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Article de revue

La valeur d’existence du monde vivant selon les Inuits du Nunavik et les Occidentaux aux Kerguelen

Pages 31 à 52

Notes

  • [1]
    Les résultats de recherche présentés dans cet article sont issus de deux programmes de recherche n° 136 et n° 1043, menés à la station des Kerguelen et au Nunavut, qui ont bénéficié du soutien de l’Institut polaire français (IPVE).
  • [2]
    Cette notion de valeur d’existence a fait son entrée dans le droit français autour des années 1970 pour justifier un classement de protection et instaurer des catégories nouvelles pour penser le rapport à la nature sans pour autant que celle-ci soit utile. Toutefois, en droit de l’environnement et, dès cette date, la valeur patrimoniale a suppléé la valeur d’existence. En économie, cette valeur s’oppose à la valeur d’usage. Elle s’applique dès lors qu’une valeur de non-usage est affectée à un objet.
  • [3]
    Les TAAF ont un statut de collectivité territoriale. Ils sont formés de 5 districts : les archipels de Crozet et des Kerguelen, les îles Saint-Paul et Amsterdam, la Terre Adélie (avec les bases de Dumont d’Urville et de Concordia) ainsi que les îles Eparses réparties autour de Madagascar.
  • [4]
    En effet, le processus d’attribution de valeur s’effectue sous forme d’énoncés en situation (Heinich, 2017). C’est à travers l’analyse de ces énoncés au cours desquels des situations faisant l’objet d’un jugement de valeur et le contenu de cette évaluation sont identifiés. La valeur, en elle-même, est déduite de ces énoncés grâce à la comparaison des entretiens par la méthode qualitative de l’analyse de contenu (Mucchielli, 2006).
  • [5]
    C’est ainsi qu’un certain nombre d’espèces animales et végétales sont éradiquées ou leur extension est limitée si elles ont été introduites par les humains, alors que les espèces natives sont protégées.
  • [6]
    Cette norme est également appliquée par l’IPEV quand des protocoles scientifiques nécessitent une action intrusive sur les animaux qui seront dès lors anesthésiés. De même, dans ses protocoles d’éradication d’espèces animales invasives introduites par les humains, la réserve naturelle utilise des anesthésiants.
  • [7]
    Pour une analyse de la dichotomie entre interventionnisme et conservationnisme, lequel vise l’autonomie des systèmes écologiques, cf. V. Maris et E. Huchard (2018). La pluralité des éthiques animales a été étudiée, en particulier, par J.-B. Jeangène Vilmer (2008).
  • [8]
    Après avoir arrêté la chasse aux manchots et aux baleines, celle des éléphants de mer a perduré jusqu’aux années 1960 dans l’archipel des Kerguelen.
« La manière dont l’Occident moderne se représente la nature est la chose du monde la moins bien partagée. »
(Descola, 2005)

1.  Introduction

1Cet article interroge la façon dont les humains construisent leurs relations avec le vivant dans les derniers milieux « sauvages » attenants aux pôles Nord et Sud. Il s’agit, ainsi, de questionner le monde boréal et austral des confins (Bortolamiol et al, 2017), les animaux (Godet, 2017, Wohlleben, 2018), les fleuves (David, 2017, Cheater, 2018), les montagnes, les végétaux (Wohlleben, 2017), tels qu’ils sont vécus par les humains qui y sont confrontés ou mêlés. Dans ses travaux, P. Descola (2005) a proposé une typologie identifiant quatre façons qu’ont les humains de faire société avec les non-humains en se fondant sur la dualité culture-nature que l’on trouve dans la pensée occidentale et en montrant comment, dans les autres cultures, ce clivage n’existe pas. Notre perspective sera d’interroger cette dualité et les façons de la dépasser à partir de la notion de valeur d’existence. L’analyse de l’affectation et du contenu de cette valeur rendra compte de la façon par laquelle les individus et les collectifs élaborent leur relation aux vivants, construisant, avec les animaux, les végétaux, l’eau ou le territoire dans sa globalité un monde commun (Kohn, 2013). Cette notion de valeur d’existence permet, plus précisément, de comprendre comment les humains affectent de la valeur au milieu naturel et aux éléments qui le composent indépendamment (ou au-delà) de relations utilitaristes.

2La démonstration repose sur un travail d’enquête effectué sur deux terrains subpolaires spécifiques, qui se caractérisent par le fait que les humains sont immergés dans un milieu dit « naturel » ou « sauvage », loin de tout centre urbain (fig. 1) : le territoire du Nunavik (subarctique) comme l’archipel des Kerguelen (subantarctique) sont des espaces protégés (ou en partie) par des statuts juridiques occidentaux, l’un avec un chapelet de parcs nationaux tandis que l’autre est transformé en réserve naturelle dans son intégralité. La première enquête effectuée dans l’hémisphère boréal a été réalisée auprès de communautés Inuit de Kuujjuarapik et d’Umiujaq (55° latitude nord) riveraines du Parc national Tursujuq au Nunavik, colonisé par le Canada depuis le xviie siècle. La seconde enquête a été effectuée principalement sur la base française des Kerguelen (49° de latitude sud) et a été complétée sur les autres bases françaises subantarctiques de l’archipel de Crozet et de l’île d’Amsterdam [1].

Figure 1

Territoire boréal du Nunavik et territoire austral des Kerguelen (auteur d’après Google Earth 2019)

Nunavik Boreal territory and Kerguelen Southern Territory

figure im1

Territoire boréal du Nunavik et territoire austral des Kerguelen (auteur d’après Google Earth 2019)

Nunavik Boreal territory and Kerguelen Southern Territory

3L’article sera organisé en trois parties : après avoir situé le contexte qui a présidé à l’émergence de la notion de valeur d’existence de la nature, par rapport aux grands débats publics internationaux et par rapport à la production scientifique des sciences sociales occidentales, nous analyserons les points communs de cette valeur d’existence affectée au monde naturel dans les deux terrains pratiqués et enquêtés, avant de conclure sur leurs divergences.

2.  La notion de valeur d’existence aux confins des hautes latitudes de la Terre

4Les catégories de pensée occidentales sont depuis plusieurs décennies mises à l’épreuve. En interne en effet, de nouvelles notions apparaissent pour questionner le clivage nature/culture. Elles sont l’expression d’un paradigme qui corrèle plus étroitement réalité biophysique et réalité socioculturelle, à l’instar du développement durable ou de la transition socio-écologique. Cette évolution du paradigme occidental s’inspire également d’autres rapports au monde, du moins y est-elle confrontée. Ainsi en va-t-il de la notion de valeur d’existence, qui, des champs juridiques et des sciences économiques se diffuse en sciences sociales et par boucle de rétroaction en écologie, même si des notions similaires sont appréhendables et intrinsèques à d’autres cultures non occidentales.

