Couverture de AG_678

Article de revue

De nouvelles dynamiques de mécanisation agricole : commerce, usages et spatialisation au sein de la région de Ségou (Mali)

Pages 174 à 192

Notes

  • [1]
    euro équivaut à 655,957 FCFA.
  • [2]
    Derrière le Nil et le Congo ayant une longueur respective de 6650 et 4700 km.
  • [3]
    De façon générale, les achats se font par l’intermédiaire d’une transaction monétaire au comptant entre le client et le commerçant. Le système de crédit est peu utilisé, car les retards de paiements sont fréquents. Les paysans ne disposant pas de suffisamment de ressources monétaires sont trop exposés à des aléas financiers (mauvaises récoltes, frais médicaux, décès familiaux...), et le système est trop lacunaire pour garantir des remboursements réguliers. Cependant les commerces sont contraints à accepter occasionnellement ce système, afin de s’adapter à ce type de clientèle. Dans ce cas, certaines facilités de paiement sont octroyées en fonction des relations existantes entre le commerçant et le client.
  • [4]
    Au Mali, le développement des ateliers de forgerons de village s’est fait grâce à l’impulsion de la Compagnie malienne de développement du textile dans les années 1970-1980, par des programmes de formation.
  • [5]
    Plusieurs postes à soudures, tour à métaux, etc.
  • [6]
    Pompe Ciwara, Ciwara Nojo, Ciwara Kolodjan, Lafia.
  • [7]
    Cet atelier de fabrication métallique, qui existe depuis 1997, a été créé à l’origine par un projet américain de l’Appropriate International Technology (AIT). Il travaille encore aujourd’hui en concertation avec l’United States Agency for International Development (USAID) dans le cadre du Programme de développement de la production agricole au Mali (PRODEPAM) et en collaboration avec les actions menées par l’ONG Kickstart.
  • [8]
    Elles produisent des charrues, herses, planches niveleuses mais aussi des batteuses, décortiqueuses et botteleuses de paille. Elles importent et montent sur place des motoculteurs chinois et thaïlandais.
  • [9]
    L’ON comprend 22 ateliers et 44 forgerons. Il existe différents niveaux d’outillage pour chaque atelier. En règle générale, ces derniers sont constitués d’un poste de soudure électrique et de l’outillage de base du forgeron (enclume, forge, disque à meuler, marteau, pince, etc.). Chaque atelier achète son équipement à crédit, par l’intermédiaire d’une société de micro-crédit destinée aux forgerons. Douze boutiques sont réparties dans les cinq zones de l’Office afin de commercialiser les pièces de rechange.
  • [10]
    Le projet « Plateforme multifonctionnelle pour la lutte contre la pauvreté » est un programme national et international faisant partie du Programme régional d’équipement contre la pauvreté (PREP) sous la direction du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).
  • [11]
    Ces tâches peuvent avoir des conséquences graves sur le développement physique de l’enfant, et celui-ci est généralement déscolarisé pour pouvoir travailler à plein temps dans l’exploitation familiale. Mais en contrepartie, ce travail des champs relève d’une forme sinon de « scolarisation », du moins d’un apprentissage de terrain où sont inculqués les rudiments et les stratégies du domaine agricole là même où l’enfant a de grandes chances d’évoluer plus tard. De plus, cette activité est un biais important d’insertion dans les réseaux sociaux de leurs villages, de leurs terroirs et même du pays. Dans les zones urbaines et périurbaines, les enfants vont dans les exploitations après l’école et le week-end, ou pendant les vacances. La situation est différente en campagne où le paysan, polygame et souvent père de nombreux enfants, ne peut se permettre financièrement de les envoyer tous à l’école. Quand les revenus sont suffisants, quelques-uns d’entre eux sont scolarisés, généralement les aînés, pendant que les autres sont envoyés aux champs. Mais de façon générale, et pour insatisfaisante que soit cette situation, il est préférable de voir ces enfants au travail dans les exploitations agricoles au sein du cercle familial plutôt qu’abandonnés à leur sort : soit rejetés par la famille et obligés de survivre dans les centres urbains en mendiant, soit placés comme talibé (sous la garde d’un marabout qui lui procure un enseignement coranique, le talibé doit mendier la majeure partie de la journée afin de « payer » à son maître sa nourriture).
  • [12]
    Nous nous souvenons d’une discussion passionnée en 1980 avec un agriculteur des marges du delta intérieur qui disposait d’une forte main-d’œuvre et d’un foncier abondant, mais à la faible production de mil. Interrogé sur ce point il répondit d’un ton sans appel : « Lorsque l’Etat paiera plus de 35 FCFA le kilo [c’était alors le prix officiel], j’en produirai... ».

1 Le Mali, sous l’impulsion de son président Amadou Toumani Touré, a lancé un grand programme de développement et de modernisation de l’agriculture visant à « l’amélioration de la production et de la productivité agricole » (Min. Agri. Mali, 2006). L’État s’engage ainsi à « faciliter l’accès du plus grand nombre d’exploitants agricoles, notamment les jeunes et les femmes, à la traction animale et à la motorisation ». Concrètement, plusieurs accords ont été passés avec des entreprises indiennes et chinoises pour la fabrication et la livraison de matériel agricole : tracteurs, remorques, charrues, décortiqueuses et pièces de rechange, etc. Mais le principal investissement concerne les tracteurs afin de créer et d’organiser une agriculture nationale motorisée.

