Notes
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Eurostat, « Taux de chômage, moyennes annuelles par sexe et par groupe d’âge », http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/setupModifyTableLayout.do, mise à jour le 1er juillet 2011, consulté le 7 juillet 2011.
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Pour davantage d’informations sur cette recherche : Douard O., Loncle P. (coord.), « Les jeunes vulnérables face au système d’aide publique », Agora débats/jeunesses, n° 62, 2012/3.
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[3]
Voir notamment Mucchielli, 2010.
Introduction
1Les difficultés d’intégration touchant aujourd’hui les jeunes en France et en Europe apparaissent de plus en plus prégnantes, tant du point de vue social que politique.
2Sur le plan social, les taux de chômage [1] n’ont jamais été aussi élevés en Europe (15,8 % en 2008 et 21,1 % en 2010 pour les moins de 25 ans, même si des variations nationales considérables sont à souligner – de 8,7 % aux Pays-Bas à 41,6 % en Espagne), en particulier depuis la crise économique de 2009. Par ailleurs, les emplois des jeunes apparaissent précaires, peu stables, avec de nombreux contrats de courte durée ou à temps partiel non choisis (Walther, Pohl, 2005). De plus, les difficultés d’accès au logement sont tout à fait considérables (Ranci, 2010), ce qui a pour effet, notamment de retarder la mise en couple et l’arrivée du premier enfant, en France comme dans de nombreux pays d’Europe (Dubois-Reymond, 2008). De ce fait, les jeunes Européens se révèlent être aujourd’hui la population la plus touchée par la vulnérabilité sociale, c’est-à-dire, indépendamment de la pauvreté, par l’ensemble des nouveaux risques sociaux qui affectent les États occidentaux (Ranci, 2010).
3Sur le plan politique, les jeunes Européens votent globalement peu, sont peu inscrits dans les partis politiques ou dans les syndicats, et peu présents dans les associations nationales à représentation verticale. Si l’on ne peut pas dire qu’ils se désintéressent de la politique (Roudet, 2010) ou que leur engagement décline (Roudet, 2011), on peut s’interroger sur leur capacité à influer sur la décision politique et à faire prendre en compte les difficultés sociales qui sont les leurs. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’on s’intéresse aux jeunes subissant des difficultés sociales puisque l’on sait que ce sont précisément eux qui votent le moins.
4Ces constats sont alarmants à plusieurs titres : ils révèlent l’existence d’inégalités inter et intragénérationnelles fortes (Chauvel, 2002 ; Maurin, 2009). De plus, ils soulèvent des questions sur la répartition des places entre les générations (pour les mandats électifs, par exemple, mais plus globalement dans l’ensemble des lieux de décision comme les syndicats ou les associations).
5Pour toutes ces raisons, il paraît essentiel de s’intéresser aux politiques publiques destinées aux jeunes. En effet, leur bonne intégration sociale et politique dans les sociétés européennes contemporaines constitue un enjeu considérable à l’heure du vieillissement de ces sociétés, qui fait de la jeunesse une ressource de plus en plus rare et donc, potentiellement, de plus en plus précieuse.
6La question posée ici est, par conséquent, la suivante : les politiques publiques sont-elles à même de résoudre les difficultés sociales et politiques qui touchent les jeunes et donc de corriger les effets de vulnérabilité sociale qui affectent de plus en plus cette population ?
7Pour y répondre, le présent article s’appuie sur quelques éléments de compréhension européens mais se focalise surtout sur le cas français en examinant tour à tour les soubassements idéologiques de ces politiques, leurs contenus et leur mise en œuvre territoriale. Il s’agit bien d’une synthèse qui repose sur une mise en perspective des résultats de plusieurs programmes de recherche présentés ci-dessous.
Des politiques publiques peu valorisantes
8Les politiques publiques françaises concernant la jeunesse sont fondées sur des valeurs ou des fonctionnements peu valorisants, voire stigmatisants. La typologie utilisée par Andreas Walther pour les désigner sur un continuum allant des politiques « dures » à des politiques « douces » est utile pour les classer et comprendre leur logique, à condition d’intégrer d’autres politiques comme celles de santé et de répression.
Politiques « douces » (soft) et « dures » (hard) en direction des jeunes
Politiques « douces » (soft) et « dures » (hard) en direction des jeunes
9Parmi les politiques présentées, les politiques « douces » (socio-éducatives et socioculturelles) se situent à l’extrémité d’un continuum où les politiques publiques peuvent être envisagées comme positives du point de vue de leurs objectifs et valorisantes pour leur population cible : elles promeuvent notamment l’expression des jeunes et leur participation à l’élaboration des décisions qui les concernent.