2.1.  Par-delà les paradigmes du dualisme et du holisme

5Dans les recherches en sciences sociales, le clivage entre deux façons de penser la relation aux milieux naturels et plus largement au vivant est souvent discuté. Il est distingué ainsi des cadres de pensée holistes plus présents, dans cet article, dans les populations enquêtées proches du pôle Nord, portés par une vision du monde et de la nature organique autochtone, intrinsèquement animiste où chaque être vivant et chose naturelle a une place déterminée (Descola, 2005). Le référentiel dualiste est plutôt incarné par les populations enquêtées proches du pôle Sud chargées de la veille scientifique occidentale en l’absence d’autochtones. Ce référentiel construit une rupture entre ce qui relève des humains et de leur organisation sociale d’un côté, et la nature ainsi que les éléments naturels de l’autre côté (op cit. ; Delors et Walter, 2001 ; Deroche, 2008). Toutefois, un certain nombre de faits permettent de supposer que ce monde clivé opposant les humains à la nature évolue. En effet, cette vision occidentale de la relation société-nature étant souvent avancée comme une des causes de la dégradation quasi généralisée des écosystèmes, des propositions sont élaborées pour penser différemment le clivage nature-culture avec les concepts d’Anthropocène (Latour, 2015), de reconstruction institutionnelle socio-écologique, ou bien encore de transition socio-écologique (Audet, 2015). Dans le même temps, les réactions externes contre la mondialisation et les revendications des peuples autochtones (qui se sont traduites par la Déclaration des Droits des peuples premiers par l’ONU en 2007) tendent à faire reconnaître d’autres façons de construire les relations au territoire entre les autres vivants, les « choses » naturelles et les humains.

6Pour analyser de façon nuancée ces récentes évolutions dans ce qu’elles renseignent sur différents rapports à la nature, des auteurs comme Philippe Descola (2005) ou Augustin Berque avec le concept de mésologie (1990, 2015) ont ouvert des pistes complexifiant les interactions humains-sociétés par-delà le dualisme établi en Occident depuis Descartes. La typologie, proposée par Philippe Descola (op cit.) des modes d’identification et de relations des humains et des non-humains exprime ainsi quatre façons de concevoir les interactions entre humains et autres vivants et choses naturelles. Bien que cette approche constitue une avancée, son objectif qui vise à élaborer une lecture globale de l’ensemble des relations humains-nature rend quelque peu difficile la prise en compte d’évolutions récentes et peu perceptibles dans la construction de ces relations. De plus, d’autres voies ont été explorées pour dépasser cette pensée dualiste que l’on retrouve jusque dans nos formes de langage et dans les méthodes de construction des connaissances. C’est ainsi que l’anthropologue Linda Tuhiwai-Smith (2012) a questionné le rôle du modèle de pensée occidentale dans le processus de colonisation des cultures autochtones, y compris dans leur relation au milieu naturel. Cette auteure en appelle à un travail de décolonisation radicale de la pensée pour comprendre, en particulier, la spécificité de la relation des autochtones au vivant et autres choses naturelles.

7Dans cette perspective, Eduardo Kohn (2013) a cherché à ne plus analyser les relations au milieu naturel des Amérindiens en partant de cette dichotomie société-nature. Pour ce faire, il a élaboré une anthropologie sémiologique analysant la relation entre les formes de représentation spécifiquement humaines et les autres formes de représentation (animale en particulier) permettant de ne plus séparer les humains et les non-humains et autres choses naturelles. L’objectif de cette approche est de montrer que la manière « dont les humains se représentent les jaguars et la manière dont les jaguars se représentent les humains peut être comprise comme les parties intégrées, mais non interchangeables, d’un récit unique et ouvert » (op. cit. : 30). Cette approche, en portant attention aux signes que laissent les uns et les autres dans la forêt, dépasse ainsi le dualisme nature/société par la description de mondes communs aux humains et aux autres vivants et choses naturelles. Il faut noter que ce projet a abouti grâce à une « décolonisation » des méthodes scientifiques donnant accès à la façon dont les Amérindiens et les autres vivants se construisent des mondes communs.

8Sans reprendre l’approche sémiologique d’Eduardo Kohn, l’objectif de cet article est de comparer deux façons de construire les relations entre humains et autres vivants et choses naturelles dans des situations où les humains interagissent nécessairement avec cet autre vivant, c’est-à-dire dans des confins polaires encore peu anthropisés où les autres vivants sont visibles en permanence. Il s’agit, plus précisément, de comprendre comment s’élabore un monde commun entre les vivants et les choses naturelles dans deux référentiels culturels nettement différenciés de l’hémisphère boréal et austral. Les deux mondes communs étudiés sont : d’une part, celui des Inuits du Nunavik en Arctique, et, d’autre part, celui, principalement, des résidents occidentaux de la base des Kerguelen qui vivent temporairement sur cette réserve aux contacts d’animaux non contraints par les humains. Les uns s’inscrivent dans un rapport holiste à la nature dans lequel tous les vivants et choses naturelles forment un tout et ont en commun de posséder une âme, tandis que les autres bricolent leur relation au vivant en adaptant le référentiel dualiste dans lequel la rupture entre les humains et les autres vivants n’est peut-être pas si ontologique qu’il n’y paraît.

2.2.  Enquêtes sur la valeur d’existence au sein d’espaces subarctiques et subantarctiques

9Cette comparaison entre deux appréhensions du monde et deux territoires subarctique et subantarctique repose sur l’analyse du sens que les humains affectent aux autres vivants et choses naturelles à travers l’affectation de valeurs. Une valeur correspond au principe qui sous-tend une évaluation et qui résulte « de l’ensemble des opérations par lesquelles une qualité est affectée à un objet » (Heinich, 2017 : 134). Dans cette perspective comparatiste, boréale/australe, la valeur qui permet plus facilement que d’autres de construire un monde commun entre les humains et les autres vivants et choses naturelles est la « valeur d’existence ». Cette valeur d’existence est un principe qui permet d’affecter de la valeur aux autres vivants et choses naturelles pour eux-mêmes. L’affectation de cette valeur fait ainsi acquérir aux autres vivants une valeur en soi, due au seul fait d’exister. Elle renvoie l’idée que tous les êtres vivants peuvent « exister » au même titre que les humains sans, pour autant, que les humains leur affectent un usage spécifique (au moins en Occident dualiste). Cette notion de valeur d’existence est déjà reconnue dans certaines sciences sociales, en économie et en droit de l’environnement plus particulièrement. Des textes réglementaires en ont donné une définition [2]. Toutefois, dans cet article, la notion économico-juridique de la valeur d’existence qui émerge en Occident sera laissée de côté pour préférer la façon dont Inuit et membres occidentaux des bases scientifiques l’utilisent au contact quotidien d’autres vivants et choses naturelles qui les entourent aux pôles. L’objectif est de rendre compte de la façon dont cette valeur est affectée. Pour cela, il s’agira de comprendre le lien entre le contenu de cette valeur d’existence, le principe affectant une valeur aux vivants non humains et autres choses naturelles et les modalités prises par l’affectation de cette valeur.

