachronique – plusieurs protagonistes visent, par leurs actes et leurs discours, à se décrire comme les véritables vainqueurs de l’hydre révolutionnaire, méritant donc une place centrale dans le nouvel équilibre en voie de définition.
2Cet article a l’ambition de fournir des éléments pour analyser le comportement des différents protagonistes du premier quinquennat de restauration [1] tel qu’il est restitué par les sources juridiques et de police conservées dans les archives napolitaines.
3La monarchie veut exploiter l’état d’exception instauré pendant la reconquête non seulement pour purger le pays de toute forme de républicanisme, mais aussi pour reprendre l’œuvre de centralisation du pouvoir entamée pendant les décennies précédentes. De ce fait, elle adopte d’un côté des mesures politiques et juridiques pour pénaliser la noblesse et la bourgeoisie continentales, considérées comme collectivement responsables de la Révolution. Elle met d’autre part en avant un discours visant à souligner l’alliance directe entre le roi et « le peuple », opposé aux aristocrates et aux ceti civili. En réponse à cette rhétorique du pouvoir et à la suite de la participation des couches inférieures à la reconquête monarchiste, les documents de police montrent effectivement l’apparition d’une multitude d’individus (bien plus vaste que la lazzaria – nom collectif indiquant les couches plus humbles de la population citadine, vivant souvent d’expédients – et comprenant artisans, apprentis et petits commerçants) qui se perçoit et représente soi-même comme « peuple » fidèle au roi et en antithèse aux ceti civili coupables de « jacobinisme ».
4Dans la perception des contemporains – du moins celle qui émerge des sources policières - les catégories sociales de la capitale du royaume n’apparaissent bien définies qu’en ce qui concerne les frontières entre noblesse et roture et à l’intérieur de cette dernière, entre les ceti civili et le reste de la population : c’est justement dans l’ensemble de ce dernier segment que la fidélité monarchique est utilisée comme instrument pour revendiquer des avantages à la fois individuels et collectifs.
5Cette autoreprésentation est efficace pour faire avancer des instances ou satisfaire des besoins communs à ce large segment de la population, mais qui ne coïncident que partiellement avec le projet de Ferdinand IV ; la tentative de recouvrir le crédit – collectif et politique – accumulé par cette multitude lors de la lutte antirépublicaine n’arrive pas toutefois à se concrétiser en quelque chose de plus précis qu’une volonté de maintenir le désordre lié à l’état d’exception et une hostilité envers les galantuomini (« nantis »), qu’ils soient républicains ou ministres du roi. L’incompatibilité des aspirations des couches populaires avec la direction du gouvernement devient progressivement tellement évidente qu’elle débouche sur l’abandon de la cause légitimiste par la plupart du « peuple fidèle » de 1799. Les forces sociales qui se sont opposées à la Révolution n’expriment pas de programmes politiquement homogènes. De son côté, la monarchie a réussi son projet militaire consistant à faire appel aux couches populaires pour reconquérir le Royaume. Mais elle n’a pas pu (ni, probablement, voulu) ensuite tenir compte des forces mobilisées lorsque le moment fut venu de redessiner l’équilibre des intérêts dans l’État restauré.
1. Le retour de la monarchie, l’absence du roi
6Les mois qui suivent la chute de la République napolitaine voient les forces qui l’avaient abattue – le peuple du Royaume, la monarchie, et une partie du clergé et de la noblesse – reprendre possession de l’espace public : si Ferdinand IV peut immédiatement compter sur le soutien des membres des deux premiers ordres qui lui étaient restés fidèles (ainsi que de la majorité de l’armée et de la police), le peuple cherche à profiter du chaos politique et institutionnel qui suit la reconquête pour exprimer des intérêts autonomes et en partie divergents de ceux du souverain. Ces derniers, s’ils n’arrivent pas à former un véritable programme politique, témoignent du moins de la volonté de nombreux habitants des campagnes et des quartiers populaires de la ville de faire perdurer le plus longtemps possible l’état d’exception dû à la répression antirépublicaine, perçu comme plus favorable par rapport à l’ordre précédent. Autant la Couronne que le peuple, en effet, conçoivent la Contre-Révolution non pas comme un retour à l’état précédent, mais plutôt comme une sortie alternative de l’ancien régime [2], et chacun des deux acteurs cherche à façonner le nouvel État dans la forme qu’il perçoit comme plus favorable à ses intérêts.
7Fin juin 1799, alors que les derniers républicains résistent encore dans les châteaux et que la garnison française occupe Sant’Elmo, les habitants de Naples, se désintéressent peu à peu des détails d’une lutte dont ils considèrent le résultat inévitable, préférant accorder leur attention à ce qu’ils envisagent, à l’inverse, comme le véritable terme de la guerre et l’issue naturelle de la victoire : le retour de Ferdinand IV dans sa capitale.
8Tandis que les rumeurs annonçant le débarquement prochain du souverain, d’abord à Procida puis sur la côte de Salerne, envahissent les rues, les "députations de chevaliers" décident de se rendre sur les lieux pour l’attendre. Quand, le 9 juillet, Ferdinand IV fait finalement son apparition dans la rade, il est « accueilli par le désir universel » et la ville, illuminée en signe de joie. Pourtant, faisant fi des attentes exprimées par ses « fidèles sujets », le souverain refuse de recevoir quelque députation que ce soit. Il ne met même pas pied à terre [3]. Tout aussi significatif est le sort réservé aux membres de la Città, le conseil nobiliaire historiquement chargé de l’administration de la capitale dont le rôle fut décisif après la fuite du roi en Sicile : ces membres sont certes reçus, mais uniquement à titre individuel.
9L’enthousiasme, pour autant, ne mollit pas. Le roi refuse de débarquer ? Qu’à cela ne tienne, les sérénades viendront à lui ! Musiciens, chanteurs et décors sont dépêchés du Théâtre de San Carlo en péniches et mouillent à proximité du navire royal. Le peuple est lui aussi de la partie ; il entoure les représentations, à bord des barques de pêcheurs, il acclame son roi et l’incite à la plus grande cruauté dans la vengeance [4]. Aussi, quand, dans la nuit du 5 août, le Foudroyant fait voile vers Palerme, la plupart des Napolitains n’anticipent qu’une brève absence, liée à l’organisation du voyage de la famille royale. Leurs attentes vont être amèrement déçues ; la désertion du roi de sa capitale est destinée à durer jusqu’en juillet 1802. Cette absence sera un instrument parmi d’autres employés par le souverain – et son Conseil – pour forcer le royaume continental à se soumettre à une série de mutations politiques qui modifieront la structure même de l’État telle que l’avait conçue Charles de Bourbon en 1734.
10Le départ en Sicile marque l’ouverture d’une période transitoire qui durera trois ans et pendant laquelle le cœur du pouvoir sera délocalisé à Palerme, remettant ainsi en question la centralité et le rôle de capitale principale dont jouissait Naples jusque-là.
11En effet, malgré l’affection qui lui est témoignée par les Napolitains, toutes classes sociales confondues, à travers l’organisation de fêtes et spectacles, le roi manifeste une forte rancune envers ses sujets ; il tient le Royaume, dans son ensemble, pour responsable de la conquête française et de l’établissement subséquent de la sedicente aborrita Repubblica [5]. Son comportement, à commencer par le choix de quitter Naples, entend précisément signifier à ses sujets que la récupération du trône n’est en aucun cas synonyme d’excuses. Aussi, si les « rebelles » le paieront à titre individuel, l’ensemble du corps social devra, quant à lui, prouver qu’il mérite le pardon de la Couronne. En ce sens, le premier moyen concret d’acquérir du mérite – collectif – aux yeux du roi est, naturellement, de n’opposer aucune résistance aux mutations politiques qu’il entend entreprendre ni à la répression sanglante qu’il est sur le point de déclencher.
12Durant cette période transitoire, que Ferdinand IV orchestre de retour au palais de la Favorita de Palerme, le gouvernement du Sud continental est confié à deux organes qui se partagent formellement le pouvoir : le luogotenente, titre donné au cardinal Ruffo, véritable auteur de la reconquête militaire, et la Giunta di Governo, organe collégial composé de nobles et de magistrats directement nommés par le roi. L’organisation de leurs compétences respectives est prescrite par le décret royal du 24 juin 1799 qui distingue, en outre, les « affaires courantes » des « affaires extraordinaires ». Dans le premier cas, c’est le luogotenente qui est compétent, après simple consultation de l’avis de la Giunta et bref résumé envoyé au roi à Palerme. Dans le second, en revanche, c’est le souverain lui-même qui décide depuis Palerme, après consultation des deux organes provisoires [6].
