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Article de revue

Les premiers tours du monde à forfait. L'exemple de la Société des voyages d'études autour du monde (1878)

Pages 347 à 366

Notes

  • [1]
    Cet article a été réalisé dans le cadre du projet de recherche Images exotiques du monde. Les photographies d’Alfred Bertrand et Fred Boissonnas : regards genevois sur l’Ailleurs dirigé par le prof. Jean-François Staszak du département de géographie et environnement de l’université de Genève et financé par le Fonds National Suisse de la Recherche (FNS).
  • [2]
    Une première version de cet article a été présentée au colloque Tourism Imaginaries à l’université de Californie (Berkeley) le 20 février 2011.
  • [3]
    Par exemple : www.routard.com/guide_dossier/id_dp/30/faire_le_tour_du_monde.htm.
  • [4]
    Un voyage à forfait est un voyage organisé par un intermédiaire dont le prix couvre plusieurs types de dépenses, comme le transport ou l’hébergement (Buhalis in Jafari, 2000, p. 423-424).
  • [5]
    Les premières expositions universelles se tiennent à Londres en 1851 et à New York en 1853, alors que les premières expositions coloniales sont organisées en 1866 à Melbourne et en 1870 à Sydney.
  • [6]
    On peut citer le Canal de Suez achevé en 1869, la ligne de chemin de fer reliant les côtes Est et Ouest des États-Unis terminée en 1869, celle reliant Bombay à Calcutta achevée en 1870, la pose en 1866 du premier câble télégraphique transatlantique, etc.
  • [7]
    Comme le démontre Christian Grataloup, « le Monde n’a pas toujours existé » (2007, p. 7). Il faut en effet « attendre les “Grandes Découvertes” pour que l’ensemble des hommes entrent progressivement en interaction » (2007, p. 9). Ce processus qui s’étale sur des siècles crée « un être géographique nouveau [qui] mérite un nom propre, et donc une majuscule : le Monde » (2007, p. 8).
  • [8]
    18 lettres seront publiées dans : The Times, Leicester Papers, The Freeman, General Baptist Missionary Observer, et Temperance Record.
  • [9]
    L’agence Stangen lance son premier tour du monde en 1878 (Brendon, 1991, p. 150), l’Ocean Steam Yachting Company en 1881 (The Times, 19/09/1881, p. 8), et James O. Woodruff lance son projet, qui ne se fera finalement pas, en 1877 (The New York Times, 14/01/1877).
  • [10]
    La brochure de présentation de la SVEAM comprend des extraits d’articles parus dans 32 journaux et revues, auxquels il convient d’ajouter le Journal de Genève.
  • [11]
    La Société de géographie de Paris, la Royal Geographical Society (Londres), la Société de géographie commerciale de Paris, la Société météorologique de France, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale et la Société d’acclimatation (SVEAM, 1877, p. 1).
  • [12]
    Georges Biard est aussi connu sous le nom de Georges Biard d’Aunet (Barko, 2007, p. 102).
  • [13]
    Vice-consul puis consul à Algésiras, Aden, Bizerte, Swansea, Saint-Pétersbourg, et Alexandrie entre 1879 et 1892, il sera ensuite consul général à Sydney entre 1893 et 1905 (Barko, 2007, p. 108).
  • [14]
    Il publie plusieurs articles et ouvrages sur l’Australie et la diplomatie française, tantôt sous le nom de Biard d’Aunet, tantôt sous celui de Zéphyrin Marcas (Barko, 2007, p. 100).
  • [15]
    Ces photographies et objets constituent une part de la collection Bertrand (environ 1 700 photographies et 2 400 objets) appartenant aujourd’hui au Musée d’Ethnographie de Genève et au Muséum d’histoire naturelle de Genève.
  • [16]
    Dans le Bulletin de la Société de géographie commerciale de Paris, George Beauvisage n’hésite pas à présenter Lemay comme « le type le plus parfait du special Correspondent » (1878, p. 199) et d’ajouter que « si nous avions un New York Herald, il en serait le Stanley » (1878, p. 199).
  • [17]
    http://www.letempsarchives.ch
  • [18]
    Les cabines libres étaient louées à des passagers de circonstance, comme cet ingénieur américain rentrant aux États-Unis avec sa famille embarqué à Coquimbo au large de Valparaiso (Collot, 1882, p. 72).
  • [19]
    Rémy Knafou parle d’invention touristique d’un lieu, puisqu’il « y a mise en évidence de ce qui n’existait pas auparavant, à savoir la vision et l’utilisation touristique d’un lieu qui va jusqu’à bouleverser l’idée que se faisaient du lieu ses propres habitants » (1991, p. 15).
  • [20]
    Edward Dorr Griffin Prime (1814-1891), journaliste et pasteur américain, part pour un tour du monde le 1er août 1869. À son retour, il publie Around the World : Sketches of Travel through Many Lands and Over Many Seas. La famille Brassey s’embarque sur le Sunbeam pour un tour du monde le 6 juillet 1876. C’est Anna Brassey (1839-1887), écrivaine anglaise, qui en fait un récit, A Voyage in the Sunbeam, qui sort en 1879. Andrew Carnegie (1835-1919), industriel américain, part pour un tour du monde le 12 octobre 1878. Il publie Round the World en 1884. Hugues Krafft (1853-1935), photographe français, part pour un tour du monde le 31 octobre 1881 en compagnie de son frère et de deux amis. À son retour, il publie Souvenirs de notre tour du monde.
  • [21]
    Par exemple, dans le cas de la SVEAM, on constate à de nombreuses reprises une importante différence entre l’itinéraire officiel et ceux annoncés par les journaux.
  • [22]
    Le Cap-Vert n’est qu’une escale de quelques heures pour la famille Brassey et de deux jours pour la SVEAM.
  • [23]
    Les dates des escales sont tirées du livre de Gaston Lemay (1881).
  • [24]
    Le contrat signé entre la Compagnie Fraissinet et la SVEAM prévoyait le payement d’un loyer de 23 000 francs par mois (Biard et De Chabannes, 1879, p. 5). Comme indiqué plus haut, la SVEAM avait prévu de s’acquitter de cette somme mensuelle grâce notamment au transport de marchandises. Pour des raisons inconnues, la compagnie Fraissinet entrava ces rentrées financières en discréditant la SVEAM dans les différents ports visités. Elle fit publier des annonces dans les journaux des différentes villes stipulant que toutes transactions avec la SVEAM devaient recevoir son aval (Biard et De Chabannes, 1879, p. 7). Ces annonces auraient selon Biard et De Chabannes fait échouer toutes leurs initiatives. Face à ce manque de liquidités, la SVEAM ne put payer le troisième loyer. La Compagnie Fraissinet demanda alors l’arrêt du bateau.
  • [25]
    Cette liste provient de l’ouvrage de Gaston Lemay (1881). C’est donc ce dernier qui choisit de présenter les Alsaciens à part.
  • [26]
    Pour Humboldt, « après les admirables perfectionnements apportés par Prévost et Daguerre à la peinture circulaire de Barker [l’inventeur du panorama], on peut presque se dispenser de voyager à travers les climats lointains » (cité par Besse, 2003, p. 204).
  • [27]
    France, Italie, Allemagne, Suisse, et Pays-Bas (Towner, 1985, p. 301).
  • [28]
    On ne sait toutefois pas jusqu’à quand l’entreprise continua à organiser ce type de voyages. Les archives du Times permettent de retrouver la trace d’un tour du monde à forfait en 1922 (06/07/1922, p. 7) et d’un autre en avion en 1939 (28/07/1939, p. 12). Par ailleurs, l’entreprise organisa en 1991 un tour du monde pour commémorer le 150e anniversaire du premier voyage à forfait organisé par Cook (http://www.thomascook.com/about-us/thomas-cook-history/key-dates/).