10Cependant, les politiques douces peuvent aussi être considérées comme les plus faibles parce qu’optionnelles et largement limitées au niveau local. Elles sont en outre portées par des professionnels, essentiellement les animateurs socioculturels, qui n’ont qu’un poids assez restreint en termes de contre-pouvoir face aux décideurs.
11Dans la deuxième colonne sont regroupées des politiques intermédiaires entre « douces » et « dures » : ce sont en particulier les politiques d’éducation auxquelles peuvent être adjointes les politiques de promotion de la santé. Ces politiques pourraient a priori être considérées comme positives dans leur façon de considérer leur public cible : leur objectif premier est d’éduquer et donc de promouvoir l’existence d’individus autonomes, aptes à s’intégrer dans la société. Néanmoins, une analyse précise de leurs attendus et fonctionnements révèle leur caractère peu valorisant pour les jeunes.
12Concernant les politiques d’éducation, Cécile Van de Velde (2008) a bien montré la pression scolaire qui pèse sur les élèves, la dévalorisation qui touche ceux qui échouent et l’obligation impérieuse d’obtenir des diplômes pour intégrer le marché du travail, malgré l’affaiblissement du rôle de ces derniers dans le rapport diplôme obtenu/poste proposé. D’autres enquêtes font également apparaître des éléments assez négatifs. Par exemple, l’enquête PISA parue en 2011 montre dans son volume IV (p. 97) que ce sont les élèves français qui ont les moins bonnes relations avec leurs enseignants pour l’ensemble des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à l’exception du Japon.
13En ce qui concerne les politiques de protection sociale, on sait combien le système français est mal adapté aux jeunes de 18 à 25 ans quand ils ne sont pas eux-mêmes parents ou quand ils ne travaillent pas. Dans un contexte de forte familialisation, les jeunes ne bénéficient pas directement de la protection sociale. Cela pose des problèmes aigus pour ceux qui sont en situation de rupture familiale ou qui ne peuvent pas compter sur le soutien de leurs parents. Là encore, les jugements négatifs sur les jeunes prédominent : ils sont soupçonnés de se rendre dépendants de la protection sociale et de tarder à vouloir entrer sur le marché du travail.
14S’agissant des politiques de prévention en matière de santé, le même constat peut être formulé. Deux courants idéologiques se côtoient aujourd’hui : l’un, favorable à la promotion de la santé et de la prévention par les pairs, l’autre reposant sur la peur et la stigmatisation. Ce dernier courant, bien décrit par Patrick Peretti-Watel (2010), est très largement majoritaire. Or, il est fondé sur une image extrêmement négative de la jeunesse qui serait en proie à toutes sortes de déviances et exposée à de très grands dangers. Les jeunes y sont infantilisés, perçus essentiellement comme dépendants.
15Des images similaires sous-tendent également les politiques de la dernière colonne, les politiques dures, dont les objectifs sont l’intégration sur le marché du travail et la conformation aux normes sociales dominantes (les deux allant bien sûr de pair).
16De ce point de vue, les politiques d’insertion des jeunes sont très révélatrices de leur stigmatisation ou au moins de la suspicion qui pèse sur eux. Dans la recherche sur les jeunes vulnérables que nous avons réalisée pour l’Agence nationale de la recherche, il apparaît que, dans les missions locales par exemple, les crédits accordés à l’insertion sociale ne cessent de diminuer et sont consacrés de plus en plus exclusivement à l’insertion professionnelle [2]. Ces orientations sont le résultat de choix effectués au niveau national et font en cela écho à des orientations européennes visant à accorder une place de plus en plus grande à l’activation des jeunes. Or, ces évolutions s’accompagnent d’une demande croissante de signatures de contrats ou d’élaboration de projets de la part des jeunes et de demandes de garanties d’engagement très importantes.
17Dans les politiques de répression de la délinquance juvénile, les mêmes tendances peuvent être constatées. Si les politiques françaises dans ce domaine ont été marquées depuis l’ordonnance de 1945 par l’idée de la protection et de la réintégration sociale des mineurs délinquants, elles s’éloignent aujourd’hui de cette conception. La France, à cet égard, n’est pas un cas isolé (Bailleau, Cartuyvels, 2007). Laurent Mucchielli montre bien dans ses différents travaux [3] comment ces politiques s’orientent depuis les années 1990 vers davantage de criminalisation, de renvois et de judiciarisation, et comment, en outre, elles ont tendance à désigner des coupables tout trouvés, les jeunes de banlieue, qui incarneraient la jeunesse dangereuse.
