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Article de revue

Un quodlibet anonyme du manuscrit Praha, Univ. iv.d. 13 (prague 667)

Introduction et édition

Pages 347 à 359

Notes

  • [*]
    Je tiens à remercier le P. Louis-Jacques Bataillon pour ses suggestions et corrections de lecture.
  • [1]
    B.-G. Guyot, « Quaestiones Guerrici, Alexandri et aliorum Magistrorum Parisiensium (Praha, Univ. IV. D. 13) », Archivum Fratrum Praedicatorum, 32 (1962) p. 3-125. Cf. Iohannes blund, Tractatus de anima, éd. D. A. Callus O.P. et R.W. Hunt (Auctores Britannici Medii Aevi, 2), London, Oxford University Press, 1970, p. xii-xiii.
  • [2]
    Voir A. Côté, L’infinité divine dans la théologie médiévale (1220-1255) (Études de philosophie médiévale, 84), Paris, Vrin, 2002, p. 137-138.
  • [3]
    Telle semble bien être la date de composition du recueil. Voir B.-G. Guyot, art. cit., p. 105-106.
  • [4]
    On retrouve cette idée d’une dépendance de toutes les créatures, mêmes les incorruptibles, à l’égard de la causalité conservatrice de Dieu, dans une quaestio de immortalitate animae rationalis due à Alexandre de Halès antequam esset frater : Alexandre de Halès, Quaestiones disputatae, t. III, ap. 1 (BFSMA, 21, p. 1368, 4-10). Notons que ni l’auteur de notre quodlibet ni celui des ff. 91rb-93vb, qui font pourtant souvent appel au De fide orthodoxa, ne songent – contrairement à l’annotateur (que Guyot appelle la main D) en marge du folio 2r – à citer les lignes du chapitre 26 (p. 115, 51-60) qui affirment très clairement l’immortalité de l’âme : « Anima igitur est substantia vivens, simplex et incorporea, corporalibus oculis secundum propriam naturam invisibilis, immortalis, rationalis et intellectualis, infigurabilis, organico utens corpore, et huic vitae et augmentationis et sensus et generationis tributiva ; non aliud habens praeter seipsam intellectum, sed et partem sui ipsius purissima ; sicut enim oculus in corpore, ita in anima est intellectus ; arbitrio libera est, voluntativa et operativa, vertibilis, id est voluntate vertibilis, quoniam et creabilis. Omnia haec ex eius qui condidit eam gratia suscipiens, ex qua et esse et natura ita esse suscepit ».
  • [5]
    En tout cas, il ne s’agit pas des trois questions anonymes 58, f. 61va-vb (Q. de causa praedestinationis), 59, ff. 61vb-62ra (<Q. de definitione praedestinationis>) et 60, f. 62ra-rb (Quaestio de praedestinatione), contenues dans le même manuscrit de Prague.
  • [6]
    Bonaventure, In I Sent., d. 44, q. 4 (Quaracchi I, p. 788a et 789b) : « Item, si potuit facere ante ; ponatur. Similiter ergo quaero, utrum ante ? et sic in infinitum ; sed infinitum a parte ante est aeternum : ergo si potuit in infinitum ante facere, potuit etiam ab aeterno… » (788a). Bonaventure répond : « Ad illud… dicendum, quod infinitum a parte ante potest esse apponendo aut secundum actum, aut secundum potentiam. Primo modo dicit aeternitatem, secundo modo minime, quia aeternitas dicit infinitum actu » (789b).
  • [7]
    Cf. August., De civit. Dei, éd. B. Dombart, A. Kalb, CCSL, 48, p. 375-376.
  • [8]
    Voir le chapitre 2 de notre ouvrage cité supra, note 2.
  • [9]
    « Ad quod dicendum quod poena, cuius effectus non est peccatum, ut fames, aegritudo et omnis talis, a Deo est ; poena vero, cuius effectus non est nisi peccatum, ut pronitas ad superbiendum, invidendum et similia, non est a Deo, et talis est fomes. Alii dicunt quod fomes et omnis poena, in quantum est et in quantum agens est, a Deo est, in quantum vero corruptio est vel inclinans ad malum, a diabolo vel homine est », Summa Theologica, III, n. 241, solutio, p. 256b.
  • [10]
    Pierre Lombard, Libri IV Sententiarum, l. II, d. 32, cap. 3 (Ad claras Aquas…., 1916, p. 477) : « Ad quod breviter respondentes dicimus, quia, in quantum poena est, Deum habet auctorem ; in quantum vero culpa est, diabolum sive hominem habet auctorem ».
  • [11]
    Jean Damascène, De fide orthodoxa, cap. 17, éd. E. Buytaert, (Franciscan Institute Publications, Text Series, no. 8), p. 70, 27-28.
  • [12]
    Ibid., 19-21.
  • [13]
    Fulgence de Ruspe, De fide ad Petrum, éd. J. Fraipont, CCSL, 91A, p. 727, 487-489.
  • [14]
    Alcher de Clairvaux (?), PL 40, 793.
  • [15]
    De immortalitate animae, c. 9, PL 32, 1029.
  • [16]
    Ce passage est une citation de Jean 5, 26 que saint Augustin cite à maintes reprises dans le De trinitate. Nous donnons les références à toutes les occurrences de cette citation que le CD-ROM du CETEDOC nous a permis d’identifier : De trinitate, éd. W. J. Mountain, CCSL, 50 : I, 2, p. 61, 25-27 ; 12, p. 66, 110-112 ; 13, p. 74, 98-99 ; II, 1, p. 82, 35-36 ; VII, 3, p. 252, 32-33 ; [50A] : XV, 26, p. 528, 90-91.
  • [17]
    Cf. Zénon de Vérone, Sermones (seu Tractatus), éd. B. Löfstedt, CCSL, 22, l. I, tr. 36, IX, p. 98, 236-238 : « … illi qui hominem fecit ; qui ei munus perpetuae charitatis similitudinem suam tradidit… ».
  • [18]
    « Quid est omnipotens ut serviamus ei et quid nobis prodest si oraverimus illum », Iob 21, 15.
  • [19]
    Augustin, Soliloquiorum II, c. 2 (PL 32, 886). Cet item se trouve sous une forme plus développée chez Philippe le Chancelier, Summa de bono, I, q. 6, éd. N. Wicki, p. 154-159 ; Robert Grosseteste, De anima, éd. L. Baur, p. 247, 34-39, ainsi que dans la Summa Duacensis, éd. P. Glorieux, p. 42 (dernière ligne). On relève ici la présence du mot « obiectum » qui ne commence à être utilisé que dans les années 1240, date de composition approximative du présent quodlibet. Voir à propos de l’introduction de ce mot dans le lexique philosophique du Moyen Âge, l’article de L. Dewan, « Obiectum. Notes on the invention of a word », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 58 (1981), p. 37-96.
  • [20]
    Aristote, De anima, I, 2 (403 a 10).
  • [21]
    Ibid., III, 4 (430 a 17).
  • [22]
    À comparer avec la solution du quodlibet de notre même manuscrit de Prague, f. 92vb-93ra : « Solutio. Anima per naturam est inmortalis, quia sicut in creatione datum est ei esse perpetuum et habet naturaliter in se causam sue inmutabilitatis, scilicet quia est ymago dei, unde dicit Augustinus quod anima ad ymaginem dei non esset si « mortis termino clauderetur », cum deus sit inmortalis. Filius enim ymago est ; rationalis creatura [y] (93ra) ad ymaginem ; inrationalis uero, uestigium est. Filio dedit deus esse consubstantiale et eternum ; homini autem, qui ad ymaginem factus est, consubstantiale esse dare non potuit neque eternum, sed dedit perpetuum ».
  • [23]
    Gn 1, 31.
  • [24]
    Augustin, De Genesi ad litteram libri duodecim, lib. 3, 24, éd. J. Zycha, CSEL 28, 1, p. 92, 3.
  • [25]
    Hugues de Saint-Victor, Explanatio in Canticum B. Mariae, PL 175, 427A.
  • [26]
    Isaac de l’Étoile, Sermons, I, 6 (Sources chrétiennes, no 130), p. 90, 66.
  • [27]
    Jean Damascène, De fide orthodoxa, éd. cit., p. 58, 32-34.
  • [28]
    Fulgence de Ruspe, De fide ad Petrum, c. 27, éd. cit., p. 729, 544-546.
  • [29]
    Cf. Summa Alexandri, III, n. 229, 5m.
  • [30]
    Cf. ibid., 6m.
  • [31]
    Jean Damascène, De fide orthodoxa, cap. 50, éd. cit., p. 188, 41-42 : « In nullo enim eorum quae plantavit in nostra natura Deus Verbum, primum plasmans nos, defecit, sed omnia assumpsit ». Cf. Pierre Lombard, Libri IV Sententiarum, III, dist. 15, cap. 1.
  • [32]
    Cf. Summa Alexandri, III, n. 241, f.
  • [33]
    Citation que nous n’avons identifiée ni chez saint Augustin ni chez Bède, à qui elle est attribuée par Salimbene : « Ideo dicit Beda : Quia homo noluit bene facere, dum potuit, inflictum est ei ut non possit, dum velit », Salimbene de Adam, Cronica, éd. G. Scalia, CCCM 125, p. 238, 218. Cf. Pierre Lombard, Collectanea in epistolas Pauli, PL 191, 1422B.
  • [34]
    Nous n’avons pu identifier la source de cette sentence qui évoque sans leur être équivalente ces deux autres lemmes de la scolastique : « bonum uniuscuiusque rei in quadam unitate consistit » ou encore « ultima rei perfectio est eius operatio ». On la retrouve cependant dans la Summa Alexandri, III, n. 241 (p. 256b [g.]), où les éditeurs la renvoient à L’Éthique à Eudème, II, 1, 1219a8 : kai telos hekastou to ergon.
  • [35]
    « in regiam maiestatem », cf. Jean de la Rochelle, Summa de vitiis, éd. O. Lottin, « Le traité du péché originel chez les premiers maîtres franciscains de Paris », Ephemerides Theologicae Lovanienses, 18 (1941), p. 36, 14.
  • [36]
    Cf. Summa Alexandri, III, n. 229, ad 2m. Cf. ad 5m et ad 6m.
  • [37]
    Ibid., III, n. 241, solutio.