1Le 6 septembre 1522, les dix-huit rescapés de l’expédition commandée par Magellan (décédé au cours du voyage) débarquent à Sanlúcar de Barrameda (Espagne). Antonio Pigafetta, responsable du journal de bord de l’expédition, peut alors écrire : « Depuis le temps que nous étions partis de cette baie jusqu’au jour présent, nous avions fait quatorze mille quatre cent soixante lieues et accompli le cercle du monde du levant au ponant » (1999, p. 181). L’événement relaté par Pigafetta est historique : pour la première fois des hommes ont fait le tour du monde.

2 Les successeurs de Magellan sont nombreux : Francis Drake (1577-1580), William Dampier (1673-1691 et 1699-1701), Louis Antoine de Bougainville (1766-1769), James Cook (1768-1771, 1772-1775, 1776-1780), le compte de La Pérouse (1785-1788), etc. Les périples de ces explorateurs vont contribuer à construire une fascination pour le voyage autour du monde, qui culmine avec la publication en 1873 du roman de Jules Vernes Le Tour du monde en quatre-vingts jours.

3 Aujourd’hui, le voyage autour du monde est devenu un phénomène touristique important. Par exemple, sur les 460 000 backpackers étrangers ayant visité l’Australie en 2004, environ 200 000 faisaient un tour du monde (Vacher, 2010, p. 117-118). D’autres exemples témoignent de l’importance du phénomène, comme l’existence de pages web [3], de guides (Lansky, 2003) et de brochures touristiques (STA Travel, 2010) consacrés à ce type de voyage, ou la possibilité d’acheter auprès d’alliances de compagnies aériennes, comme SkyTeam, Star Alliance ou Oneworld, des billets tour du monde. Pourtant, le voyage autour du monde reste une pratique touristique très peu étudiée.

4 Face à ce constat, cet article propose d’étudier l’invention touristique du voyage autour du monde. En effet, pendant plus de trois cents ans, faire le tour du monde demeure une entreprise coûteuse et périlleuse. Les hommes qui se risquent à une circumnavigation font alors partie d’expéditions dont le financement nécessite des moyens colossaux. Mais, dans la seconde moitié du XIXe siècle, grâce au développement du bateau à vapeur et du chemin de fer, le voyage autour du monde devient envisageable pour les particuliers. Les premiers tours du monde d’agrément sont alors réalisés. Dès 1872, des agences organisent même des tours du monde à forfait [4]. Cette dernière innovation témoigne de l’entrée du voyage autour du monde dans l’industrie touristique naissante.

5 Cet article porte sur ces premiers tours du monde à forfait, et principalement sur celui organisé en 1878 par la Société des voyages d’études autour du monde (SVEAM). Le but est de comprendre qui souhaitaient et pouvaient faire le tour du monde à cette époque, quelles étaient les motivations de ces voyageurs, quels itinéraires ils suivaient et à quelles activités ils s’adonnaient aux différentes escales. Pour ce faire, cet article se base sur des archives méconnues. Tout d’abord, les documents officiels produits par la SVEAM : la brochure de présentation parue en 1877 (SVEAM, 1877) et le rapport final rédigé pour les membres de la société publié en 1879 (Biard et Chabannes, 1879). Ensuite, 25 articles et 5 publicités parus dans des journaux et des revues savantes entre 1876 et 1883. Enfin, les comptes rendus publiés par trois des participants au voyage : Alfred Bertrand, Louis Collot et Gaston Lemay.

6 Comme évoqué précédemment, le voyage autour du monde demeure une pratique touristique très peu étudiée, et particulièrement dans une perspective historique. Jusqu’ici les quelques auteurs ayant étudié ce type particulier de voyage se sont presque exclusivement focalisés sur la période contemporaine (McCalla et Charlier, 2006 ; Molz, 2010 ; Vacher, 2010). Cet article propose ainsi un nouvel éclairage sur le voyage autour du monde, un éclairage dont la portée dépasse sans doute le cadre de l’histoire du tourisme. En effet, les premiers tours du monde touristiques, tout comme les expositions universelles et coloniales [5], ou l’achèvement de nouvelles voies de transport et de communication [6], font sans doute partie des événements qui dans la seconde moitié du XIXe siècle participent à l’émergence du Monde [7] (Arrault, 2007).

1 Le premier tour du monde à forfait

7 En 1841, l’homme d’affaire britannique Thomas Cook invente le voyage à forfait en Angleterre. Dès 1846, il développe son offre en organisant des voyages en Écosse, en Europe continentale dès 1855, en Amérique du Nord dès 1865 et en Égypte dès 1866 (Brendon, 1991 ; Smith, 2002). Puis, en 1872, il inaugure le premier tour du monde à forfait. Bien qu’il rêvât depuis longtemps d’organiser un tel voyage, il ne considéra son rêve possible qu’en 1869, l’année où sont achevés le canal de Suez et la ligne ferroviaire reliant les côtes Est et Ouest des États-Unis (Smith, 2002, p. VII).

8 Ce premier voyage commence le 26 septembre 1872, lorsque Cook et son groupe de touristes (huit au départ, dix à partir de San Francisco) quittent Liverpool pour un voyage de 222 jours (Brendon, 1991, p. 142-144) qui les amènera à visiter les États-Unis, le Japon, la Chine, Singapour, Penang, Ceylan, l’Inde, Aden, l’Égypte et Constantinople. La dernière lettre de Cook publiée ayant été écrite à Constantinople le 17 avril 1873 (Cook, 2002, p. 48-51), la fin de l’itinéraire reste peu claire.

9 Ce premier tour du monde fut pour Cook un voyage de repérage. Il écrit en effet alors qu’il quitte l’Inde : « I now feel that the special work for which I entered upon this round-the-world tour is accomplished. I have learnt the way to circumnavigate the globe ; have seen what time is required and the best season for making the tour ; what detours may be made to the best advantage ; what are the respective denominations and the proportionate values of moneys of all the states and countries visited » (Cook, 2002, p. 67). Ainsi, dès 1873, Cook organise un tour du monde annuel.

10 L’expérience de Cook aura un écho retentissant. En effet, Cook adresse tout au long de son voyage des lettres à cinq journaux [8]. À son retour, il rassemble ces différentes lettres dans un ouvrage intitulé Letters from the Sea and from Foreign Lands : Descriptive of a Tour Round the World (1873). L’écho médiatique de cette expérience fut tel que selon Marguerite Allotte de la Fuÿe, première biographe de Jules Verne, ce dernier aurait eu l’idée de son Tour du monde en quatre-vingts jours, publié en 1873, suite au voyage de Cook (Brendon, 1991, p. 150). Mais Cook n’influencera pas que les romanciers. En effet, dès 1876, des tours du monde à forfait sont lancés dans différents pays : l’agence Stangen en Allemagne, Ocean Steam Yachting Company en Angleterre, James O. Woodruff aux États-Unis, et la SVEAM en France [9].

2 La Société des voyages d’études autour du monde

11 Fondée à Paris en 1876, la SVEAM se donne pour objectif d’organiser chaque année un voyage d’instruction autour du monde afin d’offrir aux « jeunes gens de bonne famille, ayant terminé leurs études classiques, un complément d’instruction supérieure qui étende leurs connaissances dans une voie pratique et leur donne des notions exactes sur la situation générale des principaux pays du monde » (SVEAM, 1877, p. 7).

