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Article de revue

‪« Produire l'être singe ». Langage du corps et harmonies spirituelles‪

Pages 9 à 35

Notes

  • [1]
    Je conserve dans tout le texte l’orthographe admise dans la période étudiée. La graphie moderne orang-outan, conforme au vernaculaire malais, s’impose avec lenteur au cours du xxe siècle.
  • [2]
    Jacques Delille, Les trois règnes de la nature. Avec des notes par M. Cuvier, de l’Institut, et autres savants, Paris-Strasbourg-Leipzig-La Haye, H. Nicolle, Giguet et Michaud-Levrault-Besson et Mittler-Van Cleef frères, 1808, t. ii, p. 255.
  • [3]
    Claude Blanckaert, « Frontières de l’humanité. Le “satyre” des Lumières entre science et fiction critique », Histoire et anthropologie, n° 25, 2002, p. 13-32.
  • [4]
    Pierre-André Latreille, « Éclaircissemens relatifs aux singes qui ne sont que vaguement dénommés dans plusieurs voyages, avec quelques vues sur les mœurs, les habitudes, et en général sur les relations du singe avec nous », dans Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, Paris, Dufart, an IX, t. xxxvi, p. 272.
  • [5]
    Jacques Delille, Les trois règnes de la nature…, op. cit., t. ii, p. 281-282.
  • [6]
    Pierre-André Latreille, « Addition à l’article des orangs-outangs », dans Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, op. cit., t. xxxv, p. 160.
  • [7]
    Ibidem.
  • [8]
    Jacques Delille, Les trois règnes de la nature…, op. cit., t. i, p. 30.
  • [9]
    Georges-Louis Leclerc de Buffon, « Nomenclature des singes », dans Histoire naturelle générale et particulière, op. cit., t. xxxv, p. 25.
  • [10]
    ?Johann Friedrich?? Blumenbach??, ??On The Natural Variety of Mankind ??(??De Generis Humani Varietate Nativa??, 3??e?? éd., 1795), dans ??The Anthropological Treatises of Johann Friedrich Blumenbach??, Thomas ??Bendyshe?? éd., Londres, Longman, Green, Longman, Roberts & Green, p. 171-173.?
  • [11]
    Claude Blanckaert, « Le trou occipital et la “crâniotomie comparée des races humaines” (xviiie-xixe siècle) », dans Jacques Hainard, Roland Kaehr (dir.), Le Trou, Neuchâtel, Musée d’Ethnographie, 1990, p. 255-264.
  • [12]
    Louis Jean Marie Daubenton, « Leçon sur l’homme », dans L’École normale de l’an III. Leçons de physique, de chimie, d’histoire naturelle, Étienne Guyon éd., Paris, Éditions Rue d’Ulm-Presses de l’École normale supérieure, 2006, p. 542.
  • [13]
    ?Johann Friedrich?? Blumenbach??, ??On The Natural Variety of Mankind ??(1795), ??op. cit.??, p. 152.?
  • [14]
    Georges Cuvier, Le règne animal distribué d’après son organisation, pour servir de base à l’histoire naturelle des animaux et d’introduction à l’anatomie comparée, Paris, Deterville, 1817, t. i, p. 82.
  • [15]
    Cité dans Giulio Barsanti, « L’orang-outan déclassé (Pongo Wurmbii Tied.). Histoire du premier singe à hauteur d’homme (1780-1801) et ébauche d’une théorie de la circularité des sources », Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, nlle série, t. i, n° 3-4, 1989, p. 96.
  • [16]
    Jacques-Bernard Hombron, De l’homme dans ses rapports avec la création, dans Voyage au pôle Sud et dans l’Océanie sur les corvettes l’Astrolabe et la Zélée ; exécuté par ordre du Roi pendant les années 1837-1838-1839-1840, sous le commandement de M.J. Dumont-D’Urville. Zoologie, Paris, Gide et Cie, t. i, 1846, p. 119-120.
  • [17]
    Georges-Louis Leclerc de Buffon, « Nomenclature des singes », art. cit., p. 41-43.
  • [18]
    ?Johann Friedrich?? Blumenbach??, ??On The Natural Variety of Mankind??, ??op. cit.??, p. 84.?
  • [19]
    Pierre Camper, De l’orang-outang et de quelques autres espèces de singes (1782), dans Œuvres de Pierre Camper, qui ont pour objet l’histoire naturelle, la physiologie et l’anatomie comparée, Paris-Bordeaux, H. J. Jansen, A. Bertrand-chez Melon et Cie, 1803, tome I, p. 89.
  • [20]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, nelle éd., Paris, Crochard, 1824, t. i, p. 84-85.
  • [21]
    Antoine Desmoulins, Histoire naturelle des races humaines du Nord-Est de l’Europe, de l’Asie boréale et orientale, et de l’Afrique australe, Paris, Méquignon-Marvis, 1826, p. 189.
  • [22]
    Jacques-Bernard Hombron, De l’homme dans ses rapports avec la création, op. cit., p. 119.
  • [23]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. i, p. 24-26.
  • [24]
    Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, L’Homme (Homo). Essai zoologique sur le genre humain, 3e éd., Paris, Rey et Gravier, 1836, t. i, p. 4 ; et l’article « Bimanes », dans Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent (dir.), Dictionnaire classique d’Histoire naturelle, Paris, Rey et Gravier, Baudouin Frères, t. ii, 1822, p. 319.
  • [25]
    Id., article « Orang », dans Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent (dir.), Dictionnaire classique d’Histoire naturelle, op. cit., p. 264 et 262.
  • [26]
    ?Id??., ??L’Homme (Homo)…??, ??op. cit.??, t. ??i??, p.?? ??13-14.?
  • [27]
    ?Id??., « Orang », ??art. cit.??, p. 267 et 265.?
  • [28]
    Id., « Bimanes » et « Orang » (p. 263-264), art. cit.
  • [29]
    ?Cf. Gunnar ??Broberg??, « ??Homo sapiens??. Linnaeus’s classification of Man», dans Tore ??Frängsmyr?? (dir.), ??Linnaeus. The Man and His Work??, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 1983, p. 156-194.?
  • [30]
    Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire naturelle générale des règnes organiques, principalement étudiée chez l’homme et les animaux, Paris, V. Masson, t. ii, 1859, p. 184.
  • [31]
    Ibidem, p. 252-253 et 261.
  • [32]
    Georges-Louis Leclerc de Buffon, De l’homme, rééd. Paris, L’Harmattan, 2006, p. 43.
  • [33]
    Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, « Extrait d’un mémoire sur l’Orang-Outang, vivant actuellement à la Ménagerie. Article ier. Discussion préliminaire », Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, t. ii, 1836, p. 583.
  • [34]
    Ibidem, p. 585.
  • [35]
    Pierre-André Latreille, « Éclaircissemens relatifs aux singes… », art. cit., p. 248 et 262.
  • [36]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie dans ses rapports avec la philosophie, Paris, J.-B. Baillière, 1844, p. 30.
  • [37]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. iii, p. 47.
  • [38]
    Id., De la physiologie…, op. cit., p. 202.
  • [39]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. iii, p. 477 et 430.
  • [40]
    Ibidem, t. iii, p. 471-472, 506.
  • [41]
    Pierre-André Latreille, « Éclaircissemens relatifs aux singes… », art. cit., p. 261 ; Frédéric Cuvier, Supplément à l’histoire naturelle, générale et particulière de Buffon, Paris, F.D. Pillot, 1831, p. 68.
  • [42]
    Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, « Orang », art. cit., p. 272.
  • [43]
    ?Id??., ??L’Homme (Homo)…??, ??op. cit.??, t. ??i??, p.?? ??53.?
  • [44]
    Georges-Louis Leclerc de Buffon, « Nomenclature des singes », art. cit. p. 41, 50-55 ; citation p. 52.
  • [45]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, ou Recherches sur ses principaux Fondemens physiques et moraux, Paris, Dufart, an IX, t. i, p. 191 ; voir également p. 92-94.
  • [46]
    Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, Cours de l’histoire naturelle des mammifères. Partie comprenant quelques vues préliminaires de philosophie naturelle, et l’histoire des Singes, des Makis, des Chauve-Souris et de la Taupe, Paris, Pichon et Didier, 1829, 6e leçon, p. 11.
  • [47]
    Pierre-André Latreille, « Éclaircissemens relatifs aux singes… », art. cit., p. 262-263.
  • [48]
    Georges Cuvier, Le règne animal…, op. cit., t. i, p. 52.
  • [49]
    Xavier Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort, Verviers, Marabout Université, 1973, p. 96, 59.
  • [50]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. iii, p. 45.
  • [51]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, an IX, op. cit., t. i, p. 184-185.
  • [52]
    Ibidem, t. i, p. 91.
  • [53]
    Id., article « Homme », dans Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle appliquée aux arts, nelle éd., Paris, Deterville, t. xv, 1817, p. 23.
  • [54]
    Pierre-André Latreille, « Éclaircissemens relatifs aux singes… », art. cit., p. 264.
  • [55]
    François-Marie Neveu, Cours préliminaire relatif aux arts de dessin, Paris, Université de la Sorbonne nouvelle-Paris III, 1982, p. 147.
  • [56]
    Georges Cuvier, Le règne animal…, op. cit., t. i, p. 70.
  • [57]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 76.
  • [58]
    Xavier Bichat, Recherches physiologiques…, op. cit., p. 95.
  • [59]
    Ibidem, p. 96.
  • [60]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, an IX, op. cit., t. i, p. 428-429.
  • [61]
    Ibidem, p. 423.
  • [62]
    Xavier Bichat, Recherches physiologiques…, op. cit., p. 97.
  • [63]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. iii, p. 443 et sq.
  • [64]
    Ibidem, p. 463.
  • [65]
    Cf. Cornélius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, ou Mémoires intéressants pour servir à l’Histoire de l’Espèce Humaine, Londres, 1770, t. ii, p. 59.
  • [66]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 121.
  • [67]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. iii, p. 62.
  • [68]
    Id., De la physiologie…, op. cit., p. 103 et 15.
  • [69]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. i, p. 248-250.
  • [70]
    Id., article « Nègre », dans Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle appliquée aux arts, nelle éd., Paris, Deterville, t. xxii, 1818, p. 468-470.
  • [71]
    Id., « Dualisme multiple de l’organisation et de ses antagonismes dans l’homme et le règne animal », Gazette médicale de Paris [extrait], 1842, p. 9.
  • [72]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, an IX, op. cit., t. ii, p. 184-185 ; Claude Blanckaert, « J.-J. Virey, observateur de l’homme (1800-1825) », dans Claude Bénichou, Claude Blanckaert (dir.), Julien-Joseph Virey, naturaliste et anthropologue, Paris, Vrin, 1988, en part. iiie section.
  • [73]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 84 note.
  • [74]
    Cf. Franck Tinland, L’homme sauvage. Homo Ferus et Homo Sylvestris, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 268.
  • [75]
    Claude Blanckaert, « La perfectibilité, sous conditions ? Éducation d’espèce, flexibilité d’organisation et échelle d’aptitude morale en anthropologie (1750-1820) », dans Bertrand Binoche (dir.), L’homme perfectible, Seyssel, Champ Vallon, 2004, p. 114-144.
  • [76]
    Cornélius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, op. cit., t. i, p. 65.
  • [77]
    ?Ibidem??, t. ??ii??, p.?? ??60-62.?
  • [78]
    ?Charles?? White??, ??An Account of the regular gradation in Man, and in different animals and vegetables ; and from the former to the latter??, Londres, C. Dilly, 1799, p. 34-35 et 65.?
  • [79]
    Georges Cuvier, Le règne animal…, op. cit., t. i, p. 54-55.
  • [80]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 76.
  • [81]
    Ibidem, p. 175-176.
  • [82]
    Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, « Orang », art. cit., p. 261-262.
  • [83]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 407.
  • [84]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, an IX, op. cit., t. ii, p. 183.
  • [85]
    Cf. Claude Blanckaert, « “Les vicissitudes de l’angle facial” et les débuts de la craniométrie (1765-1875) », Revue de Synthèse, 4e série, n° 3-4, 1987, p. 417-453 ; Miriam Claude Meijer, Race and Aesthetics in the Anthropology of Petrus Camper (1722-1789), Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 1999, chap. 6 et 7.
  • [86]
    Xavier Bichat, Recherches physiologiques…, op. cit., p. 46 ; cf. p. 58.
  • [87]
    Georges Cuvier, Leçons d’anatomie comparée, Paris, Baudoin, t. ii, an VIII-1800, p. 2-6.
  • [88]
    Ibidem, p. 9-10.
  • [89]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, an IX, op. cit., t. i, p. 299.
  • [90]
    Georges Cuvier, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, « Histoire naturelle des Orangs-outangs », reproduit dans Pierre-André Latreille, « Addition à l’article de la nomenclature des singes », art. cit., p. 66.
  • [91]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 145.
  • [92]
    Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, « Orang », art. cit., p. 273, 281, citation p. 268.
  • [93]
    Georges-Louis Leclerc de Buffon, « Nomenclature des singes », art. cit. p. 49-50.
  • [94]
    Giulio Barsanti, « L’orang-outan déclassé… », art. cit.
  • [95]
    Georges Cuvier, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, « Histoire naturelle des Orangs-outangs », art. cit., p. 64, 66-67, 72.
  • [96]
    Pierre-André Latreille, « Le singe de Wurmb », dans Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, op. cit., t. xxxv, p. 263.
  • [97]
    Pierre Camper, De l’orang-outang et de quelques autres espèces de singes, op. cit., p. 64-66 note.
  • [98]
    Cf. Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, Cours de l’histoire naturelle des mammifères, op. cit., 7e leçon.
  • [99]
    Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, « Orang », art. cit., p. 276-277 et 279.
  • [100]
    Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, « Considérations sur les Singes les plus voisins de l’homme », Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, t. ii, 1836, p. 92-95 ; « Études sur l’Orang-Outang de la Ménagerie », ibidem, t. iii, 1836, p. 1-8.
  • [101]
    Jacques-Bernard Hombron, De l’homme dans ses rapports avec la création, op. cit., p. 121.
  • [102]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 120.
  • [103]
    ?Ibidem.?
  • [104]
    ?Charles?? Darwin??, ??Metaphysics, Materialism, and the Evolution of Mind. Early writings of Charles Darwin??, Paul H. ??Barrett?? (dir.)., Chicago, The University of Chicago Press, 1980, p. 29.?

