Notes
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[1]
La médina désigne la partie ancienne d’une ville par opposition à la ville nouvelle dont les quartiers et le tracé correspondent à une organisation de type européenne.
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[2]
Le riad traditionnel est construit en carré autour d’un jardin situé dans le patio principal. Les pièces de vie, salons et chambres sont réparties tout autour de ce patio. Depuis la phase d’engouement, le terme « riad » a été élargi pour désigner les anciennes maisons dans les médinas marocaines indépendamment de leur agencement.
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[3]
Ce travail de recherche a été réalisé sous la direction de Sébastien Jacquot pour préserver l’anonymat. Une dizaine d’entretiens semi-directifs ont été menés avec des propriétaires français et des propriétaires marocains. Ce travail a été complété par une soixantaine d’entretiens courts avec des habitants des quartiers d’implantation de la médina et par un recours à l’observation participante en prenant part aux réunions et activités de l’Union des Français de l’étranger).
-
[4]
Différents types d’établissement touristiques ont été choisis (établissement de luxe, maisons d’hôte et auberge).
-
[5]
Selon les statistiques du Haut-Commissariat au plan (HCP) de 2018.
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[6]
Contrat-programme qui s’est étendu de 2001 à 2010 et qui fut remplacé par la Vision 2020 de 2010 à 2020. La Vision 2010 s’était fixé pour objectif d’atteindre 7 millions de touristes et d’augmenter la capacité hôtelière. La Vision 2020 s’est appuyée sur ces objectifs en définissant une politique d’aménagement du territoire où chaque ville/région devait être intégrée comme produits touristiques.
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[7]
Agent immobilier informel.
-
[8]
Confréries issues d’anciens esclaves d’Afrique sub-saharienne dont le style musical est marqué par la transe.
-
[9]
Auxiliaire de l’administration, nommé par le caïd. Il est au contact direct de la population et s’occupe d’un quartier défini.
-
[10]
Agent d’autorité représentant le ministère de l’Intérieur. Il assure le maintien de l’ordre et l’ensemble des services de l’État.
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[11]
Traduit par « pot-de-vin » ou « pourboire », il désigne l’argent que l’on donne à quelqu’un pour le remercier de ses services ou de les acheter.
-
[12]
Bain de vapeur chaude et humide.
-
[13]
Le derb s’apparente à une impasse. C’est un espace exclusivement résidentiel et domestique où les maisons sont organisées autour d’un noyau central constitué par une ou plusieurs maisons.
-
[14]
Recensement général de la population et de l’habitat, réalisé par le Commissariat au plan (HCP).
1. Introduction
1« Je suis venue ici avec une copine pour passer quelques jours et parce que je ne connaissais pas le nord du Maroc […] Je suis arrivée et ça a été foudroyant : c’est une espèce de truc qui m’a pris ! Il y avait tout ce que j’aimais dans le voyage et en même temps c’était complètement émergent ! Tu avais la sensation inouïe et très excitante d’arriver dans un lieu émergeant où tout était à faire » (extrait d’un entretien avec une propriétaire française d’un établissement touristique dans la médina de Fès, février 2018).
Cette « sensation » décrite comme « foudroyante » – à laquelle nous pouvons ajouter l’ensemble du lexique mobilisé par les propriétaires français interrogés comme « coup de cœur », « charmé », « fascinant » ou encore « authentique » – a poussé de nombreux étrangers à investir dans la médina [1] de Fès. Pour une partie d’entre eux, le « coup de cœur » est devenu réalité par l’achat d’une ancienne maison à restaurer. Ce phénomène, qui prend racine au début des années 1990 avec l’arrivée des premiers migrants entrepreneurs étrangers à Marrakech, s’est progressivement étendu à l’ensemble des médinas marocaines (Coslado, McGuinness et Miller, 2013). Le « riad [2] » devient un rêve pour ces touristes européens, réactivant ainsi les stéréotypes orientalistes du xixe siècle à travers l’aménagement et la décoration des maisons comme les images récurrentes du « bijou caché » et du « trésor dévoilé » (Madoeuf, 2014).
2Dans le contexte de mondialisation politique, économique et socioculturelle touchant le Maroc au début du xxie siècle (Cohen et Jaidi, 2006), ces migrants entrepreneurs ont induit un processus de rénovation des vieux centres urbains marocains impliquant des transformations socio-urbaines profondes (Kurzac-Souali, 2006). Les demeures traditionnelles de la médina deviennent des espaces adaptés pour aménager une résidence de vacances ou une maison d’hôtes pour une clientèle européenne (Escher et Petermann, 2013). Ce réinvestissement pousse à réfléchir en termes de gentrification portée à la fois par des entrepreneurs marocains originaires de Fès et les migrants entrepreneurs étrangers. Ce réinvestissement a conduit à des transformations sociales, urbaines et économiques qui se matérialisent notamment par la transformation des quartiers, la hausse des prix de l’immobilier, de nouveaux rapports sociaux avec la population locale et le départ des populations les plus modestes hors de la médina.
3Ces Européens ont fait le choix de s’installer durablement dans certaines villes marocaines avec le projet de vivre une expérience en adéquation avec les représentations qu’ils se sont faites des lieux choisis (Berriane et Idrissi, 2013). Ces nouvelles dynamiques amènent à repenser les catégories de « migrant » et de « touriste » constitutives d’un même système de mobilité (Dehoorne, 2002). Certains, après un séjour ou des vacances, ont repensé leur espace de vie selon le schéma de la multirésidentialité après avoir « exploré les arcanes de la mobilité » (Bredeloup, 2016). Ces mobilités de longue durée et d’individus aisés motivés par une amélioration de leur condition de vie sont appréhendées comme des « migrations d’agrément » ou Lifestyle migration dans le contexte anglophone (Benson, O’Reilly, 2009). Dans le contexte français, ces migrations sont appréhendées sous la forme de mobilités privilégiées à travers les figures des hivernants et des backpackers (Le Bigot, 2017).
4Ce renversement de perspective d’étude sur les migrations a fait l’objet de travaux récents (Peraldi et Terrazzoni, 2016 ; Bredeloup, 2016) en montrant que les profils des individus qui se déplacent des Nord(s) vers les Sud(s) révèlent toutes sortes de rapports. Ces figures migratoires se composent à la fois de « retraités », d’« expatriés », d’« hivernants », d’« entrepreneurs », de « touristes », de « backpackers » ou de « binationaux » (Poli, 2015). Parallèlement aux recherches en sciences sociales sur l’impact des projets résidentiels des étrangers dans les médinas d’implantation (Coslado, McGuinness et Miller, 2013), plusieurs travaux se sont intéressés à l’émergence d’un « nouveau » régime de migration au Maroc (Peraldi et Terrazzoni, 2016). Les « migrants » se substituent aux « expatriés » car cette génération d’Européens s’installe au Maroc « sans ordre de mission » et ne bénéficie pas des privilèges rattachés au statut d’expatrié (Peraldi et Terrazzoni, 2016). La catégorie « migrant » couvre des registres de sens divers ce qui nécessite de les étudier au prisme des subjectivités des acteurs car elles traduisent des logiques de distanciation et de proximité qui se jouent avec la société réceptrice (Poli, 2015). C’est pour cette raison que le terme de « migrant entrepreneur » ainsi que celui de « propriétaire » pour qualifier ces migrants qui possèdent des établissements touristiques ont été retenus. Dans l’analyse, l’évocation des « entrepreneurs étrangers » fait référence à l’ensemble des propriétaires non marocains toutes nationalités confondues, présents dans la médina. L’entrée par le référent économique (l’entrepreneuriat) permet de prendre en considération un ensemble d’acteurs (les habitants, les intermédiaires touristiques, les autorités locales) avec lesquels vont interagir ces migrants.