2 Pour autant, cette volonté affirmée de mécaniser l’agriculture malienne ne s’exerce pas ex nihilo. Sans remonter à l’emploi, très limité, des tracteurs Bouyer en zone cotonnière dans les années soixante-dix, on peut constater, en suivant les rives du fleuve à partir de la frontière guinéenne, l’omniprésence de moto–pompes dédiées à l’irrigation. En aval du barrage de Sélingué, par exemple, sur un bief de moins de 50 kilomètres, près de 200 pompes irriguent de petites bananeraies (souvent d’un demi-hectare) qui alimentent Bamako en fruits frais. Dans le périmètre rizicole de Baguinéda, aux portes de la capitale, des moto-pompes privées, parfois une tous les 10 mètres, alimentent des zones de production maraîchère et fruitière. De même, dans les villages, il est fréquent d’entendre le bruit de moteur d’un moulin ou d’un groupe électrogène. Dans l’Office du Niger, si les tracteurs sont encore très rares, les motoculteurs, entre autres outils mécaniques, sont maintenant courants. Ils tendent à remplacer le couple de bœufs pour le labour et plus encore l’âne pour tirer la charrette.

3 On ne reviendra pas ici sur le débat entre partisans et adversaires de l’introduction de la force mécanique dans des systèmes de production agricole : les premiers faisant fi des difficultés d’entretien et de rentabilité de ces équipements ainsi que l’atteinte à la conservation des sols légers que cela peut impliquer ; les seconds émettant des doutes de principe sur la capacité de cette sous-région africaine à assimiler le progrès technique en raison d’un environnement naturel, économique et social, peu compatible avec ces innovations. Aujourd’hui, force est de constater que les paysans, depuis une dizaine d’années, se sont tournés en grand nombre et avec un certain succès vers la petite moto-mécanisation.

4 Le plus original dans cette évolution est son caractère parfois spontané et, plus généralement peu encadré – sauf le cas particulier des plateformes multifonctionnelles que nous évoquerons plus bas. Ce sont des processus paysans et marchands, générés par des initiatives locales et individuelles, et développés autour d’activités nouvelles, principalement dans les domaines de l’horticulture et de l’arboriculture et des opérations post-récolte et para-agricoles, qui sont à l’origine de cette diffusion très importante de moteurs fixes. Ces activités sont liées à l’utilisation de matériels nouveaux mis sur le marché par le biais d’un réseau de commerçants spécialisés, et la région de Ségou offre un exemple remarquable de cette synergie entre commerçants et agriculteurs – avec parfois, mais pas nécessairement, l’aide d’une ONG ou d’une association.

5 Dans quelle mesure cette mécanisation est-elle pour le chercheur le révélateur de changements dans les systèmes de culture, voire dans les systèmes agraires ? Le changement technique apparaît comme un indicateur de transformation agro-économique (développement des cultures irriguées), sociale (émergence locale d’une classe de grands commerçants spécialisés dans la mécanisation agricole) et spatiale (différentiation des espaces agricoles selon l’usage ou non de la mécanisation ; connexion d’échelles, depuis le local jusqu’au mondial). De ces nouvelles dynamiques, le changement technique est à la fois cause et conséquence, étant donné que le système de causalité s’auto-entretient : la mécanisation permet le changement socio-économique qui permet la mécanisation. Nous examinerons donc tout d’abord, au travers de l’exemple d’un grand commerçant en matériel agricole, la nature et le fonctionnement de ces réseaux inscrits dans un processus de mondialisation et de court-circuitage des échelles géo-économiques. Puis nous envisagerons les différents usages de ces matériels et leurs impacts sur les transformations agraires. Enfin, après avoir repéré les centres de diffusion et d’application de cette mécanisation ainsi que les liens qui les unissent, nous tenterons de déterminer leur répartition spatiale au sein de cette région.

1 Le « Commerce général des moteurs agricoles » : de Ségou à Shanghai, un circuit d’approvisionnement « glocal »

6 Nous avons choisi de retracer le circuit d’approvisionnement de l’un des plus importants commerçants de matériel agricole de Ségou, El-Hadji Mamadou Coulibaly (photo), propriétaire du « Commerce général des moteurs agricoles », afin de mettre en valeur les dynamiques individuelles d’intégration aux mécanismes d’échanges internationaux par certains acteurs économiques locaux. Installé depuis plus de vingt ans à Ségou, M. Coulibaly fut l’un des premiers revendeurs mécaniques de la ville et a profité de cette situation afin de s’implanter durablement sur un marché qui ne proposait alors que peu d’offre dans ce secteur. Sa modeste échoppe est située au cœur du quartier commercial où sont effectuées la majorité de transactions économiques marchandes de la ville, à côté du rond-point central de Ségou ; un voyageur de passage risquerait de considérer cette boutique comme un commerce d’échelle purement locale, s’approvisionnant sans doute à Bamako. M. Coulibaly, ancien berger, n’est-il pas quasiment analphabète ? Et pourtant... Témoignage de ces courts-circuits d’échelles, de ces brouillages scalaires dont est coutumière la mondialisation, M. Coulibaly a tissé un réseau d’approvisionnement national et international compris entre le Mali, la région ouest africaine et l’Asie, afin d’obtenir un matériel varié et de qualité (fig. 1). L’évolution des systèmes de culture tels que le développement du maraîchage a entraîné une augmentation de la demande en outillage agricole (équipement d’irrigation notamment) qui a dynamisé l’offre initiale proposée par le « Commerce général des moteurs agricoles ». L’essentiel des commandes est passé directement avec des fabricants chinois et indiens. L’importance de son commerce permet à M. Coulibaly d’effectuer ses transactions auprès des entreprises et des revendeurs agréés, sans devoir passer par des intermédiaires plus importants à Bamako comme cela est généralement le cas pour les autres boutiques spécialisées.

