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Article de revue

Les grands ensembles de banlieue comme menaces urbaines ?

Discours comparés – Allemagne, France, Pologne.

Pages 515 à 535

Notes

  • [1]
    Aucune définition des grands ensembles ne fait vraiment l’unanimité, même si leurs principales caractéristiques font consensus : « Forme architecturale faite de barres et de tours, taille de 500 ou 1000 logements minimum, localisation généralement périphérique, financement aidé par l’État sous des formes diverses, présence dominante de statut locatif, édification rapide suivant des techniques de préfabrication... » (Fourcaut, in Dufaux et Fourcaut, 2004, p. 15). « Planification et construction dans les années 1960 et 1970 ; des unités d’habitation fonctionnelles et autonomes ; une conception urbanistique globale comprenant l’habitat, les espaces verts, les terrains libres, les réseaux de transport et les infrastructures ; une apparence marquée par le grand nombre d’étages ; une majorité de logements sociaux » (Fuhrich et Mannert, 1994, p. 567, traduction des auteurs).
  • [2]
    « Quartiers sensibles ».
  • [3]
    « Les chômeurs doivent déménager dans les cités ! – Dresde : Bientôt des ghettos de chômeurs dans les vieilles cités de la RDA ? » Toutes les traductions sont proposées par les auteurs.
  • [4]
    Les signifiants acquièrent leur signification dans le contexte de leur utilisation. Toute proposition de traduction est une interprétation, la prescription d’une signification, mais également une transformation du sens. Les concepts de différentes langues ne sont pas transposables de l’une à l’autre (Bachmann-Medick, 2006, p. 238). Or la comparaison de nos résultats en allemand, polonais et français nous confronte à cet obstacle. Nous restituons pour cette raison les termes et citations en priorité dans leur langue d’origine. Pour la compréhension de l’analyse, nous proposons quand même une traduction des termes cités dans le texte et une traduction des citations en bas de page. Cette proposition prend sens car les termes traduits sont alors inclus dans leur contexte, ce qui n’est pas le cas dans les quatre illustrations à venir, pour lesquelles nous ne proposons donc aucune traduction.
  • [5]
    Nous considérons les institutions comme des discours sédimentés (Laclau, 1990, p. 34). Elles sont caractérisées par une grande stabilité temporelle et contribuent à une réglementation de la production d’énoncés, et ainsi de nouveau à la consolidation d’un discours hégémonique (Nonhoff, 2007).
  • [6]
    Chantal Mouffe, née en 1943 en Belgique est professeur de théorie politique à l’Université de Westminster. Ernesto Laclau, né en 1935 en Argentine est professeur de théorie politique à l’Université d’Essex.
  • [7]
    Les archives intégrales de médias forment des corpus homogènes de grande amplitude : l’ensemble des textes qui les constitue relève des mêmes règles d’énonciation, ils appartiennent au même genre et relèvent d’une même position énonciative (Glasze, 2007). Ces sources donnent accès à un discours dont nous enquêtons les structures sous-jacentes constantes durant la décennie étudiée, indépendamment des multiples opinions rapportées aux personnes interrogées, aux auteurs d’articles, des évènements racontés quotidiennement.
  • [8]
    Le choix de mots-clés pour l’extraction des articles des archives intégrales a dû composer avec l’intraduisibilité des termes et plus particulièrement du mot français « banlieue », dont l’usage ne trouve pas d’équivalent en allemand ou en polonais. Son usage dans le corpus médiatique désignant avant tout les quartiers de grands ensembles des périphéries urbaines, c’est donc à partir de ces derniers qu’ont été élaborés les mots-clés pour l’extraction des articles dans les médias allemand et polonais.
  • [9]
    Le Süddeutsche Zeigung a été choisi du fait qu’il s’agit d’un grand quotidien suprarégional. Au cours de l’enquête s’est révélée la pertinence d’une distinction entre les discours sur les grands ensembles de l’ex-est et de l’ex-ouest de l’Allemagne.
  • [10]
    Oxford WordSmith Tools 5.0, par Mike Scott, publié par Oxford University Press. Voir Internet : http://www.oup.com/elt/catalogue/guidance_articles/ws_form?cc=global (06/03/2009).
  • [11]
    Les termes et citations issus du traitement des différents corpus sont, quelle que soit leur langue, en italique. Entre guillemets apparaissent les thèmes selon lesquels les termes ont été regroupés.
  • [12]
    A l’issue du traitement qualitatif approfondi du corpus, les citations suivantes ont été choisies comme objet d’étude, car elles sont caractéristiques d’articulations particulières qui apparaissent régulièrement tout au long du corpus, qu’elles reproduisent de manière particulièrement intense. Elles ne sont pas considérées comme significatives du moment de leur énoncé, ni comme propres à la personne qui s’exprime.
  • [13]
    « C’est ainsi qu’une ville entière [Marzahn] surgit, [...] de plus en plus marquée par les traits de caractère et les idées du socialisme et du communisme [...]. Marzahn est un archétype du cauchemar architectural du Plattensozialismus [socialisme fonctionnaliste urbain] et d’une exécution des travaux défectueuse – la réhabilitation de ces bâtiments pourtant récents a, du fait de la contamination par l’amiante [...], de la mauvaise qualité des matériaux et de l’isolation thermique, la réputation d’être un cas sans comparaison possible. »
  • [14]
    « La pauvreté à l’ouest de Munich se concentre sur quelques quartiers à problèmes [...] – les quartiers de grands ensembles sont particulièrement concernés. »
  • [15]
    Neuperlach est un grand ensemble de la périphérie de Munich.
  • [16]
    Les résultats de cette enquête quantitative de corpus médiatiques confirment en cela les autres recherches qualitatives sur le sujet (Best et Gebhardt, 2001 ; Rigouste, 2004).
  • [17]
    « Pourtant la rue Jagienki fut quelques temps la plus sûre de Lód” raille T. Iwinska, une habitante du quartier et ajoute alors sérieusement : “Ici, le jour on est en sécurité. Mais on sait bien que les voleurs viennent d’habitude la nuit. Ils volent des roues de voitures, des autoradios et des rétroviseurs. C’est un fléau.” [...] Le “point de sécurité”, qui doit être utilisé par les patrouilles communes de la police, de la surveillance municipale et des services de sécurité privés sera ouvert mercredi à Janowie. Le premier à Lód avec l’argent des habitants»
  • [18]
    « Tenever, que l’on appelle “petit Manhattan”. L’entassement de trop nombreuses personnes avec de trop grands problèmes a fait de Tenever un lieu dangereux. Cela veut dire que celui dont le comportement saute aux yeux est contrôlé. 53 nationalités résident ici, les RMistes et les rapatriés allemands de l’Est [Aussiedler] sont surreprésentés. »
  • [19]
    Si la crainte du terrorisme est le contexte qui donne sens à cette citation, de telles associations sont également observées en référence à la criminalité et la délinquance.