Effroi et enthousiasme

1Dans l’optique d’une primatologie positive, il serait tentant d’opposer abruptement l’orang-outang [1] des Lumières, « l’homme inculte des bois » [2], et le singe du xixsiècle qu’une zoologie sévère affecte dorénavant à son vrai rang naturel dans la série des êtres. Grâce à Louis Daubenton, Petrus Camper et bientôt Georges Cuvier, la carrière fabuleuse du « Satyre » sylvestre ou troglodyte semble s’éteindre avec les derniers feux de la Révolution [3]. On le croyait capable de traverser le mur des espèces, de séduire les femmes et d’embrouiller, par son intelligence, les meilleurs nomenclateurs. Or le grand singe, Pongo, Jocko, Pygmée, Quimpezé, quel qu’en soit le baptême des voyageurs, va perdre de son mystère avec sa posture verticale. Il ne « sera jamais au plus que le singe de notre espèce », remarque avec force conjurations le naturaliste Pierre-André Latreille, « une excellente copie de nous-mêmes » [4].

Bimanes et quadrumanes

2L’anatomie vient flétrir l’« extravagance » des jugements et l’anthropomorphisme des représentations banales. « On a en effet ridiculement exagéré la ressemblance de l’orang-outang avec nous », confirme Cuvier lorsqu’il annote les Trois règnes de la nature du poète Jacques Delille. « La vérité est que le célèbre orang-outang de Bornéo, le singe qui s’approche le plus de l’homme, n’atteint qu’à trois ou quatre pieds de haut, est incapable de marcher debout sans l’aide d’un bâton, se traîne même à quatre pieds plutôt qu’il n’y marche et ne jouit de quelque agilité que lorsqu’il grimpe aux arbres ». Ses bras eux-mêmes conspirent à cette démarche. Leur longueur démesurée « lui donne un air hideux d’araignée » [5]. Petites ou grandes espèces, les « animaux anthropoformes » vantés par Rousseau ne sont que des gymnastes accomplis. Et n’en déplaise à tous ces « misérables », à tous ces philosophes « insensés » qui voulaient, par cette rivalité mensongère, avilir la nature de l’homme et humilier sa raison, « on a étudié leurs mœurs, ces actes qui décéloient, à croire leurs panégyristes, une intelligence égale à celle de l’homme, et on a vu que même parmi les animaux, le singe n’étoit ni le plus spirituel, ni le plus avancé pour les qualités relatives » [6]. En somme, si la conformation des orangs-outangs donne à leurs mimiques une ressemblance bien faite, comme le dit Cuvier, pour « frapper le vulgaire », ces « prétendus hommes sauvages n’ont pu soutenir les regards du naturaliste attentif et impartial, sans perdre le merveilleux de leur réputation » [7].

3Le singe « extraordinaire » des auteurs passés va perdre ainsi tout droit au patrimoine commun de l’humanité. Alors que la mention des Satyres et autres êtres composites à queue ou à poil restait bien vivace dans la tradition d’érudition libertine, chez Guillaume Rei, Benoît de Maillet ou Julien Offray de la Mettrie, le siècle qui s’ouvre dément les équivoques de la nature et tous ces genres mitoyens. Jacques Delille le remarque à propos de la prose poétique, « toute chose, comme toute personne, doit conserver son caractère : deux natures différentes réunies dans les Centaures, n’en ont fait que des monstres. Les animaux qui appartiennent à deux éléments n’appartiennent à aucun » [8]. Si l’homme, donc, se « soutient droit et élevé » et commence par les pieds selon Daubenton, le singe excelle dans les frondaisons. Voilà sa véritable patrie naturelle. En 1766, Buffon décrit l’homme comme « le seul qui soit bimane et bipède », sa main se trouvant libérée de toute fonction locomotrice. Le singe n’est pas même un quadrupède à la mode linnéenne. Par son pied préhensile, il s’affranchit des pesanteurs terrestres. Il sera « quadrumane », un terme repris de l’anatomiste anglais Edward Tyson et qu’impatronise Buffon [9] pour mieux reléguer l’orang-outang au nombre des automates à visage humain. La force performative des appellations ne se dément pas chez ses successeurs. En 1795, par exemple, l’anatomiste de Göttingen Johann Friedrich Blumenbach remarque que le singe anthropomorphe n’est dans son habitat sylvestre à proprement parler ni bipède ni quadrupède. Ses quatre mains favorisent la préhension des branches en altitude et la cueillette de ses aliments. Un habile dressage à la marche terrestre verticale peut abuser l’observateur ignorant. Cette pose, toutefois, est contrainte et bien vite pénible. Sous ce rapport, toutes les gravures du xviiie siècle qui présentaient le singe en équilibre sur ses jambes raides et contemplant l’horizon n’offraient qu’une grossière caricature de son port spontané. Car son pied se serre comme un poing, ce qui le prive d’aplomb. En contrepartie, sa forme répond pleinement de sa destination arboricole [10].

4Alors que dans ses grands écrits taxinomiques tant décriés, Carl Linné avait accentué si nécessaire les rapports de conformité de l’homme et du singe en les classant côte à côte dans l’ordre unitaire des Anthropomorphes (1735) puis des Primates (1758), le « flambeau de l’anatomie » vient maintenant éclairer les conditions de l’excellence humaine. L’homme seul possède une main industrieuse par laquelle il conquiert le monde. C’est un mammifère sorti du rang. Dès le tournant du siècle, la taxinomie linnéenne est déclarée attentatoire à la dignité de l’Homo sapiens. Sans doute tous les naturalistes qui écrivent dans cette période sont-ils choqués que l’on ait pu confondre l’homme, Roi de la nature et créé pour contempler les cieux, avec aucune des productions terrestres. De plus, et sur un plan physique, chacun s’assure avec Daubenton que tout l’agencement du corps humain trahit sa bipédie caractéristique, depuis la proportion des membres et la courbure en S de la colonne vertébrale jusqu’à la position centrale du trou occipital à la base du crâne [11]. À sa différence, le gibbon ou le jocko n’ont pas de mollet. Leurs muscles « ne sont pas assez forts pour soutenir les cuisses et le corps en ligne verticale pour les maintenir dans cette attitude » [12].

5L’ordre linnéen des Primates ne restera pas longtemps un objet de discussion scientifique. Blumenbach [13] puis Cuvier lui substituèrent deux ordres de mammifères franchement distingués et même antagonistes, l’ordre très réservé des Bimanes pour l’espèce humaine, l’ordre des Quadrumanes pour l’ensemble des singes. L’empire de l’homme, « seul animal vraiment bimane et bipède » [14] s’avérait hors d’atteinte et toutes les bévues qui obscurcissaient cette vérité de fait et de valeur tenaient, disait Étienne Geoffroy Saint-Hilaire dès 1796, à cette considération erronée qu’on peut « descendre par nuances presqu’insensibles de la nature humaine à celle des animaux » [15]. L’anthropomorphe arboricole et « pédimane », selon le mot de Julien-Joseph Virey, rétrocède son capital de curiosité. Il ne diffère pas seulement de l’homme comme l’approximation d’un type achevé. Avec sa longue main avortée, véritable « crochet » sans tact, son tronc incliné et des facultés de mémoire ou d’attention inférieures à celles de l’épagneul, il n’en paraît qu’une « copie informe et fort éloignée » [16]. Sa langue est « bien conformée pour parler », poursuit Jacques-Bernard Hombron. Mais la voix ne fait sens qu’au moment où un signe s’attache à une idée. Autrement dit, le singe ne parle pas parce qu’il ne pense pas. Dans sa formulation cartésienne radicale, et telle qu’illustrée dans la monographie du Pygmée par Edward Tyson ou la Nomenclature des Singes de Buffon [17], cette thèse avait historiquement consacré le primat de l’Homo loquens : « Quoique ayant les organes de la voix presque identiques à ceux de l’homme, les autres animaux sont privés de langage. On doit en déduire que la parole résulte de la raison seule » [18].