5Ainsi, cet article vise à comprendre les stratégies d’ancrage des propriétaires français en situation migratoire par le biais de leur activité économique et les processus engendrés par cette arrivée. Comment l’entrepreneuriat complexifie-t-il les rapports entretenus entre les migrants entrepreneurs européens et la société locale par l’instauration de nouveaux rapports de domination, de différenciation et d’exclusion ? L’installation des migrants entrepreneurs européens a engendré des transformations socio-urbaines et économiques à l’échelle de la médina qui peuvent traduire un processus de « gentrification » à travers les changements sociaux, urbains et économiques des quartiers d’implantation. À cela, s’ajoute le positionnement socio-économique lié à l’entrepreneuriat qui amène les migrants entrepreneurs français à construire une diversité de relations de travail et de relations avec la société locale qui oscillent entre intégration et distanciation. Tantôt « migrant », tantôt « entrepreneur », leur statut social est sans cesse renégocié selon les situations et les conduit à développer des stratégies différenciées de développement de leur activité économique en s’appuyant sur des ressources « locales ».
6Cet article est le fruit d’enquêtes réalisées sous la forme d’entretiens semi-directifs, d’observations et de relevés de terrain entre février et mai 2018 dans la médina de Fès [3]. Depuis une décennie, Fès, ville impériale du nord-est du Maroc, est devenue un pôle important dans la géographie des mobilités Nord-Sud et le réceptacle d’une population étrangère venue principalement d’Europe et des États-Unis (Berriane et al., 2011). Après les médinas de Marrakech et d’Essaouira, Fès a commencé à devenir une ville d’installation pour les Européens à la fin des années 1990. Parmi les entrepreneurs européens, les propriétaires français d’établissements touristiques ont été retenus [4] car ils constituent la communauté étrangère la plus représentée dans le secteur touristique de la médina de Fès (en 2017, ils sont plus de 70 sur 212 propriétaires étrangers recensés [5]) et la plus active dans les associations communautaires locales (Institut français de Fès, l’Association démocratique des français de l’étranger (ADFE), l’Union des Français de l’étranger (UFE)). Il s’agira, dans une première partie, de recontextualiser cette arrivée en étudiant la médina de Fès au prisme des dynamiques socio-urbaines des médinas marocaines tout en questionnant le processus de gentrification. Dans une seconde partie, les critères et les choix de ces propriétaires dans leur installation seront analysés à travers l’intervention d’intermédiaires « locaux » et la participation des propriétaires français à la vie locale afin, dans une troisième partie, d’analyser le nouvel environnement économique, urbain et social produit par cette arrivée.
2. Fès : une médina inscrite dans les dynamiques touristiques des centres historiques marocains
7Dès le début du Protectorat français sur le Maroc (1912-1956), la médina de Fès fait l’objet d’une attention particulière pour préserver son intégrité visuelle et historique. Cette politique de « muséification » conduit à sa marginalisation progressive jusque dans les années 1980 (Arrif, 1994 ; Jelidi, 2012). Il faut attendre son inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco en 1981 et les premières politiques de développement d’un tourisme culturel pour voir émerger une effervescence patrimoniale autour de sa réhabilitation et de sa sauvegarde. Cette prise de conscience va de pair avec la mise en tourisme de cet espace par des acteurs publics et privés de plus en plus variés.
2.1. L’émergence d’une conscience patrimoniale
8À partir de 1912, l’administration coloniale sous la responsabilité du général Lyautey met en place le premier cadre institutionnel destiné à valoriser et promouvoir le patrimoine marocain à travers la création du Service des antiquités, des beaux-arts et des monuments historiques. Plusieurs lois sont promulguées en 1914 afin de protéger l’intégrité des remparts, les portes de la ville et les ouvrages fortifiés en instaurant notamment une zone de protection autour de l’enceinte de Fès (Jelidi, 2012). Cette stratégie de sauvegarde a conduit à l’émergence d’un discours ségrégationniste sur « la ville musulmane » par opposition à la ville coloniale. Cette dernière témoigne d’un souci de rationalité dans son tracé et son organisation tandis que la « ville musulmane », prisonnière dans son passé, est condamnée à l’inertie (Mouline, 1987). Cette stratégie s’est couplée à une stratégie de développement touristique : la politique de « mise à distance » répondait à une volonté de « ménagements de vues » pour les colons européens qui avaient la possibilité de réaliser le « Tour de Fès » sans jamais pénétrer dans la ville (Jelidi, 2012).
9Après l’indépendance du Maroc en 1956, la phase d’improductivité et les difficultés socio-économiques jusqu’en 1964 poussent le Maroc à redéfinir sa politique économique sous l’influence de la Banque Mondiale. Le secteur touristique devient une priorité et amène au développement de quatre villes balnéaires (Tanger, Al Hoceima, Restigasmir et Agadir). Parallèlement, les villes impériales (Fès, Marrakech, Rabat, Meknès) font l’objet de travaux de réfection et de mise en valeur des monuments et sites historiques. Cependant, leur développement est contraint par les effets des politiques coloniales qui visaient à « mettre sous cloche » les médinas (Arrif, 1994). De 1960 à 1990, la médina est devenue un espace-refuge en raison de l’exode rural et de la sécheresse. Ce processus de « déqualification économique et sociale » (Kurzac-Souali, 2013) a entraîné la dégradation, la paupérisation et la densification du bâti historique.
10L’inscription de la médina de Fès au Patrimoine mondial de l’Unesco en 1981 ouvre une nouvelle phase dans la prise de conscience de son importance patrimoniale et de ses possibilités en termes de développement socio-économique. C’est à cette période que plusieurs visions pour la sauvegarde de la médina émergent pour essayer de définir une stratégie de développement. Face aux échecs du Schéma directeur d’aménagement urbain (SDAU) en 1980 élaboré par la délégation régionale du ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme avec la collaboration de l’Unesco et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et celui de 1992 élaboré par le Cabinet de Michel Pinseau, de nouveaux acteurs comme l’Agence de développement et de réhabilitation de la médina de Fès (ADER-Fès) ont vu le jour pour accompagner sur le terrain les programmes de réhabilitation et de sauvegarde au début des années 1990. Le programme de sauvegarde de la médina de Fès est adopté au début des années 2000 par l’intervention de la Banque mondiale qui instaure une nouvelle vision du rôle de l’habitant et de sa participation dans la sauvegarde tout en prônant une politique de lutte contre la pauvreté. À la même période, les politiques patrimoniales mises en œuvre dans la médina de Fès s’inscrivent dans les politiques nationales de développement touristique. La médina fait partie du Plan Régional de Développement Touristique (PDRT-Fès) au sein du contrat-programme Vision 2010 [6]. Ce plan avait pour objectif de consolider les actions de réhabilitation tout en incitant à les réutiliser à d’autres fins comme l’animation culturelle (Akdim et Laaouane, 2010). Depuis 2009, la médina de Fès est intégrée dans le contrat-programme Vision 2020 et plus précisément le sous-programme « Patrimoine & Héritage » dont le but est d’en faire la « ville musée vivant » en développant une offre d’animation « authentique ». Grâce aux actions de réhabilitation des monuments historiques et à l’apparition d’un nouveau mode d’hébergement (notamment le riad), la médina de Fès a évolué d’un espace parcouru à un espace de séjour et d’un espace délaissé à un espace convoité (Kurzac-souali, 2005) par une multitude d’acteurs publics et privés.