1 Que désigne-t-on par « banlieue », « cité » ou bien « quartier en difficulté » ? Le fonctionnalisme a produit des « zones d’habitat collectif » ; les urbanistes et aménageurs ont construit des « grands ensembles de périphérie » (Dufaux et Fourcaut, 2004 ; Hannemann, 2005) ; les institutions publiques ont créé des « zones urbaines sensibles » (Tissot, 2007) ; les anthropologues publient sur les multiples aspects de la culture des « banlieues » (Liell, 2003) ; les médias reviennent inlassablement sur l’insécurité dans les « ghettos » (Rigouste, 2004 ; Ronneberger et Tsianos, 2009). Ces mêmes espaces sont coproduits selon de multiples processus qui manipulent à la fois de la matière et des idées, des actions institutionnelles et des gestes quotidiens. Une approche constructiviste de l’espace a pour intérêt non seulement d’en faire la résultante d’un processus de (re)production sociale, mais également d’envisager la multiplicité des consistances sociales de l’espace, tantôt idéel, matériel, institutionnel, culturel, etc. (Di Méo, 1998). Or l’espace a également une dimension discursive, car la langue est un instrument essentiel de la constitution du réel (Bachmann-Medick, 2006, p. 36). Nous proposons d’aborder une problématique centrale de la géographie sociale et culturelle française, à savoir la production de l’espace social, en affirmant que ce dernier est également constitué par des discours. Nos fondements théoriques et méthodologiques sont à la confluence de deux filiations : pour les dimensions théoriques d’une part, celle du poststructuralisme (Stäheli, 2000) et pour les dimensions méthodologiques d’autre part, celle de la recherche lexicométrique en linguistique (Fiala, 1994). Toutes deux trouvent leurs sources dans les réflexions linguistiques sur le signifiant et le signifié, menées en particulier par F. de Saussure au début du xxe siècle.

2 Les théories du discours proposées par les sciences sociales anglophones (discourse theory) et germanophones (Diskursforschung) offrent une contribution tant théorique que méthodologique fondamentale à la compréhension de l’espace social. La relecture des travaux de M. Foucault et de J. Derrida par une partie des sciences sociales anglophones au sein d’un courant alors désigné comme poststructuraliste a conduit à la formalisation et la diffusion du concept de discours (Angermüller, 2007). Le discours, « processus social complexe de production du sens » (Nonhoff, 2007, p. 80), consiste en un « ensemble de séquences de signes [...] en tant qu’on peut leur assigner des modalités d’existence particulières » (Foucault, 1969, p. 148). La signification des énoncés résulte de leur agencement à l’intérieur d’une structure discursive au sein de laquelle ils sont régulièrement mis en relation. Le recours à la notion de discours ne tente pas de (re)produire une conception duelle du fait social départagé entre matériel et immatériel. La matérialité et les évènements trouvent au contraire une signification et par là même une pertinence sociale à travers leur inscription dans un discours. L’ensemble des énoncés qui constituent le discours forme également le cadre plus ou moins cohérent de ce qui peut être dit et fait.

3 L’espace est constitué par les discours en ce que les significations d’un espace ou d’un lieu sont élaborées, discutées, façonnées par les différents discours. L’intérêt d’une telle conception est, tout en interrogeant la production sociale d’un espace immatériel, de proposer un dépassement des représentations, concept central de la géographie sociale francophone (Frémont, 1976). Elle laisse en effet de côté l’idée d’une émergence principalement individuelle d’images forgées au cours du vécu, de l’expérience du réel, dont la teneur est essentiellement affective, mentale et sensible. Elle affirme au contraire la constitution dans l’enchevêtrement des discours de ce qui est dicible et concevable dans un contexte donné. Du dicible et du concevable dépendent l’élocution des énoncés, le modelage des espaces concrets et l’accomplissement des actions qui forment le monde. Les significations élaborées dans les discours modèlent plus le réel qu’elles n’en sont issues et elles se prononcent au-delà des particularités individuelles sur ce qui est admis comme légitime ou bien légitime. Catégorisations sociales et qualifications spatiales notamment sont analysées en ce qu’elles ordonnent le monde social. Grâce à cette perspective macrosociale, nous interrogeons les ressorts de la constitution discursive des grands ensembles de banlieue en Allemagne, en France et en Pologne.

4 Les discours que nous analysons dans cet article traitent d’une forme urbaine [1] qui a fortement marqué la physionomie des périphéries urbaines depuis les années 1950 au-delà des systèmes politiques en Europe de l’Est et de l’Ouest, une forme urbaine que les débats publics qualifient aujourd’hui de manière récurrente de « ghettos » ou de soziale Brennpunkte[2]. Ces espaces sont souvent représentés comme des quartiers difficiles, synonymes d’insécurité, de violence et de marginalité sociale. Les images et récits des émeutes des cités françaises de l’automne 2005, présents durant des semaines dans les médias européens, y ont contribué autant que le rapport quotidien des faits divers des grands ensembles de banlieue. Le 27 juillet 2004, le Bild Zeitung titrait : « Arbeitslose sollen in Plattenbauten ziehen ! Dresden – Gibt es bald Arbeitslosen-Ghettos in alten DDR-Plattenbausiedlungen ? » [3] . Cette formulation associe étroitement grands ensembles et difficultés sociales : la combinaison régulière de références spatiales et de termes dotés d’une signification sociale est désignée dans cet article sous le terme de spatialisation discursive (diskursive Regionalisierung). Or une telle imbrication discursive de différenciations spatiales (sur le principe des distinctions ici/là, intérieur/extérieur) et de différenciations sociales (par exemple étranger/familier, sûr/dangereux) contribuent à l’établissement de modèles d’ordre social spatialisés. C’est selon ce principe que les espaces sont dotés d’une signification sociale : la spatialisation discursive ne se limite pas à la qualification des espaces, mais les inclut dans un ordre social (Glasze et al., 2005). Ainsi, au-delà des images valorisantes ou stigmatisantes marquant tel lieu ou telle forme urbaine, nous cherchons à établir comment, dans trois pays européens – la France, l’Allemagne, la Pologne – les discours sur les grands ensembles de banlieue les mobilisent pour la production d’un ordre social urbain. Le matériau de l’enquête consiste en textes médiatiques qui sont particulièrement adaptés à l’analyse du discours.