10Interroger le rapport au vivant et autres choses naturelles à travers l’analyse de valeurs rend compte de la façon dont un groupe social conçoit les principes organisateurs de cette relation aux vivants et s’y positionne. En effet, une valeur correspond à un principe partagé qui participe, non seulement, à la structuration d’un groupe social en favorisant sa cohésion, mais, en définissant le désirable, la valeur renforce la normalisation des pratiques donc détermine le type d’interactions acceptable entre les humains et les autres vivants et choses naturelles et, à terme, les caractéristiques du monde commun. Certes, l’analyse de ces mondes partagés à partir des valeurs affectées par les humains aux autres vivants et choses naturelles introduit une asymétrie, les valeurs n’étant portées que par les humains, mais elle permet de préciser la place que les humains laissent aux autres vivants dans ce monde commun structuré et, corrélativement, les modalités à travers lesquelles ces relations sont construites. Il s’agira ainsi de comprendre quels sont les signes et les comportements animaux, pour la plupart, qui sont pris en compte et interprétés par les humains pour construire un monde commun.

11Pour ce faire, cette recherche repose sur un travail d’enquête effectué sur le territoire du Nunavik et dans l’archipel des Kerguelen, ces deux territoires bénéficiant de statuts de protection (parc national ou réserve naturelle). Les deux enquêtes reposent sur l’observation participante de collectifs formés d’humains, d’autres vivants et de choses naturelles ainsi que sur des séries d’entretiens semi-directifs et photographiques avec les humains. Ces enquêtes ont été menées lors de séjours effectués sur place. Dans l’hémisphère boréal, cette enquête est conduite depuis 2008 auprès des communautés inuites de Kuujjurapik, d’Umiujaq (habitants) et de Kangiqsujuaq (photographe Y. Yaaka) du Nunavik, colonisé par le Canada qui œuvre au déploiement de parcs nationaux et autres aménagements parties prenantes du Plan Nord du Québec (2011). Elle repose sur des entretiens menés, à la fois, par le biais de photographies Inuit commentées – 250 environ – et par le partage d’expériences de terrains entre 2008 et 2018 (références anonymisées). La seconde enquête, effectuée principalement sur la base scientifique des Kerguelen, a été menée en 2016 et 2017 auprès de la population qui y réside uniquement de façon temporaire (de 1 à 13 mois). Ce sont au total 70 personnes qui ont été interrogées. Ces résidents ont, principalement, la nationalité française. Il s’agit de scientifiques, de jeunes effectuant un service civique pour collecter les données scientifiques, du personnel médical, de militaires et d’une partie du personnel des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) [3] dont celui travaillant pour la Réserve Naturelle des Kerguelen ainsi que le personnel d’entretien des bâtiments et de restauration. N’étant pas le sujet précis abordé à l’origine de chacun des terrains, en subarctique comme en subantarctique, les entretiens comme les observations n’ont pas porté directement sur les valeurs que les personnes affectent aux vivants et autres choses naturelles. C’est à travers leurs descriptions et l’observation de leurs pratiques dans le milieu naturel que les situations dans lesquelles une valeur d’existence a été mobilisée pour qualifier le vivant et les autres choses naturelles ont été repérées puis analysées. En d’autres termes, cette notion de valeur d’existence est une catégorie d’analyse et pas une catégorie à partir de laquelle les résidents ont explicitement décrit leur relation au milieu naturel. Mais c’est l’analyse des entretiens, effectuée par une analyse de contenu thématique, qui a permis de rendre compte du contenu et des conditions de mobilisation de la valeur d’existence [4]. L’observation participante a permis, de surcroît, d’apprécier l’adéquation entre les pratiques et le discours sur les pratiques. Toutes les personnes auprès desquelles l’enquête a été réalisée n’ont pas verbalisé la valeur d’existence pour rendre compte de leur relation au monde naturel.

3.  Les contenus des valeurs d’existence au Nunavik et aux Kerguelen

12La principale distinction entre les valeurs d’existence telles qu’elles sont mobilisées au Nunavik et aux Kerguelen réside dans le principe d’autorité qui fonde leur légitimité. Pour les uns, cette valeur découle de l’existence d’un métasystème, holiste, de la Terre-mère, et aux relations de filiation que celle-ci tisse ente tous les vivants et choses naturelles ; pour les autres, cette valeur résulte de principes moraux appropriés par les individus et sous-tendus par des statuts affectés par l’État français aux territoires.

3.1.  Être vivant par l’âme

13De par leur cosmogonie, les Inuits ne dissocient pas la valeur d’usage de la valeur de non-usage, donc la valeur d’existence au sens occidental du terme. Selon eux, il existe intrinsèquement des liens de parenté, donc de filiation, entre la Terre-mère, les êtres humains, les non-humains et tous les éléments naturels qui fait que les humains appartiennent eux-mêmes à la nature comme le rappelle l’activiste inuk S. Watt-Cloutier : In the Arctic, the cold, the ice and the snow are the foundation of all living things, including human beings (2013 : 22). Cette conception en quelque sorte humanisée de la nature ou d’une nature humanisée signifie que, à l’inverse du contingent des Kerguelen : « Dans la vision autochtone, on ne conçoit pas que la nature soit là en face alors que l’être humain serait ici » (Chartier, Désy 2011 : 45). Plus précisément, l’Arctique autochtone constitue un métasystème organique dans lequel les humains font partie de leur territoire et réciproquement. Ainsi, lorsqu’ils parlent de leurs terres, les Inuits parlent d’eux-mêmes car « tout dans le holisme est ensemble : la rivière, le caribou, le phoque, les Inuit, tout fait partie d’un bloc » (op cit 2011 : 75). Plus précisément, « tout est dans tout, le microcosme rejoignant le macrocosme au sein de l’être humain » (Dorais, 2008 : 12) car TOUT à une âme, un esprit, et donc, par conséquent, TOUT existe par le principe même de l’animisme : « Inuit nunangat, littéralement “le territoire des Inuits”, inclut les humains, les animaux, les configurations du paysage, les saisons, et même les êtres invisibles que l’on est toujours susceptible de croiser » (Therrien 1999 : 49). Dans cette conception, l’apparence des vivants et des choses naturelles varie, mais leur intériorité est identique, faite de cette âme ou esprit – de facto humaine – partagée.