6Fallait-il pour autant contrarier le principe de finalité des métaphysiciens et soutenir ainsi l’incongruité d’organes sans fonction ? Pas nécessairement. Nombre de voyageurs de la période antérieure avaient accrédité l’idée que le Satyre, philosophe muet et bon politique, s’emmurait à dessein dans son silence de crainte d’être réduit en esclavage et mis au travail. Cependant, l’anatomie offrait d’autres ressources moins légendaires. Depuis les années 1780, on savait par les habiles dissections de Petrus Camper que chez l’orang d’Insulinde des poches membraneuses communiquant avec le larynx prévenaient toute émission d’un son articulé. Camper les comparait aux vessies gonflantes des grenouilles mâles [19]. Mais cette disposition, somme toute indifférente, passe encore pour une « marque de dégradation ». Elle fait donc signe pour le propre de l’homme, l’expressivité. Virey le note avec approbation :

7

 L’orang-outang pourrait articuler, à la vérité, des sons presque comme l’homme, à cause de la forme de sa bouche ; mais la nature, par une prévoyance bien extraordinaire, n’a pas voulu qu’un animal vînt se joindre, pour ainsi dire, à la conversation humaine, et que les inepties de la bête pussent se mêler au raisonnement des êtres intelligents  [20].

8Dès lors que la « limite d’organisation » qui les sépare équivaut, dans les termes d’Antoine Desmoulins, à « l’infini anatomiquement parlant » [21], il n’est plus temps de réfuter les « paradoxes déclamatoires » sur la transition du singe à l’homme qu’ont propagés quelques émules tardifs de Linné ou de Lamarck : « On ne conçoit pas que des auteurs, recommandables d’ailleurs, se soient appliqués à nous montrer presque un homme dans les plus grands des quadrumanes de cette famille de grimpeurs, qui reçurent le nom d’homme-des-bois [sic] » [22].

Les bas-fonds de la philosophie

9Toutefois, cet unanimisme trop spirituel masquerait sans raison de notables dissidences. Dans les années 1820, alors que Virey réaffirme que l’homme, « le seul bimane et bipède » de la création, « ne touche la poussière que par ses extrémités » quand la brute « ramène ses regards avec ses désirs vers cette fange dont elle est sortie » [23], Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent n’hésite guère à bousculer les cadres taxinomiques admis. L’établissement de l’ordre des Bimanes, où l’homme voudrait se retrancher en dominateur, n’est qu’un « moyen évasif de se conserver encore un degré de noblesse » [24]. Or « quatre mains ne vaudraient-elles pas mieux que deux comme élémens de perfectibilité ? » Le terme de Singe est trompeur, renchérit Bory de Saint-Vincent. Il « emporte avec lui une idée d’irréflexion, d’impudicité, d’animalité burlesque, qui n’est pas celle que l’observation doit donner des Orangs, tellement rapprochés des Hommes par leur conformation, par leur humeur, tranchons le mot, par certains penchans moraux, qu’on se trouve réduit, pour les en séparer, à des considérations tirées d’un doigt des pieds » [25].

10La barrière symbolique dressée par les naturalistes entre les deux ordres des « Bimanes » et des « Quadrumanes » était d’autant mieux accentuée que la langue française ne disposait pas de termes distinctifs pour opposer, à la manière anglaise, les grands singes (apes) des petits (monkeys). L’amalgame de l’Orang et du « lubrique cynocéphale » dont Bory de Saint-Vincent semble s’offusquer tient aussi de ce registre lexical figé et inadéquat. La césure, dit-il, isole à tort du genre humain des êtres qui possèdent une physionomie où se peignent les pensées, un « véritable pied » et une rectitude du maintien qui déterminent chez eux « cette démarche de bipède où l’on vit un attribut divin » [26]. Leur seule différence vient de la modulation de la voix. Sans ces poches thyroïdiennes qui étouffent en un « murmure sourd » le son de sa glotte, conclut Bory de Saint-Vincent, « le Champanzée, entre les Orangs, serait, quoiqu’avec son pouce semi-opposable, déjà supérieur [au] Hottentot », le dernier des hommes. La nature, en sorte, opère par gradations insensibles d’une espèce à l’autre. Et si le gibbon s’incline déjà vers les guenons, il existe à l’opposé beaucoup d’hommes, « jusque chez les nations civilisées », dont le développement mental ne s’élève pas à celui du premier des Singes [27].

11Le progrès des connaissances n’a donc rien réglé. L’ambivalence de l’Orang, désignation générale de toutes les espèces à front levé, suscite à part égale effroi et enthousiasme. Estimant qu’il y a « certainement plus de différence des Orangs aux Guenons ou Singes à queue, qui sont confondus avec ces Animaux, dans l’ordre des Quadrumanes de Cuvier, que des Orangs à l’Homme », Bory de Saint-Vincent réclame en 1822 la réhabilitation de l’orang noir et roux et même du gibbon dans la famille des Bimanes, au plus près de l’homme donc, dans l’ordre linnéen restauré pour cette occasion des Anthropomorphes. Les Singes s’individualisent à leur suite, mais nettement en retrait [28]. Bory de Saint-Vincent semblait alors reconduire avec anachronisme les erreurs de Linné qui, passé 1770, rangeait encore le troglodyte, l’homme à queue et le gibbon parmi les « cousins » rustiques de l’Homo sapiens[29]. Convenait-il, à cinquante ans de là, d’« ajouter des fables à des absurdités », comme Buffon en faisait grief à son rival suédois ? Le xixe siècle s’en émeut et voudrait éreinter, avec Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, tous ces « esprits aventureux » qui s’égarent dans « les bas-fonds de la science et de la philosophie » sans même une teinture de zoologie [30]. Avec de pareilles spéculations, remarque-t-il, ils effaceraient entièrement les limites prescrites de l’humanité et de l’animalité. Professant un rigorisme adverse, de nette tendance traditionaliste, Geoffroy Saint-Hilaire s’entend avec Bossuet et Buffon pour conclure abruptement qu’il n’y a pas de milieu entre penser et ne pas penser[31], que l’homme est « en tout l’ouvrage du ciel » et que sa nature est si supérieure à celle des bêtes qui s’attachent à la terre « qu’il faudroit être aussi peu éclairé qu’elles le sont pour pouvoir les confondre » [32].

12Au xixe siècle, les formules de Buffon, constamment reproduites, restent vives, mobilisatrices. De fait, le procès du Singe est de vieille expérience en Europe. Le naturaliste Bory de Saint-Vincent, qui intégrera l’Institut en 1834 après une brillante carrière éditoriale, n’est toutefois pas un amateur disqualifié. Par ailleurs, sa fronde ne restera pas longtemps solitaire ou inconséquente. Malgré le consensus des beaux esprits académiques, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire élève la même réclamation en 1836. Revenu de ses préventions initiales, il plaide dorénavant pour la continuité des œuvres de la nature où l’Orang réalise une « combinaison à part », une forme précisément « intermédiaire » et sui generis :

13

Cette ancienne controverse doit donc, comme au temps de Linnaeus, se reproduire ; et ce devient ainsi de nos jours, encore le sujet de cette question : Si l’Orang-outang est homme ou singe ? Ni l’un ni l’autre : c’est ce qu’est venu affirmer tout à l’heure l’esprit de tous ! C’est ce qui, en effet fut ainsi déclaré par les nombreux visiteurs qui affluent au Jardin du Roi, y venant observer sans préjugés, sans idées préconçues…  [33].

14Pour Geoffroy Saint-Hilaire, la partition des Bimanes, qui a la faveur des « opinions régnantes », vise au « soulagement de la dignité morale de notre espèce ». Son contraste avec la quadrumanie prétendue des êtres anthropomorphes n’est pourtant qu’une superfétation, l’effet de ces « déplorables entraves qu’on appelle nos règles de classification ». Attendu que le pied humain garde d’ailleurs l’essentiel de sa mobilité et de sa capacité de prise lorsqu’il n’est pas comprimé par la chaussure, que maints corps de métiers et tant de nations exotiques l’emploient fort habilement, l’homme mériterait autant que le singe d’être qualifié d’authentique quadrumane. L’argument, déjà avancé par Bory de Saint-Vincent, tourne ici au discrédit de l’ordre des Bimanes. N’étant point « l’immédiat et le nécessaire résultat des rapports naturels », cet ordre « est à supprimer » [34].

De quelques doutes raisonnés

15Le geste iconoclaste de ces auteurs en vue ne se résume pas à un simple problème taxinomique. Ils posent des questions fondamentales sur l’exactitude des faits enregistrés qui ravivent l’énigme du grand singe, sa place dans la création, les limites de son entendement, etc. Or le doute raisonné profite durablement aux incrédules. Aucun motif n’y manque. D’abord, l’inventaire des espèces d’orangs tant africains qu’asiatiques n’est pas même achevé au milieu du xixe siècle. Les formes adultes, connues par le squelette plutôt qu’en pied, n’autorisent guère de comparaisons avec les spécimens juvéniles des ménageries. Au demeurant, on ne sait trop où placer tel ou tel dans les grilles de classement à valeur hiérarchique et le gorille, ignoré des classiques, ne paraîtra sur la scène scientifique qu’avec la publication à Boston, en 1847 seulement, d’une courte monographie de Thomas Savage et Jeffries Wyman. En outre, la littérature des anciens voyageurs, généralement avantageuse pour le « satyre » ou le singe qualifié d’« extraordinaire », demeure référentielle. Faute d’en juger, personne ne s’avise de faire le départ entre la légende, le témoignage indirect et l’observation réelle. Tous ces textes font foi de l’hybridité féconde entre l’homme et le singe et attestent généralement de la présence d’esprit, au sens fort, de ces « monstres » apprivoisables. Il en ressort que les plus spiritualistes des commentaires se contredisent incessamment. En l’an ix, Pierre-André Latreille objecte à tous les rapprochements que « le singe est dénué de tout ce qui fait l’homme ». À la différence, cependant, de Buffon qu’il paraphrase en premier lieu, l’hypothèse mécaniciste, celle même de l’instinct aveugle, n’a pas ses préférences. Son repentir préfigure bien des apostasies du siècle et mérite mention :

16

On avoit d’abord trop donné au singe : on lui a ensuite trop refusé. […] Mais je pense qu’en voulant rendre trop sensible la distance qui sépare l’homme du singe, on a trop déprécié les facultés de celui-ci. Un examen moral comme un examen physique me paroît fixer au singe, dans la série des animaux, le premier rang  [35].