5 L’établissement discursif d’un ordre social prend-il la même forme pour ces trois cas relevant du contexte européen ? Le discours sur les grands ensembles de banlieue est-il intrinsèquement lié à l’échelle nationale ou bien est-il également lié à des contextes relevant d’autres échelles ? La comparaison linguistique de textes médiatiques issus de trois langues différentes [4] pose la question du rapport entre langue et espace national, et plus particulièrement celle d’un éventuel assujettissement des discours aux langues nationales. Celles-ci ont une dimension spatiale, de par la diffusion du langage législatif, administratif et médiatique dans des réseaux correspondant aux territoires nationaux. Les discours sont, quant à eux, contextualisés et spatialement différenciés en raison de leur sédimentation, c’est-à-dire de la consolidation historique de différentes structures institutionnelles [5]. Les discours ne sont cependant pas fondamentalement confinés aux frontières nationales, ils prennent seulement sens au sein de contextes socio-spatiaux que nous chercherons à déterminer. À partir du postulat d’une sédimentation historique des discours tout au long de l’histoire cinquantenaire des grands ensembles, nous formulons l’hypothèse d’une éventuelle ligne de fracture des discours entre Est et Ouest (de l’Allemagne et de l’Europe). Au cours de l’analyse quatre contextes discursifs seront distingués : les discours produits sur les grands ensembles en Pologne, en France et en Allemagne, pour laquelle nos résultats nous ont amenés à distinguer l’Est et l’Ouest (fig. 1 à 4). Nous expliquerons d’abord comment nous avons élaboré et abordé un corpus de textes médiatiques adapté à la comparaison des discours sur les grands ensembles de banlieue, avant de montrer quels sont les signifiants utilisés pour leur qualification. La constitution discursive des grands ensembles – qu’ils soient menaçants ou menacés – fait des questions de sécurité un enjeu sociétal.

1 Quatre discours sur les grands ensembles de banlieue : l’ordre dans le langage

6 Comment appréhender les significations d’un discours ? Les corpus de textes et le choix des méthodes de traitement de ces textes doivent souscrire à l’exigence de comparabilité quant aux conditions réciproques de leur production et quant aux trois langues utilisées. Ils doivent également permettre de faire émerger la constitution dans l’espace de l’ordre social.

1.1 Identifications et différenciations discursives au cœur des significations hégémoniques

7 Comment déterminer la signification d’un texte pour déchiffrer la constitution discursive de l’ordre social ? Notre recherche s’est basée sur les travaux de la geographische Diskursforschung allemande (théorie des discours en géographie) à partir d’une conception du discours développée dans les travaux des politologues C. Mouffe et E. Laclau [6], dont les analyses se focalisent sur les dimensions sociales et politiques, via une étude des procédés de signification (Laclau et Mouffe, 2009 [1985]). Les mots ne sauraient être dépositaires d’une signification par eux-mêmes : ils l’acquièrent par la mise en ordre et en relation entre eux au sein de systèmes de signes (par exemple la langue en général, ou bien des textes en particulier). L’acte discursif est une mise en relation contingente des signifiants au cours de laquelle émerge une signification temporaire que l’on nomme articulation. Les relations entre deux éléments lexicaux sont envisagées de manière dialectique : elles relèvent soit d’une relation d’équivalence, soit d’une relation d’opposition – chaque articulation produit ainsi sens et pouvoir (Nonhoff, 2007).

8 Les énoncés étant perpétuellement renouvelés, l’articulation est donc un processus permanent où ces relations sont toujours susceptibles d’évoluer, ce qui explique que les significations soient contingentes et temporaires (Moebius, 2003). L’hétérogénéité des énoncés parfois antagonistes, la re-discussion et la transformation des opinions ainsi que les conflits participent du discours et de la constitution de conceptions du monde dominantes. Certaines significations stabilisées dans le temps et particulièrement répétées acquièrent une puissance particulière en ce qu’elles peuvent passer pour naturelles. L’ensemble de ces significations naturalisées (réunies au sein d’une formation discursive) constitue alors ce qu’E. Laclau et C. Mouffe désignent sous le terme d’hégémonie (Laclau et Mouffe, 2009 [1985]). La puissance des significations hégémoniques réside en ce qu’elles sont dépositaires de la légitimité d’un ordre social, des mythes, des représentations du monde, et en ce qu’elles excluent en même temps d’autres mythes et représentations de cette légitimité. Elles configurent ainsi le monde social : des significations hégémoniques sont issues les conceptions dominantes de l’ordre légitime de l’espace urbain et de la société (Glasze et al., 2005, p. 333).

9 L’étude systématique et quantitative, sur une période contemporaine de dix années, de textes médiatiques qui prennent la désignation spatiale de grands ensembles de banlieue comme objet nous permettra de déterminer quelles différenciations sociales sont mobilisées de manière récurrente pour leur constitution discursive. L’étude des relations d’opposition et d’équivalence inscrites dans les discours montrera comment ces différenciations opèrent en grande partie par des jeux dialectiques avec l’ordre social : les grands ensembles sont constitués en antagonisme ou en conformité avec ce dernier, selon les thèmes et les cas.

10 Les archives intégrales [7] des grands journaux quotidiens nationaux que sont le Süddeutsche Zeitung pour l’Allemagne (1994-2006), Le Monde pour la France (1995-2006), le Gazeta Wyborcza pour la Pologne (1994-2007) ont servi de base à la constitution des corpus d’enquête par extraction des articles publiés traitant des grands ensembles de banlieue [8] (pour la France, la Pologne, l’Allemagne de l’Est d’une part et de l’Ouest d’autre part [9]). Dans la vie publique, ces textes médiatiques représentent une scène de débats politiques, de discussion et d’expression des opinions légitimes (Péralva et Macé, 2002). Du fait de cette position énonciative dominante, les textes choisis sont considérés comme propices à l’émergence des significations hégémoniques, non pas dans le détail des affirmations parfois contradictoires qui les constituent, mais à travers l’ensemble des structures discursives qui en émergent. Leur mise en évidence a fait appel à une enquête lexicométrique quantitative. Les sciences linguistiques ont élaboré des méthodes permettant l’analyse quantitative des formes lexicales dans de volumineux corpus de textes et ainsi même la mise en évidence des grandes lignes du discours (Glasze, 2007 ; Mattissek, 2007, p. 108). Les combinaisons répétées de formes lexicales dessinent un réseau de significations contingent et mouvant, au sein duquel les différents signifiants utilisés (les mots) sont dotés de signification seulement par leur interrelation avec les autres (Dzudzek et al., 2009). La compréhension de ce réseau contingent passe dans un premier temps par la mise en évidence des termes qui « s’entre-définissent », et dans un second temps par la mise en évidence des relations (équivalence, opposition, temporalité, causalité, ou bien ambivalences) qui les unissent.

