Notes
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[1]
L’expression est reprise par un grand nombre de médias internationaux.
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[2]
L’idée d’un « pillage » des ressources naturelles de la Bolivie par les étrangers fait partie d’un discours très présent en Bolivie, mais il s’agit d’une représentation.
-
[3]
Tableau synthétique des personnes interviewées en fin d’article.
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[4]
Le forage le plus important, réalisé en 2004 par une équipe de la Duke University, a atteint 220 mètres de profondeur.
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[5]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (25 février 2015, La Paz).
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[6]
L’importance des ressources en lithium du salar d’Uyuni est notamment mise en avant dans les rapports annuels publiés par la GNRE – COMIBOL.
-
[7]
Le Chili est actuellement le plus important producteur mondial de lithium.
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[8]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
-
[9]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Guzmán (6 février 2015, La Paz).
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[10]
Entretien réalisé avec José Antonio Bustillos Castillo (25 février 2015, La Paz).
-
[11]
Le Cerro Rico est un mont qui surplombe la ville de Potosí et dont le nom signifie « colline riche ». Il a en effet été exploité pour les nombreuses richesses naturelles qu’il contenait (notamment l’argent).
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[12]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (25 février 2015, La Paz).
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[13]
Entretien réalisé avec Fernando Molina (26 février 2015, La Paz).
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[14]
Idem.
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[15]
Idem.
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[16]
Idem.
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[17]
Potosí est le nom d’un département, mais aussi d’une ville, capitale de ce département.
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[18]
Entretien réalisé avec Fernando Molina (26 février 2015, La Paz).
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[19]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Guzmán (6 février 2015, La Paz).
-
[20]
Idem.
-
[21]
Entretien réalisé avec Fernando Molina (26 février 2015, La Paz).
-
[22]
Decreto Supremo Nº 29117, approuvé le 1er mai 2007.
-
[23]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Guzmán (6 février 2015, La Paz).
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[24]
Entretien réalisé avec Leonardo Condori Mayorga (11 février 2015, Uyuni).
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[25]
Entretien réalisé avec Honorio Carlo (6 février 2015, La Paz).
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[26]
Idem.
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[27]
La régulation environnementale est entendue par Laetitia Perrier Bruslé comme « l’imposition d’un ensemble de règles établies par un acteur politique, économique ou social afin d’organiser les conditions économiques de l’exploitation et de la distribution des ressources naturelles » (Perrier Bruslé, 2015).
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[28]
Propos d’Alberto Echazú, directeur national de la GNRE, recueillis par Cecilia Mendoza (2011).
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[29]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (16 mars 2015, La Paz).
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[30]
Idem.
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[31]
(2014), « Arranca la etapa de producción de baterías de litio en La Palca », El Potosí, [En ligne].
-
[32]
Entretien réalisé avec Jhonny Llally Huata (20 février 2015, Potosí).
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[33]
L’Alliance Sociale (Alianza Social en espagnol) a été fondée en 2004 par René Joaquino, actuel maire de Potosí (non reconduit lors des élections de mars 2015, car battu par le candidat du MAS).
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[34]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (25 février 2015, La Paz).
-
[35]
Entretien réalisé avec Abad Albis Condori (19 février 2015, Potosí).
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[36]
Les deux brevets déposés sont détenus à 50 % par l’UATF et à 50 % par l’université de Freiberg.
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[37]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
-
[38]
Entretien réalisé avec Abad Albis Condori (19 février 2015, Potosí).
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[39]
Idem.
-
[40]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (25 février 2015, La Paz).
-
[41]
Entretien réalisé avec José Antonio Bustillos Castillo (25 février 2015, La Paz).
-
[42]
Cette usine pilote, inaugurée en février 2014 à La Palca (département de Potosí), a été achetée « clé en main » par le gouvernement bolivien à l’entreprise chinoise Lin Yi. Elle assemble des batteries de téléphones portables et de bicyclettes, à partir de produits importés de Chine. Des employés de la GNRE y travaillent.
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[43]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
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[44]
Depuis notre enquête de terrain, Juan Carlos Cejas Ugarte a été élu aux élections de mars 2015, il est donc actuellement gouverneur du département de Potosí.
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[45]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Cejas Ugarte (20 février 2015, Potosí).
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[46]
Entretien réalisé avec Freddy Juárez Huarachi (14 février 2015, Uyuni).
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[47]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
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[48]
Idem.
-
[49]
Idem.
-
[50]
Entretien réalisé avec Patricio Vito Mendoza Huaylla (14 février 2015, Uyuni). Il explique qu'« il y a d’autres milieux où travailler […] donc les gens ne se focalisent pas sur le lithium ».
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[51]
Entretien réalisé avec Patricio Vito Mendoza Huaylla (14 février 2015, Uyuni).
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[52]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
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[53]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (25 février 2015, La Paz).
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[54]
Idem.
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[55]
Idem.
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[56]
Notamment les piles à hydrogène.
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[57]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
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[58]
Entretien réalisé avec Fernando Molina (26 février 2015, La Paz).
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[59]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
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[60]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Guzmán Salinas (6 février 2015, La Paz).
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[61]
Idem.
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[62]
Entretien réalisé avec Fernando Molina (26 février 2015, La Paz).
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[63]
Idem.
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[64]
Entretien réalisé avec Leonardo Condori Mayorga (11 février 2015, Uyuni).
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[65]
D’après la Constitution bolivienne, Evo Morales ne pourra pas être réélu en 2020.
Introduction
1 La Bolivie, pays parmi les plus pauvres d’Amérique latine, disposerait des plus grandes réserves mondiales de lithium. Cette ressource, cachée sous la croûte de sel du salar d’Uyuni, est présentée comme un véritable trésor capable de transformer le pays en une « Arabie Saoudite du lithium » [1]. Depuis son lancement en 2008, le projet d’exploitation de ce métal alcalin attise donc les convoitises. Cet intérêt repose notamment sur la récente croissance du marché des batteries au lithium, utilisées en particulier dans la construction de véhicules électriques. La mise en place d’un projet d’exploitation de cette ressource positionne la Bolivie au cœur de stratégies politiques et industrielles, ainsi que d’intérêts économiques puissants (Custers, 2011). Le gouvernement bolivien met en avant le projet d’exploitation du salar d’Uyuni en valorisant les apports et développements que celui-ci permettrait sur le territoire national. Dans cette logique, les ressources naturelles du pays doivent être exploitées par et pour les Boliviens. Concrètement, le gouvernement a donc décidé de mettre en place un projet d’exploitation du lithium purement étatique, géré par une entreprise d’État, la Gérance nationale des ressources évaporites (GNRE). De cette manière les investisseurs extérieurs sont maintenus à distance, pour éviter de répéter les situations passées d’exploitation par les étrangers de l’argent, de l’étain ou encore des hydrocarbures, ressenties par les Boliviens comme des « pillages » [2]. Ainsi, le gouvernement bolivien a engagé des politiques nationales de gestion de ses ressources et fait du lithium une fierté à l’échelle nationale.
2 La présence d’une ressource stratégique telle que le lithium sur un territoire défavorisé, au cœur de fortes rivalités de pouvoir à l’échelle mondiale semble susceptible de créer des tensions. De plus, le projet gouvernemental présente des faiblesses, accumulant les retards. Cependant, une étude de terrain nous a permis de comprendre qu’à défaut d’un réel conflit autour du projet d’exploitation des réserves lithinifères du salar d’Uyuni, il existe un consensus national. Un consensus autour de l’idée qu’il faut exploiter ces ressources, dû à plusieurs éléments tels que la forte mémoire collective liée aux ressources naturelles, la représentation de ces ressources naturelles comme moyen d’industrialiser et de moderniser le pays (Molina, 2011), la popularité du président de la République Evo Morales. Autant d’éléments explicatifs qu’il s’agit de mettre en lumière, et de questionner. Quelles sont les représentations en jeu, les particularités du contexte historique et mémoriel, et comment expliquent-elles le consensus national ? Ce consensus présente-t-il des fragilités ? Quelle est la place du projet lithium dans la construction du discours national bolivien ? À travers l’étude géopolitique du projet d’exploitation du lithium bolivien, nous chercherons à comprendre comment un territoire riche d’une ressource naturelle stratégique peut devenir, malgré les fragilités de sa valorisation, un objet de fierté nationale. Cet article s’appuie sur une enquête de terrain d’un mois en Bolivie composée d’une trentaine d’entretiens semi-directifs, réalisés aussi bien avec des responsables gouvernementaux nationaux que des acteurs politiques ou universitaires locaux [3].