17Semblable éloquence sacrée anime les écrits anthropologiques de Julien-Joseph Virey. Ce dernier aime assurément à creuser l’antithèse entre le monde idéel de « l’être solaire humain, dressé debout » [36] et le plancher terrestre où rampent les bêtes infortunées. Il y a, « pour ainsi parler, l’infini entre sa pensée et celle du plus intelligent des quadrupèdes » [37]. Malgré cela, Virey concède, selon ses mots, que les « singes anthropoïdes » sont des animaux « les mieux capités » – entendons que leur tête est à la fois volumineuse et bien pleine [38]. Aussi bien, confesse-t-il face à l’intransigeance de Buffon, « nous croyons que les orangs-outangs ne s’élèvent point au rang de l’homme […] ; mais ils nous paraissent, par leur intelligence supérieure à celle des autres mammifères, présenter la nuance, dans l’ordre moral, comme dans l’ordre physique, entre l’homme et la brute ». Virey prétend faire la part des choses. Il morigène les quelques égarés qui « ne sont pas même encore bien guéris de la manie de chercher leurs ancêtres parmi les orangs-outangs ; genre de noblesse tout-à-fait antique » [39]. Mais il veut aussi rectifier Cuvier, lequel soutenait que le grand singe n’est pas « de beaucoup supérieur au chien par son intelligence ». Pour en décider vraiment, il faudrait, dit Virey, l’examiner longuement dans son habitat sylvestre, sans égard pour ses congénères asservis à l’homme. Ce qui témoigne a contrario que, quelle qu’en soit l’espèce, orang troglodyte, chimpanzé ou gibbon, « on ne connaît presque rien de leurs mœurs » [40].

18Latreille, Frédéric Cuvier, Bory de Saint-Vincent se feront l’écho des mêmes préoccupations [41]. L’ignorance rend caduques toutes les inductions philosophiques. Et ce qui ressortit à un programme de recherche toujours exalté vaut en creux pour l’aveu d’une méconnaissance foncière. Noir ou roux, l’orang nous restera-t-il à jamais étranger comme le craignent ses meilleurs interprètes ?

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Un voyage dont le but serait de pénétrer dans les vastes bois où les Champanzées vivent en société, d’y observer leurs mœurs, d’approfondir leur histoire, d’essayer le perfectionnement moral de divers individus en constatant jusqu’où on le pourrait élever, d’essayer enfin le croisement avec les espèces voisines soit ascendantes, soit descendantes, illustrerait à jamais le naturaliste qui l’oserait entreprendre  [42].

20En l’absence d’une pareille expérience, il appartiendra à la science de l’organisation d’établir un zoomètre mesurant le degré de perfectibilité réciproque de l’homme et du singe qui le borde. Sous sa double vocation diagnostique et physiologique, l’anatomie comparée va en effet se substituer à l’observation de terrain. Le critère du déploiement de toutes les facultés sensitives et intellectuelles dans l’échelle animale sera, en définitive, tiré par lecture directe de l’organologie cérébrale et des antagonismes fonctionnels qu’elle révèle et commande.

La cause du singe

21Tant qu’aucune donnée expérimentale fiable ne vint corroborer ou infirmer les capacités intellectuelles pressenties des orangs-outangs, les naturalistes pouvaient tourner en ridicule l’allure mannequinée des peaux remplies de paille d’animaux dont les dessinateurs s’obstinaient à faire de « petites figures humaines ». On savait cependant qu’avant leur mort précoce, les jeunes anthropoïdes s’étaient « parfaitement civilisés » au contact des hommes [43]. Sans exagérer leurs talents, chacun faisait ressortir leur don d’imitation, leur curiosité et leur mémoire. Buffon n’y voyait que simulacre, l’animal participant de l’humanité par le seul sentiment corporel, sans autre intention ni intériorité :

22

 Parité n’est pas imitation ; l’une gît dans la matière, et l’autre n’existe que par l’esprit ; l’imitation suppose le dessein d’imiter ; le singe est incapable de former ce dessein, qui demande une suite de pensées, et par cette raison l’homme peut, s’il le veut, imiter le singe, et le singe ne peut pas même vouloir imiter l’homme  [44].

Projections anthropomorphiques et valeurs corporelles

23Le verdict sans nuance de Buffon perd avec le nouveau siècle sa force de persuasion. Même si le singe n’est pas vivifié par l’esprit, s’il a du raisonnement sans avoir de raison, son corps est la réplique exacte de celui de l’homme. Il partage sa sensibilité. L’analogie de structure suggère la ressemblance des appétits et des dispositifs organiques qui gouvernent l’action. Liée à la promotion de la physiologie, la réhabilitation du corps qui caractérise l’idéologie des secondes Lumières porte plus loin ses suggestions. Ces animaux qu’on prenait naguère pour des machines, explique Julien-Joseph Virey dès 1800, « sont nés imitateurs et pantomimes, indociles, gourmands et frugivores, soupçonneux, curieux, lascifs, revêches et pétulans ; ils aiment à dérober, comme s’ils avoient quelques idées de propriété ; ils ont une mémoire excellente, semblent rire quelquefois, vont en troupes, se battent et exécutent enfin la plupart des actions les plus naturelles à l’homme barbare » [45]. Sous cette grossière enveloppe, la matière déjà se spiritualise. Et fût-ce sous les espèces privatives de l’inachèvement, de l’incomplétude, le singe mérite intérêt, sinon même respect. Après tout, insiste Étienne Geoffroy Saint-Hilaire dans ses Cours de mammalogie de 1828, la nature peut varier ses formules pour « produire l’être singe » sans jamais contrevenir aux lois impératives des rapports structure/fonction. Linné était donc justifié en intégrant hommes et singes dans une même division des anthropomorphes ou « Primats » [46].

24Le rapprochement avec l’homme « naturel » des philosophes, non policé, s’impose dans les écrits. Il fallait donc trancher et, quoi qu’on puisse penser, la comparaison tourne plutôt à l’avantage de Bory de Saint-Vincent qu’à la mise en garde buffonienne. Purement extrapolées, les projections anthropomorphiques deviennent dès lors inévitables. Plutôt sauvage que méchant, malgré ses passions ardentes, le singe est, de l’aveu de Latreille, celui des quadrupèdes « que l’éducation peut en général rapprocher davantage de l’homme » : « Il semble faire ce que nous faisions nous-mêmes, avant que notre raison se développât » [47]. On lui reconnaît, concède pareillement Cuvier, « un certain degré de raisonnement avec tous ses effets bons et mauvais, et qui paraît être à peu près le même que celui des enfans lorsqu’ils n’ont pas encore appris à parler » [48].

25Le parallélisme n’est pas anecdotique. Selon l’axiome newtonien vulgarisé, des causes semblables produisent les mêmes effets. Or « l’action du cerveau prédomine chez les singes » et, sous le rapport de leur vie de relation, leur « vie animale » selon la terminologie de Bichat, ils laissent loin derrière les espèces les mieux organisées. Le singe tant décrié doit donc nous étonner « par son industrie, sa disposition à l’imitation, son intelligence » [49]. En conséquence de cette analogie, il n’est plus outré d’affirmer la continuité du vivant et d’inférer de ce qui suit à ce qui précède. Dans l’échelle des êtres, l’animal tout borné qu’il soit « s’avance sur la voie de l’humanité, de même que les éléments de l’homme intellectuel déjà se retrouvent ébauchés en ces êtres inférieurs à nous » [50]. Déclarant nettement, sur le mode linnéen, qu’on peine à les distinguer dans leur morphologie ou leur manière d’assouvir leurs « appétits véhéments », Virey questionne par ce jugement d’aptitude les limites inférieures de la perfectibilité humaine. La tyrannie des organes s’exerce d’égale manière sur les races disgraciées et le premier des animaux : « Qu’on mette un négrillon en comparaison avec lui, je ne prétends pas qu’on puisse jamais les confondre, mais je ne pense pas qu’on trouve à placer un être intermédiaire entre eux » [51]. L’homme à l’état brut, que Virey assimilera toujours au « fruit acerbe des forêts », n’est qu’une réplique du singe dont il partage le « museau de babouin », les mœurs vindicatives et même la résidence. Par toute son économie passionnelle, il appartient encore à la famille naturelle des singes [52]. Virey précise ce point en 1817, sans autres accents transformistes, sans confondre parité et parenté. Mais la finesse des sens annonce l’intellect, les vices et les vertus. En ce sens, « nous naissons, pour ainsi dire, singes ; c’est l’éducation qui nous rend hommes » : « L’homme est bien perfectionné au moral, par l’effet de la civilisation, de sorte qu’il méconnoît aujourd’hui son état primitif. Pour le retrouver, il faut l’étudier dans le singe » [53].

26En définitive, la limitation naturelle du singe résulte moins d’une insuffisance spirituelle que de la bassesse foncière de ses impulsions. La manière même dont il assouvit ses mauvais penchants, vengeance ou gourmandise, démontre son intelligence [54]. Par cette identité des valeurs corporelles, l’orang recouvre une partie de sa dignité avec l’estime des naturalistes. Il semble rétroagir sur l’image conventionnelle de l’homme sauvage en manifestant la fragilité des frontières symboliques les mieux consolidées. Alors même que ses comportements élémentaires sont proprement ignorés, ce singe de papier incarne les balbutiements des origines humaines, le point de jonction entre deux règnes de la Création réputés jusque-là exclusifs l’un de l’autre. Certes, cet amalgame tendancieux contredit les recommandations de la génération précédente qui voulait qu’on abordât l’homme dans la plénitude de sa destinée, dans son « essence divine », « non par les côtés qui le font ressembler aux animaux, mais par ceux qui l’en font différer » [55]. Toutefois, sans s’inquiéter outre mesure des menées matérialistes, l’anatomie fonctionnelle vient ici réaliser une expérience de pensée, admise de toutes les écoles et fortifiée par sa répétition même durant tout le xixe siècle. Rappeler quelques idées-forces de la conception scientifique de l’organisation nous permettra de mieux comprendre pourquoi le singe (n’) est (pas) un homme !

Le cercle des fonctions

27Le principe sous-jacent de l’économie animale est tiré d’emblée de la physiologie vitaliste de Xavier Bichat : la vie repose sur un budget fixe de forces et de moyens. Comme il dépend de cette « loi fondamentale de la distribution des forces » que « la somme n’en augmente jamais » mais que, tout au plus, elles se transportent d’un système à l’autre, la prépondérance respective des divers organes (sensoriels, digestifs, locomoteurs ou sexuels) établit un bon rapport des tendances fondamentales de l’espèce étudiée. Tel animal chasse à vue, tel autre à l’odorat. La mâchoire des carnassiers indique la force brutale quand l’herbivore ou le rongeur proportionne ses pertes à sa puissance reproductrice. Chaque espèce, chaque division du règne organique brille ainsi par l’un de ses aspects. Si, par exemple, l’échelle ascendante de vitalité se mesure dans la série des vertébrés aux progrès de l’encéphalisation, la classe des mammifères, où domine l’appareil nerveux cérébral, verra ses propriétés combinées « pour produire une intelligence plus parfaite, plus féconde en ressources, moins esclave de l’instinct et plus susceptible de perfectionnement » [56].