13Il est ainsi facile de voir, derrière les apparences d’un gouvernement bicéphale, que le centre véritable du pouvoir est le Conseil royal qui gouverne à distance, réduisant la Giunta à un simple organe consultatif tandis qu’il assimile le luogotenente à un administrateur pur, chargé des questions de peu d’importance.
14En ce sens, le rôle attribué au cardinal Ruffo est révélateur d’un changement d’attitude de la part de Ferdinand IV concernant l’équilibre traditionnel des pouvoirs à Naples. De fait, le luogotenente n’est rien d’autre qu’un vice-roi, fonction qui sera rendue encore plus explicite avec la nomination du prince de Cassaro [7] comme viceregnante : une figure haïe depuis le long gouvernement espagnol et que Charles de Bourbon avait promis, au moment de monter sur le trône en 1734, de ne jamais rétablir dans la ville de Naples [8]. L’acte de Ferdinand IV est ainsi une attaque claire contre les classes supérieures continentales, considérées comme collectivement responsables de la perte du Royaume et de la naissance de la République. Elle vise à leur indiquer que cette « félonie » a non seulement annulé le pacte établi par son père, mais qu’elle pèsera désormais sur leurs relations avec la Couronne.
15L’installation d’un vice-roi à Naples n’est, au demeurant, qu’un élément parmi d’autres d’une tendance plus générale de « sicilianisation » des institutions et des procédures napolitaines. En effet, des coutumes venues de l’île supplantent d’autres plus autochtones : de nombreux magistrats palermitains sont ainsi propulsés aux plus hauts postes de l’administration et des organes de répression.
16L’exemple de la Giunta di Stato, la plus haute institution judiciaire, est particulièrement significatif de cette « sicilianisation » du royaume continental. Les deux postes les plus importants de cette institution sont confiés à deux Siciliens – Vincenzo Speciale en tant qu’avvocato fiscale (accusateur public) et Emanuele Parisi comme président [9] – tandis que l’on décide d’adopter la procédure pénale insulaire pour juger l’importante masse d’accusés de républicanisme, en ce qu’elle est généralement considérée comme plus rapide que la Lex Julia maiestatis précédemment utilisée à Naples pour les crimes politiques. Ce choix, d’une part, avantage naturellement les juristes siciliens, experts en la matière – et, à ce titre, le 3 septembre 1799, trois autres magistrats sont détachés de Palerme pour Naples –, quand mécaniquement, de l’autre, il assène un coup brutal au corps des avocats locaux, jadis très puissant dans la société napolitaine. À ce titre, il faut également ajouter que la restriction des garanties pour les accusés faisant l’objet de cette nouvelle procédure inconnue des continentaux restreint brusquement le marché pour les paglietti – ainsi que l’on appelle, à Naples, les petits avocats – de sorte que plusieurs d’entre eux se voient contraints de demander à la Couronne, arguant de leur fidélité à la monarchie, un reclassement dans la nouvelle Police mise en place sous les ordres de Antonio della Rossa [10]. Même Carlo De Nicola, homme de loi monarchiste ayant conservé sa place au tribunal et dont le Diario Napoletano, au cours de ces mois, est inspiré par la plus grande prudence en matière de jugements politiques, ne peut que se plaindre de trop de mutations improvisées et déplore que « tous les tribunaux désormais sont montés à la manière de la Sicile [traduction de l’auteur, ainsi que toutes les citations qui suivront] » [11].
17Par ailleurs, un certain degré d’« insularisation » des institutions est également identifiable à l’extérieur de la capitale. Les quatre visitatori chargés de parcourir les provinces et d’y purger toute forme survivante de subversion politique trouvent leur origine dans la figure du delegato, complètement absente de la tradition napolitaine et, au contraire, typiquement sicilienne. D’abord conçu, ainsi qu’il en est de coutume au-delà du Détroit, comme juge monocratique et itinérant assisté par deux greffiers, le visitatore devient au fil des mois un organe collégial, un assesseur étant associé au magistrat lors du jugement [12].
18L’épisode le plus édifiant de la « sicilianisation » temporaire de Naples intervient finalement à la mi-1800 quand le cardinal Ruffo quitte la capitale et qu’il est remplacé par Francesco Maria Statella, prince de Cassaro [13], obtenant quant à lui le titre officiel de viceregnante. Ce choix, peut-être plus que tout autre, aide à comprendre le sens politique de l’entreprise de Ferdinand IV et le message qu’à travers lui il souhaite faire passer aux deux premiers ordres du royaume continental. Francesco M. Statella est en effet connu, depuis la convocation, en 1798, du Parlement par le roi à Palerme ayant imposé une donation à la noblesse, pour être un défenseur des prérogatives de l’île et de son autonomie vis-à-vis de Naples [14]. Aussi, sa nomination en qualité de vice-roi de Naples est-il un signal fort envoyé à la capitale continentale. Après le bouleversement provoqué par l’invasion française et la mise en place de la République, la hiérarchie traditionnelle entre les deux couronnes des Bourbons – en faveur du Royaume de Naples – n’est plus immuable et l’île pourrait désormais se voir accorder le rôle prédominant si les élites du continent ne se montraient pas à la hauteur des attentes du roi.
19Depuis le règne de Charles de Bourbon, la noblesse sicilienne supportait très mal l’envoi systématique de fonctionnaires et gouverneurs napolitains [15]. En outre, la présence, à Palerme, d’un vice-roi ne rappelait que trop la domination espagnole qui prit pourtant fin au début du xviiie siècle [16]. Aussi, le message de Ferdinand IV est-il clair : Naples, si elle en venait à perdre la bienveillance royale, pourrait se retrouver dans la position précédemment occupée par Palerme, soit devenir une capitale mineure, gouvernée à distance et en quelque sorte humiliée par l’adoption du code de sa rivale. Rien n’exclut donc que le renversement de la hiérarchie entre les deux royaumes devienne permanent, sauf à ce que les élites continentales regagnent la bienveillance du souverain, soit, en termes concrets, sauf à ce qu’elles lui témoignent une obéissance absolue dans la mise en œuvre du nouveau programme politique qu’il est sur le point de lancer. Telle est la menace explicite formulée par le roi à destination, notamment, des milieux qui jusque-là avaient dominé le panorama politique.
20En somme, il est clair, après l’expérience de la fuite en Sicile, que le souverain et son entourage ont identifié dans l’élite politique de la dernière décennie du xviiie siècle l’origine de la « peste républicaine ». Par conséquent, à peine reconquis le royaume, la Couronne s’est-elle employée non seulement à détruire toute menace contre le nouvel ordre politique, mais aussi toute prétention de la part des nobles et des bourgeois à conseiller ou guider le pouvoir.
2. Centralisation du pouvoir et reddition des comptes avec la noblesse
21Du point de vue de la cour des Bourbons, la perte du royaume en 1798-1799 est principalement due à la trahison, non seulement de la part des « félons » qui ont matériellement animé les sociétés républicaines et travaillé ensuite avec l’occupant français, mais encore celle, plus générale, de milieux qui auparavant collaboraient avec la Couronne. Ainsi, au-delà d’être visées par la répression et en particulier par l’échafaud, la noblesse et la grande bourgeoisie perdent aussi les places et rôles qu’elles avaient acquis au fil des siècles dans l’État napolitain. Toutefois, les faveurs accordées aux membres la bourgeoisie [17] étant le fruit d’un récent mécanisme de cooptation– entamé avec l’arrivée sous le Vésuve de Marie-Caroline – et organisé sur des bases strictement individuelles, c’est avant tout la noblesse qui subit le démantèlement des structures séculaires qui garantissaient son rôle et son influence dans la machine étatique. En effet, l’action royale s’attaque principalement aux structures symboliques du pouvoir de l’aristocratie ainsi qu’aux hommes représentant les prétentions du Deuxième État, qu’ils aient été impliqués ou non dans le gouvernement de la République napolitaine. Comme le remarquait déjà Nino Cortese, « paradoxalement, c’est la fin de la République qui marque la fin des barons » [18].
22De fait, quand Ferdinand IV fait son apparition dans le golfe de Naples en juillet 1799, les nobles n’ont pas la conscience tranquille. Tout d’abord, nombre d’entre eux ont promu l’expérience républicaine – et, à ce titre, auront le privilège d’être décapités et non pendus par le bourreau, sort réservé à leurs camarades roturiers. En outre, et ce avant même l’arrivée des Français, la Città, principal organe du deuxième ordre, s’était illustrée par son opposition frontale à la volonté du roi qui, fuyant, avait confié la ville à son alter ego, Francesco Pignatelli [19]. En effet, défendant la prérogative de la ville de ne plus être gouvernée par un vice-roi et se basant sur sa prérogative propre à l’administration de la capitale, le conseil de la noblesse n’avait pas reconnu les pouvoirs conférés au vicaire royal, prétendant gouverner lui-même en l’absence de Ferdinand. Au moment où la rage populaire montait, ce conflit avait de facto paralysé la vie politique et favorisé ainsi la prise du château Sant’Elmo par les républicains. Il avait aussi rendu impossibles des négociations crédibles avec Championnet et avait, au final, permis la conquête de la ville par les Français.