1.2 Thématiques des discours sur les grands ensembles de banlieue

11 Le premier temps de l’analyse, marqué par une dimension empirique et exploratoire, consiste à déterminer les mots-clés du discours sur les grands ensembles de banlieue respectivement dans les quatre contextes. Les mots-clés ne sont pas les termes les plus fréquents dans le corpus enquêté, mais ceux dont la fréquence effective dans le corpus enquêté est beaucoup plus élevée que leur fréquence probable mesurée dans un corpus de référence (ici, les archives complètes de chaque quotidien). Leur représentation ci-après (cf. fig. 1 à 4) résulte d’un calcul grâce au logiciel Oxford WordSmith Tools[10] et représente les mots-clés des discours sur les grands ensembles de banlieue en fonction de leur « valeur clé » (plus celle-ci est importante, plus la fréquence effective est supérieure à la fréquence probable, à savoir plus le terme est caractéristique du texte enquêté) et en fonction de leur fréquence absolue. Leur ordonnancement radial sous forme de thèmes résulte d’une interprétation destinée à faciliter la comparaison. Cette méthode de calcul statistique est également utilisée à une échelle plus fine pour déterminer les relations de proximité qui unissent ces mots-clés entre eux, de manière à savoir quel terme est plus souvent présent dans l’environnement d’un autre (Baker, 2006) et par exemple quels mots-clés constituent les significations des termes jeune[11], Jugendliche en allemand et m?odzie en polonais.

12 Après traitement systématique de corpus volumineux, la mise en lumière de telles corrélations quantitatives représente le principal intérêt des méthodes lexicométriques. Les résultats ne permettent pas de préjuger des opinions formulées au sein des énoncés, ni même de l’établissement systématique ou régulier d’équivalences (entre banlieue et jeune ?) ou d’oppositions (entre jeune et police ?). Or, non seulement la corrélation quantitative mais aussi les modalités de la relation sont fondamentales pour l’élaboration des significations (Glasze et al., 2009). Le second temps de l’analyse a été ainsi consacré à l’étude de l’articulation des principaux mots-clés : la comparaison systématique des énoncés citant un terme choisi permet de déterminer quelles sont les relations qui s’établissent régulièrement entre les différents termes – équivalence, opposition, causalité ou temporalité (Somers, 1994, p. 616). Dans cette contribution, les citations [12] sont des illustrations permettant de restituer les interprétations issues de cette analyse qualitative.

Fig. 1

Mots-clés du discours sur les grands ensembles de banlieue de France, Le Monde, 1995-2006. Keywords of the discourse on large housing estates in France, Le Monde, 1995- 2006.

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Mots-clés du discours sur les grands ensembles de banlieue de France, Le Monde, 1995-2006. Keywords of the discourse on large housing estates in France, Le Monde, 1995- 2006.


Fig. 2

Mots-clés du discours sur les grands ensembles de banlieue de l’Allemagne de l’Ouest, Süddeutsche Zeitung, 1994-2006. Keywords of the discourse on large housing estates in West Germany, Süddeutsche Zeitung, 1994-2006.

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Mots-clés du discours sur les grands ensembles de banlieue de l’Allemagne de l’Ouest, Süddeutsche Zeitung, 1994-2006. Keywords of the discourse on large housing estates in West Germany, Süddeutsche Zeitung, 1994-2006.


Fig. 3

Mots-clés du discours sur les grands ensembles de banlieue de l’Allemagne de l’Est, Süddeutsche Zeitung, 1994-2006. Keywords of the discourse on large housing estates in Ost Germany, Süddeutsche Zeitung, 1994-2006.

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Mots-clés du discours sur les grands ensembles de banlieue de l’Allemagne de l’Est, Süddeutsche Zeitung, 1994-2006. Keywords of the discourse on large housing estates in Ost Germany, Süddeutsche Zeitung, 1994-2006.


13 Les premiers résultats présentés ci-dessus montrent comment les différenciations discursives mobilisent les échelles nationales, transnationale ou la dichotomie est/ouest-européenne. Premièrement, les thèmes des discours sur les grands ensembles de banlieue diffèrent selon les contextes nationaux (la « religion » est absente du champ discursif pour l’Allemagne et la Pologne ; l’« économie » n’est présente que dans le cas polonais ; l’« aide sociale » seulement dans le cas allemand). Deuxièmement, un noyau discursif commun caractérise les discours sur les grands ensembles au niveau transnational (les champs sémantiques « ville » et « transport », « éducation » et « famille », « violence » et « sécurité » sont systématiquement présents, même si leur importance varie). Troisièmement, les discours sont différenciés également entre Est et Ouest de l’Europe, dont la limite scinde l’Allemagne en deux : les références à l’« histoire » sont, pour l’Allemagne de l’Est et la Pologne, caractéristiques du discours sur les grands ensembles alors que la « jeunesse », la « pauvreté » et l’« étrangeté » sont des caractéristiques exclusives de la France et de l’Allemagne de l’Ouest. Cependant, même si certains thèmes sont communs à plusieurs cas, ils ne sont pas mobilisés de la même façon et leurs significations ne sont pas équivalentes pour les grands ensembles, en particulier dans leur rapport à l’ordre social.

Fig. 4

Mots-clés du discours sur les grands ensembles de banlieue de la Pologne, Gazeta Wyborcza, 1994-2007. Keywords of the discourse on large housing estates in Poland, Gazeta Wyborcza, 1994-2007.

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Mots-clés du discours sur les grands ensembles de banlieue de la Pologne, Gazeta Wyborcza, 1994-2007. Keywords of the discourse on large housing estates in Poland, Gazeta Wyborcza, 1994-2007.


2 Les grands ensembles de banlieue : dialectiques de l’ordre social

14 L’étude approfondie des cinq champs lexicaux montre comment les grands ensembles sont définis par rapport à l’ordre social. Par le moyen des processus de différenciation linguistique, l’ordre social discursif distingue ce qui relève de la Mehrheitsgesellschaft, société majoritaire et légitime, et ce qui y est extérieur voir opposé. En abordant ces champs lexicaux, nous montrons la diversité de la constitution discursive des grands ensembles de banlieue dans les quatre cas.

2.1 Renouveau ou déclin urbains ?

15 Si le champ lexical de la « ville » est le plus caractéristique du discours sur les grands ensembles dans les quatre cas (à propos d’architecture, de gestion urbaine ou bien de voierie), les discours focalisent sur les questions de (dé) construction et de rénovation urbaine surtout en Pologne et en Allemagne. Il est question, pour la Pologne, d’internationalisation, de modernisation (modernizacja), de développement de projets de construction (investor, investisseur ; planu, plan), de privatisation (developer, entrepreneur privé). Par contre, les grands ensembles est-allemands, à propos desquels la démolition et la déconstruction des cités sont mentionnées, sont qualifiés par leur besoin d’une revalorisation. Le remodelage urbain, premier thème caractérisant les grands ensembles polonais et est-allemands, n’est pas porteur de la même signification. Selon son contexte, il fait l’objet de qualifications contraires : les grands ensembles polonais apparaissent comme les lieux d’un renouveau urbain et socio-économique, espaces florissants d’une société en plein essor alors que les grands ensembles est-allemands sont emblématiques d’un déclin urbain lié au passé proche.