1Au folio [*] 45 du ms. IV. D. 13 de la bibliothèque de l’Université de Prague, numéro 667 du catalogue de cette même bibliothèque, dont on peut étudier en détail le contenu grâce à la description minutieuse et exhaustive faite par B.- G. Guyot [1], figure un petit quodlibet anonyme consacré à quatre questions : 1) l’immortalité de l’âme, 2) le moment de la création, 3) l’infinité de la substance divine, 4) le péché originel. Nous avons transcrit ailleurs le troisième article, qui suffit, à lui seul, à conférer à cette œuvre modeste une valeur de témoin important : c’est en effet une des toutes premières questions de l’époque, hormis la Summa Halensis, à soulever en termes exprès la question de savoir si la substance divine est infinie [2]. Mais le quodlibet en son entier mérite les honneurs de la publication, ne serait-ce que pour parfaire notre information concernant les débats qui avaient cours dans les milieux théologiques parisiens dans les années 1240-1245 [3] sur des thèmes aussi variés que l’anthropologie, la métaphysique de la création et la morale. Les lignes qui suivent ont pour objet de situer doctrinalement notre quodlibet, dont on trouvera la transcription en annexe.

2Des quatre articles qui constituent ce quodlibet, le premier, relatif à l’immortalité de l’âme, est le plus développé et celui dont l’information philosophique est la plus étendue : outre des renvois à Aristote, on y relève de nombreux points de recoupement avec le traité de l’âme de Philippe le Chancelier, le De anima de Grosseteste, le De immortalitate animae de Gundissalinus ainsi qu’avec d’autres quodlibets figurant dans le même manuscrit, en particulier avec le traité de l’âme de Jean Blund, ff. 2rb-14rb, et un autre quodlibet, anonyme lui aussi, qui se trouve aux folios 91rb-93ra et dont nous préparons par ailleurs l’édition. Évoquons-en rapidement les principaux points d’intérêt.

3Six raisons, affirme notre auteur, témoignent en faveur de l’immortalité de l’âme : 1) Les autorités, patristiques et scripturaires – bien qu’aucune ne soit citée. 2) La justice divine : car à quoi bon mener une vie juste et servir Dieu si la vie se termine ici-bas ? 3) L’objet de l’intellect. Cet objet, la vérité, étant éternel selon saint Augustin, la faculté qui l’appréhende se doit aussi de l’être. 4) L’acte d’intellection. L’intellect, en effet, peut intelliger aussi bien des êtres matériels que des êtres immatériels ; il lui faut donc, lui aussi, être immatériel en vertu du principe auquel il est tacitement fait appel selon lequel le même est connu par le même ; et s’il est immatériel, il s’ensuivra qu’il sera aussi incorruptible et séparable. 5) L’inconvenance qu’implique sa négation : car si l’âme périt avec le corps, à quoi servent la science, la vertu, une vie bonne, l’usage de la raison, le conseil et les lois ? Et enfin, 6) L’ordre de la nature. Cet ordre serait vain si la mort du corps entraînait celle de l’âme.

