Couverture de AHRF_378

Article de revue

Cyril Triolaire (dir.), La Révolution française au miroir des recherches actuelles. Actes du colloque tenu à Ivry-sur-Seine (15-16 juin 2010)

Paris, Société des études robespierristes, 2011

Pages 165 à 168

1Ce recueil rassemble la vingtaine de communications faites par des membres récents de la Société des études robespierristes réunis en colloque en juin 2010. Elles sont pour la majorité issues de travaux menés en maîtrise ou en thèse. L’ambition du colloque n’était pas de dresser un bilan historiographique des recherches en histoire de la Révolution en 2010, mais, plus modestement, de souligner la diversité des approches et des champs de recherche abordés par les sociétaires et finalement de montrer le constant « dynamisme » de la société.

2Cinq thèmes sont distingués. Le premier, intitulé « Des hommes en Révolution », permet de montrer le renouveau du genre biographique et la richesse de ses apports. Ce genre s’intéresse moins aujourd’hui aux grandes figures révolutionnaires qu’aux personnages « secondaires », lesquels constituent des portes d’entrée afin de mieux comprendre la complexité des réactions aux processus révolutionnaires. Les deux premières communications s’intéressent chacune à des personnalités engagées dans le journalisme, interrogeant donc les interrelations entre carrière journalistique et carrière politique, et étoffant le vaste champ d’étude du journalisme révolutionnaire. Pierre-Hermann Mugnier aborde sous cet angle, inhabituel, la figure de Tallien. Celui-ci a surtout œuvré, quoique de manière irrégulière, entre le mois d’août 1791 et frimaire an III en s’impliquant dans quatre publications. L’auteur analyse le parcours journalistique de Tallien, montrant que le journaliste précède et prépare l’avènement de l’homme politique. En effet, d’un journalisme d’information destiné surtout à instruire les lecteurs, Tallien passe à un journalisme d’opinion, qui lui permet de s’inventer un espace médiatique et, après son exclusion du club des Jacobins le 17 fructidor an II, de survivre politiquement en exposant sa profession de foi et son programme politique, qui lui attirent les faveurs des muscadins et des petits propriétaires – qu’il avait d’ailleurs tant dénigrés en l’an II. Quant à Aurélie Reboisson, qui livre un article issu d’un mémoire de maîtrise, elle s’intéresse à Jacques-Antoine Dulaure, député à la Convention, étiqueté girondin, plume du Thermomètre du jour (11 août 1791-25 août 1793). Son approche, plutôt classique, vise à interroger l’identité politique de Dulaure – et donc la validité de l’étiquette politique habituellement attribuée – et à vérifier s’il utilise son journal comme une arme politique. À la lumière d’une étude approfondie du journal (récurrences thématiques, provenances des subventions) qui révèle une politisation croissante – il est qualifié de « journal modéré, girondin » – et de l’analyse de la réaction de Dulaure face à trois événements particuliers (la marche à la guerre, le 10 août 1792 et les massacres de septembre, le procès de Louis XVI), elle aboutit à la conclusion que Dulaure appartient bien à la « nébuleuse girondine », même s’il a essayé de donner à la postérité l’image d’un journaliste détaché des querelles, et que le Thermomètre lui sert de tribune. Floréal Hemery s’attache de son côté, à partir du cas de Barère, à mettre en lumière les proximités et les dissemblances entre les conceptions des Anciens et des Modernes concernant l’idée républicaine. Trois thématiques sont étudiées : le citoyen-soldat et le soldat-citoyen, le citoyen-propriétaire et l’obéissance à loi, condition indispensable à la réalisation de la liberté. Comme nombre de députés révolutionnaires, Barère représente bien ce centre républicain pour lequel les références à l’Antiquité sont constitutives de la rhétorique, à une époque où les esprits tant lettrés que populaires les comprennent. Mais tel Barère, ces députés ont pour ambition non pas d’imiter les Anciens mais de les dépasser, en vertu du caractère novateur et supérieur de la Révolution française. La communication suivante, de Guillaume Mazeau, s’intéresse à Drouet de Varennes et souligne « la validité de l’échelle biographique pour aborder la question de l’engagement individuel en politique et les mécanismes de construction des valeurs de la société civique et de l’imaginaire démocratique et républicain ». Selon l’auteur, le destin de Drouet de Varennes (1763-1824) a été « incroyable ». Pourquoi ? Parce que sa vie ressemble à un roman d’aventures et qu’il fait partie de ces personnalités qui ont « réussi à combiner un statut de héros populaire et de héros civique, reconnu par l’État ». L’auteur le démontre par l’analyse de trois moments-clés : d’abord, la fuite à Varennes qui, habilement exploitée par Drouet, lui permet en quelques jours de monopoliser la gloire nationale et de personnifier le peuple ; puis son mandat de député à la Convention, qui consolide son statut de défenseur du peuple contre le tyran et qui, par sa capture le 27 septembre 1793 alors qu’il est envoyé en mission dans l’armée du Nord, lui permet de devenir un héros militaire ; enfin, sa conservation du statut de héros sous le Directoire, alors qu’il est une « anomalie politique », en tant que montagnard encore actif et protagoniste de la conjuration des Égaux : il devient alors un enjeu du combat entre les valeurs civiques et les modèles d’héroïsme. Enfin, s’appuyant sur une source riche (des carnets personnels), Laurent Borne reconstitue l’itinéraire révolutionnaire d’un ecclésiastique, le chartreux Dom Joseph de Martinet. Il met en lumière ses motivations, plus précisément les qualités favorables à la conduite d’un ministère clandestin – son goût pour l’étude et pour l’encadrement spirituel, ainsi qu’un caractère bien affirmé –, et l’usage qu’il fait de la parole dans le cadre de son action pastorale et sacramentelle clandestine, où les préoccupations politiques ne sont pas absentes.