2.2 Un passé socialiste encore présent

16 Le « passé » socialiste – et plus particulièrement le changement de régime – jouent un rôle essentiel pour l’élaboration de la signification des grands ensembles est-allemands, dont le déclin est souvent lié au passé (SED-Diktatur, dictature du parti unique ; Sozialismus, socialisme ; Mauerfall, chute du mur). La citation suivante montre le rapport causal régulièrement établi selon lequel les problèmes actuels des grands ensembles est-allemands seraient les résultats de l’idéologie socialiste : « So entstand eine eigene Stadt [Marzahn], [...] die mehr und mehr geprägt ist von den Wesenszügen und Idealen des Sozialismus und Kommunismus [...]. Ein Modell ist Marzahn geblieben : für die alptraumhafte Architektur des Plattensozialismus, für die fehlerhafte Bauausführung – wegen Asbestverseuchung [...], Materialfehler und fehlender Wärmedämmung gelten die an sich noch relativ jungen Häuser als einziger Sanierungsfall[13] » (Süddeutsche Zeitung, 07/06/1995). Les grands ensembles est-allemands sont considérés comme lieux d’un passé révolu, d’un autre monde, et leur le déclin est imputé à l’urbanisme socialiste de la RDA. Cet héritage urbain du socialisme sert de motif à une stigmatisation qui oppose les grands ensembles est-allemands à la société majoritaire. Les grands ensembles polonais sont aussi caractérisés par des désignations comparables se référant à l’époque socialiste (PRL, République Populaire de Pologne ; PZPR, Parti ouvrier unifié polonais), mais à l’inverse, au lieu de subir une stigmatisation, ils sont ainsi valorisés par la rupture d’avec le passé : le discours porte sur la modernisation et la transformation de la société (et des grands ensembles), face auxquelles l’héritage socialiste est obsolète.

2.3 Une marginalité sociale

17 Les grands ensembles de banlieue en France et en Allemagne (Est et Ouest) sont constitués comme lieux d’inégalité, de marginalité sociale, de pauvreté. « Armut im Westen [Münchens] konzentriert sich auf wenige Brennpunkte [...] – betroffen sind vor allem die Hochhaus-Viertel[14] » (Süddeutsche Zeitung, 30/07/2003). La pauvreté fait ainsi l’objet, d’une part d’une spatialisation discursive selon laquelle les grands ensembles sont des quartiers sensibles, et d’autre part d’une imbrication étroite avec les termes jeunes et immigrés qui sont, dans le discours sur les banlieues françaises, particulièrement concernés par le chômage. La combinaison des termes connotant des difficultés socio-économiques avec des notions spatiales telles périphérie ou Stadtgrenze dans les cas français et allemand, établit un ordre spatial urbain où la distinction entre l’intérieur et l’extérieur de la ville est mise en correspondance avec la distinction entre un extérieur et un intérieur de la société. La marginalité sociale est spatialisée et la société majoritaire est ainsi, d’un même mouvement, qualifiée et délimitée.

2.4 Altérités culturelles

18 Les mêmes procédés sont à l’œuvre à propos de l’altérité culturelle au sein des discours sur les grands ensembles français et ouest-allemands. La différenciation entre l’un et l’étranger y procède, d’une part, d’une altérité nationale (immigration ; Ausländer, étranger) et d’autre part d’une altérité culturelle (multiculturalisme ; interkulturelle, interculturel). L’étrangeté est connotée dans le contexte des grands ensembles français par des références fréquentes au Maghreb (algérien ; marocain ; beur), dans le contexte des grands ensembles ouest-allemands par des références à la Turquie, à la Grèce et aux Aussiedler (rapatriés, essentiellement de Russie), et par des références au Vietnam (vietnamesen) dans le contexte est-allemand. Sous ces différentes formes, l’étrangeté est utilisée pour la qualification et la désignation de quartiers urbains. Elle procède moins d’une référence à un espace lointain que de la différenciation de l’autre (une origine, une culture pensées comme étrangères) et de l’un (la société majoritaire, définie en creux comme française ou allemande par la médiation d’un certain nombre de valeurs). Dans le discours français sur les banlieues, les termes du champ lexical de l’islam apparaissent souvent dans le contexte de conflits liés à l’identité de la société française (affaire du foulard, terrorisme, construction de mosquées). Leur usage, en interaction étroite avec les références spatiales au Maghreb, consolide la qualification des banlieues françaises dans le discours dominant comme espaces considérés comme culturellement étrangers à la société française (Deltombe et Rigouste, 2005).

2.5 Les jeunesses ambivalentes des grands ensembles

19 La « jeunesse », cinquième et dernier champ lexical de ce focus, est un élément fondamental de la constitution discursive des grands ensembles et néanmoins le plus ambivalent. Les mots jeunes, Jugendliche, m?ody et enfant, Kinder ou dzieci? (en français, allemand et polonais) sont parmi les plus fréquents et caractéristiques des discours sur les grands ensembles (fig. 1 à 4). Cependant, selon les contextes, leurs significations sont fondamentalement différentes. Éducation et loisirs forment le noyau du discours s’appliquant à la jeunesse (surtout à l’enfance) dans le cas des grands ensembles polonais. Celle-ci n’est pas considérée dans les discours comme un groupe problématique – ce qui est pourtant le cas dans les trois autres contextes.

20 Les jeunesses des grands ensembles y sont souvent reliées au champ lexical de l’« exclusion » sociale (chômage ; insertion ; emploi). La singularité de la jeunesse des grands ensembles est-allemands réside dans une association étroite à l’extrême droite et ses manifestations violentes. Dans les cas ouest-allemand et français, les termes de la « jeunesse » sont très étroitement associés au vocabulaire de la « marginalité sociale », de la délinquance et de l’« étrangeté ». Trois des principales caractéristiques des grands ensembles de banlieues français et ouest-allemands sont également des caractéristiques fondamentales des jeunes dans le contexte de ces mêmes grands ensembles. La jeunesse est également explicitement qualifiée par l’appartenance à un espace dévalorisé : les jeunes sont des jeunes des quartiers défavorisés ou bien Jugendliche aus Neuperlach[15]. La réciprocité de la qualification des jeunes (difficiles) et des quartiers (en difficulté) suggère l’idée que ceux qui sont par ailleurs présentés comme exclus de la société majoritaire représentent pour elle un danger.

21 La structure discursive des textes médiatiques enquêtés dote les grands ensembles de banlieue d’une signification sociale déterminée par des réseaux de significations inter-référentiels (par exemple, dans le cas français, les significations de la « jeunesse », de l’« exclusion sociale », de l’« étrangeté » se définissent les unes les autres tout en constituant les grands ensembles) – qui sont pourtant des articulations contingentes (la présence ou l’absence de chacun des termes ou thèmes est purement contingente dans une situation donnée). Malgré cette complexité, la qualification des grands ensembles distingue nettement le cas polonais, où ils appartiennent de plein droit à une société en transformation, des cas allemand et français, où ce sont des espaces marginaux qui deviennent des menaces pour la société légitime [16]. Tout se passe comme si les menaces sur la sécurité, thématisées dans les quatre contextes, étaient l’élément discursif central autour duquel s’organise l’émergence d’une signification hégémonique des grands ensembles.