12 Sitôt lancé le projet de la SVEAM rencontre un écho large et favorable dans la presse. En 1876-1877, on dénombre ainsi des articles consacrés à la SVEAM et son projet dans au moins 33 journaux et revues (SVEAM, 1877, p. 39-50) [10]. Ce succès s’explique notamment par la légitimité indiscutable dont dispose la SVEAM. Elle est en effet approuvée par plusieurs institutions d’importance [11] et compte 22 fondateurs, parmi lesquels quelques grands noms comme Ferdinand de Lesseps (constructeur du Canal de Suez), l’ingénieur Henri Dupuy de Lôme (sénateur de 1877 à 1885), le diplomate Édouard Drouyn de Lhuys (ministre des affaires étrangères à quatre reprises, entre 1848 et 1866), l’économiste Hippolyte Passy (ministre des finances 1848-1849), le vice-amiral Camille Clément de La Roncière, le géographe Pierre Émile Levasseur (professeur au Collège de France de 1871 à 1911) et l’ingénieur Alexandre Lavalley (sénateur de 1885 à 1892). En plus des membres fondateurs, Albert Geoffroy-Saint-Hilaire (directeur du Jardin d’Acclimatation), Jean Louis Armand de Quatrefages (zoologue) ou Henri Morton Stanley (explorateur britannique) témoignent de leur intérêt pour le projet en assistant au dîner d’adieu offert aux participants le 14 juillet 1878 à l’Hôtel Continental de Paris (Hertz, 1878, p. 227).

13 Mais le personnage clé de la SVEAM semble être le lieutenant de vaisseau Georges Biard [12] (1844-1934), qui se fait connaître par la suite grâce à sa carrière consulaire [13] et à ses écrits [14]. C’est en effet Biard qui présente le projet à la Société de géographie de Paris en octobre 1875 (Gros, 1879, p. 343), puis lors du Congrès du Havre organisé par l’Association française pour l’avancement des sciences en août 1877 (Biard, 1877), et c’est le même Biard qui prend le commandement du bateau de la SVEAM pour le voyage.

14 Pour étudier le projet de la SVEAM, cet article se base donc sur des archives méconnues, dont les écrits de trois participants. Ces derniers ayant pris part au voyage avec des statuts différents, le corpus constitué par leurs écrits présente trois regards complémentaires sur le voyage.

15 Alfred Bertrand (1856-1924), jeune rentier genevois, participe au voyage de la SVEAM en tant que passager. Il évoque ce voyage dans deux conférences qu’il donne à la Société de géographie de Genève le 25 novembre 1887 et le 6 janvier 1893. Ces conférences, la première consacrée au passage du détroit de Magellan et la seconde consacrée à la Chine, sont ensuite publiées dans le Globe (Bertrand, 1888 et 1893), la revue de la Société de géographie de Genève. Il évoque également ce voyage dans son journal intime, dont des extraits sont publiés par sa veuve en 1925 (Bertrand, 1925). Enfin, il achète au cours de ce voyage 651 photographies retraçant les différentes étapes du voyage qu’il rassemble dans sept albums et collecte un nombre non identifié d’objets (objets ethnographiques et naturalia) [15].

16 Louis Collot (1846-1915), docteur ès-Sciences à l’Université de Montpellier, est engagé par la SVEAM en tant que professeur d’histoire naturelle et botanique. Il publie en 1881 et 1882 deux articles dans le Bulletin de la Société languedocienne de géographie intitulés « Notes d’un naturaliste à bord de la Junon » et « Notes d’un naturaliste à bord de la Junon (suite et fin) ».

17 Enfin, Gaston Lemay (1843-1933), journaliste réputé [16] grâce à ses reportages en Serbie, en Arménie et jusqu’à Ghadamès (actuelle Lybie) en compagnie de l’explorateur Victor Largeau (Beauvisage, 1878, p. 199), participe au voyage de la SVEAM en qualité de correspondant pour le journal Le Temps, dans lequel il publie des articles tout au long du voyage. Au retour, il reprend ses différents articles et en tire un récit qui sort en 1881 sous le titre A bord de la Junon. Ce récit est également publié sous forme de feuilleton (26 épisodes) dans le Journal des voyages entre novembre 1882 et mai 1883.

3 Le projet de la SVEAM

18 Le projet de la SVEAM est officiellement lancé par la publication en 1877 d’une brochure de 50 pages intitulée Le tour du monde en 320 jours comprenant six mois d’excursions dans les contrées les plus intéressantes du Globe. Cette brochure, envoyée à toutes personnes intéressées pour la somme de 50 centimes, est structurée en quatre parties : l’organisation générale du voyage (durée, itinéraire, excursions, etc.), l’organisation matérielle (confort, service, personnels, etc.), l’organisation morale (conférences, professeurs, bibliothèque, etc.), et les conditions du passage (prix, mode de payement, etc.). La brochure comprend également une introduction, présentant les buts de la SVEAM, ses fondateurs, et les membres du conseil d’administration et du comité des études scientifiques, économiques et commerciales, ainsi qu’une compilation d’extraits d’articles consacrés à la SVEAM en conclusion. La SVEAM accompagne cette publication d’une campagne publicitaire. Bien qu’il soit difficile d’en estimer l’importance, on peut néanmoins s’en faire une idée grâce aux archives en ligne du Journal de Genève[17]. En effet, entre avril 1877 et mai 1878 cinq publicités pour le projet de la SVEAM paraissent dans ce quotidien. Les participants provenant de huit pays différents, on peut faire l’hypothèse que cette campagne publicitaire fut menée à l’échelle internationale.

4 Voyage d’instruction

19 Par rapport aux voyages autour du monde organisés par Cook, le projet de la SVEAM apporte une innovation. La SVEAM propose en effet non seulement un voyage à forfait autour du monde à la manière de Cook, mais également un voyage d’instruction. En ce sens, la SVEAM compile le concept de Cook avec l’idée de voyage d’instruction développée au moins depuis le XVIe siècle avec la pratique du Grand Tour (Towner in Jafari, 2000, p. 259). La paternité de cette innovation est également revendiquée par un homme d’affaire américain, James O. Woodruff, qui élabore un projet comparable plus ou moins en même temps : « The Woodruff Scientific Expedition Around The World ». Ce projet, lancé en 1876, correspond dans les grandes lignes au projet français, à l’exception de son envergure : Woodruff voit beaucoup plus grand que la SVEAM. Il compte en effet fonder une véritable université sur mer pouvant accueillir entre 200 et 250 étudiants encadrés par une dizaine de professeurs. Le New York Times décrit ainsi le projet comme « A university at sea » (14/01/1877). Pour mettre son projet à exécution, Woodruff publie en 1878 une brochure de présentation du projet (44 pages) intitulée « The Woodruff Scientific Expedition Around The World ». Woodruff ayant sans doute vu trop grand, son projet est d’abord repoussé (The New York Times, 22/10/1877) avant d’être abandonné (The New York Times, 09/05/1879).

20 Le projet éducatif de la SVEAM se décline en trois volets : des conférences, une bibliothèque sur le bateau, et des excursions. Pour le premier volet, la SVEAM compte engager trois professeurs, le premier de science économique, le second de sciences naturelles et le troisième de sciences physiques et de climatologie (ils ne seront finalement que deux), afin de donner « à bord du navire, pendant les traversées, des entretiens sur les matières qui font l’objet de leur spécialité [...]. Ces conférences constitueront une sorte de cours pratique, qui sera d’autant plus intéressant et d’autant plus suivi que chacune d’entre elles prendra pour sujet la contrée vers laquelle le navire fait route, et la fera connaître par avance sous tous ses aspects » (SVEAM, 1877, p. 23). Il semble que ces conférences aient eu l’effet escompté, puisque dans son livre Gaston Lemay évoque le contexte politique au Brésil en se référant à l’une de ces conférences : « Le Brésil est entouré de républiques, encore turbulentes, mais cependant prospères, et, pour employer une expression très juste de M. Humbert [le professeur de science économique], dans une de ses dernières conférences à bord, il est comme un îlot monarchique battu de tous côtés par le flot révolutionnaire » (1881, p. 126).