1. L’existence d’un consensus national autour du projet lithium
3 Le consensus national instauré autour de l’exploitation des réserves lithinifères boliviennes s’explique en partie par la situation du marché mondial du lithium, en pleine expansion, qui crée un important espoir économique pour la Bolivie. Mais il a également des raisons liées à la mémoire collective et aux représentations territoriales que les Boliviens ont de leur pays. Ces différents éléments ont été bien intégrés par le gouvernement bolivien dans la mise en place du projet d’exploitation du lithium du salar d’Uyuni.
1.1. Se projeter dans le futur grâce aux ressources naturelles
La région du salar d’Uyuni, un territoire isolé.
The area around Uyuni Salar, a remote territory
4 Situé à plus de 3 650 mètres d’altitude, au cœur de la Cordillère des Andes, le salar d’Uyuni est le plus vaste désert de sel au monde. Il s’étend en effet sur une superficie de plus de 10 000 km carrés, dans une région isolée de l’axe central d’activité et de peuplement du pays (fig. 1).
5 Sa formation résulte de l’assèchement naturel d’un gigantesque lac salé, le Lago Minchín, présent dans la région il y a 40 000 ans (fig. 2). De ce fait, le salar est la plus importante réserve de sel de la planète et il est exploité artisanalement par les communautés locales. Cependant, sous la surface dure et blanche du salar d’Uyuni se trouve une saumure contenant une autre richesse : le lithium. La présence de ce métal fait de ce territoire un important espoir pour les Boliviens, car le gisement serait le plus important au monde. Une étude menée par le chercheur François Risacher dans les années 1970 (Risacher, Ballivián, 1981), ainsi que des investigations plus récentes ont permis une modélisation du salar d’Uyuni en forme de « cône inversé » (fig. 3), décrite par les chercheurs boliviens Juan Carlos Montenegro Bravo et Yara Montenegro Pinto (Montenegro Bravo, Montenegro Pinto, 2014).
Modélisation du salar en « cône inversé » (CEDLA, 2014)
Model of the Salar as an inverted cone (CEDLA, 2014)
6 D’après cette modélisation, sous la croûte de sel constituant la surface du salar se trouve une alternance de couches d’argile et de sel, qui se succèdent sur une profondeur inconnue. C’est au sein de ces couches que se trouve la saumure contenant le lithium et d’autres composants. L’Institut d’études géologiques des États-Unis, qui produit annuellement des données sur les ressources, réserves et productions mondiales par substance affirme que les ressources identifiées de lithium en Bolivie sont de 9 millions de tonnes (USGS, 2015). De son côté, la GNRE annonce une quantité de 100 millions de tonnes. Ces chiffres restent indicatifs, car aucun forage n’a permis d’atteindre le fond du salar et donc de quantifier précisément les ressources qu’il contient [4]. L’incertitude concernant la profondeur du salar d’Uyuni ne permet pas de quantifier précisément ses ressources lithinifères, mais offre aux autorités boliviennes la possibilité d’insister sur l’importance des réserves cachées sous la croûte de sel. Le professeur d’économie Oscar Vargas Villazón a fait partie du premier groupe de travail sur le lithium constitué par le gouvernement bolivien. Il assure que le salar d’Uyuni « contient une très grande quantité de lithium, qu’il est difficile de quantifier, mais dont on peut dire qu’il contiendrait 90 % des réserves mondiales » [5]. Un chiffre qui se fonde sur des travaux anciens et incertains, mais que le gouvernement met en avant [6] pour valoriser les gisements lithinifères de la Bolivie. Car le lithium dispose d’un fort potentiel de stockage énergétique et dans son rapport annuel la GNRE affirme que « le lithium est considéré comme une ressource naturelle à caractère stratégique » (GNRE, 2014). La Bolivie serait ainsi détentrice des plus vastes réserves mondiales d’une ressource à l’importance capitale. Elle pourrait s’insérer dans un marché jusque-là dominé par son voisin chilien [7].
7 « Evo promet que la Bolivie sera un centre énergétique en 2020 » (Mealla, 2014) titrait le journal La Razón en juin 2014. Alors en période de campagne électorale, le Président bolivien exprimait un souhait partagé par de nombreux concitoyens. Pour l’économiste spécialiste bolivien du lithium Juan Carlos Zuleta, la Bolivie pourrait même devenir « le centre énergétique du monde » [8] grâce à ses importantes réserves de lithium. Ces espoirs reposent sur la récente évolution du marché du lithium à l’échelle mondiale. En effet, depuis quelques années, l’intérêt pour cette ressource ne cesse de croître. La consommation mondiale de ce métal alcalin était évaluée, en 2008, à 21 280 tonnes et augmente de 6 % par an depuis 2000 (Paillard, 2011). L’accroissement de la demande se poursuit avec l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché et le développement d’industries demandeuses de cette ressource, telles que celle de la voiture électrique fonctionnant avec des batteries au lithium. Dans ce cadre particulièrement favorable, le gouvernement bolivien souhaite valoriser ses réserves lithinifères. Cette volonté se fonde sur l’idée que la Bolivie détient les réserves en lithium les plus importantes de la planète, mais aussi sur le postulat que le paradigme économique mondial va changer, en faveur du lithium.
8 Juan Carlos Zuleta affirme que la Bolivie va devoir « assumer le défi de devenir le prochain centre énergétique de la planète » (Zuleta Calderón, 2014). Cette expression laisse entendre que la Bolivie, grâce à ses gigantesques réserves de lithium, pourrait permettre la transition énergétique du pétrole vers l’électrique. Elle se transformerait ainsi en un pôle énergétique d’envergure mondiale et se retrouverait « au centre d’un nouveau paradigme géopolitique » [9], estime le chercheur bolivien Juan Carlos Guzmán. Dans les bureaux de la GNRE, à La Paz, on veut montrer que le gouvernement a saisi l’importance du rôle que peut jouer la Bolivie grâce au lithium. Les documents officiels soulignent que « les bénéfices futurs sont très prometteurs pour l’État bolivien » (GNRE, 2014). Le directeur des opérations de la GNRE, José Antonio Bustillos Castillo parle d’une véritable « fièvre du lithium » [10] qui aurait touché la Bolivie dès 2008, et qui depuis pousserait les membres du gouvernement bolivien à s’intéresser de près à cette ressource.
9 À travers ce discours volontariste, on perçoit une logique de revalorisation du territoire bolivien. Une revalorisation qui passe à la fois par une amélioration des performances économiques du pays, et par une transformation des représentations qu’ont les Boliviens de leur territoire. Il s’agit pour le pays d’occuper une place stratégique dont il n’a pas pu se saisir par le passé. En effet, les Boliviens tiennent régulièrement à rappeler le rôle de la Bolivie dans le développement de l’Europe, tout en précisant que leur pays n’avait pas pu en tirer les bénéfices. Oscar Vargas Villazón rappelle les faits historiques du point de vue bolivien : « La Bolivie a été le premier producteur au monde d’argent. L’Espagne s’est construite sur l’argent du Cerro Rico [11] au XVe siècle. C’est cet argent qui lui a permis d’avoir une économie dynamique, d’échanger des tissus, du cuir, des navires… L’argent de Potosí a ainsi mené l’Europe du Moyen-Âge au mercantilisme » [12]. Il ajoute que de cette richesse rien n’est resté à la Bolivie, et qu’aujourd’hui le Cerro Rico est vide.
10 Cet épisode de l’histoire bolivienne et son omniprésence dans les esprits sont particulièrement importants, car aujourd’hui se construit l’idée que le lithium pourrait jouer le même rôle que l’argent il y a quelques siècles. Or cette fois-ci, les Boliviens n’entendent pas laisser s’échapper leurs richesses et espèrent jouer un rôle central, comme l’a fait l’Espagne avec l’argent.
1.2. S’appuyer sur le passé pour bâtir un consensus
11 En tant qu’unité territoriale, la Bolivie naît autour de l’exploitation et l’exportation de matières premières. En effet, en 1545, à Potosí, alors que les Espagnols ont colonisé le territoire, « la découverte du Cerro Rico, la montagne d’argent, rend impérative la création d’une unité administrative pour gérer et contrôler ce trésor » (Perrier Bruslé, 2015). Peu à peu, on y découvre de nouvelles et nombreuses ressources naturelles (argent, étain, cuivre, or, zinc, plomb, etc.), ce qui « scelle le destin du pays et les conditions de son insertion dans un monde nouvellement mondialisé […] : la Bolivie sera un pays exportateur de matières premières » (Perrier Bruslé, 2015). Quelques siècles plus tard, les ressources naturelles demeurent un élément essentiel pour le pays, à la fois économiquement et socialement.