3 La sécurité menacée des grands ensembles de banlieue, variations du discours hégémonique

22 L’étude de la constitution discursive des espaces ne répond pas au but d’élucider des représentations spatiales, mais plutôt à l’intention de mettre en lumière le rôle social symbolique des discours sur l’espace. Dans les cas étudiés, la signification des grands ensembles de banlieue est un moyen par lequel une société qui se pense comme légitime et majoritaire se délimite, se définit, s’identifie et se différencie, elle est un moyen de la construction d’un « nous politique » (Moebius, 2003) à partir de la position énonciative donnée de médias nationaux. Or des nébuleuses d’interrelations discursives telles que celles identifiées ci-dessus ne suffisent pas à constituer une signification hégémonique. Cette dernière se constitue autour d’un nodal point, à savoir autour du point central d’un signifiant fixe, d’un terme ou d’un thème par rapport auquel l’ensemble des significations s’organisent de manière contingente en réseaux d’opposition et d’équivalence mouvants (Laclau et Mouffe, 2009 [1985]). Nous allons démontrer que la sécurité constitue ce point fixe, dont le rôle discursif symbolique dépasse l’omniprésence quantitative des champs lexicaux de la « violence », « criminalité » de la « police » et de la « surveillance ».

3.1 En Pologne, des blockowiska menacés à l’image de la société majoritaire

23 Les grands ensembles polonais (blokowiska) sont moins menaçants que menacés par le vol (kradziee), les cambriolages (w?ama), à l’occasion desquels l’inefficacité de la sécurité publique est affirmée. « Ale ulica Jagienki przez chwil? by?a najbezpieczniejsza w ?odzi – kpi Teresa Iwiska, mieszkanka osiedla, i ju serio dodaje : – W dzie jest tu bezpiecznie. Ale wszyscy wiedz?, e z?odzieje przychodz? w nocy. Kradn? ko?a, radia i lusterka z samochodów. To ju plaga. Punkt bezpieczestwa, z którego mia? korzysta wspólny patrol policji, ochrony i straników miejskich, zosta? otwarty w rod? na Janowie. Pierwszy w ?odzi. Za pieni?dze mieszkaców[17] » (Gazeta Wyborcza, 25/05/2003). Les argumentations en appellent à des interventions de sécurité spécifiques (stra miejska, patrouilles police) et privées (Ochrona, entreprise de sécurité privée) et mettent à l’honneur les moyens techniques de prévention (alarmowy, alarme ; monitoring, vidéosurveillance ; antyw?amaniowe, antieffraction). La production de sécurité urbaine est au cœur des débats : depuis le début des années 1990, le même scénario légitime la privatisation et la technicisation de la production de sécurité (en ce sens, voir aussi la multiplication des résidences surveillées en Pologne, cf. Gasior-Niemiec et al., 2009). Les grands ensembles polonais appartiennent de plein droit à la société majoritaire, locutrice des discours médiatiques enquêtés. La constitution discursive de la menace qui pèse sur ces espaces et leurs habitants est une raison de plus de renforcer la privatisation (zagospodarowania), la modernisation (modernizacja), la technicisation et l’internationalisation (investor) déjà en marche dans une société en transformation et en renouveau, en rupture avec son passé socialiste. Les grands ensembles sont à l’image de cette société nouvelle, à la recherche de sécurité vis-à-vis de dangers extérieurs. L’articulation du thème de la rénovation urbaine prend sens dans ce contexte où l’identité du « nous », de la société majoritaire se définit en se différenciant sur des critères principalement économiques d’une altérité représentée par son propre passé (cf. tableau 1).

24 Au contraire, les grands ensembles de banlieue français et allemands sont constitués comme des lieux menaçants, parce que s’y trouveraient des acteurs potentiels d’actes criminels et violents. Mais la désignation de l’altérité et la qualification du danger ne prennent pas les mêmes formes.

3.2 En Allemagne de l’Est, la violence des Plattenbauten est politique

25 Les cités est-allemandes sont considérées comme les lieux centraux d’une violence identifiée à l’extrême-droite (Krawalle, agressions et bagarres violentes ; Rechtsextremismus, extrême-droite) et étroitement associées à la jeunesse, à qui elle est attribuée. La conception et construction (défectueuse) des grands ensembles est-allemands à l’époque socialiste est évoquée comme une cause de leur déclin architectural et social, lui-même sollicité pour expliquer la violence d’extrême-droite contemporaine. Les discours font des Plattenbauten, grands ensembles est-allemands, les facteurs d’une insécurité qui s’exprime sous la forme d’une altérité politique (socialiste dans le passé, d’extrême-droite pour le présent). Comme dans le cas polonais, l’identité de la société majoritaire est discutée au prétexte de l’histoire politique (le passé communiste est constitué comme une altérité et mis en relation avec le déclin urbain malgré la rénovation), mais aussi de la politique contemporaine (l’extrême-droite est également constitué comme une altérité et mise en relation avec la violence), ce qui contribue ainsi à constituer en opposition l’identité de la société majoritaire contemporaine comme démocratique (cf. tableau 1).

26 Même si les deux thèmes du passé et des questions urbaines sont des éléments fondamentaux du discours sur les grands ensembles en Pologne et en Allemagne de l’Est, ils sont pourtant dotés de significations contraires, et montrent en cela comment l’élaboration de la signification est dépendante de son contexte. Le thème de l’étrangeté en est un autre exemple : il est certes abordé dans le cas du discours sur l’Allemagne de l’Est, mais ne se trouve pas articulé de la même manière aux questions de sécurité comme dans les cas français et ouest-allemand.

3.3 En Allemagne de l’Ouest et en France, l’insécurité vient du « ghetto »

27 Dans le cas français et ouest-allemand, les délits et faits de violence généraux ne sont pas traités comme des évènements politiques, même si le champ lexical de la délinquance et de la violence s’étend des faits les plus légers (incivilité) aux plus violents (attentat). La relation constante établie entre les grands ensembles et de tels problèmes de sécurité conduit à leur stigmatisation en tant que lieux déviants et déchus, échappant au contrôle social. La jeunesse est également place en première ligne de la violence. Comme en réponse à ces menaces, le champ lexical de la sécurité est focalisé sur les institutions publiques de maintien de l’ordre, la Polizei et la police : « À condition que la République fasse son travail et donne d’abord “un grand coup de balai” parmi les gangs des cités. La police, “il faut la remettre au boulot. Le plus grand nombre de bavures n’est pas de son fait, c’est la racaille qui tue le plus dans les cités” » (Le Monde, 13/06/2002). À la mise en équivalence de police et République d’une part, de cité et racaille d’autre part, s’ajoute leur constitution réciproque par antagonisme, les premières représentant la société légitime, les secondes le danger auquel elle est confrontée. Dans les discours sur les banlieues françaises, la police est l’émanation de la société majoritaire et légitime qu’elle représente. Elle entre ainsi en rapport de force violent avec les « cités ».