28Le singe, bien sûr, y tient une place éminente. Et l’homme, qui les résume tous en les transfigurant, illustre à bon droit l’animal par excellence, « l’animal nerveux et réfléchi », le « maximum de l’organisation » [57]. La vigueur d’une partie opérant, par rivalité de voisinage, aux dépens des autres, l’excellence de la pensée humaine se trouve contrebalancée par une moindre résistance musculaire, une imperfection relative des sens externes ou la faiblesse de l’estomac. De plus, chez l’homme civilisé, l’éducation et la spécialité des tâches viennent rompre l’équilibre naturel des organes internes qui façonnent le jugement et des appareils voués à la vie proprement végétative. L’usage et le non usage des parties modifient sa constitution primitive. Selon cette doctrine, le corps s’exerce au détriment de l’esprit, et réciproquement. Bichat peut donc interpeller le sens commun : « Vous ne verrez presque jamais coïncider la perfection d’action des organes locomoteurs avec celle du cerveau ni des sens » [58]. Pour garder l’un de ses exemples, le danseur applaudi qu’on dit tout en jambes est le moins surprenant qui soit sous l’angle de l’esprit. C’est qu’en effet, quand un organe est constamment sollicité, les autres s’inactivent. Or, selon la règle de subordination des caractères, la nature des êtres dépend du degré de développement de chacun de leurs organes, de leur délicatesse et de la part variable qu’ils prennent à l’existence.

29Beaucoup de zoologistes retrouvaient, par cette grille de lecture, les accents populaires d’une physiognomonie spontanée. L’assiette du corps et les traits du visage, la grandeur de la mâchoire, la convexité d’un front témoignaient pour l’intériorité des individus, des sexes ou des races, pour le stade d’avancement d’une société, etc. Cette sémiologie du sens commun trouve aussi sa traduction taxinomique : « Considérez dans la série des animaux, la perfection relative de chaque organe, vous verrez que, quand l’un excelle, les autres sont moins parfaits » [59]. La dominante cérébrale du singe, et surtout des anthropomorphes, n’échappe guère aux observateurs et aux cercles érudits. Ainsi que le constate Virey, avec son éloquence raciste coutumière : « On pourroit démontrer par la physiologie, que le rapport du cerveau de l’orang est autant analogue à celui du hottentot sauvage, que celui d’un européen l’est à ce dernier ; et l’on sait que l’intelligence est en raison directe de la masse cérébrale bien constituée » [60]. Puisque cette architecture propice aux facultés de tête se voit, néanmoins, pondérée par d’autres agencements physiologiques directement adverses, mobilité musculaire, canines assassines, voire lubricité, l’orang conserve son statut antérieur de « chaînon intermédiaire », de médiateur entre le monde des bêtes et celui des humains. Il connaît, comme l’homme lui-même, ses savants et ses danseurs. Il semble être tout corps quand on le décrit forcené ou lascif ; il accède à l’esprit quand le zoomètre nerveux reprend tous ses droits et que l’on devine au galbe de son front l’amplitude souveraine de sa capacité crânienne et la complication des hémisphères cérébraux, tous signes d’une « intelligence fort étendue » [61].

30La physiologie donne ainsi une assise stable à des intuitions hâtives, purement déduites en réalité de la corrélation des masses. L’ensemble des fonctions, dit-on, dessine un cercle dont l’équateur est successivement franchi par les forces vitales [62]. L’inégalité de leur répartition explique les disparités supposées entre groupes d’espèces. Au contraire, par exemple, des petits singes, des guenons, les anthropoïdes n’ont pas de queue. La substance médullaire épargnée se reporte alors vers le pôle génital. Cela justifie le mythe déjà ancien du singe violent/violeur [63]. L’orang, créature à la double nature, face nocturne et face diurne, déploie sa ruse au service de l’instinct et comme tant de récits consignés le suggèrent, il nourrit, « furieux de jalousie », une passion irrépressible pour les femmes indigènes qu’il agresse et emporte dans ses cachettes [64]. Cette convoitise semblerait dépravée mais elle vaut aussi, en positif cette fois, pour un désir d’élévation morale et, pourquoi pas, esthétique dans l’échelle du vivant [65]. Toutes les structures organiques s’avèrent polarisées. L’hypertrophie sexuelle (ou l’ardeur qui l’annonce) suspend le travail cérébral. À l’inverse, le génie se double d’impuissance. La vision holistique et fortement contrastée du fonctionnement organique permet tous les ajustements. Elle offre des critères de démarcation simples pour distinguer l’homme de la brute. L’étonnante prérogative de l’homme réside dans sa pensée. Curieusement, sa tendance rectrice s’observe dès la vie fœtale par l’oblitération graduelle de la queue. Mais alors que la même cause stimule les appétits ignobles du singe, la « médule nerveuse » est chez lui refoulée vers le haut pour grossir l’encéphale, lequel « s’enrichit de tout ce qui est ôté à cette extrémité » [66]. C’est dire autrement que nous vivons par la tête, l’animal par tous ses membres [67]. La pensée s’opposant aux grossières délectations du prurit génital, on doit voir dans leur dualité « deux ordres de voluptés antagonistes ou destructives l’une de l’autre ». En ce sens, « l’humanité s’exhausse vers sa source divine par l’activité cérébrale, tandis que l’animalité se ravale davantage par la prédominance des fonctions génitales » [68].

Passions, polarité et harmonies spirituelles

31Mais, entendons bien, l’homme ne vit pas seulement au ciel des idées et l’animal s’abêtissant n’en perd pas pour autant toute perfection. On ne peut le réduire à une somme d’automatismes. Ce sont là, simplement, deux états limites qui précisent la prérogative respective du corps et de l’intellect et qu’on doit monnayer. L’empire des climats chauds peut, par exemple, annihiler tout privilège humain quand une douce torpeur attire vers les feux de l’amour un surcroît de nutrition et de force. Les hommes de race noire qui ne brillent guère, selon la vulgate du temps, « sous les rapports des talents et de tous les genres d’industrie », paraissent plus disposés « aux fonctions purement physiques » : « Ils rivalisent même dans leurs excès avec l’impudente brutalité des singes et d’autres animaux lascifs » [69] !

32Le langage du corps et ses harmonies spirituelles juxtaposent des symboles opposés et incessamment recombinés. Leur permutation suppose un écart différentiel et le terme fixé d’une référence externe. Le singe dorénavant s’explique par l’homme, et vice versa.

33

Quand on remarque combien l’orang-outang donne de signes d’intelligence, combien ses mœurs, ses actions, ses habitudes, sont semblables à celles des nègres, combien il est susceptible d’éducation, il me semble qu’on ne peut pas disconvenir que le plus imparfait des noirs ne soit très-voisin du premier des singes  [70].

34De fait, l’un se découvre « moins homme à cet égard », l’autre, en symétrique, revendique pour sa tribu le bénéfice d’une requalification. Telle est la loi de l’organisation. Entre la tête et le pôle génital, le haut et le bas, le noble et l’ignoble, etc., la régulation des éléments dominateurs ou subordonnés offre un point d’appui au classement zoologique. Tout est affaire de balance changeante entre « la recette et la dépense de l’organisation » [71]. Des oscillations inverses, des tensions d’inégale puissance n’excluent pas la circulation des substances nerveuses. Simplement, un organe languit lorsqu’un autre se ranime.

35Virey est le plus grand théoricien, le plus prolixe et le plus audacieux sans doute, de cette loi de « balancement », qu’il dénomme telle avant Étienne Geoffroy Saint-Hilaire [72]. Pour lui, comme pour tous ses contemporains, les relations sympathiques mais oppositionnelles entre les affections du cœur et la froide raison, entre l’instinct et l’entendement, entre la fonction organique interne et la vie externe, opèrent à la manière de vases communicants. De leur échange résultent l’unité de l’être et la place assignée à tous et à chacun dans l’échelle zoologique. « Mieux les animaux sont polarisés et équatoriés, plus ils offrent d’intellect et d’instinct ou de sensibilité » [73]. Cette logique binaire favorise l’orang au plus haut point. Sa cause est entendue. Le fait qu’on puisse, dans la littérature spécialisée, l’affecter au premier rang n’échappe à personne. La question récurrente de l’époque, formulée auparavant par Jean-Baptiste Robinet [74], « Que lui manque-t-il pour être un homme ? », est dès ce moment suspendue à la marche du temps. Autrement dit, si l’effet se proportionne à sa cause, pourquoi l’animal parfait n’est-il pas perfectible ?

Méthode simiologique

36Depuis sa première fixation sémantique dans les écrits de Friedrich Grimm et Rousseau en 1755, la notion de perfectibilité, entendue soit comme une faculté, soit comme un processus, a tenu un rôle central dans la définition de la « nature » de l’homme. Buffon, en particulier, lui a conféré la dignité d’une véritable institution du genre humain. En approfondissant l’intuition pascalienne d’une « éducation d’espèce » liée aux apprentissages, au langage et à la vie sociale, le terme renvoie à la singularité des inventions humaines dont le savoir s’augmente avec le temps par l’héritage des générations. Plus important peut-être, cette caractéristique majeure de l’espèce réconcilie dans l’unité d’un seul concept les deux principes antinomiques du changement et de la permanence de la nature humaine. Elle exemplifie la dynamique d’une Civilisation, laquelle s’oppose à la notion statique de perfection animale. La perfectibilité, finalement, ne s’entend pas d’un type « parfait » mais d’un type « accompli » d’homme social qui s’humanise par l’instruction et la diffusion des Lumières. Elle sera donc perçue et interprétée comme une sorte d’auto-domestication, un phénomène historique et une norme.

37Buffon y voyait un trait distinctif absolu de l’humanité [75]. Ceci dit, à la suite de Cornélius de Pauw, quelques auteurs du xviiie siècle s’inquiétaient de ce « vide immense » creusé entre l’homme et l’animal [76]. Avait-on poussé suffisamment l’éducation de l’orang-outang ? Tyson ou Buffon avaient, par préjugé, « trop reculé » l’orang, cette créature unique et « intermede » qu’il ne suffisait pas d’exténuer pour la mieux comprendre. À l’opposé, Linné lui prêtait trop. La vérité voulait, en fait, qu’elle fût inclassable et rebelle aux définitions : « Sa structure interne et externe, ses habitudes, son génie prouvent sans réplique que ce n’est pas un singe. Est-ce donc un homme moins parfait, moins achevé, d’un ordre secondaire, et placé au deuxième rang dans l’universalité des êtres vivifiés ? » [77].