12 À chaque période de l’Histoire de la Bolivie correspond une ressource naturelle [13] estime Fernando Molina, écrivain et journaliste bolivien, qui a mené une réflexion sur la relation des Boliviens aux ressources naturelles (Molina, 2011). Pour lui, la Bolivie a vécu différentes étapes dans son Histoire, et chacune de ces étapes s’est déroulée autour d’une ressource naturelle. « C’est l’élément qui définit l’économie du pays, sa manière de fonctionner » [14]. Il poursuit en expliquant qu’en Bolivie il y a en permanence « une ressource naturelle actuelle et une ressource naturelle future », et qu’actuellement la ressource principale est le gaz, tandis que la ressource future est le lithium. Ainsi, bien que le lithium n’occupe pas une place importante pour l’économie actuelle du pays, c’est une ressource centrale « du fait de son symbolisme : c’est la ressource du futur pour la Bolivie » [15], assure Fernando Molina.
13 La ressource « est considérée par les Boliviens comme quelque chose de plus qu’une simple réalité de caractéristiques physiques déterminées, qu’un facteur de production ou qu’une matière première » (Molina, 2011). Ce « plus » n’apparaît pas forcément dans le processus productif, explique Fernando Molina, mais il est particulièrement présent dans l’imaginaire, dans les croyances et les préoccupations des gens (Molina, 2011). Il existerait donc ce que l’écrivain nomme un « nationalisme géologique » ou « patriotisme géologique », c’est-à-dire une fierté de ce que contient la Terre du pays, cette fierté reposant sur la possession de la ressource, même si celle-ci n’est pas exploitée. Pour les Boliviens, « la richesse est la ressource » (Molina, 2011). Dans ce cadre, la Bolivie et ses nombreuses ressources naturelles apparaissent comme une bénédiction, ce qui donne lieu à une vénération presque religieuse (Molina, 2011). Cette dimension sacrée est particulièrement présente autour de l’image du Cerro Rico, à Potosí.
Tableau de La virgen del Cerro, à la Casa de la Moneda de Potosí
Painting of La virgen del Cerro, in the Casa de la Moneda of Potosí
14 Ce tableau anonyme, intitulé La virgen del cerro (en français La Vierge de la colline) et datant du xviiie siècle, représente une scène de couronnement de la Vierge. Outre la présence des éléments religieux classiques, on observe que la Vierge est incarnée par une montagne, dont la forme évoque la silhouette du Cerro Rico de Potosí. Pour Fernando Molina, ce « culte quasi religieux » voué au Cerro Rico s’inscrit dans la « continuité à l’adoration pré-hispanique aux montagnes, rivières et lacs » (2011). Il y a ainsi une exaltation des ressources de cette montagne, une forme de sacralisation du territoire, qui s’inscrit au cœur des valeurs des habitants de Potosí.
15 Cette dimension « mystique » accordée au Cerro Rico, Fernando Molina l’associe à des processus psychologiques, liés à l’Histoire du pays et aux conditions de vie des habitants de Potosí. Il affirme que pour ces gens, les ressources naturelles représentent « tout ce dont ils peuvent être fiers » [16]. Au quotidien ils doivent affronter le désert, l’isolement, le froid, l’altitude, et dans ces conditions ils ont besoin de rêver, d’avoir de l’espérance. Cet espoir a toujours reposé sur les ressources naturelles, et aujourd’hui ce sont les ressources en lithium du département de Potosí [17] qui jouent ce rôle, affirme Fernando Molina [18].
16 Ainsi, en Bolivie, une grande attention est portée au territoire, à la Terre, que les Indigènes nomment « Pachamama », c’est-à-dire « Terre Mère ». Ce territoire leur fournit des richesses dont ils sont fiers et il les unit. Comme le souligne Eduardo Galeano dans son ouvrage sur l’Amérique latine, les ressources se sont converties « en une vocation et un destin » (Galeano, 1987). De ce fait, elles sont au cœur de la construction nationale et permettent d’unir les peuples qui vivent sur ce territoire si riche. Lors de son investiture, le Président de la République Evo Morales a d’ailleurs tenu à remercier la Pachamama pour sa victoire électorale (Armanios, 2006). La référence au territoire, particulièrement présente dans le discours politique, est également une manière de créer un dénominateur commun auquel peuvent se raccrocher les différents peuples constituant la nation bolivienne.
17 Si la perspective de l’exploitation du lithium projette les Boliviens vers l’avenir et vers des thématiques très contemporaines comme la transition énergétique, elle les ramène donc aussi vers leur passé. Depuis toujours, il y a un consensus autour de l’idée qu’il faut exploiter les ressources naturelles de la Bolivie, car elles représentent le trésor de la nation et son destin. Dans ce cadre, le lithium a toute sa place. Il permet de rassembler les Boliviens, et en particulier ceux originaires de l’Altiplano, autour d’un nouvel objectif commun et d’une même fierté, qui « représente [leur] identité » [19]. Replacée dans la géographie nationale des ressources, la prise d’importance du projet lithium dans le département de Potosí fait contrepoids aux richesses en hydrocarbures du département de Santa Cruz, remettant en cause le rôle de ces dernières dans la justification des velléités d’indépendance cruceñas. Ce lien fort entre ressources naturelles et identité nationale en Bolivie a notamment été décrit par T. Perreault, qui a démontré le rôle fondamental joué par les hydrocarbures dans les projets de construction de la nation durant le XXe siècle (Perreault, Valdivia, 2010), ainsi que par B. Kohl et L. Farthing, dans leur analyse des frictions entre économie extractive et nationalisme de ressource (Kohl, Farthing, 2012).
18 Par ailleurs, pour Juan Carlos Guzmán, le gouvernement bolivien étant extractiviste rentier, il est logique qu’il veuille exploiter ses ressources en lithium [20]. Il ne fait que reproduire le modèle qui a toujours été le sien, depuis l’argent de Potosí jusqu’aux hydrocarbures. Fernando Molina confirme, en expliquant que l’exploitation des ressources est « dans le sang bolivien, dans les gènes historiques et sociaux de la Bolivie » [21]. Ce discours apparaît comme une évidence pour la majorité des Boliviens, car il est véhiculé par plusieurs institutions telles que l’école, l’armée et le gouvernement. Le projet d’exploitation du lithium est perçu par les Boliviens à travers ce prisme, ce qui explique la facilité d’instauration du consensus autour de l’idée qu’il est important d’exploiter les ressources du salar d’Uyuni. À l’échelle nationale, le projet s’inscrit dans la continuité de l’histoire du pays, tandis qu’à l’échelle locale il est porteur d’un espoir de développement.
2. Des fragilités fissurant le consensus national autour du lithium
19 Malgré l’apparente solidité du consensus national instauré autour de l’exploitation du lithium, l’enquête de terrain nous a permis de déceler un certain nombre de tensions et de fragilités. Elles sont liées à des rivalités entre acteurs locaux et gouvernementaux, mais aussi à des contradictions internes au discours gouvernemental.
2.1. Une forte centralisation, source de frustrations et de tensions
20 Afin d’assurer une bonne implantation du projet lithium dans la région du salar d’Uyuni, le gouvernement central a mis en place des stratégies d’appropriation du territoire local et d’acceptation auprès des populations. Premièrement, le territoire a été déclaré « réserve fiscale » [22], ce qui signifie que le gouvernement central en prend le contrôle : il détient tous les droits sur le territoire et devient le seul à pouvoir exploiter économiquement ses ressources [23]. À l’échelle internationale, cette volonté de maîtrise est justifiée par le fait que l’État protège les ressources naturelles de la domination d’entreprises étrangères. À l’échelle locale, c’est une manière d’éviter les conflits entre municipalités jouxtant le salar [24]. Deuxièmement, la GNRE effectue un travail auprès des populations locales, à travers une « unité de gestion communautaire » [25]. Le responsable de la communication de la GNRE Honorio Carlo affirme clairement qu’il s’agit de contrer les opinions contraires parfois véhiculées par les médias [26]. Ses propos sont corroborés par les documents officiels, exposant qu’il faut « éviter les risques de tergiversation du projet » et « générer de la confiance dans la société » (GNRE, 2014). Ce travail avec les communautés locales prend la forme de réunions d’information, de diffusions radiophoniques et d’ateliers de formation.