23Aussi, dès l’annonce du retour du roi, l’aristocratie du royaume, consciente de se retrouver dans une situation fort incommode, s’empresse-t-elle de travailler à la rémission de ses « péchés » ; des députations de chevaliers attendent le souverain sur la côte, la Città lui demande une audience officielle – sans que cette dernière ne lui soit accordée en tant que telle – et la noblesse, dans son ensemble, fait sculpter une statue représentant la famille royale piétinant les symboles de la République qu’elle offre au roi en guise de remerciement pour le retour de la monarchie, à disposer devant le Largo di Palazzo [20].
24Pour autant, cette recherche tardive de la bienveillance du monarque n’arrive certainement pas à effacer de la mémoire de Ferdinand le souvenir de la désobéissance de l’hiver précédent : l’aristocratie napolitaine ne parvient pas à éviter la perte d’une grande partie du pouvoir qu’elle avait acquis au cours des siècles précédents. L’insubordination de la Città face à l’injonction d’obéir aux ordres de Francesco Pignatelli et, surtout, la participation d’une partie de la jeunesse aristocratique au gouvernement et à l’armée républicaines pèseront comme une condamnation sur le futur politique des barons du royaume, du moins dans les formes traditionnelles par lesquelles ils avaient jusque-là exercé leur influence.
25Plus concrètement, deux mesures vont frapper le pouvoir de l’aristocratie : la réforme de la Police et, plus encore, l’abolition du conseil de la Città et la dissolution des sedili (les « sièges », à la base de l’ancienne structure municipale).
26Dans le premier cas, il s’agit, en réalité, de l’accomplissement d’une réforme déjà prévue en 1798, mais que la guerre et l’invasion françaises avaient empêché de réaliser : l’ancien tribunal de la Vicaria est finalement séparé de la Police – placée sous les ordres du direttore della Rossa – et les privilèges de la noblesse (sous forme de juridictions particulières, exceptions personnelles ou encore inviolabilités de palais, églises, serviteurs et messagers), sont abolis [21]. S’il s’agit certainement là d’une modernisation nécessaire visant à augmenter l’efficacité des forces de police et, surtout, à supprimer une série d’obstacles désormais obsolètes qui, dans les décennies précédentes, avaient effectivement rendu difficile la poursuite de criminels [22], cette réforme affecte toutefois l’aristocratie d’un point de vue symbolique. Ayant déjà perdu grande partie de son pouvoir effectif au fil du règne de Ferdinand IV, elle voit aussi se volatiliser les privilèges personnels accordés à ses membres.
27Cependant, c’est la suppression du conseil de la Città qui, plus qu’aucune autre mesure, signe la fin politique des barons napolitains au moment de la Restauration bourbonienne.
28Cette structure, héritière des parlements médiévaux abolis par les vice-rois espagnols, plaçait la noblesse au cœur du gouvernement de la capitale. Naples était alors divisée en cinq quartiers, chacun d’eux gouverné par un sedile (ou seggio), c’est-à-dire un conseil composé de six – cinq, dans le cas du sedile de Nilo - membres issus des familles les plus nobles dont les palais se situaient à l’intérieur du secteur [23]. Chaque sedile nommait, à son tour, un député – deux, dans le cas du sedile de Montagna – qui siégeait alors au sein du Tribunale di San Lorenzo, soit le conseil communal de la ville [24]. Ce conseil communal – appelé également Città – était principalement une autorité urbaine bien que son rôle politique ait pu être étendu, en certaines matières, au-delà des limites de la capitale. Ainsi en était-il, par exemple, de la Deputazione contro il Sant’Officio, organe interne à la Città et dont le rôle était de veiller à ce que l’Inquisition de Rome ne soit réintroduite sous aucune forme dans le royaume [25].
29L’abolition de cette institution ancienne fut l’une des premières mesures adoptées par Ferdinand IV lors de son arrivée dans le golfe de Naples ; le 19 juillet, il décrète la suppression de la Città et, dès le lendemain, on ordonne la démolition physique des bâtiments médiévaux au sein desquels siégeaient les sedili.
30Pour cause, quand le roi de Naples dût abandonner sa capitale fin 1798, la Città, qui bénéficiait du soutien de la majorité des habitants, dénonça les pleins pouvoirs accordés au « vicaire » Francesco Pignatelli assimilant de facto celui-ci à un vice-roi, comme contraires à la « Constitution » du Royaume. Ne jouissant pourtant d’aucun pouvoir effectif à part l’appui du roi, Pignatelli refusa de céder à la Città, de sorte que le conflit entre les deux organes se transforma en paralysie politique, accentuée par l’incapacité de la Città à imprimer une direction précise à la politique du royaume. Effectivement, alors même que se jouait la lutte pour l’extension de son pouvoir à l’ensemble du royaume et qu’il s’agissait en même temps de contenir l’avancée des troupes françaises depuis la frontière nord, la Città était totalement divisée. Trois courants s’affrontent alors. Le premier interprète la fuite de Ferdinand en Sicile comme une trahison et souhaite, de manière plutôt irréaliste, offrir le trône à un autre membre de la maison des Bourbons d’Espagne [26]. Le deuxième, fidèle à la Couronne comme à Ferdinand IV, entend prendre le contrôle d’un gouvernement provisoire dans l’attente du retour du roi de Palerme, afin, peut-être, d’agrandir l’influence de la noblesse [27]. Le troisième courant, enfin, projette de prendre purement et simplement le pouvoir afin de transformer Naples en république oligarchique [28] ; bien que cette option soit assez répandue parmi les grandes familles et conforme à une longue tradition de « conjuration des barons », elle apparaît toutefois peu crédible : la haine à l’égard des feudataires est largement répandue dans les provinces.
31Si à l’extérieur du conseil comme à l’intérieur des familles qui le composent, plusieurs jeunes aristocrates épousèrent la cause républicaine et participèrent aux formations clandestines de 1793-1795 avant d’intégrer les comités républicains qui facilitèrent la conquête de la ville par Championnet, la Città, quant à elle, ne joua aucun rôle direct dans l’instauration de la République et ses membres ne prirent part à aucune des institutions du nouveau gouvernement. Il n’en demeure pas moins que, dès son retour, Ferdinand lui administra la peine ultime ; non content de dissoudre cette cour séculaire, il alla jusqu’à raser les cloîtres qui représentaient et abritaient les conseils des nobles de chaque quartier.
32Pourtant, les tentations d’instaurer une République oligarchique, quand bien même fussent-elles présentes au sein de l’aristocratie napolitaine, n’avaient jamais représenté une menace réelle pour le trône des Bourbons, le projet étant en soi anachronique et impossible à réaliser. Elles fournirent, toutefois, au roi le parfait prétexte pour se débarrasser de la structure principale du pouvoir nobiliaire sur la ville et sur le royaume. Ce faisant, Ferdinand IV put finalement achever le processus de centralisation du pouvoir et de modernisation de la structure étatique qui avait été au cœur de la politique bourbonienne de 1770 à 1789. Et s’il s’était heurté alors à la résistance des aristocrates et à la division de la Cour entre « parti espagnol » et « parti autrichien », l’état d’urgence dicté par la répression lui donna désormais l’occasion d’abattre ces obstacles, sans difficulté.
33Dans cette optique, la Giunta di Stato, d’ailleurs, ne frappe alors pas exclusivement les républicains. En effet, le sort réservé à Luigi de Medici et Antonio Capece Minutolo, deux aristocrates incarnant les ambitions politiques du Deuxième État, est particulièrement exemplaire de l’action du souverain. Bien que leurs desseins politiques aient été fort différents, les deux hommes ont en partage le discutable privilège de la double-incarcération : d’abord emprisonnés sous la République comme suspects de complots monarchistes, ils sont de nouveau arrêtés sur ordre de Ferdinand IV.