Photo 1

M. Coulibaly pose devant l’entrée de son commerce et sa Mercedes (achetée d’occasion)

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M. Coulibaly pose devant l’entrée de son commerce et sa Mercedes (achetée d’occasion)

7 L’achat de marchandises indiennes est effectué sur des comptoirs situés au Nigeria ; dans la capitale Lagos, pour du matériel « lourd » (décortiqueuses de riz, générateurs...) et dans la ville de Kano, pour l’ensemble des accessoires plus légers (motopompes, pièces de rechange...). M. Coulibaly peut effectuer une dizaine de voyages au Nigeria au cours d’une même année en fonction des demandes.

8 Les transactions pour le matériel chinois se font directement à Shanghai. Afin de réduire les frais de port des marchandises et de limiter les déplacements, plusieurs commerçants de Ségou (céréaliers, boutiquiers en tous genres) désignent à tour de rôle un responsable chargé de passer des commandes groupées au cours d’un déplacement en Chine. Une fois sur place, la personne désignée est accueillie par des membres de la diaspora malienne qui assurent un rôle d’intermédiaires et de traducteurs, essentiel lors des négociations (Bertoncello, Bredeloup, 2009). M. Coulibaly a ainsi effectué entre 2002 et 2008 trois voyages à Shanghai. Le prix du transport du matériel ainsi acheté dépend de la taille des conteneurs : pour un conteneur de 20 pieds, le tarif est de 300 000 FCFA [1], et de 600 000 FCFA pour un de 40 pieds. Mais plus le nombre de conteneurs embarqués est important, plus les tarifs sont dégressifs ; en règle générale, les commandes varient entre 1 et 10 conteneurs. Une fois les commandes passées, les marchandises sont acheminées par bateau jusqu’au port d’Accra (Ghana). Les containers sont alors pris en charge par des transitaires qui s’occupent du dédouanement et du transport routier. Cette partie du voyage est celle qui reviendra le plus cher aux commerçants. En effet, le transport d’un container d’Accra à Ségou coûte en moyenne 3 500 000 FCFA, auquel il faut ajouter les frais de port (entre 750 000 et 1 000 000 de FCFA pour un container de 40 pieds). Les marchandises sont ensuite transportées directement à Ségou ou transitent par Bamako.

2 La région de Ségou au centre d’une filière de production et de commerce de matériel agricole

9 De la Chine aux rives du Niger, ces flux commerciaux trahissent un développement agricole qui tranche sur le discours « afropessimiste » dominant dans les médias et certains milieux. Tout aussi remarquable, ces importations n’étouffent pas une production mécanique locale, laquelle participe du même processus de développement.

10 Les systèmes agraires traditionnels de l’ensemble géographique soudano-sahélien auquel appartient la région de Ségou, qui associent la traction animale et les outils de culture manuelle, sont des systèmes de « culture sèche » soumis aux aléas de la pluviométrie (Renard, 2002). Cet espace se répartit entre deux zones agricoles séparées par l’isohyète 600 mm. La première, qui englobe tout l’espace au nord de Ségou se caractérise (à l’exception de l’Office du Niger) par la culture du mil souvent associé au haricot niébé. La seconde, qui comprend la partie sud de la région, présente en raison d’une pluviométrie plus favorable une agriculture plus diversifiée avec, à côté du mil, des cultures de sorgho, d’arachide, de maïs et de coton. Traversant les deux zones, la vallée du fleuve Niger, troisième plus grand fleuve d’Afrique avec près de 4 200 km de longueur [2], est le support de pratiques culturales en plein développement. Par comparaison avec les zones de culture sèche où la production reste étroitement tributaire d’une pluviométrie aléatoire, le développement de l’agriculture irriguée dans la vallée offre en effet, tant par la diversité des cultures que par la sécurité des rendements, des perspectives prometteuses aux paysans qui peuvent s’équiper. Depuis ces dernières années, dans la région de Ségou, ce développement est rendu possible par la diffusion rapide de matériels mécanisés très diversifiés mais où le matériel d’irrigation prédomine.

Fig. 1

Réseaux d’approvisionnement du « Commerce général des moteurs agricoles » à Ségou Supply network of the Commerce général des moteurs agricoles in Ségou

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Réseaux d’approvisionnement du « Commerce général des moteurs agricoles » à Ségou Supply network of the Commerce général des moteurs agricoles in Ségou

11 La ville de Ségou, deuxième centre urbain du pays avec une population que l’on estime à plus de 200 000 habitants aujourd’hui, est le principal centre de vente de matériel agricole de la région. L’essentiel de l’activité de ce secteur est assuré par un réseau de commerçants en machinisme agricole, de tailles et d’envergures différentes. Il existe en effet deux « types » de commerce pour ce matériel :

12

  • des petits revendeurs, qui disposent d’un stock très limité. Ces derniers éprouvent les plus grandes difficultés à exister économiquement ;
  • des opérateurs plus importants : d’une part, comme nous l’avons vu, le « Commerce Général des Moteurs Agricoles », et d’autre part la boutique « Batteuses du Mali ». Ces deux commerces occupent une situation dominante sur le marché, qui les place ainsi dans une situation de quasi-duopole.

13 La liste de produits vendus sur place est vaste : motopompes, groupes électrogènes, motoculteurs, décortiqueuses, moulins à moteur électrique et diesel, dynamos, compresseurs à air, batteuses-décortiqueuses de riz/mil/maïs, alternateurs, postes de soudure, chargeurs de batterie, pompes d’irrigation manuelles ou à pied... Chacun de ces grands commerçants dispose de l’ensemble des pièces de rechange nécessaires aux différents outils agricoles proposés (pistons, cylindres, vilebrequins, courroies, arbres de transmission, soupapes, bougies, bielles, injecteurs...).