38Attendu que l’orang, comme le confie Charles White, avance vers l’homme dont il partage la contenance, le mode d’action et même la personnalité, il participe de sa nature généreuse. L’instinct et l’intelligence ne s’offrent à l’examen que comme des accentuations d’un unique principe [78]. Aucune division de caractère métaphysique ne justifierait le rétrécissement des facultés supérieures, intellectives, de l’anthropomorphe ou ses moindres performances. Passé 1780, les anatomistes commencent à évoquer la « perfectibilité des organes ». La biologisation du thème s’avère fondamentale. La perfectibilité était pour les philosophes un trait actif de la culture humaine. Transposée de l’esprit au corps, elle se voit alourdie d’une sorte de coefficient physiologique et change de registre. Elle découle dorénavant des « rapports de conformation » et l’on parle, dans un tout autre sens, de la flexibilité de l’organisation parmi les vertébrés. Tant vaut l’organe, tant vaut le pouvoir mental, la palette des sensations et cette réflexion de soi sur soi qu’on nomme l’individualité : « L’instinct n’a aucune marque visible dans la conformation de l’animal ; mais l’intelligence, autant qu’on a pu l’observer, est dans une proportion constante avec la grandeur relative du cerveau, et surtout de ses hémisphères » [79].

Le sentir nuit au penser

39Le renouvellement des perspectives affecte la représentation classique du singe acrobate au gros cerveau. La dualité de sa nature, confirmée par la relégation des quadrumanes brachiateurs, peut être objectivée par l’anatomie comparative. Certes, il est de règle générale que « plus l’élément nerveux est unicentralisé, […], plus l’animal jouit d’individualité et devient perfectible » [80]. Personne n’en doute, l’orang est doué. Mais dans son cas, l’optimisation des virtualités dépend de deux fonctions nerveuses antagonistes, d’égale puissance et sans autre équilibre de compensation que la contrariété de leur action. Sous la commande de l’encéphale, et surtout du cortex, son intelligence soumet le corps à ses impératifs, elle bride sa sensualité et son instinct de jouissance. La taille des nerfs crâniens, l’ampliation des cavités faciales qui reçoivent les organes des sens (orbites, méat auditif), l’allongement des mâchoires en museau contredisent pourtant ce jugement favorable. Les sens priment sur l’intellect et la moelle épinière revendique son autonomie. Si la loi de l’organisation voulait subordonner les muscles au cerveau, la matière à l’esprit, force est de constater que chez le singe, « le sentir nuit au penser » [81]. L’impression physique contrecarre la chaîne du raisonnement. Selon l’image récurrente de Virey, il semble que le cerveau s’écoule dans la colonne vertébrale et qu’il redescende ainsi dans les étages inférieurs de l’automatisme pour s’animaliser.

40L’anthropoïde transitionnel se trouve consigné à sa vraie place dans la nature. Il sera, quelque amertume qu’en nourrisse Bory de Saint-Vincent, le « Singe par excellence » [82]. À la différence de l’homme qui pourra, par le ressort psychologique de sa volonté, « terrasser le monstre des passions qui rugit dans ses entrailles » [83], il fera montre de démesure. Son sort est scellé dans sa physiologie et, pour avoir l’apparence de l’homme, il n’en est pas l’équivalent. La lutte d’influence qui l’agite entre foyer cérébral et appareil nerveux sensoriel, chacun jouant en son sens sans prendre l’avantage, dessine une sorte de drame intime. Deux natures s’y querellent, se contrôlent mutuellement et viennent à s’annuler l’une l’autre. Il s’agit bien d’un monstre mitoyen dont l’œil reflète la sagacité quand l’extension du massif facial dénonce son pouvoir de mastication. Dès lors, il ne suffit plus de proportionner l’intelligence au cubage crânien sans estimer, au préalable, l’hégémonie relative qu’exerceront par leur stimulation les nerfs des sens. « Les rapports de grosseur entre les nerfs cervicaux, et la masse cérébrale indiquent encore la plus ou moins grande destination à penser de chaque être. Comme ces nerfs servent à faire mouvoir l’animal, plus ils seront considérables, eu égard au cerveau, plus ils témoigneront que l’individu est formé plutôt pour agir que pour réfléchir » [84].

Angle aigu, esprit obtus

41Dès les années 1790, la formule de ce rapport, l’index de toute perfectibilité s’objective dans la mesure de l’angle facial [85]. À l’origine de cette innovation technique, l’anatomiste hollandais Petrus Camper s’efforçait de quantifier la projection de la face humaine ou animale dont dépendent l’obliquité des dents, la morphologie nasale et la pulpe des lèvres. En traçant deux lignes, l’une joignant le milieu du front à la racine des incisives supérieures, l’autre étant tirée à l’horizontale du trou auditif jusqu’à l’épine nasale, Camper obtenait un angle dont l’ouverture ou l’acuité varie avec l’avancée de la mâchoire. Ce critère discriminant des races humaines permettait d’interpréter le singulier prognathisme des Noirs mais il trouvait autant d’applications dans le parallèle des hommes et des animaux. La valeur goniométrique oscillait entre 70 et 80 degrés chez l’homme avant de s’abaisser de l’orang-outang (58°) aux petits singes (42°). À sa mort en 1789, Camper n’avait jamais songé à codifier l’antagonisme fonctionnel des deux parties de la tête (face vs crâne cérébral) et moins encore à subordonner la qualité de l’intelligence au prolongement des maxillaires. Mais ce lieu commun physiognomonique s’inscrit dans l’épistémè de la nouvelle école anatomique. Le front s’augmente avec la rectitude du visage. Il se déprime mécaniquement avec l’extension du massif sensoriel et masticatoire. C’est pourquoi l’industrie des animaux « semble décroître à mesure que l’angle facial devient aigu, et que la cavité cérébrale se rétrécit » [86].

42Sans autre paradoxe, l’angle aigu suppose l’esprit obtus. Il indique l’énergie relative des organes de la vue, de l’odorat et du goût, c’est-à-dire des sens qui influent le plus sur les comportements des mammifères et qui, obéissant aux besoins les plus pressants, la faim et l’amour, vont agir sur eux avec le plus de force et d’« aveugle fureur ». Il en résulte que l’homme, chez qui « l’organe central des sensations l’emporte davantage sur leurs organes extérieurs », est « celui de tous les animaux qui a le crâne le plus grand et la face la plus petite ; et que les animaux s’éloignent d’autant plus de ces proportions, qu’ils deviennent plus stupides ou plus féroces » [87]. Dans ses Leçons d’anatomie comparée de 1800, Cuvier affine les premiers relevés de Camper. Perpendiculaire chez l’enfant européen qui n’a pas développé ses molaires, l’angle facial se réduit de 5° chez l’adulte blanc et perd brutalement 20° chez le Noir adulte (70°), lequel avoisine l’orang-outang jeune au faciès avantageux (67°). Une coupe sagittale de la tête confirme ces données et cette gradation : l’aire du crâne est quadruple de celle de la face chez l’Européen, la face gagne en étendue dans le Nègre puis dans l’orang [88]. L’angle facial exprime sans contestation possible le degré de perfectibilité impartie aux différentes espèces. Qu’il se referme, prévient Virey, et la face se profile en museau, « comme dans la brute ignoble et stupide ; en même tems le cerveau se rétrécit, se comprime davantage ; la sphère de l’entendement décroît par une semblable raison » [89]. Comme cette considération ne se dément pas en descendant dans la série des singes, « elle devient ainsi une loi d’organisation essentielle et fondamentale ». Aussi ambigu qu’il soit, l’orang-outang a franchi le Rubicon de l’intelligence. Il possède son brevet d’aptitude.

43Cuvier et Étienne Geoffroy Saint-Hilaire ont dès 1795 réformé la « méthode simiologique », le mode de classement des Quadrumanes, en prenant pour base de subdivision des familles le trait dominant de leur physionomie, l’amplitude du museau et la proportion goniométrique crâne/face. Une fois de plus, le genre des orangs à tête ronde et face plate occupe la meilleure place. Ils nous étonnent, conviennent les deux auteurs, « par leur gravité, leur adresse et leur intelligence » [90]. Si donc « le jugement que l’on porte sur le degré de perfection d’un corps animé, a pour fondement la comparaison de ses dispositions organiques, de ses facultés avec celles de l’homme, considéré comme l’être le plus parfait qui soit », les voilà nés sous la meilleure étoile.

L’éducation au fondement de la perfectibilité

44Placée sous la dépendance de la durée de l’éducation, la perfectibilité humaine a toujours paru conditionnelle aux années d’apprentissage de l’enfant, à sa maturité tardive et à la solidarité sociale établie par la pyramide des générations. L’orang, là encore, soutenait la comparaison. Nonobstant son mutisme, il se révélait capable de mémoire, d’attention et même d’une « carrière supérieure » dans la compagnie protectrice des hommes. Il s’apprivoisait aisément, s’intéressait à tout. La débilité du jeune âge paraissait d’ailleurs une contrainte commune à leurs deux espèces. « Ainsi se prolonge l’enfance dans la famille des singes… » [91]. Vers 1830 encore, l’orang roux n’était connu que par de jeunes spécimens dont les plus formés n’avaient que deux ou trois ans. Les sujets étudiés, rapporte Bory de Saint-Vincent, se montraient doux et graves, contrairement à leur réputation de férocité, et intelligents. Ils multipliaient les preuves de bon sens et semblaient, par leur précocité, appelés au premier rang pour peu qu’on se donnât la peine de les élever, pris au berceau, par le langage des muets :

45

On admirera comment, dans un âge où l’Homme n’est qu’une machine gourmande et capricieuse, ces Orangs, dont les savans veulent absolument faire des bêtes, étaient plus avancés, sous le rapport du développement de l’intelligence que beaucoup de jeunes gens. Un adolescent d’espèce japetique [i.e. de race blanche supérieure] n’est certainement pas aussi raisonnable que l’est un Champanzée de trois ans  [92] !

46Oublions l’excès, gardons l’enthousiasme. Restait une question pendante. Ce prodige de précocité s’expliquait-il par un don providentiel ou bien l’animal hâtait-il sa marche forcée vers la floraison de la puberté ? À l’instar de la race noire d’Afrique à laquelle on le confrontait sans cesse, son cerveau s’affaiblissait-il à proportion du détournement de la « sève de la croissance » vers l’instinct et le muscle ? La réponse à ces interrogations sera différée. Le développement du singe était ignoré. Aucun individu adulte n’était parvenu en Europe et ce gage de talent, presque prématuré, pouvait s’inverser avec le cycle vital. Dans sa « Nomenclature des singes » de 1766, Buffon le suggérait brusquement [93]. À la différence de l’éléphanteau qui a besoin du soutien de sa mère pendant une bonne année et qui, par cette éducation, devient « le plus intelligent » des animaux, le grand singe présente « une si forte teinture d’animalité qu’elle se reconnoît dès le moment de la naissance ; car il est à proportion plus fort et plus formé que l’enfant ; il croît beaucoup plus vite ; les secours de la mère ne lui sont nécessaires que pendant les premiers mois ; il ne reçoit qu’une éducation purement individuelle, et par conséquent aussi stérile que celle des autres animaux ». L’évolution des connaissances n’a pas levé ce doute. On ne sait, dit Bory de Saint-Vincent, quelle est la longueur de la vie des orangs. « L’éducation dure, dit-on, une ou deux années ». Ils paraissent devenir adultes promptement, ajoute Virey : « Leur vie ne doit guère s’étendre qu’à vingt ou vingt-cinq ans ». Quant à imaginer à quoi ressemble l’adulte, chacun s’en remet aux témoignages fantaisistes des voyageurs. L’épreuve de vérité est néanmoins amorcée depuis 1780 avec la description, par le baron Fredrik von Wurmb, du « premier singe à hauteur d’homme » [94].