18Pour finir sur la stigmatisation, soulignons à quel point elle est davantage le résultat de peurs et de crises sociétales que la conséquence des comportements des jeunes : elle trouve essentiellement sa place dans les « paniques morales » qui traversent les sociétés européennes (Jones, 2009). Par conséquent, les différentes politiques destinées à la jeunesse semblent bien reposer sur une image négative de cette population : à l’exception des politiques douces de faible portée, ces actions publiques développées apparaissent essentiellement stigmatisantes.
Des politiques de faible envergure ou peu performantes
19En outre, ces politiques se révèlent le plus souvent de faible envergure ou bien encore peu performantes.
20Intéressons-nous d’abord aux politiques d’éducation qui sont largement développées et qui ont pris une importance considérable. De nombreuses critiques sont aujourd’hui formulées à leur égard, notamment sur leur effet de reproduction, voire d’amplification des inégalités sociales des élèves. Pierre Merle (2009) montre ainsi que la diffusion de l’enseignement est loin d’avoir supprimé les inégalités structurelles des trajectoires scolaires selon l’origine sociale, notamment en ce qui concerne les choix des filières d’enseignement (les plus prestigieuses revenant aux élèves des classes sociales supérieures) et la plus ou moins grande dévalorisation des diplômes (là encore ce sont les filières suivies par les classes supérieures qui résistent le mieux à ce processus). Florence Lefresne (2007) insiste, quant à elle, sur les sorties sans qualification qui touchent au premier chef les enfants issus de milieux défavorisés. L’enquête PISA (2011), dans son volume II, révèle également l’effet amplificateur du statut socio-économique des parents que produit le système scolaire français.
21Par ailleurs, nos enquêtes de terrain en cours révèlent un secteur en souffrance où de nombreux postes d’encadrement, en particulier non éducatifs, sont supprimés ou largement insuffisants, ou dans lequel des décisions tendent à réduire le temps consacré par les professeurs au suivi des élèves en dehors des heures obligatoires d’enseignement. De plus, les liens avec les structures d’information et d’orientation apparaissent ténus, largement insuffisants, le nombre de professionnels étant en diminution notable. Il apparaît enfin que, dans les collèges étudiés, de nombreux élèves sortent de troisième sans solution d’orientation (du fait du nombre réduit de places dans les lycées professionnels) ou avec des solutions qui ne correspondent absolument pas à leur souhait et qui les conduisent souvent au décrochage scolaire.
22Pour toutes ces raisons, le système scolaire français apparaît peu performant lorsque l’attention se porte sur les jeunes qui rencontrent des difficultés.
23S’agissant à présent des autres politiques adressées à la jeunesse, elles semblent présenter au moins cinq caractéristiques qui montrent leur faible envergure. Ces politiques sont dispersées, éclatées, peu visibles, mal conçues et sans moyens.
24Les politiques de jeunesse sont aujourd’hui éclatées entre tous les niveaux de décision : de la commune à l’Europe, tous les échelons développent des politiques de jeunesse, de manière obligatoire ou optionnelle. Les initiatives ainsi prises se superposent et nul ne sait quel échelon pourrait jouer un rôle de coordination en la matière. Les instances européennes (Conseil de l’Europe et Commission) ont des conceptions ouvertes et transversales des politiques « intégrées » de jeunesse mais elles n’ont que peu d’audience à l’échelle nationale (en tout cas pour la France). L’État ne joue pas vraiment le rôle de chef de file en matière de politiques de jeunesse. Depuis la parution du Livre vert en 2009, aucune stratégie politique clairement affirmée n’est venue étayer les mises en œuvre. Des expérimentations sont certes en cours par le biais du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse mais leur transposition en orientation politique représente une telle gageure que les plus grands doutes sont permis quant à la possibilité de transformer ces essais en politiques pérennes. Du côté des régions, quelques initiatives se dessinent pour prendre le leadership en matière de coordination jeunesse (via l’Association des régions françaises et dans quelques régions précurseurs) mais on en est encore aux balbutiements. Les départements auraient pu, dans une certaine mesure, jouer ce rôle, au moins pour la jeunesse en difficulté, mais ils sont aujourd’hui eux-mêmes fragilisés du fait de leurs problèmes financiers et de l’amoindrissement annoncé de leurs compétences par l’acte III de la décentralisation.
25Les politiques de jeunesse apparaissent également dispersées, notamment entre les financeurs. Il est rare aujourd’hui de trouver des structures qui ne dépendent pas de plurifinancements et qui ne doivent pas faire face à la nécessité de rechercher sans cesse des budgets, de justifier plusieurs fois, selon des critères différents, leur activité, de faire l’avance des fonds publics qui tendent toujours à tarder… Cela pose de plus la question de l’instance décisionnaire et de la régulation des demandes des financeurs quand elles sont contradictoires.