14Cette âme commune norme la relation à la Terre qui n’est pas une simple étendue, mais une partie du corps social (Deroche, 2008 : 47). Les peuples autochtones d’Amérique du Nord considèrent ainsi la Terre comme la source de toutes vies en son sein. De fait ils la vénèrent et protègent ses éléments comme des proches parents avec qui ils partagent une manière de vivre communautaire. Le terme inuktitut pour désigner « la terre » vécue, parcourue, est Nuna, qui inclut la terre et la mer, ou bien son complément Sila, qui embrasse l’échelle plus vaste de l’horizon céleste. Nuna et Sila constituent le centre de leur univers, de leur cosmovision, le noyau de leur culture et le fondement de leur identité. Ils imprègnent et guident tous les aspects de la vie : les conceptions philosophiques et spirituelles, l’approvisionnement en nourriture et en matériaux pour se vêtir et se loger, les cycles de l’activité économique y compris la division du travail, les modes d’organisation sociale comme les loisirs et les cérémonies, les régimes de gouvernance et de gestion : « La façon la plus certaine de nous tuer autrement que par balle est de nous séparer de notre terre » (H. Burgess, représentant du Conseil des Peuples Indigènes, déclaration des Peuples Autochtones à l’ONU en 2007).

15Ce métasystème qui s’articule autour de Nuna et Sila est transcendé par la notion d’inuqattigitsiannaq, qui signifie « le bien vivre ensemble » (Antomarchi, 2011), autrement dit l’interdépendance communautaire, interdépendance entre les âmes et leurs différentes enveloppes physiques et biophysiques ; les humains étant « possesseurs » de leur âme tandis que les animaux n’en sont que les « dépositaires » (Randa, 1986). En d’autres termes, chez les Inuit, la relation aux vivants et aux choses naturelles se caractérise par deux éléments. Premièrement, tous partagent une âme constituant leur valeur d’existence dans le monde visible de Nuna, c’est-à-dire, ce à partir de quoi leur valeur à exister est concrètement reconnue en tant que corps physique animé. Deuxièmement, Sila qui régule l’ensemble des âmes invisibles réunies sous la voûte céleste, organise l’ensemble des relations entre les vivants et les choses naturelles dans un univers où chaque chose à sa place dans sa communauté. Dans cette conception, le territoire inuit suppose la société inuit, et réciproquement, puisque l’un et l’autre sont interdépendants, qu’il y a équité dans la reconnaissance d’une valeur d’existence : Our ways and our need to be with the land remain the same (Peters 2013 : 18).

3.2.  Être vivant à travers un corps

16La valeur d’existence telle qu’elle est conçue par le personnel de la base scientifique des Kerguelen renvoie, principalement, à un principe régulateur bien différent. D’une part, cette valeur est affectée au territoire de l’archipel dans son ensemble. La reconnaissance de cette valeur au territoire de la « réserve » naturelle est justifiée par la destruction ou la dégradation continue par les sociétés humaines de la nature – et des dynamiques naturelles – dans les autres territoires en raison de la prévalence de valeurs d’usages et, plus particulièrement, d’intérêts économiques. Il faut alors « garder une petite partie de la planète qui ne soit pas industrialisée, vierge de toute exploitation commerciale » (extrait d’un entretien). Une autre justification renvoie plutôt à une sorte de partage du monde entre des régions anthropisées et d’autres où la présence humaine doit rester moins marquée : « On a suffisamment d’espace ailleurs, qu’on laisse les animaux vivre leur vie ici » (extrait d’un entretien). Le principe régulateur organise, en quelque sorte, le partage de la planète entre les territoires des humains et ceux dédiés aux autres vivants et choses naturelles. Ce sont les humains qui organisent cette régulation : les territoires qu’ils n’ont pu coloniser se trouvent ainsi laissés aux non-humains.

17Au-delà des territoires en eux-mêmes, cette valeur d’existence est également affectée aux animaux et aux végétaux en raison du simple fait qu’ils existent sur ces territoires. Dans les entretiens, ce sont plutôt les humains qui « sont les intrus », les animaux étant « les propriétaires de ces lieux » car animaux et végétaux « étaient là avant nous », on est donc « sur leur territoire » (extraits d’entretiens). C’est ici au nom d’un principe d’antériorité dans un contexte de très faible emprise humaine que les autres vivants et leur territoire sont affectés d’une valeur d’existence.

18Une fois attribuée à un territoire ou à un autre vivant, cette valeur fonctionne comme un droit que l’on affecte à quelqu’un qui, dès lors, définit les obligations des humains envers celui qui est ainsi lesté de ces droits. En d’autres termes, cette valeur d’existence remplit les fonctions d’un principe de responsabilité qui engage les humains à protéger les autres vivants et choses naturelles vulnérables, ceux qui peuvent, potentiellement, être spoliés, détruits, torturés pendant plusieurs générations par les humains. Dans cette conception de la relation des humains aux autres vivants et choses naturelles, le principe de responsabilité repose sur l’engagement d’un tiers régulateur, moins prégnant que le métasystème Terre-mère, représenté par l’État sous la tutelle duquel sont placés ces territoires et les êtres vivants qu’ils portent à travers le dispositif public de « réserve naturelle ». Ce statut affecté aux archipels et à Kerguelen, en particulier, labélise en quelque sorte ces territoires comme des morceaux de nature incarnés à travers les vivants qui y habitent (Van Tilbeurgh, 2009). Ce statut participe ainsi, pour les individus, à la reconnaissance de cette valeur d’existence en instituant des territoires où la naturalité est menacée tout en étant incarnée par les vivants non-humains et choses naturelles qui, dès lors, ont le droit, voire le devoir, d’exister pour autant qu’ils soient en capacité de symboliser cette naturalité [5]. Toutefois, ce statut norme peu strictement les pratiques des résidents. Certes, la réserve naturelle impose un certain nombre de règles aux humains. Mais, dans les discours comme dans les pratiques, les droits affectés par les individus aux autres vivants sont modulés en fonction de leur propre évaluation, c’est-à-dire en fonction de l’effet contraignant qu’ils affectent à la valeur d’existence.

19Plus précisément, la réglementation de la réserve naturelle, même si elle impose de fortes contraintes, est peu souvent mobilisée pour justifier l’affectation de cette valeur d’existence. Dans de nombreux cas, les individus s’en réfèrent plutôt à leur propre éthique animale ou environnementale pour justifier l’attribution de cette valeur. Ainsi, un même acte peut être évalué de façon différente suivant les éthiques auxquelles les individus se réfèrent. Concernant l’éthique animale, par exemple, pour certains une manipulation scientifique sur les pétrels géants nécessitant d’aller les chercher, à la main, dans leur terrier pour les baguer, peut être considérée comme contrevenant à cette valeur d’existence si la personne se réfère à une éthique animale prônant uniquement la coopération avec les animaux voire même la non-intervention des humains sur les autres vivants animaux. Pour d’autres, c’est l’expression d’une souffrance par l’animal qui oblige les humains à transformer leur action. La valeur d’existence affectée aux animaux contraint ici les humains à ne pas les faire souffrir au nom d’une obligation morale [6] alors que, pour les autres, cette valeur les conduit à refuser toutes pratiques jugées intrusives même si elles ne provoquent pas de douleur chez l’animal.