21 Si ces stratégies d’appropriation du territoire et d’acceptation auprès des populations semblent garantir une relation non conflictuelle entre la GNRE et les communautés locales et participent du consensus, une troisième dynamique crée davantage de tensions et de frustrations. Il s’agit de l’imposition de l’État central comme seul échelon légitime de l’action publique, et particulièrement dans le cadre de la régulation des ressources naturelles [27].
22 La Bolivie a longtemps été un pays centraliste. Cependant, un processus de décentralisation a été lancé à la fin du XXe siècle (Recondo, 2012). Dans le domaine des ressources naturelles, à partir de 1985, ce processus se traduit par une nouvelle gouvernance qui prend la forme d’un « ensemble de réformes libérales [facilitant] […] les conditions d’exploitation des ressources naturelles par des entreprises internationales » (Perrier Bruslé, 2015). Cependant, « l’élection d’Evo Morales, président indigéniste de gauche, en 2005, marque un retour de l’État dans la régulation des ressources naturelles » (Perrier Bruslé, 2015). Les prérogatives étatiques en matière de régulation des ressources sont rétablies, dans le but de « reconstituer l’espace national comme espace de référence pour la gestion des ressources » (Perrier Bruslé, 2015). Désormais, l’État central est donc l’acteur qui établit et impose ses règles pour l’exploitation des ressources naturelles du pays, il est l’acteur central de la gouvernance. En ce sens, il « menace les pouvoirs acquis par les acteurs locaux dans la période antérieure » (Perrier Bruslé, 2015).
23 Cette réimposition de l’échelle nationale comme seul niveau légitime de l’action publique se traduit par la valorisation de l’intérêt national, et une moindre attention portée au niveau local. Ainsi, dans le cadre du projet d’exploitation du lithium, ce sont les impératifs nationaux qui prennent le pas sur les revendications du département de Potosí. L’impératif national étant la mise en place d’un projet étatique d’exploitation des ressources évaporites du pays, la volonté de développement industriel des provinces jouxtant le salar passe au second plan. Ainsi, le projet lithium est fortement centralisé et les populations locales sont peu impliquées dans sa réalisation.
24 En 2010, cette centralisation jugée trop forte a d’ailleurs provoqué un soulèvement à Potosí. En effet, pour les leaders des mouvements sociaux de la ville, l’administration du projet lithium devrait se trouver à Potosí ou à Uyuni même, et non à La Paz. Cela serait d’ailleurs en accord avec la Constitution de 2009, qui précise que « le siège d’une entreprise exploitante doit se trouver là où sont les ressources » [28]. Malgré la mobilisation, le centre décisionnel demeure aujourd’hui à La Paz, et les bureaux de la GNRE qui ont été installés à Uyuni ont une activité limitée. Il est indéniable que le projet lithium reste piloté par les dirigeants de la capitale bolivienne. La GNRE dispose même de liens privilégiés avec la Présidence de la République, comme l’explique Oscar Vargas Villazón, qui a participé au projet lithium dès ses débuts. Il ajoute que si bureaucratiquement la GNRE dépend de la Corporation minière bolivienne (COMIBOL), qui est rattachée au Ministère des Mines et de la Métallurgie, lui-même subordonné à la Présidence, en réalité le dossier lithium était géré directement par la Présidence [29]. Il explique cette relation directe entre l’équipe de la GNRE et la Présidence par le fait que c’est « un projet que Morales a dans le cœur » [30].
25 Cette gestion fortement centralisée déplaît à certains dirigeants sociaux locaux, qui estiment que « le lithium, censé leur appartenir, leur sera ”pillé” par l’État central » (Mendoza, 2011). L’emploi du terme « pillage » fait directement écho aux représentations historiques que chaque Bolivien garde à l’esprit lorsqu’il s’agit d’évoquer les ressources naturelles du pays. En retournant cette représentation contre le gouvernement bolivien, qui accuse habituellement des acteurs étrangers, les dirigeants sociaux emploient une image forte. Ils critiquent ainsi la politique d’un Président qui affirme pourtant défendre les Boliviens et leurs richesses. Si les acteurs locaux emploient une image aussi marquante, c’est qu’ils estiment que les populations du pourtour du salar ne sont pas suffisamment impliquées dans le projet, et que les retombées économiques pour la région seront faibles. Ils aimeraient une entreprise mixte, qui allie l’État central au gouvernement de Potosí [31]. De plus, ils aimeraient que les habitants de la région ne participent pas au projet seulement en tant qu’ouvriers, mais aussi comme chefs ou ingénieurs [32]. En effet, ça n’est pour l’instant pas le cas, ce qui amène le chercheur bolivien Ricardo Calla Ortega à parler d’une « enclave technologique » lorsqu’il évoque le projet lithium. Cet enclavement rend le projet hermétique, dans le sens où il ne participe pas au développement de compétences dans la région et reste au contraire particulièrement lié à La Paz.
2.2. Foyer du mécontentement : la ville de Potosí
26 Les tensions créées par l’imposition du niveau étatique comme seul légitime dans la régulation des ressources naturelles sont particulièrement visibles dans la ville de Potosí, où elles prennent parfois la forme de revendications. Ce n’est pas le MAS, parti au pouvoir, qui détient la municipalité jusqu’en 2015, mais une autre formation politique de gauche, l’Alliance Sociale [33]. La ville est donc perçue comme étant politiquement opposée au Président de la République Evo Morales et est même connue pour ses tendances autonomistes – même si le reste du département est largement favorable à Evo Morales. Ce climat de méfiance entre Potosí et La Paz freine parfois les projets du gouvernement central, et c’est notamment le cas dans le cadre du projet lithium. Ces freins sont d’ordre politique, mais ont également des conséquences sur une autre sphère : le monde universitaire.
27 Lors du lancement du projet lithium, en 2008, la municipalité de Potosí se trouvait déjà aux mains de l’Alliance Sociale. Par ailleurs, les universités de la ville et le Comité Civique de Potosí (COMCIPO) étaient positionnés contre le gouvernement. La situation politique locale provoquait donc déjà des tensions avec le siège du gouvernement. Dans le dossier lithium, les tensions viennent principalement du fait que les habitants de Potosí « veulent plus de royalties pour le département » et refusent « que l’argent parte au gouvernement central ou à l’étranger, comme cela a été le cas dans le passé » [34], explique Oscar Vargas Villazón. Les revendications des élus de Potosí dans le cadre du projet lithium ont donc trait aux redevances qu’ils estiment leur être dues en tant qu’habitants du sol sur lequel va être assurée l’exploitation. Pour Oscar Vargas Villazón, la composante politique est centrale et si le projet lithium n’émerge pas aujourd’hui, c’est bien à cause de la discorde avec Potosí. Cette opposition politique serait un véritable frein au développement du projet, une fissure dans le consensus national.
28 Ces discordes politiques ont des répercussions sur le monde universitaire, et plus précisément sur la participation des universités au projet lithium. En effet, les universités du département de Potosí ne participent pas aux recherches menées par la GNRE sur le salar d’Uyuni, alors que par exemple l’Université Autonome de Tomás Frías (UATF), à Potosí, dispose d’une unité de chimie et d’un laboratoire spécialisé sur le lithium. Cette situation n’est pas le simple fait d’un refus des universités de collaborer avec l’État central, en réalité les dissensions ne sont pas unilatérales.
29 Les chimistes de l’Institut d’investigations scientifique et technologique des sels et saumures (IICT-SAL), à l’UATF, mènent des études sur le lithium depuis 2008. Cependant, ils n’ont jamais travaillé en collaboration avec les équipes de recherche de la GNRE. Pourquoi cette distance, alors que leur objet de recherche est le même et qu’ils pourraient allier leurs savoirs ? L’un des trois chimistes formant actuellement l’équipe de l’UATF, Abad Albis Condori, explique que c’est « pour des raisons politiques » qu’aucun partenariat n’a été mis en place, parce que des professeurs de l’UATF « n’aiment pas le gouvernement » [35]. Depuis plusieurs années, les deux équipes travaillent donc séparément. Pourtant, entre 2007 et 2012 l’UATF a mené un projet de recherche en partenariat avec l’institut allemand de Freiberg, qui a permis de développer une nouvelle technique d’obtention du carbonate de lithium, plus efficace que celle adoptée par la GNRE, car mieux adaptée aux conditions climatiques du salar d’Uyuni. Cette technologie consiste à réaliser l’évaporation de la saumure sur des cônes, plutôt que dans des piscines comme le fait la GNRE. La qualité du lithium obtenu serait bien meilleure, et les équipes de l’UATF et de l’université de Freiberg ont même déposé des brevets, afin de valoriser cette nouvelle technologie [36]. Pourtant, « jusqu’à maintenant, la GNRE n’a pas sollicité de coopération avec le projet d’investigation boliviano-allemand », certainement à cause de « l’attitude critique de l’Université Tomás Frías envers le MAS et le gouvernement, attitude très répandue à Potosí » (Ströbele-Gregor, 2012). L’analyste Juan Carlos Zuleta confirme que si le gouvernement ne souhaite pas collaborer avec l’UATF, c’est pour des « raisons de divergences politiques [37] ».