21 Le deuxième volet est donc constitué par la bibliothèque du bateau. Celle-ci « se composera, de préférence, de livres récents permettant l’étude de ces contrées, non seulement au point de vue descriptif, mais aussi au point de vue scientifique, commercial et industriel » (SVEAM, 1877, p. 22). De plus, le bâtiment sera abonné aux « journaux et recueils périodiques français et anglais les plus répandus. À son arrivée en chaque point de relâche, il recevra les journaux de la localité » (SVEAM, 1877, p. 22). La bibliothèque sera également complétée par du matériel d’instruction comme « une collection des produits les plus intéressants des divers pays du monde, et plus particulièrement de ceux qui sont ou peuvent être utilisés par l’industrie ; des atlas géographiques, des cartes marines [qui] permettront de reconnaître les dispositions de chaque pays et de suivre exactement la marche du navire » (SVEAM, 1877, p. 22-23). Gaston Lemay témoigne de l’intérêt des participants pour la bibliothèque. Il relate par exemple que durant le trajet entre Rio et Montevideo, chaque participant « compulse la bibliothèque de bord pour compléter ses renseignements sur le Brésil et préparer des excursions dans l’Uruguay et la république Argentine » (Lemay, 1881, p. 150).

22 Enfin, les excursions constituent le troisième volet du projet éducatif de la SVEAM. La Société distingue les petites et les grandes excursions. Les grandes excursions sont organisées par la SVEAM. Elles consistent en la traversée d’un pays ou d’une région sur plusieurs jours. Le projet prévoit le débarquement des passagers au point de départ de l’excursion avant leur rembarquement au terminus de l’excursion. Quatre grandes excursions sont ainsi proposées par la SVEAM : de Buenos Aires à Valparaiso en 27 jours, de Panama à San Francisco en 29 jours, de Calcutta à Bombay en 29 jours et de Suez à Alexandrie par Le Caire en 11 jours (SVEAM, 1877, p. 15-18). Les petites excursions quant à elles consistent en la visite d’une région à partir du point de relâche du navire, comme Santiago depuis Valparaiso, Lima depuis Callao, ou Kyoto depuis Osaka. Celles-ci « ne peuvent être organisées que sur l’initiative des voyageurs eux-mêmes » (SVEAM, 1877, p. 26). La SVEAM prévoit toutefois d’intervenir « pour faciliter aux voyageurs l’exécution de leurs projets. En plus des renseignements qu’elle mettra à la disposition des excursionnistes, elle fera les démarches nécessaires pour obtenir certaines permissions, certaines faveurs spéciales » (SVEAM, 1877, p. 26). Afin de préparer les différentes excursions, « des plans particuliers, des albums de vue prises dans les pays visités, aideront les voyageurs dans le choix des excursions qu’ils se proposent de faire en chaque lieu, et dans la manière de les exécuter » (SVEAM, 1877, p. 23).

5 Itinéraire

23 L’itinéraire planifié par la SVEAM (figure 1) est une boucle autour du monde comprenant 33 escales avec Marseille pour point de départ et d’arrivée (SVEAM, 1877, p. 12-13).

24 Si on ne dispose pas d’information sur les critères de sélection des escales, trois hypothèses logistiques (non exhaustives) sont tout de même possibles. Ainsi, on peut imaginer que les escales ont d’abord été choisies en fonction de l’importance des villes et de leur port. En effet, l’une des tâches importantes de l’équipage lors des escales était de se procurer du ravitaillement (charbon et nourriture). Il fallait ainsi s’arrêter dans des ports bien desservis. D’autant que la SVEAM avait également projeté de financer une partie de l’expédition en utilisant les cales de son bateau pour du transport de marchandises. Le budget prévoyait ainsi 370 000 francs payés par les voyageurs et 570 000 payés par le fret et le transport de personnes [18] (Biard et Chabannes, 1879, p. 25). Une deuxième hypothèse pourrait être l’existence de réseaux de transport au départ des villes visitées, comme le chemin de fer au départ de Calcutta, afin de faciliter l’organisation des excursions. Enfin, on peut imaginer que les escales ont également été choisies en fonction de la présence dans les villes visitées d’expatriés français. En effet, dans chaque ville les participants seront accueillis et guidés par des compatriotes. Ainsi, lors de leur visite de Rio, ils sont accompagnés successivement par M. Jobert, professeur de biologie à l’École polytechnique, M. Liais, directeur de l’observatoire, M. Netto, directeur du Musée d’histoire naturelle, M. Glaziou, directeur des jardins de la ville (Collot, 1881, p. 455-463), et Charles Pradez, auteur de l’ouvrage « Nouvelles études sur le Brésil » paru en 1872 (Lemay, 1881, p. 141).

Fig. 1

Carte du projet (SVEAM, 1877). Map of the planned tour (SVEAM, 1877).

figure im1

Carte du projet (SVEAM, 1877). Map of the planned tour (SVEAM, 1877).

25 Parallèlement à ces raisons logistiques, il faut envisager que les escales aient aussi été choisies en fonction de leurs attraits. Ces attraits peuvent être de plusieurs ordres et changent évidemment en fonction du type d’escales. Ainsi, l’attrait d’une escale urbaine dépend d’abord de la présence de monuments. En effet, les participants commencent chaque visite de villes par une tournée des monuments, comme à Santiago où « nos deux premières journées furent une course à travers tous les monuments : l’Université, le Muséum, la Monnaie, les églises, le palais du Congrès national et bien d’autres » (Lemay, 1881, p. 284). Mais l’attrait d’une escale urbaine peut aussi résider dans son pittoresque. Ainsi, les participants recherchent par exemple la couleur locale des marchés à Gibraltar, Montevideo (Collot, 1881, p. 440, 472), Rio (Lemay, 1881, p. 98) ou Lima (Collot, 1882, p. 83) ou des spectacles et fêtes traditionnels à Madère, Mindelo (Cap-Vert), Valparaiso ou Lima (Lemay, 1881, p. 41, 63, 271, 319). Pour les escales rurales, voire désertiques comme la Patagonie, l’attrait réside dans la possibilité de s’adonner à des activités sportives, comme la chasse (Lemay, 1881, p. 190) ou l’alpinisme (Bertrand, 1925, p. 30 ; Collot, 1881 et 1882, p. 463 et p. 66 ; Lemay, 1881, p. 51), ou de jouer aux explorateurs. Ainsi, lors du passage par le Détroit de Magellan, plusieurs participants cherchent à remplir les blancs de la carte, comme avec ce « petit lac d’eau douce, que nous avons découvert, [celui-ci] étant à peine indiqué sur les cartes et ne portant aucun nom, le commandant, après en avoir relevé approximativement le contour, lui a donné le nom de lac d’Aunet » (Lemay, 1881, p. 256). Ainsi, le passage par le détroit de Magellan qui s’explique d’abord par l’absence d’autres voies reliant l’Atlantique et le Pacifique (le Canal de Panama ne sera ouvert qu’en 1914), peut également se comprendre par la fascination des participants pour les explorateurs et les terres inexplorées. Comme l’écrit Gaston Lemay : « nous sommes enchantés de faire connaissance avec l’un des coins les plus ignorés du monde » (1881, p. 214). Cet enchantement trouve sans doute son origine dans le fantasme, baptisé par Jean-Didier Urbain « syndrome d’Armstrong » (2002, p. 77), qui consiste dans le désir d’être le premier à fouler un espace. Ce fantasme est à ce point prononcé chez les participants que ces derniers prennent la peine de laisser une trace : « Nous laissons pour les visiteurs futurs de ces parages notre carte de visite sous forme d’une planche clouée à un arbre sur laquelle sont inscrits le nom de notre vaisseau ainsi que la date du passage » (Bertrand, 1925, p. 25).