20Cette valeur d’existence créée, en d’autres termes, un monde commun où les êtres vivants sont reconnus pour eux-mêmes. Toutefois, en fonction des éthiques auxquelles se réfèrent les humains, les obligations morales générées par l’affectation de cette valeur, donc les normes qui en découlent, varient. Ces normes sont donc plus ou moins partagées, discutées, font l’objet de débats entre les résidents car elles ne sont pas consensuelles, d’autant plus que les organisations présentes aux Kerguelen en privilégient certaines au détriment d’autres. Ainsi, les espèces animales ou végétales introduites par les humains ne sont pas concernées par cette valeur d’existence dans les politiques de gestion de la réserve naturelle, tout comme l’IPEV accepte que certains programmes de recherche reposent sur l’expérimentation animale alors que ces pratiques sont contestées par une certaine éthique animale et par les résidents qui s’en prévalent [7].

21Plus généralement, ce qui oppose cette valeur d’existence dans les deux régions subpolaires, c’est bien le lien entre les humains et les autres vivants et choses naturelles. Aux Kerguelen, le contenu de la valeur d’existence correspond à des droits que les humains affectent aux autres vivants et choses naturelles leur permettant de les protéger de l’impact de leurs propres activités. Ces droits sont par ailleurs régulés et garantis, très globalement, par un tiers extérieur : l’État. Chez les Inuit, la valeur d’existence découle de l’existence d’un tiers régulateur, la Terre-mère, qui affecte une place et un rôle à chaque vivant et autre chose naturelle. La valeur d’existence est, ici, plus strictement dépendante de ce tiers régulateur.

22Si les paradigmes inuits et occidentaux rendent possible la création d’un monde commun aux vivants en subarctique et subantarctique, ils les séparent dans les modalités mises en œuvre. La modalité relevant de la bienveillance et par là même d’un certain anthropomorphisme est partagée. En revanche, les fondements autochtones holistes et réglementaires dualistes s’opposent toujours.

4.  Les modalités d’affectation de la valeur d’existence : convergences et divergences entre Inuit et chercheurs occidentaux

23Dans cette partie, l’analyse portera sur les modalités par lesquelles la valeur d’existence est affectée. Ainsi, qu’il s’agisse des Inuits ou des résidents des Kerguelen, cette valeur d’existence repose sur la capacité des humains à reconnaître à travers des apparences dissemblables, des similitudes avec le monde humain. Toutefois, cette valeur d’existence renvoie à deux principes de légitimité, l’un reposant sur la spiritualité et l’autre sur l’affectation de droits.

4.1.  Anthropomorphisme et bienveillance : la convergence des valeurs d’existence de corps ou d’esprit

24Du côté des humains, la reconnaissance d’une valeur d’existence repose sur une forme d’anthropomorphisme partagée par l’attribution des caractéristiques du comportement ou de la morphologie humaine aux animaux, aux plantes, et également, pour les Inuits, aux esprits de la nature comme le soleil (féminine, Malina), la lune (masculin, Aningaaq), la mer (féminine, Sedna), le vent et la pluie, la roche. C’est cet anthropomorphisme qui préside à l’identification des humains aux animaux, végétaux ou aux forces de la nature. Il s’agit, pour les humains, de reconnaître qu’ils partagent des caractéristiques communes avec ce qui n’est pas humain. Les chants de gorge inuit traditionnels, par exemple, consistent en une joute gutturale des femmes surtout, qui se font la voix du chien, du loup, de l’ours, du vent…

25Aux Kerguelen, l’identification aux animaux repose sur le constat d’analogies entre le comportement animal et celui des humains. Ainsi, les scènes de grande proximité avec les animaux sauvages sont regardées, admirées voire provoquées, que cela soit des scènes de jeux, de contacts physiques ou de simples observations réciproques entre humains et animaux. D’autres scènes comme celles renvoyant à la parenté et parentalité humaine (Bortolamiol et al, 2017) à travers le repérage de couples ou de scènes familiales liées au maternage ou à l’éducation des bébés facilitent également l’identification des animaux à une société humaine. C’est ainsi que certains animaux vivent une vie plus ou moins proche de celle des humains, une vie de famille (pour les manchots), une vie amoureuse (pour les albatros), une vie avec des jeunes enfants, des bébés allaités plus ou moins turbulents (pour les otaries et les éléphants de mer), des enfants auxquels il faut tout apprendre et qui nécessitent donc de passer par un temps de formation comme pour les orques (cf. photographie page ci-contre). Par ce contact avec les animaux, les humains peuvent également singulariser les animaux, distinguer des curieux, des agressifs, des placides, des réactifs, certains recherchent la compagnie des humains, d’autres vivent leur vie en côtoyant les humains mais sans vraiment s’y intéresser. Cette identification des humains aux animaux, principalement, permet de rendre visible l’animal sauvage, de construire un monde avec lequel il faut composer, négocier, trouver des accords. Par exemple, pour les otaries des Kerguelen dont les mâles ont la fâcheuse habitude de charger les humains quand ils s’approchent un peu trop d’eux, un compromis doit être trouvé quand une otarie se trouve en travers du chemin étroit par lequel il faut passer. Cette négociation avec les animaux sauvages illustre la valeur de l’animal : lesté du droit d’exister, les humains ne peuvent le chasser quand il devient un obstacle au déroulement de leur activité.

26Cette passerelle construite par les humains avec les animaux repose sur l’interprétation du comportement des animaux. Pour savoir jusqu’où l’otarie laissera passer les humains, il faut que ceux-ci sachent interpréter les marques de son agressivité, c’est-à-dire qu’ils sachent identifier les signes à partir desquels ils vont devoir co-construire avec l’otarie leur itinéraire sous peine de se faire charger. Pareillement, la construction des similitudes, desquelles dépendent l’identification entre les humains et les autres vivants, repose sur le repérage et l’interprétation par les humains des signes renvoyés par les animaux à partir d’un raisonnement analogique. Ainsi, un manchot qui nourrit son poussin devient une scène de vie de famille (cf. fig. 2).

Figure 2

« La vie de famille des manchots, avec la mère qui nourrit son poussin »

“Family life of penguins, with the mother feeding her chick”

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« La vie de famille des manchots, avec la mère qui nourrit son poussin »

“Family life of penguins, with the mother feeding her chick”

© V. Van Tilbeurg.