30 Néanmoins, un dialogue s’ouvre peu à peu entre l’UATF et la GNRE, sous forme de réunions auxquelles participent également l’université supérieure de Saint-André (UMSA) de La Paz, l’université technique d’Oruro et le vice-ministère des Sciences et Techniques [38]. Cependant, là encore, une méfiance s’est installée de la part de l’UATF envers la GNRE. Cette fois-ci elle n’est plus politique, mais technique. En effet, Abad Albis Condori confie ses craintes de voir la GNRE « copier [leurs] techniques de concentration et d’obtention du lithium [39] ». Selon lui, l’utilisation des méthodes de l’UATF par la GNRE est dangereuse, car cette appropriation du savoir par le gouvernement pourrait mener à une déconsidération de l’université. Les discussions restent donc ouvertes, mais aucun accord ne sera trouvé s’il n’apporte pas de bénéfice aux deux parties.
31 Ces dissensions idéologiques et techniques mettent sur le devant de la scène les fragilités du projet imaginé par le gouvernement, car elles montrent qu’il existe des alternatives technologiques plus efficaces que les piscines d’évaporation. De plus, la réticence de la GNRE à accepter ce qui apparaît comme une erreur cache en réalité un certain nombre d’autres questions qui sont éludées par les membres du gouvernement bolivien. S’ils esquivent les thèmes sensibles, c’est qu’ils sentent que le consensus est fragile et qu’il ne vaut mieux pas agrandir des fissures déjà présentes.
2.3. Des contradictions dans la rhétorique gouvernementale
32 Si les tensions fragilisant le consensus instauré autour de l’exploitation du lithium proviennent parfois d’acteurs extérieurs au gouvernement central, comme c’est le cas avec les élus et universitaires de Potosí, elles ont également pour origine certaines contradictions internes. En effet, les pratiques du gouvernement à l’échelle locale sont parfois en décalage avec le discours véhiculé par Evo Morales sur les scènes internationale et nationale. Ainsi, si dans son discours le Président de la République bolivien affiche une sensibilité particulière à l’environnement et aux luttes indigènes, il s’avère que dans le cadre du projet lithium il y attache moins d’importance. La stratégie du gouvernement et de la GNRE consiste à éluder certaines questions et à nier certains problèmes, pour éviter d’attiser les contestations.
33 L’enquête de terrain nous a permis de remarquer que les problèmes environnementaux potentiellement engendrés par le projet lithium sont niés, afin de ne pas freiner l’avancée des travaux. Déjà en 2010, lors de la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique, qui s’est tenue en Bolivie, le sociologue Franck Poupeau remarque que « la thématique écologique semble faire l’objet d’une véritable instrumentalisation politique en Bolivie » (Poupeau, 2013). Il note la difficulté du « gouvernement bolivien à favoriser les enjeux environnementaux par rapport aux autres priorités politiques » (2013). Cette difficulté s’observe de manière particulièrement sensible dans le cas du projet d’exploitation du lithium. En effet, la priorité pour ce projet est de développer une technologie et une industrie encore inexistantes en Bolivie. Les enjeux environnementaux constituent donc une problématique secondaire, bien que le gouvernement ne le laisse pas transparaître. Dans les documents officiels, tel que le rapport annuel de la GNRE, le gouvernement bolivien assure qu’il assume avec responsabilité « son engagement pour la protection de l’environnement, en réalisant un travail permanent de prévention, d’investigation et d’étude […] avec l’objectif de gérer et minimiser les éventuelles incidences environnementales » (GNRE, 2014). Une Unité de l’environnement a même été créée au sein de la GNRE pour veiller « aux procédures et à l’application de la réglementation légale en vigueur » (GNRE, 2014). Malgré ce discours particulièrement volontariste, aucune mesure concrète ne semble avoir été prise. Pourtant, le gouvernement connaît l’importance de la problématique environnementale, et des critiques dont il pourrait faire l’objet à travers le projet d’exploitation du lithium. Dans son rapport annuel, la GNRE explique qu’il est récurrent d’entendre que le projet lithium affecte l’environnement avec les activités développées sur le salar d’Uyuni, mais elle assure que ces affirmations « ne correspondent pas à la vérité et n’ont pas le moindre appui scientifique » (GNRE, 2014). Elle ajoute que « les dénonciations d’une contamination supposée de l’environnement sur le salar d’Uyuni répondent seulement à une manœuvre médiatique et politique pour jeter le discrédit sur le gouvernement et la stratégie d’industrialisation souveraine des ressources évaporites ».
34 Les risques environnementaux liés au projet d’exploitation du lithium pensé par le gouvernement sont bien réels (contamination des sols, utilisation d’une eau rare, production de déchets toxiques, pollution visuelle, etc.), mais peu de personnes réagissent. Ce désintéressement quasi-général révèle en réalité qu’il s’agit d’un sujet très sensible. Pour Oscar Vargas Villazón, si personne ne dit rien, c’est parce que toute critique « risquerait de freiner le développement du projet » [40]. Ainsi, à l’échelle locale personne ne souhaite briser l’espoir qu’incarne le projet d’exploitation du lithium, et s’il existe des critiques, elles concernent uniquement la forme que pourrait prendre le projet et non sa réalisation même.
35 Si la question environnementale apparaît comme la principale thématique éludée par le gouvernement dans le cadre du projet d’exploitation du lithium du salar d’Uyuni, l’enquête de terrain nous a permis de constater que ce n’est pas la seule. En effet, nous avons pu identifier six autres sujets que le gouvernement bolivien contourne, qu’il évite d’aborder clairement ou sur lesquels il ne s’engage pas. Premièrement, la question des droits des communautés indigènes est sensible, car ils ne sont pas forcément respectés, malgré le discours indigéniste du gouvernement. Deuxièmement, le problème de la répartition des rentes du lithium n’est pas résolu et rien n’est fixé, faute de solution consensuelle. Troisièmement, les dirigeants boliviens n’effectuent pas de suivi des découvertes de nouveaux gisements de lithium dans le monde, pour éviter une remise en cause de l’idée selon laquelle la Bolivie détiendrait les plus grandes réserves au monde de lithium. Quatrièmement, les dirigeants boliviens ne s’informent pas non plus des évolutions technologiques en matière de batteries, pour ne pas remettre en cause le rôle prépondérant que la Bolivie pourrait jouer. Cinquièmement, la GNRE n’envisage pas publiquement la possibilité d’un accord de coopération technique avec le Chili, qui exploite pourtant son lithium depuis une trentaine d’années et demeure l’un des producteurs de lithium les plus importants au monde. Sixièmement, le gouvernement bolivien n’a pas planifié par quelles voies le lithium pourrait être exporté. Ce pays enclavé est en litige frontalier avec le Chili, il prévoit donc plutôt d’emprunter des routes allant vers le Pérou ou l’Argentine, mais sans envisager précisément lesquelles et sans évaluer leur compétitivité [41].
36 Le fait de contourner, éluder ou nier un certain nombre de questions auxquelles ils sont confrontés permet au gouvernement bolivien et aux dirigeants de la GNRE de ne pas attiser les mécontentements de la population, d’éviter les conflits et de ne pas remettre en question le consensus national dont le lithium fait l’objet. Cependant, il est évident que les fragilités du projet d’exploitation du lithium du salar d’Uyuni sont nombreuses. La pratique gouvernementale n’est pas toujours en accord avec le discours présidentiel, ce qui freine la réalisation du projet.