26 Enfin, le paysage constitue probablement un critère essentiel pour l’attrait de tous les types d’escales. Par exemple, se trouvant à São Vicente (île du Cap-Vert), Gaston Lemay écrit : « Viennent bien vite les horizons grandioses de la baie de Rio-de-Janeiro, les ombres magnifiques des forêts brésiliennes, pour nous faire perdre le souvenir de ce paysage terne, sec et roussâtre » (1881, p. 59).

27 Mais, quels que soient les attraits des escales, ceux-ci supposent une médiation [19]. Si tel lieu est désirable, c’est parce que des images ou des récits l’ont fait entrer dans l’imaginaire des voyageurs. Tahiti et le rôle joué par Gauguin dans son succès touristique illustrent parfaitement ce processus (Staszak, 2006). Gaston Lemay raconte par exemple qu’au cours de la traversée du Détroit de Magellan une partie du temps était consacrée à « reli[re] les récits des anciens voyageurs » (1881, p. 209). Ainsi, lorsqu’il évoque la rade de Rio, il le fait en se référant à la place qu’elle occupe dans son imaginaire : « cette rade, qui passe pour la plus belle du monde » (1881, p. 92).

28 Si les escales ont sans doute été sélectionnées en fonction de leurs qualités intrinsèques (intérêts logistiques, attraits), un autre critère de sélection peut être avancé. En utilisant les travaux de Desforges (1998) et Molz (2010), on peut faire l’hypothèse que la SVEAM a sélectionné ses étapes afin de constituer une collection de lieux (Desforges, 1998, p. 177), c’est-à-dire un ensemble de destinations sélectionnées les unes par rapport aux autres dans un esprit de système. En effet, un tour du monde n’est pas un voyage comme les autres. Ce n’est pas le départ puis le retour qui le définissent, mais bien la localisation de ses étapes. Il faut que les escales soient choisies de manière à ce que le voyage fasse véritablement le tour du globe. Mais peut-on parler de tour du monde pour un voyage qui suivrait le 60e parallèle Nord ? Définir un tour du monde est en effet une opération compliquée. Plusieurs éléments de définitions pourraient être avancés : la traversée de toutes les lignes de longitude, le franchissement de la ligne de changement de date, la traversée de l’Équateur, le passage par tous les continents, etc. Pour Anna Brassey, qui fit le tour du monde avec son mari et ses enfants en 1876, c’est le franchissement du méridien de Greenwich qui marque l’accomplissement de son tour du monde. Elle écrit en effet alors qu’ils voguent sur la Méditerranée : « About breakfast time to-day we crossed the meridian of Greenwich ; and this virtually completed our voyage round the world, our original point of departure having really been Rochester, which is a few minutes to the east of Greenwich » (1879, p. 470). Cependant, si les définitions peuvent varier d’un voyageur à l’autre, ce qui ne varie pas c’est le souci de faire correspondre son voyage avec sa définition d’un tour du monde. Partant de ce souci, Jennie G. Molz propose la notion de « round-the-world-ness » (2010, p. 337), que l’on pourrait traduire par le néologisme tourdumondité, qui constitue pour le voyageur l’ensemble des critères de définition d’un véritable tour du monde. Cette notion permet de comprendre qu’étudier l’itinéraire d’un tour du monde nécessite deux approches : une approche « micro », analysant les attraits des différentes escales, et une approche « macro », considérant le système formé par l’ensemble des étapes. Procéder ainsi permet de comprendre que certaines escales sont sélectionnées pour leur désirabilité, alors que d’autres le sont de manière à s’assurer que le voyage soit un vrai tour du monde. Kristina, une touriste californienne ayant fait un tour du monde entre août 1998 et juillet 1999, en est un excellent exemple. Inquiète que son voyage ne soit pas un vrai tour du monde sans une escale en Afrique (Molz, 2010, p. 336), elle fera une excursion de deux jours au Maroc.

29 Cependant, quels qu’aient pu être les critères de sélection des escales, l’itinéraire proposé par la SVEAM s’inscrit dans l’air du temps. Pour le montrer, la figure 2 compare les itinéraires de huit tours du monde contemporains (entre 1869 et 1882) : quatre tours du monde à forfait (Cook, SVEAM, Woodruff et Ocean Steam Yachting Company) et quatre tours du monde individuels (Prime, Brassey, Carnegie, et Krafft) [20]. Trois biais sont à signaler dans cette comparaison. D’abord, les informations utilisées ne sont pas tirées des mêmes types de documents (récits de voyage pour Cook et les voyageurs individuels, programmes pour Woodruff et la SVEAM, article de presse pour l’OCYS). Cette diversité de sources pourrait avoir une influence sur les résultats de la comparaison : les programmes étant sans doute plus détaillés qu’un article de presse (par exemple l’article décrivant le voyage de l’OSYC annonce 44 escales mais n’en cite que 20) ou qu’un récit de voyage dans lequel des escales auraient pu être omises (le récit de Cook n’est par exemple pas linéaire) [21]. Deuxièmement, tandis que le voyage de Woodruff est resté à l’état de projet, celui de la SVEAM a été interrompu à mi-parcours. On peut ainsi imaginer que ces deux voyages auraient été allégés ou que les projets des six autres étaient à l’origine plus denses. Enfin, on pourrait aussi faire la différence entre les escales techniques (dans le voyage de la SVEAM, l’arrêt prévu à Dakar était une escale technique) et les escales véritablement touristiques.

30 Malgré ces trois biais, la comparaison semble pertinente. Elle renseigne sur les hauts lieux du tourisme de l’époque. L’Asie apparaît ainsi comme la région incontournable. Tous les itinéraires, à l’exception de celui de l’OSYC qui en propose cinq, proposent au minimum neuf escales en Asie. De plus, les trois seules escales à attirer tous les itinéraires se situent en Asie : Yokohama, Hong-Kong et Singapour. L’autre dénominateur commun aux huit voyages est le passage par le Canal de Suez, qui apparaît donc effectivement comme l’ouvrage d’art clé pour le développement touristique du voyage autour du monde (cinq itinéraires sur huit empruntent la ligne ferroviaire reliant les côtes Est et Ouest des États-Unis). La comparaison permet également de repérer l’importance du Détroit de Magellan, traversé par cinq des huit itinéraires. Cette fréquentation du Détroit de Magellan peut s’expliquer par l’attrait de cette région peu explorée, mais surtout par l’inexistence d’autres routes pour une circumnavigation. En effet, les trois tours du monde ne passant pas par le Détroit de Magellan sont des voyages individuels réalisés avec différents moyens de transport. Par ailleurs, une étude réalisée en 2006 sur les dix croisières autour du monde organisées par l’industrie touristique en 2003-2004 montre que le Canal de Panama a largement détrôné le Détroit de Magellan. Sur les dix croisières, sept passent par Panama et une seule par le Détroit de Magellan (McCalla et Charlier, 2006, p. 218). La comparaison des huit itinéraires permet enfin de repérer les régions absentes des circuits touristiques à la fin du XIXe siècle. Ainsi, seuls trois itinéraires proposent un détour par l’Océanie, tandis qu’à l’exception de l’Égypte, on ne dénombre qu’une seule escale africaine (uniquement dans deux itinéraires) : le Cap-Vert [22]. L’absence de l’Afrique peut s’expliquer par l’achèvement du Canal de Suez qui rend superflu le passage compliqué (en raison des tempêtes) du Cap de Bonne-Espérance, mais aussi par le faible rayonnement des villes d’Afrique subsaharienne. L’étude déjà citée de McCalla et Charlier montre en effet que le développement des villes sud-africaines a remis le Cap de Bonne-Espérance au goût du jour. Ainsi, sur les dix croisières autour du monde organisées en 2003-2004, quatre passaient par le Cap de Bonne-Espérance (2006, p. 217-218).