L’ange tombé…

47Dénommé « Pongo des Indes orientales », le singe de Wurmb fut accueilli avec circonspection parmi les anatomistes d’Europe. L’animal déjà adulte possédait l’ossature d’un bipède mais une tête de carnassier dont les dents avoisinaient celles du lion. Des crêtes osseuses écrasaient son front jusqu’à l’oblitérer et recouvraient une boîte crânienne de petite dimension. Avec de semblables appendices et un angle facial régressif d’à peine trente degrés, le Pongo de Batavia ne jouissait d’aucune prérogative. Cuvier et Étienne Geoffroy Saint-Hilaire ignorèrent les vues de Wurmb qui le classait parmi les Orangs-Outangs. Dans leur nomenclature des Quadrumanes, ils le rangèrent avec les cynocéphales d’une « férocité incorrigible » et qui offraient, selon leur sémantique, « des images vivantes de la plus révoltante brutalité, des vices les plus infâmes » [95]. L’angle facial étendait sa juridiction sur les rapports naturels des êtres. Le Pongo occupait presque « le dernier rang dans la famille nombreuse des singes, par la conformation de sa tête » [96]. C’était un babouin géant et traité comme tel. Le véritable orang-outang, outre ses caractéristiques propres, avait, pensait-on, une petite taille et l’île de Bornéo abritait donc d’autres « singes beaucoup plus grands », des « monstres » inattendus et probablement quadrupèdes [97].

48Cette diagnose entendue évolue avec lenteur dans les années 1820, quand des crânes d’orangs-outangs d’âge moyen viennent combler l’écart entre la forme juvénile, déjà familière, et le Pongo aux farouches arcs sourciliers [98]. Le charme de l’homme des bois s’évanouit. Bory de Saint-Vincent lui-même doit reconnaître l’identité d’espèce entre le jeune orang prometteur et la brute aux dents en « crochets » qui n’en paraît que le « vieil âge ». Dubitatif, Bory de Saint-Vincent estime encore qu’il existerait plus d’une espèce d’anthropomorphes dans les îles de la Sonde [99]. Mais la fortune de l’orang roux se décide au fil des témoignages et il lui faut souffrir que les preuves accumulées « forment un grand contraste avec les idées qu’on s’était faites de l’élévation où de tels Animaux pouvaient atteindre ». Quand la véritable nature du grand singe de Wurmb est rendue patente dans les publications spécialisées de l’anatomiste Richard Owen en 1835, la métamorphose régressive du singe anthropoïde, qui prend en mâchoire ce qu’il perd en cerveau, acquiert la valeur d’un fait tératologique.

49En 1836, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire confesse le défaut des premières méthodes qui rabaissaient le spécimen du pseudo-Pongo au-dessous des guenons. Mais, ajoute-t-il immédiatement, l’erreur, loin d’être funeste, se révèle instructive et même « heureuse » dans sa rectification. Car aucune espèce mammalienne n’avait jusqu’alors offert un semblable différentiel de croissance. Entre le jeune âge et son stade avancé, l’orang présente un intervalle « plus grand qu’entre les genres Canis et Ursus ». Son développement rentre, par cette « révélation », dans la sphère des anomalies caractérisées. C’est une monstruosité renversant les tendances primitives de l’ontogenèse. Sur ce mufle bestial s’inscrivent d’obscurs affects. Le visage avenant de l’enfance se déforme en rictus. Alors que chez l’homme, l’accumulation des « molécules médullaires » exerce une poussée « de dedans en dehors » qui paraît repousser longtemps les parois de la voûte crânienne, la tête du grand singe adulte se ferme comme un casque. L’atrophie du cerveau s’accompagne en retour d’une hypertrophie de « l’organisation enveloppante », protubérances osseuses, téguments et mandibule hargneuse qui attirent les « fluides » et transforment les priorités physiologiques de l’animal. De sorte que l’orang, pour être « synthétiquement et partout semblable à l’homme », s’en écarte résolument : « l’ordre des développements est inverse de l’un à l’autre ». Voilà vérifiée la loi de Bichat, la loi de rivalité fonctionnelle, le balancement des organes, l’action et la réaction [100].

50La thèse tératologique de la métamorphose régressive du singe à la puberté donne un fondement causal à toute une série d’intuitions récurrentes centrées sur la dichotomie élevé/grossier. L’expressivité intrinsèque du corps ne perd rien de son éloquence. Elle se voit retranscrite dans le langage des besoins dominateurs. Il deviendra possible, dorénavant, d’opposer le singe à l’homme, littéralement, comme la chair à l’esprit. La versatilité des images va s’assécher avec cette découverte. L’instinct de la brute, occlus durant l’enfance, reprend tous ses droits avec la maturité du quadrumane. Il est frappé d’arrêt de développement cérébral et l’on fera hautement savoir, à son encontre, que sentir n’est pas penser, autrement dit que l’orang dégénère avec son épanouissement physique. Le temps révèle le caractère des êtres, leur véritable nature et leur destinée dans la création. L’homme s’élève, l’orang rétrograde vers la « vie bestiale ». La perfectibilité du Pongo décline avec l’âge, l’instinct écrase et obnubile l’intelligence. Il devient intraitable et, s’il gagnait en force, il égalerait « en férocité les plus voraces des carnassiers » [101]. « Tel est l’ange tombé »… [102].

51« Tandis que nos organes se perfectionnent et s’ennoblissent, ceux du singe s’abêtissent » [103]. On l’aura compris, la loi physiologique d’oscillation semble gouverner pareillement l’ordre des corps et celui des représentations. Elle organise les cohabitations, le conflit des facultés nobles ou ignobles et les coups de théâtre.

52Le singe du xixe siècle ne perd jamais son ambivalence constitutive. C’est un être de raison et une fiction savante à double sens qu’on ne pourrait trancher. La médiane des opinions n’en dirait pas l’intrigue, la fascination et l’exécration. Elles se donnent ensemble. Le revirement des mentalités n’offre pas même de périodisation. Quoique déchu, le Pongo demeure une vivante illustration de l’homme naturel et physique. Il attire comme il repousse et sa simple description se charge spontanément d’un pesant bagage de valeurs morales, esthétiques, etc., qui brouillent son image. Il tend encore à l’homme un miroir maléfique. Dans l’un de ses carnets de jeunesse, Charles Darwin suggère que leur commune filiation est à l’origine de nos passions vicieuses : « Le Diable sous la forme du Babouin est notre grand-père ! » [104].