3. Vers la constitution d’un mythe national
3.1. Une réalité que le gouvernement cherche à dissimuler
37 Financièrement, le projet d’exploitation des saumures du salar d’Uyuni constitue la plus importante des réalisations de la COMIBOL. Pourtant, force est de constater que les résultats se font attendre. En effet, le projet lithium a été lancé en 2008, mais n’a pas encore fourni de résultats probants et accumule les retards. La première phase du projet, dont le but est de parvenir à produire du carbonate de lithium et du carbonate de potassium, n’a toujours pas été menée à bien, alors qu’elle devait s’achever fin 2011. Selon toute logique, la deuxième phase qui prévoyait de produire des quantités industrielles de ces éléments, n’a pas encore débuté. Malgré tout, la troisième phase a bien été lancée avec l’ouverture d’une usine pilote d’assemblage de batteries au lithium [42], alors même que les deux premières étapes du projet n’ont pas abouti. Si le ministre des Mines et de la Métallurgie bolivien a reconnu publiquement cet important retard (AFP, 2014), la situation reste préoccupante pour de nombreux analystes. Derrière un discours politique volontariste, la réalité est difficile à assumer pour le gouvernement central.
38 Pour le spécialiste bolivien du lithium Juan Carlos Zuleta, ce retard s’explique par un manque de stratégie, un manque de technologie et un manque de ressources humaines qualifiées à la GNRE [43]. À ces trois premiers éléments s’ajoutent également des rivalités de pouvoir, qui dès la conception du projet lithium l’ont façonné et l’ont amené à s’éloigner des universités, entraînant ainsi le manque de technologie et de ressources humaines.
39 Face à ces difficultés, les membres du gouvernement bolivien et plus particulièrement de la GNRE mettent en place une stratégie d’opacification du projet. Lors de l’enquête de terrain, les habitants d’Uyuni que nous avons rencontrés se sont montrés particulièrement mal informés au sujet du projet lithium. Ils connaissent l’existence du projet d’exploitation des ressources lithinifères du salar d’Uyuni, mais ne sont pas en mesure de dire si l’usine a été construite ou pas, s’il y a déjà une production de lithium ou non. Uyuni est pourtant la principale ville de la région du salar. Cette situation de désinformation, le candidat du MAS au poste de gouverneur du département de Potosí, Juan Carlos Cejas Ugarte [44] ne cherche pas à la nier : « c’est notre grand problème, on fait des choses sans informer la population », reconnaît-il [45]. Le politicien promet d’améliorer la situation s’il est élu. Pour autant, ce manque de communication ne concerne pas seulement la sphère politique, il touche aussi les médias. En effet, la presse locale publie peu d’actualités sur le sujet. Freddy Juárez Huarachi est rédacteur en chef de El Salar, un journal bimensuel d’Uyuni diffusant des informations locales. Il confirme que le gouvernement ne donne pas facilement d’information sur l’avancement du projet lithium, et que lorsqu’il souhaite réaliser des reportages sur l’usine pilote il n’en obtient pas l’autorisation. Pour le journaliste, « le gouvernement occulte l’information » sur le processus d’exploitation et d’industrialisation du lithium, « c’est évident » [46].
40 Juan Carlos Zuleta confirme l’existence de cette « manipulation de l’information » [47], qui permet au gouvernement de garder le contrôle de la situation. Dans le cas du projet d’exploitation du lithium, le manque d’information a pour conséquence le désintérêt de la population, qui « ne prête pas plus d’attention que cela » au projet, car elle n’est pas au courant de la réalité, résume le spécialiste du lithium [48]. Ainsi, dans cette atmosphère opaque, les habitants de la région se désintéressent peu à peu du projet d’exploitation du lithium, ce qui arrange les dirigeants de la GNRE, gênés par le retard pris par le projet. Ce désintérêt s’explique cependant par deux autres facteurs. D’un côté, le sujet de l’industrialisation du lithium est beaucoup trop technique et il est difficile pour les habitants de percevoir les erreurs commises par le gouvernement [49]. D’un autre côté, les populations de la région disposent pour l’instant d’autres ressources économiques (le marché du quinoa et le tourisme ont connu une forte expansion ces dernières années), et n’ont donc pas encore besoin du lithium pour assurer leurs revenus [50]. Cependant, d’ici quelques années, si une crise économique touche la région, les habitants pourraient s’y intéresser de nouveau, car ils avaient fondé beaucoup d’espoirs d’emploi sur le projet lithium [51]. C’est pourquoi le gouvernement maintient un fort contrôle de l’information.
41 Cette nécessité qu’a le gouvernement bolivien de rendre flou le projet lithium aux yeux de la population révèle ses difficultés à maîtriser la situation. Pour l’économiste Juan Carlos Zuleta, le projet est désormais hors de contrôle du gouvernement, car ce dernier s’est mal impliqué et a produit beaucoup de discours mais peu de résultats concrets [52]. De plus, malgré l’existence d’alternatives techniques et économiques au projet actuel mis en place par la GNRE, qui pourraient permettre de faire avancer un projet qui stagne, le gouvernement bolivien ne souhaite pas les envisager. Pourquoi ce refus ? D’abord parce que changer de voie serait admettre les erreurs commises, or « du point de vue politique, il est difficile d’admettre qu’au bout de cinq ans on est au point zéro du projet », expose Oscar Vargas Villazón [53], qui a participé au projet en 2011-2012. Mais également parce que les alternatives proposées feraient intervenir des étrangers dans le processus d’exploitation du lithium. Or, le gouvernement bolivien s’y refuse catégoriquement, il ne veut pas changer de rhétorique si brutalement. En effet, les dirigeants du pays ont construit leur discours politique et le projet lithium sur la notion de nationalisation, c’est-à-dire sur l’idée que c’est l’État bolivien qui va exploiter les ressources du pays et non pas des entreprises étrangères. Ce discours nationaliste assurant à Evo Morales et à son gouvernement un réservoir de voix, il est difficile d’en changer, sous peine d’apparaître comme un traître et de perdre le soutien politique d’une grande part de la population.
42 Le gouvernement bolivien est ainsi tiraillé entre deux exigences. D’un côté, il cherche à rester en cohérence avec le discours nationaliste, qu’il soutient sur la scène nationale et qui lui assure des votes. De l’autre, il souhaite faire avancer le projet lithium, mais pour cela il a besoin d’un appui étranger. Les dirigeants boliviens doivent à la fois satisfaire la population, qui les a élus, et les entreprises étrangères, qui souhaitent exploiter un lithium de plus en plus demandé. Ils se trouvent ainsi dans une impasse et se voient contraints de prolonger les phases expérimentales du projet, repoussant toujours plus loin le passage à la phase industrielle. Ces reports successifs au niveau national et local ont une conséquence directe à l’échelle internationale : la Bolivie pourrait passer à côté d’une opportunité. Effectivement, l’opportunité économique représentée par l’exploitation du lithium pour la Bolivie n’a de sens que dans le cadre actuel d’un marché mondial du lithium en pleine expansion. Pour valoriser ses ressources, la Bolivie doit être en accord avec la demande. Oscar Vargas Villazón estime qu’il s’agit d’une « fenêtre stratégique unique qui se présente dans l’histoire de la Bolivie » [54]. Pour ce professeur d’économie, « si dans les prochaines années la Bolivie n’entre pas dans le marché, ça va être trop tard » [55], car des technologies alternatives vont se développer en matière de batteries [56], d’autres pays vont vendre leur lithium sur le marché, une « guerre des standards » pourrait isoler les Boliviens, etc. Malgré l’inquiétude des économistes et chercheurs, le gouvernement bolivien ne donne pourtant aucun signe d’affolement.
3.2. Le projet lithium, catalyseur de la construction nationale
43 Même si le gouvernement bolivien commence à perdre prise [57] face à un projet particulièrement ambitieux auquel il a du mal à fournir les ressources nécessaires, le peuple lui apporte toujours son soutien. En effet, aucune manifestation d’ampleur n’a éclaté dans le pays ou dans la région du salar, aucun conflit ouvert ne s’est déclaré. L’absence de contestation, alors que le projet ne répond pas aux ambitions annoncées, peut s’expliquer par la forte popularité dont bénéficient Evo Morales et son gouvernement. Depuis son arrivée au pouvoir en 2005, le Président bolivien a permis d’importants changements dans le pays et dispose d’une forte reconnaissance populaire. Cela est notamment perceptible à chaque élection présidentielle : en 2005, Evo Morales obtient 53,7 % des suffrages, en 2009 plus de 63 % et en 2014, 61 %. Comme le souligne Pablo Stefanoni, journaliste et chercheur argentin en sciences sociales, le dirigeant socialiste a l’avantage d’être « en plus d’un chef d’État, un ”président symbole”, en rupture avec les plafonds et murs de verre qui excluaient la majorité des indigènes de beaucoup d’espaces de la vie sociale » (Stefanoni, 2014). Les Boliviens ont donc une grande confiance dans leur Président et malgré les dysfonctionnements et retards observés dans le cadre du projet lithium, personne ne s’oppose au gouvernement. D’ailleurs, même si les dirigeants boliviens perdaient le contrôle du projet lithium, rares seraient les acteurs en mesure de se mobiliser fortement immédiatement.