2.2. La gentrification en question
11L’intérêt de nouveaux acteurs a contribué à un phénomène de recomposition sociale dans la médina de Fès comme dans l’ensemble des médinas marocaines avec le remplacement des couches populaires par des couches plus aisées depuis la fin des années 1990 (Kurzac-Souali, 2013). Initialement étudiée dans les centres métropolitains du Nord comme Londres (Glass, 1963), la gentrification a connu une extension de son champ géographique. Dans les villes du Sud, les centres anciens des villes latino-américaines comme Mexico (Hiernaux Nicolas, 2003 ; Melé, 2003), Valparaiso (Jacquot, 2007), Buenos Aires (Schwartzmann, 2009) ou encore Salvador de Bahia (Nobre, 2002) ont été étudiés au prisme du tourisme pour analyser le phénomène de gentrification. Les médinas marocaines sont marquées par la coexistence de deux processus : les élites ont délaissé les médinas pour les centres économiques (Rabat, Casablanca) ou les villes nouvelles ce qui se traduit par la prédominance des classes populaires issues de l’exode rural dans ces espaces. Parallèlement, l’arrivée des entrepreneurs étrangers et le retour d’une partie de la bourgeoisie marocaine ont induit un processus de gentrification à proximité des lieux touristiques des médinas. Au Maroc, le processus de gentrification se manifeste localement à travers des initiatives individuelles dont les entrepreneurs européens en sont les principaux instigateurs. À l’échelle nationale, les dynamiques urbaines et les grands chantiers de développement touristique depuis le début des années 2000 soutenus par une politique d’ouverture vers l’Europe ont conduit à poser les jalons de cette gentrification. Si celle-ci est visible dans les médinas de Marrakech – la plus médiatisée, considérée comme un « paradis terrestre » – et d’Essaouira perçue comme « ancienne capitale hippie et nouveau temple de la world music » (Escher et Petermann, 2013), la médina de Fès présente une situation spécifique dont les modalités sont liées aux effets de contexte.
12Ce mouvement de revitalisation peut s’apparenter à la « renaissance urbaine » analysée par Neil Smith (1979). Cet auteur considère la première vague de réinvestissement comme une « gentrification sporadique » composée de pionniers, d’artistes et d’intellectuels au début des années 1990. La deuxième vague démontre un « ancrage du processus » porté par la médiatisation de cette installation dans le contexte d’ouverture globale du Maroc vers l’étranger. Elle se traduit par une extension spatiale de l’investissement vers de nouveaux quartiers. Enfin, la troisième vague est caractérisée par une « gentrification généralisée » portée par des acteurs politiques et économiques. Cette dernière est en revanche loin d’être atteinte pour la médina de Fès où le phénomène de rachat s’est fortement ralenti à partir de 2008 jusqu’à aujourd’hui (2017). Ce ralentissement pourrait s’expliquer par l’image renvoyée par Fès qui souffre d’un manque de sécurité, d’infrastructures sociales et d’animation en comparaison avec d’autres médinas comme celles de Marrakech et d’Essaouira où l’environnement urbain apparaît plus propice à l’investissement.
2.3. L’investissement étranger dans la médina de Fès
13Depuis les années 1990, un « nouvel ordre spatial, social et économique » (Berriane et Janati, 2016) émerge à Fès à travers des processus de métropolisation, de patrimonialisation et de migrations depuis les pays européens. L’installation des étrangers peut être divisée en trois phases au regard du contexte local, national et international. Le schéma ci-dessous a été réalisé à partir de données collectées dans les travaux scientifiques sur la gentrification dans les médinas marocaines (Coslado et McGuinness, 2013 ; Berriane et Janati, 2016 ; Kurzac-Souali, 2013), de plusieurs éditions du guide touristique Le Routard (1980 ; 2002 ; 2017) et d’une analyse de l’actualité nationale et internationale à l’aide de la presse.
L’évolution de l’entrepreneuriat étranger dans la médina de Fès au regard du contexte national et international
Trends in foreign entrepreneurship in the old medina of Fez in the national and international context
L’évolution de l’entrepreneuriat étranger dans la médina de Fès au regard du contexte national et international
Trends in foreign entrepreneurship in the old medina of Fez in the national and international context
14La phase n° 1 correspond au début du rachat des anciennes maisons de la médina de Fès par les migrants entrepreneurs européens. Jusqu’au début des années 1990, Fès a fonctionné comme une ville étape pour les touristes européens et les premiers entrepreneurs se sont concentrés sur les villes du sud comme Marrakech et Essaouira ou du nord telles que Tanger, Asilah et Chefchaouen (Berriane et Janati, 2016). La création du Festival des musiques sacrées du monde à Fès en 1991 d’envergure internationale a attiré un nouveau public composé d’intellectuels, d’artistes et de mélomanes, séduit par « des valeurs de tolérance et de multiculturalisme » (McGuinness et Mouhli, 2013). À la différence des autres médinas marocaines, le phénomène d’installation des Européens à Fès a débuté dans la deuxième moitié des années 1990 avec l’achat de la première maison traditionnelle par un Italien en 1996, suivi par les premiers entrepreneurs français en 1999 qui transforment leur acquisition en maison d’hôtes (Escher et Petermann, 2013). En 1990, 32 maisons d’hôtes ont été dénombrées, toutes nationalités (Escher et Petermann, 2013). Cette première phase de rachat s’est ralentie au début des années 2000 en raison des effets de la guerre en Irak et des attentats du 11 septembre 2001 et de Casablanca en 2003.
15La phase n° 2, caractéristique de l’ensemble des médinas marocaines, correspond à la période d’engouement des Européens pour les anciennes demeures. Elle débute en 2004 et atteint son apogée en 2006. En 2003, sur 54 investisseurs dans la médina de Fès, 26 étaient étrangers. À titre de comparaison, pour la même année, environ 298 propriétaires étrangers possédaient plus de 320 biens immobiliers dans la médina d’Essaouira et plus de 900 propriétaires étrangers de biens immobiliers ont été comptés pour la médina de Marrakech (Escher et Petermann, 2013). Cet engouement s’explique par la convergence de plusieurs facteurs économiques, politiques et touristiques : la stratégie touristique nationale Vision 2010 a entraîné une promotion touristique soutenue du Maroc vers l’Europe qui s’est manifestée par la libéralisation du transport aérien en 2004 et l’entrée en vigueur des accords d’« Open Sky » avec l’Union Européenne en 2006. Les médias ont aussi contribué à cet engouement par le biais d’émissions télévisées comme Capital diffusée sur la chaîne française M6 faisant la promotion du faible prix des riads en 1998 ou encore les guides touristiques comme Le Routard qui mettent en avant la restauration des anciennes demeures. Depuis 1995, le Maroc a mis en place une « charte des investissements » pour encourager l’investissement étranger dans différents secteurs à l’aide de mesures fiscales incitatives. La Nouvelle Charte de l’investissement prévue pour 2019 doit renforcer la possibilité, pour les capitaux étrangers, de les retransférer totalement ou partiellement sans condition de délai et d’assurer leur transmissibilité pour les non-résidents lorsque l’investisement a été financé en devises convertibles.