3Le deuxième thème, consacré aux « formes du pouvoir », a trait à l’histoire administrative et institutionnelle. Les quatre communications montrent l’importance du travail archivistique pour la compréhension du fonctionnement, complexe, des rouages de l’État et éclairent la naissance, difficile, des serviteurs de l’État. Un premier article, de Raphaël Matta-Duvigneau, se penche sur les rouages du Comité du salut public à la date du 4 brumaire an IV (6 avril 1793) dans le but de déterminer les règles, juridiques ou coutumières, qui fixent son statut, les modalités d’exercice de ses attributions et la nature de ses relations avec les autres institutions. L’auteur souligne bien les extrêmes bureaucratisation et centralisation atteintes par le comité, « sorte de modèle indépassable de gouvernement d’exception ». En effet, il apparaît comme une machine administrative et bureaucratique bien huilée, et, quoique organe du pouvoir législatif, absorbe les prérogatives et les compétences de l’exécutif, en contrôlant quasiment tous les domaines, particulièrement l’armée et l’administration, par le biais de trois formes d’actions : descendante en tant qu’à l’origine de l’impulsion politique, ascendante en tant que point de convergence, transversale en tant que coordonnateur. Les deux communications suivantes s’intéressent aux agents du pouvoir au niveau local et à la problématique, désormais revisitée, entre centre et périphérie. Dans un premier temps, Gaïd Andro souligne le moment fondateur qu’a constitué l’expérience révolutionnaire de procureur général syndic dans un parcours individuel et collectif : individuel, car cette expérience a pu inaugurer une carrière tant politique qu’administrative ; collectif, car cette fonction prépare l’émergence du statut de fonctionnaire, le procureur général syndic expérimentant en effet les tensions entre pouvoir central et local, et entre service de l’État et convictions personnelles. Dans un second temps, Isabelle Antunes analyse les réactions des administrations de districts face à la question des subsistances, à partir du cas normand. Elle souligne le relais important que constituent ces districts dans la gestion des approvisionnements et celle des stocks, ainsi que les pressions et sollicitations qu’ils subissent, de la part des municipalités et des habitants confrontés à des pénuries, mais aussi des autorités soucieuses de l’application de la loi. Le dernier article, un peu à part, concerne davantage la postérité de la Révolution française dans la social-démocratie allemande à la charnière des XIXe et XXe siècles. Jean-Numa Ducange examine la perception de la « Grande Révolution » par les sociaux-démocrates – comme rupture historique majeure, sans grand étonnement – et montre que cette perception varie en fonction de la conjoncture et que ce modèle révolutionnaire constitue une source d’inspiration pour l’élaboration d’un modèle politique visant à subvertir l’ordre existant.

4Le troisième thème, assez proche du précédent, aborde plus spécifiquement les formes de la vie politique locale. Les quatre communications examinent la problématique des relations entre pouvoir central et pouvoir local, remettant en cause la thèse de la centralisation jacobine. Laurent Brassart, à partir du cas du département de l’Aisne, démontre l’absence d’uniformité territoriale en raison de l’inefficacité des rouages administratifs locaux mis en place par le gouvernement révolutionnaire (administrations de district, agents nationaux, comités de surveillance) : l’auteur conclut donc à l’existence d’« un temps et un espace différenciés des politiques de la Terreur ». Pierre Belda, quant à lui, récapitule les relations entre la municipalité lyonnaise, le district de Lyon-ville et le département, qui se tendent à compter de décembre 1790, en raison de la politisation de la vie locale, la municipalité devenant patriote, les corps administratifs constitutionnels. L’arrestation du roi fait définitivement pencher le rapport de force en faveur de la municipalité, les administrateurs constitutionnels étant destitués le 15 août 1792. Maxime Kaci s’intéresse à un espace frontalier, l’arc septentrional allant du Nord-Pas-de-Calais aux Ardennes, et résume l’approche adoptée dans sa thèse. Il montre la construction du lien collectif, permise par des agents de circulation – ainsi Jean-Baptiste Vassant, qu’il prend en exemple –, des supports d’expression tels que les chansons ou les pétitions, la connexion de différents espaces, et souligne l’approfondissement de ce lien collectif dans les moments de crise. La dernière communication, d’Alain Massalsky, également inspirée de sa thèse, nous emmène dans les Hautes-Pyrénées. L’auteur montre la coexistence de deux types d’institutions électives et de pratiques de vote aux logiques totalement différentes : les assemblées municipales perpétuant le fonctionnement des assemblées communautaires d’Ancien Régime où les clivages politiques sont peu perceptibles, les assemblées départementales censées extraire le citoyen de son cadre communautaire et peu à peu marquées par l’affrontement partisan.