44 Finalement, le projet lithium s’enlise, mais bénéficie tout de même d’un soutien populaire. Ce soutien ne serait-il pas dû au fait que le projet s’inscrit en réalité dans une dynamique de construction nationale ?
45 Pour l’écrivain Fernando Molina, le décalage observé entre le discours du gouvernement et la réalité du terrain montre que le projet lithium « reste de l’ordre du discours, de la propagande » [58]. Ses propos sont en accord avec ceux de l’économiste Juan Carlos Zuleta, qui estime que « le gouvernement achète l’appui de la population avec des cadeaux et de grands projets » [59]. Pour ces observateurs critiques, le projet mis en place par le gouvernement forme donc une sorte de mythe, en accord avec les représentations boliviennes d’un destin national lié aux ressources naturelles. Le gouvernement bolivien n’aurait qu’un discours à proposer, car il n’a pas les moyens techniques et financiers de mener le projet à bien. Ce que tient à souligner Juan Carlos Guzmán, c’est que le gouvernement bolivien dispose avant tout d’un bon « appareil de communication » [60]. Pour lui, les dirigeants du pays savent manier le discours et la rhétorique. Et ce serait grâce à cette bonne communication qu’ils s’assureraient l’adhésion de la population pour remporter chaque nouvelle élection. Dans ce schéma, le projet lithium correspond à une posture politique qui permet de satisfaire les électeurs en mettant en avant les richesses de la Bolivie et les perspectives qu’ouvre leur exploitation. De la même manière qu’un certain nombre d’autres projets miniers régulièrement relancés dans le pays – l’exemple le plus significatif étant celui des mines de fer du Cerro Mutún.
46 Ainsi se met en place une forme de mythe autour du territoire bolivien et des ressources naturelles, s’inscrivant dans une dynamique de construction nationale. Le projet lithium est un élément, parmi d’autres, qui concrétise ce mythe et participe à la construction nationale bolivienne. En effet, depuis la naissance de la Bolivie, le processus de construction nationale est basé sur l’affirmation d’une fierté liée aux richesses du sous-sol. Or, la nation est une construction fragile, qu’il est nécessaire d’entretenir. Pour ce faire, les dirigeants boliviens relancent régulièrement de grands projets miniers qui unissent leurs concitoyens autour d’un même objet de fierté. Le projet d’exploitation du lithium du salar d’Uyuni s’inscrit dans cette dynamique, il « représente la nation » [61], comme le formule Juan Carlos Guzmán. Le projet d’exploitation du lithium a donc un rôle symbolique fort pour le gouvernement bolivien. Finalement, ce ne sont pas tant les résultats concrets qui semblent les plus importants, mais le sentiment de fierté qui doit naître dans l’esprit des Boliviens. Pour l’écrivain Fernando Molina, l’espoir dont est porteur le lithium « mobilise le nationalisme bolivien » [62] et mobilise les citoyens, car ces derniers « appliquent ce qu’ils ont appris de l’histoire du pays » [63]. L’industrialisation des ressources lithinifères par l’État fait écho aux représentations historiques que chaque Bolivien a de son pays, et valorise la Bolivie dans l’imaginaire national et sur la scène internationale. Cette dimension symbolique attachée au projet lithium explique l’absence de protestation ou de conflit important sur le sujet. Elle explique aussi que les retards accumulés par la GNRE ne fassent pas l’objet de réclamations plus importantes et plus massives. En effet, dans ce contexte à forte charge symbolique, les retards acquièrent une dimension secondaire.
47 En Bolivie, les ressources naturelles demeurent une base de la construction nationale. Et ce n’est pas tant leur exploitation que leur détention qui est importante. Dans son essai sur La Pensée bolivienne sur les ressources naturelles (2011), Fernando Molina explique que les mineurs boliviens ont une mentalité économique bien spécifique, car ils considèrent les « énormes fortunes accumulées à Potosí comme la fin et non comme le début de l’activité économique » (2011). Ainsi, le fait d’être en possession des plus grandes réserves au monde de lithium constitue en soi une richesse.
Tableau synthétique des principales personnes interviewées.
Table summary of the people interviewed
Nom | Fonction |
ALBIS CONDORI Abad | Chimiste à l’Institut d’investigations scientifique et technologique des sels et saumures (IICT-SAL) de l’UATF |
ALI Elsa | Dirigeante de la Fédération Régionale Unique des Travailleurs Paysans du Sud de l’Altiplano (FRUTCAS) |
ARTEAGA Walter | Anthropologue, chercheur au Centro de Estudios para el Desarollo Laboral y Agrario (CEDLA) |
BUSTILLOS CASTILLO José Antonio | Directeur des opérations de la GNRE |
CARLO Honorio | Responsable de la communication de la GNRE |
CEJAS UGARTE Juan Carlos | Candidat MAS-IPSP au poste de gouverneur du département de Potosí aux élections de 2015 |
CHAMBI CAYHUARA Gabino | Vice-président de la Cámara Departamental de la Quinua Real del Departamento de Potosí (CADEQUIR) |
CLAROS JIMÉNEZ Jaime | Professeur retraité de l’Université Autonome de Tomás Frías et ancien responsable-directeur UATF du « Projet Usine Pilote Li2CO3 UATF-UT Freiberg » (2007-2012) |
CONDORI MAYORGA Leonardo | Candidat du MAS-IPSP pour la municipalité de Colcha « K » aux élections de 2015 |
ESCALERA Saúl | Professeur émérite de l’Université supérieure de San Simón (à Cochabamba) et consultant en ingénierie de processus |
Esmeralda | Professionnelle du tourisme à Uyuni |
GUZMÁN SALINAS Juan Carlos | Ancien chercheur au Centro de Estudios para el Desarollo Laboral y Agrario (CEDLA) |
JUÁREZ HUARACHI Freddy | Journaliste, fondateur et rédacteur en chef du journal El Salar |
LLALLY HUATA Jhonny | Dirigeant du Comité Civique de Potosí (COMCIPO) |
MALINGREY Étienne | Attaché d’Ambassade à l’Ambassade de France en Bolivie |
MAMANI NAVARRO Hilarión | Dirigeant du Conseil National des Ayllus et Markas du Qullasuyu (CONAMAQ) |
MARTÍNEZ Raúl | Employé de la GNRE, à Llipi Llipi |
MENDOZA HUAYLLA Patricio Vito | Ancien délégué du « Plan de Desarollo del Instrumento politico » et candidat du MAS-IPSP à la mairie d’Uyuni aux élections de 2015 |
MOLINA Fernando | Écrivain et journaliste, auteur de l’essai El pensamiento boliviano sobre los recursos naturales (2011) |
RAMOS ALANOCA Eduardo | Directeur général de l’Association Nationale des Producteurs de Quinoa (ANAPQUI) |
SOTO QUISPE Icler | Directeur général de l’Association intercommunale de la Grande Terre des Lípez |
VARGAS VILLAZÓN Oscar | Professeur d’économie à l’Universidad católica de Bolivia (UCB) et directeur technique pour l’Agence Nationale des Hydrocarbures (ANH), chargé du projet financier de la première équipe ayant travaillé sur le projet lithium |
Vidal | Membre de la fondation Proinpa, à Uyuni. |
ZULETA CALDERÓN Juan Carlos | Économiste spécialiste du lithium, consultant indépendant. |
Conclusion
48 En définitive, le projet d’exploitation du lithium du salar d’Uyuni ne constitue pas une source de conflit, malgré les tensions et fragilités qui existent. Il s’agit davantage d’un point de ralliement, grâce auquel Evo Morales inscrit son gouvernement dans une dynamique de construction nationale. Un consensus s’est formé à l’échelle nationale, basé sur des représentations territoriales et une mémoire collective, qui fait du projet lithium un objet de fierté et d’espoirs. Malgré tout, ce consensus reste fragile, pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que le projet est mené par des hommes politiques plutôt que des scientifiques, ce qui implique des difficultés techniques et des erreurs de réalisation. Ensuite, parce que la ville de Potosí est en désaccord avec le pouvoir central, à la fois sur le plan politique et sur le plan universitaire, ce qui freine le projet. Enfin, à cause des contradictions internes au gouvernement, dont le discours est en décalage avec les actions concrètes sur le terrain. Toutes ces fragilités causent un important retard dans la réalisation du projet, mais les reports successifs de son aboutissement n’amènent pas les populations à se mobiliser. Chacun semble s’en accommoder, notamment parce qu’actuellement la Bolivie connaît une situation économique confortable et que les habitants de la région du salar d’Uyuni profitent de l’expansion du marché du quinoa et du tourisme. Les importantes dépenses réalisées pour le projet lithium ne pèsent donc pour l’instant pas sur le quotidien des Boliviens. D’autant que pour les communautés du département de Potosí, ce projet « donne une unité » [64] et permet aux municipalités de se fédérer, comme l’affirme un élu local.