27Au Nunavik, tout vivant et chose naturelle appartient à la même catégorie cognitive, leur socialisation repose donc sur d’autres bases (Joliet 2014, Chanteloup, Joliet, Hermann 2018). Les Inuits s’adressent aux animaux comme à un autre humain, bref, ils s’adressent à l’âme de leurs congénères. Un Inuk parlera d’un phoque comme this guy (Fig. 3), par exemple.

Figure 3

« Ce gars cherche un iceberg », Nunavik

“This guy is looking for an iceberg,” Nunavik

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« Ce gars cherche un iceberg », Nunavik

“This guy is looking for an iceberg,” Nunavik

© Y.Yaaka.

28Si les animaux sont personnifiés en raison des âmes partagées, les êtres vivants au sein d’un collectif animé (âme) le sont également, y compris les aurores boréales, à qui l’on prête la possibilité de saigner, donc de se blesser : northern light, Sometimes it is red, like if the sky was bleeding (Yaaka Yaaka). Plus encore, les inukshuit (cairns de pierre en forme d’humain) sont interpellés Hello old friend, étant animés par l’âme du défunt qui l’a érigé : There is a soul in every inukshuk, one can touch it and feel it. Nobody can change a stone, it is bad luck (op cit). Il existe toutefois des différences entre les animaux lestés de droits des Kerguelen et ceux animés par une âme au Nunavik. Pour les Inuit, les animaux sont clairement hiérarchisés entre eux : The polar bear is the top of the food chain. I like plants, because they are the purest of renewal. They sustain everything up there. Seal was considered to be the main (before caribous).  They sustain my people to live up there (a cow for you) (Yaaka Yaaka). Aux Kerguelen, en fonction de leur éthique animale ou environnementale, certains refusent toute hiérarchie entre les vivants. Toutefois, quand cette hiérarchie existe, elle repose plutôt sur le degré de lien entre les humains et les autres vivants. Comme cela a été souligné précédemment, les espèces invasives introduites par les humains sont dévalorisées alors que les espèces endémiques sont valorisées.

29Cette identification des humains aux animaux induit de traiter avec bienveillance le territoire et les êtres vivants qui y vivent. Ce sont surtout les mammifères et les oiseaux qui sont l’objet de toutes les attentions aux Kerguelen. Cette bienveillance peut s’étendre, dans un certain sens, aux espèces introduites. En effet, dans la plupart des cas, la politique d’éradication des espèces introduites est comprise pour que le milieu puisse retrouver son état d’avant l’arrivée des humains dans l’archipel, sa forme originelle en quelque sorte. En revanche, ce qui est contesté, c’est le fait de faire souffrir les animaux. Autrement dit, cette bienveillance à l’égard du milieu naturel s’applique à l’ensemble du territoire et aux espèces vivantes d’une façon relativement indépendante de leur statut (espèces introduites ou endémiques, envahissantes ou menacées) et de leur finalité pour les humains (contrôle, étude, consommation…). Le droit d’exister conditionne un devoir de bienveillance qui s’applique quelle que soit la situation. Ainsi, tous les animaux et paysages doivent être traités avec mansuétude, il faut prendre soin d’eux quand une intervention est nécessaire, mais dans la plupart des cas il faut privilégier le non-interventionnisme humain.

30Chez les Inuits, on retrouve cette même préoccupation bienveillante dans la relation avec les autres vivants et les choses naturelles, mais elle repose sur d’autres bases. En effet, les Inuits se pensent comme appartenant à Nuna, ils se désignent même comme des sentinelles, des gardiens du reste du monde contre les hommes blancs, les Qallunaat (« les gros sourcils » en inuktitut, pour désigner les étrangers (Amérindiens, Européens, Africains, Asiatiques, les Eurocanadiens, etc.). La rupture se situe ici entre les Inuits et les Qallunaat car, selon les Inuits, les Blancs ne respectent pas la Terre en tant que parent, comme leur mère. Ils la surexploitent sans le lui demander (puisqu’ils la considèrent sans âme), sans accomplir un rituel de passage. Les Inuits ont donc pour rôle de protéger cette Terre : « Notre Terre, offre tout ce dont nous avons besoin, de la viande, de la viande crue, des plantes, nous devons protéger notre Terre, elle est l’expression de notre identité inuite » (Attasi Piluurtut). Cette terre doit, en particulier, être protégée de l’abus industriel des blancs : « Nous, on mange du poisson avec du mercure, les blancs nous empoisonnent ». « Ce sont les Blancs qui abusent de la chasse aux phoques et à la baleine, et ils nous imposent des quotas ! » (Y. Yaaka). Mais cette protection de la terre a un sens dans une autre conception de la relation au vivant. Cette protection ne passe pas par l’interdiction de prélèvement. La chasse est un acte normal car tout le monde est enfant de la Terre et les Inuits vivent avec ce que la Terre leur a confié (fig. 4). Il est même rituel pour « Être Inuk » d’être chasseur : « To be considered as a good hunter, a man need to hunt one of every animals » (Y. Yaaka). Un animal, le symbole, ne signifie pas tout le cheptel. Un principe d’autorégulation permet la gestion de l’écosystème auquel les humains appartiennent. « Nous ne prélevons que ce dont nous avons besoin » (P. Novalinga).

31Cette notion de bienveillance, même si elle est partagée, permet de distinguer deux types de solidarité entre les humains et les autres vivants et choses naturelles : l’une construit une solidarité entre ceux qui partagent une même âme, mais elle ne concerne pas les humains blancs, tandis que l’autre est à la base d’une solidarité entre tous ceux qui se retrouvent sur un même territoire conçu comme un espace de naturalité, mais s’arrête dès que les frontières de ce territoire sont franchies. Pour les uns, le danger qui remet en cause les êtres auxquels est attribuée cette valeur d’existence sont les humains blancs alors que pour les autres ce danger est incarné par la société humaine qui spolie les vivants et autres choses naturelles de leur droit à exister à l’extérieur de la frontière du territoire naturalisé. Ainsi, le territoire ne régule pas seulement les usages entre les humains et les autres vivants et choses naturelles (Bortolamiol et al., 2017). En favorisant leurs conditions de visibilité, il rend possible l’affectation de la valeur d’existence. Il est donc intrinsèquement lié à la valeur d’existence.