14 Les principales périodes de vente se situent avant et après la saison des pluies de l’hivernage (de mai à juillet et d’octobre à décembre) pour la préparation et l’entretien des parcelles puis pour la récolte et la transformation des produits agricoles. La caractéristique de ces boutiques est que les clients ne peuvent que très rarement payer à crédit [3], ni bénéficier de services de location ou des prêts. Le service après vente est quasi inexistant et on ne trouve pas de système de garantie formalisé.

15 Outre ces commerçants, les ateliers de fabrication d’outillage agricole se sont multipliés au sein de la région. Les forgerons présents dans les villages de campagne sont des acteurs importants dans l’organisation du monde rural de l’Ouest africain [4]. L’essentiel des outils de culture attelée et manuelle (herse, charrue, houe, daba, etc.) ainsi que le matériel de transport (charrettes essentiellement) est confectionné ou assemblé par leurs soins. Ces petits ateliers, uniques fournisseurs dans les régions les plus isolées, réalisent également l’ensemble des travaux de forge utiles aux réparations. Mais de plus en plus de forgerons diversifient leurs activités et se tournent vers la menuiserie métallique avec la fabrication d’accessoires et de mobilier métalliques (porte, fenêtre, étagère...) tout en investissant dans l’acquisition du matériel de travail nécessaire (poste de soudure, presse, etc.). Certains, mieux équipés [5], comme l’atelier de fabrication métallique de Mohamed Traoré à Ségou, sont spécialisés dans la confection de pompes à eau manuelles et à pied [6]. Cet artisan dispose d’un tour à métaux permettant la fabrication de pompes à pied en petite série. La possession d’une telle machine par un artisan est une véritable petite révolution technique au Mali [7] : au milieu des années quatre-vingt, faire tourner une pièce à Bamako était un exploit ; seules quelques grandes structures (chemins de fer, Énergie du Mali, Compagnie malienne pour le développement des textiles, compagnies de travaux publics) disposaient de tours pour leurs travaux de maintenance.

16 Le nord de la région de Ségou abrite également, dans la zone du « delta mort » du fleuve Niger, le vaste espace hydroagricole de l’Office du Niger (ON) dont le siège est à Niono. Cette zone, aménagée dans les années trente et quarante afin de devenir le premier fournisseur de coton de la France coloniale, couvre aujourd’hui un espace d’environ 80 000 hectares (Bonneval, 2002) principalement consacré à la culture du riz, dont l’introduction avait pour but de « renforcer les communautés rurales et de lutter contre la faim » (ibid.) selon l’administration de l’Afrique occidentale française. Elle constitue le plus grand espace de production irriguée de toute l’Afrique de l’Ouest. Deux unités de fabrication de matériel agricole se côtoient pour fabriquer et entretenir le matériel agricole nécessaire aux paysans de l’ON. L’atelier d’assemblage de matériel agricole de Niono (AAMA), et la coopérative artisanale des forgerons de l’Office du Niger (CAFON) devenue Société coopérative en 2003 (SOCAFON) et premier fournisseur des paysans en équipements agricole de l’ON (Djiré, 2009), respectivement créés en 1978 et 1990 sous l’impulsion notamment de la coopération néerlandaise, constituent un véritable pôle technique et d’innovation en machinisme agricole [8]. Ces unités sont des agents importateurs de produits en provenance des Pays-Bas mais aussi d’Asie (Chine, Thaïlande) transitant en partie par Dubaï. Les activités de ces deux structures se répartissent autour d’un atelier central basé à Niono et d’une série de petites structures et d’ateliers de forge répartis sur l’ensemble de l’ON [9]. Cet espace d’agriculture intensive a ainsi donné lieu à la mise en place d’un circuit complet de production et de distribution de matériel agricole ainsi que d’un service après-vente unique en son genre en Afrique de l’ouest.

17 Ainsi, nous avons mis en évidence une palette d’acteurs qui ont établi une véritable filière de diffusion de matériel agricole :

18

  • les grands commerçants de Ségou, qui assurent une fonction d’importation d’origine internationale et de distribution de matériel ;
  • les forgerons locaux présents dans les bourgs ruraux et les villages de campagne ;
  • les unités de fabrication et d’importation (Asie, Pays-Bas) de matériel agricole de l’Office du Niger (AAMA et la CAFON).

19 Ces différents réseaux sont en règle générale indépendants les uns des autres, chacun possédant une clientèle propre, son rayon de polarité et ses capacités techniques, ainsi que des chaînes d’approvisionnements différentes. Les quelques liens indirects reposent en général, comme nous avons pu le voir, sur l’entretien par les forgerons des machines et des outils de culture achetés en ville. Les échelles sont de fait excessivement variables : nous passons ici du modeste forgeron de brousse dont la clientèle se limite aux quelques villages voisins, à l’imposante organisation technico-économique de l’ON qui concerne des milliers d’hectares et de paysans.

3 La demande en équipement agricole dans la région de Ségou : quels équipements pour quelles exploitations ?

20 Cette mécanisation est présente dans chaque espace agricole de la région, aussi bien dans des zones rurales que périurbaines, voire au sein même des villes. Chaque espace géographique recouvre des réalités et des pratiques différentes et justifie l’utilisation d’un matériel agricole adapté. Ainsi, la répartition spatiale des équipements se fait entre les exploitations en bordure du fleuve, les exploitations de l’ON, les petits périmètres irrigués villageois (PIV), et enfin les exploitations en culture sèche. Chaque exploitation requiert une demande spécifique en équipement dans les deux grandes zones que sont d’une part les bords et abords d’une rivière et d’autre part les zones qui en sont éloignées.