Reportages télévisés évoquant en partie les anciennes maisons rachetées par les entrepreneurs européens dans les médinas marocaines
TV interviews about old houses purchased by European business owners in various Moroccan medinas
Année | 1998 | 2005 | 2009 | 2011 | 2013 | 2018 |
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Émission | Capital (M6) | Des Racines et des Ailes : « Marrakech-Fès » (France 3) | Capital – « Maroc : le nouvel eldorado des touristes » (M6) | Capital - « Chasseurs d’immobiliers au Maroc » (M6) | « Faut pas rêver au Maroc » (France 3) Un palais à Marrakech (Arte) | « Les hirondelles d’Agadir » (13 h 15 le dimanche, France 2) |
Reportages télévisés évoquant en partie les anciennes maisons rachetées par les entrepreneurs européens dans les médinas marocaines
TV interviews about old houses purchased by European business owners in various Moroccan medinas
16En 2007, 201 propriétaires immobiliers étrangers parmi lesquels 81 Français, 30 Britanniques et 18 Nord-Américains ont été recensés dans la médina de Fès (Escher et Petermann, 2013).
17La phase n° 3 s’étend de 2008 jusqu’à aujourd’hui. La crise économique de 2008 et les Printemps arabes de 2010 conjugués à la réévaluation de la valeur marchande des anciennes maisons dans la médina ont conduit à une forte baisse du nombre d’investissement. En 2010, une dizaine de maisons d’hôtes était en vente. Selon les propriétaires étrangers et les samsars [7], une quinzaine d’établissements touristiques tenus par des propriétaires étrangers étaient en vente en 2017. Malgré l’engouement lors de la première phase, l’évolution actuelle témoigne d’une stagnation du phénomène de rachat et de restauration. Les dynamiques actuelles montrent qu’une partie des propriétaires ont cherché à réaliser une plus-value sur la revente de leurs maisons plutôt que de s’installer durablement dans la médina.
18Même si le nombre d’entrepreneurs français est plus restreint dans la médina de Fès comparativement à d’autres médinas marocaines comme Marrakech, leurs stratégies d’implantation pour une grande partie d’entre eux présentent des similitudes dans leurs choix d’installation.
3. Des choix stratégiques d’implantation
19Le choix de la maison et de son quartier par les propriétaires français résulte de critères géographiques et esthétiques tout en s’appuyant sur des ressources « locales » constituées à la fois des intermédiaires « locaux » et des réseaux communautaires.
3.1. Choisir son quartier d’installation
20Les propriétaires français opèrent des choix stratégiques liés à la fois la localisation géographique et au cachet historique et architectural de la maison.
21Le choix des maisons est conditionné par des logiques de localisation et de situation (Kurzac-Souali, 2013). Durant la première phase d’investissement étranger, le choix s’est porté sur des quartiers de la rive kairouanaise (rive ouest) du fait de sa richesse en patrimoine privé et de son accessibilité. Les premiers entrepreneurs étrangers se sont installés près des portes Bab Boujloud, Aïn Zleten et Bab Ziat, de la place R’Cif et de la percée de Batha (Kurzac-Souali, 2013). Ces entrées sont facilement accessibles et disposent de parkings. L’environnement urbain du quartier a pu jouer aussi un rôle déterminant dans l’installation des propriétaires français. La proximité avec les sites touristiques comme les souks et les monuments peut influencer sur le choix de la maison tout comme sa centralité par rapport aux deux artères principales de la médina (Talaa Kbira et Talaa Sghira). Cependant, face à cet attrait, certains entrepreneurs étrangers se sont éloignés des axes principaux (Talaa Kbira et Talaa Sghira) même si la rive kairouanaise reste privilégiée au détriment de la rive andalouse (rive est) comme le montre le relevé cartographique des établissements touristiques tenus par des étrangers et notamment français.
Répartition des propriétés étrangères dans la médina de Fès en octobre 2017
Map of foreign properties in the medina of Fez in October 2017
Répartition des propriétés étrangères dans la médina de Fès en octobre 2017
Map of foreign properties in the medina of Fez in October 2017
22Sur le plan esthétique et architectural, les propriétaires français interrogés ont témoigné de leur intérêt pour la valeur patrimoniale rattachée à l’ancienneté des fondations et ont eu à souhait de restaurer la structure originelle de leur maison. Celui-ci s’explique par son importance dans le cadre d’un usage touristique. La valeur d’ancienneté rattachée à la quête du bâtiment originel et « authentique » se rapproche « de ce que l’on pourrait nommer un exotisme dans le temps […] (qui) dénote également une sorte d’esthétisation » (Amirou, 1995). Cette quête est appuyée par la découverte et la mobilisation de la dimension immatérielle de la demeure. Elle est mobilisée dans une double logique : d’une part, patrimoniale où la dimension immatérielle fait partie intégrante du travail de restauration et, d’autre part, commerciale où il s’agit de se différencier sur le marché touristique. Les propriétaires mettent en évidence l’histoire de leur maison dans la présentation de leur établissement touristique sur les sites de réservation en ligne. La singularité de ces histoires transparaît dans les noms des établissements. À titre d’exemple, un couple de propriétaires français a choisi le nom de « Medina Social Club » en référence à la fois à la Buena Vista Social Club, groupe multiculturel composé de musiciens cubains et d’Afrique de l’Ouest, et aux grandes réceptions que l’ancienne famille de notables organisait. Une autre propriétaire française a choisi de rendre hommage aux anciens propriétaires gnaouas [8] en nommant son établissement « Dar Gnaoua ». En mobilisant des références immatérielles liées à l’histoire singulière de leur maison, les propriétaires contribuent à la (re)construction d’une narration patrimoniale autour de ce patrimoine privé tout en le réinterprétant à des fins de marketing touristique.
23Le choix de la maison résulte essentiellement d’un choix personnel. Cependant, le choix d’un usage touristique pousse les propriétaires français à s’appuyer sur des figures « locales » pour développer leur investissement.
3.2. L’intervention des intermédiaires « locaux »
24L’installation des étrangers nécessite un apprentissage des normes et des règles pour établir leur activité économique dans un contexte d’interculturalité. En s’installant loin de leurs codes de références habituels, ces propriétaires ont adopté différentes stratégies qui se manifestent par la présence d’intermédiaires « locaux » qui s’intègrent dans un ensemble de relations de connaissance informelles afin d’appréhender le territoire d’accueil. Le choix de ces intermédiaires témoigne d’une capacité d’adaptation et d’un « savoir-faire » avec le lieu, c’est-à-dire de la capacité de ces étrangers à « affronter des lieux étrangers » et « à les rendre familiers » (Stock, 2004). Dans cette étude, ces intermédiaires se sont manifestés lors du processus de prospection de la maison et de l’ouverture de l’établissement touristique. Les enquêtes de terrain ont révélé trois principaux intermédiaires « locaux » : les habitants de la médina, les anciens propriétaires et les propriétaires anciennement installés.
25Les habitants de la médina font partie des premiers acteurs locaux rencontrés par les propriétaires français. Parmi ces habitants, certains disposent d’un certain capital social et culturel (maîtrise de plusieurs langues et réseaux de connaissances) et se sont liés d’amitié avec les entrepreneurs français. Ces amitiés peuvent dater des précédents voyages ou s’être nouées par hasard notamment lorsque les propriétaires étaient à la recherche d’une maison à investir. Lors des enquêtes de terrain, plusieurs profils ont été mis en évidence parmi ces habitants disposant d’un capital social et culturel : des jeunes marocains appartenant à une association culturelle locale, un professeur des écoles, un ancien guide informel ou encore un voisin qui, par la suite, ont été recrutés dans différents établissements. Dans les enquêtes réalisées, les entrepreneurs français possèdent le capital financier tandis que ces habitants les ont aidés auprès des acteurs locaux (artisans, autorités locales, ouvriers, etc.) en mobilisant leurs réseaux de connaissances. Par leur pratique du terrain, leur maîtrise des codes sociaux et leurs réseaux de connaissances, ces habitants peuvent devenir une « autorité de l’expérience » qui est « fondée sur la capacité de sentir le contexte exotique, une sorte de flair et de sens intuitif d’un style ou d’un lieu » (Clifford, 2001). En amont, ils interviennent dans la phase de prospection, d’achat, de restauration et d’ouverture de l’établissement touristique. En aval, ils peuvent intervenir pour un ensemble de services et de conseils aux propriétaires notamment lors du recrutement du personnel ou dans la négociation des prix pour l’aménagement et la décoration. Ce profil d’habitant disposant d’un certain capital culturel et social devient ainsi un référent permanent à travers lequel les propriétaires peuvent obtenir des outils de compréhension et de déchiffrement de la société locale.