4Parmi les nombreuses objections alléguées contre la thèse de l’immortalité de l’âme, il en est une que notre auteur s’attache à réfuter avec une attention toute particulière. C’est la thèse de Jean Damascène, selon lequel tout ce qui commence est fini selon sa nature. L’argument de notre auteur est qu’il faut prendre garde à ne pas confondre deux sens possibles de l’expression « être fini selon sa nature ». D’une part, on peut l’entendre en un sens étroit comme voulant dire que toute chose qui a un commencement d’existence a aussi une fin, que toute chose qui commence a une durée finie. Mais en un autre sens, elle peut se comprendre comme renvoyant à l’état de dépendance ontologique de toute créature à l’égard de Dieu, elle est alors synonyme de contingence. En ce dernier sens, mais en ce sens seulement, l’expression du Damascène peut s’appliquer à l’âme et à l’ange, qui sont « finis » en tant qu’ils sont des êtres contingents qui doivent leur existence à Dieu, mais aussi incorruptibles, et donc non finis dans l’ordre de la durée [4].

5Le deuxième article soulève les questions suivantes, classiques depuis les Sentences du Lombard : Dieu pouvait-il créer le monde avant le moment où il l’a effectivement créé, et pouvait-il en créer un meilleur ? À la première de ces deux questions deux objectants répondent par la négative, pour deux raisons : d’abord parce qu’en un Dieu éternel rien ne saurait commencer d’être, et parce que Dieu ne saurait commencer de créer ; ensuite, parce que la résolution divine de créer (ordinatio) étant éternelle, l’existence de la création se devra aussi de l’être. L’auteur écarte la première objection en faisant valoir que la vérité de la thèse « Dieu ne commence jamais à créer » requiert la vérité de deux autres propositions : 1) rien ne commence en Dieu et 2) rien ne commence d’être de par la causalité de Dieu (ab eo). Sous-entendu : seule la première proposition est vraie. La vraie réponse, explique notre auteur, c’est que Dieu commence à créer, mais cet aspect inchoatif de la création n’entraîne de changement que dans la chose créée, et non en Dieu. Par ailleurs, s’il est vrai que Dieu crée de rien (ex nichilo) il faut que le néant précède la création ; par conséquent, Dieu ne peut pas avoir créé de toute éternité quelque chose de rien, car ce serait dire qu’il pourrait créer quelque chose qui à la fois posséderait un commencement d’existence et en serait dépourvu.

6Quant à la seconde thèse, notre auteur répond que la résolution divine n’entraîne aucune nécessité quant au moment de la création, que Dieu aurait pu décider autrement, et se contente de renvoyer, pour un exposé plus complet, à une question de prescientia et predestinatione que nous n’avons malheureusement pas pu identifier [5].

7La position, orthodoxe, de notre auteur, exposée dans la brève solutio, est que Dieu pouvait créer avant l’instant effectif de la création, et que cet instant marque l’avènement du temps, car « avant » la création, il n’y a que l’éternité. Dieu aurait donc pu faire qu’un long intervalle de temps (multa tempora) précède le début de la création. Ce que nie en revanche notre auteur, c’est que cette plage de temps puisse être infinie. Il s’inscrit en faux contre l’argument qui consiste à dire que puisque Dieu pouvait créer à un moment antérieur à l’instant avéré de la création, il pouvait aussi créer avant cet instant-là, et ainsi de suite à l’infini, de sorte que Dieu aurait pu créer à un moment infiniment reculé dans le temps. On vient de voir que cette hypothèse était, à l’estime de notre Anonyme, incompatible avec la création ex nichilo. Il est donc logique qu’il soit en désaccord avec elle. Le problème, c’est que son raisonnement est ici très faible : il concède que Dieu peut créer avant n’importe quel instant donné, qu’il n’est pas de fin dans la série des moments antérieurs (etsi non est stare quin semper possit dici ante et ante…), mais c’est pour expliquer ensuite qu’il est nécessaire que cette série ne se poursuive pas à l’infini ! ou du moins pas à un infini en soi (simpliciter), car la série peut se poursuivre à l’infini par rapport à nous (pro nobis). Quelle est la différence entre infini en soi et infini pro nobis ? L’auteur, hélas, ne daigne pas s’en expliquer. Si l’argument est difficile à suivre, c’est parce que notre auteur est desservi par une terminologie maladroite, celle de l’infini pro nobis et l’infini simpliciter. On trouve une formulation plus éclairante de son argument chez Bonaventure qui substitue au couple pro nobis / simpliciter la distinction actu / potentia[6]. Ainsi reformulé, l’argument revient à dire que si on peut remonter indéfiniment dans le temps, et envisager ainsi une succession indéfinie de moments où Dieu aurait pu créer le monde, qui constituent dans leur succession même un infini en puissance, on ne peut en conclure que Dieu pourrait créer le monde à une époque infiniment distante du présent selon un infini en acte.

8S’agissant de la question de savoir si Dieu aurait pu créer un monde meilleur, notre auteur n’hésite pas : Dieu aurait pu faire un monde meilleur dans chacune de ses parties ou dans son tout, thèse qu’il importe toutefois de comprendre correctement, et que notre auteur explicite d’une façon personnelle. Car créer un monde meilleur, cela ne veut pas dire corriger les défauts du monde réel, cela ne veut pas dire se surpasser dans son geste créateur, mais cela veut dire créer un monde dans lequel le bien parvienne à un degré d’épanouissement plus grand.

9Le second article, tout en portant sur un sujet fort différent du premier, apporte néanmoins des précisions intéressantes sur la conception de la contingence que notre auteur y avait esquissée, ou plus exactement sur les limitations de cette conception. En effet, nous apprenions d’abord (art. 1) que la contingence n’excluait pas l’incorruptibilité de l’âme, c’est-à-dire l’infinité de la durée ex parte post. Mais on peut se demander si la contingence est compatible avec l’infinité de la durée ex parte ante. Or, c’est cette éventualité qui est repoussée en des termes très nets dans le second article, puisque la création exnihilique, explique notre auteur, présuppose l’existence d’un néant qui précède l’être.