26Du fait des deux premières caractéristiques, les politiques de jeunesse se révèlent également peu lisibles : pour comprendre comment elles fonctionnent à une échelle donnée d’un territoire, il faut reconstituer a posteriori ce qui compose les actions qui s’adressent à la jeunesse et identifier un nombre extrêmement important d’acteurs, placés dans des institutions et des structures nombreuses et ne travaillant pas nécessairement les unes avec les autres.
27Cela nous conduit à la quatrième caractéristique de ces politiques : elles souffrent d’une faiblesse de conception. Même si la situation s’est quelque peu améliorée au cours des dernières années, il est encore rare de pouvoir trouver, dans les collectivités locales et a fortiori à l’échelon national, des documents de référence qui fixent le cadre d’intervention des institutions et des opérateurs de terrain et qui soient réellement appliqués. En effet, face à la grande dispersion évoquée, sans document de cadrage permettant de comprendre leurs objectifs, les politiques de jeunesse apparaissent vouées à une faible efficacité.
28Ce risque est d’autant plus grand que les politiques de jeunesse sont aujourd’hui très fortement confrontées à la baisse des financements publics. Cette observation se décline en plusieurs points.
29Le premier est l’introduction de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) qui a entraîné la création des directions régionales de la jeunesse et des sports et de la cohésion sociale et de leur déclinaison départementale. Dans ces nouvelles instances, la place accordée à la jeunesse, en particulier à la jeunesse en difficulté, n’apparaît pas clairement. De plus, les effectifs sont réduits, les personnels jeunesse et sports minoritaires, surtout à l’échelle départementale.
30Le deuxième point est celui des collectivités locales, de la baisse de leurs ressources et de l’application de l’acte III de la décentralisation. Les politiques de jeunesse sont depuis leur apparition largement financées et portées par les collectivités locales. Or, ces dernières sont aujourd’hui trop en difficulté pour continuer à développer des initiatives, des mesures adaptées aux besoins des jeunes de leur territoire, tant elles se voient contraintes de resserrer leurs interventions sur leurs compétences obligatoires.
31Enfin, troisième aspect, les professionnels de jeunesse sont en butte à de nombreux changements et à une précarité croissante pour certains d’entre eux. Les changements touchent les professions anciennes, à statut, comme les assistantes sociales et les éducateurs spécialisés qui, face à la mastérisation obligatoire des diplômes, risquent de perdent les spécificités et les référentiels de leur métier. De plus, les métiers plus fragiles comme ceux d’animateur socioculturel, d’animateur de prévention ou territoriaux font face à une très grande précarité, avec des postes très souvent à temps partiel et des financements non pérennes.
32Pour toutes ces raisons, il apparaît nettement que les politiques qui s’adressent à la jeunesse dans notre pays sont peu à même de résoudre les difficultés sociales des jeunes.
Des inégalités territoriales avérées
33Ces difficultés sont renforcées par une sixième caractéristique, peut-être la plus problématique de toutes : les politiques destinées à la jeunesse révèlent de fortes inégalités d’un territoire à l’autre, qu’il s’agisse de politiques obligatoires ou, a fortiori, de politiques optionnelles.
34Bien sûr, ces inégalités territoriales ne sont pas l’apanage des politiques de jeunesse : ce phénomène est largement partagé et depuis toujours par l’ensemble des secteurs des politiques publiques. Néanmoins, du fait des autres caractéristiques qui viennent d’être présentées, les politiques qui touchent la jeunesse, déjà fragiles à de multiples points de vue, le deviennent encore plus du fait des inégalités territoriales.
35Elles présentent des inégalités territoriales qui sont le résultat de phénomènes multifactoriels. Dans une étude sur la décentralisation du Fonds d’aide aux jeunes (FAJ) de 2008 (Loncle et al.), nous avons montré que les inégalités liées à la mise en œuvre de ce dispositif tenaient à plusieurs facteurs. Tout d’abord, les budgets accordés par les conseils généraux pour le fonctionnement du fonds n’étaient pas proportionnels au nombre de jeunes présents sur le territoire. Ensuite, l’articulation entre le fonds et les autres politiques de jeunesse dans ces institutions n’était pas toujours présente (le FAJ étant tour à tour un instrument prenant corps dans une politique plus ambitieuse ou bien un outil isolé sans grande capacité de changement des trajectoires des jeunes). De plus, l’intérêt porté par les élus et les services départementaux à ce dossier était très variable : certains départements avaient retravaillé le règlement intérieur du FAJ, d’autres l’avaient confié à un agent disposant d’une marge de manœuvre pour développer des actions stratégiques autour de ce dispositif. Enfin, les critères d’attribution du fonds étaient très hétérogènes : dans certains cas, le dispositif était envisagé comme une façon de faciliter l’insertion sociale de jeunes fortement exclus, dans d’autres comme un outil pour soutenir l’insertion professionnelle de jeunes proches de l’emploi mais rencontrant des difficultés économiques. L’addition de tous ces facteurs conduisait certains départements à une gestion ambitieuse et bien coordonnée de ce fonds et d’autres à l’organisation d’un dispositif beaucoup moins étoffé. Ces constats sont indéniablement préoccupants lorsque l’on sait que le FAJ est supposé toucher les jeunes les plus exclus et constituer à maints égards le dernier filet de sécurité dans des situations sociales très aiguës.