28 La qualification des grands ensembles de banlieue ouest-allemands et français participe d’un discours du ghetto. L’usage de ce terme dans les contextes français et allemand est dérivé de l’usage nord-américain (Best et Gebhardt, 2001). « Tenever, genannt “Klein-Manhattan”. [...] Das Zusammenpferchen von zu vielen Menschen mit zu großen Problemen hat Tenever zum ’Gefahrenort’ gemacht. Das heißt, jeder, der sich “auffällig” benimmt, darf überprüft werden. 53 Nationalitäten wohnen dort, überdurchschnittlich viele Sozialhilfeempfänger und viele deutschstämmige Aussiedler[18] » (Süddeutsche Zeitung, 14/07/1994). La jeunesse, l’étrangeté culturelle et parfois religieuse, la violence et la pauvreté attribuées à un même lieu décrit comme confiné constituent les éléments qui donnent au ghetto sa signification, qui constituent l’altérité des grands ensembles de banlieues et qui définissent la menace qui pèse sur la société majoritaire. Les connotations du terme ghetto ont pour effet, tout en désignant des espaces générateurs de troubles et insuffisamment maîtrisés (également zones de non-droit, quartiers sensibles), d’incriminer implicitement et efficacement des catégorisations sociales – catégorisations que la citation suivante met en œuvre : « “Le vivier des quartiers déshérités peut fournir aux fous d’Allah des petits soldats beurs prêts à jouer les kamikazes” » (Le Monde, 27/01/1995) [19]. L’ensemble du discours spatialisé (sur les banlieues, sur les quartiers, les cités) procède d’un glissement du signifié de l’espace prétexte vers des catégories sociales (Germes et Glasze, 2010). Il s’agit d’un euphémisme, au sens où des propos qui seraient plus difficilement légitimables s’ils se rapportaient principalement à des personnes sont légitimés en ce qu’ils font référence à des espaces. La constitution de l’identité de la société majoritaire passe par la désignation d’espaces menaçants qui lui sont presque extérieurs, les grands ensembles de banlieues, tout en opérant une distinction discursive entre un « nous » et un « eux ». Cette distinction discursive est particulièrement prégnante dans le cas français, où les banlieues constituent en outre du danger au sens propre un danger symbolique pour la République. Le discours sécuritaire sur les grands ensembles dans ces deux derniers cas procède de la construction de l’identité de la société majoritaire en différenciation d’une altérité sociale et ethnique qui la met en danger (cf. tableau 1). Dans le cas du discours français, ce danger est doté d’une portée symbolique particulièrement intense.

4 Conclusion

29 Les quatre discours sur les grands ensembles de banlieue en France, en Pologne et en Allemagne (ex-Ouest et ex-Est) présentent l’ambivalence d’une variété d’énoncés et d’opinions propres au contexte du débat médiatique, et restent bien sûr éloignés des discours que les sciences sociales produisent à leur sujet. Les méthodes lexicométriques ont montré leur intérêt en faisant émerger de l’examen des corpus les structures du discours sur les grands ensembles (tableau 1).

30 L’insécurité qui pèse sur la société majoritaire est le nodal point, l’élément discursif central autour duquel la signification hégémonique de ces discours sur les grands ensembles se construit tout au long d’une dizaine d’années – même si elle est différenciée selon les contextes. Il est arbitraire que les « grands ensembles de banlieue » soient les objets du discours de la menace. Par contre, le contenu de l’articulation de chacun des discours, la mobilisation des différents thèmes (urbanisme, jeunesse, passé, étrangeté) et leur mise en relation sont signifiantes de la manière dont les sociétés se pensent par rapport à leur histoire propre et dans le monde, dont elles constituent leur identité propre. En Pologne, une société en pleine transformation et modernisation et par ailleurs en rupture avec son passé socialiste s’identifie avec les grands ensembles de banlieue, menacés par le vol – ce qui justifie des mesures de sécurisation et un appel croissant à la poursuite du changement économique. En Allemagne de l’Est, la société majoritaire stigmatise les grands ensembles de banlieue, dont l’altérité et le danger est essentiellement politique. En Allemagne de l’Ouest et en France, la société majoritaire constitue son identité en opposition aux grands ensembles de banlieue, qui sont étroitement associés à une étrangeté culturelle et qui représentent en France un danger symbolique pour la nation même au-delà des menaces sur la sécurité.

Tab. 1

Construction discursive des menaces sur l’ordre social dans les discours sur les grands ensembles de banlieue en France, Allemagne et Pologne (réalisé par les auteurs. Sources : Le Monde, Gazeta Wyborcza, Süddeutsche Zeitung) Discursive constitution of threat – Discourses on french, german and polish large-housing estates

Quatre contextes discursifs
sur les grands ensembles
France Allemagne
ex-Ouest ex-Est
Pologne
Articulation thématique
du discours sur les grands ensembles
Ville Déclin urbain Renouveau, croissance,
modernisation
Histoire Lieux du passé socialiste
Étrangeté Lieux de l’altérité culturelle
Maghreb, Islam Turquie
Jeunes Lieux d’une jeunesse dangereuse
Exclusion Lieux de la marginalité sociale
Violence Sécurité Lieux symboliquement
dangereux
Lieux
dangereux
Lieux de violences d’extrême droite Lieux de vol et
d’effraction
Délimitation de la menace Lieux menaçants,
Différenciés de la société majoritaire
Lieux
menacés,
identifiés à la société
majoritaire
Critères de la
différenciation
ou de l’identification
Critères sociaux et ethniques Critères
historiques et
politiques
Critères
historiques et économiques
figure im5

Construction discursive des menaces sur l’ordre social dans les discours sur les grands ensembles de banlieue en France, Allemagne et Pologne (réalisé par les auteurs. Sources : Le Monde, Gazeta Wyborcza, Süddeutsche Zeitung) Discursive constitution of threat – Discourses on french, german and polish large-housing estates


31 Inspirée par la french theory ou französische Theorie relue par les sciences sociales anglophones et germanophones, la théorie des discours appliquée à la géographie présente une voie d’accès au déchiffrement des symboliques sociales qui gouvernent notre rapport à l’espace social.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : banlieue, grands ensembles, sécurité, Théorie des discours, géographie urbaine, lexicométrie