10Le troisième article a l’intérêt d’aborder de front une question alors problématique dans les débats théologiques : la substance divine est-elle infinie ? Deux séries d’arguments sont évoquées qui pouvaient paraître compromettre l’infinité de Dieu. La première série part de l’idée que tout ce qui est compris est déterminé par celui qui comprend, principe d’origine augustinienne [7] qui joue sur les deux sens du mot comprendre : à la fois intelliger et enclore. De cette thèse il ressort que Dieu est déterminé (et, en ce sens, fini) puisqu’il se comprend. La deuxième série d’arguments s’appuie sur l’ubiquité divine pour conclure à la finitude de Dieu : puisque Dieu est tout entier partout, même en telle créature finie, il s’ensuit que Dieu est aussi fini.

11La faiblesse des arguments ne saurait faire oublier que la thèse en question passait alors pour problématique pour des raisons que nous avons indiquées ailleurs [8]. Quoi qu’il en soit, notre auteur répond que Dieu est infini, non pas seulement dans le temps, mais également de par l’immensité incirconscriptible de sa substance simple.

12Le quatrième article traite du péché originel. Nous évoquerons trois problèmes parmi ceux qui sont soulevés dans la dispute. Une première objection souligne le fait que si c’est par la faculté nutritive qu’Adam a péché, c’est en sa faculté générative que l’homme a été puni, ce qui paraît incohérent. Pourtant il n’y a là nulle incohérence répond l’Anonyme, car s’il est vrai que c’est par la nutritive que le premier homme a péché, ce péché constituait une faute de lèse-majesté, il est donc juste qu’Adam et sa descendance en soient punis. De là vient que le péché originel ait son siège dans la faculté générative.
Une deuxième série d’objections se fonde sur la différence de nature entre l’âme (simple) et le corps (composé), « semblable à celle qui existe entre la lumière et le corps », pour conclure à l’impossibilité d’une influence de celui-ci sur la première, et en particulier à l’impossibilité d’une souillure de l’âme par le corps. En effet, si un solide ne saurait agir sur la lumière, à plus forte raison, l’âme qui est plus « subtile » encore que cette dernière, ne saurait pâtir sous l’influence d’un corps. La différence – telle est la réponse de notre auteur – est que le corps et l’âme sont faits l’un en vue de l’autre ; ils sont disposés de telle sorte que l’âme soit susceptible d’être souillée par le corps aussi bien que d’être unie avec lui.
Une troisième série d’objections se rapporte à la notion médiévale du « fomes peccati », qui semble supposer un rôle direct de Dieu dans la causalité du mal. Ainsi, le foyer du péché n’est pas une pure privation, mais dispose au mal ; si Dieu en est la cause, ne faut-il pas en conclure qu’il cause le mal ? Mais notre auteur répond qu’il faut distinguer le fomes en tant qu’il est un mouvement – c’est-à-dire un bien causé par Dieu –, et en tant qu’il est un mouvement désordonné – il est alors à envisager comme une privation infligée à l’homme par suite du péché.
Il importe de relever la parenté entre cette doctrine et celle qu’évoquent les auteurs de la Summa Halensis dans un chapitre du traité du péché originel portant sur l’origine de la concupiscence en tant que foyer [9]. Deux réponses y sont évoquées. Selon la première, il convient de distinguer entre la peine dont l’effet n’est pas le péché et dont Dieu est la cause, comme la faim et la maladie, et la peine de péché comme l’inclination à l’orgueil et à l’envie, propres au foyer (du péché). Selon l’autre solution, il y aurait lieu de distinguer entre le foyer en tant qu’il est et qu’il est agent – il a alors sa source en Dieu – et le foyer en tant qu’il est une corruption inclinant au mal, et qui vient du diable ou de l’homme. Les éditeurs de la Summa attribuaient cette dernière position au Lombard [10], et certaines expressions autorisent effectivement ce rapprochement, mais entre les Sentences et la Summa, le quodlibet de notre Anonyme constitue presque certainement un maillon intermédiaire. En effet, à propos du péché, le canoniste nous dit seulement qu’il a Dieu pour auteur si on le considère comme simple peine, et le diable ou l’homme pour cause si on le considère comme coulpe. Or ce que la Summa attribue spécifiquement aux alii c’est la distinction entre le foyer comme étant (ens) et comme agent (agens) et le foyer comme corruption (corruptio) inclinant au mal, et c’est presque mot pour mot l’opposition que l’on relève sous la plume de notre Anonyme qui parle d’étant (ens) et de motion (mouet) et ensuite de privation (priuatio).
Ainsi, on le voit, notre petit quodlibet, sans constituer une œuvre de première importance, n’en est pas moins un témoin intéressant de doctrines professées dans la décennie 1240 dans les milieux parisiens.

Praha, Univ. IV.D. 13 (= Prague 667), f. 45ra-va

<Questio de quolibet>

<Art. 1>

13Queritur de inmortalitate anime. Sic dicamus : « omne quod incipit finitur secundum naturam. Solus autem Deus est semper ens » [11], sed anima incipit etc. Et loquitur Damascenus de angelis de quibus fit eadem questio.

14Item, Damascenus [12] : « omne creabile etiama uertibile est ; solum enim quod increabile est et inuertibile », et inde ut priusb.

15Item, Augustinus De fide ad Petrum[13] : « Ideo quippe nature adeo facte proficere possunt quia esse ceperunt ; ideo deficere quia ex nichilo facte sunt ». Ergo anima potest deficere que est ex nichilo.

16Item, quod non habet principium, non habet finem quia nichil habet de non ente ut uidetur. Hec est ratio ; ergo anima que habet de non ente, quia ex nichilo est, habet finem.

17Item, Ecclesiastes iii <19> : « unius est interitus hominis et iumentorum et equa utriusque conditio ; sicut moritur homo, sic et illa moriuntur ».

18Contra. Que corrumpuntur resoluuntur in ea ex quibus sunt ; ergo quod non est resolubile in aliqua nec corruptibile ; sed talis est anima que non conposita ex principiis etc. Dicebat quod non corrumpitur per resolutionem sed per defectum quem habet quia est ex nichilo, sed si ita est quod per se naturaliter deficit ex hoc defectu naturali ; ergo quod non deficit est ex miraculo, sicut quod corrumpitur secundum naturam ut corpus teneri incorporale tale manens non posset nisi per miraculum.