4.2.  Spiritualité ou droits ? Les divergences des valeurs d’existence

32Même si dans le subarctique, la valeur d’existence repose sur le fait que tous les vivants et choses naturelles possèdent un point commun, ils partagent une âme construisant des liens de filiation entre tous les vivants et autres choses naturelles, l’existence de ces liens de filiation n’empêche pas les Inuits de chasser, de mettre à mort et de se nourrir d’animaux ayant pourtant une âme, qui se réincarnera si le rituel a bien été respecté par le chasseur. En effet, pour rendre possible la mise à mort de vivants possédant une valeur d’existence, les Inuits doivent rendre des comptes aux âmes de ces vivants à travers des rituels qui leur permettent, en quelque sorte, de régler le problème de « l’anthropophagie ». Grâce aux rituels, les Inuit peuvent manger les corps en ayant pris en charge les âmes d’autres vivants (Fig. 3) : « Dans les cosmologies animistes, il y a l’idée selon laquelle vous chassez un animal animé et intentionné, doté d’une âme et d’une intelligence comparable à celle de l’être humain. Pour le chasser, il faut donc se mettre en capacité de dialoguer avec lui, essayer de rentrer dans sa tête et dans son corps, jusque dans ses humeurs, pour tenter de le débusquer. Il faut comprendre ses logiques pour suivre ses trajectoires. L’animal, quant à lui, pour échapper à son chasseur doit déployer tout un panel d’ingéniosité, tout en s’efforçant d’être le plus imprévisible possible. Cela l’oblige, lui aussi, à se transformer pour exister, à être toujours en train de devenir « plus » que ce qu’il est, que son soi-disant “donné biologique”. Le milieu des chasseurs animiste devient donc un milieu dynamique, où chacun s’individue au contact de l’autre » (Martin, 2019).

Figure 4

La chasse de la chair et le rituel de préservation des âmes, Nunavik

Hunting the flesh and the ritual of protecting the soul, Nunavik

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La chasse de la chair et le rituel de préservation des âmes, Nunavik

Hunting the flesh and the ritual of protecting the soul, Nunavik

© J. Sala
Figure 5

Les espèces protégées et le privilège de les approcher : un chercheur du Muséum National d’Histoire naturelle ému et des éléphants de mer dérangés, Kerguelen

The privilege to approach protected species: an emotional researcher from the National Museum of Natural History and disturbed elephant seals, Kerguelen

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Les espèces protégées et le privilège de les approcher : un chercheur du Muséum National d’Histoire naturelle ému et des éléphants de mer dérangés, Kerguelen

The privilege to approach protected species: an emotional researcher from the National Museum of Natural History and disturbed elephant seals, Kerguelen

© J. Fournier

33Ainsi, les Inuits ne tuent pas les animaux, dans un certain sens, ils ne font que manger leur chair, le rituel ayant créé une rupture entre le corps et l’âme de l’animal. L’acte de chasse reste un acte vital et ritualisé avec l’âme de l’animal tué. Les scènes sanglantes d’animaux mis à mort qui heurtent les Occidentaux ne les choquent pas en tant que telles.

34Pour les Inuits, la chasse est donc cautionnée par la forme de leur spiritualité : ces différentes valeurs entre esprits d’une même communauté, affectés à la nature, sont inhérentes à l’animisme qui organise les éléments entre eux, où chacun à une place dans le monde pour que les relations soient stabilisées. La spiritualité régule, organise, ordonne les relations aux vivants et, plus largement, au monde issu d’une tradition orale et de pratiques rituelles. Cette spiritualité, qui repose sur le principe des âmes partagées en raison de la filiation avec la Terre-mère, devient le principe d’autorité transcendantale qui ordonne le monde. Ainsi, « les principes moraux, c’est-à-dire les règles qui régissent la conduite des êtres humains entre eux, ainsi que vis-à-vis des autres créatures et des éléments du monde, sont plus que des codes rationnels qu’il est loisible d’adopter ou d’ignorer. Ces règles sont inscrites dans l’essence même des choses » (Deroche, 2008 : 39). En d’autres termes, la valeur d’existence affectée aux vivants et autres choses naturelles résulte de la conception de Sila comme d’un vaste organisme vivant de coordination des âmes.

35Aux Kerguelen, en revanche, la valeur d’existence repose sur l’attribution de droits permettant aux animaux et végétaux de ne pas subir de prédation humaine, à quelques exceptions près, s’il s’agit d’espèces invasives introduites par les humains. Cette protection passe également par une limitation des activités humaines, voire une exclusion des humains de l’écosystème (une grande partie de l’archipel des Kerguelen est en réserve intégrale) en fonction des règles codifiées par la réserve naturelle. Dans ce cas, coexistent un principe d’autorité qui institue cette protection, l’État, avec des individus qui rendent variables les droits affectés. Ce sont les résidents, face à leurs obligations morales (mais qui sont partagées), qui affectent un contenu précis à ces droits pour autant qu’il existe une capacité d’identification permettant de faire sortir les animaux ou les végétaux de l’invisibilité en les inscrivant dans un monde commun. Cette valeur d’existence et le traitement bienveillant avec lequel elle est appareillée réactualisent, en quelque sorte, la dualité entre les humains et la nature. Ce sont toujours les humains qui affectent du sens au monde naturel, mais de l’injonction de Descartes à être maîtres et possesseurs d’une nature qui leur est extérieure, cette valeur d’existence traduit une évolution vers une posture de maître et protecteur de la nature (Roger et Guéry, 1991). Dans cette nouvelle posture la nature est cependant toujours conçue avec extériorité en fonction d’un point d’origine et d’un idéal qui s’agit de retrouver, d’entretenir ou de favoriser. Ainsi, la prédation animale, citée par beaucoup de personnes, est souvent perçue comme une implacable « loi du plus fort », trace d’une « vie sans pitié » où il n’y a « pas de place pour les faibles » (extraits d’entretiens). Non seulement la chasse n’est pas tolérée (sauf pour les espèces invasives introduites par les humains et sous certaines conditions seulement), mais en plus la prédation animale, même si elle est comprise, est évaluée négativement. Cette valeur d’existence participe ainsi à la construction d’une relation au monde naturel dans lequel les plus faibles et les plus vulnérables, espèces rares ou en voie d’extinction, sont protégés et traités avec bienveillance.

36Loin d’une valeur d’existence reliée à l’expression d’une spiritualité, aux Kerguelen, cette valeur repose donc sur l’affectation de droits d’exister en étant protégés. À partir du moment où une valeur d’existence est affectée à un vivant non humain ou à une chose naturelle, celui-ci sort de l’invisibilité et bénéfice d’un droit le protégeant, en particulier, de la souffrance que pourrait générer un humain à son encontre. Par rapport à la valeur d’existence instituée chez les Inuits, celle des résidents des Kerguelen repose sur la capacité, à la fois, des humains à faire sortir de l’invisibilité les vivants et les autres choses naturelles et à évaluer ce qui menace l’existence même des plus vulnérables des existants. Comme il a été souligné, le résultat de cette double opération n’est pas unanimement partagé, ce qui explique le fait que cette valeur ne soit pas consensuelle. En d’autres termes, cette valeur d’existence aux Kerguelen repose sur un traitement individualisé des espèces par des humains porteurs d’éthiques collectivement différenciées.