34Luigi de Medici est un brillant juriste qui avait été à la tête de la Vicaria (le tribunal établi à Castel Capuano pendant le vice-royaume espagnol) jusqu’en 1794. Symbole d’une noblesse libérale et modernisatrice, il est arrêté une première fois en avril 1799, alors même qu’il s’était retiré dans son ancien fief d’Ottaiano, au motif d’être suspect de machinations contre l’ordre républicain. Libéré à l’arrivée de l’armée du cardinal Ruffo, il ne jouit que brièvement de cette liberté retrouvée puisqu’il est de nouveau emprisonné en octobre, sur la base d’accusations de jacobinisme clairement invraisemblables. Bénéficiant d’une amnistie royale, Luigi de Medici est finalement élargi le 30 mai 1800 [29]. Plus paradoxal encore est le destin du prince de Canosa, Antonio Capece Minutolo, qui, à la différence de Medici, appartient clairement au courant le plus conservateur, voire même réactionnaire, de la noblesse. Membre de la Città en tant qu’élu du sedile de Capuana, en janvier 1799 il est favorable à une monarchie tempérée par l’aristocratie, profondément opposée à la république oligarchique et fanatiquement fidèle au trône. Arrêté sous la République pour ses liens avec les unions royalistes et ses contacts avec la famille Baccher, il est condamné à mort et sa vie ne sera sauvée que par la chute de la République de Naples [30]. Mais le 10 août, il est de nouveau arrêté et emprisonné, cette fois-ci sur ordre du roi, du fait de son opposition au « vicaire » Pignatelli. Il ne recouvre définitivement la liberté que grâce – paradoxe s’il en est – à l’amnistie accordée aux prisonniers politiques républicains qui fait suite à la paix de Florence de mars 1801.
35Si, comme le souligne Benedetto Croce, « la République a puni le royaliste et le roi l’aristocrate » [31], les velléités absolutistes de Ferdinand IV à son retour de Sicile n’épargnent pas même les plus fidèles, comme le démontre l’infortune du prince de Canosa.
3. Le lien direct entre le roi et son peuple
36Passons rapidement sur le sort réservé à la catégorie des commerçants et des professionnels du droit et de la médecine qui, numériquement et économiquement, est peu significative dans le royaume. Dans son ensemble, cette bourgeoisie n’a pas exprimé de positions politiques unifiées lors de la décennie précédente. Seule sa composante cultivée s’est illustrée comme élément central du mouvement républicain et, à ce titre, a été largement décimée par la répression. Les survivants, quant à eux, n’osent en aucun cas s’exposer en public.
37Dans ce contexte, le « peuple », à qui s’adresse le discours public bourbonien après la reconquête du royaume, ne peut être que la composante de la population la plus dépourvue de moyens économiques et culturels, distribuée entre les campagnes et la capitale. Dans les campagnes, elle a fourni l’effort majeur en vue de la restauration, servant l’entreprise du cardinal Ruffo. À Naples, ce bas peuple formé par petits vendeurs, artisans, pêcheurs, marins et mendiants est toujours resté de marbre face à la propagande républicaine. S’il a fallu attendre l’arrivée des sanfédistes pour qu’il se révolte, l’espoir majoritaire demeurait celui du retour à la monarchie. En ce sens, et en contrepoint de la déloyauté témoignée par les corps intermédiaires des « barons et chevaliers », le peuple est donc le seul sujet collectif qui est resté fidèle à Ferdinand IV, d’où le choix d’ouvrir une nouvelle phase de l’histoire du Royaume basée, du moins dans les discours publics, construisant un lien direct entre le souverain et le peuple.
38La construction d’un lien privilégié entre Ferdinand IV et la partie des sujets jusque-là plus éloignée du dialogue avec le pouvoir s’avère, en effet, nécessaire, et ce, à deux titres. En premier lieu, il s’agit évidemment de légitimer les réformes en cours. Surtout, en second lieu et à plus courte vue, il est indispensable de calmer les populations en effervescence et de canaliser leurs forces au profit d’un retour à la normalité sociale. Dans cette perspective, témoigner la reconnaissance du pouvoir à ceux qui n’ont eu de cesse de défendre la cause de la monarchie devient prioritaire. La nomination du cardinal Ruffo comme luogotenente est précisément à interpréter comme un acte symbolique. Elle sera complétée par une série d’autres mesures visant à ressouder l’alliance entre la Couronne et les sujets les plus défavorisés du royaume.
39Ainsi, les exécutions publiques des républicains sur les places de marché se poursuivent pendant presque un an, les lazzari [32] appréciant le spectacle et ressentant une haine invétérée pour les galantuomini plus que pour les patriotes en tant que tels d’ailleurs. Dans les campagnes, où la violence des sanfédistes s’est souvent abattue sur les propriétaires indépendamment de leur credo politique, le souverain ordonne de se munir d’une précaution toute particulière dans le retour l’ordre ; les instructions données aux visitatori recommandent ainsi de « désarmer le peuple sans le dégoûter et sans lui témoigner de méfiance » [33]. De façon encore plus significative, le gouvernement distribue des pensions – tirées des biens confisqués aux Rei di Stato – pour soutenir les familles des "martyrs" qui ont donné leur vie dans la défense du Trône [34], tant pendant les batailles de rue contre l’armée française en janvier 1799 que devant les pelotons d’exécution condamnant les participants aux conjurations visant à renverser la République. Cette forme de redistribution directe des richesses – de la poche des nantis républicains à celles des pauvres royalistes – remplit deux fonctions : rassurer la plèbe sur l’attachement à la justice du régime monarchique et démontrer, une fois reconquis le royaume, la reconnaissance du souverain à l’égard de ceux qui l’ont défendu, a fortiori de ceux qui sont morts en son nom.
40Plus généralement, il apparaît nettement, dès les premiers temps de la Restauration, que le comportement des individus au cours des premiers mois de 1799 tend à devenir le critère déterminant de leur fortune ou infortune publique, notamment par le truchement des affaires judiciaires qui les concernaient et pour lesquelles l’opinion publique napolitaine s’est toujours passionnée. En effet, non seulement la Giunta di Stato concentre-t-elle l’activité des tribunaux napolitains sur l’entreprise de répression politique, mais les disputes quelconques entre particuliers se transforment également en joutes renvoyant dos à dos obsession de la survie du républicanisme et démonstration de la loyauté monarchiste. Les requêtes des plaignants et des accusés présentent aux juges n’importe quelle vicissitude sous les couleurs de la fidélité au roi et du danger de la renaissance du républicanisme et quiconque finit par être condamné se dépeint sous les traits du royaliste-modèle injustement persécuté par les « cabales » omniprésentes d’ennemis « jacobins » qui, malgré la reconquête, n’auraient rien perdu de leur puissance passée et continueraient à dicter leurs ordres aux juges. Une foule de débiteurs insolvables s’empresse d’écrire au direttore di Polizia, quand les lettres ne sont pas directement adressées au souverain, pour justifier leur banqueroute par le choix de ne pas continuer leurs activités sous l’occupation française ou par les vexations subies par les troupes républicaines [35]. Les coupables, naturellement, rappellent aux juges leurs mérites contre-révolutionnaires, vrais ou inventés et, dans la plupart des cas, dépourvus de tout rapport avec les événements pour lesquels ils sont jugés. Le tailleur Antonio Pesce, par exemple, arrêté pour le vol d’un petit morceau de viande en octobre 1801, supplie d’être libéré en arguant de sa participation, en janvier 1799, à la défense de la Porta Capuana afin d’empêcher l’entrée des Français [36]. Mieux, Domenico Mangione, du casale (faubourg) de Marano, condamné aux travaux forcés, est libéré une première fois sur la base de sa participation à l’entreprise des sanfédistes tandis qu’il impute sa deuxième arrestation à l’hostilité des « jacobins », pourtant due à une plainte déposée par le prête de son village [37]. Tout aussi édifiante est la dénonciation par Mariantonia Gioia de la protection dont jouiraient les prétendus républicains Francesco et Antonio Stevella auprès du juge du quartier de Turris, leur concédant une impunité totale pour les délits violents qu’ils commettent [38].
41Bref, réel ou fictif, le passé royaliste semble constituer une stratégie gagnante auprès des tribunaux napolitains et, de manière générale, l’attention centrée sur la répression politique détourne le système judiciaire bourbonien du contrôle de la criminalité ordinaire. Un observateur tel que Carlo de Nicola se plaint ainsi des changements qui, après la dissolution de la petite Police républicaine, laissaient « les routes en proie à la criminalité quotidienne et à la violence populaire envers quiconque est suffisamment nanti pour être victime d’un vol » [39]. Plusieurs individus, en outre, corrompent les chefs de complots monarchistes contre la République – la famille Baccher, Tanfano et « Le Cristallaro » – pour être inscrits a posteriori dans les registres des conspirateurs [40]. Dans une situation où le pouvoir politique est trop occupé à effacer toute trace de républicanisme pour pouvoir continuer à maintenir également l’ordre public, la partie la plus pauvre du peuple de la capitale comprend qu’elle a tout intérêt à la poursuite de l’état d’urgence ; les autorités ont plus d’égard que d’habitude envers les lazzari et paysans et faire étalage de fidélité monarchique aide souvent à cacher ou à justifier des crimes contre la propriété.