19Item, Augustinus De spiritu et anima[14] : « Inmortalis est anima ut a creatoris similitudine discrepare uidetur ; non enim poterat esse ymago et similitudo dei si mortis terminoc clauderetur ».

20Item, Augustinus De inmortalitate anime[15] : « Animus uita quedam est ». Quomodo ergo carebit unalitate cum natura careat se ipso.
Item, Augustinus De trinitate[16] : sicut pater habet uitam in semetipso, sic etc., hoc est dicere, sicut pater habet uitam inmortalem, ita et filius, sed anima habet uitam in semetipsa ; ergo habet inmortalem.

(a) etiam scripsi] que cod. (b) prius scripsi] plus cod. (c) termino scripsi] terino cod.

21Item, omne quod corrumpitur uel accipitur uel ab alio <uel a se> ; non a se, quia omne quod est ut potest appetit et conseruat esse ; ergo ab alio ; sed nichil est quod possit in animam cum sit simplex substantia et supra omnem substantiam inferiorem que est principium corruptionis, ergo etc.

22Solutio. Anima rationalis perpetua est munere qui dedit ei esse perpetuum sicut angelo [17] ; hoc patet omnium sapientum testimonio et philosophorum qui illud asserunt.

23Item, diuina scriptura hoc dicit et fides supponit.

24Item, ex exigentia diuine iustitie, quia aliter prodesset iuste uiuere et ei seruire ? secundum illudd Iob. ii. « Quid est omnipotens ut seruiamus ei ? quia prodest si adorauerimus eum » [18].

25Item, idem patet ab obiecto intellectus quod est ueritas, et hanc rationem ponit Augustinus, quia obiectum proportionatur susceptiuo et obiectum est perpetuum [19].

26Item, ab actu intellectus intelligi potest res et incorruptibile siue inmaterialese ut intelligentias ; ergo est inmaterialis ; ergo incorruptibilis, et separabilis ; unde philosophus : « siquidem est aliquid anime operum aut passionum proprium contingit ipsam separari » [20] ; et in tertio « hic intellectus separatus, inmixtus, inpassabilis substantia actu est ; semper enim honorabilius est agens patientef et principium materia » [21].

27Item, per inconueniens, quia si desinit cum corpore anima, nichil est, nichil prodest g scientia, uirtus, uita bona, rationis usus, consilium, leges.

28Ordo etiam corporalis nature hoc probat quia totaliter substantia propter hominem et si perit totaliter anima cum corpore, uanus est ordo nature, unde accipiuntur rationes ad hoc probandum, primo a testimonio hominis, et si perit totaliter anima cum corpore uanus est ordo nature.
Unde accipiuntur rationes ad hoc probandum, primo a testimonio, secundo a iustitie merito ; tertio ab obiecto intellectus ; quarto ab actu eius qui est intelligere. Item, quinto, per inconueniens ; sexto, ab ordine corporalis creature.

(d) illud scripsi] illos cod. (e) inmateriales scripsi] materiales cod. (f) patiente] patienti cod. (g) nichil est, nichil prodest scripsi] uel est uel prodest cod.

29Ad primum dicunt quidam quod inquantum est ex nichilo uerum est quod finitur secundum naturam, sed a munere – quia data est ei natura indissolubilis – non finitur secundum naturam ; non dicunt quod deus fecit omnia ex nichilo et propter hoc secundum quod de nichilo sunt redigi possunt in nichilum ; sed quibusdam dedit esse incorruptibile, quibusdam perpetuum ; unde illa habent naturam datam ut aliquando desinant, illa ut nunquam.

30Unde intellige sic auctoritatem : « omne quod incepit finitur, id est finibile est secundum naturam inquantum tale » aliter potest dici, quia est quoddam ens quod non potest non esse, ut diuinum in quod nulla uirtus est potens ut non sit nec sua nec alia. Est aliud ens omne quod est ex nichilo. Quod potest non esse agendum est ex nichilo aliqua uirtute hoc agente ut diuina, et istud dicitur terminabile secundum naturam quod habet naturam ex nichilo que posset omnino non esse. Dicimus ergo quod dupliciter dicitur terminabile : aut terminabile secundum naturam, scilicet quod habet naturam que posset fieri et non esse, uel quod habet in se principium ad hoc ducens ut terminatur. Primo modo anima et angelus est finibilis ; secundo modo tantum corruptibilia.

31Quod ergo obicitur « omne quod incipit finitur secundum naturam », id est est finibile uel terminabile : primo modo, non secundo. Est enim triplex natura : quedam que omnino non potest non esseh ut diuina, et est alia que potest non esse quia ex nichilo, non tamen habet in se causam ut non sit, sed ut perpetuum sit, ut intellectiua et anima. Item, et alia que potest non esse et habet in se causam ut aliquando non sit, ut corruptibilia. Sic patet primum obiectum.

32Ad secundum dicendum quod omne creabile est uertibile dupliciter, id est habens in se causam huiusmodi ut liberum arbitrium, rationalia, uel causam corruptionis ut corruptibilia, uel quod possibile est uerti de esse in non esse. Primo modo ut dictum est similiter est intelligendum quod dicit Augustinus De fide ad Petrum.

33Ad rationem sequentem dicimus, quia quod non habet principium, non habet finem, nec actu nec potentia quacumque. [45rb] Sed anima que habet principium non habet finem ut dictum est, sed potest habere eo modo quo dictum est.
Quod obicitur quod anima deficeret in non esse quia est ex nichilo, teneretur a deo et uidetur miraculum. Solutio : deus dedit quibusdam esse incorruptibile, quibusdam corruptibile et tamen utrumque seruat in suo esse, hoc in incorruptibili, illud in corruptibili ; tamen propter hoc in incorruptibile est corruptibile sed est eius natura ut sit secundum se incorruptibile per propriam speciem quamuis et hoc habeat ut in hoc conseruetur a diuino esse [22]. Alia omnia concedimus nisi quod ecclesiastes intelligit secundum carnem.

(h) esse] exp. cod.

<art. 2>

34Secundo queritur si potuit deus facere mundum antequam fecerit uel facere meliorem.

35Contra. Nichil est in deo per inceptionem, ergo nunquam incipit operari, ergo ab eterno fecit quicquid fecit.

36Preterea, sic ordinauit ut tunc faceret ; sed sua ordinatio est eternai que non potest ratio j, ergo non potuit facere nisi esset.

37Contra. Antequam faceret quicquam ipse erat et sufficientia ad faciendum quicquid uellet ; ergo et potuit tunc facere antequam fecerit.