6 Déroulement du voyage

31 Le 1er août 1878, le steamer (bateau à vapeur) affrété par la SVEAM, la Junon, quitte Marseille pour 10 mois et demi de voyage. Le voyage commence sans encombre. La Junon fait escale comme prévu à Gibraltar le 8 août, puis à Madère le 11 [23]. Le 18, elle touche São Vicente (Cap-Vert), en remplacement de Dakar où une épidémie de fièvre jaune vient d’éclater. Les escales suivantes sont Rio de Janeiro le 3 septembre, Montevideo le 17 et Buenos Aires le 22. Après une excursion dans la pampa, les passagers regagnent la Junon qui reprend la mer pour passer le Détroit de Magellan et continuer jusqu’à Valparaiso où elle arrive le 13 octobre. Après une excursion en train vers Santiago, les participants rejoignent la Junon qui les débarque le 30 à Callao. Ces derniers se rendent alors à Lima par le train avant de reprendre la mer pour Panama où ils arrivent le 14 novembre.

Fig. 2

Les escales portuaires et les axes maritimes principaux des huit itinéraires étudiés.

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Les escales portuaires et les axes maritimes principaux des huit itinéraires étudiés.

The stopovers and principal sea routes of the eight itineraries studied.

32 C’est à leur arrivée à Panama que le voyage est interrompu suite à un désaccord financier [24] entre le propriétaire, la Compagnie Fraissinet, et la SVEAM (Biard et De Chabannes, 1879). La Junon, chargée uniquement de l’équipage, repart alors vers Marseille par le même itinéraire qu’à l’aller. Ce retour se déroule dans des conditions dramatiques puisqu’une épidémie de fièvre jaune se déclare à bord. Sept membres d’équipage décèdent au cours de la traversée entre Rio de Janeiro et Marseille (Collot, 1882, p. 94-96). Les participants, après avoir traversé l’isthme de Panama par le train puis rallié New York par bateau, rentrent en Europe par l’intermédiaire de l’agence Thomas Cook (Brendon, 1991, p. 150), à l’exception d’une poignée d’entre eux (quatre selon Louis Collot, 1882, p. 92) qui continuent leur tour du monde. Parmi ceux-ci, Alfred Bertrand et Émile Balli traversent les États-Unis, puis visitent le Japon, la Chine, Batavia, Penang, Malacca, l’Inde, Aden, l’Égypte, pour revenir à Marseille le 28 septembre 1879 (Bertrand, 1925, p. 19-46).

7 Équipage et passagers

33 Selon Alfred Bertrand, 75 personnes prirent part au voyage de la SVEAM : « neuf officiers, un médecin, un aumônier, deux professeurs, un correspondant du journal Le Temps [Gaston Lemay], quarante et un hommes d’équipages et vingt voyageurs » (Bertrand, 1925, p. 19-20).

34 Les 20 passagers (10 Français, 3 Suisses, 2 Alsaciens, 1 Russe, 1 Polonais, 1 Belge, 1 Hollandais et 1 Allemand [25]) étaient tous des hommes, les femmes n’étant pas admises à bord (SVEAM, 1877, p. 30). Si on ne connaît pas les âges des passagers, on sait du moins qu’Alfred Bertrand, 22 ans au départ, était le plus jeune (Bertrand, 1925, p. 19). Tous les passagers disposaient de moyens financiers très importants. En effet, le voyage coûtait entre 15’000 (en cabine triple) et 25 000 francs (en cabine simple) (SVEAM, 1877, p. 31-32). À titre de comparaison, en 1878 à Paris, un ouvrier non nourri dans la petite industrie gagnait en moyenne 5,18 francs par jour (ministère de l’Agriculture et du Commerce, 1881, p. 351).

35 Quelles étaient les motivations de ces voyageurs ? Louis Collot, Gaston Lemay et Alfred Bertrand ont tous trois évoqués leurs buts dans leurs écrits. Louis Collot explique sa participation par la curiosité : « Au mois de mai 1878, mon ami le professeur Marion, de Marseille, me demandait si je voulais faire le tour du monde. Aucun être vivant n’est plus curieux que le naturaliste. Donc, chose proposée, chose acceptée. [...]. Pour moi, le but était de voir les pays les plus divers, principalement en naturaliste » (Collot, 1881, p. 439). La lecture des deux articles de Louis Collot confirme son explication. Au cours du voyage, il explore chaque lieu en naturaliste, ce qui semble lui apporter une grande satisfaction. Ainsi, racontant une promenade dans les environs de Montevideo, il écrit : « C’est une fête pour le naturaliste de voir enfin chez elles des plantes qu’il était habitué à rencontrer seulement par pieds isolés dans les serres et des animaux qu’il n’avait vus qu’empaillés dans les musées ! » (Collot, 1881, p. 473). Gaston Lemay explique quant à lui sa participation par le goût des voyages : « J’aimais les voyages avant d’avoir une idée bien nette de ce que ce pouvait être. À huit ans, je lisais fiévreusement la France maritime, d’Amédée Gréhan ; à dix ans, je m’évadais du collège, résolu à m’embarquer comme mousse et à visiter... tous les pays ; les gendarmes m’arrêtèrent à Saint-Cloud et ma famille déclara que je “tournerais mal”. J’espère ne pas avoir justifié ces sévères prévisions ; cependant l’Europe, l’Asie et l’Afrique n’ont pas encore assouvi mon humeur vagabonde » (Lemay, 1881, p. 9). Mais Lemay est aussi motivé par le type de voyage proposé par la SVEAM : « Quelle différence entre ces voyages [journalistiques au Soudan, en Serbie et en Arménie] et celui que je vais entreprendre ! Il me semble que celui-ci est la récompense des fatigues de mes excursions passées. Je n’ai plus cette fois qu’à me laisser conduire ; point de soucis, pas de transbordements : je vais voir le monde tout à mon aise » (Lemay, 1881, p. 10). Enfin, pour Alfred Bertrand, ce voyage constitue une sorte de voyage initiatique. Comme l’écrit sa veuve, « cette expédition ne développa pas seulement son goût pour les lointaines croisières, son esprit d’observation, son amour de l’indépendance, sa persévérance infatigable à vaincre les obstacles, mais encore trempa fortement son caractère moral. Il en revint, comme il le dit lui-même, mûri » (Bertrand, 1925, p. 19). La suite du parcours de Bertrand démontre en effet le caractère initiatique de ce tour du monde, puisqu’après ce premier voyage en groupe, il commencera à voyager seul avant de se faire explorateur en Afrique australe (Bertrand, 1925).