42Il ne faudrait néanmoins pas en déduire que la négligence du contrôle des rues corresponde à une stratégie de la Couronne en vue de s’attirer les faveurs de ceux que la pauvreté pousse à tirer profit du chaos urbain. Il n’en demeure pas moins certain que ces derniers envisagent ce moment politique comme l’occasion de prendre sa revanche sur les galantuomini dans leur ensemble. C’est pourquoi, par exemple, de larges franges de la lazzaria identifient le royalisme avec la cause des pauvres. C’est pourquoi elles soutiennent, à ce titre, l’état d’urgence. D’où la création ou le maintien de formations antirépublicaines parfois nées en 1799, tels des « clubs royalistes », qui entendent s’opposer à la sortie de l’état d’urgence et cherchent, de manière plus générale, à orienter directement le sort du royaume.
43Ce qui est, en fait, un véritable processus de politisation populaire – puisque le peuple négocie sa participation à la vie collective au nom d’intérêts qui lui sont propres – ne coïncide évidemment pas avec les intérêts du Trône, ce dernier ne tolérant aucune force qui prétendrait interférer avec le pouvoir. En brandissant le drapeau de la loyauté royaliste, le peuple, en revanche, se sert des intérêts de la Couronne pour servir les siens propres : c’est-à-dire l’interruption de la « légalité bourgeoise » (puisqu’assuré par des professionnels appartenant à la classe moyenne) qui avait caractérisé l’ordre précédent.
4. Les glubi royalistes et la résistance à la normalisation
44À la fin de l’été 1799, le pouvoir restauré se retrouve confronté à deux problèmes : le rétablissement de l’ordre public, notamment dans la capitale, et la nécessité de démobiliser les bandes paysannes qui avaient formé l’armée de la Santa Fede. La solution la plus naturelle à ce double problème semble être de remplacer, dans l’attente de la reconstitution d’un véritable corps bourbonien, la police républicaine, immédiatement dissoute, par « les Calabrais » : ceux-ci ne peuvent pas encore être envoyés à la conquête de Rome sous les ordres de Rodio [41] avec les royalistes populaires de la ville de Naples. Une véritable compétition s’organise, à ce sujet, pour créer de nouvelles formations destinées à garantir l’ordre public. Un ordre public en partie fondé sur la chasse au jacobin orchestrée par les autorités. Le peintre Benedetto Scardino et l’ébéniste Giovanni de’ Meglio, auparavant au service de S.A.R. le prince héritier, demandent ainsi à pouvoir organiser les artisans en patrouilles afin de « mieux purger cette capitale des effrontés et des mécontents qui se sont révélés ennemis » [42]. Ils estiment pouvoir compter sur 4 à 5 000 artisans prêts à former une garde en charge de maintenir la tranquillité du quartier, de jour comme de nuit, jusqu’à ce que « quiconque souhaiterait se promener de nuit avec de l’or et de l’argent dans les mains puisse circuler librement, sans n’avoir rien à craindre » [43]. Les commerçants de la via di Sedile di Porto, quant à eux, engagent, en septembre 1799, Don Carmine Di Mauro et sa guardia paesana, venue de Calabre avec Ruffo, pour garantir l’ordre et le respect de la propriété dans la rue [44]. Le regain de la criminalité commune ne se révèle donc pas simplement source de revenus pour les malfaiteurs qui décident d’en profiter, mais également pour ceux qui se font payer pour mettre leur violence au service de la protection des particuliers.
45Pourtant, les bandes de sanfédistes se rendent plus souvent directement responsables de violences et d’abus plutôt qu’elles ne constituent une force de dissuasion au crime et au délit. Le cas de Gaetano Russo est emblématique de cette dynamique. Valet d’un aristocrate, Gaetano Russo est violemment frappé par « les Calabrais » après s’être disputé avec un cabaretier du quartier ; ce dernier les paye pour « opprimer et effrayer tous les malheureux gens dudit quartier » [45]. En effet, sous prétexte de maintien de l’ordre public, les masse calabresi se transforment ainsi en véritables bandes armées prêtes à se mettre au service des desseins criminels de ceux qui sont en mesure de les engager.
46Force est de constater que ces vols et violences constituent le moindre des dangers représentés par les bandes de sanfédistes ; bientôt transformées en glubi – ainsi que les Napolitains nomment ces clubs – royalistes et ouverts à des éléments locaux, ces formations prétendent se substituer aux pouvoirs de l’État allant parfois jusqu’à la confrontation physique avec ses corps officiels. Aussi, plusieurs heurts éclatent-ils entre realisti et Police, certains épisodes étant particulièrement révélateurs de la mentalité des multitudes. Ainsi en est-il de l’affaire qui éclate le 15 février 1800 quand un tavernier, précédemment arrêté pour dettes, est libéré, soutenu par la foule qui, réunie dans la via della Carità, lance : « Laissez-le, les sbires ! Vive le Roi et mort aux sbires ! ». L’enquête menée par la Vicaria révélera ensuite que les principaux organisateurs de la libération du tavernier sont des royalistes du quartier de Montecalvario. Quand les principaux responsables de l’évasion sont finalement arrêtés, Nicola de Cesare, chef auto-proclamé du glubo de’ realisti, réplique ; Antonio Ganghi, le greffier du tribunal, est kidnappé et emmené au « poste de garde » de Montecalvario où il est menacé d’être roué de coups « sur ordre du général De Gambs » avant d’être relâché [46]. Quant aux comitive (les patrouilles qui rôdent dans la ville), elles se livrent de plus en plus au pillage, orchestrant des arrestations abusives à partir de chefs d’accusation totalement inventés et, ce qui est d’autant plus problématique pour la Vicaria, se réclamant d’ordres de Della Rossa. C’est ainsi que Don Aurelio Belveri, un avocat calabrais résidant à Naples, s’est retrouvé à porter plainte ; dans la nuit du 23 décembre 1800, Raffaele de Cesare [47], se présentant à lui comme « direttore del Glubo de’ Realisti [directeur du club des royalistes] » du quartier de Montecalvario, est arrivé à son domicile avec vingt autres clubistes en prétextant devoir procéder à l’arrestation du suscité Belveri et de son neveu, sur ordre du directeur de Police. Bien qu’aucune résistance n’ait été opposée par les deux accusés, la maison est pillée et le neveu séquestré pendant plusieurs heures. Après vérification, l’ordre de Della Rossa s’est avéré affabulatoire tandis qu’il n’a plus été possible de remettre la main sur le butin [48].
47Comme l’a décrit Emilio Gin, les clubs royalistes agissant dans la clandestinité pendant la République étaient typiquement structurés autour de la figure d’un aristocrate (ayant un rôle souvent honorifique à la tête de chaque formation) et d’un « directeur » (souvent un avocat ou un officier de l’armée ou de la marine) chargé de coordonner les actions des conspirateurs ; l’élément populaire, de son côté, avait souvent été recruté dans les tout derniers jours de vie de la république pour aider dans les combats de rue les « Calabrais » sur le point d’entrer dans la capitale [49]. Pendant la phase de restauration monarchique, au contraire, les nobles, les militaires et les avocats ont complètement disparu de ces formations – ayant considéré que leur mission avec le rétablissement de la monarchie était terminée – tandis qu’artisans, petits commerçants, valets et apprentis des ateliers continuaient leur engagement en espérant pouvoir obtenir quelque chose de mieux de la situation générale. Le cas le plus emblématique de cette dynamique est représenté par l’avocat napolitain Don Gaetano Ferrante : véritable deus ex machina de la conspiration monarchiste pendant la République [50], il est pourtant nommé visitatore (juge itinérant) à la chute de cette dernière et souvent engagé dans la répression des désordres animés par des anciens royalistes déçus par la nature de la restauration [51]. Les clubs qui, pendant la République, n’avaient pas pu jouir de la protection d’un aristocrate ou des services d’avocats ou de hauts officiers (comme les clubs du Bruno ou du Cristallaro) ne durent pas modifier leur structure pendant la Restauration car ils étaient caractérisés par une composition plus populaire.