38Item, ex hoc queritur si potuit ipsum facere ab eterno quia potuit semper dum fuit semper.

39Item, quia potuit facere antequam fecit et ante et ante et sic in infinitum, ergo potuit facere in infinitum ante, sed infiniti non est terminus, ergo sine termino ante, ergo sic esset eternum ; est enim eternum ex parte principii, quod non habet principium incipiendi, sicut perpetuum ex parte finis, quod non habet terminum essendi.

40Item, ad aliud dicendum : potuit quodlibet facere melius, ergo totum.

41Contra. Vidit deus cuncta que fecerat[23]. Augustinus De glossa : erant per se substantia sed in uniuerso ualde bona [24].

42Item, in particulari, non potuit meliorem creaturam facere quam Christum hominem, ergo et in toto et in parte fecit quod meliora non potuit.

43Solutio. Ante mundum non fuit tempus aut mora, sed sola eternitas, tamen potuit Deus facere ut tempus et mora incepisset antequam incepit, et istud quod fuit in principio precessissent multa tempora.

44Ad primum ergo dicimus quod est in argumento est consequens, quia hic « deus nunquam cepit operari » duo exigent : et quod inceptione nichil esset in deo, et ab eo res nulla inciperet ; et ipse concludit ex solutionek prima. Deus enim cepit operari, non tamen inceptio ponit aliquid nouum in deo sed in re operata.

45Ad secundum dicimus quod eius ordinatio non inportat necessitatem ut tunc fieret, si enim aliter fecisset, ut potuit, et aliter ordinatum fuisset, ut dicitur in questione de prescientia et predestinatione.

46Ad aliud dicimus quod creari ex nichilo ponit inceptioneml essendi quia ex nichilo ; unde oportet quod prius fuerit nichil. Eternum uero priuat inceptionem essendi. Unde patet quod deus ab eterno non potuit facere ex nichilo aliquid eternum ; hoc enim esset dicerem quod potuit facere aliquid quod haberet principium essendi et non haberet principium essendi.
Ad obiectum dicimus quod semper potuit facere non tamen eternum.

(i) est eterna] sup. lin. cod. (j) ratio] sup. lin. cod. (k) solutione] solutio cod. (l) inceptionem] inceptione cod. (m) dicere] dum cod.

47Ad aliud dicimus quod etsi non est stare quin semper possit dici ante et ante potuit facere mundum, tamen necesse est hoc non extendi in infinitum neque in terminum ; unde falsum dicit cum dicit : « et sic in infinitum », nisi dicat infinitum nobis, sed non simpliciter.

48Ad aliud dicimus quod et totum et partem potuit facere meliorem ; tamenn fecit ualde bona. Unde concedo quod fecit ualde bona potuit facere meliora. Hugo [25] : « ipse melior esseo non potest sed quod fecit omne melius esse potest, si tamen ipse uoluerit qui potest ». Et quod fecerit melius facere potest, non tamen corrigens malefactum sed benefactum promouens in melius, non ut ipse, quantum ad se melius faciat, sed ut quod fecit ipso identidem p operante et in eodem perseuerante melius fiat.
Quod obicit quod non potuit melius facere hominem Christo, hoc est propter unionem cum persona diuina, non propter potestatem dei finitam more natura, unde dico tolle unionem, potest deus facere hominem meliorem.

<art. 3>

49Item, tertio queritur de infinitate diuine substantie sic : deus cognoscit se totum, ergo est finitus sibi.

50Item, se totum conprehendit cognoscendo, ergo conprehenditur cognitione, ergo est finitus.

51Item, Christus homo totum deum cognoscit, « quia trinitas sibi soli nota est homini assumpto » [26], qui est una in trinitate persona, ergo est nota homini assumpto eo quod nota est trinitati, ergo secundum humanam naturam.

52Item, totus est in creatura hac et in quolibetq. Damascenus [27] : « totus totaliter ubique ens, et non pars in parte corporaliter diuisus sed totus in omnibus et totus super omne ». Augustinus De fide ad Petrum[28] : « ineffabiliter ubique totus dominus deus et inplet et continet, nec in hiis que diuiduntur ipse diuiditur nec in hiis que imitantur ipse ymitatur », sed creatura hec est finita, ergo ipse qui in ea totus est est finitus.

53Item, si est ubique est in dyabolo.

54Solutio. Infinitus est deus, non solum eternitate que nec incipit nec finitur, sed inmensitate simplicis substantie qua non capitur usquam aut circumscribitur.

55Ad primum dicimus quod cognoscit se totum et conprehendit, sed et cognitio et conprehensio est infinita, tunc substantia et eternitas sunt infinita, unde non sequitur ex hoc quod sit finitus.

(n) tamen] tum cod. (o) esse] corr. ex eesse cod. (p) identidem] corr. ex identi idem cod. (q) quolibet] quilibet cod.

56Ad aliud dicendum quod intellectus Christi, etsi est creatura finita, tamenr per unionem cum infinita natura potest in infinitum, undes conprehendit trinitatem ex intellectu.

57Solutio. Si ex intellectu unito, unde non sequitur quod conprehensum sit finitum, sed tamen hic melius uellem audire quam dicere.

58Ad aliud dicendum quod etsi totus est in creatura hac, non tamen circumscriptus quod exigeretur ad hoc ut ibi finiretur.
Ad aliud dicendum quod in [45va] diabolo dicitur esse, id est in natura, non in initio, id est inquantum natura non inquantum diabolus.

<art. 4>

59Item, quarto, queritur de originali peccato sic :

60Primo, homines peccauerunt in nutritiua, non in generatiua, ergo primum quod ab eis contrahitur debet esse indicatum in ea.

61Item, corpus quod est conpositum quomodo potest agere in animam simpliciter ut maculet eam [29]?

62Item, lux corporalis non maculatur a corporet corporali quam tangit, sed subtilior est anima quam lux corporalis, ergo etc [30].

63Item, sed queritur si angelus uniret sibi embrionem, si extraheret maculam.

64Item, auctoritas [31] dicit omnes defectus uestros Christusu suscepit, quos in uestra natura ipse plantauit ; sed non suscepit fomitemv ; ergo non plantauit eum ibi ; ergo non est ibi [32].

65Item, anima ex sew non habet peccatum, quia munda creatur, nec ex carne, ut uidetur, quia caro non habet <peccatum>, unde dare non potest.

66Item, probatur quarex inmo fecit deus in homine fomitem. Augustinus [33], quia noluit homo cauere cum potuit, inflictum est ei non posse cum uelit. Si inflictum, et pro uindicta, ergo a iudice.

