Notes
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[1]
Texte officiel sur l’expérimentation du livret de compétences consultable sur www.education.gouv.fr/cid50137/mene0901112c.html
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Musil R., Les désarrois de l’élève Törless, Gallimard, Paris, 1995 ; Zorn F., Mars. Je suis jeune et riche et cultivé, et je suis malheureux, névrosé et seul, Gallimard, coll. « Du monde entier », Paris, 1979, entre autres.
1Ce dossier thématique d’Agora traite de l’informel à l’école. Le projet est de rendre visibles diverses formes de socialisation intra ou intergénérationnelles et de rechercher comment elles s’articulent avec le programme institutionnel de l’école.
2Cette approche ne va pas de soi, puisque la majeure partie des travaux en sociologie de l’école ou en sciences de l’éducation s’est focalisée sur des questions en lien avec le fonctionnement de l’école, sa démocratisation et sa capacité à remplir sa mission en termes d’accès aux savoirs ou aux apprentissages. Peu de travaux en revanche ont analysé ce qui se passait dans l’école comme lieu de vie et de socialisation (Dubet, Martucelli, 1996 ; Payet, 1997 ; Pain, 2002).
3Il s’agit donc ici de rendre compte des effets de l’expérience scolaire dans la construction identitaire des individus et la formation de leurs différents registres d’appartenance. Il s’agit, au-delà, de comprendre pourquoi l’école reste perçue de manière dominante comme lieu de l’éducation formelle, de la « forme scolaire » (Vincent, 1994), et d’identifier les processus d’occultation de l’usage des espaces-temps scolaires à des fins qui ne sont pas dédiées à des apprentissages formalisés.
4Le primat de l’école reste dominant et son poids dans les représentations occupe une place majeure. Par exemple, une émission de France Inter, intitulée Quel écolier étiez-vous ?, met en scène le regard rétrospectif de personnalités, tel ce grand cuisinier qui raconte, absolument enthousiaste, combien de « torgnoles » il a reçues, à cette époque, de ses professeurs et de ses parents dans une aussi mythique que regrettée « école-caserne » (Oury, Pain, 1998 ; Pain, 2002). L’école est une passion et une spécificité culturelle françaises comme l’a repéré depuis longtemps Théodore Zeldin (1994), phénomène renforcé par le poids récent de la pression scolaire qui renvoie aux figures du marché et à des comportements stratégiques (Dubet, Martucelli, 1996).
5L’école occupe souvent toute la place, renvoyant l’éducation informelle et non-formelle à l’inexistence. Ainsi le récent Dictionnaire de l’éducation, publié sous la direction d’Agnès Van Zanten (2008), ne connaît aucune entrée « centres de loisirs », « colonies de vacances », « éducation non formelle », « éducation informelle », « éducation populaire », et la « socialisation » n’y est que… « scolaire ». De même, la démarche récente – pourtant innovante et de rupture –, initiée dans le cadre des expérimentations du haut-commissaire à la Jeunesse, Martin Hirsch, qui prend notamment en compte les acquis d’expérience dans le « hors-scolaire », reste encore dans une logique de validation scolaro-centrée [1].
6L’école ne couvre pourtant qu’une période limitée, minoritaire, si l’on se réfère à la réalité objective du temps passé devant l’enseignant (en primaire, 140 jours sur 365). Dans l’expérience des enfants et des jeunes, elle n’occupe qu’un temps relatif par rapport à l’ensemble de leurs activités. Cet espace-temps éducatif reste le moment des rencontres et des complicités et plus largement de l’expérimentation et de la construction de soi.
7Cependant, cette représentation de l’éducation scolaire dominante doit être nuancée au vu de travaux qui recherchent soit la socialisation informelle dans l’école (Rayou, 1990 ; Delalande, 2001 ; Sirota, 2006), soit plus généralement les processus d’apprentissages informels et non formels dans des milieux éducatifs diversifiés (Brougère, Bézille, 2007 ; Brougère, Ulman, 2009 ; Danic, David, Depeau, 2010 ; Houssaye, 2010).
8Dans ce dossier d’Agora, nous voulons donner toute sa place à ce que le vocabulaire de l’école nomme, de façon trop réductrice à notre goût, la « vie scolaire » en limitant cette dernière aux absences, aux questions de disciplines, etc. Avec l’emploi de l’expression « moment école », inspirée du « moment Guizot » de Pierre Rosanvallon (1985), nous souhaitons revenir sur l’importance d’un espace-temps formateur. Important en ce sens qu’il impacte l’image de soi, sur le moment et dans le futur, en négatif comme en positif. Le moment école est fabriqué par les bons moments (les fêtes, les chahuts, le meilleur ami ou les premières amours, les professeurs qui ont marqué, etc.) mais aussi, hier comme aujourd’hui, il est le lieu de la tyrannie de la majorité (Pasquier, 2005), de l’humiliation par les pairs, du rejet, des violences physiques, institutionnelles, etc.
9Nous avons tous été marqués par des histoires d’école parce que, au-delà des apprentissages formels, il s’y joue pour toutes les catégories présentes de l’intime, du potentiel, du plaisir et de la souffrance, du vital et du mortel, comme l’ont montré certaines fictions emblématiques [2].