26Un second réseau d’intermédiaire informel émerge à travers la figure des anciens propriétaires d’établissements touristiques dans la médina. Leurs interventions sont plus limitées dans le temps. Marocains ou étrangers, ils interviennent exclusivement dans la phase d’installation des nouveaux propriétaires et en particulier lors des procédures administratives. Forts de leurs expériences personnelles et professionnelles acquises sur le terrain, les anciens propriétaires enseignent leur « savoir » en donnant des clés de lecture pour comprendre les rouages du système.
27Enfin, les propriétaires étrangers anciennement installés peuvent jouer le rôle de parrains auprès des nouveaux. Ce parrainage prend la forme d’un réseau de soutien et de solidarité. L’un de ces parrains clés, analysé comme un acteur de la gentrification par certains auteurs (Escher et Petermann, 2013), est l’Américain David Amster. Auteur du blog How to buy and restore a house or riad in Fez, il a acheté sa première maison en 1996. Il est le principal instigateur du mouvement de rachat et de restauration des anciennes demeures dans la médina de Fès. À l’exception de cette figure, les « parrains » sont dispersés et choisis selon les communautés d’appartenance. Dans le cas de la communauté française, les relations de parrainage sont conditionnées par la proximité spatiale des propriétaires (voisinage de quartier) et les affinités personnelles. Ces réseaux intra-groupes offrent un « éventail de modes de soutien aux nouveaux arrivants de culture similaire » (Martin, 2002).
28Ces trois principales figures sont complétées par l’intégration des propriétaires français dans les réseaux communautaires qui leur permettent à la fois de se construire un réseau de connaissances à l’échelle locale et de profiter d’un soutien pour appréhender leur nouveau quotidien (conseils, renseignements administratifs, etc.).
3.3. Se positionner socialement dans la société locale
29Parallèlement à l’apprentissage des codes pour acheter et restaurer leurs maisons, les propriétaires français se sont intégrés localement en participant à des associations communautaires Dans cette perspective, certains propriétaires français ont fait le choix d’adhérer aux principaux réseaux communautaires présents à Fès : l’Association démocratique des Français de l’étranger (ADFE) et l’Union des Français de l’étranger (UFE). Ces associations sont basées essentiellement sur l’origine géographique même s’il existe des adhérents marocains (binationaux). Elles permettent de retrouver, le temps d’une réunion ou d’une activité, des pratiques communes avec les autres propriétaires et de nouer des relations avec les adhérents marocains. Pour certains, l’adhésion permet d’accéder à un réseau et de le mobiliser pour des conseils (démarches administratives par exemple) ou en cas de difficultés comme l’a exprimé le propriétaire français d’une auberge culturelle : « Je fais partie de l’ADFE. J’en fais partie avec mon médecin qui est marocain. À vrai dire, je n’ai jamais participé et ils ne m’ont jamais convoqué… Mais bon, ça pourrait peut-être servir un jour, on ne sait jamais ! » En revanche, d’autres ont refusé d’y adhérer en instaurant une frontière symbolique avec les membres de la « communauté française ». Ces propriétaires français ne partagent pas la « conscience de communauté » (Luque, 2002) et l’idée même de « communauté française » est disqualifiée comme l’a exprimé un propriétaire en évoquant l’association : « J’ai été très sollicité et ils ne voulaient pas comprendre que je voulais être seul. Quand je me suis installé, il y a eu de la curiosité. Même si on vous dit : “Nous sommes des compatriotes”, il faut savoir que certains vivent de cette activité et donc il peut y avoir des jalousies. Ce sont des choses que j’ai pu ressentir entre eux. J’ai surtout suscité la curiosité des Français qui pensaient être, à cette époque, les anciens. Je leur ai expliqué que leur “ghetto d’expats” ne m’intéresse pas ». Cette appartenance peut se doubler d’une adhésion au réseau des professionnels du tourisme local à travers l’Association des riads et maisons d’hôtes de Fès (ARMH-Fès). Ce réseau, basé sur une communauté d’intérêts, leur permet de se positionner économiquement et politiquement comme des acteurs économiques locaux et prendre part aux discussions sur les orientations pour le développement de l’hébergement touristique dans la médina.
30Cette image renvoyée par leur participation ou non à la vie locale se manifeste également à travers les perceptions des habitants dans les quartiers d’implantation et les autorités locales. Sur une soixantaine d’entretiens menés avec les habitants des quartiers concernés, 90 % estiment entretenir des rapports « cordiaux » avec leurs voisins européens. À la question « Comment définissez-vous vos rapports avec les propriétaires étrangers dans votre quartier ? », les habitants ont répondu par les termes de « respectueuses », « bonnes », « cordiales » mais également de « passagères » et « neutres ». Quelques habitants (7) ont expliqué être amis avec un propriétaire étranger et entretiennent des relations plus soutenues. Ce contact reste relativement sommaire et se manifeste par le partage du repas pour le traditionnel couscous du vendredi ou lors des fêtes religieuses (sacrifice du mouton pendant l’Aïd, le Ftour lors de la rupture du jeûne pendant le Ramadan). Une trentaine d’habitants ont expliqué que la barrière de la langue les empêche d’interagir avec les étrangers tandis que d’autres ont souligné l’absence fréquente des propriétaires étrangers dans leurs établissements.
31L’appréhension des propriétaires français comme des « habitants » à part entière amène à les invisibiliser dans la société d’accueil. L’« invisibilisation » n’est pas seulement subie, elle est acceptée et se traduit par la réadaptation des pratiques des propriétaires français qui assument, ou du moins, jouent leur rôle d’« habitant ». À titre d’exemple, les propriétaires français entretiennent des relations informelles avec le moqaddem [9] ou le caïd [10] (autorités locales de proximité) de leur quartier comme n’importe quel habitant de la médina par exemple par le biais des « arrangements » quotidiens (autorisation de travaux, procédures administratives, etc.) plus communément appelés bakchich [11]. Dans le même temps, la société locale fait conserver aux propriétaires français leur « étrangeté » en leur imposant des « obligations » liées à leur activité économique (respect du Code du travail et des mœurs locales) et dans leur rapport avec la population locale au quotidien (modes de vie différents et respect des mœurs locales). C’est le cas d’une propriétaire française d’un établissement touristique de trois chambres : « J’ai tout eu : la police religieuse et la police des mœurs parce que l’on m’a accusée de tenir un bordel ! J’ai eu plusieurs fois l’inspection sanitaire. Ça s’est arrêté quand j’ai commencé à connaître du monde et que j’ai eu la chance d’avoir comme client au restaurant l’émir des Émirats arabes unis : à ce moment, ma nourriture est devenue hallal ! Pour les autorités, tu dois être plus carré que les Marocains : il faut que les étrangers travaillent avec la CNSS [Sécurité sociale marocaine]. C’est impensable par exemple qu’on ne paye pas nos impôts. […] Et bien évidemment je suis passée par la case Inspection du travail ! » et d’un autre propriétaire semi-résident d’un établissement de huit chambres : « Il y avait un cahier de charge très précis et, au fur et à mesure, ils ont baissé la garde par rapport aux papiers. Il y a eu une espèce de deux niveaux : si tu étais Occidental, tu avais le cahier des charges maximum, si tu étais Marocain, on pouvait s’arranger. » Le langage utilisé – « étranger ; occidental ; nous ; les Marocains » traduit une manière de se définir par opposition à l’Autre (le « marocain »).