21 Dans la première catégorie nous regroupons les différents types de jardins maraîchers et fruitiers illustrés dans la figure 2 :

22

  • les exploitations urbaines (partie 2 du schéma), généralement constituées de surfaces réduites de 0,25 à 0,5 ha, ont besoin de petits matériels d’irrigation : pompes à main ou à pied que nous avons évoquées précédemment, ou motopompes de faible puissance (de l’ordre de 3 chevaux en moyenne) ;
  • les exploitations périurbaines et rurales (partie 2 et 3 du schéma), moins soumises à la pression foncière, disposent de plus d’espace pour les terrains agricoles (entre 3 et 10 ha). Le matériel nécessaire est également constitué de motopompes, mais de puissance plus importante (de l’ordre de 5 à 10 CV, parfois plus), nécessitant l’aménagement d’un réseau d’irrigation (canaux et drains en terre ou en ciment).

Fig. 2

Modèle d’un jardin maraîcher et fruitier au bord du fleuve Niger dans la région de Ségou Model of a market garden and orchard on the banks of the River Niger in the Ségou area

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Modèle d’un jardin maraîcher et fruitier au bord du fleuve Niger dans la région de Ségou Model of a market garden and orchard on the banks of the River Niger in the Ségou area

23 Les surfaces situées au-delà de la zone des vergers ne peuvent être irriguées (sauf à prévoir des investissements trop coûteux) et sont laissées en jachère, ou bien cultivées en mil et sorgho pluvial pour couvrir tout ou partie des besoins alimentaires des familles.

24 Ces jardins maraîchers, autrefois considérés comme un complément de revenu, sont devenus de plus en plus rentables, notamment grâce à l’utilisation de motopompes. En effet, la possibilité de cultiver durant toute la période de basse eau pendant la contre-saison permet des ventes continues sur les marchés locaux de stocks de produits plus importants et de meilleure qualité à des prix plus élevés (Halphen, 2005). De plus, le gain de temps obtenu par une irrigation motorisée permet de réduire la main-d’œuvre et de compenser ainsi les frais. Il permet aussi à certains exploitants de s’engager dans une seconde activité rémunérée. Ces jardins deviennent l’objet d’investissements pour toutes les classes sociales : ils sont exploités aussi bien par un modeste paysan ou fonctionnaire retraité possédant moins d’un hectare que par un notable, véritable entrepreneur agricole dirigeant une exploitation de plus de 5 ha entretenue par quelques salariés agricoles (guère plus de deux ou trois cependant).

25 Bien évidemment, le fleuve Niger joue un rôle doublement important : d’abord en tant que ressource en eau pour l’irrigation durant la période sèche et l’étiage ; ensuite comme moyen de transport pour les produits agricoles, qui peuvent être ainsi acheminés par pirogue vers l’important marché de Ségou.

26 Dans la seconde catégorie des zones éloignées des cours d’eau, nous distinguons :

27

  • les petits périmètres irrigués villageois (PIV) en zone rurale, qui se sont multipliés ces dernières années et sont dans leur grande majorité en irrigation manuelle ou aidée par des pompes manuelles ou à pied ;
  • enfin, les exploitations agricoles en culture pluviale, exerçant une agriculture de plein champ, utilisent du matériel de culture attelée (herses, charrues, semoirs, multiculteurs). La différence majeure s’opère ici entre les agriculteurs qui possèdent une unité de transformation de produits agricoles locaux (égreneuse, moulin, décortiqueuse...) ou se situent à proximité de celle-ci, et ceux qui en sont dépourvus ou n’y ont pas accès. En effet, les premiers peuvent présenter et revendre sur le marché des produits déjà transformés à un meilleur prix et dégager une marge de profit plus importante.

28 On assiste également dans cette zone à l’apparition de nouveaux équipements dans le cadre de l’installation de « plateformes multifonctionnelles [10] », constituées avant tout d’un moteur diesel dont la puissance permet de faire fonctionner diverses machines et de permettre un gain de temps et d’énergie : moulin, décortiqueuse, presse, hache-paille, alternateur. Il n’est plus rare de voir des villages équipés d’un embryon de réseau d’éclairage public que l’on alimente à l’aide du groupe électrogène pour des fêtes ou des circonstances particulières, les villageois se cotisant pour payer le carburant. Avec l’électricité produite par le groupe, on peut également alimenter des postes de soudure ou des chargeurs de batterie installés à proximité de la plateforme.

29 Ces plateformes représentent de véritables unités de production à l’échelle d’un village. Elles sont généralement gérées par des groupements ou associations de femmes, qui vont se charger de les faire fonctionner et d’en facturer les services. Se crée autour d’elles un véritable réseau d’acteurs professionnels qui entrent à tour de rôle dans la conception du programme : techniciens, électriciens, artisans, professeurs d’alphabétisation, etc. En cas de bonne gestion, ces plateformes peuvent déterminer certaines évolutions des pratiques agricoles et de l’espace agraire. On pense notamment à l’extension du parc à karité et des surfaces cultivées en arachide au détriment d’autres cultures. En effet, l’apport d’une force de travail motorisée comme les moulins permet, en plus de diminuer les charges de travail manuel des paysans (hommes et femmes) et de produire d’avantage, de confectionner du beurre de karité et de la pâte d’arachide, produits transformés prisés sur les marchés et ainsi revendus plus cher que les productions brutes. Mais la pérennité de ce programme national est actuellement encore sujet à interrogations en raison des problèmes relatifs à la gestion collective de ces équipements et à leur rentabilité. En dépit du processus de mise en place de ces plateformes et des études de faisabilité menées en amont, on ne comptait en 2005 à l’échelle nationale que 34 plateformes ayant réussi à tirer des bénéfices et à s’autonomiser du programme sur les 500 installées ; soit un taux de réussite très faible de 7 %. De plus, il a été observé qu’après un an de mise en place, si 75 % des plateformes continuaient à fonctionner, elles le faisaient souvent à un rythme beaucoup moins soutenu que celui initialement prévu.