48Aussi, les membres du peuple qui s’auto-organisèrent au sein de ces clubs royalistes comprenaient parfaitement les avantages qu’ils pouvaient tirer de l’état d’exception motivé par la répression politique. Conscients de sa nature temporaire, les clubs travaillèrent néanmoins à le prolonger le plus longtemps possible. Leur stratégie, à cet effet, consista principalement à maintenir en alerte les autorités restaurées face à la menace d’un nouveau sursaut révolutionnaire, en débusquant ou – à l’occasion – en inventant l’activité de prétendus groupes républicains. Salvatore Bruno, dit « Le Cristallaro », chef d’une formation royaliste et illustre conspirateur antirépublicain, fit ainsi semblant, en juin 1803, de trouver, près de la Porte Sciuscella, une pancarte dont l’inscription annoncerait un prochain soulèvement populaire [52]. Le duc d’Ascoli, peu dupe, fit cependant immédiatement l’hypothèse de faire face à « une invention créée par les espions, beaucoup d’entre eux protestant de n’être plus payés » [53]. Aussi, l’opposition à la normalisation de la part des glubi créa-t-elle bientôt un conflit entre ceux-ci et l’État, situation en apparence hautement paradoxale puisque ces formations royalistes populaires affichaient leur fidélité à la Couronne comme raison d’être. En réalité, les requêtes envoyées au duc d’Ascoli et les documents de la police napolitaine témoignaient de la naissance d’une nouvelle conception de la monarchie parmi les membres des glubi mis en cause dans des enquêtes. Continuant à justifier leurs actes délictueux au nom du roi, autant les lazzari que « les Calabrais » accusèrent les ministres et les fonctionnaires nobles d’être soudoyés par les républicains, quand ils ne les accusaient pas de jacobinisme. Cette hostilité en vint même jusqu’à atteindre le cardinal Ruffo, au-dessus de tout soupçon puisque symbole vivant de la contre-révolution, qui fût accusé de jacobinisme et menacé, fin août 1799, par un groupe de lazzari ambitionnant de faire eux-mêmes justice au nom du roi [54].
49À première vue, la victoire politique de Ferdinand IV était alors indéniable. Dès les décennies précédentes et plus ou moins consciemment, il avait déjà incarné le personnage du Re lazzarone (ou « Roi des lazzaroni », sobriquet dû à sa familiarité avec les couches populaires et la popularité dont il jouit parmi ces dernières). De fait, le gouvernement royal poursuivit son entreprise de rétablissement de l’ordre social sans en payer le moindre prix du point de vue de ceux qui perdaient objectivement leurs avantages absolus. Mieux, le peuple identifiait les galantuomini (dont seulement une partie s’était montrée novatrice en politique) – qui étaient les véritables vaincus du processus de modernisation postrévolutionnaire – comme les dépositaires effectifs du pouvoir et concentrait sur eux toute son hostilité, en se définissant en tant que groupe social opposé à cette classe moyenne. Pourtant, cette victoire n’était qu’éphémère et étroitement liée à la période de transition post-reconquête. En effet, la fascination du peuple pour la personne du roi ne survécut guère au retour à la normalité.
5. La normalisation du Royaume et la déception du peuple
50La restauration monarchique menée par les autorités provisoires consistait, en réalité, en une restauration propriétaire. Si la Justice se montrait impitoyable à l’endroit des républicains à titre individuel, aucune mesure n’était prise à l’encontre des catégories sociales qui avaient soutenu la République en général. Le « retour à l’ancien » tel qu’il était exprimé replongeait ainsi, à quelques exceptions près, les sanfédistes et les lazzari dans leur traditionnelle misère. La conscience de cette situation était particulièrement prégnante parmi les sujets qui avaient accédé à l’action politique en s’enrôlant dans l’armée conservatrice, bien que ces sujets n’identifiaient pas clairement le responsable de leurs nouveaux malheurs, tout du moins dans les années qui suivirent immédiatement 1799. Toutefois, au fur et à mesure de la consolidation du pouvoir, et surtout à la suite du retour de Ferdinand IV à Naples, la Couronne fut de nouveau identifiée avec le pouvoir et la déception des masses finit par se convertir en colère contre le souverain. Si cette déception ne se traduisit pas par de violentes émeutes, elle se matérialisa par un détachement, progressif, mais inexorable, de la majorité du menu peuple vis-à-vis de la Maison royale.
51Effectivement, une fois signée la paix avec la France, l’obsession relative à la répression politique s’affaiblit substantiellement et la justice bourbonienne se remit à réprimer les crimes à la personne et à la propriété. À Chieti, alors que l’indulgence royale graciait les détenus pour crimes politiques le 1er juillet 1801, un sanfédiste, emprisonné quant à lui pour des « atrocités » que ses mérites royalistes n’avaient pas suffi à blanchir et se sentant trahi, provoqua une mutinerie en prison et harangua ses compagnons à partir « d’arguments naïfs sur les nantis qui toujours trahissent, mais finissent toujours par gagner » [55]. Une fois l’insurrection maîtrisée, le visitatore (juge spécial itinérant) Ferrante, alors même qu’il venait de faire preuve d’une clémence particulière envers les bourgeois républicains, se montra ici, à l’inverse, intransigeant ; l’insurgé fut condamné à être traîné et fouetté dans les rues de la ville avant d’être enchaîné dans le Fort de Pescara. Et quand, attendant l’exécution de sa punition le torse nu, le prisonnier montra à la foule la croix de sanfédiste suspendue à son cou, l’évêque et visitatore ordonna qu’elle lui soit arrachée, « personne ne pouvant prétendre se présenter en martyr devant la Justice » [56]. Le message était clair : la répression envers les nobles et les « nantis » ayant participé à la République ne saurait en aucun cas déborder sur une remise en question de la hiérarchie sociale et de la sacralité de la propriété. La sévérité manifestée à l’endroit des membres des classes favorisées ne dura que le temps strictement nécessaire à empêcher toute velléité de reprise d’un éventuel élan révolutionnaire [57].
52Le cas de l’apprenti-couturier napolitain Antonio Tavasso, arrêté en 1803, est politiquement encore plus intéressant pour prendre la mesure du désenchantement populaire vis-à-vis de la Couronne. En juin de la même année, le jeune artisan fut dénoncé par le prêtre de l’église de Sant’Angelo à Nilo pour discours séditieux ; il aurait tenu à l’égard des « Auguste Reali Persone » des discours menaçants et vulgaires, aurait gardé des contacts avec d’anciens exilés pour affaire d’État et aurait détenu des armes blanches ainsi que des armes à feu. Plus particulièrement, il aurait souvent reçu, dans la boutique de son patron, la visite d’un certain Don Gennaro Lanzetta, républicain napolitain exilé en 1799 et revenu avec l’uniforme de l’armée de la République Cisalpine – et ensuite italienne. Les deux personnages n’auraient pas fait mystère de leur hâte de voir les Français reconquérir la ville et le royaume, et détrôner pour toujours Ferdinand IV [58]. Ce cas est hautement instructif dans la mesure où Antonio Tavasso n’était pas un simple artisan qui, malgré la défaite de la République et la répression sanglante, aurait été séduit par les idées des « patriotes » : Tavasso est un ancien sanfédiste de 1799 [59]. Il avait, en effet, directement participé à la reconquête de Naples et s’était rendu personnellement coupable de plusieurs incendies aux côtés des lazzari et des « Calabrais ». Et pourtant, après la fin des « festins de la contre-révolution » [60], il avait dû retourner à son difficile quotidien d’apprenti-couturier et avait compris que rien n’avait vraiment changé pour les gens de sa condition. Rêvant dès lors du retour de l’ancien ennemi, Antonio Tavasso avait même envisagé d’aller solliciter lui-même les troupes transalpines et italiennes basées dans les Pouilles dans l’espoir qu’elles fissent advenir une révolution qui lui permit « enfin de jeter cette aiguille » [61].
53À la différence de l’alliance qui avait jadis uni la monarchie des Bourbons de Naples à la noblesse et à la bourgeoisie en vue d’asseoir son pouvoir et réaliser ses réformes, celle que la Couronne prétendit sceller au début de la Restauration postrévolutionnaire avec le peuple se révèle finalement purement rhétorique. Effectivement, si la carte blanche laissée par le gouvernement provisoire aux formations populaires pour balayer toute trace de républicanisme avait pu laisser croire que la monarchie recherchait une véritable collaboration avec ses sujets les plus modestes, une fois la « chasse au jacobin » terminée, le processus de normalisation ne déboucha sur aucun amendement de l’ordre social en faveur des couches populaires ; aucun rôle nouveau ne fut conféré au bas peuple dans l’État restauré. De fait, à quelques exceptions près, les auteurs matériels de la reconquête du Royaume furent replongés dans la misère, certains chefs de la Santa Fede mourant même en disgrâce [62].