36 Mais les motivations des voyageurs peuvent également être discernées dans les activités qu’ils pratiquaient aux différentes escales. Comme je l’ai évoqué en détaillant l’attractivité des escales, les participants ne s’intéressaient pas qu’à un type unique d’attractions, mais leur intérêt allait autant aux monuments, qu’aux paysages, qu’aux particularités politiques, économiques, sociales ou culturelles des pays visités. Les participants cherchant à tout voir, leur voyage ressemble ainsi à une sorte d’inventaire du monde. Gaston Lemay compare d’ailleurs le voyage de la SVEAM à une « revue du monde » et à « un “diorama” de pays et de peuples » (1881, p. 262-263). La référence au diorama n’est ici pas anecdotique. En effet, au XIXe siècle une « véritable mode des spectacles en rama [diorama, panorama, géorama, etc.] s’empare des métropoles européennes » (Besse, 2003, p. 187). Ces « spectacles du monde » (Besse, 2003, p. 187) offrent alors des vues d’ensemble de paysages, de scènes historiques ou de monuments. En faisant référence au diorama, Lemay évoque ainsi le spectacle, le voyage sans inconvénient [26], mais aussi une façon de voir le monde (ou peut-être faudrait-il écrire Monde ?) comme un tout à portée d’œil. L’idée d’inventaire du monde est d’autant plus séduisante que chaque participant consacrait une partie de son temps à collecter des échantillons des différentes régions. Ces échantillons pouvaient être des naturalia (fossiles, trophées de chasse, insectes, plantes, etc.), des artefacts, ou des images (achetées dans les ateliers de photographes ou graveurs professionnels).

37 Cependant, ces diverses explications ne semblent pas exhaustives. En effet, un tour du monde est un voyage singulier. Les motivations pour un voyage de ce type vont au-delà des destinations et de leur attractivité. Ce qui motive le voyageur, c’est l’idée même de tour du monde. Comme l’écrit Andrew Carnegie au retour de son voyage autour du monde en 1878-1879 : « Going round the world yields one exquisite pleasure which cannot be experienced upon any other tour. Our way over the long seas has not to be retraced. The farther we go, the nearer we come to home ; every day’s journey away from those we love, is also, one day’s step nearer to them » (1884, p. 352). Si tout voyage participe du processus de distinction (Munt, 1994), le tour du monde est le voyage conférant la distinction la plus forte. D’autant plus à la fin du XIXe siècle, période au cours de laquelle, de nouvelles couches de la population commencent à pratiquer le voyage d’agrément. Le voyage autour du monde aurait ainsi été une nouvelle façon pour les aristocrates de se distinguer. En effet, à partir des années 1820-1830, les middle class se lancent dans le Grand Tour qui cesse du coup d’être le privilège des aristocrates (Towner, 1985, p. 325-326). Ces derniers abandonnent alors les circuits traditionnels [27] pour de nouvelles destinations comme la Grèce, le Proche-Orient ou le Portugal (Towner, 1985, p. 310). Ces nouvelles destinations vont ensuite elles aussi perdre leur puissance de distinction. Dans le cas de la Grèce, ce processus peut se dater vers la fin des années 1850, puisque la parution du premier guide touristique (guide Joanne) en 1861 (Basch, 1995, p. 101) atteste d’un développement touristique important. On pourrait ainsi voir le développement des voyages touristiques autour du monde comme l’étape suivante du processus décrit par Towner. Si Collot, Lemay et Bertrand n’ont pas écrit explicitement sur leur quête de distinction, ils reviennent plus d’une fois sur le caractère exceptionnel de leur voyage, comme lorsque Gaston Lemay évoque leur passage par le Détroit de Magellan : « Nous y sommes entrés par l’est, [...], et rien n’était plus simple, [...], que de continuer tout droit notre route au nord-ouest et d’entrer dans le Pacifique. C’est ce que tout le monde fait, mais nous n’avons pas voulu faire comme tout le monde » (1881, p. 236).

8 Postérité

38 Après l’interruption du voyage, la SVEAM sera dissoute. D’autres tours du monde à forfait seront organisés notamment par l’Ocean Steam Yachting Company en 1881-1882 (The Times, 19/09/1881, p. 8) et surtout par Thomas Cook. Lorsque ce dernier décède en 1892, plus de 20 tours du monde à forfait ont été organisés sous sa supervision (Brendon, 1991, p. 151). Selon Paul Smith, archiviste de l’entreprise, Cook et ses successeurs auraient organisé environ 50 tours du monde à forfait, dont la moitié au cours du XIXe siècle (courriel à l’auteur) [28].

39 Ainsi, à l’exception du projet avorté de Woodruff, le voyage de la SVEAM reste, à ma connaissance, le seul projet de voyage d’instruction à forfait autour du monde. Malgré cette singularité, l’intérêt de ce dernier dépasse la simple étude de cas. En effet, le voyage de la SVEAM peut être comparé aux autres tours du monde touristiques de cette époque, que ce soit au niveau de l’itinéraire comme on l’a vu précédemment, au niveau de l’origine sociale des voyageurs (tous les touristes autour du monde disposaient d’un très haut niveau de fortune), ou au niveau des activités. En étudiant les récits des quatre tours du monde individuels comparés précédemment, on constate que, comme les passagers de la SVEAM, Edward Dorr Griffin Prime, la famille Brassey, Andrew Carnegie et Hugues Krafft procèdent à une sorte d’inventaire des lieux qu’ils visitent et occupent leur temps avec une grande diversité d’activités (visites de monuments, de lieux du quotidien et de sites naturels, sports, etc.).

40 Mais, le voyage de la SVEAM permet surtout de dégager des clés de lecture pour une étude générale du tourisme autour du monde qui reste encore à faire. Sur les motivations des touristes, il permet de mettre en évidence la quête de distinction, qui est sans doute aujourd’hui encore déterminante pour ceux qui aspirent à un voyage de ce type. Le guide First-Time Around the World qualifie d’ailleurs le voyage autour du monde de « voyage ultime » (Lansky, 2003). Le voyage de la SVEAM permet ensuite de montrer que la notion de tourdumondité proposé par Molz (2010) est pertinente autant pour comprendre les itinéraires des tours du monde contemporains que ceux de la fin du XIXe siècle. Enfin, l’idée d’inventaire du monde qui caractérisait la façon de voyager des premiers touristes autour du monde, ne pourrait-elle pas s’appliquer également à celle des touristes d’aujourd’hui ? Il semble qu’à chaque étape, les touristes autour du monde contemporains s’adonnent, comme leurs prédécesseurs, à un inventaire des curiosités du lieu. D’ailleurs, si les types d’objets collectés ont sans doute changé, les touristes d’aujourd’hui cherchent eux aussi à ramener des échantillons des pays visités (on parle aujourd’hui de souvenirs).

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  • The Times (06/07/1922), « Round the world Tours », The Times, p. 7.
  • The Times (28/07/1939), « Round the World by Air in 30 Days », The Times, p. 12.
  • The Woodruff Scientific Expedition Around The World (1878), The Woodruff Scientific Expedition Around The World, Cambridge, Riverside Press, 44 p.
  • Towner J. (1985), « The Grand Tour. A Key Phase in the History of Tourism », Annals of Tourism Research, 12, 3, p. 297-333.
  • Urbain J. (2002), L’idiot du voyage : histoires de touristes, Paris, Payot & Rivages.
  • Vacher L. (2010), « Du “grand tour” au tour du monde des backpackers : la dimension initiatique dans le voyage touristique », in Tissot, L. (éd.), L’Attrait de l’Ailleurs. Images, usages et espaces du voyage à l’époque contemporaine, Paris, Éditions du CTHS, p. 113-122.