10L’hypothèse du moment école est qu’il est, entre autres, un lieu de l’« entre-pairs », générateur d’une expérience générationnelle partagée. C’est un lieu de rencontres ouvert à d’autres proximités sociales, résidentielles et à d’autres formes de contrôle que celles de la famille. Souvent ignoré, il est irréductible à celui des centres de loisirs ou de la rue. Pour les plus jeunes, le moment école permet de sortir de la famille et pour les plus âgés il est un lieu néanmoins sécurisé ou à tout le moins différencié par rapport à la rue, où les bruits du monde entrent mais feutrés. C’est le lieu d’une expérience protégée où l’on peut se voir grandir en passant des seuils comme le CP, la sixième, la troisième, etc.
11Le moment école est aussi un temps d’entraînement au questionnement de l’ordre scolaire. Ce peut être une critique forte, une révolte violente ou des troubles larvés, mais aussi un ricanement, un regard insolent, voire un silence bien compris. Expériences et désordres spécifiques dont témoignent le cinéma (voir If, de Lindsay Anderson) et la littérature, et dont il faudrait interroger les formes dans l’histoire (Payet, 1992 ; Dubet, 1994). Peut-être d’ailleurs est-il plus facile de détruire l’école que d’y être constructif ! En fait, il n’y a pas d’espace public dans l’école, si ce n’est une forme prototypique de sociabilité citoyenne et juvénile que Patrick Rayou (1990) rapprochait de la philia des Grecs.
12Les textes réunis dans ce dossier explorent le moment école, en croisant des regards de sociologues et de psychologues, au travers de quelques-uns de ces espaces-temps. Ils suivent le parcours de l’enfant et de l’adolescent ou du jeune, à l’école primaire (Sophie Ruel, « L’espace classe. Structure de gestion de la construction culturelle des sexes pour les enfants de l’école élémentaire »), au moment du passage du primaire au collège (Julie Delalande, « Saisir les représentations et les expériences de l’enfant à l’école. L’exemple du passage au collège »), au collège (Aurélie Maurin, « Un espace potentiel au collège. Les espaces et les temps informels, lieux et moments adolescents »), et dans le rapport au collège des élèves absentéistes (Rémi Lemaître, « Des collégiens “absentéistes” très assidus »), en terminant sur le vécu de l’internat, structure qui semble aujourd’hui connaître une nouvelle actualité (Dominique Glasman, « L’internat dans l’expérience scolaire »).
13Le moment école ne s’entend pas seulement comme une expérience scolaire au sens d’une relation de l’expérience à la forme scolaire ou à la scolarisation (Rochex, 1995) mais comme une relation à l’espace-temps global de l’école. Il s’agit tout simplement de l’expérience de la vie à l’école considérée comme un monde.
Bibliographie
Bibliographie
- Brougère G., Bézille H., « De l’usage de la notion d’informel dans le champ de l’éducation », note de synthèse, Revue française de pédagogie, n° 158, janvier-février-mars 2007, pp. 117-160.
- Brougère G., Ulman A.-M. (dir.), Apprendre de la vie quotidienne, Presses universitaires de France, coll. « Apprendre », Paris, 2009.
- Danic I., David O., Depeau S. (dir.), Enfants et jeunes dans les espaces du quotidien, Presses universitaires de Rennes, coll. « Géographie sociale », Rennes, 2010.
- Delalande J., La cour de récréation. Contribution à une anthropologie de l’enfance, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le sens social », Rennes, 2001.
- Dubet F., « Les mutations du système scolaire et les violences à l’école », Les cahiers de la sécurité intérieure, n° 15, 1er trimestre 1994.
- Dubet F., Martucelli D., À l’école. Sociologie de l’expérience scolaire, Seuil, coll. « L’épreuve des faits », Paris, 1996.
- Houssaye J. (dir.), Colos et centres de loisirs. Institutions et pratiques pédagogiques, Matrice, Vigneux, 2010.
- Oury F., Pain J., Chronique de l’école caserne, Matrice, Vigneux, 1998.
- Pain J., La société commence à l’école. Prévenir la violence ou prévenir l’école ?, Matrice, Vigneux, 2002.
- Pasquier D., Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Autrement, coll. « Mutations », Paris, 2005.
- Payet J.-P., « Ce que disent les mauvais élèves », Annales de la recherche urbaine, n° 54, 1992, pp. 84-93.
- Payet J.-P., Collège de banlieue. Ethnographie d’un monde scolaire, Armand Colin, coll. « Références », Paris, 1997.
- Rayou P., La cité des lycéens, INJEP/L’Harmattan, coll. « Débats Jeunesses », Paris, 1990.
- Rochex J.-Y., Le sens de l’expérience scolaire. Entre activité et subjectivité, Presses universitaires de France, Paris, 1995.
- Rosanvallon P., Le moment Guizot, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », Paris, 1985.
- Sirota R. (dir.), Éléments pour une sociologie de l’enfance, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le sens social », Rennes, 2006.
- Van Zanten A. (dir.), Dictionnaire de l’éducation, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige. Dicos poche », Paris, 2008.
- Vincent G. (dir.), L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles, Presses universitaires de Lyon, Lyon, 1994.
- Zeldin T., Histoire des passions françaises, tomes 1 et 2, Payot, coll. « Grande bibliothèque Payot », Paris, 1994.
Notes
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[1]
Texte officiel sur l’expérimentation du livret de compétences consultable sur www.education.gouv.fr/cid50137/mene0901112c.html
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[2]
Musil R., Les désarrois de l’élève Törless, Gallimard, Paris, 1995 ; Zorn F., Mars. Je suis jeune et riche et cultivé, et je suis malheureux, névrosé et seul, Gallimard, coll. « Du monde entier », Paris, 1979, entre autres.