54Cet état de fait, après une première période de confusion, ne tarda pas à engendrer une désillusion générale ; Ferdinand IV, peu d’années après l’entreprise de Ruffo, avait déjà perdu tout le soutien populaire dont il avait pu jouir à la fin de 1799. Cependant, le mouvement populaire royaliste qui s’était battu contre la République n’étant pas, à ce stade, à même de formaliser des aspirations politiques alternatives à la monarchie ni même de formuler des critiques concernant la manière spécifique dont le roi gouverne, ce désenchantement n’entraîna pas de rébellion ouverte contre le souverain. On assista plutôt à une rapide disparition des masses de la scène publique ; ces dernières redevinrent invisibles, telles qu’elles l’avaient toujours été entre 1647 et 1799.
55Pour autant, quand bien même il ne perturba pas l’ordre public, cet éloignement du peuple et du roi se révéla loin d’être indolore pour la Maison de Bourbon en 1805, au moment de la nouvelle perte du royaume. Quand, après Austerlitz, Napoléon décida de punir les intrigues internationales que Marie-Caroline n’avait jamais cessé de tisser et envoya le corps d’expédition de Masséna conquérir Naples, Ferdinand IV fut forcé de s’enfuir de nouveau pour Palerme ; aucune résistance populaire ne s’opposa alors à l’occupation française, sauf dans quelques foyers en Calabre. Et quand, depuis la Sicile, le Bourbons essaieront de reconstituer un réseau clandestin afin d’organiser des attentats contre la monarchie de Joseph Bonaparte ou pour faciliter le débarquement de contingents anglo-siciliens, les forces vives disponibles se révèleront fort maigres. De fait, si la « Couronne légitime » put compter sur la loyauté indéfectible des chefs des conjurations bourboniennes de 1799 – le « Cristallaro » et le prince de Canosa, in primis –, seules quelques dizaines de commerçants et de contrebandiers acceptèrent de se mettre au service de la reconquête royale. Les lazzari et le bas-peuple restèrent, cette fois-ci, presque totalement indifférents.
Notes
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[1]
Dans la tradition de l’histoire politique du Royaume de Naples l’expression « première restauration » indique la période qui suit la défaite de Joachim Murat et le retour de la maison de Bourbon en 1815. La période qui va de 1799 à la nouvelle conquête française de 1806 est, au contraire, l’une des moins étudiées de l’histoire napolitaine.
-
[2]
Álvaro París Martín, « Le peuple royaliste en armes, Milices et terreur blanche pendant les restaurations à Naples (1799), dans le Midi de la France (1815) et à Madrid (1823) », AHRF, 396, 2019-2, p. 95-120.
-
[3]
Carlo De Nicola, Diario Napoletano 1798 - 1825, Parte I, Naples, Società Napoletana Storia Patria, 1906, p. 235.
-
[4]
Ibid., p. 237.
-
[5]
L’expression est courante dans le langage administratif et juridique de la Restauration et se retrouve très fréquemment dans la documentation. Les ministres et juges de la Maison de Bourbon l’emploient pour signifier la non-reconnaissance du gouvernement balayé par la monarchie gagnante et, par conséquent, le droit que cette dernière s’octroie à juger et punir les républicains en tant que « félons au roi » et non pas comme ennemis.
-
[6]
Giovanni Francesco de Tiberiis, « Processo ai giacobini di Chieti », Rassegna Storica del Risorgimento, 1987, a. LXXIV, p. 11.
-
[7]
Francesco Maria Statella, prince de Cassaro, né en 1758 dans une famille noble de Palerme et extrêmement cultivé, avait commencé sa carrière politique en s’opposant, en 1798, au « don » demandé par Ferdinand IV au Parlement de l’île, il est ensuite nommé Ministre de la Justice quand la cour napolitaine doit fuir en Sicile lors de l’invasion française en décembre de la même année et finalement nommé vice-roi en 1802 en représentation du roi dans la capitale continentale reconquise. Il est donc expression des secteurs de l’aristocratie sicilienne particulièrement liés aux privilèges et prérogatives insulaires. Cf. Giuseppe Scichilone, « Cassaro, Francesco Maria Statella e Napoli principe di », (ad vocem), dans Dizionario biografico degli italiani, Rome, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, vol. 21, 1978.
-
[8]
Pietro Colletta, Storia del Reame di Napoli dal 1734 fino al 1825, Capolago, Tipografia Elvetica, 1834, p. 198.
-
[9]
Archivio di Stato di Napoli [ASNa], Polizia (I numerazione), fascio 131, n. 176.
-
[10]
ASNa, Ministero della Polizia Generale, 1 numerazione (1792-1819), fascio 134, Communications à Acton, juin 1801.
-
[11]
Carlo De Nicola, Diario Napoletano…, op. cit., p. 256.
-
[12]
Armando de Martino, Giustizia e Polizia nel Mezzogiorno 1799-1825, Turin, Giappichelli, 2013.
-
[13]
Cf. supra, n.7.
-
[14]
Giuseppe, Scichilone, « Cassaro, Francesco Maria Statella… », art. cit.
-
[15]
Gaetano Falzone, Il regno di Carlo di Borbone in Sicilia, Bologne, Pàtron, 2006.
-
[16]
Voir, à ce sujet, le long mémorial envoyé au souverain par le prince du Cassaro le 10 septembre 1800 sur les rapports entre la Sicile et le continent : ASNa, Archivio Borbone, affari politici, fascio 240, n. 1. Pour une analyse plus générale des rapports entre Naples et Sicile entre le xviiie et xixe siècle, voir Antonino De Francesco, La palla al piede. Una storia del pregiudizio antimeridionale, Milan, Feltrinelli, 2012.
-
[17]
Par ce mot, on désigne les ceti civili, soit la classe moyenne de la ville de Naples composée d’avocats, de médecins, de savants et de négociants ainsi que les galantuomini, propriétaires fonciers roturiers des provinces. L’homologation de ces groupes est fréquente dans la littérature de l’époque, qui reprend souvent, pour caractériser le Royaume de Naples, la métaphore – attribuée à Francesco Conforti – de la vipère : la partie centrale du corps est utile tandis que la tête (la noblesse) et la queue (la populace) sont immangeables et venimeuses. Voir, par exemple, Giuseppe Maria Arrighi, Saggio storico per servire di studio alle rivoluzioni politiche e civile del Regno di Napoli, Naples, Nella Stamperia del Corriere, 1809. En ce qui concerne les sources primaires, les papiers de police – qu’il s’agisse de rapports des agents ou de témoignages – font constamment référence au membre des ceti civili et de l’aristocratie en faisant précéder leurs nom par la particule Don (ou D.), commune aussi aux membres de la noblesse et du clergé. Il est donc facile de comprendre le rôle que chacun occupe dans la hiérarchie sociale dans la perception des contemporains.
-
[18]
Nino Cortese, Memorie di un generale della repubblica e dell'impero. Francesco Pignatelli, principe di Strongoli, Bari, Laterza, 1927, V. I, p. 10.
-
[19]
Sur le comportement de la Città à l’hiver 1798, voir Vincenzo Cuoco, Saggio storico sulla rivoluzione di Napoli, seconda edizione con l’aggiunta dell’autore, Milan, Francesco Sonzogno, 1806 ainsi que les œuvres plus récentes telles que Mario Battaglini, La Repubblica Napoletana, Origini, nascita, struttura, Turin, Bonacci, 1992 ou Anna Maria Rao, « Ordine e anarchia : Napoli nel 1799-1800 », dans Livio Antonielli et Claudio Donati (dir.), Corpi armati e ordine pubblico in Italia (xvi-xix sec.), Soveria Mannelli, Rubbettino, 2003, p. 241-260.
-
[20]
Carlo De Nicola, Diario Napoletano…, op. cit., p. 248.
-
[21]
Giorgia Alessi, Giustizia e polizia, il controllo di una capitale, Napoli 1779-1803, Naples, Jovene, 1992, p. 39.
-
[22]
Giorgia Alessi, « “Ad modum belli”, Il governo delle province napoletane tra antiche segreterie e nuovi ministeri (1803-1806) », Frontiera D’Europa, 1995, p. 127-178.
-
[23]
Sur la division de la capitale, cf. Brigitte Marin, « Découpage de l’espace et contrôle du territoire urbain : les quartiers de police à Naples (1779-1815) », Mélanges de l’École Française de Rome, Italie et Méditerranée, t. 105, n. 2, 1993, p. 349-374.
-
[24]
À partir de 1495, un « élu du peuple » siégeait au conseil aux côtés des représentants de la noblesse. Malgré son nom, et mise à part lors de la parenthèse de la révolte de Masaniello en 1647/1648, il était choisi par le vice-roi, et ensuite par le souverain.
-
[25]
Benedetto Croce, Nuove curiosità storiche, Naples, Riccardo Ricciardi, 1922, p. 49.