67Item, non est pura priuatio cum sit actiuum ; mouet enim carnem ; ergo est ens ; ergo a deo, sed directe non mouet nisi ad malum ; ergo deus fecit id ex quo directe et causaliter est malum ; ergo est actor mali. Et quod non sit fomes nisi ad malum, patet per sententiam philosophi : uniuscuiusque bonum reperitur in suo opere [34] ; sed in opere fomitis non reperitur bonum, ergo etc.

(r) tamen] tum cod. (s) unde] tri add. cod. (t) corpore scripsi] corde cod. (u) christus] christo cod. (v) fomitem] fofomitem cod. (w) ex se] creatur add. cod. (x) quare] que cod.

68Solutio. Ad primum dicendum quod etsi homo in actu peccauit in nutritiua, tamen peccauit in regiam maiestatem [35], et inde puniendus fuit in se, et in successione ; unde magis puniendus fuit in radice propaginis unde pena transiret in successionem. Inde est quod illa uis magis corrupta est et infecta. Sic intelligitur cum dicatur peccatum originale radicatum in ea ; alioquin nichil est dictu, cum et nutritiua et alie sit infecte, ad minus quedam uel omnes.

69Ad aliud dicimus quod maculatur y anima carne propter hoc et quia ipsa dum noua infunditur susceptiua est talis macule, et quia unitur ; lux autem corporalis uel angelus nec susceptiui est sordis a corpore, nec ei unitur in persona [36].

70Ad aliud dicimus quod assumpsit defectus, quos plantauit sed non plantauit peccatum et fomes ante baptismum est peccatum.

71Item, ad illud dicendum quod a carne contrahitur propter dictas rationes.

72Ad aliud dicendum quod in fomite sunt duoz : dispositio que hominem moueta, hoc est ens et a deo ; secundum est quod inordinate mouetur. Haec est priuatio et hoc fuit fomiti a peccato inflictum. Est ergo ei a deo id quo non potest sed non inquantum tale [37]. Alia patent ex eis.

73

Antoine CÔTÉ, né en 1961, est Docteur en philosophie de l’Université de Louvain. Il enseigne la philosophie médiévale à l’Université d’Ottawa (Canada), et travaille actuellement sur l’anthropologie des théologiens parisiens des années 1230-1240.
Il est l’auteur de L’infinité divine dans la théologie médiévale (1220-1255) (Études de Philosophie médiévale), Paris, Vrin, 2002, et de plusieurs articles portant sur la philosophie médiévale.
E-mail : coteaj@uottawa.ca

(y) maculatur scripsi] machinatur cod. (z) duo scripsi] uero cod. (a) mouet] monet cod.