4 Un processus d’équipement porteur... mais quelques interrogations

30 Aujourd’hui, la diffusion du matériel d’irrigation, de préparation des sols et de post-récolte dans la région de Ségou est rendue possible par la combinaison de deux facteurs.

31 En premier lieu, il est désormais aisé de trouver sur place toute une gamme de matériel adapté, grâce aux réseaux commerçants spécialisés qui n’hésitent pas à s’insérer dans les circuits internationaux pour s’approvisionner dans un matériel correspondant aux besoins spécifiques des exploitations et aux revenus des producteurs. La demande de ces derniers est en forte progression car le seuil de rentabilité d’investissements comme une motopompe est rapidement atteint. En effet, dans le cas des jardins maraîchers urbains, l’achat d’une motopompe de faible puissance, entre 300 000 et 400 000 FCFA, peut être rentabilisé en moins d’un an (augmentation qualitative et quantitative des récoltes, baisse de la main-d’œuvre, activités rémunérées complémentaires grâce aux gains de temps). En second lieu, les « synergies intersectorielles » entre les forgerons et les paysans sont des éléments essentiels à la réussite des stratégies de mécanisation (Spore, 1998). Bien qu’elles nécessitent d’être améliorées, ces synergies jouent un rôle important dans le service après-vente et la maintenance des équipements et des matériels.

Fig. 3

La région de Ségou au regard du développement de nouvelles dynamiques de mécanisation agricole Development of new dynamics of mechanization in the Ségou region

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La région de Ségou au regard du développement de nouvelles dynamiques de mécanisation agricole Development of new dynamics of mechanization in the Ségou region

32 Un tel processus d’équipement innovant a pour corollaire un développement significatif du maraîchage et de l’arboriculture en parcelles irriguées, ainsi que des activités post-récoltes dans la région de Ségou. De fait, les marchés locaux et régionaux sont aujourd’hui abondamment approvisionnés en fruits et légumes et produits transformés divers. Il ne fait aucun doute que cette évolution a un impact positif sur l’économie rurale de la région (pour la chaîne que constituent les commerçants, producteurs, transporteurs et consommateurs...) comme sur la santé de la population, dont le régime alimentaire, traditionnellement à base de céréales, est maintenant relativement enrichi par une consommation de fruits et de légumes.

33 Cette mécanisation représente une nouvelle dynamique de modernisation des exploitations : les outils apparaissent adaptés à des modes de production diversifiés au sein de ces régions sahélo-soudaniennes, et l’on assiste à un véritable accroissement de pratiques individualisées d’équipement. Cette dynamique spontanée apparaît à première vue beaucoup plus porteuse que les grands programmes étatiques en cours de promotion et d’implantation de la grande motorisation, assez rigides dans leur conception et leur méthode d’implantation. Toutefois, il ne s’agit pas ici d’opposer de façon directe deux modèles de développement technique. Certains de ces grands programmes ont échoué, ou n’ont eu qu’un succès mitigé comme l’introduction des tracteurs Bouyer : dans ce dernier cas, il s’agissait d’une opération expérimentale menée avec des agriculteurs triés sur le volet qui réunissaient a priori les conditions nécessaires pour que le tracteur soit un facteur de modernisation de leur exploitation (surface cultivable suffisante, troupeau bovin pour disposer de matière organique, disponibilités fourragères, etc.). Elle n’a pas donné tous les résultats escomptés, essentiellement pour des raisons économiques, les coûts inhérents à l’entretien et à l’amortissement du tracteur ne pouvant être compensés par la valeur des suppléments de production. Mais on peut tirer d’intéressantes leçons de cette expérience qui a été amplement évaluée ex post. De même, bien que le programme de plateformes multifonctionnelles se trouve dans une situation d’échec du fait de son aspect multi-usages et de la nécessité de leur gestion collective, il n’est pas impossible qu’il finisse par apporter des solutions, si les populations en viennent à pérenniser l’utilisation d’un moteur diesel comme source d’énergie délocalisée, et que des marchands s’engagent dans leur commercialisation. Dès lors qu’une innovation se révèle appropriée au terrain et à terme rentable, les paysans se l’approprient facilement, et le phénomène de diffusion s’accomplit avec la mise en place de réseaux de commerçants qui à leur tour comprennent tout l’intérêt qu’ils peuvent en tirer.

34 Bien entendu, cette nouvelle dynamique de développement soulève un certain nombre de questions, en particulier, celle de l’évolution de la main-d’œuvre dans les exploitations. Quid de la diminution du nombre de travailleurs en leur sein ? L’impact sur le travail des femmes peut être notable : certaines tâches traditionnellement accomplies par celles-ci risquent d’être reprises par des hommes quand ces travaux sont mécanisés, entraînant ainsi un allégement de la « corvée » mais ayant pour corollaire une perte de revenu (Van Der Meijden, 1998). L’impact sur le travail des enfants apparaît à double tranchant [11].

35 Enfin se pose la question de l’accroissement des écarts de revenus entre les systèmes de culture en fonction de leur équipement (Cour, 2002). La généralisation des systèmes d’irrigation par exemple n’est possible que le long des grands cours d’eau permanents (Niger, Bani...) et ne peut de ce fait concerner qu’un nombre assez limité de bénéficiaires. Cette inégalité est tout autant spatiale (éloignement de l’habitat par rapport aux cours d’eau) que sociale (différenciation entre ceux qui ont pu hériter de propriétés familiales ou qui ont suffisamment de revenu pour s’acheter un terrain en bordure de fleuve, et les autres moins nantis). Elle risque de contribuer à fortement enrichir ceux qui participent à cette évolution mais d’accélérer ainsi les écarts socio-économiques.

Conclusion : évolution ou révolution ?