Notes

  • [1]
    Je conserve dans tout le texte l’orthographe admise dans la période étudiée. La graphie moderne orang-outan, conforme au vernaculaire malais, s’impose avec lenteur au cours du xxe siècle.
  • [2]
    Jacques Delille, Les trois règnes de la nature. Avec des notes par M. Cuvier, de l’Institut, et autres savants, Paris-Strasbourg-Leipzig-La Haye, H. Nicolle, Giguet et Michaud-Levrault-Besson et Mittler-Van Cleef frères, 1808, t. ii, p. 255.
  • [3]
    Claude Blanckaert, « Frontières de l’humanité. Le “satyre” des Lumières entre science et fiction critique », Histoire et anthropologie, n° 25, 2002, p. 13-32.
  • [4]
    Pierre-André Latreille, « Éclaircissemens relatifs aux singes qui ne sont que vaguement dénommés dans plusieurs voyages, avec quelques vues sur les mœurs, les habitudes, et en général sur les relations du singe avec nous », dans Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, Paris, Dufart, an IX, t. xxxvi, p. 272.
  • [5]
    Jacques Delille, Les trois règnes de la nature…, op. cit., t. ii, p. 281-282.
  • [6]
    Pierre-André Latreille, « Addition à l’article des orangs-outangs », dans Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, op. cit., t. xxxv, p. 160.
  • [7]
    Ibidem.
  • [8]
    Jacques Delille, Les trois règnes de la nature…, op. cit., t. i, p. 30.
  • [9]
    Georges-Louis Leclerc de Buffon, « Nomenclature des singes », dans Histoire naturelle générale et particulière, op. cit., t. xxxv, p. 25.
  • [10]
    ?Johann Friedrich?? Blumenbach??, ??On The Natural Variety of Mankind ??(??De Generis Humani Varietate Nativa??, 3??e?? éd., 1795), dans ??The Anthropological Treatises of Johann Friedrich Blumenbach??, Thomas ??Bendyshe?? éd., Londres, Longman, Green, Longman, Roberts & Green, p. 171-173.?
  • [11]
    Claude Blanckaert, « Le trou occipital et la “crâniotomie comparée des races humaines” (xviiie-xixe siècle) », dans Jacques Hainard, Roland Kaehr (dir.), Le Trou, Neuchâtel, Musée d’Ethnographie, 1990, p. 255-264.
  • [12]
    Louis Jean Marie Daubenton, « Leçon sur l’homme », dans L’École normale de l’an III. Leçons de physique, de chimie, d’histoire naturelle, Étienne Guyon éd., Paris, Éditions Rue d’Ulm-Presses de l’École normale supérieure, 2006, p. 542.
  • [13]
    ?Johann Friedrich?? Blumenbach??, ??On The Natural Variety of Mankind ??(1795), ??op. cit.??, p. 152.?
  • [14]
    Georges Cuvier, Le règne animal distribué d’après son organisation, pour servir de base à l’histoire naturelle des animaux et d’introduction à l’anatomie comparée, Paris, Deterville, 1817, t. i, p. 82.
  • [15]
    Cité dans Giulio Barsanti, « L’orang-outan déclassé (Pongo Wurmbii Tied.). Histoire du premier singe à hauteur d’homme (1780-1801) et ébauche d’une théorie de la circularité des sources », Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, nlle série, t. i, n° 3-4, 1989, p. 96.
  • [16]
    Jacques-Bernard Hombron, De l’homme dans ses rapports avec la création, dans Voyage au pôle Sud et dans l’Océanie sur les corvettes l’Astrolabe et la Zélée ; exécuté par ordre du Roi pendant les années 1837-1838-1839-1840, sous le commandement de M.J. Dumont-D’Urville. Zoologie, Paris, Gide et Cie, t. i, 1846, p. 119-120.
  • [17]
    Georges-Louis Leclerc de Buffon, « Nomenclature des singes », art. cit., p. 41-43.
  • [18]
    ?Johann Friedrich?? Blumenbach??, ??On The Natural Variety of Mankind??, ??op. cit.??, p. 84.?
  • [19]
    Pierre Camper, De l’orang-outang et de quelques autres espèces de singes (1782), dans Œuvres de Pierre Camper, qui ont pour objet l’histoire naturelle, la physiologie et l’anatomie comparée, Paris-Bordeaux, H. J. Jansen, A. Bertrand-chez Melon et Cie, 1803, tome I, p. 89.
  • [20]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, nelle éd., Paris, Crochard, 1824, t. i, p. 84-85.
  • [21]
    Antoine Desmoulins, Histoire naturelle des races humaines du Nord-Est de l’Europe, de l’Asie boréale et orientale, et de l’Afrique australe, Paris, Méquignon-Marvis, 1826, p. 189.
  • [22]
    Jacques-Bernard Hombron, De l’homme dans ses rapports avec la création, op. cit., p. 119.
  • [23]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. i, p. 24-26.
  • [24]
    Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, L’Homme (Homo). Essai zoologique sur le genre humain, 3e éd., Paris, Rey et Gravier, 1836, t. i, p. 4 ; et l’article « Bimanes », dans Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent (dir.), Dictionnaire classique d’Histoire naturelle, Paris, Rey et Gravier, Baudouin Frères, t. ii, 1822, p. 319.
  • [25]
    Id., article « Orang », dans Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent (dir.), Dictionnaire classique d’Histoire naturelle, op. cit., p. 264 et 262.
  • [26]
    ?Id??., ??L’Homme (Homo)…??, ??op. cit.??, t. ??i??, p.?? ??13-14.?
  • [27]
    ?Id??., « Orang », ??art. cit.??, p. 267 et 265.?
  • [28]
    Id., « Bimanes » et « Orang » (p. 263-264), art. cit.
  • [29]
    ?Cf. Gunnar ??Broberg??, « ??Homo sapiens??. Linnaeus’s classification of Man», dans Tore ??Frängsmyr?? (dir.), ??Linnaeus. The Man and His Work??, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 1983, p. 156-194.?
  • [30]
    Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire naturelle générale des règnes organiques, principalement étudiée chez l’homme et les animaux, Paris, V. Masson, t. ii, 1859, p. 184.
  • [31]
    Ibidem, p. 252-253 et 261.
  • [32]
    Georges-Louis Leclerc de Buffon, De l’homme, rééd. Paris, L’Harmattan, 2006, p. 43.
  • [33]
    Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, « Extrait d’un mémoire sur l’Orang-Outang, vivant actuellement à la Ménagerie. Article ier. Discussion préliminaire », Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, t. ii, 1836, p. 583.
  • [34]
    Ibidem, p. 585.
  • [35]
    Pierre-André Latreille, « Éclaircissemens relatifs aux singes… », art. cit., p. 248 et 262.
  • [36]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie dans ses rapports avec la philosophie, Paris, J.-B. Baillière, 1844, p. 30.
  • [37]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. iii, p. 47.
  • [38]
    Id., De la physiologie…, op. cit., p. 202.
  • [39]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. iii, p. 477 et 430.
  • [40]
    Ibidem, t. iii, p. 471-472, 506.
  • [41]
    Pierre-André Latreille, « Éclaircissemens relatifs aux singes… », art. cit., p. 261 ; Frédéric Cuvier, Supplément à l’histoire naturelle, générale et particulière de Buffon, Paris, F.D. Pillot, 1831, p. 68.
  • [42]
    Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, « Orang », art. cit., p. 272.
  • [43]
    ?Id??., ??L’Homme (Homo)…??, ??op. cit.??, t. ??i??, p.?? ??53.?
  • [44]
    Georges-Louis Leclerc de Buffon, « Nomenclature des singes », art. cit. p. 41, 50-55 ; citation p. 52.
  • [45]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, ou Recherches sur ses principaux Fondemens physiques et moraux, Paris, Dufart, an IX, t. i, p. 191 ; voir également p. 92-94.
  • [46]
    Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, Cours de l’histoire naturelle des mammifères. Partie comprenant quelques vues préliminaires de philosophie naturelle, et l’histoire des Singes, des Makis, des Chauve-Souris et de la Taupe, Paris, Pichon et Didier, 1829, 6e leçon, p. 11.
  • [47]
    Pierre-André Latreille, « Éclaircissemens relatifs aux singes… », art. cit., p. 262-263.
  • [48]
    Georges Cuvier, Le règne animal…, op. cit., t. i, p. 52.
  • [49]
    Xavier Bichat, Recherches physiologiques sur la vie et la mort, Verviers, Marabout Université, 1973, p. 96, 59.
  • [50]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. iii, p. 45.
  • [51]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, an IX, op. cit., t. i, p. 184-185.
  • [52]
    Ibidem, t. i, p. 91.
  • [53]
    Id., article « Homme », dans Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle appliquée aux arts, nelle éd., Paris, Deterville, t. xv, 1817, p. 23.
  • [54]
    Pierre-André Latreille, « Éclaircissemens relatifs aux singes… », art. cit., p. 264.
  • [55]
    François-Marie Neveu, Cours préliminaire relatif aux arts de dessin, Paris, Université de la Sorbonne nouvelle-Paris III, 1982, p. 147.
  • [56]
    Georges Cuvier, Le règne animal…, op. cit., t. i, p. 70.
  • [57]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 76.
  • [58]
    Xavier Bichat, Recherches physiologiques…, op. cit., p. 95.
  • [59]
    Ibidem, p. 96.
  • [60]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, an IX, op. cit., t. i, p. 428-429.
  • [61]
    Ibidem, p. 423.
  • [62]
    Xavier Bichat, Recherches physiologiques…, op. cit., p. 97.
  • [63]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. iii, p. 443 et sq.
  • [64]
    Ibidem, p. 463.
  • [65]
    Cf. Cornélius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, ou Mémoires intéressants pour servir à l’Histoire de l’Espèce Humaine, Londres, 1770, t. ii, p. 59.
  • [66]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 121.
  • [67]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. iii, p. 62.
  • [68]
    Id., De la physiologie…, op. cit., p. 103 et 15.
  • [69]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, 1824, op. cit., t. i, p. 248-250.
  • [70]
    Id., article « Nègre », dans Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle appliquée aux arts, nelle éd., Paris, Deterville, t. xxii, 1818, p. 468-470.
  • [71]
    Id., « Dualisme multiple de l’organisation et de ses antagonismes dans l’homme et le règne animal », Gazette médicale de Paris [extrait], 1842, p. 9.
  • [72]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, an IX, op. cit., t. ii, p. 184-185 ; Claude Blanckaert, « J.-J. Virey, observateur de l’homme (1800-1825) », dans Claude Bénichou, Claude Blanckaert (dir.), Julien-Joseph Virey, naturaliste et anthropologue, Paris, Vrin, 1988, en part. iiie section.
  • [73]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 84 note.
  • [74]
    Cf. Franck Tinland, L’homme sauvage. Homo Ferus et Homo Sylvestris, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 268.
  • [75]
    Claude Blanckaert, « La perfectibilité, sous conditions ? Éducation d’espèce, flexibilité d’organisation et échelle d’aptitude morale en anthropologie (1750-1820) », dans Bertrand Binoche (dir.), L’homme perfectible, Seyssel, Champ Vallon, 2004, p. 114-144.
  • [76]
    Cornélius de Pauw, Recherches philosophiques sur les Américains, op. cit., t. i, p. 65.
  • [77]
    ?Ibidem??, t. ??ii??, p.?? ??60-62.?
  • [78]
    ?Charles?? White??, ??An Account of the regular gradation in Man, and in different animals and vegetables ; and from the former to the latter??, Londres, C. Dilly, 1799, p. 34-35 et 65.?
  • [79]
    Georges Cuvier, Le règne animal…, op. cit., t. i, p. 54-55.
  • [80]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 76.
  • [81]
    Ibidem, p. 175-176.
  • [82]
    Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, « Orang », art. cit., p. 261-262.
  • [83]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 407.
  • [84]
    Id., Histoire naturelle du genre humain, an IX, op. cit., t. ii, p. 183.
  • [85]
    Cf. Claude Blanckaert, « “Les vicissitudes de l’angle facial” et les débuts de la craniométrie (1765-1875) », Revue de Synthèse, 4e série, n° 3-4, 1987, p. 417-453 ; Miriam Claude Meijer, Race and Aesthetics in the Anthropology of Petrus Camper (1722-1789), Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 1999, chap. 6 et 7.
  • [86]
    Xavier Bichat, Recherches physiologiques…, op. cit., p. 46 ; cf. p. 58.
  • [87]
    Georges Cuvier, Leçons d’anatomie comparée, Paris, Baudoin, t. ii, an VIII-1800, p. 2-6.
  • [88]
    Ibidem, p. 9-10.
  • [89]
    Julien-Joseph Virey, Histoire naturelle du genre humain, an IX, op. cit., t. i, p. 299.
  • [90]
    Georges Cuvier, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, « Histoire naturelle des Orangs-outangs », reproduit dans Pierre-André Latreille, « Addition à l’article de la nomenclature des singes », art. cit., p. 66.
  • [91]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 145.
  • [92]
    Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, « Orang », art. cit., p. 273, 281, citation p. 268.
  • [93]
    Georges-Louis Leclerc de Buffon, « Nomenclature des singes », art. cit. p. 49-50.
  • [94]
    Giulio Barsanti, « L’orang-outan déclassé… », art. cit.
  • [95]
    Georges Cuvier, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, « Histoire naturelle des Orangs-outangs », art. cit., p. 64, 66-67, 72.
  • [96]
    Pierre-André Latreille, « Le singe de Wurmb », dans Georges-Louis Leclerc de Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, op. cit., t. xxxv, p. 263.
  • [97]
    Pierre Camper, De l’orang-outang et de quelques autres espèces de singes, op. cit., p. 64-66 note.
  • [98]
    Cf. Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, Cours de l’histoire naturelle des mammifères, op. cit., 7e leçon.
  • [99]
    Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, « Orang », art. cit., p. 276-277 et 279.
  • [100]
    Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, « Considérations sur les Singes les plus voisins de l’homme », Comptes rendus des séances de l’Académie des Sciences, t. ii, 1836, p. 92-95 ; « Études sur l’Orang-Outang de la Ménagerie », ibidem, t. iii, 1836, p. 1-8.
  • [101]
    Jacques-Bernard Hombron, De l’homme dans ses rapports avec la création, op. cit., p. 121.
  • [102]
    Julien-Joseph Virey, De la physiologie…, op. cit., p. 120.
  • [103]
    ?Ibidem.?
  • [104]
    ?Charles?? Darwin??, ??Metaphysics, Materialism, and the Evolution of Mind. Early writings of Charles Darwin??, Paul H. ??Barrett?? (dir.)., Chicago, The University of Chicago Press, 1980, p. 29.?
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