32Les rapports entretenus entre les propriétaires français et la société d’accueil s’inscrivent plus largement dans le mouvement de requalification sociale et urbaine de certains quartiers de la médina.
4. Des stratégies d’intégration et de développement touristique différenciées
33L’ouverture d’un établissement touristique implique l’intégration socio-économique des propriétaires français à différentes échelles plus ou moins signifiantes selon les objectifs de l’établissement.
4.1. Créer des réseaux économiques à différentes échelles
34Le statut social des propriétaires français entraîne différentes manières d’être et de faire à partir de leur propre établissement touristique en créant, en s’insérant et/ou en développant un ensemble de réseaux avec leur territoire d’accueil. Le réseau est entendu ici comme « un agencement souple de liens, une trame plutôt informelle composée de relations non hiérarchiques » et donc « des individus libres et peu contraints par la trame des liens et des normes du groupe » (Vedelago, 2008). Une partie des propriétaires interrogés a fait le choix de développer un ensemble de réseaux formels et informels qui dépassent la sphère strictement marchande pour construire des réseaux de connaissance et de services avec différents acteurs. Ces réseaux se construisent à différentes échelles comme l’explicite le schéma ci-dessous. Le choix du type d’établissement (établissement de luxe, maison d’hôtes et auberge) reflète les cas rencontrés lors des enquêtes de terrain. L’auberge se distingue de la maison d’hôte par sa capacité d’hébergement, la présence de dortoirs et une stratégie marketing visant principalement les jeunes et les backpackers. Les maisons d’hôte sont composées de trois à cinq chambres et visent essentiellement une clientèle de classes moyennes tandis que l’établissement de luxe dispose de peu de chambres et cible un tourisme d’affaires et de luxe.
Les types de réseaux construits selon les trois types d’établissements touristiques rencontrés
The types of built network divided according to three categories of touristic establishment
Les types de réseaux construits selon les trois types d’établissements touristiques rencontrés
The types of built network divided according to three categories of touristic establishment
35À l’échelle locale, les réseaux économiques se structurent autour des prestataires touristiques (la société de transport touristique, les guides et prestataires touristiques, les ouvriers/artisans). À travers la société de transport touristique, les propriétaires peuvent étendre leur champ d’activité en proposant aux touristes des transferts depuis/vers l’aéroport, des excursions dans Fès et ses alentours ainsi que des circuits touristiques à travers le Maroc. Selon la capacité de leurs établissements touristiques, les propriétaires louent l’agrément auprès du ministère de l’Équipement, du Transport, de la Logistique et de l’Eau et disposent de leur véhicule touristique ou font appel à des sociétés de transport privées. Pour les prestations touristiques liées à l’animation et aux visites, l’ensemble des propriétaires a fait le choix de la contractualisation orale pour les guides touristiques et les employés des hammam [12]. Enfin, pour les ouvriers du bâtiment et les artisans, ces prestataires peuvent être recrutés dans le cadre d’une société privée gérée par des propriétaires français eux-mêmes ou travailler indépendamment à travers une contractualisation orale. Ce type de contrat fait partie du mode de fonctionnement propre à la médina dont la pratique s’inscrit dans la continuité du droit coutumier. Dans ces deux cas de figure, la contractualisation orale est adoptée par les propriétaires français. À l’échelle nationale, les réseaux économiques sont conditionnés par le positionnement de l’établissement. Un grand nombre d’établissements touristiques travaille ou envisage de collaborer avec des agences de voyages à l’échelle nationale afin de répondre à leur besoin de communication et d’insertion dans les circuits touristiques nationaux. Leurs principaux partenaires se composent d’agences de voyages, de guides de voyage et d’établissements touristiques d’autres villes marocaines.
36Ces réseaux économiques se doublent de réseaux de services entre les établissements touristiques locaux (figure 4). À l’échelle du quartier Ziat, situé dans la partie sud-ouest de la médina, ces réseaux de services sont de deux ordres : les « extras » (comprenant les services hammam et restaurant) et le « surbooking » (situation de réservations trop importantes par rapport à la capacité de l’établissement). Pour les « extras », ils se structurent autour des hammam publics et privés et des restaurants au sein d’autres établissements touristiques tandis que les réseaux de « surbooking » se concentrent au niveau des établissements touristiques tenus par les étrangers et les Marocains. Les réseaux de « surbooking » sont conditionnés par des facteurs géographiques, de standing hôtelier et affinitaires. Dans les réseaux de services liés aux « extras », le facteur affinitaire joue un rôle moindre par rapport à la fiabilité, la confiance et la réputation de l’établissement partenaire choisi. Dans les propos des propriétaires français, ces réseaux de services sont présentés comme une volonté de créer et développer des synergies interprofessionnelles entre les établissements touristiques dans un projet commun du développement touristique de la médina. Malgré la prédominance des réseaux « communautaires » de services (Marocains/Marocains, Français/Français) dans le quartier Ziat, les établissements disposant de plusieurs prestations « extras » et d’une forte capacité hôtelière polarisent la plupart des réseaux de services indépendamment de leur origine.
La structuration de réseaux de services dans le quartier Ziat de la médina de Fès
The structuring of services networks in the Ziat neighbourhood in the medina of Fez
La structuration de réseaux de services dans le quartier Ziat de la médina de Fès
The structuring of services networks in the Ziat neighbourhood in the medina of Fez
37La construction de ces réseaux multiples s’intègre dans une dynamique plus générale d’une requalification socio-économique de la médina portée à la fois par les entrepreneurs étrangers et les pouvoirs publics locaux.
4.2. Mise à distance et repli sur soi
38Malgré la structuration de réseaux économiques à différentes échelles et leur implication dans des travaux de réhabilitation à l’échelle de leur derb [13], certains propriétaires ont fait le choix de s’inscrire dans une logique de la mise à distance. C’est le cas des établissements touristiques de luxe. Ces derniers conservent des réseaux de prestations liés à la logistique mais les prestations d’agrément s’inscrivent au cœur de l’établissement pour participer à la « formule riad » (Madœuf, 2016). Le riad devient « une destination, l’objet et le thème mêmes du choix d’un séjour » (Madœuf, 2016). La faiblesse des réseaux économiques à l’échelle locale reflète deux logiques : d’une part, la logique de l’indépendance économique qui se traduit par la limitation des prestataires touristiques à ceux inévitablement nécessaires, sélectionnés au préalable (guides touristiques et transport touristique) et, d’autre part, la logique de la concentration qui se traduit par la volonté d’immerger le touriste dans un « espace-temps » performant, « vecteur d’une illusion d’ubiquité » qui permet de « vivre simultanément une double expérience validante », celle de la médina de Fès et celle du riad (Madœuf, 2016).