5.  Conclusion

37Dans ce contexte polaire interculturel, boréal et austral, contemporain qui se mondialise, l’objectif de cet article a été de comparer les caractéristiques de la valeur d’existence des vivants entre eux et des choses naturelles telles qu’elles apparaissent dans la façon qu’ont les Inuit et les résidents de bases scientifiques de mettre en récit et en pratique leur relation au monde naturel. Il s’est agi, plus particulièrement, de comprendre la façon par laquelle résidents et Inuit construisent des mondes communs avec les autres vivants et choses naturelles. Il a été vu ainsi que même si les Inuit et les résidents des bases scientifiques affectent au vivant une valeur d’existence, celle-ci a des caractéristiques largement dissemblables.

38Ce sont, en fait, les mêmes caractéristiques qui distinguent, d’un côté, les sociétés organisées par un principe holiste et, d’un autre côté, celles reposant sur une conception plus individualiste des humains, qui structurent le rapport au vivant. Les sociétés holistes ne distinguent pas cette opposition entre Humains et autres vivants et choses naturelles. Les relations entre l’ensemble des existants sont régulées par la Terre-mère, matrice de tout et affectant une place à chacun selon son âme et sa fonction. Dans ce contexte, la valeur d’existence renvoie au fait que tout vivant ou chose naturelle doit être protégé des Qallunat (et non « par » les Qallunat) parce qu’elle a une âme qui est de même nature pour tous les vivants. Par ailleurs, c’est l’ensemble de ces relations entre existants et le principe régulateur, la Terre-mer, qui forme le territoire dans lequel s’entremêlent des choses naturelles, comme les cours d’eau, les montagnes, mais aussi les vivants non-humains et les humains non-blancs, gardiens et protecteurs de cet ensemble. C’est l’humain blanc qui est pensé en extériorité à ce territoire, source de dégradation de cet ensemble d’existants régulés par la Terre-mère.

39Aux Kerguelen, les humains affectent une valeur d’existence au vivant et autres choses naturelles en leur attribuant des droits individualisés selon les espèces et les éthiques mobilisées. Certes, il existe un tiers régulateur, l’État, à travers ses dispositifs environnementaux grâce auxquels des territoires sur lesquels s’appliquent plus particulièrement ces droits sont identifiés, ouvrant la possibilité d’une codification de ces droits dans les plans de gestion. Toutefois, les éthiques animales auxquelles adhèrent certains résidents permettent d’élargir ces droits en excluant, par exemple, tout comportement intrusif des humains à l’égard des autres vivants. Dans cette conception du vivant non-humain et des autres choses naturelles le territoire, par l’ancrage de dispositifs publics, crée la nature que les résidents peuplent d’existants non-humains. Ainsi, le territoire permet de séparer le monde des humains, d’un côté, et celui-ci des autres vivants et choses naturelles de l’autre. Il participe à cette conception dualiste des relations entre les humains et les autres vivants et choses naturelles.

40Au-delà du territoire, la valeur d’existence elle-même reflète cette pensée dualiste. En effet, ces droits, attribués par des individus placent toujours les humains de facto en dehors de la nature. Certes, l’affectation d’une valeur d’existence permet de faire sortir de l’invisibilité les autres vivants et choses naturelles sans les concevoir à l’intérieur de relations utilitaristes de prédation [8]. Toutefois, dans cette évolution de la relation aux vivants, les résidents se conçoivent comme les maîtres et protecteurs de la nature, mais d’une nature, plus ou moins originelle, qui existe dès lors que les traces humaines sont peu ou pas visibles.

41Qu’il relie les existants entre eux ou qu’il délimite la visibilité d’existants, le territoire est donc essentiel à l’affectation de cette valeur d’existence. Plus exactement, c’est la conception du territoire, en tant que monde spirituel ou chaque existant est lié aux autres par une âme ou l’expression de la matérialité d’une nature originelle, qui reste un des éléments centraux de l’attribution de la valeur d’existence quel qu’en soit son contenu. En effet, l’attribution de cette valeur permet d’introduire des discontinuités entre ce qui est objet de valorisation et le reste. Ainsi, d’un côté, elle permet d’exclure les humains blancs du territoire des existants reliés par une même âme, de l’autre, elle permet de tenir à distance les processus d’anthropisation de certains territoires.

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Mots-clés éditeurs : Nunavik, valeur d’existence, Kerguelen, Artique, Pôles, nature, subantarctique

Date de mise en ligne : 11/05/2020

https://doi.org/10.3917/ag.732.0031

Notes

  • [1]
    Les résultats de recherche présentés dans cet article sont issus de deux programmes de recherche n° 136 et n° 1043, menés à la station des Kerguelen et au Nunavut, qui ont bénéficié du soutien de l’Institut polaire français (IPVE).
  • [2]
    Cette notion de valeur d’existence a fait son entrée dans le droit français autour des années 1970 pour justifier un classement de protection et instaurer des catégories nouvelles pour penser le rapport à la nature sans pour autant que celle-ci soit utile. Toutefois, en droit de l’environnement et, dès cette date, la valeur patrimoniale a suppléé la valeur d’existence. En économie, cette valeur s’oppose à la valeur d’usage. Elle s’applique dès lors qu’une valeur de non-usage est affectée à un objet.
  • [3]
    Les TAAF ont un statut de collectivité territoriale. Ils sont formés de 5 districts : les archipels de Crozet et des Kerguelen, les îles Saint-Paul et Amsterdam, la Terre Adélie (avec les bases de Dumont d’Urville et de Concordia) ainsi que les îles Eparses réparties autour de Madagascar.
  • [4]
    En effet, le processus d’attribution de valeur s’effectue sous forme d’énoncés en situation (Heinich, 2017). C’est à travers l’analyse de ces énoncés au cours desquels des situations faisant l’objet d’un jugement de valeur et le contenu de cette évaluation sont identifiés. La valeur, en elle-même, est déduite de ces énoncés grâce à la comparaison des entretiens par la méthode qualitative de l’analyse de contenu (Mucchielli, 2006).
  • [5]
    C’est ainsi qu’un certain nombre d’espèces animales et végétales sont éradiquées ou leur extension est limitée si elles ont été introduites par les humains, alors que les espèces natives sont protégées.
  • [6]
    Cette norme est également appliquée par l’IPEV quand des protocoles scientifiques nécessitent une action intrusive sur les animaux qui seront dès lors anesthésiés. De même, dans ses protocoles d’éradication d’espèces animales invasives introduites par les humains, la réserve naturelle utilise des anesthésiants.
  • [7]
    Pour une analyse de la dichotomie entre interventionnisme et conservationnisme, lequel vise l’autonomie des systèmes écologiques, cf. V. Maris et E. Huchard (2018). La pluralité des éthiques animales a été étudiée, en particulier, par J.-B. Jeangène Vilmer (2008).
  • [8]
    Après avoir arrêté la chasse aux manchots et aux baleines, celle des éléphants de mer a perduré jusqu’aux années 1960 dans l’archipel des Kerguelen.

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