36 Cette remarquable évolution doit également être replacée dans l’histoire récente du développement de l’agriculture malienne. Après l’Indépendance, la production agricole stagne ou progresse très peu. Elle est en particulier marquée par une longue crise qui débute à la fin des années soixante et dure jusqu’au milieu des années quatre-vingt. Malgré les nombreux projets de développement agricole que connaît le pays, la production céréalière, base de l’alimentation, croît moins vite que la population, faisant ainsi chuter les disponibilités par personne. Les causes de ce mal-développement sont complexes : les faibles précipitations des années 1970-1980 bien sûr, qui obèrent fortement les rendements d’une agriculture essentiellement pluviale ; le régime des prix administrés et la police économique qui décourageaient les producteurs [12] ; mais également, et cela a sans doute été mal compris au début, le temps nécessaire à l’assimilation, par les paysans, de nouvelles techniques – y compris des techniques de gestion supposant une alphabétisation. On oublie trop souvent que le développement procède d’effets d’accumulation qui ne peuvent se concrétiser que dans la durée.

37 À partir de 1985, les choses changent rapidement : la croissance de la production démarre, et si elle connaît encore des variations liées aux aléas pluviométriques, elle est en moyenne largement supérieure à celle de la population. Le Mali devient auto-suffisant et peut, certaines années, outre une forte production de coton exportée (jusque 600 000 tonnes de coton graine), dégager des excédents alimentaires. Entre 1961 et 2003, alors que la population est multipliée par 2,7 et les productions de mil et de sorgho, céréales traditionnelles, sont multipliées seulement par 2, celle de maïs est multipliée par 4 et celle de riz par 5. Le Mali devient un producteur important de maïs, et plus encore de riz avec environ 1 million de tonnes par an. La réussite du riz doit beaucoup à une réhabilitation efficace de l’Office du Niger mais également au développement du riz pluvial dans le sud du pays. Le maïs accompagna le développement du coton, qui associait culture attelée, élevage, engrais organiques et minéraux. La grande majorité des exploitations agricoles maliennes engagées dans le « système coton » sont maintenant mécanisées, utilisent des quantités importantes de fumier, ont recours aux engrais et aux pesticides. Les exploitations les plus pauvres (10 % à 15 %) restées à l’écart de ce bouleversement sont celles qui ne produisent que peu ou pas de coton (Soumaré, 2008).

38 Ne s’agit-il pas d’une véritable révolution agricole ? Elle a modifié en profondeur l’organisation des terroirs, avec une augmentation de la surface cultivée par exploitation et l’abandon du système d’abattis-brûlis à jachère au profit d’un ager avec des champs cultivés en permanence, et d’un saltus pour le pâturage d’un troupeau important qui permet des transferts latéraux de fertilité par la production d’une masse importante de fumier. L’afro-pessimisme dominant et le sentiment que l’Afrique ne se développait pas ont peut-être contribué à masquer l’importance de cette évolution très rapide des campagnes maliennes.

39 On peut penser que le passage à la moto-mécanisation qui est en train de s’effectuer sous nos yeux constitue l’amorce d’une seconde révolution agricole fondée cette fois sur l’emploi de plus en plus répandu de moteurs fixes pour l’agriculture. Cette révolution se produit dans la continuité de la précédente mais elle présente également des spécificités. En premier lieu, le rôle déterminant de l’initiative privée, commerçants et paysans. À Sélingué, par exemple, nous n’avons pas trouvé trace d’une intervention extérieure à l’origine de la diffusion des moto-pompes pour la production de bananes.

40 La seconde spécificité est géographique : alors que la première révolution agricole concernait l’agriculture pluviale et s’étendait largement sur les plaines et les bas plateaux du sud du pays, cette petite moto-mécanisation se développe principalement (mais pas exclusivement) dans les vallées, à commencer bien sûr par la plus importante d’entre elles, celle du Niger. À terme, ces pratiques renforçant l’attractivité des vallées pourraient entraîner une modification sensible de la répartition de la population, traditionnellement plus dense sur les plaines et plateaux.

41 Un dernier point doit être évoqué : celui de l’impact présumé de ces équipements sur les disponibilités en eau du fleuve et sur la nécessaire régulation de ses usages. Une moto-pompe qui débite 5 mà 10 mpar heure, quelques heures par semaine ou par jour pour les usages les plus intensifs, a a priori un impact négligeable sur le débit du fleuve. Mais on peut se préoccuper des conséquences de l’utilisation de milliers de pompes, en particulier au cœur de la saison sèche, lorsque le fleuve est au plus bas. Le Niger connaît de basses eaux sévères, et si le barrage de Sélingué assure un débit minimum de 100 à 140 m3/seconde, l’Office du Niger en réclame les deux tiers, tandis qu’un quart doit servir à assurer les écoulements et alimenter les villes en aval, en commençant par Bamako et en finissant par... Niamey. Si l’on replace la ressource en eau dans l’ensemble de la gestion du bassin transnational du Niger, on voit que la marge est très étroite, d’autant que ces très nombreux petits usagers sont loin d’être tous connus et que leur impact global n’est jamais pris en compte dans les plans d’aménagement du fleuve à différentes échelles. Cela est d’autant plus regrettable que cette petite irrigation, très efficiente, présente une alternative intéressante au développement de la grande irrigation gravitaire, la seule réellement prise en compte dans les plans officiels, qui certes donne actuellement de bons résultats dans l’Office du Niger mais se révèle peu économe en eau et, de plus, coûteuse à créer et à pérenniser.