39Cette mise à distance se traduit par une limitation des interactions sociales avec les intermédiaires touristiques informels (guides, rabatteurs), les habitants et les autres propriétaires d’établissements touristiques marocains ou étrangers. En plus des établissements de luxe, elle concerne tout autant les propriétaires français d’établissements relativement modestes (de 3 à 5 chambres) que les établissements disposant d’une capacité plus importante. La structure urbaine de la médina entraîne une promiscuité sociale qui engendre une survisibilité des propriétaires français et plus largement étrangers. Parmi ces derniers, plusieurs ont insisté sur la nécessité de « rester à leur place » c’est-à-dire s’occuper uniquement de leur établissement touristique pour ne pas bousculer les équilibres structurels internes à la médina comme en témoigne le propriétaire français d’un établissement de luxe : « Nous avons le hammam et le restaurant. Si les clients veulent manger dehors, nous demandons seulement au restaurateur avec lequel nous travaillons de faire un service en plus pour nos clients. Nous gagnons notre vie avec notre prestation et vous avec la vôtre. Le client ne nous appartient pas » ou encore cet autre propriétaire français d’un établissement touristique de 5 chambres : « Je l’ai tout de suite compris ça : chacun a son business. Il y a celui qui presse les jus et celui qui a son restaurant. Si vous prenez un jus dans un restaurant, il va aller chez son collègue chercher le jus. Chacun doit rester à sa place. Je ne fais pas chauffeur de taxi ni guide ni agence de voyages. Je ne fais rien que ce pour quoi j’ai une autorisation. » Dans la situation des propriétaires semi-résidents, les facteurs temporels et spatiaux conditionnent leur participation à la vie locale. Les propriétaires résidents présentent une situation plus paradoxale : malgré leur volonté de s’intégrer socialement en s’impliquant dans leur quartier et expérimenter « la citadinité fassie » (Berriane, Janati, 2015), l’espace intime prime sur l’espace des interactions sociales avec la société locale.
40Cette « tension perpétuelle » (Germain, 1998) entre leur « étrangeté » par rapport au mode de fonctionnement des interactions sociales dans la médina et leur statut de résident se manifeste également par le refus de participer au système informel des commissions entre les établissements touristiques, les rabatteurs et les prestataires touristiques. Ces relations prennent la forme de services commissionnés où chaque partie se met d’accord sur le pourcentage de la commission et le montant total dû par le propriétaire au rabatteur ou prestataire touristique à la fin de chaque mois. C’est le cas d’un propriétaire français d’un établissement touristique de 5 chambres : « On ne travaille avec personne sur la base de commissions. On se refuse à ça et je refuse que le personnel se prête à cela […] On veut rester indépendant […] Ça nous réussit plutôt bien. Par exemple, la compagnie de taxi nous envoie des clients. […]. Le guide, c’est pareil. Régulièrement, il nous fait un petit cadeau » ou de cette propriétaire française dont le restaurant a été transformé en établissement d’hébergement touristique : « Il y a un truc que je ne supporte pas : les commissions ! Ça pourrit complètement le système. […]. J’y suis farouchement opposée. C’était très problématique quand j’avais le restaurant. Tu as un tas de gamins qui veulent te ramener des clients. Je suis contre parce que si tu ne craches pas au bassinet et bien ton établissement va pourrir, on va raconter des choses absurdes sur toi. Puis, c’est un système économique absolument malsain. » Cette distanciation face à des pratiques qui dépassent le cadre de leur activité économique traduit de la méfiance et de la prudence de la part des propriétaires français et établit de fait une frontière culturelle et éthique face à une démarche jugée « malsaine ».
4.3. L’apparition d’un nouvel environnement économique, urbain et social
41Ces stratégies d’implantation ont des impacts sur l’environnement socio-urbain des quartiers concernés. À l’échelle de la médina, les travaux de restauration et d’aménagement ainsi que le besoin de communication des établissements touristiques ont conduit à une redynamisation de différents secteurs économiques tout en contribuant au développement d’une économie touristique informelle. Avec l’arrivée des entrepreneurs étrangers, de nouveaux acteurs ont émergé sur le marché de l’immobilier. Selon une longue tradition, le samsar de chaque quartier permet de louer ou d’acheter une maison car il connaît le stock de logements disponibles et bénéficie de la confiance des habitants. Les agences immobilières étaient peu répandues et consistaient en un local avec dépositaire de clefs sans descriptif sur les produits immobiliers disponibles (Kurzac-Souali, 2007). Depuis les années 1990, le samsar a vu son profil évoluer et peut être tout autant un jeune du quartier, un retraité ou un agent d’autorité (Kurzac-Souali, 2007). Des guides informels peuvent endosser le rôle d’intermédiaires entre les entrepreneurs étrangers et les samsars même si, le plus souvent, ils travaillent avec des établissements touristiques pour répondre à leur besoin de communication et de promotion. Certains entrepreneurs étrangers sont eux-mêmes devenus des samsars : ils opèrent par le biais d’agences immobilières sur internet et/ou au sein de leur établissement touristique. Elles prennent la forme d’agences spécialisées dans la vente et la restauration de riads dans la médina. Le développement de ces agences va de pair avec la hausse des prix de l’immobilier depuis la fin des années 1990.
Des exemples de réévaluation foncière dans la médina de Fès depuis la fin des années 1990
Examples of property revaluation in Old Town Fez since the end of the 1990s
Année de l’achat | Superficie de la demeure | Montant de l’achat en dirhams | Montant des travaux en dirhams |
---|---|---|---|
1998 | 620 m² | 160 000 | 250 000 |
1999 | 300 m² | 1 000 000 | 2 000 000 |
2000 | 120 m² | 180 000 | 250 000 |
2002 | 180 m² | 400 000 | 300 000 |
2005 | 80 m² | 740 000 | / |
2006 | 60 m² | 280 000 | 300 000 |
2007 | 320 m² | 480 000 | 150 000 |
2008 | 60-80 m² | 2 777 500 | / |
2017 | 300 m² | 3 000 000 | 2 500 000 |
Des exemples de réévaluation foncière dans la médina de Fès depuis la fin des années 1990
Examples of property revaluation in Old Town Fez since the end of the 1990s
42À l’échelle des quartiers d’implantation, l’ouverture des établissements touristiques conjuguée aux politiques urbaines menées par les pouvoirs publics a entraîné la modification de l’environnement socio-urbain par la création d’un nouveau rapport à l’espace du derb. Les programmes mis en place par les pouvoirs publics se sont focalisés sur la propreté, la sécurité et le mobilier urbain. Le pavage systématique des ruelles et le développement d’un éclairage public plus dense notamment à travers le programme de la Banque mondiale en 2005 mis en œuvre par l’Agence de développement et de réhabilitation de la médina de Fès (ADER-Fès) (aide à la réhabilitation, les circuits touristiques, les accès et le réseau de voirie d’urgence) ont permis une meilleure accessibilité à des quartiers relativement éloignés des principales artères de la médina. Parallèlement, les conventions de 2004 et 2007 dont le financement a été assuré en grande partie par le ministère chargé de l’habitat ont visé à étayer et renforcer les bâtisses menaçant-ruine ainsi que la démolition et l’évacuation des ruines dans la médina. Ces conventions ont été reprises à travers le programme des monuments historiques et le menaçant-ruine à partir de 2013 jusqu’à fin 2015. Depuis avril 2019, le programme complémentaire de mise en valeur de l’ancienne médina de Fès a été lancé sous la supervision de l’ADER-Fès dont les objectifs sont d’aménager des parkings, réhabiliter les espaces publics et installer un dispositif d’information pour un budget de 534 millions de dirhams. Dans le cas des derbs plus petits, ce sont les propriétaires étrangers qui ont financé, à leurs propres frais, des travaux de dallage et de ravalement des façades. À cela s’ajoute la végétalisation des ruelles par les propriétaires et le ramassage systématique des ordures dans le quartier par une société privée de nettoyage marocaine. La sécurité se manifeste par la présence de ouidadia (système de gardiennage) de jour comme de nuit, payée par les habitants d’un même quartier et se renforce, à l’échelle de la médina, par la brigade touristique mise en place par les autorités locales à la fin des années 1990. Ces réhabilitations traduisent ainsi un nouveau mode d’habiter en médina qui se manifeste par une extériorisation des pratiques (Kurzac-Souali, 2013). La privatisation de l’espace du derb à travers les travaux d’embellissement des propriétaires a conduit à en faire un prolongement de l’espace privé. Ce débordement de l’espace privé devient également visible au niveau des portes d’entrée des établissements touristiques. Traditionnellement, le derb n’était pas un lieu de passage et les maisons ne présentaient aucun décor ostentatoire. Seules les portes plus ou moins soignées pouvaient donner une idée du statut social des propriétaires (Metalsi, 2003). Aujourd’hui, les façades extérieures se sont embellies ce qui démontre une évolution dans « les modes d’appropriation du patrimoine domestique » (Kurzac-Souali, 2003). De l’extérieur, elle apparaît comme « une entrave à la circulation » tandis que de l’intérieur, elle constituait un « espace de rencontre, de visite et d’échange » (Metalsi, 2003).