Notes

  • [*]
    Je tiens à remercier le P. Louis-Jacques Bataillon pour ses suggestions et corrections de lecture.
  • [1]
    B.-G. Guyot, « Quaestiones Guerrici, Alexandri et aliorum Magistrorum Parisiensium (Praha, Univ. IV. D. 13) », Archivum Fratrum Praedicatorum, 32 (1962) p. 3-125. Cf. Iohannes blund, Tractatus de anima, éd. D. A. Callus O.P. et R.W. Hunt (Auctores Britannici Medii Aevi, 2), London, Oxford University Press, 1970, p. xii-xiii.
  • [2]
    Voir A. Côté, L’infinité divine dans la théologie médiévale (1220-1255) (Études de philosophie médiévale, 84), Paris, Vrin, 2002, p. 137-138.
  • [3]
    Telle semble bien être la date de composition du recueil. Voir B.-G. Guyot, art. cit., p. 105-106.
  • [4]
    On retrouve cette idée d’une dépendance de toutes les créatures, mêmes les incorruptibles, à l’égard de la causalité conservatrice de Dieu, dans une quaestio de immortalitate animae rationalis due à Alexandre de Halès antequam esset frater : Alexandre de Halès, Quaestiones disputatae, t. III, ap. 1 (BFSMA, 21, p. 1368, 4-10). Notons que ni l’auteur de notre quodlibet ni celui des ff. 91rb-93vb, qui font pourtant souvent appel au De fide orthodoxa, ne songent – contrairement à l’annotateur (que Guyot appelle la main D) en marge du folio 2r – à citer les lignes du chapitre 26 (p. 115, 51-60) qui affirment très clairement l’immortalité de l’âme : « Anima igitur est substantia vivens, simplex et incorporea, corporalibus oculis secundum propriam naturam invisibilis, immortalis, rationalis et intellectualis, infigurabilis, organico utens corpore, et huic vitae et augmentationis et sensus et generationis tributiva ; non aliud habens praeter seipsam intellectum, sed et partem sui ipsius purissima ; sicut enim oculus in corpore, ita in anima est intellectus ; arbitrio libera est, voluntativa et operativa, vertibilis, id est voluntate vertibilis, quoniam et creabilis. Omnia haec ex eius qui condidit eam gratia suscipiens, ex qua et esse et natura ita esse suscepit ».
  • [5]
    En tout cas, il ne s’agit pas des trois questions anonymes 58, f. 61va-vb (Q. de causa praedestinationis), 59, ff. 61vb-62ra (<Q. de definitione praedestinationis>) et 60, f. 62ra-rb (Quaestio de praedestinatione), contenues dans le même manuscrit de Prague.
  • [6]
    Bonaventure, In I Sent., d. 44, q. 4 (Quaracchi I, p. 788a et 789b) : « Item, si potuit facere ante ; ponatur. Similiter ergo quaero, utrum ante ? et sic in infinitum ; sed infinitum a parte ante est aeternum : ergo si potuit in infinitum ante facere, potuit etiam ab aeterno… » (788a). Bonaventure répond : « Ad illud… dicendum, quod infinitum a parte ante potest esse apponendo aut secundum actum, aut secundum potentiam. Primo modo dicit aeternitatem, secundo modo minime, quia aeternitas dicit infinitum actu » (789b).
  • [7]
    Cf. August., De civit. Dei, éd. B. Dombart, A. Kalb, CCSL, 48, p. 375-376.
  • [8]
    Voir le chapitre 2 de notre ouvrage cité supra, note 2.
  • [9]
    « Ad quod dicendum quod poena, cuius effectus non est peccatum, ut fames, aegritudo et omnis talis, a Deo est ; poena vero, cuius effectus non est nisi peccatum, ut pronitas ad superbiendum, invidendum et similia, non est a Deo, et talis est fomes. Alii dicunt quod fomes et omnis poena, in quantum est et in quantum agens est, a Deo est, in quantum vero corruptio est vel inclinans ad malum, a diabolo vel homine est », Summa Theologica, III, n. 241, solutio, p. 256b.
  • [10]
    Pierre Lombard, Libri IV Sententiarum, l. II, d. 32, cap. 3 (Ad claras Aquas…., 1916, p. 477) : « Ad quod breviter respondentes dicimus, quia, in quantum poena est, Deum habet auctorem ; in quantum vero culpa est, diabolum sive hominem habet auctorem ».
  • [11]
    Jean Damascène, De fide orthodoxa, cap. 17, éd. E. Buytaert, (Franciscan Institute Publications, Text Series, no. 8), p. 70, 27-28.
  • [12]
    Ibid., 19-21.
  • [13]
    Fulgence de Ruspe, De fide ad Petrum, éd. J. Fraipont, CCSL, 91A, p. 727, 487-489.
  • [14]
    Alcher de Clairvaux (?), PL 40, 793.
  • [15]
    De immortalitate animae, c. 9, PL 32, 1029.
  • [16]
    Ce passage est une citation de Jean 5, 26 que saint Augustin cite à maintes reprises dans le De trinitate. Nous donnons les références à toutes les occurrences de cette citation que le CD-ROM du CETEDOC nous a permis d’identifier : De trinitate, éd. W. J. Mountain, CCSL, 50 : I, 2, p. 61, 25-27 ; 12, p. 66, 110-112 ; 13, p. 74, 98-99 ; II, 1, p. 82, 35-36 ; VII, 3, p. 252, 32-33 ; [50A] : XV, 26, p. 528, 90-91.
  • [17]
    Cf. Zénon de Vérone, Sermones (seu Tractatus), éd. B. Löfstedt, CCSL, 22, l. I, tr. 36, IX, p. 98, 236-238 : « … illi qui hominem fecit ; qui ei munus perpetuae charitatis similitudinem suam tradidit… ».
  • [18]
    « Quid est omnipotens ut serviamus ei et quid nobis prodest si oraverimus illum », Iob 21, 15.
  • [19]
    Augustin, Soliloquiorum II, c. 2 (PL 32, 886). Cet item se trouve sous une forme plus développée chez Philippe le Chancelier, Summa de bono, I, q. 6, éd. N. Wicki, p. 154-159 ; Robert Grosseteste, De anima, éd. L. Baur, p. 247, 34-39, ainsi que dans la Summa Duacensis, éd. P. Glorieux, p. 42 (dernière ligne). On relève ici la présence du mot « obiectum » qui ne commence à être utilisé que dans les années 1240, date de composition approximative du présent quodlibet. Voir à propos de l’introduction de ce mot dans le lexique philosophique du Moyen Âge, l’article de L. Dewan, « Obiectum. Notes on the invention of a word », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 58 (1981), p. 37-96.
  • [20]
    Aristote, De anima, I, 2 (403 a 10).
  • [21]
    Ibid., III, 4 (430 a 17).
  • [22]
    À comparer avec la solution du quodlibet de notre même manuscrit de Prague, f. 92vb-93ra : « Solutio. Anima per naturam est inmortalis, quia sicut in creatione datum est ei esse perpetuum et habet naturaliter in se causam sue inmutabilitatis, scilicet quia est ymago dei, unde dicit Augustinus quod anima ad ymaginem dei non esset si « mortis termino clauderetur », cum deus sit inmortalis. Filius enim ymago est ; rationalis creatura [y] (93ra) ad ymaginem ; inrationalis uero, uestigium est. Filio dedit deus esse consubstantiale et eternum ; homini autem, qui ad ymaginem factus est, consubstantiale esse dare non potuit neque eternum, sed dedit perpetuum ».
  • [23]
    Gn 1, 31.
  • [24]
    Augustin, De Genesi ad litteram libri duodecim, lib. 3, 24, éd. J. Zycha, CSEL 28, 1, p. 92, 3.
  • [25]
    Hugues de Saint-Victor, Explanatio in Canticum B. Mariae, PL 175, 427A.
  • [26]
    Isaac de l’Étoile, Sermons, I, 6 (Sources chrétiennes, no 130), p. 90, 66.
  • [27]
    Jean Damascène, De fide orthodoxa, éd. cit., p. 58, 32-34.
  • [28]
    Fulgence de Ruspe, De fide ad Petrum, c. 27, éd. cit., p. 729, 544-546.
  • [29]
    Cf. Summa Alexandri, III, n. 229, 5m.
  • [30]
    Cf. ibid., 6m.
  • [31]
    Jean Damascène, De fide orthodoxa, cap. 50, éd. cit., p. 188, 41-42 : « In nullo enim eorum quae plantavit in nostra natura Deus Verbum, primum plasmans nos, defecit, sed omnia assumpsit ». Cf. Pierre Lombard, Libri IV Sententiarum, III, dist. 15, cap. 1.
  • [32]
    Cf. Summa Alexandri, III, n. 241, f.
  • [33]
    Citation que nous n’avons identifiée ni chez saint Augustin ni chez Bède, à qui elle est attribuée par Salimbene : « Ideo dicit Beda : Quia homo noluit bene facere, dum potuit, inflictum est ei ut non possit, dum velit », Salimbene de Adam, Cronica, éd. G. Scalia, CCCM 125, p. 238, 218. Cf. Pierre Lombard, Collectanea in epistolas Pauli, PL 191, 1422B.
  • [34]
    Nous n’avons pu identifier la source de cette sentence qui évoque sans leur être équivalente ces deux autres lemmes de la scolastique : « bonum uniuscuiusque rei in quadam unitate consistit » ou encore « ultima rei perfectio est eius operatio ». On la retrouve cependant dans la Summa Alexandri, III, n. 241 (p. 256b [g.]), où les éditeurs la renvoient à L’Éthique à Eudème, II, 1, 1219a8 : kai telos hekastou to ergon.
  • [35]
    « in regiam maiestatem », cf. Jean de la Rochelle, Summa de vitiis, éd. O. Lottin, « Le traité du péché originel chez les premiers maîtres franciscains de Paris », Ephemerides Theologicae Lovanienses, 18 (1941), p. 36, 14.
  • [36]
    Cf. Summa Alexandri, III, n. 229, ad 2m. Cf. ad 5m et ad 6m.
  • [37]
    Ibid., III, n. 241, solutio.
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