Bibliographie

Bibliographie indicative

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  • Brunet R. (dir.) (1994). « Les Afriques au Sud du Sahara », in Géographie universelle, Paris, Belin-Reclus, 480 p.
  • Cirdes (2005). « Résumé exécutif : Atelier international d’échange : traction animale et stratégies d’acteurs : quelles recherche, quels services face au désengagement des États ? », 37 p.
  • Cour, J.M. (2002). L’Économie locale du cercle de Ségou, OCDE, 61 p.
  • Cruz J.F., Faure J. (1993). « La technologie post-récolte des céréales », in Le Développement agricole au Sahel, t. II, coll. « Documents systèmes agraires », CIRAD/SAR, 366 p.
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  • Grain de sel (2006). « Carte des principales zones vivrières en Afrique de l’Ouest », mars-août, n34-35, 22 p.
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  • Pirot R. (dir.) (1998). La Motorisation dans les cultures tropicales, CIRAD, coll. « Techniques », 351p.
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  • Soumaré M. (2008). Dynamique et durabilité des systèmes agraires à base de coton au Mali, thèse de géographie, Université de Paris-Ouest, Nanterre, La Défense. 344 p.
  • Traoré, M. (dir.) (1980). Atlas du Mali, Paris, Jeune Afrique, coll. « Les atlas Jeune Afrique », 2e éd., 80 p.
  • Van Der Meijden, G. (1998). « La motorisation en Afrique de l’Ouest. Enquête sur l’utilisation actuelle et les conséquences du labour fait avec des machines propulsées par moteur », Document de travail, Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), 18p.

Notes

  • [1]
    euro équivaut à 655,957 FCFA.
  • [2]
    Derrière le Nil et le Congo ayant une longueur respective de 6650 et 4700 km.
  • [3]
    De façon générale, les achats se font par l’intermédiaire d’une transaction monétaire au comptant entre le client et le commerçant. Le système de crédit est peu utilisé, car les retards de paiements sont fréquents. Les paysans ne disposant pas de suffisamment de ressources monétaires sont trop exposés à des aléas financiers (mauvaises récoltes, frais médicaux, décès familiaux...), et le système est trop lacunaire pour garantir des remboursements réguliers. Cependant les commerces sont contraints à accepter occasionnellement ce système, afin de s’adapter à ce type de clientèle. Dans ce cas, certaines facilités de paiement sont octroyées en fonction des relations existantes entre le commerçant et le client.
  • [4]
    Au Mali, le développement des ateliers de forgerons de village s’est fait grâce à l’impulsion de la Compagnie malienne de développement du textile dans les années 1970-1980, par des programmes de formation.
  • [5]
    Plusieurs postes à soudures, tour à métaux, etc.
  • [6]
    Pompe Ciwara, Ciwara Nojo, Ciwara Kolodjan, Lafia.
  • [7]
    Cet atelier de fabrication métallique, qui existe depuis 1997, a été créé à l’origine par un projet américain de l’Appropriate International Technology (AIT). Il travaille encore aujourd’hui en concertation avec l’United States Agency for International Development (USAID) dans le cadre du Programme de développement de la production agricole au Mali (PRODEPAM) et en collaboration avec les actions menées par l’ONG Kickstart.
  • [8]
    Elles produisent des charrues, herses, planches niveleuses mais aussi des batteuses, décortiqueuses et botteleuses de paille. Elles importent et montent sur place des motoculteurs chinois et thaïlandais.
  • [9]
    L’ON comprend 22 ateliers et 44 forgerons. Il existe différents niveaux d’outillage pour chaque atelier. En règle générale, ces derniers sont constitués d’un poste de soudure électrique et de l’outillage de base du forgeron (enclume, forge, disque à meuler, marteau, pince, etc.). Chaque atelier achète son équipement à crédit, par l’intermédiaire d’une société de micro-crédit destinée aux forgerons. Douze boutiques sont réparties dans les cinq zones de l’Office afin de commercialiser les pièces de rechange.
  • [10]
    Le projet « Plateforme multifonctionnelle pour la lutte contre la pauvreté » est un programme national et international faisant partie du Programme régional d’équipement contre la pauvreté (PREP) sous la direction du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).
  • [11]
    Ces tâches peuvent avoir des conséquences graves sur le développement physique de l’enfant, et celui-ci est généralement déscolarisé pour pouvoir travailler à plein temps dans l’exploitation familiale. Mais en contrepartie, ce travail des champs relève d’une forme sinon de « scolarisation », du moins d’un apprentissage de terrain où sont inculqués les rudiments et les stratégies du domaine agricole là même où l’enfant a de grandes chances d’évoluer plus tard. De plus, cette activité est un biais important d’insertion dans les réseaux sociaux de leurs villages, de leurs terroirs et même du pays. Dans les zones urbaines et périurbaines, les enfants vont dans les exploitations après l’école et le week-end, ou pendant les vacances. La situation est différente en campagne où le paysan, polygame et souvent père de nombreux enfants, ne peut se permettre financièrement de les envoyer tous à l’école. Quand les revenus sont suffisants, quelques-uns d’entre eux sont scolarisés, généralement les aînés, pendant que les autres sont envoyés aux champs. Mais de façon générale, et pour insatisfaisante que soit cette situation, il est préférable de voir ces enfants au travail dans les exploitations agricoles au sein du cercle familial plutôt qu’abandonnés à leur sort : soit rejetés par la famille et obligés de survivre dans les centres urbains en mendiant, soit placés comme talibé (sous la garde d’un marabout qui lui procure un enseignement coranique, le talibé doit mendier la majeure partie de la journée afin de « payer » à son maître sa nourriture).
  • [12]
    Nous nous souvenons d’une discussion passionnée en 1980 avec un agriculteur des marges du delta intérieur qui disposait d’une forte main-d’œuvre et d’un foncier abondant, mais à la faible production de mil. Interrogé sur ce point il répondit d’un ton sans appel : « Lorsque l’Etat paiera plus de 35 FCFA le kilo [c’était alors le prix officiel], j’en produirai... ».
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