36On peut ajouter à ces sources d’inégalité le fait que les disparités territoriales des politiques adressées à la jeunesse apparaissent dépendantes de facteurs liés aux systèmes locaux d’action publique (Loncle, 2011). Ces facteurs sont multiples. On peut évoquer tout d’abord les traditions d’intervention publique des territoires, mais également prendre en compte la disparité des situations dans lesquelles se trouvent les jeunes (du point de vue du chômage, du logement, de la santé, par exemple). Un autre facteur est l’investissement variable d’élus influents sur les questions de jeunesse, l’existence ou non d’experts susceptibles de porter les dossiers devant les décideurs et de les faire valider par ces derniers. La présence plus ou moins importante d’associations qui pourront servir d’aiguillon pour le développement d’initiatives ou bien de « liant » entre les institutions des différents niveaux d’intervention et, enfin, la qualité des réseaux d’acteurs présents sur les territoires jouent également beaucoup. Sur ce dernier point, au-delà des difficultés précédemment énoncées, ces politiques fragiles peuvent néanmoins prendre parfois une certaine envergure grâce au développement d’actions partenariales cohérentes du point de vue des besoins des jeunes.
37Dans nos études en cours sur la jeunesse vulnérable et sur les trajectoires éducatives, nous montrons que l’existence ou non d’actions partenariales fait toute la différence : là où les actions sont articulées, là où des passerelles sont pensées dans l’accompagnement des jeunes et où les acteurs partagent les mêmes valeurs d’intervention, les politiques destinées à la jeunesse (re)trouvent une certaine ampleur et peuvent faire évoluer les trajectoires.
38Du fait des fonctionnements différenciés des systèmes locaux d’action publique, les dispositifs territoriaux en faveur de la jeunesse présentent des profils très différents d’un territoire à l’autre et induisent des systèmes d’aide et d’accompagnement très disparates.
Conclusion
39Pour conclure, il est important de souligner à quel point des décalages croissants apparaissent entre d’une part les difficultés d’intégration sociale et politique des jeunes, partout en Europe, et d’autre part des politiques de jeunesse à la fois stigmatisantes, de faible envergure et très inégales dans leur mise en œuvre territoriale.
40Ces décalages posent des questions centrales pour l’avenir des sociétés européennes : comment garantir une bonne intégration des jeunes dans ces sociétés, en particulier du point de vue de l’emploi ? Comment s’appuyer sur eux pour renouveler les cadres de pensée et les systèmes de protection sociale alors qu’ils se sentent sans cesse davantage rejetés ? Comment travailler aux solidarités intergénérationnelles et à une cohésion sociale d’ensemble alors que le vieillissement des populations oblige à des choix drastiques en faveur des plus âgés ?
41Les évènements récents qui ont touché un certain nombre de pays d’Europe montrent à cet égard combien les sociétés européennes peinent à faire une place aux jeunes, ce qui peut conduire à des formes de rébellion plus ou moins pacifiques et plus ou moins construites politiquement.
42Il y a donc urgence, nous semble-t-il, à forger des conceptions plus fortes des politiques de jeunesse pour permettre une meilleure adéquation entre les mises en œuvre et les situations critiques auxquelles les jeunes doivent de plus en plus faire face.
Bibliographie
Bibliographie
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Notes
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[1]
Eurostat, « Taux de chômage, moyennes annuelles par sexe et par groupe d’âge », http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/setupModifyTableLayout.do, mise à jour le 1er juillet 2011, consulté le 7 juillet 2011.
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[2]
Pour davantage d’informations sur cette recherche : Douard O., Loncle P. (coord.), « Les jeunes vulnérables face au système d’aide publique », Agora débats/jeunesses, n° 62, 2012/3.
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[3]
Voir notamment Mucchielli, 2010.