5Le quatrième thème concerne la formation de l’opinion publique, plurielle, et ses lieux de résonance. Jean Salvat analyse la rencontre entre l’Almanach des muses, complément littéraire du Journal des Dames, et l’opinion publique, ainsi que l’impact de la Révolution sur le dialogue entre le journal et les lecteurs. Guillaume Collot s’intéresse aux deux journaux traitant exclusivement de religion sous le Directoire, à savoir les Annales de la Religion et les Annales catholiques, le premier représentant la voix du clergé constitutionnel, le second du clergé réfractaire. Après les avoir présentés, l’auteur montre qu’ils sont certes opposés idéologiquement mais qu’ils ont également eu le souci de répondre aux attentes spirituelles et cultuelles de leur lectorat. Anne Quennedey se penche, quant à elle, sur la manière dont Saint-Just conçoit la pratique oratoire quotidienne dans les assemblées révolutionnaires et le sens qu’il assigne à l’éloquence. Elle souligne notamment les divergences entre Saint-Just et Robespierre et même, en conclusion, entre François Furet et Saint-Just. Selon ce dernier, l’éloquence est un contre-pouvoir indispensable dans les démocraties, parce que garantie de la liberté, et est donc déterminante dans la formation politique de l’opinion publique. Enfin, Cyril Triolaire montre que, contrairement à l’idée reçue, les théâtres départementaux n’ont pas constitué des vecteurs de propagande très efficaces pour le pouvoir napoléonien. Les « titres propagandistes » sont rarement programmés, les scènes de théâtre départementales conservant finalement leur rôle traditionnel de divertissement.

6Le recueil se clôt par trois communications, très stimulantes, consacrées à l’histoire économique. Elles remettent en cause la thèse généralement admise du retard industriel et de la désorganisation économique de la France pendant la période révolutionnaire. S’inspirant de sa thèse et partant d’un espace géographique suffisamment étendu (districts de Reims, Châlons et Epernay), Fabrice Perron s’intéresse à une période particulière, le Directoire, et défait l’idée préconçue d’une grave crise économique pendant ces années 1795-1799. Certes, des éléments perturbateurs ont existé, liés au contexte de guerre et aux réticences des populations face aux réquisitions, mais le dynamisme s’avère indéniable dans les secteurs du textile et de la viticulture. L’auteur affine la chronologie, distinguant les années 1793-1797, marquées en effet par une « crise », puis la période 1797-1999 qui mène vers « une sortie de crise ». Le Directoire prépare donc la croissance économique du Consulat et de l’Empire. À partir de l’exemple nantais, Samuel Guicheteau se concentre quant à lui sur un groupe social en essor, quoiqu’hétéroclite : les ouvriers. Son article, qui reflète la richesse de sa thèse, souligne la pertinence d’une approche collective. Il juxtapose deux interrogations majeures : d’une part la participation des ouvriers à la Révolution, d’autre part l’articulation entre industrialisation et Révolution française. Enfin, Karine Audran examine un lieu précis, le port de Saint-Malo, dont l’effondrement économique est couramment imputé à la Révolution, comme pour d’autres ports atlantiques. Saint-Malo subit un déclin lent, commencé dès le XVIIIe siècle, en raison de « faiblesses structurelles », liées à sa situation, à l’étroitesse de son arrière-pays, à l’insuffisance des infrastructures. La Révolution ne déclenche donc pas le processus mais l’accélère.

7Finalement, ce recueil montre bien le dynamisme actuel de l’histoire révolutionnaire, même si, comme Cyril Triolaire prend bien garde de le souligner dans l’introduction, il ne prétend pas décrire de manière exhaustive la variété des champs de recherche – ainsi, l’histoire religieuse ou intellectuelle n’est pas abordée. Toutes les communications montrent l’intérêt du dépouillement en archives, du travail sur des espaces clairement délimités, des trajectoires individuelles, non pas pour s’enfermer dans une histoire « localiste » mais pour mieux cerner la complexité des processus.

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.89

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions