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Article de revue

Migrations, télécommunications et lien social: de nouveaux rapports aux territoires? L'exemple de la communauté réunionnaise

Pages 564 à 574

Notes

  • [1]
    Cette note présente une recherche de B. Froment (2001, 2002); elle a été rédigée par H. Bakis (contexte problématique, réécriture, mise à jour).
  • [2]
    Bakis (1996) ; Bakis (2001).
  • [3]
    Bakis (1993).
  • [4]
    Technologies de l’Information et de la Communication.
  • [5]
    On peut regretter que cette enquête n’ait pas été effectuée à l’échelle nationale; pourtant, elle apporte des indications utiles malgré des limites certaines qui découlent du choix de l’échantillon, du nombre de personnes ayant répondu (une centaine) et de l’absence de résultats du même ordre sur une plus longue ériode. Ce questionnaire a été adressé au «réseau» de Réunionnais de Montpellier et quarante questionnaires informés ont été recueillis. La majorité des personnes sondées est composée d’étudiants (30 sur 40), souvent membres de l’Association Réunionnaise de Montpellier ; la majorité des enquêtés habitent à Montpellier depuis moins de 2 ans et disposent le plus souvent d’un accès à Internet hors de leur domicile (Université, cybercafés, chez des amis ; sur le lieu de travail).
  • [6]
    Froment (2001).
  • [7]
    Nous présentons ici les résultats du questionnaire d’enquête diffusé auprès de la communauté réunionnaise de Montpellier (Froment, 2001). Ce questionnaire a mis en relief les liens pouvant exister entre une communauté émigrée particulière et le reste de la population dont elle est originaire restée localisée dans l’espace d’origine, liens rendus possibles par de nouvelles formes de télécommunications (ici : Internet). Le questionnaire a toujours été posé dans des conditions de calme et de temps disponible.
  • [8]
    On sait que certains sites — axés sur le tourisme par exemple — exagèrent les aspects avantageux des espaces présentés, faussant la réalité.
  • [9]
    À la question de savoir de quelle manière elles pouvaient continuer à pratiquer cette culture, elles ont mentionné principalement la prise de connaissance des informations locales et des événements, la disponibilité de recettes locales, la pratique possible de la langue créole.
  • [10]
    Les infrastructures majeures du réseau de télécommunications entre la Réunion et la France métropolitaine passent par satellite, infrastructure spatiale dont on connaît les limites, notamment en termes de capacité quantitative de télécommunications et de fiabilité des télécommunications. Le satellite arrive vite à saturation: dans ce cas les connexions entre métropole et Réunion sont impossibles, et les connexions en cours deviennent précaires et aléatoires. Malgré le projet de câblage à fibre optique à grande échelle désigné sous l’appellation SAT3/WASC/SAFE, qui doit relier, entre autres, la Réunion aux autoroutes de l’information, c’est encore par la voie des satellites à orbite géostationnaire que passent les télécommunications entre la Réunion et la France métropolitaine. La Réunion est physiquement reliée au câble (le point d’atterrissement est en Baie de Saint-Paul, dans l’Ouest de l’île), mais celui-ci n’est pas encore fonctionnel concernant l’île. Les télécommunications sont assurées par des satellites de France Télécom et ses filiales TDF et Globecast ; ainsi que par les trois satellites Intelsat 604, 704 et 804 reliant la Réunion à la France métropolitaine en bande C (télécommunications et télévision). D’autre part, le satellite Eutelsat W2 permet la communication d’un bouquet de chaînes télévisées numériques permet aussi un accès rapide à Internet (haut débit). Sur la réalité spatiale du réseau de télécommunications entre la France et l’Afrique, voir également: PROTEL (2000); PROTEL et IDATE (1999) ; Saintville (2003); Éric Bernard (2003), Le déploiement des réseaux électroniques en Afrique franco phone. Enjeux et stratégies, thèse co-dir. par H. Bakis et A. Cheneau Loquay.
  • [11]
  • [12]
    Les raisons peuvent être personnelles et affectives (nostalgie de la terre natale), mais elles tiennent aussi à des ressorts d’ordres culturel ou national.
  • [13]
    À la question «Est-ce qu’Internet vous permet de continuer à pratiquer la culture créole malgré le fait que vous soyez sur le continent ?», 72,5% des personnes interrogées ont répondu affirmativement (mentionnant particulièrement : informations locales, mailing, tchat, webcams, photos, et échange de recettes). Quatre des six sites offrent la possibilité de communiquer en créole, via leurs services de mailing, forum ou chat (discussions en temps réel) — l’un d’eux donne accès à un dictionnaire.
  • [14]
    Trois des six sites de l’échantillon contiennent une rubrique ou un lien d’E-commerce concernant spécifiquement les produits, ingrédients ou préparations culinaires. Deux de ces mêmes sites proposent un nombre important de recettes typiques réunionnaises. Il est possible de recevoir à domicile les produits commandés en quarante-huit heures, délai record compte tenu de la distance séparant la Réunion et la France métropolitaine.
  • [15]
    Le site guetali.com propose par exemple trois webcams pointées en permanence sur trois lieux célèbres de la Réunion (Saint-Denis, la plage de Boucan-Canot, la baie de Saint-Leu) diffusant leurs images en direct vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce site offre donc un accès instantané et en temps réel (ce que l’on voit sur l’écran de son ordinateur à Montpellier se déroule au même moment à la Réunion. Le but de l’utilisateur n’est alors pas de se trouver virtuellement à l’île de la Réunion, mais de se faire une idée, de voir ce qui se passe, ou le temps qu’il fait chez lui, dans son île.
  • [16]
    Alors que moins de 8% des interrogés vont sur les postes informatiques de l’université. Source: Etude ODR sur la rentrée 2003 / 2004 auprès de 4000 étudiants de l’Université. http://tic.regionreunion.com/article.php3?id_article=103 (consultation décembre 2004).
  • [17]
    Par exemple la fête de l’abolition de l’esclavage, le 20 décembre de chaque année. Le site clicanoo.com a par exemple été réalisé en partenariat avec le JIR (Journal de l’Île de la Réunion), un des principaux quotidiens locaux de presse écrite. Ce site présente la une quotidienne du journal, des flashs infos, des dossiers sur des sujets particuliers, et propose même un accès aux archives du journal.
  • [18]
    Voir, par exemple, Defossez (2001).
  • [19]
    Nombre de cultures nationales ou minoritaires (ethniques, religieuses, régionales) peuvent de la sorte s’exprimer d’une façon nouvelle sur le web depuis la fin des années 1990, en mettant à la disposition de leurs visiteurs diverses rubriques, concernant par exemple : l’histoire, l’art, la langue, la culture, la cuisine, les traditions, l’économie, la diaspora, des itinéraires, des photos de paysages, des informations, …. Ainsi en est-il pour la culture occitane (http://www.occitania.org/; http://www.occitania.online.fr/aqui.comenca.occitania/; http://www.occitania.fr/); la diaspora arménienne (http://www.armenia.com/, http://www.haias.net/armenien.html — Sites visités en déc. 2004).
English version
Au-delà des illusions passées sur «la fin du trajet quotidien» et la vie à la campagne dans les «cottages électroniques», promis aux utilisateurs des Technologies de l’Information et de la Communication il y a cinquante ans, la question des rapports entre l’usage d’un réseau comme Internet et l’habiter reste vive. Certes le réseau prétend offrir l’ubiquité, mais la réalité est plus prosaïque. La facilité de communication, sa gratuité aussi, facilitent un dédoublement des lieux de l’habiter, dédoublement partiel et circonstanciel. Ainsi, on le sait, les diasporas usent abondamment d’Internet. Mais peut-on généraliser ?
Ici, un Réunionnais est venu étudier à Montpellier. Dans le cadre d’un mémoire de DEA de géographie, il observe les pratiques de la petite communauté estudiantine réunionnaise/montpelliéraine qui utilise Internet. L’enquête est limitée, la portée des conclusions aussi, d’autant plus que l’étudiant est retourné au pays sans écrire l’article que l’on aurait souhaité. Pourtant dans la note ci-après qui en est résultée, grâce au directeur de mémoire, apparaissent bien les ressorts du dédoublement de l’habiter, associé à Internet. D’une part, le réseau maintient vivaces les liens avec le pays d’origine, la famille, les amis: on est donc ici tout en demeurant là. Mais surtout Internet sert à enrichir le capital identitaire qui permet de se faire reconnaître à part entière dans le pays d’accueil. Via Internet, on est d’autant plus ici que l’on est d’ailleurs, que l’on est ailleurs. N’y a-t-il pas dans cette petite étude une forte incitation pour le géographe à repenser la question de l’habiter ?
Gabriel Dupuy

Introduction

1Internet est un des aspects les plus caractéristiques de la mondialisation de la communication. Après l’investigation permise par les moteurs de recherche, après la numérisation et l’accès en ligne des œuvres (textes, tableaux, musiques, photos), une traduction automatique acceptable s’amorce. Jamais auparavant, la circulation d’informations à distance n’a été aussi importante en volumes. L’informatique, l’électronique et les réseaux de télécommunications ont des implications considérables dans tous les domaines : culture, gestion, industrie, commerce, armement, géopolitique… Les réseaux de télécommunications offrent un support évident pour la communication des réseaux humains et sociaux préexistants. Le support technique offert par les télécommunications est d’autant plus appréciable que les populations considérées sont plus dispersées.

2Dans ce contexte, que deviennent les relations entre cultures, électronique et territoires [2] ? Comment les communications sociales et les liens sociaux sont-ils modifiés voire renforcés grâce à des nouveaux usages liés à la diffusion des nouvelles technologies de l’information, et des réseaux de télécommunications [3] ? Plus précisément, quelle est la contribution des télécommunications au maintien, au renforcement, voire au rétablissement du lien social entre les personnes émigrées et le reste de leur communauté resté dans l’espace d’origine ? Cela, alors que, depuis plusieurs années, des informations nombreuses touchant tous les domaines de la vie sont accessibles sur Internet. Dans un grand foisonnement, des sites variés sont à la disposition des internautes surfant sur le Web.

3Quels sont les nouveaux usages liés aux développements, sur Internet, de sites dédiés à des thématiques ou communautés particulières ? Il y a là un vaste champ de recherche susceptible d’apporter des réponses utiles à l’articulation de la géographie des populations et de celle de la culture, en particulier pour ce qui concerne les minorités culturelles (cultures régionales ou minoritaires), les diasporas plus anciennes, et les migrants récents (Bakis, 1995, 1996, 2001). Il serait intéressant d’établir les relations entre certaines dynamiques migratoires actuelles et les usages des TIC [4] qu’adoptent les membres de communautés partageant les mêmes intérêts ? Ces usages rendent-ils possible des relations plus intenses avec les familles et les milieux sociaux ou géographiques de référence, parfois distants de plusieurs milliers de kilomètres ?
Cette note présente une étude de cas : celui des Réunionnais «émigrés» en Métropole. Leur département d’Outre-Mer est éloigné dans l’espace, mais il continue à les «habiter». Une analyse de contenu de sites web dédiés à l’île et une enquête auprès d’étudiants réunionnais de Montpellier (Froment 2002) apportent des résultats qualitatifs significatifs et illustrent un cas concret [5].

1 – Espace d’origine et lien social communautaire

4Les Réunionnais émigrés représentent presque un cinquième de l’ensemble de la population réunionnaise. Cette proportion justifie à elle seule l’intérêt qu’on doit porter à la communauté réunionnaise émigrée. Il apparaît qu’entre communauté émigrée et communauté d’origine, il existait des formes de proximité et d’accessibilité liées aux TIC qui devaient être prises en compte comme moyens d’action au niveau régional. La communauté réunionnaise de la ville de Montpellier a été choisie afin de mettre en évidence les interactions rendues possibles par Internet entre des espaces éloignés [6]. Montpellier se trouve dans un département notamment choisi par les Réunionnais, même si d’autres départements voient des concentrations supérieures, (Bouches-du-Rhône, Rhône, départements de l’Île-de-France).

5Nous présenterons ici les résultats d’un questionnaire [7] et les sites web réunionnais. L’inventaire de ces sites a permis d’examiner l’identité culturelle et régionale réunionnaise véhiculée sur cet espace virtuel. Quelques questions se posent en effet : est-ce que les sites recensés sont à la Réunion ou localisés ailleurs ? Quelle signification cela a-t-il ? Est-ce que l’accès des Réunionnais à leur île et à leur culture grâce au web leur permet de s’intégrer à la ville et à l’espace montpelliérain plus facilement (en cultivant leur insularité et leurs particularités ; «béquille» à l’intégration en France métropolitaine ?).

6Toutes les personnes interrogées ont déjà consulté des sites dédiés à la Réunion, et 95 % de ces personnes utilisent Internet pour communiquer avec leurs proches (ce qui ne signifie pas que les 5 % restant n’utilisent pas du tout Internet pour communiquer avec leurs proches, mais qu’ils privilégient le téléphone). C’est le courrier électronique par courriels qui est très majoritairement mentionné comme forme de communication. Sont aussi mentionnés le chat et les forums. Toutes les personnes interrogées pensent que les informations qu’elles ont trouvées sur Internet correspondent à la réalité de leur vécu sur cette île [8]. Pour 72,5 % des personnes enquêtées Internet permet de pratiquer la culture créole [9] malgré leur éloignement (paradoxe central de nos problématiques). De plus, 85 % des personnes interrogées ont affirmé que le maintien des liens avec la Réunion et la possibilité de pratiquer leur culture grâce à Internet ont constitué pour elles une forme de soutien depuis qu’elles étaient à Montpellier. 90 % des enquêtés ont répondu oui à la question de savoir si l’accès à leur culture via Internet leur a permis de s’intégrer plus facilement à Montpellier. Comment ? Internet leur a permis de faire partager leur culture, leur histoire, leur espace d’origine, à leurs nouvelles connaissances, par exemple en allant ensemble, côte à côte devant l’écran, sur des sites réunionnais et en commentant le contenu de ces sites, ou encore en leur donnant de «bonnes adresses Internet».

2 – Les sites web dédiés à l’île de la Réunion

7Les géographes se sont intéressés aux infrastructures et services de télécommunications [10] et, plus particulièrement à l’étude d’Internet et des sites web depuis quelques années. Plusieurs mémoires ont été consacrés à cette thématique. Selon quelle méthode est-il possible de travailler ? Il s’agit, dans un premier temps, d’effectuer un recensement des sites importants (adresses accompagnées d’une description succincte des sites). Un examen du contenu est indispensable (rubriques, thèmes proposés) ainsi que des aspects plus quantitatifs (nombre de pages, nombre de visiteurs, voire volume des flux et l’origine des visiteurs). Nous tenterons enfin, à partir des statistiques concernant certains des sites étudiés, de localiser, ce qui est l’objet de la science géographique, ces sites dans l’«espace réel», ainsi que les flux et la provenance des visiteurs.

8La recherche de sites dédiés à l’île de la Réunion ne s’est faite pas au hasard de l’exploration de l’espace d’Internet. Pour rechercher ces sites, nous avons utilisé deux moteurs de recherche : Google et Copernic. Au vu de cette première présélection, une visite des sites s’est imposée afin d’instruire les contenus (administration, culture, information, commerce, tourisme…) d’évaluer la présence réunionnaise dans l’espace de la communication électronique, et son accessibilité.

9Le but de la sélection des sites est de matérialiser la culture réunionnaise présente sur Internet. Ces sites devaient répondre à certaines conditions : avoir un contenu culturel (histoire, géographie, coutumes et art culinaire de l’île; produits, langue et musique créoles…). Parmi les autres éléments jugés importants, figuraient: l’actualité de l’île (images, photos, films ou webcams), «forums» dans lesquels les visiteurs des sites peuvent échanger ce que bon leur semble par le biais de l’écriture (annonces, avis sur le site, questions…) ; service de mailing… Les sites qui ont composé l’échantillon de l’étude sont au nombre de six [11].

10Si la communication électronique est virtuelle par essence, les conséquences de cette utilisation sont quant à elles bien réelles. Quand un Réunionnais «expatrié» communique avec un proche parent resté à la Réunion, ces deux individus ne sont pas physiquement côte à côte, et cependant la distance qui les sépare se trouve abolie dans une certaine mesure par le fait de leur communication instantanée sur le Web (ou décalée dans le temps en cas d’échange de E-mails, selon la fréquence des connections).

11Quelles sont les conséquences de l’accès (via Internet) à un espace considéré comme très particulier [12] ? Qu’est-ce que cela leur apporte et comment se traduit cet accès à leur île et à leur culture ? Trois éléments se dégagent de l’utilisation d’Internet par les Réunionnais de Montpellier : un accès permanent à leur culture (possibilité de la mettre en pratique) ; à leur environnement (et espace d’origine) ; à leurs réseaux amicaux et familiaux.

12Internet permet d’abord un accès permanent à la culture réunionnaise : l’histoire, la langue, la gastronomie et les mœurs réunionnaises sont des éléments déterminants de la culture des natifs de cette région.

13L’accès à la culture réunionnaise par Internet permet de satisfaire un besoin d’informations dans ces différents domaines. Les six sites qui composent l’échantillon comportent explicitement une rubrique ou une sous rubrique «histoire» dans leur sommaire. L’accès à la langue créole est facilité grâce aux sites Internet (lecture et pratique du créole) [13]. La gastronomie réunionnaise est très significative de l’insularité et de la culture réunionnaise. Les sites Internet réunionnais offrent une alternative à la pratique et à la connaissance de cette gastronomie en permettant aux réunionnais de commander des produits typiques de la Réunion et leur permettant aussi, le cas échéant, d’utiliser les ingrédients bruts pour la préparation d’un plat dont ils auront préalablement obtenu la recette, également sur Internet [14].
De plus, des images de l’espace d’origine sont visibles sur les sites (vues de l’île par différents moyens : photos, webcams, et même petits films rapidement téléchargeables sur le disque dur d’un ordinateur). Sont concernés aussi par cette accessibilité de l’espace vécu des Réunionnais, les villes de la Réunion (certaines ont leur propre site, d’autres sont présentées au travers de sites plus généraux), et la vie de l’île (c’est-à-dire les événements qui font le quotidien de la Réunion). Le Réunionnais «expatrié» aura constamment accès à son «pays» grâce à ces images, ces vues, parfois même en temps réel [15].

3 – Un accès permanent aux réseaux amicaux et familiaux

14On peut aussi se demander si les relations sont faciles avec les amis des étudiants installés en France métropolitaine, restés à La Réunion ? La réponse à cette question est positive dans l’enquête présentée ici. Par ailleurs, une étude auprès de 4000 étudiants de l’Université de La Réunion nous apprend que 77 % des étudiants réunionnais sont équipés à domicile d’un ordinateur et 55 % sont connectés à Internet ; ils sont 45 % à se connecter quotidiennement de chez eux [16].

15L’accès à la vie de l’île par le biais des informations locales (presse en ligne) est un autre point fort pour les Réunionnais «expatriés». Quatre des six sites composant l’échantillon proposent dans leur sommaire une rubrique actualités ou informations. Ces sites diffusent donc les faits de l’actualité réunionnaise sur Internet, et donnent la possibilité de prendre quotidiennement connaissance de ce qui se passe à la Réunion à plusieurs niveaux (administration, culture, sports, événements, visites officielles…).
Malgré les mobilités familiales Internet permet enfin de garder le contact entre membres d’une même famille. Il est plus largement possible de maintenir les liens amicaux tissés sur l’île en conservant les liens avec la vie du quartier d’origine. Ce maintien des réseaux amicaux et familiaux entre Montpellier et la Réunion peut être d’une telle intensité et les informations véhiculées d’une telle qualité qu’un Réunionnais «expatrié» peut avoir une connaissance et une information fréquente et efficace de son quartier d’origine, de la vie et des événements de ce quartier. Internet permet donc des communications beaucoup plus riches que des communications téléphoniques par exemple. Par le biais des services de mailing offerts par un certain nombre de sites réunionnais (et par un grand nombre de fournisseurs d’accès à Internet internationaux), le contact des Réunionnais avec leurs amis et leur famille resté sur l’île est facilité. La télécommunication se fait majoritairement par écrit (mails), mais selon l’équipement informatique et multimédia dont dispose chacun, des documents personnels de type photos ou films peuvent aussi être échangés entre Montpellier et la Réunion. En plus du texte, l’échange entre ces deux espaces prend alors une dimension visuelle ou audiovisuelle non négligeable.

Conclusion

16Les étudiants Réunionnais habitant hors de l’île, peuvent s’informer au jour le jour des événements et faits remarquables sur leur île [17], y compris à l’échelle du quartier. Une remarque allant dans le même sens a été formulée à propos des Haïtiens immigrés au Canada par Georges Anglade (1992). Les rigueurs de l’éloignement du domicile familial, parfois vécu difficilement par les jeunes étudiants, se trouvent quelque peu atténuées de nos jours par les performances et les services accessibles sur les réseaux de télécommunications (courts messages dits SMS, téléphonie mobile, etc.).

17Les sites Web contribuent à alléger cette impression d’éloignement : on est là, surtout dans une géographie des représentations (rapprochement symbolique, voire psychologique), mais il serait faux de nier une certaine rétroaction de l’espace représenté à l’espace réel (réconfort grâce au contact maintenu ; meilleure insertion dans la vie en Métropole grâce aux informations obtenues; pratique d’une langue minoritaire sur le réseau; création de relations au sein des étudiants Réunionnais de Métropole ; obtention de produits issus de l’espace d’origine par commande de type e-commerce…).
Cette note illustre l’importance de l’Internet dans la construction d’une géographie des représentations. Il suffirait de naviguer sur le net pour se rendre compte que les cas offerts à l’observation sont innombrables et que des constatations voisines de celles présentées ici pourraient être faites pour nombre d’autres communautés (ethniques, régionales [18], nationales, politiques, culturelles, linguistiques, religieuses, ou partageant les mêmes affinités de tous ordres [19]).


Annexes
figure im1
figure im2

Bibliographie

  • Anglade Georges (1992), «Communautés culturelles et ethniques et réseaux de communications. Le cas des Haïtiens dans les Amériques du Nord», conférence inédite, Symposium de Washington de la Commission UGI «Géographie de la Communication et des Télécommunications» (Pre-Congress Meeting), août, Union Géographique Internationale, Washington DC, USA.
  • Bakis Henry (1987), Géopolitique de l’information, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 128 p.
  • Bakis Henry (1993), Les réseaux et leurs enjeux sociaux, Paris, PUF, 128 p.
  • Bakis Henry (1995), «Télécommunications et quartiers défavorisés», NETCOM, vol. IX, n° Hors série, 627 p.
  • Bakis Henry (1995, Editor), «Communication and Political Geography in a Changing World», numéro spécial de la revue Internationale de Science Politique (International Political Science Review), vol. 16, n° 3, juillet, p. 219-311, Elsevier Science Ltd, Oxford, UK
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  • http://tic.regionreunion.com: Technologies de l’Information et de la Communication: un enjeu majeur pour le développement économique, social et culturel de La Réunion.
  • http://tic.regionreunion.com/article.php3?id_article=97:L’Observatoire des TIC suit un certain nombre d’indicateurs afin d’informer sur la progression des TIC à la Réunion, dans plusieurs secteurs.

Date de mise en ligne : 01/05/2010

https://doi.org/10.3917/ag.645.0564

Notes

  • [1]
    Cette note présente une recherche de B. Froment (2001, 2002); elle a été rédigée par H. Bakis (contexte problématique, réécriture, mise à jour).
  • [2]
    Bakis (1996) ; Bakis (2001).
  • [3]
    Bakis (1993).
  • [4]
    Technologies de l’Information et de la Communication.
  • [5]
    On peut regretter que cette enquête n’ait pas été effectuée à l’échelle nationale; pourtant, elle apporte des indications utiles malgré des limites certaines qui découlent du choix de l’échantillon, du nombre de personnes ayant répondu (une centaine) et de l’absence de résultats du même ordre sur une plus longue ériode. Ce questionnaire a été adressé au «réseau» de Réunionnais de Montpellier et quarante questionnaires informés ont été recueillis. La majorité des personnes sondées est composée d’étudiants (30 sur 40), souvent membres de l’Association Réunionnaise de Montpellier ; la majorité des enquêtés habitent à Montpellier depuis moins de 2 ans et disposent le plus souvent d’un accès à Internet hors de leur domicile (Université, cybercafés, chez des amis ; sur le lieu de travail).
  • [6]
    Froment (2001).
  • [7]
    Nous présentons ici les résultats du questionnaire d’enquête diffusé auprès de la communauté réunionnaise de Montpellier (Froment, 2001). Ce questionnaire a mis en relief les liens pouvant exister entre une communauté émigrée particulière et le reste de la population dont elle est originaire restée localisée dans l’espace d’origine, liens rendus possibles par de nouvelles formes de télécommunications (ici : Internet). Le questionnaire a toujours été posé dans des conditions de calme et de temps disponible.
  • [8]
    On sait que certains sites — axés sur le tourisme par exemple — exagèrent les aspects avantageux des espaces présentés, faussant la réalité.
  • [9]
    À la question de savoir de quelle manière elles pouvaient continuer à pratiquer cette culture, elles ont mentionné principalement la prise de connaissance des informations locales et des événements, la disponibilité de recettes locales, la pratique possible de la langue créole.
  • [10]
    Les infrastructures majeures du réseau de télécommunications entre la Réunion et la France métropolitaine passent par satellite, infrastructure spatiale dont on connaît les limites, notamment en termes de capacité quantitative de télécommunications et de fiabilité des télécommunications. Le satellite arrive vite à saturation: dans ce cas les connexions entre métropole et Réunion sont impossibles, et les connexions en cours deviennent précaires et aléatoires. Malgré le projet de câblage à fibre optique à grande échelle désigné sous l’appellation SAT3/WASC/SAFE, qui doit relier, entre autres, la Réunion aux autoroutes de l’information, c’est encore par la voie des satellites à orbite géostationnaire que passent les télécommunications entre la Réunion et la France métropolitaine. La Réunion est physiquement reliée au câble (le point d’atterrissement est en Baie de Saint-Paul, dans l’Ouest de l’île), mais celui-ci n’est pas encore fonctionnel concernant l’île. Les télécommunications sont assurées par des satellites de France Télécom et ses filiales TDF et Globecast ; ainsi que par les trois satellites Intelsat 604, 704 et 804 reliant la Réunion à la France métropolitaine en bande C (télécommunications et télévision). D’autre part, le satellite Eutelsat W2 permet la communication d’un bouquet de chaînes télévisées numériques permet aussi un accès rapide à Internet (haut débit). Sur la réalité spatiale du réseau de télécommunications entre la France et l’Afrique, voir également: PROTEL (2000); PROTEL et IDATE (1999) ; Saintville (2003); Éric Bernard (2003), Le déploiement des réseaux électroniques en Afrique franco phone. Enjeux et stratégies, thèse co-dir. par H. Bakis et A. Cheneau Loquay.
  • [11]
  • [12]
    Les raisons peuvent être personnelles et affectives (nostalgie de la terre natale), mais elles tiennent aussi à des ressorts d’ordres culturel ou national.
  • [13]
    À la question «Est-ce qu’Internet vous permet de continuer à pratiquer la culture créole malgré le fait que vous soyez sur le continent ?», 72,5% des personnes interrogées ont répondu affirmativement (mentionnant particulièrement : informations locales, mailing, tchat, webcams, photos, et échange de recettes). Quatre des six sites offrent la possibilité de communiquer en créole, via leurs services de mailing, forum ou chat (discussions en temps réel) — l’un d’eux donne accès à un dictionnaire.
  • [14]
    Trois des six sites de l’échantillon contiennent une rubrique ou un lien d’E-commerce concernant spécifiquement les produits, ingrédients ou préparations culinaires. Deux de ces mêmes sites proposent un nombre important de recettes typiques réunionnaises. Il est possible de recevoir à domicile les produits commandés en quarante-huit heures, délai record compte tenu de la distance séparant la Réunion et la France métropolitaine.
  • [15]
    Le site guetali.com propose par exemple trois webcams pointées en permanence sur trois lieux célèbres de la Réunion (Saint-Denis, la plage de Boucan-Canot, la baie de Saint-Leu) diffusant leurs images en direct vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce site offre donc un accès instantané et en temps réel (ce que l’on voit sur l’écran de son ordinateur à Montpellier se déroule au même moment à la Réunion. Le but de l’utilisateur n’est alors pas de se trouver virtuellement à l’île de la Réunion, mais de se faire une idée, de voir ce qui se passe, ou le temps qu’il fait chez lui, dans son île.
  • [16]
    Alors que moins de 8% des interrogés vont sur les postes informatiques de l’université. Source: Etude ODR sur la rentrée 2003 / 2004 auprès de 4000 étudiants de l’Université. http://tic.regionreunion.com/article.php3?id_article=103 (consultation décembre 2004).
  • [17]
    Par exemple la fête de l’abolition de l’esclavage, le 20 décembre de chaque année. Le site clicanoo.com a par exemple été réalisé en partenariat avec le JIR (Journal de l’Île de la Réunion), un des principaux quotidiens locaux de presse écrite. Ce site présente la une quotidienne du journal, des flashs infos, des dossiers sur des sujets particuliers, et propose même un accès aux archives du journal.
  • [18]
    Voir, par exemple, Defossez (2001).
  • [19]
    Nombre de cultures nationales ou minoritaires (ethniques, religieuses, régionales) peuvent de la sorte s’exprimer d’une façon nouvelle sur le web depuis la fin des années 1990, en mettant à la disposition de leurs visiteurs diverses rubriques, concernant par exemple : l’histoire, l’art, la langue, la culture, la cuisine, les traditions, l’économie, la diaspora, des itinéraires, des photos de paysages, des informations, …. Ainsi en est-il pour la culture occitane (http://www.occitania.org/; http://www.occitania.online.fr/aqui.comenca.occitania/; http://www.occitania.fr/); la diaspora arménienne (http://www.armenia.com/, http://www.haias.net/armenien.html — Sites visités en déc. 2004).

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