49 Ainsi, les Boliviens ont fait de la richesse de leur sous-sol un maillon de la construction nationale. Cependant, ils se trouvent dans une situation de non-durabilité évidente, qu’il va nécessairement falloir faire évoluer. Le projet lithium n’en est qu’à ses débuts. En octobre 2014, Evo Morales a été réélu pour un mandat de cinq ans à la présidence de la République, et poursuivra certainement la lente mise en place du projet. En 2020, l’évolution de la situation économique de la Bolivie et l’élection d’un nouveau Président de la République [65] pourraient provoquer un tournant dans la réalisation du projet d’exploitation des réserves lithinifères du salar d’Uyuni.
Bibliographie
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- Perrier Bruslé, L. (2015), « Géopolitique de la régulation des ressources naturelles en Bolivie. Le retour de l’État face aux nouveaux acteurs de la gouvernance environnementale », Ressources mondialisées. Essai de géographie politique, Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne, p. 251-280.
- Poupeau, F. (2013), « La Bolivie entre Pachamama et modèle extractiviste », Ecologie & politique, 2013/1 n° 46, p. 109-119.
- Recondo, D. (2012), « La décentralisation participative en Bolivie : généalogie d’une greffe institutionnelle », La fabrique de la démocratie. ONG, fondations, think tanks et organisations internationales en action, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, p. 145-167.
- Risacher, F., Ballivián, O. (1981), Les bassins à évaporites de l’Altiplano bolivien (les salars). Méthodes d’étude et évaluation économique, Paris, ORSTOM.
- Stefanoni, P. (2014), « ¿Por qué sigue ganando Evo Morales ? », Rebelión [en ligne].
- Ströbele-Gregor, J. (2012), « Litio en Bolivia. El plan gubernamental de producción e industrialización del litio, escenarios de conflictos sociales y ecológicos, y dimensiones de desigualdad social », desiguALdades.net Working Paper Series, n° 14, 99 p.
- U.S. Geological Survey (2015), Mineral Commodity Summaries.
- Zuleta Calderón, J. C. (2014), « Litio : Los “avances graduales” de la GNRE », BolPress [en ligne].
Notes
-
[1]
L’expression est reprise par un grand nombre de médias internationaux.
-
[2]
L’idée d’un « pillage » des ressources naturelles de la Bolivie par les étrangers fait partie d’un discours très présent en Bolivie, mais il s’agit d’une représentation.
-
[3]
Tableau synthétique des personnes interviewées en fin d’article.
-
[4]
Le forage le plus important, réalisé en 2004 par une équipe de la Duke University, a atteint 220 mètres de profondeur.
-
[5]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (25 février 2015, La Paz).
-
[6]
L’importance des ressources en lithium du salar d’Uyuni est notamment mise en avant dans les rapports annuels publiés par la GNRE – COMIBOL.
-
[7]
Le Chili est actuellement le plus important producteur mondial de lithium.
-
[8]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
-
[9]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Guzmán (6 février 2015, La Paz).
-
[10]
Entretien réalisé avec José Antonio Bustillos Castillo (25 février 2015, La Paz).
-
[11]
Le Cerro Rico est un mont qui surplombe la ville de Potosí et dont le nom signifie « colline riche ». Il a en effet été exploité pour les nombreuses richesses naturelles qu’il contenait (notamment l’argent).
-
[12]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (25 février 2015, La Paz).
-
[13]
Entretien réalisé avec Fernando Molina (26 février 2015, La Paz).
-
[14]
Idem.
-
[15]
Idem.
-
[16]
Idem.
-
[17]
Potosí est le nom d’un département, mais aussi d’une ville, capitale de ce département.
-
[18]
Entretien réalisé avec Fernando Molina (26 février 2015, La Paz).
-
[19]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Guzmán (6 février 2015, La Paz).
-
[20]
Idem.
-
[21]
Entretien réalisé avec Fernando Molina (26 février 2015, La Paz).
-
[22]
Decreto Supremo Nº 29117, approuvé le 1er mai 2007.
-
[23]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Guzmán (6 février 2015, La Paz).
-
[24]
Entretien réalisé avec Leonardo Condori Mayorga (11 février 2015, Uyuni).
-
[25]
Entretien réalisé avec Honorio Carlo (6 février 2015, La Paz).
-
[26]
Idem.
-
[27]
La régulation environnementale est entendue par Laetitia Perrier Bruslé comme « l’imposition d’un ensemble de règles établies par un acteur politique, économique ou social afin d’organiser les conditions économiques de l’exploitation et de la distribution des ressources naturelles » (Perrier Bruslé, 2015).
-
[28]
Propos d’Alberto Echazú, directeur national de la GNRE, recueillis par Cecilia Mendoza (2011).
-
[29]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (16 mars 2015, La Paz).
-
[30]
Idem.
-
[31]
(2014), « Arranca la etapa de producción de baterías de litio en La Palca », El Potosí, [En ligne].
-
[32]
Entretien réalisé avec Jhonny Llally Huata (20 février 2015, Potosí).
-
[33]
L’Alliance Sociale (Alianza Social en espagnol) a été fondée en 2004 par René Joaquino, actuel maire de Potosí (non reconduit lors des élections de mars 2015, car battu par le candidat du MAS).
-
[34]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (25 février 2015, La Paz).
-
[35]
Entretien réalisé avec Abad Albis Condori (19 février 2015, Potosí).
-
[36]
Les deux brevets déposés sont détenus à 50 % par l’UATF et à 50 % par l’université de Freiberg.
-
[37]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
-
[38]
Entretien réalisé avec Abad Albis Condori (19 février 2015, Potosí).
-
[39]
Idem.
-
[40]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (25 février 2015, La Paz).
-
[41]
Entretien réalisé avec José Antonio Bustillos Castillo (25 février 2015, La Paz).
-
[42]
Cette usine pilote, inaugurée en février 2014 à La Palca (département de Potosí), a été achetée « clé en main » par le gouvernement bolivien à l’entreprise chinoise Lin Yi. Elle assemble des batteries de téléphones portables et de bicyclettes, à partir de produits importés de Chine. Des employés de la GNRE y travaillent.
-
[43]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
-
[44]
Depuis notre enquête de terrain, Juan Carlos Cejas Ugarte a été élu aux élections de mars 2015, il est donc actuellement gouverneur du département de Potosí.
-
[45]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Cejas Ugarte (20 février 2015, Potosí).
-
[46]
Entretien réalisé avec Freddy Juárez Huarachi (14 février 2015, Uyuni).
-
[47]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
-
[48]
Idem.
-
[49]
Idem.
-
[50]
Entretien réalisé avec Patricio Vito Mendoza Huaylla (14 février 2015, Uyuni). Il explique qu'« il y a d’autres milieux où travailler […] donc les gens ne se focalisent pas sur le lithium ».
-
[51]
Entretien réalisé avec Patricio Vito Mendoza Huaylla (14 février 2015, Uyuni).
-
[52]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
-
[53]
Entretien réalisé avec Oscar Vargas Villazón (25 février 2015, La Paz).
-
[54]
Idem.
-
[55]
Idem.
-
[56]
Notamment les piles à hydrogène.
-
[57]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
-
[58]
Entretien réalisé avec Fernando Molina (26 février 2015, La Paz).
-
[59]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Zuleta (27 février 2015, La Paz).
-
[60]
Entretien réalisé avec Juan Carlos Guzmán Salinas (6 février 2015, La Paz).
-
[61]
Idem.
-
[62]
Entretien réalisé avec Fernando Molina (26 février 2015, La Paz).
-
[63]
Idem.
-
[64]
Entretien réalisé avec Leonardo Condori Mayorga (11 février 2015, Uyuni).
-
[65]
D’après la Constitution bolivienne, Evo Morales ne pourra pas être réélu en 2020.