Mise en ligne 26/11/2010

https://doi.org/10.3917/ag.675.0515

Notes

  • [1]
    Aucune définition des grands ensembles ne fait vraiment l’unanimité, même si leurs principales caractéristiques font consensus : « Forme architecturale faite de barres et de tours, taille de 500 ou 1000 logements minimum, localisation généralement périphérique, financement aidé par l’État sous des formes diverses, présence dominante de statut locatif, édification rapide suivant des techniques de préfabrication... » (Fourcaut, in Dufaux et Fourcaut, 2004, p. 15). « Planification et construction dans les années 1960 et 1970 ; des unités d’habitation fonctionnelles et autonomes ; une conception urbanistique globale comprenant l’habitat, les espaces verts, les terrains libres, les réseaux de transport et les infrastructures ; une apparence marquée par le grand nombre d’étages ; une majorité de logements sociaux » (Fuhrich et Mannert, 1994, p. 567, traduction des auteurs).
  • [2]
    « Quartiers sensibles ».
  • [3]
    « Les chômeurs doivent déménager dans les cités ! – Dresde : Bientôt des ghettos de chômeurs dans les vieilles cités de la RDA ? » Toutes les traductions sont proposées par les auteurs.
  • [4]
    Les signifiants acquièrent leur signification dans le contexte de leur utilisation. Toute proposition de traduction est une interprétation, la prescription d’une signification, mais également une transformation du sens. Les concepts de différentes langues ne sont pas transposables de l’une à l’autre (Bachmann-Medick, 2006, p. 238). Or la comparaison de nos résultats en allemand, polonais et français nous confronte à cet obstacle. Nous restituons pour cette raison les termes et citations en priorité dans leur langue d’origine. Pour la compréhension de l’analyse, nous proposons quand même une traduction des termes cités dans le texte et une traduction des citations en bas de page. Cette proposition prend sens car les termes traduits sont alors inclus dans leur contexte, ce qui n’est pas le cas dans les quatre illustrations à venir, pour lesquelles nous ne proposons donc aucune traduction.
  • [5]
    Nous considérons les institutions comme des discours sédimentés (Laclau, 1990, p. 34). Elles sont caractérisées par une grande stabilité temporelle et contribuent à une réglementation de la production d’énoncés, et ainsi de nouveau à la consolidation d’un discours hégémonique (Nonhoff, 2007).
  • [6]
    Chantal Mouffe, née en 1943 en Belgique est professeur de théorie politique à l’Université de Westminster. Ernesto Laclau, né en 1935 en Argentine est professeur de théorie politique à l’Université d’Essex.
  • [7]
    Les archives intégrales de médias forment des corpus homogènes de grande amplitude : l’ensemble des textes qui les constitue relève des mêmes règles d’énonciation, ils appartiennent au même genre et relèvent d’une même position énonciative (Glasze, 2007). Ces sources donnent accès à un discours dont nous enquêtons les structures sous-jacentes constantes durant la décennie étudiée, indépendamment des multiples opinions rapportées aux personnes interrogées, aux auteurs d’articles, des évènements racontés quotidiennement.
  • [8]
    Le choix de mots-clés pour l’extraction des articles des archives intégrales a dû composer avec l’intraduisibilité des termes et plus particulièrement du mot français « banlieue », dont l’usage ne trouve pas d’équivalent en allemand ou en polonais. Son usage dans le corpus médiatique désignant avant tout les quartiers de grands ensembles des périphéries urbaines, c’est donc à partir de ces derniers qu’ont été élaborés les mots-clés pour l’extraction des articles dans les médias allemand et polonais.
  • [9]
    Le Süddeutsche Zeigung a été choisi du fait qu’il s’agit d’un grand quotidien suprarégional. Au cours de l’enquête s’est révélée la pertinence d’une distinction entre les discours sur les grands ensembles de l’ex-est et de l’ex-ouest de l’Allemagne.
  • [10]
    Oxford WordSmith Tools 5.0, par Mike Scott, publié par Oxford University Press. Voir Internet : http://www.oup.com/elt/catalogue/guidance_articles/ws_form?cc=global (06/03/2009).
  • [11]
    Les termes et citations issus du traitement des différents corpus sont, quelle que soit leur langue, en italique. Entre guillemets apparaissent les thèmes selon lesquels les termes ont été regroupés.
  • [12]
    A l’issue du traitement qualitatif approfondi du corpus, les citations suivantes ont été choisies comme objet d’étude, car elles sont caractéristiques d’articulations particulières qui apparaissent régulièrement tout au long du corpus, qu’elles reproduisent de manière particulièrement intense. Elles ne sont pas considérées comme significatives du moment de leur énoncé, ni comme propres à la personne qui s’exprime.
  • [13]
    « C’est ainsi qu’une ville entière [Marzahn] surgit, [...] de plus en plus marquée par les traits de caractère et les idées du socialisme et du communisme [...]. Marzahn est un archétype du cauchemar architectural du Plattensozialismus [socialisme fonctionnaliste urbain] et d’une exécution des travaux défectueuse – la réhabilitation de ces bâtiments pourtant récents a, du fait de la contamination par l’amiante [...], de la mauvaise qualité des matériaux et de l’isolation thermique, la réputation d’être un cas sans comparaison possible. »
  • [14]
    « La pauvreté à l’ouest de Munich se concentre sur quelques quartiers à problèmes [...] – les quartiers de grands ensembles sont particulièrement concernés. »
  • [15]
    Neuperlach est un grand ensemble de la périphérie de Munich.
  • [16]
    Les résultats de cette enquête quantitative de corpus médiatiques confirment en cela les autres recherches qualitatives sur le sujet (Best et Gebhardt, 2001 ; Rigouste, 2004).
  • [17]
    « Pourtant la rue Jagienki fut quelques temps la plus sûre de Lód” raille T. Iwinska, une habitante du quartier et ajoute alors sérieusement : “Ici, le jour on est en sécurité. Mais on sait bien que les voleurs viennent d’habitude la nuit. Ils volent des roues de voitures, des autoradios et des rétroviseurs. C’est un fléau.” [...] Le “point de sécurité”, qui doit être utilisé par les patrouilles communes de la police, de la surveillance municipale et des services de sécurité privés sera ouvert mercredi à Janowie. Le premier à Lód avec l’argent des habitants»
  • [18]
    « Tenever, que l’on appelle “petit Manhattan”. L’entassement de trop nombreuses personnes avec de trop grands problèmes a fait de Tenever un lieu dangereux. Cela veut dire que celui dont le comportement saute aux yeux est contrôlé. 53 nationalités résident ici, les RMistes et les rapatriés allemands de l’Est [Aussiedler] sont surreprésentés. »
  • [19]
    Si la crainte du terrorisme est le contexte qui donne sens à cette citation, de telles associations sont également observées en référence à la criminalité et la délinquance.
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