Notes

  • [1]
    Cet article a été réalisé dans le cadre du projet de recherche Images exotiques du monde. Les photographies d’Alfred Bertrand et Fred Boissonnas : regards genevois sur l’Ailleurs dirigé par le prof. Jean-François Staszak du département de géographie et environnement de l’université de Genève et financé par le Fonds National Suisse de la Recherche (FNS).
  • [2]
    Une première version de cet article a été présentée au colloque Tourism Imaginaries à l’université de Californie (Berkeley) le 20 février 2011.
  • [3]
    Par exemple : www.routard.com/guide_dossier/id_dp/30/faire_le_tour_du_monde.htm.
  • [4]
    Un voyage à forfait est un voyage organisé par un intermédiaire dont le prix couvre plusieurs types de dépenses, comme le transport ou l’hébergement (Buhalis in Jafari, 2000, p. 423-424).
  • [5]
    Les premières expositions universelles se tiennent à Londres en 1851 et à New York en 1853, alors que les premières expositions coloniales sont organisées en 1866 à Melbourne et en 1870 à Sydney.
  • [6]
    On peut citer le Canal de Suez achevé en 1869, la ligne de chemin de fer reliant les côtes Est et Ouest des États-Unis terminée en 1869, celle reliant Bombay à Calcutta achevée en 1870, la pose en 1866 du premier câble télégraphique transatlantique, etc.
  • [7]
    Comme le démontre Christian Grataloup, « le Monde n’a pas toujours existé » (2007, p. 7). Il faut en effet « attendre les “Grandes Découvertes” pour que l’ensemble des hommes entrent progressivement en interaction » (2007, p. 9). Ce processus qui s’étale sur des siècles crée « un être géographique nouveau [qui] mérite un nom propre, et donc une majuscule : le Monde » (2007, p. 8).
  • [8]
    18 lettres seront publiées dans : The Times, Leicester Papers, The Freeman, General Baptist Missionary Observer, et Temperance Record.
  • [9]
    L’agence Stangen lance son premier tour du monde en 1878 (Brendon, 1991, p. 150), l’Ocean Steam Yachting Company en 1881 (The Times, 19/09/1881, p. 8), et James O. Woodruff lance son projet, qui ne se fera finalement pas, en 1877 (The New York Times, 14/01/1877).
  • [10]
    La brochure de présentation de la SVEAM comprend des extraits d’articles parus dans 32 journaux et revues, auxquels il convient d’ajouter le Journal de Genève.
  • [11]
    La Société de géographie de Paris, la Royal Geographical Society (Londres), la Société de géographie commerciale de Paris, la Société météorologique de France, la Société d’encouragement pour l’industrie nationale et la Société d’acclimatation (SVEAM, 1877, p. 1).
  • [12]
    Georges Biard est aussi connu sous le nom de Georges Biard d’Aunet (Barko, 2007, p. 102).
  • [13]
    Vice-consul puis consul à Algésiras, Aden, Bizerte, Swansea, Saint-Pétersbourg, et Alexandrie entre 1879 et 1892, il sera ensuite consul général à Sydney entre 1893 et 1905 (Barko, 2007, p. 108).
  • [14]
    Il publie plusieurs articles et ouvrages sur l’Australie et la diplomatie française, tantôt sous le nom de Biard d’Aunet, tantôt sous celui de Zéphyrin Marcas (Barko, 2007, p. 100).
  • [15]
    Ces photographies et objets constituent une part de la collection Bertrand (environ 1 700 photographies et 2 400 objets) appartenant aujourd’hui au Musée d’Ethnographie de Genève et au Muséum d’histoire naturelle de Genève.
  • [16]
    Dans le Bulletin de la Société de géographie commerciale de Paris, George Beauvisage n’hésite pas à présenter Lemay comme « le type le plus parfait du special Correspondent » (1878, p. 199) et d’ajouter que « si nous avions un New York Herald, il en serait le Stanley » (1878, p. 199).
  • [17]
    http://www.letempsarchives.ch
  • [18]
    Les cabines libres étaient louées à des passagers de circonstance, comme cet ingénieur américain rentrant aux États-Unis avec sa famille embarqué à Coquimbo au large de Valparaiso (Collot, 1882, p. 72).
  • [19]
    Rémy Knafou parle d’invention touristique d’un lieu, puisqu’il « y a mise en évidence de ce qui n’existait pas auparavant, à savoir la vision et l’utilisation touristique d’un lieu qui va jusqu’à bouleverser l’idée que se faisaient du lieu ses propres habitants » (1991, p. 15).
  • [20]
    Edward Dorr Griffin Prime (1814-1891), journaliste et pasteur américain, part pour un tour du monde le 1er août 1869. À son retour, il publie Around the World : Sketches of Travel through Many Lands and Over Many Seas. La famille Brassey s’embarque sur le Sunbeam pour un tour du monde le 6 juillet 1876. C’est Anna Brassey (1839-1887), écrivaine anglaise, qui en fait un récit, A Voyage in the Sunbeam, qui sort en 1879. Andrew Carnegie (1835-1919), industriel américain, part pour un tour du monde le 12 octobre 1878. Il publie Round the World en 1884. Hugues Krafft (1853-1935), photographe français, part pour un tour du monde le 31 octobre 1881 en compagnie de son frère et de deux amis. À son retour, il publie Souvenirs de notre tour du monde.
  • [21]
    Par exemple, dans le cas de la SVEAM, on constate à de nombreuses reprises une importante différence entre l’itinéraire officiel et ceux annoncés par les journaux.
  • [22]
    Le Cap-Vert n’est qu’une escale de quelques heures pour la famille Brassey et de deux jours pour la SVEAM.
  • [23]
    Les dates des escales sont tirées du livre de Gaston Lemay (1881).
  • [24]
    Le contrat signé entre la Compagnie Fraissinet et la SVEAM prévoyait le payement d’un loyer de 23 000 francs par mois (Biard et De Chabannes, 1879, p. 5). Comme indiqué plus haut, la SVEAM avait prévu de s’acquitter de cette somme mensuelle grâce notamment au transport de marchandises. Pour des raisons inconnues, la compagnie Fraissinet entrava ces rentrées financières en discréditant la SVEAM dans les différents ports visités. Elle fit publier des annonces dans les journaux des différentes villes stipulant que toutes transactions avec la SVEAM devaient recevoir son aval (Biard et De Chabannes, 1879, p. 7). Ces annonces auraient selon Biard et De Chabannes fait échouer toutes leurs initiatives. Face à ce manque de liquidités, la SVEAM ne put payer le troisième loyer. La Compagnie Fraissinet demanda alors l’arrêt du bateau.
  • [25]
    Cette liste provient de l’ouvrage de Gaston Lemay (1881). C’est donc ce dernier qui choisit de présenter les Alsaciens à part.
  • [26]
    Pour Humboldt, « après les admirables perfectionnements apportés par Prévost et Daguerre à la peinture circulaire de Barker [l’inventeur du panorama], on peut presque se dispenser de voyager à travers les climats lointains » (cité par Besse, 2003, p. 204).
  • [27]
    France, Italie, Allemagne, Suisse, et Pays-Bas (Towner, 1985, p. 301).
  • [28]
    On ne sait toutefois pas jusqu’à quand l’entreprise continua à organiser ce type de voyages. Les archives du Times permettent de retrouver la trace d’un tour du monde à forfait en 1922 (06/07/1922, p. 7) et d’un autre en avion en 1939 (28/07/1939, p. 12). Par ailleurs, l’entreprise organisa en 1991 un tour du monde pour commémorer le 150e anniversaire du premier voyage à forfait organisé par Cook (http://www.thomascook.com/about-us/thomas-cook-history/key-dates/).
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