-
[26]
Mario Battaglini, Il “pubblico convocio”. Stato e cittadini nella Repubblica napoletana del 1799, Naples, La Scuola di Pitagora, 2013.
-
[27]
Archives Nationales de France [ANF], F7 6319B dossier « Moliterno », rapport de la police secrète, 25 prairial an XIII ; Vincenzo Cuoco, Saggio storico..., op. cit., p. 85.
-
[28]
Vincenzo Cuoco, Saggio storico…, op. cit., p. 85. À compter parmi les partisans de l’option oligarchique : le prince Girolamo Pignatelli de Moliterno, qui ne siège pas dans la Città mais fait partie d’une des familles les plus puissantes du sedile de Nilo. Le jeune général, qui gagne bientôt la faveur populaire grâce à son aura de chevalier valeureux et à sa résistance acharnée contre les Français, est nommé capitaine du peuple, mais, ne sachant pas lui-même imprimer une direction au mouvement et ne trouvant pas dans le Conseil un guide populaire, finit par perdre tout ascendant sur les masses et se réfugier dans le château de Sant’Elmo, avec les républicains, dans l’attente de la conquête française.
-
[29]
Nicola Nicolini, Luigi de Medici e il giacobinismo napoletano, Florence, Le Monnier, 1935, p. 375.
-
[30]
Walter Maturi, Il Principe di Canosa, Florence, Le Monnier, 1944.
-
[31]
Benedetto Croce, La Rivoluzione napoletana del 1799, Bari, Laterza, 1912, p. 175. Le propos du philosophe napolitain concerne la noblesse, mais certainement pas l’Église qui, en tant qu’institution, est au centre du nouveau régime de contrôle politique et social instauré par Ferdinand IV : à ce propos voir Anna Maria Rao et Pasquale Villani, Napoli 1799-1815, dalla Repubblica alla monarchia amministrativa, Naples, Edizioni del Sole, 1994.
-
[32]
Francesco Benigno, « Trasformazioni discorsive e identità sociali : il caso dei lazzari », Storica, 31, 2005, p. 7-44. Dans cet article, l’auteur analyse l’évolution des significations recouvertes par le terme « lazzaria » au fil du temps. On emploie ici le terme lazzaro/i dans son acception politique et sociale courante autour de 1799, soit les membres du bas-peuple dans le Naples préindustriel du xviiie et de la première moitié du xixe siècle.
-
[33]
Giovanni Francesco de Tiberiis, « Processo ai giacobini… », op. cit., p. 15.
-
[34]
E. g. ASNa, Ministero della Polizia Generale, 1 numerazione (1792-1819), fascio 137, suppliques d’Emmanuela Pulpo et Barbara Durazzo, septembre 1799. Donna Emmanuela Pulpo demande – et obtient – une indemnité de 15 carlini par mois en récompense de l’action de son mari, D. Giuvanni Guglia, mort pendant les « passate emergenze » et une pension est versée à Barbara Durazzo, femme de Giovacchino Costantino, emprisonné pour complicité avec la conjuration des Baccher et exécuté, à ce titre, le 13 juin.
-
[35]
E. g. ASNa, Ministero della Polizia Generale, 1 numerazione (1792-1819), fascio 135, supplique de Ferdinando Battista, février 1801.
-
[36]
Ibid., fascio 133, supplique d’Antonio Pesce, octobre 1801.
-
[37]
Ibid., fascio 135, supplique de Domenico Mangione, 6 avril 1800.
-
[38]
Ibid., fascio 135, supplique de Mariantonia Gioia (pour sa soeur Rachele), sans date.
-
[39]
Carlo De Nicola, Diario Napoletano…, op. cit., p. 256.
-
[40]
Ibid., p. 244. En ce sens, les sociétés et clubs royalistes ne naissent pas avec la chute de la République, les premières ayant commencé leur activité sous la République pour préparer en clandestinité le retour du roi. Il n’en demeure pas moins indéniable qu’à la suite de la reconquête bourbonienne, elles se multiplient, les nouvelles étant animées autant par « les Calabrais » arrivés dans la ville avec la Santa Fede, que par des opportunistes voulant antidater leur engagement en faveur du Trône. Pour un exemple de participation à la contre-révolution évidemment inventée a posteriori, puisque le protagoniste ne se trouvait même pas à Naples pendant la République, cf. Archivio di Stato di Campobasso (ASCb), Processi politici, n. 240, p. 68, copie de (faux) certificat d’appartenance au Club Royaliste de la Rua Catalana de Domenico Santangelo, daté 16 août 1799.
-
[41]
Giovan Battista Rodio, originaire de Catanzaro, après avoir brièvement adhéré à la République, passe du côté de la réaction royaliste, pour laquelle il devient recruteur et commandant de troupes irrégulières. Nommé marquis et lieutenant-colonel en raison des services rendus à la monarchie, il devient un défenseur acharné de l’ordre public dans les Pouilles après 1802. Arrête en 1806 par la police de Joseph Bonaparte, il sera passé par les armes par ordre de J. C. Saliceti, malgré le fait qu’il avait été acquitté lors du procès. Cf. Flavia Luise, « Rodìo, Giovan Battista », (ad vocem), dans Dizionario biografico degli italiani, Rome, Istituto dell’Enciclopedia Italiana, vol. 88, 2017.
-
[42]
ASNa, Ministero della Polizia Generale, 1 numerazione (1792-1819), fascio 131, supplique de Benedetto Scardino et Giovanni de’ Meglio, sans date.
-
[43]
Ibid.
-
[44]
Ibid., fascio 137, dépêche royale, septembre 1799.
-
[45]
Ibid., fascio 132, supplique de Gaetano Russo a della Rossa.
-
[46]
ASNa, Polizia, Real ministero (in Esteri), Rapporti, Busta 3595 (1798-1800), Dépêche royale du 23 février 1800.
-
[47]
Il n’est pas possible d’établir une relation avec le précédent De Cesare.
-
[48]
ASNa, Ministero della Polizia Generale, 1 numerazione (1792-1819), fascio 132, supplique d’Aurelio Belvederi, décembre 1800.
-
[49]
Emilio Gin, Santa fede e congiura antirepubblicana, Napoli, Adriano Gallina, 1999.
-
[50]
Ibidem.
-
[51]
Cf. Infra.
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[52]
ASNa, Polizia, Real Ministero, diversi (in Esteri), fascio 3578, rapport de Ascoli à Acton du 3 juin 1803. L’inscription sur la pancarte serait la suivante : Cadono le città, muoiono i regni, cadono anche i coglioni, infausti segni.
-
[53]
Ibidem.
-
[54]
Carlo De Nicola, Diario Napoletano…, op. cit., p. 295.
-
[55]
Giovanni Francesco de Tiberiis, « Processo ai giacobini …», op. cit., p. 26.
-
[56]
Ibidem.
-
[57]
Marina Caffiero, « Perdono per i giacobini, severità per gli insorgenti. La prima restaurazione pontificia », dans Anna Maria Rao (dir.), Folle controrivoluzionarie, le insorgenze popolari nell’Italia giacobina e napoleonica, Roma, Carocci, 1999, p. 291-324. Le cas de la République romaine, étudié par Marina Caffiero, met en évidence une indulgence comparable envers les membres des classes favorisées, mais, dans le cas de l’article cité, il s’agit de vicissitudes individuelles d’anciens républicains – et, en cela, l’auteure peut citer celle de Ferdinand IV comme exemple de répression sans pitié –, tandis qu’à Naples le phénomène est remarquable pour son échelle collective en tant que groupe social. Voir aussi Mario Battaglini, L’Amministrazione della giustizia nella Repubblica romana del 1798-99, Milano, Giuffré, 1998.
-
[58]
ASNa, Polizia, Real Ministero, diversi (in Esteri), fascio 3578, lettre de Bosco à Ascoli di 4 juin 1803.
-
[59]
Emilio Gin, Santa fede e congiura antirepubblicana, copie de la lettre de de Giorgio à Ascoli du 29 août 1803.
-
[60]
Antonino De Francesco, Vincenzo Cuoco, una vita politica, Bari, Laterza, 1997, p. 83.
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[61]
ASNa, Polizia, Real Ministero, diversi (in Esteri), fascio 3578, copie de la lettre de de Giorgio à Ascoli du 29 août 1803. Un témoin y relate avoir entendu Tavasso affirmer : « quando vengono li Francesi pure averaggio da jetta’ st’aco! (quand les Français viendront, je doit jeter cette aguille loin de moi pour de vrai !).
-
[62]
C’est le cas du célèbre brigand Gaetano Mammone ; voir Benedetto Croce, La Rivoluzione napoletana…, op. cit., p. 399 et suiv.