43Malgré la faible proportion d’étrangers dans la médina (les données du RGPH [14] de 2017 indiquent que les étrangers, toute nationalité confondue, sont 212 pour une population totale de 70 592 dans la médina), le phénomène de gentrification est rendu visible par sa localisation sur la rive ouest de la médina qui concentre l’essentiel des lieux touristiques où le nombre de maisons d’hôtes est en hausse. Aux côtés des entrepreneurs étrangers, les Fassis reviennent investir dans la médina en ouvrant à leur tour des maisons d’hôtes. D’après une enquête menée par Anne-Claire Kurzac-Souali en 2010, on estimerait leur nombre entre 200 et 300 familles qui ont fait le choix de réinvestir leurs capitaux dans la médina de Fès. Malgré ce réinvestissement, la médina de Fès reste marquée par la prédominance des couches populaires pauvres. Cette précarité se manifeste notamment à travers la proportion des locataires dans la médina (plus de 50 % en 2017) et la surdensification du bâti (34 % de ménages vivent en cohabitation de 2 à 3 ménages).
5. Conclusion
44Cette analyse a permis de montrer que le processus de gentrification dans la médina de Fès a engendré des transformations dans les quartiers d’implantation qui se manifestent par une hausse des prix de l’immobilier, une nouvelle cohabitation entre entrepreneurs étrangers et habitants et la transformation matérielle des quartiers (nouveaux rapports à l’espace public, nouvelles professions informelles, nouvel environnement urbain). L’analyse a également mis en évidence la manière dont ce processus se construit à partir des réseaux de relations de travail tissés par les propriétaires français. Néanmoins, le processus de gentrification est plus limité comparé à d’autres médinas marocaines en raison notamment de la persistance d’une précarité sociale et de l’image négative renvoyée par Fès (insécurité, faiblesse de l’animation culturelle, infrastructures sociales, etc.).
45Leur statut à la fois d’« entrepreneur » d’« habitant » et de « migrant » les pousse à endosser et jouer sur différents plans avec l’ensemble des acteurs locaux. Les relations informelles entretenues avec les autorités locales et les habitants constituent des moyens d’acceptation et d’intégration. Entretenir de bonnes relations de voisinage et participer aux réseaux communautaires apparaît comme une nécessité pour pérenniser leur investissement même si certains préfèrent se mettre en retrait, de peur de s’insérer dans des réseaux informels jugés peu contrôlables. La construction et le développement de leurs réseaux de travail résultent de choix de développement économique pour leurs établissements touristiques même si dans certaines situations, des facteurs affinitaires et communautaires peuvent entrer en jeu.
46Malgré leur participation à la vie locale, la situation de ces propriétaires français demeure fragile. L’entrepreneuriat touristique est perçu comme précaire notamment en raison de la fluctuation de leur activité et des sacrifices qui ont été nécessaires à la réalisation de leur projet. En amont, beaucoup ont été contraints de contracter des crédits auprès de la banque, de leur famille ou de leurs amis car ils ne disposaient pas d’un fonds d’investissement suffisant. Pour certains, la situation est d’autant plus précaire qu’ils n’ont pas réalisé la procédure d’investissement dans « les règles » au moment de l’achat leur permettant de rapatrier leurs fonds en cas de départ du Maroc. Enfin, certains propriétaires français n’ont pas réussi à s’intégrer dans la vie locale ce qui les a poussés à se refermer exclusivement sur leur établissement ou à quitter définitivement la médina.
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Mots-clés éditeurs : Migration, Maroc, intégration, entrepreneurs, Fès, réseaux, médina, Français
Date de mise en ligne : 11/05/2020
https://doi.org/10.3917/ag.732.0053Notes
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[1]
La médina désigne la partie ancienne d’une ville par opposition à la ville nouvelle dont les quartiers et le tracé correspondent à une organisation de type européenne.
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[2]
Le riad traditionnel est construit en carré autour d’un jardin situé dans le patio principal. Les pièces de vie, salons et chambres sont réparties tout autour de ce patio. Depuis la phase d’engouement, le terme « riad » a été élargi pour désigner les anciennes maisons dans les médinas marocaines indépendamment de leur agencement.
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[3]
Ce travail de recherche a été réalisé sous la direction de Sébastien Jacquot pour préserver l’anonymat. Une dizaine d’entretiens semi-directifs ont été menés avec des propriétaires français et des propriétaires marocains. Ce travail a été complété par une soixantaine d’entretiens courts avec des habitants des quartiers d’implantation de la médina et par un recours à l’observation participante en prenant part aux réunions et activités de l’Union des Français de l’étranger).
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[4]
Différents types d’établissement touristiques ont été choisis (établissement de luxe, maisons d’hôte et auberge).
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[5]
Selon les statistiques du Haut-Commissariat au plan (HCP) de 2018.
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[6]
Contrat-programme qui s’est étendu de 2001 à 2010 et qui fut remplacé par la Vision 2020 de 2010 à 2020. La Vision 2010 s’était fixé pour objectif d’atteindre 7 millions de touristes et d’augmenter la capacité hôtelière. La Vision 2020 s’est appuyée sur ces objectifs en définissant une politique d’aménagement du territoire où chaque ville/région devait être intégrée comme produits touristiques.
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[7]
Agent immobilier informel.
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[8]
Confréries issues d’anciens esclaves d’Afrique sub-saharienne dont le style musical est marqué par la transe.
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[9]
Auxiliaire de l’administration, nommé par le caïd. Il est au contact direct de la population et s’occupe d’un quartier défini.
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[10]
Agent d’autorité représentant le ministère de l’Intérieur. Il assure le maintien de l’ordre et l’ensemble des services de l’État.
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[11]
Traduit par « pot-de-vin » ou « pourboire », il désigne l’argent que l’on donne à quelqu’un pour le remercier de ses services ou de les acheter.
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[12]
Bain de vapeur chaude et humide.
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[13]
Le derb s’apparente à une impasse. C’est un espace exclusivement résidentiel et domestique où les maisons sont organisées autour d’un noyau central constitué par une ou plusieurs maisons.
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[14]
Recensement général de la population et de l’habitat, réalisé par le Commissariat au plan (HCP).